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Anthropologie ou Science générale de l'homme: Noologie, Tome I, [Lausanne], [1750]-[1788]
ANTHROPOLOGIE
ou
Science generale de l'homme
TROISIEME PARTIE
NOOLOGIE 1-2
ou
Science de l'homme consideré comme
Etre Intelligent, devellopant sa pensée
et ses operations pour connoitre tout ce
qui l'environne et l'interesse.
<1> PREMIERE SECTION=
Analyse des facultes et operations in
tellectuelles avec les regles generales qui
doivent en diriger l'exercice.
Introduction
Dans l'Anthropologie proprement dite
section 1. chap. XIII. nous avons donné
une idée de la vie d'Intelligence de l'homme
et avec les premieres notions en particulier
de l'Etre pensant, et nous croions pouvoir
dans cette partie nous dispenser de repeter
ce que nous avons deja dit.
Dans le monde Intellectuel comme dans
le monde visible, il y a des rapports na=
turels et permanens, des Loix physiques
auxquelles l'Intelligence est forcée d'obeir
et qui servent a expliquer les Phenome=
nes intellectuels qu'elle nous offre.
Mais puisque l'activité de cette intelligence
est aussi soumise aux ordres de la volonté, il y a
aussi des Loix prattiques qui expriment
<1v> ce qu'elle devroit toujours faire pour agir
conformement a sa nature et a son but.
La Noologie doit donc embrasser ce dou=
ble objet; 1o l'analyse des facultes et opera=
tions que l'ame intelligente exerce et les Loix
physiques auxquelles elle est forcée d'obeir.
C'est en quoi elle coïncide avec la Psycolo=
gie. 2o l'exposé des Loix prattiques auxquelles
l'homme doit se conformer pour tirer le meilleur
parti de l'instrument de la pensée par un
bon usage de ses facultés et de ses opera=
tions; c'est en quoi elle convient avec la
Logique ou l'art de penser qui presente les
regles distinctes que l'intelligence doit suivre
pour aller a la decouverte du vrai par la
voie la plus sure, la plus courte et la plus
aisée.
LOGIQUE NATURELLE
Il est une marche a laquelle la nature rame=
ne tous les hommes non abrutis, pour les con=
duire au vrai, lors même qu'ils ne sont diri=
gés par aucune regle distincte et dont ils
puissent se rendre comte a eux mêmes: c'est
ce qu'on a appellé Logique naturelle. Cette
Logique n'est pas au même degré chez tous
les hommes: les uns discernent le vrai du
faux assès aisement et surement; les autres
s'en laissent imposer par les moindres appa=
rences: chès les enfans, cette logique n'est
qu'une disposition naissante; elle se devellope
et se perfectione a mesure qu'ils avancent
en age.
Ici on peut distinguer ce que la nature
donne en fait de dispositions et qui peut va=
rier beaucoup chès les divers sujets, et ce qu'ils
doivent y ajouter: l'exercice, l'usage, l'ex=
perience, <2> le commerce, la lecture, l'imitation, l'habitude
de l'attention et de la reflexion, qui peuvent encor
varier d'avantage, mais qui sont d'une necessi=
té indispensable pour devellopper le germe
naturel de l'intelligence et lui donner de
l'energie. Tout cela appartient a la Logique
appellée naturelle, entant qu'il n'y entre
aucune etude distincte et expresse des regles
de l'art.
Tel est le seul guide qui dirige la plupart
des hommes, et avec son secours seul, il en
est un grand nombre qui jugent assès bien
des choses qui sont a leur portée et qui peu=
vent les interesser. On ne peut pas dire qu'ils
jugent au hazard, car dans ce cas si cela etoit ils ne
cesseroient de se tromper, puisque dans la
plupart des cas il y a mille chemins pour
conduire a l'erreur contre un seul qui
puisse les ramener a la verité. Il faut
donc qu'ils suivent quelque guide, ou quelque
regle, que la nature leur fournit, quoi=
qu'ils ne sauroient en donner aucun ex=
posé distinct, tout comme en marchant,
ils obeissent aux Loix de la mechanique,
sans le savoir, ni y penser.
DEFAUTS DE CE GUIDE
Ainsi En effet les regles de la Logique naturelle
sont toutes confuses; elles n'indiquent point
avec precision et clarté aux hommes ni ce qu'ils doi=
vent faire, ni les cas ou ils la raison pour laquelle ils doivent le faire:
elles sont du même genre que celles que
suit le commun peuple quant a la morale,
tout se reduit a un sentiment confus
de bien et de mal, quelques exemples, quel=
ques faits particuliers, embarassés de cir=
constances etrangeres a la vertu ou au
vice: ce qui fait qu'ils ne connoissent point
exactement ce qui a rapport au est du devoir
dans chaque cas, ni la raison pour laquelle ils doi=
vent agir d'une
maniere plutot
que d'une autre.
<2v> Quels sont en effet les moiens de direction
fournis par la Logique naturelle?
1o Le Souvenir des cas semblables; l'ex=
perience a appris qu'en raisonnant d'une
certaine maniere en tel cas, on a bien
raisonné, et de la on infere que dans le cas
actuel, il faut raisonner de la même ma=
niere: mais les cas peuvent etre semblables
a certains egards, et fort differens a d'au=
tres: peut etre la memoire n'a t'elle retenu que
les circonstances accessoires et a t'elle laissés
echapper les principales, celles d'ou depen=
doit la justesse du raisonnement dans le
cas precedent.
2o Les exemples qu'on a lu ou entendus, les
modeles de raisonnement qu'on a retenu;
mais ici même inconvenient: nous ne
connoissons pas assès les circonstances ou
les motifs de ceux que nous voudrions 1 mot biffure imi=
ter: comment determiner exactement
quand il nous conviendra de juger et
de raisonner comme ils l'ont fait?
3o le gout, le tact qui nous avertit con=
fusement que tel jugement est vrai ou
faux: mais ce n'est encor la qu'un sentiment
confus; nous pouvons le confondre avec
un travers d'esprit: jamais il ne pourra nous con=
duire a rien de sur et de 1 mot biffure.
Ainsi ceux qui ne suivent que les regles
de la Logique naturelle, ne suivent que des
regles confuses; et même sans s'en apper=
cevoir, ils ne peuvent point en faire une
juste application aux divers cas particuliers
et compliqués ou ils se rencontrent: ils doi=
vent donc etre sujets a se tromper très
frequemment, sans même le soubsonner,
et sans trouver aucune lumiere qui puisse
<3> leur decouvrir cette erreur et les correctifs
qu'ils devroient y apporter.
NECE NECESSITE DE LA LOGIQUE ARTIFICIELLE
Tout comme on a compris qu'en medecine
il ne falloit pas s'en tenir a des regles confuses,
dont on ne peut faire que des applications mal=
heureuses, et qu'il falloit appeller a son secours
une theorie, des principes distincts, de même
on a senti la necessité des regles distinctes
et distinctement connues, pour diriger l'Intel=
ligence dans la recherche du vrai, et lui
montrer d'une maniere precise ce qu'elle doit
faire dans tel ou tel cas determinément
1 mot biffure et separé de toutes les circonstances etr
etrangeres, avec les raisons des regles qui
lui sont presentées en sorte qu'elle puisse se
rendre comte a elle même de tout ce qu'elle
fait pour arriver a son but. Tel est l'ob=
jet de cette Science qu'on a appellée la
Logique, et la Logique artificielle; ce
qu'il faut entendre, non point comme si elle
etoit etrangere a la nature humaine, ni
même a la Logique naturelle: car elle
ne doit etre autre chose que celle ci, rame=
née a des regles distinctes, develloppée
avec Science, et toujours en rendant rai=
son des regles par des principes puisés
dans la connoissance de l'Intelligence
humaine, de ses facultés et de ses ope=
rations, que ces regles doivent diriger
conformement a leur nature et a leur
fin.
Ainsi dans la Logique doit tout doit abou=
tir a l'examen de ce qui se passe chès l'hom=
me, ou de ce qu'il fait naturellement, lorsqu'il
parvient a la decouverte de la verité; et cette
connoissance de la maniere dont il s'y
prend pour faire la chose bien, devient
pour lui une regle pour la bien faire, et la Logique de=
montre par la na=
ture de ses opera=
tions, qu'elle doit etre
faite ainsi pour etre bien faite.
<3v> Il faut importe d'examiner aussi de quelle manie=
re, il s'eloigne de la nature lorsqu'il vient
a tomber dans l'erreur, et cette connoissance
peut lui tenir lieu de regles pour s'en preser=
ver. Dela naissent autant d'instructions
pour apprendre aux hommes la marche
de l'Intelligence dans ses recherches, les dan=
gers d'erreur dont elle est menacée. Les obs=
tacles qu'elle a a vaincre, les precautions
qu'elle peut leur opposer, les caracteres qui
distinguent, dans tous les divers cas, la
verité du prejugé et du sophisme.
Ainsi la Logique artificielle l'emporte sur
la naturelle 1 par la nature de ses regles
qui sont distinctes, precises determinées,
appuiées sur de bonnes preuves; 2o parce
que l'application en est beaucoup plus
sure, qu'elle s'etend a un beaucoup plus
grand nombre de cas, entant quelles
sont tirées du fond même des operations
de l'ame 3. parce qu'elle offre pour arri=
ver au vrai, la route la plus facile, la
plus courte, la plus lumineuse; enfin,
parce quelle met en etat d'eclairer, de
convaincre les autres par des raisons so=
lides, même lorsqu'ils sont opiniatres, et
qu'il faut les forcer dans leurs derniers
retranchemens.
Mais inutilement s'exerceroit on dans
la Logique d'enseignement, si on n'en
faisoit une affaire d'usage et de pratti=
que par l'habitude d'en appliquer les
regles, et si elle ne produisoit une dispo=
sition ïnherente qui puisse conduire
au vrai, qui doit etre toujours le
but principal de toute etude, et quoi=
qu'il <4> y ait une sorte de pedanterie a s'as=
sujetir trop aux regles pour la forme,
c'est aussi manquer a un devoir sacré
que de s'en ecarter pour l'essentiel dans
ce qu'on dit ou l'on ecrit.
Suivant ce qui a été dit, la Noologie
doit etre naturellement divisée en 2 Sec=
tions; la 1o comprend l'analyse des facultes
et operations Intellectuelles et les regles ge=
nerales auxquelles elles doitvent etre soumises
pour que leur exercice soit regulier;
la 2o presentera les regles particulieres
aux divers cas ou l'ame Intellectuelle
peut se rencontrer lorsqu'elle s'occupe
de la recherche du vrai, et l'application
qu'elle doit faire dans chacun de ces
cas des regles generales. La premiere
section sera plus theoretique que prat=
tique; la 2o plus prattiques que theore=
tique.
<4v> NOOLOGIE
Premiere section
ou l'on traite de
l'Analyse des facultés et operations 1 mot biffure Inte=
lectuelles avec L'Intelligence avec
les Loix auxquelles
elle obeit, et Les regles generales auxquel=
les leur exercice doit etre soumis pour qu'il
soit regulier.
CHAPITRE PREMIER
Des premiers materiaux de la pensée ou
des elemens originaires et primitifs de toutes
nos connoissances.
ELEMENS PRIMORDIAUX DE LA PENSEE.
Pour se faire une idee juste de la pensée; il
faut remonter jusques a ses elemens pri=
mordiaux. Il en est de nos pensées comme
des mots destinés a leur expression. La plus
grande partie de Ceux ci ne sont que des
resultats de la combïnaison de certains
sons primitifs simples et donnés par la na=
ture elle même. Ainsi La plupart de nos
pensees ne sont que le resultat de la combi=
naison variée d'un certain nombre d'idées
elementaires et primordiales , que la natu=
re elle même a fourni aux hommes par
la sensation exterieure et le sentiment inte=
rieur, et qu'il n'a jamais dependu d'eux
de changer dans leur origine par rapport
a leurs objets, pour faire qu'elles represen=
tassent autre chose que ce qu'elles represen=
tent. Puisqu'on on a appellé les sons primi=
tifs simples, racines organiques et gram=
maticales des mots, nous pouvons très bien
appeller les idees racines Philosophiques
de la pensée, toutes les idées elementaires
dont et simples dont elle s'est formée par
l'exercice de l'Intelligence, humaine et qui
sont les premiers materiaux de toutes nos
connoissances.
<5> Comme dans la formation du langage, l'hom=
me n'a jamais pu sortir du cercle des elemens
vocaux donnés par la nature, de même dans
dans les opérations les plus compliquées de la
pensée, l'Esprit humain n'a jamais pu sortir du cer=
cle des elemens ideaux, ni produire de son
chef aucune nouvelle racine philosophi=
que sur laquelle il put s'exercer.
Autant il est impossible de rien dire de sa=
tisfaisant sur la formation du langage si
l'on ne sait remonter a ses elemens primi=
tifs, autant il est impossible de rien proposer
de lumineux par rapport a la composition de
la pensée, si l'on ne parvient a reconnoitre a
des caracteres surs les idées elementaires
qui en sont les premiers materiaux.
CARACTERES AUXQUELS ON LES RE=
CONNOIT.
Par quelles voies peut on trouver et recon=
noitre ces caracteres: il en est trois distinctes
et separées, mais qui ramenent aux mêmes
resultats.
1o la connoissance de l'Anthropologie et
de l'Ethnologie. En se rendant attentif a la
constitution de l'homme, a sa position, a ses
relations, en particulier, aux impressions qu'il
a du recevoir dès les commancemens de la
part des objets exterieurs, a ses besoins de
premiere necessité et a tous les procedés aux=
quels il a été conduit primitivement par la
nature et par l'instinct, par cette seule voie
on pourra très bien saisir qu'elles ont été les
premieres perceptions auxquelles son ame
a été ouverte, qui auront du les premieres ar=
reter son attention devenir par la les pre=
miers materiaux de sa pensée, et comprendre
de la la marche qu'elle aura naturellement
suivie dans le devellopement et la progression de ses connois=
sances <5v> a mesure que ses besoins se seront mul=
tipliés et diversifiés.
2o les lumieres de la Glossologie et de l'Etymo=
logïe. Si l'on prend la peine de reflechir encor d'un
côté a la serie des procedés qui ont donné nais=
sance au Langage et de l'autre, de remonter
des derivés et composés aux mots radicaux et
primitifs et a leur sens originaire, on par=
viendra aisement a retrouver sous les racines
organiques, les premieres perceptions qui sont
entrées dans l'Esprit humain ou les premieres
racines philosophiques de ses connoissances;
et si l'on se plait a redescendre des primitifs
a leurs diverses branches de derivés et de
composés, en suivant la chaine des proce=
des qui les ont fait naitre les uns des autres,
on retrouvera en même temps toute la serie
des procedés qui ont amené la develloppe=
ment composition de la pensée et celle la suite des objets dont les
hommes se sont successivement occupés.
3o l'instruction que fournit a chacun sa
propre experience; quiquonque enfin voudra
bien se rendre attentif a tout ce qui s'est passé
et qui se passe actuellement en lui même relative=
ment a la formation de la pensée et a la serie
des procedés intellectuels auxquels il est redeva=
ble de l'acquisition de ses connoissance, il ne
manquera pas de retrouver et reconnoitre
surement les idées simples et primitives qu'il
a reçues de la nature, et les operations par
lesquelles il est parvenu a en composer
successivement sa pensée, et se mettre ainsi en etat
de l'analyser de la devellopper, toutes les fois que cela est
necessaire pour en saisir de nouveaux
rapports et donner a ses lumieres plus
de justesse et d'etendue.
<6> La plupart de ceux qui s'occupent a mediter
sur la Noologie ne peuvent gueres tirer parti
pour leur instruction que de cette derniere
voie. Mais Il n'en est pas moins vrai qu'on peut
remonter aux idées primitives ou aux raci=
nes philosophiques de nos connoissances
par chacune de ces trois voies separées, mais
plus surement encor, d'une maniere plus
lumineuse et plus satisfaisante par la
reunion et le concours de toutes trois, puisqu'elles
nous ramenent toujours aux mêmes re=
sultats, et que par leur concours on ne
peut manquer d'obtenir la certitude com=
plette.
LEUR REDUCTION A TROIS CLASSES.
PREMIERE CLASSE.
On peut reduire les premiers materiaux de
la pensée a trois classes separées et distincte=
ment caracterisées.
