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« Sur l’inégalité d’humeur », in Journal littéraire, Lausanne, 25 mars 1781, p. 42v-43
25e MarsAssemblëe chés Mr Fergusson. Sect Saussure de Morges.
QuestionQuelles sont les causes de l’inégalité d’humeur, quels
sont les moïens de s’en corriger?
Cette question n’a produit aucun mémoire, mais elle a doné
lieu à une varieté d’opinions qui n’auroit pas existé, si
l’on avoit comencé par définir les mots.
Aucun de nous assurément n’a pretendu defendre la Cause
de la mauvaise humeur. Cette disposition facheuse d’un
esprit qui s’irrite sans cause, ou pour des Causes si légères,
qu’elles ne peuvent servir ni de pretexte ni d’excuse auprès
des autres qui en devienent les victimes n’auroit pas trouvé
de defenseurs parmi nous.
Il paroit donc que quelques uns de nos Messieurs ont entendu
par le mot humeur, où cette tournure d’esprit piquante que les
Anglois ont designé par un mot analogue, et qui consiste
à voir et à rendre d’une maniere originale et naive ce que
le comun des homes ne voit pas, ou voit indifférenment: où
cette indignation d’un home honete et vrai que les vices
& les travers de la societé affectent fortément; où bien enfin
cette délicatesse d’un esprit bien fait et d’un home bien or=
ganisé qui lui fait appercevoir et sentir toutes les nuances
de bien et de mal qui arrive dans la societé.
Voila quelques traits de carractère que ces Messieurs ont
relevé, qu’ils veulent avec raison que l’on conserve dans le
Monde pour le sauver de l'ennui de l’uniformité, et qu’ils
ont designé sous le nom d’humeur.
On fait observer à ces Messieurs que la langue Françoise n’a
point encore attaché à ce mot les ideës qu’ils lui attribuent; que
qui dit humeur et même bone humeur est bien loin d’entendre
ce que l’Anglois veut dire par le môt humour, et que jamais
on n’a designé par ce mot, cette energie d’ame où cette sensibilité
délicate qu’ils veulent exprimer par là.
<43> Il fut donc decidé que le mot humeur se prenoit toujours en
mauvaise part. On convint de la definition que j’en ai donée
cy i dessus; l’humeur fut declarée un vice de carractère, on alla
jusqu’à dire qu'elle n’avoit pas même une excuse en sa faveur.
Le Dr Gillies en rechercha les Causes. Une constitution physique
vitieuse, une trop grande sensibilité, une mauvaise conscience,
une mauvaise éducation, voila les sources qu’il indique de ce
mal trop comun dans la societé.
On s’occupa aussi des remèdes. On prescrivit aux malades de
travailler sur leur santé sur leur sensibilité, sur leur cœur.
Tout cela come l’on sait est fort facile. On prescrivit aux Riches
aux desœuvrés, aux femes que ce mal attaque de preference,
une occupation décidée. Enfin Mr de Montolieu indique une
recette nouvelle qui reunit tous les suffrages la voici: C’est
d’apprecier en argent tous les petits accidens qui se multiplient
si fort dans l’interieur de la vie privée; et qui ont tant de
prise sur l’humeur.