Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur l'infanticide », in Journal littéraire, Lausanne, 24 décembre 1780, p. 33v-34v

<33v> 24e Xb.Assemblée chés Mr Polier de Loys, secrétre
Saussure de Morges

QuestionQuelles sont les Causes qui rendent l’infanticide
comun et quels sont les moiens d’y remédier?

Deux persones l’ont traitée par écrit, Mr Levade et
Mr Verdeil.

Mr Levade recherche d’abord les Causes de l’Infanticide
Il en indique trois generales 1° La severité avec la=
quelle on juge le sexe 2° Le Luxe 3° Le manque d’établis=
semens utiles.

Dans la distribution que les homes ont faite des devoirs
ils ont mis nous dit il, la chasteté au premier rang de
ceux qu’ils ont imposé aux femes; ils ont fait de ce devoir
ardu la principale vertu du sexe, celle à laquelle ils
ont attaché le plus grand prix. De là le desespoir de celles
qui ont le malheur de succomber et d’y porter atteinte
et qui ne voient plus d’autre moïen de se soustraire à la
honte se precipitent dans un crime qui leur fait horreur
sans doute mais qui seul peut sauver leur reputation.

La 2e Cause est le Luxe qui introduisant dans toutes
les Classes de Cytoïens des besoins factices rend les mariages
plus rares les convenances plus difficiles, et multiplie
ainsi le nombre des homes qui attaquent et des malheureuses
qui Cedent.

La 3e Cause est le manque d’Etablissemens, d’Hopitaux de
maisons d’Enfans trouvés. Tous les pays qui n’en-ont pas
sont exposés à ces scenes horribles qui revoltent la
nature et qui la deshonorent.

Après avoir indiqué les causes Mr Levade passe aux
remèdes. 1° Il faut dit il traiter le sexe avec moins de
rigueur
lui pardoner une foiblesse pour lui epargner un
crime, ouvrir la porte au repentir, luï montrer un retour
à la vertu come possible, et ses droits à l’estime publique
come n’étant pas perdus pour jamais.

2° Il faut diminuër le Luxe. Quel est le Père de famille
qui hésitera de faire aux mœurs de ses Enfans le sacri=
fice de Toutes les misères dont tous ses voisins embarras=
sent ou ornent leurs maisons. Quel est le Cytoïen qui
<34> persuadé des suites funestes du Luxe n’écartera pas de la
societé cet enemi interieur qui la consume et qui la détruit?

Il faut fonder des hopitaux, des maisons d’Enfans trouvés. LesPour
tous ces établissemens Mr Levade propose une Taxe sur tous les
Célibataires à comencer dès l’age de 30 ans.

Mr VerdeilMr Verdeil traita ensuite la question et entra dans de plus
grands details, et nous dit qu’il falloit chercher les Causes de
l’Enfanticide dans

l’Esprit de la Societé par rapport aux femes, qui fait de leurla
chasteté leur ppale vertu et qui leur en fait envisager la perte
come un malheur irréparable & un même détail que dans le discours de Mr Levade.

dans la severité des loix Consistoriales, qui sont le plus souvent
tyranniques et injustes, qui punissent indistinctement et la
malheureuse qui a été seduite et celle qui s’est prostituée, et
qui par la publicité qui les accompagne toujours precipitent
souvent leurs victimes dans un crime qu’elles veulent prévenir.

D’autres Causes secondaires se joignent quelquefoïs à ces deux.
Les mauvaix traittemens de leur famille, l’impossibilité de
trouver un marri, l’impossibilité de cacher l’enfant nouveau
né, de le soustraire à l’inquisition des consistoires, le manque
de fortune, la mauvaise education qui détruit toute espèce de
sensibilité, la facilité enfin de détruire son fruit; toutes
ces causes agissent ensemble ou séparement produisent selon
Mr Verdeil ces scènes horribles qui affligent l’humanité.

Il passe ensuite en revuë les moyens emploïés pour reprimer ce
crime. Il les reduit à quatre. Les chatimens, les Recompenses
les Hopitaux et les maisons d’Enfans trouvés.

Les châtimens dit il ne sont pas proportionés. La mort
est pour la mere dénaturéë quï a détruit son fruit, est un
azile contre l’ignominie. Ce n’est plus une peine puisqu’elle la
soustrait à ce qu’elle redoute le plus, à la honte à laquelle
elle a sacrifié les plus doux sentimens de la nature.

Il croit qu’une existence prolongée dans l’ignominie, seroït un
moïen plus efficace que le supplice qui finit tout.

Les Recompenses offertes dans quelques pays et particulieremt
en Prusse où la feme qui vient accoucher dans quelqu’une des
maisons destinées à cet usage, est bien recuë, bien traitée et
renvoiéë avec une some d’argent, ces recompenses dit il semblent
aller au devant du crime et devoir toujours le prévenir; mais
outre qu’elles nuisent aux homes et encouragent le désordre
elles pêchent dans le principe, elles n’empêchent pas la honte
<34v> elles laissent la feme qui les a remis exposée à l’igno=
minie, le moïen est donc encore insuffisant.

Les hopitaux ne remplissent pas non plus le bût qu’on
se propose. Ils sont soumis à une espece d’inquisition:
l’accouchement y est rendu public, ils ne sont tout au
plus utiles qu’à cette Classe de femes qui manquent de
tout.

Les maisons d’Enfans trouvés sauvent sans doute bien
des Enfans, mais elles laissent les mères exposéës.

Il faut donc de nouveaux moïens et Mr Verdeil les propose.
Un Etablissement pour les Enfans. Un second pour les femes.
Dans le premier les Enfans seroient reçus, allaités, elevés
instruits et recevroïent une vocation; pourroient être
retirés moienant certaines précautions qui constateroient
leur Existence.

Le second seroit un azile illimité, où les femes seroient
recuës en tout temps et seroient gardéës aussi longtems
qu’elles jugeroient convenables, L’Etat devroit fournir les
fonds de ces deux établissemens.

Plusieurs autres membres parlèrent aussi, mais come
leurs opinions ne different pas de celles de Mrs Levade et
Verdeil dont je viens de rendre compte, je ne m’y arrêterai
pas pour éviter des repetitions.

Je rapellerai seulement une observation de Mr Bugnion
sur les mariages. Il y en avoit de plusieurs sortes chés les
Romains et chés les Grecs, et ces nations plus sages que
nous en rendant ses chaines moins pesantes alloient au
devant de bien des maux auxquels l’indissolubilité des
nôtres done lieu.

Mr Smith ne croit pas que l’on doive attribüer l’Infanticide
àux des Causes ordinaires. Il en est dit il de ces malheureuses
qui detruisent leur fruit come dans le genre animal où l’instinct est si fort;
quelques exemples rares & isolés qu’il faut assigner à un
dérangement total dans le Cerveau, à une alienation d’esprit
extraordinaire.

Mr d'Yverdun voudroit détourner la severité des loix sur
les séducteurs.

En general la question a paru compliquée: on a trouvé qu’il
etoit difficille de concilier la morale avec la politique, et qu’il
seroit peut etre dangereux dans de petits pays d’adopter la
pratique des grandes monarchies.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur l'infanticide », in Journal littéraire, Lausanne, 24 décembre 1780, p. 33v-34v, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1305/, version du 20.02.2024.
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