A la premiere classe qui comprend comprenant les idées
primitives dont l'objet est en soi qui sont en elles mêmes absolument
simples et indecomposables, nous rapportons
2 mots biffure 1o les Les sensations exterieures resultant des impressions actuellement pro=
duites par les corps sur les organes sensibles,
Telles sont ou conservées et fixées dans l'ame
qui en a la perception comme images. Telles
sont les idées de la lumiere et des couleurs,
des sons, des saveurs, des odeurs, celles du
mot, du dur, du rud poli, du rude, du
sec, de l'humide &c. noms par lesquels on
exprime aussi les qualites sensibles des
objets corps qui produisent les sensations.
Nous y joignons les
idees des qualités
sensibles des corps
qui les produisent
et qui sont exprimées
par les mêmes mots.
2o les sentimens interieurs qui accompagnent
immediatement la conscience que l'ame a d'elle
même, et des diverses modifications qu'elle
eprouve independamment de toute impression
etrangere et qui apportent divers
changemens a son
etat passif ou actif . Telles sont les idees de plaisir, dou=
leur exprimées par ces mots, plaisir, douleur,
bien etre, malaise, penchant, eloignement,
<6v> desïr, aversion, force interne, autorite volonté, activité &c.
s'appelle celles ci idées non sensibles pour
les distinguer des precedentes qu'on nomme
sensibles. Ce sont la les premieres idées qui ont occupé
les hommes comme liées a leurs premiers be=
soins, et auxquelles ils ont associé les premiers
signes ou sons vocaux qui leur ont été fournis
par la nature elle même.
Mais SECONDE CLASSE.
1 La seconde classe comprend certaines idées
correspondantes aux qualités premieres des
corps, qui ne sont pas en elles mêmes indecom=
posables; puisqu'on les definit, mais qui se sont
originairement presentées aux hommes sans
leur offrir ni assemblage ni composition ou dont l'objet a
paru d'abord sim=
ple, quoi qu'il fut
en lui même decom=
posable. Telles sont les idées d'etendue, de solidité, de
figure, divisibilité, mobilité, pesanteur, &
position, distance,
mouvement, tour,
force &c qualités d'ou dependent certains effets
des corps sur le nôtre, ou des uns sur les autres,
exprimées par les mots pulsion, pression,
contact, reunion, separation, melange, &c
qui offrent autant de perceptions élemen=
taires liées a des radicaux primitifs.
Sous cette classe se rangent aussi se rangent les idées de quali=
tés ou modifications 2 mots biffure non communes qui ont
servi de caracteres principaux pour distinguer les corps
les uns des autres, et les classifier comme celles de fixité,
fluidité, cavité, contenance, naissance,
vie &c idées que les hommes ont primitive=
ment liés avec des sons radicaux, comme les aiant
acquises sans avoir fait aucun acte de
composition.
Il faut y joindre les idées des actions simples et com=
munes que l'homme exerce habituellement
sur les corps, comme les idées exprimées par
les mots mouvoir, lancer, elever, jetter,
battre fouler, prendre, saisir, lier serrer, lier, porter, presser, fixer, diviser
diviser, rouler, piquer
percer, couper separer, creuser &c lesquels n'offrent n'ont offert dans leur
origine aucune composition.
<7> On ne sauroit en separer certaines idées
non sensibles qui dès la premiere origine ont
ete liées necessairement avec les idées des objets
sensibles: telles sont les idées exprimées par
les mots, existence, realité, privation, 1 mot biffure verité, totalité,
identité, ressemblances, unité, pluralité,
lieu, temps, durée, commancement, 1 mot biffure
fin, perfection &c idées qui regardées aussi dans l'origine
comme elementaires, ont été associées a des
sons primitifs ou des derivés immediats.
TROISIEME CLASSE
On peut assigner une 3e classe aux idées de
divers objets existans dans la nature, qu'une
contemplation attentive peut soumettre a
l'analyse, mais dont les hommes ont pu dans
l'orïgine des choses, se former des images toutes
simples, qui ne supposoient de leur part au=
cun assemblage formé par le concours d'au=
tres idées elementaires, et qu'ils ont effective=
ment associées comme telles a des signes
radicaux et primitifs. Telles sont les idées
relatives aux objets suivans;
les organes des cinq sens
la bouche mangeante et parlante, et les
parties essentielles qu'elle renferme conside=
rées comme autant d'objets separés, les le=
vres, la machoire, les dents, le gosier &c
les parties du corps humain principales et
essentielles, la tête, le coeur, les poumons &c
et les instrumens d'activité, les pieds, les
mains, les doigts &c
les fonctions animales communes, 1 mot biffure premier besoin, manger
boire, tousser, crier, parler, agir, marcher
s'arreter, se tourner &c.
divers alimens ou boissons simples, et ce qui est autres objets rela=
tif aux premiers besoins, couverture, ha=
billement, logement &c occupations de la
vie humaine &c.
<7v> Certains Etres individuels, uniques dans leur
espece, frappans pour tous les hommes. Le
Soleil, la Lune, la terre, le f l'eau, le feu,
le clair, l'air, le vent, la nuée, la pluie &c.
Dans l'origine des choses, la plupart même
des substances n'offrirent aux hommes d'autre
idée que celle de la qualité qui dans chacune avoit
fixé la premiere leur attention, et qu'ils ne lui
donnerent d'autre nom que le primitif qui avoit
été lié a cette qualité. Ainsi le Soleil ne se pre=
senta a leur Esprit que comme quelque chose de
brillant, la terre, comme quelque chose de rude,
herissé, une montagne, comme quelque chose
d'elevé, l'eau comme quelque chose d'humide
&c. Les idees de ces substances, quoique composées en
elles mêmes, repo ne furent originairement
quune idée simple exprimée par un mot
simple ou primitif. Le Soleil fut appellé
OR, OL la terre, ER, ERT, une montagne,
AR, l'eau IU: Et c'est de la que les radicaux
primitifs ont été pour la plupart, des substantifs dont
les verbes ont été derivés, comme tout cela sera
montre a l'oeil dans la Glossologie.
Il a fallu des observations et du temps avant
que les hommes aient distingué dans les objets
des parties, dans les substances des qualités et
qu'ils s'en soient formé des idées composées et
susceptibles d'analyse. Ainsi le pied ou les
Anatomistes distinguent tant de parties n'of=
frit d'abord qu'une seule idée expriée
par P. PE PO son imitatif du bruit que
l'homme fait en marchant.
Telles sont les instructions que l'experience de
chacun, l'Anthropologie, l'Ethnologie et la Glos=
sologie nous donnent de concert sur les premiers
materiaux de la pensée qui repandent le
plus grand jour sur
l'origine et le devello=
pement de nos con=
noissances et en me=
me temps qui en fixent les limites
et l'enceinte, au dela de laquelle il n'est pas plus
possible aux hommes d'etendre leurs connoissances de passer
qu'il ne l'est de creer de leur chef de nouveaux
elemens ideaux.
<8> CHAPITRE II
Des idées sensibles et des organes qui nous
les transmettent.
IDEES ELEMENTAIRES SENSIBLES.
Les premieres idées elementaires qui se sont
presentées a l'Esprit humain et qui se presentent
a chaque Individu, sont celles des sensations ex=
terieures que les organes transmettent a l'ame.
a laquelle elles fournissent les idées sensibles.
Autant nous eprouvons de sensations diffe=
rentes, autant nous acquerons d'idées diffe=
rentes des corps. Un sens de moins nous prive=
roit entierement d'un certain genre d'idées:
un sens de plus nous en donneroit qui nous
sont aujourdhui absolument inconnues.
Leur nombre et laeur varieté de ces ideessensa=
tions sensibles decident de l'etendue de nos connoissan=
ces: elle est plus ou moins grande chès les
divers hommes, selon qu'ils sont constitués
pour recevoir, par chacun de leurs organes,
des idées sensibles plus ou moins variées, ou
qu'en cela ils sont plus ou moins favorisés
par les circonstances.
SENSATIONS PASSIVES ET ACTIVES
Les sens sont naturellement dans un etat
passif ou l'homme sans deploier aucune
activité, reçoit indifferemment les impressions
qui lui viennent du dehors. Mais il depend
aussi de lui de diriger leur exercice vers
un objet plutot que vers un autre, sur une
partie ou qualité plutot que sur une au=
tre, dans la vue de recevoir une certaine
impression qu'il prefere actuellement a
d'autres, qui seroient egalement a sa por=
tée, et de la cette distinction introduite dans
toutes les langues par rapport aux verbes
qui expriment les uns la sensation passive,
les autres la sensation active p.ex voir et
regarder, entendre et ecouter, sentir et flairer.
<8v> CINQ CHOSES A DISTINGUER DANS TOUTE
SENSATION.
Dans toute sensation nous devons soigneuse=
ment distinguer cinq choses.
1o l'impression exterieure d'un objet sur les
organes sensibles;
2o une modification du sentiment interieur
que cette impression porte a l'ame;
3o lidée de l'ame reveillée par ce sentiment, et
qui rapporte cette modification et l'impression
aux quelque cause au dehors; a quoi se joint
4o a laquelle se joint l'idée de quelque qualité
considerée dans 2 mots biffure l'objet exterieur: car tout comme l'hom=
me rapporte le sentiment interieur a une cause
interieure a l'ame, qu'il appelle qualité, facul=
té, de mem il rapporte de même la sensation ex=
terieure a une cause exterieure, et autant il
distingue en lui soi d'idées sensibles produites par
l'entremise des organes, autant il suppose dans
les corps de causes diverses pour les produire
qu'il appelle qualités, proprietés.
Enfin 5o la permanence de l'idée dans l'ame, par
ou elle se fixe, et peut etre retracée indepen=
damment de toute impression actuelle, ce qui
se fait involontairement et souvent aussi
par une activité que l'ame deploie a volon=
té.
Il est même a observer ici que l'ame est beaucoup
plus souvent maitresse de se retracer ainsi la sen=
sation que d'en reiterer l'impression actuelle; et
bien cela a été fort sagement etabli, parce
qu'il ne conviendroit pas a nôtre bonheur que
nous fussions absolument les maitres de nous
procurer a point nommé toutes les sensations
qui pourroient nous flatter, tandis qu'il nous
importe beaucoup de pouvoir disposer de
nos idées sensibles, pour les retracer a volonté
et par leur combinaison, parvenir a la con=
noissance des objets qui nous interessent.
<9> RESSEMBLANCE ENTRE LES SENSATIONS
CHEZ LES DIVERS INDIVIDUS.
Tous les hommes etant pourvus d'organes
sensibles, essentiellement les mêmes par rapport
a la construction et l'usage, tous etant
doués d'une sensibilité qui ne sauroit
varier que pour le degré, ils doivent natu=
rellement aussi eprouver tous des sensations très
ressemblantes entr'elles, et qu'on peut sup=
poser les mêmes, lors du moins qu'elles sont
produites par les mêmes organes, qui recoî=
vent les mêmes impressions, de la part des
memes objets, et dans les mêmes circons=
tances. Ce principe repose 1 mot biffure cette n'est autre chose que la Loi
universelle de l'analogie, les mêmes cau=
ses produisent les mêmes effets; loi sans
laquelle les hommes n'auroient pu obte=
nir de la nature ni les mêmes materiaux
de connoissances, ni les mêmes signes d'ex=
pression, et ils auroient été même hors
d'etat de s'entendre, et de convenir entr'eux
sur le fond même des choses qu'ils avoient
a se communiquer, et de s'entretenir
d'une maniere intelligible des objets les
plus interessans pour tous relativement
a leurs besoins.
CETTE RESSEMBLANCE NE TOMBE
PAS SUR LES IDEES DES OBJETS EN
EUX MEMES.
S'il etoit necessaire aux hommes que
leurs sensations fussent semblables, il ne
l'etoit pas qu'ils eussent exactement les
mêmes idées de chaque objet, ni que les
sens les instruisissent complettement sur
tout ce que les objets sont en eux mêmes
ou entr'eux. Les C'est une chose incontes=
table que nos idées sensibles n'ont pas plus
<9v> par lesquelles les divers individus se represen=
tent les divers objets, ne se ressemblent que
tres peu entr'elles, et comment se pourroit
il autrement, puisque les idées elementaires
sensibles n'ont pas plus de ressemblance avec
ce que les objets sont en eux mêmes que des signes
arbitraires n'en ont avec les choses même qu'ils
sont destinés a signifier. Ainsi p. ex. la cou=
leur que je vois n'a pas plus d'affinité avec ce
que le corps qui est sous mes yeux est en soi,
la douleur que j'epprouve avec le charbon
enflammé qui la cause, qu'il n'y en a entre
le signe x et le nombre 100.
QUELLES INSTRUCTIONS FOURNISSENT
LES SENS EN GENERAL.
A quoi donc devoient et se reduire met se reduisent donc en effet les instructions imme=
diates des sens qui sont les canaux de com=
munication entre l'homme et les objets exte=
rieurs? A l'avertir de l'existence de ceux ci, de
leurs effets quant a lui, des causes ou qualit=
té d'ou resultent ces effets, a lui fournir des
caracteres distinctifs de ces objets pour recon=
noitre ceux qui lui sont nuisibles et ceux
qui lui sont utiles, et le mettre en etat de tirer
de ces derniers le meilleur parti pour sa con=
servation et son bien etre: car comme nous avons dit
dans l'Anthropologie S. 1. Les sensations agre=
ables ou desagreables sont un signe de la con=
venance ou de la disconvenance des objets
avec nôtre naturelle, et nous fuions ceux qui
nous causent de la douleur, a moins que la
raison ne nous montre la necessité de cette
douleur pour reparer quelque alteration
faite chès nous.
Ils nous SURTOUT QUANT AUX QUALITES
SECONDAIRES ET PREMIERES.
Quant aux qualités des objets,
les premieres idées fournies aux hommes
par les sens ont été les celles des qualités secondaires
<10> qu'ils les hommes ont supposé dans les corps
comme causes des sensations agreables ou
desagreables qu'ils eprouvoient de leur part
imbus de la Loi generale que les causes de l'analogie
entre les causes et les effets, ils ont emploié
les mêmes mots pour exprimer les sensations
et les qualités; ils ont dit que les corps sont
polis, rudes, odoriferans, colorés, sonores,
et le même mot son a signifié la sensation
du son, l'oreille, l'air agité, le corps sonore
d'ou est né naturellement le prejugé gené=
ral qu'il y a dans les corps quelque chose de
ressemblant aux sensations qu'ils produi=
sent. Il est vrai que ce prejugé ne s'est
pas etendu a tous les cas, et entr'autres a
ceux ou les Langues ont pris soin de distinguer
les choses par differens noms: on n'a jamais
supposé que le baton ou l'aiguille eprouvoient
la sensation qu'ils font eprouver a ceux qui
sont battus ou piqués: mais on a dit que
le vinaigre etoit aigre &c Il est vrai aussi
qu'on a distingué ces qualités, d'ou naissent
les sensations, comme secondaires et depen=
dantes d'autres qu'on a appelées premieres,
on a bientot com=
pris qu'outre ces qua=
lites secondaires,
il en existoit dans
les corps d'autres
très distinctes des
precedentes, dont
celles ci dependent,
et qu'on a appellees,
premieres parce quelles les secondaires ne peuvent
exister sans elles; tandis que celles ci peuvent
exister sans les secondaires, entant qu'elles
sont inherentes aux corps, et liées a leur
constitution interne et essentielle.
Sur quoi il faut observer 1o que dans l'Esprit=
humain, les idées des qualites secondaires
ont precedé celles des qualités premieres; et
qu'elles sont très distinctes les unes des autres,
puisque ces dernieres sont independantes
des autres, et qu'elles demeurent a peu près
indifferentes pour nous, tandis que les autres
sont dependantes, variables, et a accompa
gnées de sensations agreables ou desagrea=
bles.
<10v> Enfin il est des instructions de nos sens qui
se rapportent a nôtre corps, a ses organes,
ou aux influences reciproques des corps en=
treux ou avec le nôtre, et aux divers Pheno=
menes que la nature offre aux hommes
sous des images toutes simples et liées dès
l'origine avec des primitifs radicaux.
INSTRUCTIONS PARTICULIERES DES
DIVERS SENS
Chacun de nos sens nous donne ses instructions
particulieres.
