Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur l'utilité des questions proposées dans la société / Sur les vocations », in Journal littéraire, Lausanne, 03 décembre 1780, p. 28v-30v

Assemblée du 3e Xb President Mr Fergusson
Sec. Saussure de Morges

QuestionQuelle est l’utilité des questions proposées dans
la Societé?

Mr SmithMr Smith l’a traittée d’une maniere generale et
l’a entenduë des questions proposées dans les so=
cietés litteraires au lieu que l’intention de Mr Vernede
qui l’a donée etoit de la borner à la nôtre.

Voici come il s’exprime.

L’home est né foible et dependant il a besoin de secours
il est ignorant il a besoin de lumières; de la la necessité
des societés politiques pour le protéger, et de tous les
secours possibles, pour l’instruire.

C’est à quoi les societés litteraires ont pourvu abondanment
Ce sont Elles qui ont rassemblé les etincelles de savoir
eparses et isolées pour en composer des masses de lumière,
<29> Ce sont elles qui ont recueillis des germes pretieux que l’ignorance
auroit laissé etouffer et qui les ont fait éclorre. Enfin c’est de
leur sein que sont sortis tant d’homes celebres qui sont placés
au rang des bienfaiteurs de la societé.

Après avoir exposé les avantages des societés litteraires
Mr Smith passe en revuë les questions qui y sont proposées.

1. Il observe qu’elles ont pour but de rassembler les
materiaux de la science epars sur tout le globe, d’exciter
à la recherche de la verité, et de repandre l’Esprit phïlo=
sophique dans tous les ordres des Cytoiens.

2: Il voit dans les questions proposées tout autant de
déclarations de guerre aux prejugés de toute espèce qui
defigurent la Science et la Raison.

Il voit enfin toutes les parties des sciences celles surtout qui
ont pour base l’observation et l’experience àquerir depuis
l’etablissement des societés litteraires, un degré de clarté
et d’etenduë queauquel elles n’auroient jamais atteint.

Il louë les travaux des Academies de Suede et de Paris.

Toutes les parties de l’Histoire nat. nous dit-il ont été exposées
dans l’ordre le plus naturel et disposées par les moi
ens les plus savants
et les plus habiles.

Les objets microscopiques, le monde infiniment petit a été
découvert et observé.

C’est à ces societés que l’Anatomie doit ses conoissances, et la
Medecine ses vrais principes.

C’est la surtout que la philosophie a comencé à prendre une
forme nouvelle et à parler le langage du bon sens.

Ce sont elles qui ont brisé le fseuns de cette Logique scholastique
qui enchainoientt les esprits à des mots.

Ce sont elles qui ont epuré les langues de l’Europe; et qui ont
introduit parmi les savans cette urbanité, et parmi les homes en
general cette douceur de mœurs qui fait de l’Europe entière
une seule societe une seule famille.

Tout n’est cependant pas fait encore nous dit Mr Smith. Il faut recon=
cilier la philosophie avec la religion sa première et sa plus sure
Compagne. Il faut perfectioner et epurer l’Histoire. Il faut reduire
la Chymie à l’Experience et en bannir l’Esprit systematique. Il
faut enfin ramener le language à sa première simplicité.

<29v> Le champ est vaste et ouvert à tout le monde
et Mr Smith nous invite à y entrer. Aussi longtems
nous dit il la Suisse a sacrifié à la gloire des armes,
il est temps pour elle de pretendre à la palme
du génie.

Mr Verdeil qui a parlé ensuite a observé que les
societés litteraires n’ont pas apporté aux sciences et
aux lettres tous les avantages qu’on devoit naturel=
lement en attendre. Il a montré que Newton,
Galilée & quelques autres avoient composé leurs im=
mortels ouvrages avant d’appartenir à aucune
societé. Mr Bugnion a confirmé cette observation
par d’autres exemples.

Mr VernedeMr Vernède écartant toute question etrangère a
trouvé que les questions proposées dans la societé etoient
utiles. 1: À fixer l’Esprit sur un sujet determiné,
2: à rendre les idées distinctes 3: à fixer l’attention
sur des objets importans. 4: à Etendre les conoissances
par la varieté des objets qu’elles invitent à traitter, 5:
Enfin à perfectioner le talent d’Ecrire, et la faculté
de parler.

Mr Deyverdun quenous rapellant l’institution première
nous a fait observer qu’un discours n’etant censé
qu’une opinion mise par écrit on ne devoit pas inter=
rompre l’ordre accoutumé pour en parler ad hoc, mais
traitter la question proposée en suivant l’ordre accoutumé.