Le toucher nous avertis de l'existence de nôtre
corps, de la presence de ceux qui font impres=
sion sur nos organes, de leurs qualités secon=
daires, le chaud, le froid, le sec, l'humide, le
poli, le rude, &c de leurs qualités premieres,
l'etendue, la figure, la divisibilité, la solidité
la pesanteur, l'inertie. Lui seul peut nous
donner des connoissances exactes sur les qua=
lités qui sont aussi a la portée des autres sens,
parce que les idées qui nous sont communi=
quees par ceux ci ne seroient presque qu'illusion
si l'organe du tact ne servoit a les rectifier,
en nous apprenant a juger de ce que les choses
sont reellement parce que'elles nous paroissent.
Les sensations du toucher sont la plupart in=
differentes, mais toujours instructives, parce
quelles indiquent ce qu'il y a dans les corps de
plus propre a les faire distinguer les uns des
autres: il peut même quelque fois suppleer
aux yeux pour distinguer les corps a por=
tée de la main.
Le gout ne nous rend sensibles que ces qua=
lites secondaires des corps destinées a nous aver=
tir de ce qu'il y a de salutaire ou de nuisible
dans les alimens: mais ses indications seroient
peu instructives si nous n'y joignions l'experience
<11> d'autant plus necessaire que le même corps
nous est souvent rapporté par le gout sous
des sensations très differentes. Tel alimens
nous paroitra agreable au moment de
l'appetit ou lorsque nous sommes en santé;
et après la satieté, dans la maladie, il
deviendra pour nous rebutant et même
d'un usage funeste. Nous ne pouvons
faire fond sur les instructions du gout
que lorsque l'appetit, la faim, la soif, nous
invitent a l'exercer.
Il en est de même de l'odorat: Ce n'est qu'a
l'aide de l'experience qu'il peut nous servir
utilement pour distinguer les objets et nous
avertir de ce qu'il y a de salutaire ou de
pernicieux hors de nous ou dans les ali=
mens: il supplee au gout lorsque celui ci
se trouve alteré.
L'ouie ne nous communique immediatement que les qua=
lites secondaires, et ce n'est qu'avec l'experience
et la comparaison des sons avec les rapports
de la vue et du toucher; que cet organe
peut nous servir de guide dans nos juge=
mens sur la distance, l'approche, et le
voisinage des corps par rapport au nôtre.
Nous pouvons cependant en tirer par le
raisonnement des inferences par rapport a
certaines qualites primitives, telles que l'elas=
ticité plus ou moins grande des corps sonores.
La perception immediate que nous recevons
de l'organe de la vue, ne nous presente que
l'ombre, les couleurs, la forme, ou plutot
l'apparence de l'objet, quant a la grandeur
et la figure. Cette apparence se presente
au fond de l'oeil sous une image, sans
que l'homme y fasse aucune attention,
parce que cette attention se porte entiere
sur l'objet qu'il appercoit par le moien de
cette image. Cette image change continuelle=
ment a mesure que l'objet change de place
<11v> par rapport a l'oeil, ou qu'il est eclairé dif=
feremment a diverses distances: d'ou il arri=
ve que le même objet n'est peut etre jamais
vu deux fois sous une apparence qui soit
exactement la même. Ainsi quoique le vue
soit le moien donné par la nature pour obte=
nir la perception de la forme des corps quant
aux dimensions, a la figure, aux et celle des distances,
on ne peut pas dire cependant que cette percep=
tion soit le produit immediat de la vue qui
n'offre qu'une apparence indeterminée et
variable: mais elle est plutot le fruit de
l'experience et de la reflexion, qui nous mettent
a portée de juger de la realité par les apparen=
ces, qui sans le secours de celles la seroient
toutes trompeuses.
Ainsi nous jugeons des dimensions reelles
des corps par la disposition de la lumiere et
des couleurs sur leurs surfaces. En combinant
les idées de la mesure des dimensions acquises
par le toucher avec la sensation plus ou
moins nette et vive de ces couleurs, nous en
inferons la distance, et la distance une fois
appreciée, la sensation de la grandeur ap=
parente nous met sur la voie pour evaluer
la grandeur reelle.
Tout cela suppose un exercice habituel de la
vision, et l'observation des mêmes objets, en
divers temps, en divers lieux, sous differentes
faces: dès que nous ne pouvons plus changer
le lieu de l'observation, que nous voions les me=
mes objets toujours a la même place, la vue ne
peut nous conduire par aucun rapport ni
jugement, a quelque connoissance vraie. Que
nous disent p. ex. nos yeux sur les etoiles que
nous voions toujours a la même place, pas
autre chose, si ce n'est que ce sont des points
lumineux fixés a une voute qui n'est qua
une modique distance.
<12> Ainsi pour juger des dimensions, il faut qu'au
rapport des yeux, nous joignions celui du toucher.
Le toucher nous donne l'idée d'un pied d'une toise pouce d'un pieds
&c. cette mesure repetée nous sert a concevoir quel=
que mesure plus grande; l'oeuil saisit cette
mesure; il s'accoutume a la doubler, tripler &c
pour l'appliquer aux distances, et a force de
mesurer et verifier ses mesures, il parvient
par l'habitude a juger assès exactement des
distances et des dimensions. ainsi tous les jugemens
d'après la vue seroient incertains si l'homme
n'appelloit a son secours le toucher, la mesure,
la marche, l'usage des instrumens et l'expe=
rience. Pour voir les objets comme il faut,
il faut donc apprendre a voir: c'est un art qui
tient a l'observation, au devellopement de toutes
nos facultés et au raisonnement même: les
perceptions primitives que nous obtenons
par les yeux sont l'etendue apparente, la
lumiere et les couleurs: tout le reste tient
a l'usage des facultés Intellectuelles.
Il en est de même des perceptions que nous
obtenons par tous les sens; elles ne deviennent
sources de connoissances reelles que lorsque
nous exerceons sur elles nos facultés, pour
les comparer, et que nous les soumettons au
raisonnement pour en deduire ce que les choses
sont rellement en elles mêmes.
Voila donc a quoi se reduisent les instructions
immediates de nos sens: dans la seconde section nous mon=
trerons comment ils peuvent nous conduire
a la certitude. Nous avons dit dans nôtre
essai sur l'Education Intellectuelle que
les enfans font usage du raisonnement
et de la reflexion. Ce que nous venons de dire
en fournit une preuve sans replique: puis=
que les enfans jugent assès sainement des
corps, de leur grandeur, figure, distances
&c. il faut bien qu'ils raisonnent pour recti=
fier les rapports de leurs sens et se mettre
en etat de juger de la realité par les apparences.
<12v> CHAPITRE III.
Des facultés qui s'exercent les premieres sur
les idees elementaires sensibles et non sensibles,
la reminiscence, l'attention, la memoire
la contemplation.
Les REMINISCENCE
Les idees elementaires, que l'ame a reçues une
fois par la sensation exterieure et le sentiment
interieur, y demeurent fixées et peuvent y
etre retracées, sans le concours d'aucune im=
pression reitérée de la part des objets exterieure
sur des sens exterieure et 1 mot biffure par une force propre et inhe=
rente, qu'on pourroit appeler reconnoissance
mais qu'on nomme reminiscence, dont le
pouvoir s'etend a toutes les idées composées,
jugemens, raisonnemens, que l'ame conser=
ve comme en depot, jusques a qu'elle soit
appellée a les reproduire. selon le besoin
Sans cette faculté, l'homme 2 mots biffure ne pourroit en exer=
cer aucune autre,
et il resteroit dans une ignorance complette: Ceux chès qui cette
reminiscence est peinible et lente ne peu=
vent s'elever a un certain degré de connois=
sance. Sa promtitude, sa facilité et sa fide=
lité ponctuelle donnent a celui qui en est
favorisé une grande superiorité sur les
autres. Mais tout cela Son activité et sa force dependent beaucoup
de l'organisation physique du cerveau,
mais aussi de l'exercice de cette facul=
té accompagne que nous appellons l'attention, et les efforts que l'ame
deploie sur les fibres de cette organisation.
La reproduction des idées 1 mot biffure se fait
le plus souvent par une suite de leur connexion
entr'elles, sans que l'activité de 1 mot biffure l'ame ait besoin
de se deploier: mais frequemment aussi la
reminiscence est une faculté active que l'ame
exercer dans le dessein de se retracer a elle
même ses pensées, selon le besoin et les circons=
tances, pour en composer des tableaux ou
<13> les analyser, et rendre ainsi ses connoissances
distinctes.
Lorsque nos idées se representent de nouveau a
nôtre ame, c'est pour l'ordinaire avec la conscien=
ce de cette repetition , qui les lui retrace comme
liées et appartenant deja a son être, cet etre
qu'elle appelle moi. Ainsi Sans cette 1 mot biffure cons=
science, chaque idée reveillée en nous, nous
paroitroit absolument nouvelle; nous ne nous
appercevrions pas que le moi qui pense en
nous aujourdhui est le même moi qui pen=
soit hier; c'est donc la reminiscence qui
produit en nous le sentiment de nôtre iden=
tité . J'en dis autant de la perception de
la durée , puisque c'est par la reminiscence
que nous avons conscience d'une serie d'idées
que nôtre ame se rappelle d'avoir eu pre=
sentes l'une après l'autre, depuis une certai=
ne perception dont elle a été frappee, jus=
ques a la repetition de cette même perception,
et qu'en general sans la reminiscence du
moment precedent dans le moment actuel
nous ne pourrions nous former aucune idée
de succession, et que chaque moment meme nous
paroitroit le premier de nôtre existence.
C'est enfin elle qui produit immediatement
la distinction qui separe les idées, dont
nous nous occupons, les unes des autres et
comme c'est par la conscience intime que nous avons de cette
separation qui fait que nous reconnoissons
avec evidence de sentiment que l'une part de ces idées
n'est point la même que telle ou telle au=
tre, quelques liées d'ailleurs qu'elles puissent
etre entr'elles.
ATTENTION
Lorsque plusieurs idées representent
ou se retracent ensemble et confusement,
il importe le plus souvent a l'ame d'augmenter
<13v> la distinction et de prolonger la permanence
de quelques unes en particulier, par prefe=
rence a toutes les autres, pour les mieux saisir,
et se mettre en etat par la de les rappeller dans
l'occasion plus promtement et d'une maniere
plus exacte: cet acte se rapporte a la faculté
appellée l'attention que l'ame deploie par un
effort sur elle même, non seulement et sur l'organisation du cerveau, dont
linfluence s'etend a toutes ses idées et toutes
ses operations, d'ou dependenfin le devellopement de
ses facultés et les progrés de sa vie d'Intelli=
gence. l'ame attentive exerce son activité
pour 1 mot écriture et eloigner d'elle la conscience
des pensées qui peuvent la distraire de celle
dont elle veut obtenir une conscience plus
vive et plus soutenue, et c'est du succès de
ses efforts que depend immediatement la
force de l'attention. L'oeconomie des nerfs
et le mouvement du fluide nerveux in=
fluent physiquement sur son exercice,
pour lui donner cette force qu'on appelle
contention; maîs il n'est pas moins vrai que
le degré d'attention depend aussi beaucoup
de la volonté de l'homme, soit parce que
celle ci peut s'exercer immediatement sur les
nerfs pour leur imprimer une tension qui
fait refluer avec rapidité le fluide nerveux,
qui lequel a son tour soutient puissamment les
efforts de l'ame, soit parce qu'il depend de celle
ci d'ecarter les objets qui pourroient distrai=
re l'attention de ceux dont elle s'occupe, et
de se mettre dans la position la plus favorable
pour sy concentrer toute entiere. 1 mot biffure
L'ame donne son attention ou a un objet
present, en dirigeant les organes des sens vers
cet objet, pour en recevoir les diverses impres=
sions qu'il peut produire, ou a un objet
<14> absent, lorsqu'elle ajoute a la reminiscence de
cet objet un effort pour se rendre particulierement
presentes les impressions qu'il a deja produites,
en mettant de côté tout ce qui lui est etran=
ger. Cette même definition peut s'appliquer
a l'attention soit qu'elle se porte sur un objet
entier, soit qu'elle se fixe sur une de ses parties
ou qualités, soit qu'elle embrasse plusieurs
objets a la fois associés ou combinés.
SA NECESSITE
L'attention est si necessaire que sans elle les
perceptions reçues ne font sur nous qu'une
impression foible et passagere et sont incessam=
ment mises en oubli. Ainsi p. ex a mesure
que nous lisons, nous ne conservons aucun
souvenir des caracteres tracés sur le papier,
parce que nôtre attention s'est portée principa=
lement sur les idées que ces caracteres etoient
destinés a retracer: il n'en est pas de même
des caracteres que nous traçons nous memes
en ecrivant. Ainsi encor si notre vue a été
frappée d'une multitude d'objets a la fois, qui
tous ont fait une impression egale, mais ega=
lement foible, parce que l'attention a été par=
tagee entre trop d'objets, nous ne pouvons nous
souvenir d'aucun en particulier. L'attention
est donc le grand ressort de la reminiscence,
et de la memoire, et l'exercice de ces facultés
ne peut etre separés et il deploie son
influence lors même qu'il ne s'agit que
de retenir et de fixer les idées elementaires que
l'ame acquiert successivement. Mais 1 mot biffure l'exer=
cice 1 mot biffure de l'attention devient plus necessaire encor
quand il s'agit de composer la pensée et de
deploier les autres operations d'ou depend
la perfection de ses nos connoissances. Il est
ainsi indispensable a l'ame pour observer les faits, les
prendre en note, les enregistrer, et plus encor
lorsqu'elle est appellée a rapprocher ces faits
<14v> a les comparer pour en tirer des resultats, et en faire
sortir une chaine de verités subordonnées les
unes aux autres. On peut donc l'envisager
comme le germe precieux de toutes les decouver=
tes de toutes les productions du genie, et le seul
ressort moien efficace pour etendre les progrés des arts et des
sciences humaines.
MOIENS OU REGLES
Rien n'est donc plus important pour l'Intelli=
gence que l'attention et l'habitude de ne jamais
exercer aucune de ses facultés, aucune de ses ope=
rations, sans appeller celle ci a son secours. Or pour etre
attentif, il n'y a qua vouloir l'etre, et pour etre
determiné a le vouloir, il faut sentir l'impor=
tance des objets dont on s'occupe, et combien
il est essentiel de ne pas s'egarer dans ses re=
cherches par un Esprit d'inadvertance ou
de legereté; car sans l'attention, on ne saisit
bien aucun objet, on se fait de tout des idé=
es fausses, qui conduisent d'erreurs en er=
reurs: on peut l'experience en fournit a
chaque instant la preuve.
On peut soulager l'attention cad. s'epar=
gner en partie les efforts qu'elle exige, en
choisissant pour contempler contempler, mediter, lire, ecri=
re, &c Les lieux ou l'on est le moins exposé aux dis=
tractions, et les temps ou l'on est le mieux dis=
posé au recueillement. Il ne faut point
la partager entre trop d'objets; il faut par=
courir ceux ci l'un apres l'autre, surtout lors=
qu'il y a une grande complication; il faut aller
pied a pied, du simple au composé, du
facile au plus difficile. Enfin il est 2 mots biffure
necessité Enfin s'il est neces=
saire pour en tirer
le meilleur parti
possible, de la for=
tifier et de la soute=
nir, il ne l'est pas
moins de la menager et lorsqu'elle bais=
se par l'epuisement, de 1 mot biffure se donner du relache
pour lui laisser reprendre ses forces, ce qu'on
peut obtenir aussi en variant les objets aux=
quels on l'applique.
<15> MEMOIRE
Quand a l'exercice de la reminiscence l'ame
a associé celui de l'attention, par rapport a
des idées simples ou composées, qui se sont ar=
rangées chès elles ou qu'elle a arrangées elle
même dans un certain ordre, ou enchainure
de dependance, quand elle a lié a chacune
de ces idées des signes correspondans pour
les retenir et fixer, dans ce même ordre, elle
a encor le pouvoir, lorsqu'elle le veut, et qu'elle
y a interet, de se retracer cette suite ordonnée
d'idées, avec les signes qui leur ont été associés,
ainsi que les objets correspondans avec leurs
circonstances, dans un ordre parrallelle,
ou très peu different de celui dans lequel
elles avoient été auparavant arrangées,
fixées et mises en depot. Nous appellons
cette faculté la memoire, distincte de
la reminiscence, en ce qu'elle est toujours
active comme l'attention dont elle est le
fruit, et qui la soutient.
SES DIVERSITES
La memoire n'est pas, il est vrai, une fa=
culté uniforme dans ses procedés: tantot
elle rappelle la chose et les circonstances
sans rappeller le nom; tantot c'est le nom
sans la chose; quelque fois c'est tous les
deux: tantot c'est le tout en entier; tantot
c'est avec l'omission de plusieurs circons=
tances.
Ches les uns domine la memoire des choses
qui les retrace avec d'autant plus de facili=
té et d'exactitude quelles ont été arrangées
dans un meilleur ordre. Chès les autres,
c'est la memoire circonstancielle ou
locale, qui ne retiens les choses qu'a l'aide
des circonstances et du local, et demande le
<15v> soutien des signes, des caracteres, des figures,
des tables &c. chès d'autres enfin, c'est la me=
moire des mots qui ne peut se rappeller les
idees qu'autant qu'elle se rappelle premierem
les signes, qui se presentent toujours a elle
les premiers. Ceux qui reunissent ces 3
genres de memoire ont un très grand avan=
tage, pour ce qu'ils ces diverses memoires chès eux
suppleent l'une a l'autre en cas de besoin, et
s'aident reciproquement. Il faut convenir
aussi que la memoire des choses est bien pre=
ferable aux deux autres, comme etant beau=
coup plus independante, et plus propre a
presenter le fil naturel qui lie les idées en=
tr'elles, et qui seul conduit au vrai.
SES QUALITES ET DEFFAUTS
La memoire est aisée ou penible, et
promte ou lente, ferme et tenace ou foible et
labile, fidele ou infidele, etendue
ou resserrée. Tout cela tient beaucoup
a l'organisation du cerveaux, a la con=
texture de ses fibres; il peut dependre dès-=
la du degré de force de l'imagination dans
l'association qu'elle fait des idées: mais il
depend principalement du degré d'atten=
tion, et de l'activité que l'ame deploie pour
se rendre plus vives et plus distinctes les
idées qu'elle veut retenir, plus presens
et plus familiers leurs objets avec toutes
leurs circonstances et les mots même qui
servent a les expimer.
NECESSITE DE LA MEMOIRE
La reminiscence et l'attention seroient inutiles
de peu d'utilité, sans la memoire qui seule retient les idées dans
un ordre convenable, et met l'ame a portée
d'en tirer quelque parti pour avancer ses con=
noissances. C'est la memoire qui tient note
<16> de toutes les idées qui entrent dans l'ame,
de tous les objets avec leurs circonstances,
de toutes les observations, qui prepare et arrange tous
les materiaux de ses pensées, et dont cette
ame doit composer l'edifice de ses connoissan=
ces; c'est, avec l'attention, le premier ressort
de l'imagination et de toutes les operations
de l'œconomie Intellectuelle.
MOIENS DE LA PERFECTIONNER.
Pour aider a la memoire, et la perfection=
ner la soutenir, la ren=
dre plus tenace, et
en general pour plus
fidele, plus etendue,
et en general pour
la perfectioner, il faut observer les precautions sui=
vantes.
1o Ne rien lui confier d'obscur et de confus,
ou qu'on n'ait au paravant bien compris;
sans cela, ou elle ne retiendra rien, ou
si elle retient quelque chose, ce sera sans
utilité:
2o Donner une attention serieuse aux
choses qu'on veut retenir: car tout ce
qu'on apprend rapidement, legerement,
avec distraction, demeure confus, ou
s'efface bientot:
3. exercer frequemment la memoire a
retenir ce qu'on a bien compris: aucune
de nos facultes ne se 1 mot biffure demande
plus l'exercice et l'habitude pour se for=
tifier: et
4. Repasser de temps en temps et mediter
même ce qu'on a appris, entendu ou lu;
c'est le seul moien d'empecher qu'il ne
s'echappe; le moyen est plus
sur encor lorsqu'on
a occasion de les
exposer aux autres
dans l'ordre ou on
les a meditées.
5. faire souvent de temps en temps la revue generale de ses idées pour
les classer dans un ordre determiné et
lumineux: cela regarde surtout celles
dont on est appelé par etat a s'occuper
le plus.
comme 6. Se deffier de sa memoire et
ne supposer les idees qu'elle nous retrace
<16v> exactes et vraies, que lorsque nous avons pu
parvenir a nous les rappeller complettement
dans leur serie avec leurs objets et les circons=
tances. Ceux qui ont la memoire la plus ferme
ont d'autant plus besoin de ce conseil, qu'il ne
leur arrive que trop souvent de garantir
avec confiance des choses dont le souvenir
n'est chès eux que leger et superficiel.
CONTEMPLATION.
Quand la memoire soutenue de l'attention
est parvenue a retracer a l'ame une suite or=
donée d'idées qui appartiennent a un objet, ou
un ensemble de choses liées entr'elles sous une
certaine dependance unité, l'ame peut donner une
attention soutenue a cette suite ou cet ensem=
ble, pour se rendre tout cela distinctement
present pendant un certain temps, s'en occu=
per toute entiere pour afin de le saisir exactement
dans tous ses points, et sous tous ses
rapports; Cette faculté qui
n'est qu'une sorte de contention, ou attention
prolongée, se nomme contemplation.
Tous les moiens indiqués pour l'attention
et la memoire servent a rendre aussi la
contemplation aisée, promte soumise aux
ordres de l'ame qui veut s'occuper serieu=
sement de quelque objet. De toutes ces
facultes precedentes nait l'imagination.
<17> CHAPITRE V
de l'Imagination
IMAGINATION.
Par Imagination, on entend quelque fois l'in=
vention, le genie, l'Esprit createur; d'autrefois
le simple talent d'orner les Tableaux du dis=
cours par des figures &c. Ici nous entendons
Dans Mais dans
son sens le plus or=
dinaire et le plus
ancien, ce mot
designe la faculté de lier les diverses idées que tel
objet a excitées dans l'ame, a la fois ou succes=
sivement, pour les reunir et les concentrer
comme autant de traits dans une seule
peinture ou image, qui lui represente l'objet
quoique absent, comme s'il etoit present
et revetu de toutes ses circonstances et de=
pendances: ce qui suppose l'exercice de la
reminiscence, de l'attention, de la memoire
et même de la contemplation.
ASSOCIATIONS D'IDEES.
C'est donc a l'imagination qu'il faut rappor=
ter cette faculté sans
laquelle aucune
image ne sauroit
etre formée, je veux
dire ter l'association des idées, par laquelle, diver=
ses idées aiant été produites dans l'ame, ou
en même temps, ou l'une a la suite de l'autre,
ou par un même objet, ou par divers objets
liés entr'eux, quelque fois même qui n'ont
entr'eux aucune connexion naturelle,
l'ame lie ces idées au dedans d'elle contractent
entr'elles une liaison primordiale au
moment de leur naissance, 1 mot biffure en vertu de la=
quelle dès que l'une vient a etre reproduite
ou retracée, les autres se reproduisent ou
se retracent aussitot sans aucun effort,
et le plus souvent même comme involon=
tairement. Ces associations se font aussi
entre les idées et les mots destinés a leur ex=
pression, puisque la reproduction de la pen=
sée rappelle a l'instant le mot, comme
le rappel du mot sert 1 mot biffure a repro=
duire la pensee incontinent la pensee.
<17v> Quelques fois les idées se lient dès leur origine
d'une maniere absolument simultanée , et
dans ce cas elles se retracent aussi au même ins=
tant; d'ou vient que nous avons une peine
extreme a les separer. D'autres fois elles ne
s'associent que pour former des suites ou elles
se retracent l'une après l'autres; mais quoique
separées, l'une suffit pour en rappeller succes=
sivement plusieurs autres.
A l'aide du pouvoir que l'homme exerce sur
son cerveau ou sur les objets, il peut former
des associations d'idées absolument volontai=
res et de pure institution: par rapport aux
associations de ce genre que nous avons créées
nous même, nous pouvons aisement les rom=
pre, nous les retracer ou les eloigner, selon que
cela nous convient.
Mais il est des associations et en beaucoup plus
grand nombre, qui sont nées de la nature des
choses ou de circonstances independantes de
nous, ou qui tiennent a des impressions etran=
geres: quant a celles ci, il nous est beaucoup
plus difficille de les eloigner, surtout de les
detruire, beaucoup plus encor lorsque l'habi=
tude les a fortifiées; car plus souvent l'association
se repete dans l'ame, plus elle devient fami=
liere et dominante sur la pensée. De ces
associations involontaires resulte 1 mot biffure
une Imagination passive qui est commu=
ne aux hommes et aux brutes, tandis que
les volontaires se rapportent a une ima=
gination active, qui est propre a l'espece
humaine.
Toute association suppose une attention
donnée a certaines idées, et cette attention
n'a pu etre excitée sans quelque interet. D'ou
il suit que les associations d'idées doivent
se multiplier chès les hommes dans la mê=
me proportion que leurs interets et leurs be=
soins; et comme, chès les nations policées,
<18> ceux ci sont fort etendus et fort variés, qu'ils
se repetent a chaque instant, et tiennent tous
les uns aux autres, il est clair que chès ces
nations, il doit y avoir entre les idées recues
une association presque universelle en vertu
de laquelle, elles doivent se rappeller sans
cesse les unes les autres, et chacune d'elles avec
d'autant plus de facilité et de promtitude qu'elle
tient a plus d'occasions de rappel.
La reminiscence, l'attention, la memoire, la
contemplation fournissent a l'imagination
ses premiers materiaux, et que c'est d'elles
qu'elle tire son etendue, son activité, son
degré de vivacité et de force. Mais 1 mot biffure a son
tour l'imagination sert de ressort et de
soutien a ces facultés, qui seroient nulles
sans l'association des idées, et cette influen=
ce reciproque qui en procure le rappel et
le concours pour la formation de la pen=
sée. et la 1 mot biffure
AVANTAGES QUI REVIENNENT DE
L'IMAGINATION ET SA GRANDE IN=
FLUENCE DANS LE
MONDE INTELLEC=
TUEL ET MORAL.
Sans l'imagination nous ne pourrions jamais
nous occuper que des objets qui tombent actuellement sous
nos sens; par elle seule nous pouvons nous
rendre distinctement presens des objets
absens et eloignés.
Dans son exercice simple et ordinaire, elle
rassemble des traits separés pour en former
la peinture d'un objet, qui nous presente l'en=
semble de ces qualités et circonstances; par
la nous devenons capable de le peindre trait
pour trait et d'en donner la description.
Elle est susceptible d'un exercice plus com=
posé encor par lequel elle nous offre les images de
plusieurs objets rapprochés les uns des autres;
Ce qui nous met en etat d'en saisir les rapports
d'egalité ou d'inegalité, de ressemblance ou
de dissemblance, de convenance ou d'oppo=
sition. Par la elle devient le premier germe
<18v> de ces facultes Intellectuelles qui s'exercent a
saisir les traits communs aux objets pour les
generaliser et s'elever par degrés aux idées les
plus abstraites.
C'est de la force de l'Imagination que dependent
principalement la faculté et la celerité avec les=
quelles les idées se rappellent les unes les autres
par une suite de l'habitude que l'ame a contrac=
tée d'en repeter l'association, ainsi que le pou=
voir que celle ci a de se les retracer dans un
certain ordre, d'en modifier même l'arrange=
ment, et d'en faire toutes sortes de combinaisons
a son choix, selon les diverses vues qu'elle se
propose.
Par la l'Imagination devient le grand
ressort de toutes les operations les plus com=
pliquées de l'Intelligence, et qui decide de
leur etendue, de leur justesse, ainsi que
de leur promtitude a saisir et embrasser
tous les ensembles ideaux.
Elle est en même temps le principe genera=
teur du Langage qui est par sa nature
le resultat de l'habitude de reiterer sans
cesse les associations des signes, ou des carac=
teres, avec les idées; ce qui fait que ceux la
ne peuvent etre repetés, sans que celles ci
se representent avec les objets correspondans.
A remarquer meme que tout comme le
Telle est même la connexion intime de
l'Imagination et du Langage, que comme
celui ci ne sauroit exister sans celle la,
de même sans le Langage, l'imagination
de l'homme ne pourroit etre que rester 1 mot biffure
et inutile d'une foible utilité, faute de moiens pour rappeller
promtement les idées; preuve encor que cette
faculté est le grand ressort de toutes celles qui
le distinguent de la brute et sans lesquelles l'hom=
me seroit incapable d'analyser sa pensee et de
ne sauroit s'elever a aucune connoissance
proprement dite.
<19> A quelle autre faculté qu'a l'Imagination
pourroit on rapporter encor tous ces phenomenes
d'opinion et d'usage, qui gouvernent les hom=
mes dans le monde moral, et dont le pouvoir
depend de l'association qu'ils ont mise entre
des choses ou des idées que la nature même
n'avoit point liées entr'elles; tous ces préjugés
nationaux qui ont eu tant d'influence sur
les 1 mot biffure moeurs des peuples; tous ces rits ad=
mis dans chaque pays comme signes de la
devotion; ces formules ou gestes en usage
comme expressions des sentimens du coeur,
ou comme de ce qu'on appelle dans chaque
societé le bon ton, de ces titres, de ces mar=
ques exterieures qui dans chaque lieu
annoncent la naissance ou la dignité?
De qu Quelle autre cause encor pourroit on
assigner a ces jugemens d'habitude dont
nous avons parlé (Anthrop. Sect 1. Chap. XIV)
produits par l'association de certaines idées qui
se rappellent sans cesse l'une l'autre, souvent
sans qu1 mot biffure qu'on en puissent deviner la rai=
son, et qui cependant sont a peu près l'uni=
que regle de la multitude, et nous servent
du plus au moins a tous pour nous decider
dans nombre de cas, entr'autres lorsqu'il s'a=
git d'objets de gout, ou que nous n'avons
pas assès de loisir pour examiner et refle=
chir. Ces associations d'idées sous la forme
de jugemens nous sont même fort utiles lors=
qu'il faut agir avec promtitude, et que l'usage
de la reflexion seroit trop lent pour eviter le
danger qui nous menace: il ne le sont pas
moins le pouvoir d'asso=
cier des idées est
surtout de la plus
grande necessite
dans dans tous les cas ou il s'agit de reduire
une multitude d'actes simples en un seul
acte composé, sans etre même distraits par
la d'autres objets plus importans dont nous
sommes appellés a nous occuper en même
temps. Ainsi par ex: lorsque nous lisons
rapidement, combien d'actes ne combinons
<19v> nous pas dans un seul? nous suivons de
l'oeuil les caracteres, nous en composons les
mots, nous lions ceux ci en phrases, nous
nous rendons attentifs a la ponctuation; en
même temps les idées correspondantes a ces
signes se retracent a nôtre ame distincte meme
selon leur liaison et leur ordre: la cette compli=
cation de d'actes simultanés est immense,
et cependant elle s'execute sans confusion. A
qui en sommes nous redevables si ce n'est a
l'habitude d'associer les idées, et par consequence
a l'imagination.
En nous retracant les objets: l'Imagination
les rend souvent avec plus de force que leur per=
ception actuelle, parce qu'elle rassemble sous
un seul Tableau les traits que la nature ne
presente que successivement a nos sens, et
qu'aux idées qui naissent de l'objet, elle joint
encor les idées que l'habitude a associées
a celles la. Telle est la raison pour laquelle
les objets actuellement sous les yeux, ont
souvent moins de force que l'imagination
pour exciter le desir ou la crainte, l'inclina=
tion ou l'aversion, et qu'on a recours au pou=
voir de cette faculté comme au 1 mot biffure
ressor le plus efficace pour flechir les hommes et
les mettre en action. De la aussi l'usage
frequent qu'on en fait pour peindre les ob=
jets sous des traits et des combinaisons qui
les presentent autrement qu'ils ne sont, plus
en grand ou en petit, sous des couleurs
empruntées, et tels qu'on veut que les autres
les concoivent pour en recevoir telle ou
telle impression. De la ces traits tantot
ajoutés, tantot supprimés, tantot subs=
titués a la realité; ces rapports d'analogie
ou de contraste, ces images vives et for=
tes, ces metaphores, ces antitheses &c. res=
sort puissant pour mouvoir les hommes
sur qui la raison agit trop froidement
<20> et lentement, lorsqu'il s'agit de produire un
effet promt; ressort souvent très utile pour
flechir au bien, mais qui l'est peu pour
eclairer l'Intelligence a laquelle il peut
très souvent derober le fil de la verité.
L'imagination va plus loin encor. A force
de combiner les traits quelle a saisis ça et la
dans la nature, elle se forme toutes sortes
de peintures de fantaisie qui ne correspondent
a aucun objet, elle se forge même des phan=
tomes, des chimeres, des Etres de raison
fabuleux, hors de vraisemblance, qui n'exis=
terent et n'existeront jamais. Telle a été
son influence dans la Mythologie qui a
plongé les hommes dans un labyrinthe
d'erreurs, dont ils n'eurent jamais pu sortir
sans un secours extraordinaire du Ciel.