Quant à l’utilité des questions proposées dans
la societé, il observa qu’1 mot recouvrementetant bornés à des objets
de pure litterature ou de morale nous ne pouvions
pas prétendre à une grande utilité ni par conseqt à la
gloire, mais que nous étions assés heureux puisque
dans nôtre societé nous trouvions la liberté, l’égalité et
le plaisir.

Mr BugnionMr Bugnion remit ensuite sur le tapis la question des
vocations traittées dans la seance précedente, et nous lût
un discours où il établit que l’on peut sans mériter
le blâme se dispenser d’en avoir une decidée dans la
societé, quoi qu’il soit de l’essence de l’home civilisé d’être
occupé.

<30> De toutes les especes d’homes qui vivent sur la surface de ce
globe, le negre est le seul qui regarde l’oisiveté come le souverain
bien. Que ce soit en lui un effet du climat, de l’instinct, de
l’habitude ou même de prejugés religieux; C’est un fait, et un fait
qui le distingue de tous les autres habitans de la terre, surtout de
l’home Civilisé qui ne peut jamais être parfaitement oisif.

Tous les homes décident un tpe d’activité qu’ils déploient plus
ou moins, pendant le tems qu’ils conssacrent à la poursuite d’un
objet quelconque de leur ambition, et qui les accompagne même
dans le temps marqué par eux pour le repos et pour la jouis=
sance; Temoins les choux de Diocletien à Salone, ceux du
Prince Ferdinand à Beinem, et tous les choux plantés
par des mains moins distinguées et qui se destinoient au
repos. Témoins, la satieté, le dégout et l’ennui
qui ont assailli tant de fois dans la retraite l’home qui
a atteint l’objet de sa 1 mot recouvrementpoursuite. Verité confirmëe par
l’exemple de tous les souverains qui ont abdiqué l’Empire et
dont à l’exception de l’imbecille Casimir il n’est aucun qui
n’ait voulu le reprendre. Temoin le mot de Tamerlan à
1 mot recouvrementSamarcande, &c.

Rien donc de plus démontré en morale que la necessité du
travail pour le bonheur.

Voltaire «Le Travail est souvent le Père du plaisir»
Mais quelque vrai que soit ce ppe, on ne doit pas en deduire
le blâme de tout home qui n’exerce pas aujourd’hui une vocation
décidée dans la societé.

Dans les comencemens de la societé il etoit de necessité
absoluë que chacun fut emploié que tout Cytoien exercât un art
une profession; mais dans l’Etat actuël des choses on peut fort
bien s’en dispenser, il y auroit même de grands inconveniens à
établir la maxime contraire. Supposons par ex: que chés
nous chacun prene la bèche et cultive son champ ou sa vigne
de ses mains, que deviendront ceux qui les cultivent? les plus foibles
se voueront aux arts, les plus intelligens aux professions lettrées
et chacun exercera un art une profession. Mais quelle sera la
Classe de Cytoïens qui mettra ces derniers en œuvre? Verra Ne
verra t’on pas alors plus de Métiers que de besoins plus d’Artistes
que d’Amateurs, plus de Medecins que de malades, &c., et dans
<30v> cette societé si bien ordonée ne verra t'on pas l’industrie
anneantie et la moitié des Cytoiens mourant de faim.
C’est ce qui a fait dire au Marquis de Beccaria
Qu’il ne faut pas confondre l’oisiveté funeste à la societé
avec l’oisiveté des Richesses fruit de l’industrie.

Il faut lire dans le Discours de Mr Bugnion tout ce morceau
qui y est cité tout au long.

Il s’adresse ensuite aux Riches, cette Classe de Cytoïens
privilegiée; sans entrer dans aucune des vocations
laborieuses de la societé, il en est leur dit il de plus
nobles à leur portée: que de vertus à pratiquer? que de
devoirs à remplir? Yci un ami à consoler dans la disgrace
une famille honête à soutenir, des projets utiles à encou=
rager, des arts à faire fleurir? &ca. C’est donc que l’on
peut dire avec verité que sans etre ni Magistrat, ni
Guerrier, ni Docteur, ni Marchand ni Artiste ni Culti=
vateur. Nunquam minus otiosus quam cum otiosum.

Mr Deyverdun invité à nous dïre son avis, répondit en deux
mots; que l’home etant né pour le bonheur, et pour la
paresse, celui à qui les Dieux avoïent doné de 7 caractères recouvrementquoi s’y
livrer pouvoit sans meriter le blâme se dispenser d’exercer
une vocation décidée dans la societé, mais que sous peine d’enui
il devoit cultiver son jardin.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur l'utilité des questions proposées dans la société / Sur les vocations », in Journal littéraire, Lausanne, 03 décembre 1780, p. 28v-30v, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1303/, version du 18.02.2024.
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