Il n'en est pas moins vrai que l'imagination
est le germe precieux de tous les talens qui
honorent l'espece humaine; du genie qui
decouvrant les rapports, forme des assem=
blages nouveaux, crée, invente; de l'Esprit
qui saisissant les analogies et les contrastes,
en tire des traits piquans qui ornent le
discours et embelissent la pensée; du gout
qui apprecie les objets que le génie a enfan=
tes, et que l'Esprit a embellis, sans soit d'a=
pres les principes d'une theorie, soit d'apres
des modeles que l'imagination retrace a
pour l'ame pour la mettre en etat de juger
promtement de tout ce qui est beau, ele=
gant et gracieux.
Ainsi on peut dire avec verité que l'imagin=
nation est le principe generateur non seule=
ment de la Poesie et de l'Eloquence, mais même de tous
les beaux arts. Le génie s'occupe a cher=
cher premierement ce qui est et a trou=
ver des germes de pensées a etendre a
devellopper; pour en former de la il tire des ressour=
ces nouvelles pour fournir aux besoins
de l'homme. Mais c'est l'imagination elle
<20v> elle meme qui presente au genie le thresor ine=
puisable des richesses de la nature, pour qui
doit devenir le germe de ses productions
dans les arts mechaniques et dans les sciences
exactes. Mais dans pour les arts liberaux ou
tout est rapporté a l'imitation de la na=
ture dans ce qu'elle a de plus beau et de
plus grand, il est evident que c'est l'imagi=
nation seule qui en fait les premiers fraix.
SES INFLUENCES SUR LA DIVERSITE
DES TOURS D'ESPRIT.
C'est aussi aux varietés de l'Imagination
chès les hommes qu'il faut rapporter, comme
a sa cause primordiale, celle des divers tours
d'Esprit qui les distinguent, et les rendent
propres aux divers objets dont ils sont appel=
lés a s'occuper. Ainsi p. ex: ceux dont l'ima=
gination a recu de la nature ou de l'habitude
une disposition a observer les faits, les pheno=
menes, a lier promtement les idées des effets
avec celles de leurs causes, et a passer rapide=
ment des unes aux autres, ceux la ont un
tour d'esprit philosophique qui les rend propres
aux sciences d'observation et de raisonne=
ment. Ceux qui ont plus de propension a
rapprocher et combiner les rapports, les ressem=
blances des objets, pour en former de nouvelles
combinaisons, selon certaines vues d'utilité
generale, leur tour d'Esprit se dirigera
vers les Sciences exactes, profondes, la
mechanique, les inventions &c. et si a cela
ils joignent le gout et le tact pour saisir
les beautés de la nature, une grande sensibi=
lité, ils se tourneront aisement vers les
beaux arts, les arts d'imitation, la peinture,
la poesie. Chez ceux au contraire que le
tumulte et le tourment tracas des affaires eloigne
du spectacle de la nature, le gout predomi=
nant pour saisir les rapports sera accomp=
pagné <21> de celui qui se plait a decouvrir les
differences dans les choses en apparences sem=
blables, et il prendra sa pente vers ce qu'on appelle
proprement l'Esprit. Si l'imagination est ac=
compagnée d'une memoire heureuse avec
une disposition a combiner les idées relatives
aux personnes, aux lieux, aux temps, elle
prendra aisement un tour d'Esprit narratif ou
historique.
D'OU ELLE DEPEND QUANT AU DEGRE.
L'imagination, quant a la force et au degré de
vivacite, depend beaucoup du physique, du
plus ou moins d'abondance et de celerité avec
laquelle le sang, les humeurs et surtout le
fluide nerveux coulent dans les vaisseaux,
et dès la même du temperamment qui a son
tour depend de la santé, du gêne, de la tempera=
ture et l'elasticité de l'air, de l'education, de
1 mot biffure du genre de vie, de la bonne ou
mauvaise fortune, autant de causes qui
ont tant une grande influence sur les tours d'Esprit
et les caracteres, si prodigieusement diversifies
parmi les nations et 1 mot biffure les particuliers.
PRECAUTIONS SELON LES DIVERS TEM=
PERAMMENS.
Les personnes d'un temperamment melan=
cholique ou phlegmatique ont peu d'ima=
gination; elles ne peuvent rassembler et com=
biner peu de traits; leurs idées sont moins
vives, moins propres a se reveiller les unes
les autres; elles ont plus de difficulté que les
autres a saisir, penetrer, develloper les ob=
jets un peu compliqués; en echange, ce sont
des gens plus patiens, plus capables de soute=
nir un long travail, moins distraits par les
passions: cet avantage compense jusques a
un certain point ce qui leur manque, et il ar=
rive même souvent que ce qu'ils ont appris
<21v> peiniblement, ils le possedent mieux que les
autres, ils en ont des idées plus exactes et plus
nettes, mais portés malheureusement a appre=
cier leurs connoissances par le travail qu'elles
leur ont couté, ils sont ordinairement enclins
a la presomption, et a l'entetement dans
leur opinion.
A des personnes de cette trempe on peut con=
seiller, quant au physique, le choix d'un sejour
ou ils puissent respirer un air vif et pur, l'abs=
tinence des alimens qui epaississent le sang et
les humeurs, l'usage moderé des liqueurs
spiritueuses, un exercice de corps journalier
et porté quelque fois jusques a la fatigue; par
rapport a l'Intellectuel, de la moderation
dans le travail du cabinet, le commerce
du monde, la societé des gens gays et en=
joués, qui aiment a parler a l'imagination,
la lecture des ouvrages ecrits avec elegance
et legereté, ou le merite des choses est relevé
par le feu de l'expression et le coloris, surtout une
sage deffiance d'eux mêmes qui les porte a
prendre conseil de leurs amis, et a soumettre
leurs idées a leur examen, pour en relever
les deffauts qui peuvent etre une fuite de
leur tour d'Esprit.
Chès les bilieux les idées se presentent en foule
avec vivacité; elles naissent promtement les
unes des autres: rien n'est pour eux trop com=
posé et trop difficille: souvent on est et on
né de la facilité qu'ils ont de parler et d'ecrire
inpromtu, et même avec chaleurs et inte=
ret, d'une maniere propre a captiver les audi=
teurs ou les Lecteurs. Mais lorsqu'on vient
a soumettre leurs idées a l'examen, on ne tar=
de pas a s'appercevoir que leur imagination
les a souvent egarés. En se livrant a leur
jeu et a leur abondance, il leur arrive tres sou=
vent frequemment de passer d'une idee a l'une autre qui n'a que peu
ou point de rapport avec la premiere, et de
<22> mettre de côté telle autre qui avoit avec celle ci
une connexion naturelle; de celle qu'ils ont ainsi
saisie a contre temps, si elle est de leur gout,
ils passent encor a une 3e qui souvent n'a avec
la 2e qu'une relation accidentelle; d'ou nait
enfin un desordre general dans la pensée
et l'expression. Si une idée les frappe, ils y re=
viennent sans cesse et hors de propos: aux ima=
ges de choses reelles, ils substituent souvent
des chimeres, et vont jusques a se persuader que
tout est bien reel. Ils parlent et agissent tou=
jours avec impetuosité: quelque fois on seroit
tente de les prendre pour gens qui extravaguent.
Telle est la source funeste d'ou on a vu sortir
les visions, les extases, les emportement du
fanatisme, les contes fabuleux, le sortilege,
le magnetisme &c.
Pour se precautioner contre ces ecueils, les
bilieux devroient 1o s'abstenir de tout ce qui peut
mettre le sang, les humeurs, les esprits en fermen=
tation; 2o faire sur eux mêmes tous les efforts
dont ils sont capables pour se posseder et agir
de sang sens froid. 3o ne rien faire lorsqu'ils se
sentent trop emus ou echauffés, et inter=
rompre dans ces cas momens tout travail jusques
a ce qu'ils aient repris leur calme; 4 eviter
toute etude ou lecture trop flatteuse pour
l'imagination, qui ne sert qu'a l'exalter et
la rendre toujours plus fougueuse: s'occuper
de preference des sciences exactes qui, en la
forcant 2 mots biffure d'obeir a des regles en previen=
nent les ecarts. 5o se deffier sans cesse d'eux mê=
mes pour les idées et pour la conduite, faire
frequemment la revue de leurs connoissances
ou de leurs ecrits, pour les soumettre a un
nouvel examen, et corriger dans le calme
ce que l'imagination a pu y meler d'irregu=
lier dans les acces de son effervescence: ap=
peller a son leur secours des amis judicieux et
capables d'examiner tout avec tranquillité.
<22v> Qu'ils travaillent enfin a se persuader qu'avec les
plus grands talens, ils peuvent donner dans les
plus grands travers, s'ils ne cherchent a se pre=
cautioner de bonne heure contre les deffauts de
leur Imagination, et que c'est de leur efforts a cet
egard que depend principalement leur succes
dans la recherche de la verité, ainsi que dans
leur conduite par rapport aux 1 mot biffure objets qui
interessent leur bonheur.
De tous les hommes les mieux partagés sont ceux
d'un temperament sanguin chès qui les idées
se presentent naturellement a mesure qu'ils en
ont besoin pour bien saisir les choses, les disposer
en ordre. Les exprimer clairement, avec facilité
et agrement. Qu'ils prennent garde de ne pas
perdre le fruit d'une si belle prerogative par pa=
resse, par nonchalance, par amour pour le
plaisir, aux attraits du quel ils ne sont que trop
portés a ceder au detriment des objets serieux
dont ils pourroient esperer un bonheur plus
solide, que de la jouissance de voluptés pas=
sageres toujours melées d'amertumes. Qu'ils
donnent une fois a ces objets l'attention dont
ils sont dignes, et ils surpasseront tous les autres
hommes par leurs progrès en connoissances
et pour l'etendue, la netteté, et la verité et en sagesse.
LEUR NECESSITE.
Autant l'imagination est utile lorsquelle est
bien menagée et dirigée, autant elle peut
devenir funeste lorsque franchissant toute limi=
te et toute regle, n'obeissant qu'au caprice, ses
productions n'offrent plus qu'un cahos monstru=
eux, lorsqu'aux associations naturelles, elle
substitue une foule d'associations accidentelles,
arbitraires, qui ne doivent leur naissance
qu'au hazard, ou a la coutume, aux preju=
ges, et mille causes fortuites, desquelles il ne
peut resulter que des chimeres, des terreurs
paniques, ou des reves, des preventions
<23> mal fondées, des confusions d'idées sans fin,
qui plongent dans un abysme d'erreurs. Il
est même impossible quelle ne nuise beaucoup
a la recherche de la verité, lorsqu'on se livre de
bonne heure a ses images pour en faire la regle
de ses jugemens, et que sans examen ulterieur
et reflechi; on juge d'apres elles de ce qui est ou
qui n'est pas, de ce qui est possible ou impossible,
de ce qui est vrai ou faux, certain ou douteux.
L'habitude de se regler sur des images est cepen=
dans telle quand meme chès la plupart des hommes qu'ils
ne peuvent etre mus que par la, qu'ils devien=
nent incapables d'aucune idée reflechie,
et que toute leur vie se passe comme dans une
sorte d'enfance: ce qui est purement Intellec=
tuel ne se presente jamais a eux que sous quel=
que figure grossiere et telle a été la source
de la superstition, de l'Idolatrie, le du Polytheisme,
de l'Anthropomorphisme, du materialisme,
et de toutes les opinions monstrueuses commune=
ment adoptées chès des peuples même polices.
il n'est point aussi de faculté qui ait eu
des influences plus decisives, sur le bonheur
ou le malheur des humains. C'est elle qui leur
fournit des ressources 1 mot biffure diversifiees pour etendre
et prolonger leurs plaisirs, pour les varier,
les combiner, en faire des melanges, en relever
la pointe quand elle s'emousse, et lorsque
les reels manquent, a s'en faire d'imaginaires,
et se nourrir d'illusions agreables.
Mais d'un autre côté, quoi de plus actif chès
l'homme pour prolonger ses maux, les aug=
menter, les creer même, et par la le tour=
menter sans relacher ? Quel ennemi plus
dangereux pour nôtre ame, puisque
l'imagination est la source intarissable de
l'illusion, la mere nouriciere des passions
qui nous maitrisent, et nous rendent le
<23v> theatre infortuné d'un combat continuel
ou nous sommes si souvent vaincus.
Heureusement pour l'homme, qu'il est pour=
vu d'autres facultés d'un ordre superieur tout
autrement propres a le conduire a une con=
noissance exacte des objets, et lui apprendre
a les apprecier.
CHAPITRE V.
Autres facultés de l'ame appellées superieu=
res, parce qu'elles sont plus independantes
de l'organisation physique, et que l'ame
les exerce sur les idées elementaires comme
sur des materiaux entierement soumis
a son activité libre. Facultés de composer,
decomposer, abstraire, analyser, compa=
rer.
RESUME DE CE QUI A ETE DIT SUR LES IDEES
ELEMENTAIRES.
Toutes les connoissances humaines vien=
nent donc originairement d'idées elemen=
taires, simples et sans mêlange, qui par=
viennent a l'ame, de differentes manieres,
les unes par un seul sens comme celles des
couleurs par les yeux, celles des sons par
les oreilles, celles de la solidité, dureté, ou
mollesse, par l'attouchement; d'autres par
plusieurs sens, comme celles du mouve=
ment, du repos, de la figure &c. d'autres
par la seule sensation interieure, comme
le plaisir, la douleur, &c. d'autres enfin par
la sensation exterieure, et par le sentiment in=
terieur; comme celles de la durée, du
nombre; de l'unité, de la pluralité &c.
Tels sont les premiers materiaux que
l'ame recoit de la sensation, quelle fixe en
elle par la reminiscence, quelle se 1 mot biffure retrace
1 mot biffure avec netteté par l'attention, avec
ordre par la memoire, qu'elle rassemble
par la contemplation, dont elle forme
des tableaux par l'imagination.
FACULTES SUPERIEURES INTELLEC=
TUELLES.
Mais l'ame exerce encor sur ces premiers
materiaux une activité qui paroit beau=
coup plus independante du physique
quelle ne le sont les facultes precedentes, et
qu'elle deploie a son gré, pour former diver=
ses <24v> combinaisons, selon les vues qu'elle se pro=
pose. De cette activité naissent ces facultes
superieures qui s'occupent a leur composition
et decomposition, pour en tirer une connoissance
plus etendue et plus devellopée des objets: on
les appelle Intellectuelles proprement dites, entant
qu'elles elevent l'ame a des idées non sensi=
bles, et en ce sens qu'elles appartiennent ainsi a l'enten=
dement appellé pur.
FACULTE DE COMPOSER.
La premiere de ces facultés est celle de com=
poser ou de reunir plusieurs idées elementai=
res en une seule idée composée, qui devient
un ensemble, un tout correspondant a un
seul objet. Il est aisé de voir
par la qu'il ne
faut pas confondre
les idées composées
avec les idées qui
se trouvent asso=
ciées dans l'ame
par limagination;
association qui est
differente dans cha=
que homme et de=
pend des circonstan=
ces ou, chacun s'est
trouvé lorsqu'il a
acquis certaines
idées.
Quand l'ame ne fait que modifier une percep=
tion primitive, en la repetant autant de fois
qu'elle juge a propos, comme dans la nume=
ration, on pourroit envisager le resultat com=
me une composition de plusieurs idées iden=
tiques; d'ou vient que nous appellons definissons le nombre,
une collection d'unités: mais ce n'est la dans
le fond que l'extension d'une idée simple.
La composition proprement dite rassemble
diverses idées elementaires pour en former
une seule idée totale qui correspond, ou
a un objet reel au dehors, ou a quelque
objet ideal qui n'existe qu'au dedans de nous.
Aux idées simples correpondent dans le
Langage les mots primitifs et aux idees
composées des mots composés formés de
mots composés de primitifs radicaux, ou
de derives immediats de ceux ci.
Nous avons mis au nombre des idées elementaires
primitives toutes celles que les hommes ont tirées
immediatement de la nature, correspondantes
ou a certains objets, ou a certaines proprietés,
ou a certaines proprietes ou a certaines influ=
ences reciproques, et qui, parce quelles ne leur
offroient aucun assemblage qu'ils eussent formé
<25> eux mêmes, furent envisagées originairement comme etant
sans composition, et exprimées dès la par des
primitifs radicaux. Mais des qu'ils vinrent
a examiner plus attentivement ces objets,
ces proprietés, ces influences, ils commancerent
a y distinguer des parties, des caracteres se=
parés; et des idées de detail, de la reunion
desquelles ils purent former des tableaux
qu'ils reconnurent pour composés. Ainsi
p. ex. quoique l'idée du soleil qui ne fut
d'abord qu'une idée simple devint peu a
peu une idée composée des idées de
masse, de globe, de feu, de mouvement
circulaire de foyer ou centre de lumiere
et de chaleur &c.. d'ailleurs les idées d'un
grand nombre d'objets ne pouvant etre
acquises que successivement et par plu=
sieurs sens, a mesure qu'ils observoient,
elles ne purent etre que des idées composées.
Ainsi la premiere faculté Intellectuelle
que les hommes ont exercée, a été la
faculté de rassembler des idées simples
en un des touts ideaux correspondans aux
divers objets dont ils etoient frappés; mais
pour former de telles idées composées
distinctes, il a fallu qu'ils aient exer=
ce aussi la faculté de decomposer la
pensée.
FACULTE DE DECOMPOSER
On ne sauroit en effet attribuer a l'ame une
activité pour composer la pensée, sans sup=
poser qu'elle s'exerce aussi pour la decompo=
ser quand elle est formée c.a.d. pour en
separer les parties elementaires les unes des
autres, et fixer son attention sur chacune d'elles
en particulier. Un exemple tout simple
suffira pour le rendre sensible.
<25v> Jettes un coup d'oeil sur une vaste campagne
tous les objets sont d'abord egalement presens
a vôtre vue ame: vous les embrassés tous dans
une pensée, et aucun d'eux n'est l'objet d'une
attention particuliere. Jusques ici les sensations
que vous en recevés sont toutes simultanees, elles
sont toutes reduites a une seule sensation,
mais confuse, ou vous ne distingués rien
dont vous puissiez vous rendre comte a vous
même; d'ou vient que si vous fermés les yeux,
il ne vous restera aucun souvenir des objets,
comme si vous n'aviez rien vu. Mais dans
cette multitude d'objets, il depend aussi de vous
de porter vôtre attention de l'un a l'autre et
de les observer 1 mot écriture chacun en
particulier. Dès ce moment la sensation
composée qu'avoit produit l'ensemble se decom=
pose; diverses sensations deviennent succes=
sivement perceptibles et distinctes les une des
autres; d'ou vient qu'après avoir fermé les yeux,
vous pouvez vous rappeller les objets que
vous avez vu, comme si vous les voiés encor,
ce qui vous arrive dans ce cas, nous montre
clairement ce qui nous arrive a chaque mo=
ment ou nous pensons. La pensée se presen=
te d'abord a nous comme un ensemble dont
les parties 2 mots biffure confondues et pele mele,
ne sont perceptibles a nôtre conscience que
d'une maniere simultanée et confuse, ou
nous ne demelons rien de distinct. Mais nous aucun point de
reunion autour duquel les traits
se trouvent ras=
semblés, pour for=
mer un tout dont
les parties se presen=
tent avec distinc=
tion. Mais nous
n'avons qu'a fixer nôtre attention sur chaque
trait de ce Tableau, et nous former une suite
de perceptions separées, bientot la pensée cesse=
ra d'etre confuse et envellopée; nous y distin=
guerons aisement les idées partielles; elle
sera decomposée et resolue. Mais tout cela
encor ne peut se faire sans cet acte que
nous appellons abstraction.
FACULTE D'ABSTRAIRE
Il est impossible en effet de faire une decom=
position sans s'arreter sur chacune des idées
<26> partielles qui composent une idée totale et
qui correspondent aux parties, ou modifications,
qualités, determinations, circonstances, appar=
tenant a un objet, pour les considerer chacune
a part, comme si elle existoit en quelque sorte
seule et isolée, en mettant de côté celles qui
sont en connexion avec elle. C'est la ce qu'on
appelle abstraction, comme quand je pense
a l'etendue sans penser actuellement au corps
et a ses autres proprietés, au mouvement, sans
penser même aux circonstances qui peuvent
le modifier. A l'idée abstraite on oppose
la concrete qui n'est autre chose que l'idée
totale composée, prise dans son ensemble.
Autant il est necessaire de rendre la pensée
composée distincte, autant il est essentiel a
l'Intelligence de pouvoir par l'abstraction arreter son attention
sur chacune de ses parties pour en concevoir
des une idées claires, et par la l'etendre et perfec=
tionner ses connoissances. qui ne permette pas de
la confondre avec d'autres. Cette faculté
d'abstraire n'est pas moins indispensable pour
convertir nos idées sensibles, meme les simples
et indecomposables, en idées separées, enon=
cées en termes abstraits, qui nous fournis=
sent autant de caracteres distincts, et distinc=
tement denominés, pour determiner les
objets, pour les distinguer les uns des autres et
articuler toutes les idées partielles par 1 mot biffure
dans la 3 mots biffure. pour
articulier leurs traits
de difference et de
ressemblance, les
classifier, selon leurs
genres et leurs espe=
ces, et enoncer
ainsi dans un
Tableau toutes les
idees partielles qui
doivent entrer dans
la description d'un
Individu.
Ainsi p. ex: ce globe d'yvoire qui se meut
sur un plan reveille en moi diverses idées
sensibles que l'abstraction separe distincte=
ment les unes des autres, et celle ci me
fournit autant de caracteres et de ter=
mes abstraits que je puis appliquer a d'au=
tres objets. Tels sont ceux de rondeur,
de dureté, de blancheur, de mouvement,
de surface &c.
<26v> C'est avec le secours de cette faculté d'abs=
traire qui nous fait considerer les idées partielles
d'un objet les unes après les autres dans un certain
ordre, que nous pouvons ensuite faire l'enume=
ration de celles ci en termes correspondans, et
dans un ordre et avec une netteté qui nous
les fasse clairement distinguer les unes des au=
tres comme autant de parties constituants
d'un seul tout; ce qu'on appelle la decompo=
sition ou la resolution de ce tout en ses
parties. S'agit il par ex: de concevoir
ce qu'est l'Intelligence humaine, nous nous
la representons d'abord sous une seule pen=
see confuse et envellopée, ou tout est con=
fondu; mais nous 1 mot biffurenous rappellons ensuite
des idées de sensation, de reminiscence, d'at=
tention, de memoire, de jugement, de rai=
sonnement; l'abstraction nous rend atten=
tifs sur a chacune des operations et des facultes
que cette Intelligence exerce; par la le
cahos se debrouille, chaque partie du
tableau se presente d'une maniere claire,
l'ensemble n'offre plus rien que de distinct,
nous en saisissons et distinguons nettement
tous les traits. Nous pouvons alors nous les re=
presenter l'un après l'autre dans un certain
ordre qui nous rend sensibles et leurs rap=
ports entr'eux et avec le 1 mot biffure toute;
et c'est a quoi se reduit la decomposition
ou resolution. On comprend aisement
que cette operation ne peut s'executer
sans l'usage des mots qui est indispen=
sable pour rendre chacune de nos idées
separement et successivement presente
a nôtre attention. Ainsi par l'acte de
la resolution je dirai, l'Intelligence hu=
maine est cette faculté de l'ame qui s'exer=
ce sur les idées elementaires quelle recoit
par la sensation &c pour en former des
pensees correspondantes aux objets, et a l'aide de diverses
operations, s'elever
a des connoissan=
ces distinctes et
sures de ces objets.
<27> RECOMPOSITION ANALYSE
Une fois En effet la pensée aiant été decomposée
par le secours de l'abstraction, l'enumeration
de ses parties aiant été faite a l'aide des
signes correspondans, l'Intelligence est
conduite comme naturellement a recom=
poser la pensée, cad a rassembler toutes
les diverses idées partielles dans l'ordre qui
lui paroit actuellement le plus convenable
pour former un composé plus regulier, un
nouveau Tableau aussi net et exact
qu'il se peut, en liant cet ensemble
ideal a un signe qui paroisse le mieux sse mieux
assorti a 1 mot biffure l'objet.
Ce double acte de decomposition et de recom=
position se nomme analyse. Ainsi ana=
lyser une pensée sera la decomposer en
ses parties pour les distinguer et enoncer
chacune a part, puis rassembler ces parties
en ordre pour en former un ensemble plus regulier
et plus distinct. Analyser un objet sera
observer separement ses parties, 1 mot biffure ses
qualités, circonstances &c les enoncer
chacune a part; puis les rassembler sous
un seul tout ideal, regulier qui corresponde le
mieux possible a l'objet, en y associant
l'expression la plus convenable a sa
nature. Je vois une montre pour la
premiere fois; mes yeux sont frappés d'un
cercle gradué par divisions, d'une aiguille
tournante destinée a indiquer successive=
ment ces divisions, a mesure que le temps
s'ecoule: je vois que ceste divisions correspondent
aux heures du jour et de la nuit; j'ouvre
la machine, je vois des rouages, une chai=
nette, un ressort envelloppé, qui sert de
premier mobile, une fusee conique &c.
Voila l'enoncé dis=
tinct des parties de
cet instrument: puis
je rassemble tout
cela dans un cer=
tain ordre, et je
dis, c'est la un ins=
trument mu par
un ressort interieur
qui fait mouvoir
des roues, tellement
arrangées que leur
mouvement fait
marcher un aiguil=
le sur un cadran
&c. et c'est a raison
de son usage qu'il
est appelle dans
son tout une mon=
tre.
<27v> FACULTE DE COMPARER.
De ce qui a été dit
il s'ensuit que l'Ana=
lyse est le seul moien
de concevoir un
objet reel ou ideal
ou de s'en instruire,
de le connoitre, ou
de s'en former une
idee precise &c. dis=
tincte, de s'en rendre
comte a soi meme,
et se mettre en etat
d'en rendre aux au=
tres un comte clair
et exact. C'est
ce que la l'operation
la plus generalement
pratiquée comme
etant la plus natu=
relle, et celle dont le
succes est garanti
par une experience
constante; c'est la
marche ordinaire
a tous ceux dont
des etudes mal di=
gerees n'ont pas per=
verti le gout, et
c'est elle seule qui
produit les Esprits
justes, et senses.
Dès que l'Intelligence a acquis nombre
d'idées correspondantes a divers objets reels ou
ideaux, ces idées se rapprochent d'elle natu=
rellement les unes des autres, ou l'ame les rap=
proche elle même pour les mettre les unes a
côté des autres, et se rendre leurs objets presens
a la fois; par l'attention simultanée qu'elle
leur ordonne en y joignant l'exercice de l'abs=
traction; elle se met en trouve en etat de sai=
sir clairement chacun des caracteres par
ou les objets different et ceux par ou ils se
ressemblent et conviennent; ce qu'on appelle
le rapport de convenance ou de discon=
venance. Ce pouvoir nomme faculté
de comparer, l'acte, comparaison, et le
rapport decouvert, relation.
Les facultes d'abstraire et d'analyser font
donnent lieu a la comparaison et a
la decouverte des relations: mais il ne
peut exister aucune analyse complette
des objets, qui ne renferme les idées nom=
breuses des relations que ces objets ont
entr'eux. Rien n'est aussi plus essentiel a la
connoissance exacte des choses que la compa=
raison des objets, puisque en les rapprochant,
les rapports qu'on y decouvre portant la
lumiere des uns sur les autres, et etablissent
entre les idées des liaisons par lesquelles celles
qui sont les plus exactes et les plus distinctes
servent a eclaircir celles qui le sont le moins
et les unes a rappeller plus aisement et plus promtement les
autres dans le besoin, a ce grand soulage=
ment de l'Intelligence, et dont elles
facilitent et hatent par la les progres.
<28> CHAPITRE VI.
De la distinction des idees composées en in=
dividuelles et generales ou universelles et
de la faculté de generaliser.
IDEES INDIVIDUELLES
A l'aide des facultés precedentes, l'Intelligen=
ce humaine s'est formé des idées composées
de differens genres quant a leur objet, pre=
mierement des Individuelles, ensuite des ge=
nerales ou universelles.
Lors qu'après avoir rassemblé les idées d'un
objet pour en composer une idée qui nous le
represente comme un tout separé de tous
les autres, entier et non divisé, ou reduit a
l'unité, nous appellons cet objet un Individu
et l'idée formée sur ce modele, individuelle
ou singuliere, que nous lions a un mot
propre a la retracer comme une idée seule
et unique. Telles sont les idées auxquelles
correspondent les noms propres ou substantifs
determinés, assignés a tel ou tel individu,
pour le distinguer de tout autre, même dans
certains cas, des noms collectifs determines appliques a
tel ou tel ensemble determiné, comme quand
je dis, cet amas de sable, l'armée francoise.
Telles sont les premieres idées des hommes;
les petits enfans n'en ont pas d'autres: le mot
de Pere ne reveille chès eux que l'idée du cher
Papa, comme chès les François, le Roi signi=
fieoit Louis XVI. Si nous n'avions que des idées
Individuelles et des noms propres, le nombre
en deviendroit infini, la memoire en seroit
accablée et l'Intelligence humaine ne seroit
qu'un vrai cahos.
NOTIONS GENERALES.
Mais après s'etre formé un grand nombre d'idées
Individuelles, d'une composition nette et dis=
tincte après avoir rapproché leurs objets indi=
viduels les uns des autres pour les comparer
et en saisir les rapports, l'Intelligence ne man=
que pas de decouvrir entre plusieurs
<28v> 1 mot biffure caracteres de ressemblance; dans ce cas, elle
fait usage de sa faculté d'abstraire pour fixer
son attention sur ces caracteres, et de sa faculté
de composer pour les rassembler sous une seule
idée ou notion, qui ne correspond a aucun In=
dividu exclusivement, mais peut etre appliquée
egalement a tous ceux dont elle offre les quali=
tes communes; par ou cette notion devient com=
me une classe ou un genre, ou une espece a
laquelle ils pourront tous etre rapportés, et se=
ra comme l'enseigne a laquelle on pourra tous
les reconnoitre. Telles sont les idées qu'on a
appellé notions generales, et la faculté qui
les produit se nomme faculté de generaliser.
C'est ainsi p. ex: qu'après avoir vu en differens
lieux et en differens temps, plusieurs arbres
très differens les uns des autres, mais ou j'ai ap=
percu certains traits de conformité, quant au
bois, aux branches, a l'ecorce, aux feuilles,
aux fleurs, aux fruits &c. je rassemble tous ces
caracteres pour en former une seule idée
totale qui comprend sous elle tous les arbres
qui se ressemblent par ces traits: je prends
l'idée d'une classe que j'exprime par le nom de
pommier.
DETERMINATIONS DE L'INDIVIDU.
Toutes les idées partielles que nous distinguons
dans l'idée composée d'un Individu sont au=
tant de caracteres, qu'on appelle determina=
tions, entant qu'elles determinent l'objet, en in=
diquant ce qu'il est; modifications, entant
qu'elles correspondent indiquent diverses manieres d'etre
ou d'agir de l'objet, sous lesquelles il se presente
a nous, a mesure qu'il eprouve des changemens,
ou qu'il nous en fait eprouver; qualités,
entant qu'ils annoncent dans cet objet certai=
nes causes relatives a certains effets produits,
et par la montrent quel est cet objet et le
font reconnoitre pour ce qu'il est, en le
qualifiant; circonstances circonstances,
de cet entant, qu'ils
qu'ils sont liés a
l'objets, l'accompa=
gnent, et en forment
en quelque sorte
les alentours.
<29> Conçues d'une maniere abstraite ces determina=
tions sont ou compatibles entr'elles dans le même
Individu, ou elles sont incompatibles si on
pose dans cet Individu une determination qui
exclut toutes les autres, qui ne peuvent compa=
tir avec elle, dans ce cas, l'Individu demeure
determiné a cet egard: si ona un autre egard,
on ne pose ni n'exclut rien, l'objet reste inde=
terminé a cet egard: un objet peut etre
determiné a tous egards; et de fait, il n'exis=
te aucun Individu qui ne soit reellement
et actuellement determiné en toute ma=
nieres. C'est la ce qui constitue le caractere
de l'Individualité qui consiste dans l'assem=
blage de toutes les determinations qui font
qu'une chose Individuelle est actuellement
cette chose et non pas une autre, et dont l'ensem=
ble actuel ne peut convenir qu'a elle. C'est
de la qu'elle tire le principe des Indiscerna=
bles
NECESSITE ORIGINE DES NOTIONS GENERALES
A mesure que les hommes ont observé les Indi=
vidus, qu'ils en ont pris note, qu'ils les ont com=
paré, qu'ils ont demelé les determinations com=
munes a plusieurs, dont les notions exprimées
a part pouvoient leur etre appliquées egale=
ment a tous, ils n'ont pas tardé a comprendre
tout le parti qu'ils pouvoient tirer de sem=
blables notions, pour prevenir la multipli=
cation des idées Individuelles, ou de detail, et
les embaras sans nombre qui seroient resulté
dans le Langage, s'il eut été surchargé
d'expressions appropriées a chaque objet
particulier. Les hommes ont donc saisi
les caracteres communs pour en former des
ensembles ideaux sous lesquels seroient com=
pris les objets considerés comme ressemblant
a tels ou a tels egards, et ils y ont associes
<29v> des noms qui pouvoient etre appliqués a tous
ces objets indistinctement. De la sont nées toutes
ces idées et ces expressions generales, aussi nom=
breuses que les classes que les hommes ont eu occa=
sion d'établir pour distinguer les objets par leurs
determinations communes; et de ces nations
enfin deriverent tous ces enoncés generaux
qui expriment les jugemens que les hommes
portent sur ce qui convient ou ne convient pas
a tel objet, compris sous telle classe, exprimée
par tel nom.
COMMENT ELLES SE SONT FORMEES
Comment les hommes s'y sont ils pris pour for=
mer de pareilles notions? D'une maniere toute
semblable a celle que nous suivons tous pour nous
elever du particulier au general. La Compa=
raison des individus leur aura d'abord decou=
vert des determinations differentes qui faisoient
de chacun d'eux un objet separé et individuel:
mais ils auront observé en même temps que
la plupart n'etoient que exterieures, accessoires ,
et pouvoient s'y trouver ou ne pas s'y trouver
sans qu'il soit le en resulta aucune altera=
tion dans leur Etre et leurs qualités. La même
comparaison leur aura decouvert des deter=
minations ressemblantes, communes a ces
mêmes Individus mais en même temps inherentes, permanen=
tes, toujours independantes des circonstances
accidentelles, du lieu et du temps, propres
a les faire connoitre tous ensemble lorsqu'elles
seroient reunies sous un même tableau ideal.
A quoi devoient ils naturellement etre por=
tés? Voiant cette une idée principale, egalement
applicable a tous ces Individus, envellopée
et embarassée d'idées accessoires, etrangeres,
ils ont du naturellement s'etudier a la
debarasser de celles ci qui pouvoient sans in=
convenians etre negligées, ou mises de côté,
pour s'en tenir uniquement a celle la qui
<30> qui une fois determinée, pouvoit servir de ta=
bleau commun pour se les representer tous
ensemble, et s'en faire une idée nette et exac=
te.
ECHELLE DES ESPECES ET DES GENRES
Dans la formation des idées generales, l'Intelli=
gence a deploié une sorte de liberté pour composer
ses tableaux, et subordonner ces idées les unes
aux autres. Après avoir saisi les traits de confor=
mité entre un certain nombre d'objets elle les
a reduit a une notion ou expression generale, une
classe, a laquelle ils pouvoient tous etre rapportés
par leurs determinations communes, et cette classe
a été appellée espece. Les idées de diverses espe=
ces ayant été formées, l'Intelligence humaine
s'est occupée a les comparer entr'elles pour en
saisir les rapports et après avoir exercé l'abs=
traction pour mettre de côté leurs differences,
ou determinations particulieres a chacune d'elles,
elle a arreté son attention sur leurs ressemblan=
ces ou determinations communes a toutes, pour
comprendre celles ci sous une nouvelle notion
et expression generale, qui s'est trouvée appli=
cable a toutes les especes collaterales , comme
etant toutes comprises sous une même classe
et appellée Genre. En reiterant les mêmes
procedés sur divers genres collateraux,
elle s'est elevée a un genre superieur sous
lequel se trouvoient compris les precedens,
et en remontant ainsi de genre en genre,
elle a etabli une sorte d'échelle idéale pour
parvenir jusques a un genre supreme
auquel tous les autres pouvoient etre subor=
donnés. Telle est l'echelle suivante formée
en remontant, diamant, pierre precieuse,
pierre, fossile, corps, substance, Etre.
<30v> Mais il est arrivé sans doute très souvent aux
hommes de suivre une marche inverse de la
precedente. Après avoir saisi certaines deter=
minations communes a un très grand nombre
d'individus, ils en auront fait une notion et ex=
pression generale: mais l'observation leur aiant
decouvert nombre de traits de differences, et
entre quelques uns, divers traits de ressemblances,
qui ne se trouvoient pas dans les autres, ils au=
ront été conduits a les distribuer en certaines
classesparticulieres comprises sous la premiere idée
generale, et a descendre ainsi jusques aux
dernieres classes subalternes . Telle est l'echel=
le suivante formée en descendant; Etre,
substance, corps, vegetal, animal, quadru=
pede: chien, chien barbet &c. ou, animal,
homme, civilisé, noble, l'eclesiastique &c.
ou figure, triangle, rectiligne, isoscelle &c.
Ainsi se sont formées les classes subordonnées
les unes aux autres sur un plan ou ordre
de division et de subdivision. Dela l'idée genera=
le applicable a toute une classe d'objets rappro=
chés par certaines determinations communes
et l'idée particuliere restreinte a un certain nom=
bre d'objets compris sous la precedente, qui
possedent seuls certaines determinations
qui les distinguent de tous les autres. De la
cette subordination en vertu de laquelle telle idée
particuliere devient elle même idée generale
vis a vis d'une subalterne qui se trouve com=
prise sous elle; d'ou de la vient aussi que pour exprimer
une particuliere, on ne fait le plus souvent
que joindre a l'expression de la generale quel=
que terme qui en limite l'etendue, comme
l'adjectif, quelque, plusieurs &c.
IDEES ET EXPRESSIONS QUI SONT NEES DE
CETTE ECHELLE; ATTRIBUT, SUJET,
DIFFERENCES.
Dans les divers procedés de l'Esprit humain occu=
pé a classifier les objets, rien n'etoit plus important
<31> que de se rendre attentif aux divers caracteres
les plus propres a les faire connoitre exactement,
sans confondre jamais pour aucun ce qu'il y
avoit chès lui d'accessoire avec ce qui en etoit
le principal. Tout objet classifié offroit des
determinations, modifications, qualités &c. on les
a appellées attributs, comme etant attribuées
a l'objet qu'on a appellé sujet, entant
que present actuellement a l'ame, comme
etant ce dont elle s'occupe, ou veut parler
dans ce moment. Les caracteres distinctifs
d'un objet sont les determinations qui le dis=
tinguent de l'espece sous laquelle il est compris,
et des Individus pareillement compris sous
elle: c'est ce qu'on appelle la difference nu=
merique et la connoissance de celle ci jointe
a l'idée de l'espece donne la connoissance exac=
te de cet Individu. Tout objet specifique a
pour caracteres distinctifs les determinations
qui le distinguent du genre et des especes colla=
terales: c'est ce qu'on appelle la difference speci=
fique, et la connoissance exacte de celle ci jointe
a l'idée du genre donne une connoissance exac=
te de cet objet ideal. La difference specifique
se tire quelquefois d'une seule determination
de l'espece; d'autres fois elle exige le concours de
plusieurs: toujours faut il quelque chose
qui soit tellement propre a l'espece, qu'il ne con=
vienne qu'a elle, et entre celles qui peuvent
s'offrir, on doit toujours donner la preferen=
ce a celle qui peut repandre le plus de jour
sur l'objet ideal.
ATTRIBUTS ESSENTIELS, ESSENCE
Dans un objet ou sujet il est des attributs
principaux qui determinent ce qu'il est, qui
font qu'il appartient a telle classe et non a
une autre, ensorte qu'ils ne sauroient etre chan=
gés sans que le sujet cesse de lui appartenir. Les
qualités inherentes, constantes, ont été appel=
lées les attributs essentiels p. ex dans le
corps l'etendue, la solidité &c. Parmi les
essentiels, il s'en trouve qui sont comme les
<31v> premiers qui determinent tous les autres, ensorte
que ceux la etant posés, les derniers le sont aussi, ou
etant otés, ceux ci ne peuvent subsister. Ce sont
ces qualités premieres et independantes qu'on a
appellé essence (de essentia ab essendo) comme
etant ce qui fait que la chose est. Ainsi l'essence
du triangle est d'avoir trois côtés et 3 angles;
un de ses attributs essentiels est d'avoir les 3 an=
gles egaux a deux droits. Ce qui est essentiel
au genre est aussi essentiel a l'espece, mais ce
qui est essentiel a l'espece ne l'est pas au genre.
ATTRIBUTS COMMUNS. PROPRES
Les attributs essentiels d'une chose sont ou
communs a son espece et aux autres especes
collaterales, comme etant determinés par le
genre; les autres sont propres a son espece et
ne conviennent qu'a elle comme etant deter=
mines par tous les essentiels pris ensemble.
Il est essentiel a l'homme d'avoir la vie, mais
cela lui est commun avec l'animal; le pro=
pre de l'homme c'est la raison. L'attribut pro=
pre convient au sujet, omni, soli, semper,
c'est a ce seul attribut qu'on devroit donc
appliquer restreindre le mot de proprieté: mais l'usage
a permis de l'etendre a ce qui convient au
sujet omni, sed non soli, ou aux attributs
communs; mais c'est toujours mal a propos qu'on l'e=
tend a ce qui convient au sujet, soli, sed
non omni, ou omni, soli, sed non semper,
car ceux ci ne sont que des accidens.
par ex pour l'homme
d'avoir 2 pieds.
ACCIDENS
On appelle accidens, modes, modifications
accidentelles, les determinations qui dans un
sujet peuvent etre chargées sans qu'il cesse
d'etre ce qu'il est, d'appartenir a telle classe,
et qui ne sont que des circonstances accessoires
par ou l'Individu peut etre distingué, quoi=
que les modes ne soient pas determinés par les
attributs essentiels, cependant la possibilité de
recevoir certains modes peut cependant
<32> quelque fois en dependre et par la devenir elle
meme un attribut essentiel. Ainsi la possibilité
de voler, qui n'est qu'un mode, devient un attribut
essentiel pour les oiseaux. Ce n'est pas par les
accidens que nous acquerons une connoissance
exacte des objets, c'est plutot par les attributs
essentiels, et cela seul nous fait comprendre
combien il nous importe, pour eviter l'erreur, de
ne pas confondre les uns avec les autres.
CE QUI DETERMINE L'ESPECE OU LE GENRE
D'UNE CHOSE
Ainsi ce qui determine l'espece ou le genre d'une
chose, ce sont ses essentiels pris ensemble et son
essence. Au deffaut de l'essence qui n'est pas
toujours connue, c'est un attribut propre
ou ou seulement un assemblage d'attributs communs qui
decoule de toutes les determinations constantes;
quelquefois on est borné a la seule possibilité de certains
modes, qui suffit pour etablir la difference
specifique. Un attribut commun, qui ne
decouleroit pas de toutes les determinations
constantes, ou la non actualité de certains
modes, ne suffiroit pas pour determiner l'espece
et le genre, parce que cela pourroit ou ne pas se
trouver dans l'objet sans qu'il cessa d'etre ce
qu'il est. Qu'un oiseau ne puissse pas voler
actuellement, il n'en est pas moins un oiseau.
Il est neanmoins des cas ou faute de connois=
sance superieure, on est reduit pour caracte=
riser l'espece, de tirer parti de l'actualité de
certains modes. entant qu'elle est liée a leur
possibilité: c'est ce qui est arrivé ou 1 mot biffure La Bota=
nique en fournit des exemples.
LA CLASSIFICATION S'EXERCE SUR LES
OBJETS REELS: SUR LES IDEAUX ET MEME
SUR LES MODIFICATIONS.
La classification par genres ou especes s'exer=
ce non seulement sur les objets reels, mais encor
sur les objets ideaux, et même sur toutes leurs
<32v> modifications, sur ce qu'on appelle substances,
modes et relations, entant qu'ils peuvent tous etre envi=
sagés comme objets reductibles a des idées une idée gene=
rale, en supposant d'autres objets semblables a
qui cette idée peut etre egalement appliquée.
Je n'ai de mon ame qu'une Idée individuelle;
mais je puis generaliser cette idée et l'etendre aux
ames de mes semblables, et a tous les Esprits, sans
excepter Dieu lui même. J'ai une idée de mon
Intelligence, de ma volonté, de mes penchans,
des modifications de mon ame: chacune m'offre
un objet singulier: mais je puis ramener cha=
cune a une idée generale applicable a tous
les Etres ou elles peuvent se trouver. C'est ainsi
que je forme toutes les notions morales.
Pierre garde son or dans son coffre; Jean ne
laisse echapper aucune occasion pour le faire
valoir a usure, Jaques expose sa santé pour
les plus petits motifs; voila trois modifications
qui caracterisent 3 personnes: j'y demele un
trait commun: ces trois personnes aiment l'ar=
gent avec passion: voila les idees singulieres a=
menees a l'idee generale d'avarice. Toutes
les idées morales se tirent d'idées individuelles
ramenées a des notions generales.
NOTIONS ABSTRAITES
Ces notions se nomment abstraites, entant qu'elles
se forment par l'abstraction; generales, entant
qu'elles sont applicables a tous les objets d'une
classe, sans etre la representation d'aucun en
particulier: elles sont des la même toutes idéales
puisqu'elles sont le pur ouvrage de l'Esprit hu=
main, et qu'elles n'ont au dehors aucun arche=
type sur le modele duquel elles soient for=
mees pour en etre la representation exacte.
Mais elles ont un objet existant dans l'Esprit
qui doit etre denominé, et elles sont exprimées
par des noms appellés abstraits, ou autre=
ment 1 mot biffure dont l'usage est encor plus
<33>necessaire que celui des noms propres pour
les Individus, puisque les idées abstraites ne
sauroient etre fixées dans l'ame sans etre asso=
ciées a quelque signe qui serve de point de
ralliement aux idées dont elles sont compo=
sées.
AXIOMES
Suiv Des definitions precedentes decoulent im=
mediatement les axiomes suivans qui servent
de base a tous les raisonnemens. Il n'y a rien
dans l'espece qui ne se trouve dans l'Individu
comme il n'y a rien dans le genre qui ne se
trouve dans les especes inférieures; mais dans
l'Individu, il y a des choses qui ne se trouvent
pas dans l'espece, et dans l'espece, des choses
qui ne sont pas dans le genre; Ainsi tout
ce qui convient au genre, convient aussi a
l'espece et ce qui convient a l'espece, convient
aussi a l'individu; mais de ce qu'une chose
ne convient pas a l'espece, il ne s'ensuit pas
qu'elle ne puisse convenir au genre, &c.
Dans une idee generale, ou universelle on
distingue 1o la comprehension, cad. l'ensem=
ble des determinations dont l'idée est composée;
2o l'extension ou l'ensemble des objets aux=
quels la comprehension peut etre appliquée.
Il est evident que plus on amplifie la com=
prehension d'une idée, plus on en resserre
l'extension, et vice versa.
Toute determination ajoutée ou retranchée
a un objet ideal en change l'espece et
l'essence toujours determinée par l'espece.
C'est ce 1 mot biffure pouvoir que l'homme a exerce sur les objets
ideaux, qui le met en etat de combiner ses
idées de toutes sortes de manieres pour
les soumettre toutes a la classification
necessaire a ses besoins. Ainsi avec l'idée
1 mot biffure de bien j'associe celle de plaisir; j'ajoute
<33v> present, je tire de la l'idée de joie; j'ajoute
futur, j'aurai celle d'esperance &c.
NECESSITE DES NOTIONS GENERALES
Les Idées Individuelles qui nous presentent les
choses telles qu'elles sont reellement avec toutes
leurs circonstances, sont en elles mêmes plus ins=
tructives que les generales, qui ne nous presen=
tent rien de plus que les premieres d'ou elles ont
été tirées, et ne nous offrent que des objets
ideaux que nous avons formé nous mêmes,
selon notre maniere de concevoir. Mais il
n'en est pas moins vrai que les notions generales
sont d'une necessité indispensable pour que
nous puissions tirer quelque parti des idées
Individuelles, et faire par leur moien des progrés
un peu etendus et rapides dans la connois=
sance des choses même. Car que seroit il
arrivé aux hommes, s'ils eussent été toujours
bornés aux idées Individuelles sans pouvoir
jamais les rapporter a des idées generales:
1o Ils auroient été reduits a l'usage des noms
propres, et forcés de multiplier ceux ci a 1 mot biffure
en proportion du nombre des Individus
qu'ils auroient observés: multiplication pro=
digieuse qui en surchargeant leur memoire
a l'excès, les auroit mis dans l'impuissance
d'en faire aucun bon usage.
2o chaque Indidivu auroit été pour eux
un objet separé d'observation et d'etude;
la connoissance qu'ils auroient pu acque=
rir de l'un a seroit demeurée inutile pour
arriver a la connoissance de l'autre: les
mots même qu'ils auroient emploiés pour
designer les qualités du premier n'auroit
servi de rien pour designer celles du second,
il leur eut fallu des siecles pour apprendre a
<34> connoitre un petit nombre d'objets, pendant
qu'ils seroient restés dans une profonde igno=
rance sur tous les autres.
Dela 3o seroit resulté une impossibilité absolue
de distinguer les objets entr'eux par des carac=
teres decisifs, et même de former des idées
composees distinctes, qui supposent toutes
une collection d'idées abstraites, ni de se re=
tracer plusieurs Individus a la fois pour les
comparer, en saisir les rapports, former
des jugemens, deploier le raisonnement pour
faire servir ce qui est clair et connu a de=
meler et eclaircir ce qui ne l'est pas encor.
Ainsi 4o il n'y auroit eu ni 1 mot biffure aucune
argumentation par induction ni par analogie,
et les hommes auroient vecu dans la plus
cruelle incertitude sur la nature et les pro=
prietes des choses dont ils sont environnés, et
incapables de tenir aucun registre des objets
et de les classifier, ni d'arriver a aucun
principe resultat pour leur servir de prin=
cipe, leur Intelligence n'eut jamais pu
s'elever au dela de celle des brutes bornées
entierement aux 1 mot biffure images des choses sensibles, qui les
interessent leur conservation.
Mais a l'aide de la faculté de generaliser,
ils ont pu 2 mots biffure prendre note de tous les objets ob=
servés sans embaras, et les classifier sans de=
sordre, faire servir la connoissance de
ceux qu'ils ont observé, pour obtenir celle
de tous les autres objets semblables compris
sous la meme nôtion generale, et par la ils
se sont epargné 1 mot biffure la peine de recommancer
a nouveau fraix pour chacun le même
examen, en se fondant sur ce principe,
que ce qu'on dit, qu'on affirme, qu'on nie
de toute une classe d'objets, peut etre dit, affir=
me ou nié de chacun en particulier de cha=
cun de ceux qui sont compris sous cette classe
et qu'on peut con=
clure du general
au particulier.
<34v> C'est ainsi qu'en rapportant les attributs, non
a et a l'Individu, mais a la classe sous laquelle
il est compris, ils ont pu se former des Tableaux
aussi exacts que distincts, ou chaque chose
a son idée et son expression determinée, qui
la fait connoitre sur le champ avec ses propri=
etes, sans qu'il soit besoin de faire une descrip=
tion detaillée de l'Individu.
Ainsi quoique les notions generales ne soient que
l'abregé precis des observations, neammoins les
bornes de nôtre Esprit, qui ne nous permettent
pas d'embrasser l'ensemble de tous les details,
nous ont forcé de recourir a la generalisa=
tion pour tirer quelque fruit de l'observa=
tion 1 mot biffure en reunissant 1 mot biffure les objets observés sous une
seule notion qui nous les fasse connoitre tous
ensemble sous tous leurs rapports de confor=
mité. Ainsi On ne peut donc disconvenir de la
necessité des classifications sous les idées de
genres et especes, pour soulager la memoire,
ranger nos idées en ordre, et lorsqu'il s'agit
d'un sujet composé, pour proceder partie
après partie, par divisions et subdivisions;
et ne rien omettre en descendant du gene=
ral au particulier.
DIFFERENCES A OBSERVER ENTRE LES
OBJETS SOUMIS A LA CLASSIFICATION.
La Cette necessité est evidente par rapport aux
objets purement ideaux que nous nous
3 mots biffure a nous mêmes et qui ne
peuvent exister qu'u en nous et dans les
notions que nous nous en avons rendu com=
plettes et distinctes par des definitions
exactes, 1 mot biffure en determinent l'espece etlesquelles si nous le voulons
le genre, sans et qui
ne peuvent jamais souffrir d'equivoque,
de meprise, ni nous exposer a aucun
danger d'erreur.
Mais quant aux notions generales, qui
ont ete formées sur des modeles d'objets
<35> existans au dehors, de quelque necessité
qu'elles soient pour faciliter et etendre nos
connoissances, elles ne sauroient par elles
memes nous mettre a couvert d'erreur ni
nous garantir de l'exactitude et de la verité
des connoissances que nous pouvons acque=
rir par leur moien. Car pour cela, il fau=
droit quelles fussent le resultat d'observations
sures, de faits bien connus, de descriptions
1 mot biffure bien exactes, et que ne nous offrant que des
rapports bien verifiés, elles fussent toujours
exactement conformes a ce que les choses
sont, et ou que leur classification ideale dans
notre Esprit, repondit en tout point a la classi=
fication réelle que la nature peut avoir eta=
blie entr'elles..
Mais pour que cela fut ainsi, il faudroit 1o
que les hommes ayant connu de plein saut
toutes les qualités des Etres reels, et qu'ils n'eus=
sent même plus rien a apprendre de l'observa=
tion et de l'experience 2o qu'a mesure qu'ils
ont formé leur classification, ils se fussent
mis a couvert de toute influence des preju=
gés, des opinions, et qu'ils 1 mot biffure eussent même
été tous d'accord dans leurs operations. Or
le contraire est prouvé tous les jours par
les nouvelles observations qui devoilent
les anciennes erreurs, decouvrent entre les
objets de nouveaux rapports, et mettent dans
la necessité de rectifier les classifications et
les nomenclatures auparavant adoptées;
il ne l'est pas moins par la varieté que celles
ci nous offrent ches les diverses nations, ches
les divers savans, chès les divers particu=
liers: nous voions qu'il en est de toutes, plus
ou moins, comme de celles qui sont emploiées
dans l'histoire naturelle, dont les fondemens
existent beaucoup moins dans les choses
même, que dans la diverse maniere dont les
hommes les voient, les idées qu'ils s'en forment
souvent fausses; ou du moins imparfaites.
<35v> Il faudroit surtout 3o que la nature eut fait
elle même des classifications exactement deter=
minées par des limites qui nous servissent de carac=
teres distinctifs precis et surs: mais nous n'y demedeme=
lons pas point ces disti separations de classes si dis=
tinctement prononcées. On trouve des concretions
terrestres et marines qui ont de grandes affini=
tés avec les vegetaux, des vegetaux qui ont
des caracteres communs avec les animaux
tels que les polypes qui mangent et cepen=
dant reprennent de bouture. On voit qu'en
general les choses dans la nature ne sont se=
parées que par des gradations et des nuances
imperceptibles; les observations ne s'accordent
pas avec les classifications recues, et on ne cesse de
reformer celles ci. Je dis plus: a propre=
ment parler, les nos es=
peces et les nos genres
n'existent point dans
la nature mais uni=
quement dans notre
maniere de conce=
voir. Il n'y a point
de pommier en
general &c. les
noms generaux
ne sont les noms
d'aucune choses exis=
tente:
Faudra til donc pour cela abandonner toute
classification, toute nomenclature. Non; nous
ne pouvons nous en passer pour mettre nos obser=
vations en ordre, et obtenir des idées fixes et
determinées pour exposer nos decouvertes, point par
point, pour et par la en faciliter l'intelligence et la me=
moire, et laisser pour ne negliger aucun des objets en arriere
qui puisse peuvent interesser l'humanité. Mais du
moins, nous devons nous efforcer de rendre
nos classifications aussi exactes que possibles
en les reglant et redressant toujours sur les
Leçons de l'observation et de l'experience. Sur
toutes choses nous ne pouvons pas jamais fonder
nos jugemens par rapport aux faits
uniquement sur quelque classification
ou nomenclature, mais les appuier toujours
sur les faits bien observés; bien decrits
et bien connus.
CONSEQUENCES
De ce que nous avons dit il suit
1o Que toutes les classifications arbitraires
des objets reels ne sauroient nous conduire
a aucune connoissance vraie, puisqu'elles et qu'en
nous induisant a juger que les choses sont dans
la nature, precice qu'elles sont dans la pensée
<36> de l'homme, elles ne peuvent que nous jetter
perpetuellement dans l'erreur.
2o Que qui ne s'occupe que d'abstractions
est comme etranger aux choses, ne sait
proprement rien, et que tout l'ensemble dont
son Esprit est occupé, n'est qu'un Tableau
trompeur et mensonger.
3o Qu'en classifiant les objets on peut pousser
trop loin la division et la subdivision des
especes; car par la on tomberoit a la fin dans
un cahos d'idées particulieres et de detail,
et dans l'inconvenient qu'on cherchoit a
eviter par la generalisation. Il faut donc
s'arreter la ou l'on voit que la classification
est suffisante pour repandre la lumiere
sans surcharger la memoire: ce qu'on ne
doit surtout jamais perdre de vue dans
l'instruction.
Plus notre discernement se perfectione, plus les
classes peuvent se multiplier, mais il y a un ter=
me ou il faut s'arreter, parce que quand on va
fait trop de distinctions loin, l'esprit s'egare dans
un trop grand nombre de distinctions dont il ne sent
pas la necessité relativement a ses besoins
qui seuls ont rendu la classification ne=
cessaire.
<36v> CHAPITRE VII.
Des diverses classes de notions generales
sous les noms de Substance, mode et rela=
tion
SUBSTANCE CONCRETE ET ABSTRAITE
La Substance ou le sujet qui est le soutien des
modes, peut etre considérée dans l'Individu; c'est
la Substance concrete. p. ex. le Soleil, la Lune,
ou elle peut etre ramenée a une notion gene=
rale, c'est la Substance abstraite: par ex: un
corps, un astre &c. Aux substances
concretes repon=
dent les noms
substantifs pro=
pres: aux A ces substances abstraites
repondent les noms substantifs appellation
qui servent a la classification des Etres.
On peut appliquer a la Substance tout ce qui
a ete dit des essentiels et des accidens. Dès que
nous decouvrons dans une substance des attri=
buts essentiels qui ne peuvent compatir avec les attributs
essentiels d'une autre substance, nous sommes
fondés a les distinguer comme deux substances
essentiellement distinctes. C'est ainsi que nous
avons conclu avec certitude que l'ame est une
substance essentiellement distincte du corps.
(Anthrop. Sect. II. C. 1.).
Mais dela il ne s'ensuit pas que nous connois=
sions ce qu'il y a dans chaque substance de pre=
mier ou son essence. Si par essence on entend
ce que nous connoissons de premier dans une
chose, ou ce qu'on appelle son essence nomi=
nale qui nous la fait distinguer de toute autre
en ce sens, nous connoissons l'essence du corps
et de l'ame; mais il n'en est pas de même de
l'essence reelle qui existe dans la chose inde=
pendamment de nos conceptions; celles ci
ne sauroient jamais s'etendre jusques la:
nous scavons que le corps est essentiellement
etendu, solide &c. mais connoissons nous ce
qu'il y a dans le corps d'ou dependent son
etendue et sa solidité?
<37> MODES
Les modes, quoiqu'ils ne sauroient exister que
dans la substance, dont ils sont une maniere
d'etre ou d'agir, peuvent avoir entr'eux des
traits de conformité, et etre reductibles a des
notions et expressions generales.
Il est des modes simples c.a.d correspondans a
des idées simples qui peuvent etre generalisés
et même rapportés a diverses classes separées
par des nuances. Ainsi le son qui est un mode
simple, peut etre distingué, en grave, aigu,
moien, la couleur, en rouge, violet &c.
il est aussi des modes mixtes, resultant
d'une combinaison de modes simples, et qui sont sans
archetype au dehors; telles sont les idées morales.
Aux modes correspondent diverses classes
de noms; 1o les Substantifs abstraits qui pre=
sentent le mode en lui même, separé de sa
substance, avec une sorte de realité supposée,
et susceptible de modifications diverses comme
si c'etoit une substance; comme quand on dit p.ex. la blancheur
eblouit, la sagesse charme.
2 les mots concrets qui presentent le mode
comme inherent a la substance. Tels sont
les adjectifs (d'ou sont tirés les precedens)
ainsi appellés parce qu'ils ajoutent une idée
au sujet designé par le substantif, pour
le faire connoitre par quelque qualité p. ex
le lait est blanc; Pierre est sage. Tels
sont les participes exprimant la maniere
d'agir ou de patir du sujet consideré com=
me faisant eprouver son action a un autre,
ou eprouvant la sienne p. ex: Pierre est
battant. Pierre est battu. On les a appellés
participes, comme participans a la nature
du verbe, parce que c'est de leur combinaison
avec le verbe etre, qu'on a formé tous les mots
appellés improprement verbes, qui n'expriment
non plus aussi que des modes, modes actifs, pas=
sifs, reflechis.
<37v> MODES SOURCE D'ERREURS
Les modes simples ne sauroient par leur
nature devenir des sources d'erreurs et de
mesentendus. Il n'en est pas ainsi des modes
mixtes: car si toutes les idees partielles qui
doivent entrer dans leur composition ne
sont pas bien determinées, il en peut resul=
ter la plus grande confusion dans la pensée
et le discours; un trait de plus ou de moins
fera prendre le change sur les choses les plus
importantes: par la l'avarice n'offrira plus
que l'idée d'economie, la prodigialité sera
metamorphosée en liberalité, la temerité
en courage; le faux point d'honneur en
vertu. Souvent les modes mixtes se dena=
turent uniquement par une suite des chan=
gemens survenus aux mots, et cela peut
jetter dans bien des meprises. Ainsi nous fremis=
sons a la lecture du mode τυρανος
dans les auteurs Grecs, tandis que chès
eux il ne signifioit autre chose que le maitre d'une
tour ou d'une forteresse.
RELATIONS.
Je puis avoir l'idée d'un objet et la conce=
voir sans penser a un autre objet; cette
idée se nomme absolue. Mais le plus
souvent: je ne puis concevoir l'idée d'un
objet sans penser en même temps a quel=
qu'autre autre objet: alors cette idée
est appelleé relative; qui par sa natu=
re est composée. Dans toute relation
d'une idée a l'autre, on distingue 1o l'idée
principale ou le sujet de la relation; 2o
le correlatif ou l'objet dont l'idée doit etre
reveillée par celle du sujet; 3o la conne=
xion des deux idées ou objets, qui sert
de fondement a la relation cad. a
faire comprendre quelle est cette relation
ou pourquoi ce qu'on dit du sujet ne
peut etre compris sans l'idée du correlatif.
<38> On appelle absolus les mots qui ne reveillent que
des idées absolues, et relatifs ou comparatifs
ceux qui expriment quelque relation. Dans la
plupart de ceux ci la relation s'annonce sans
equivoque, p ex. mari, Pere, meilleur, moin=
dre &c Mais il en est plusieurs qui ont les
apparences d'absolus p. ex. grand, petit
long, court &c.
On ne peut former aucune idée relative sans
comparer les objets entr'eux pour voir ce qu'ils
sont l'un a l'egard de l'autre. Toute idée rela=
tive suppose dans nôtre Esprit la presence de
deux objets tellement liés entr'eux que l'idée
de l'un est necessaire pour comprendre ce qu'on
conçoit de l'autre. Mais cette liaison n'existe
que dans nôtre Esprit et souvent n'est point la même
que celle qui existe reellement dans la
nature entre ces mêmes objets que nous
avons comparés. La premiere pourroit
etre aneantie, sans que la seconde en
souffrit la moindre alteration, puisqu'elle
depend d'un rapport naturel qui existe
entre les objets independamment de toute
comparaison.
Je ne puis changer les determinations d'une
idee absolue sans supposer qu'il est surve=
nu un changement reel dans son objet.
Mais je puis changer une idee relative
sans supposer qu'il soit survenu aucun
changement dans le sujet principal. J'ap=
pellerai un tel plus savant, moins savant
sans que sa science ait soit ni augmentée ni
diminuée en elle même.
Il y a donc une grande difference dans les
jugemens que nous portons d'après les idées
relatives et ceux que nous portons d'apres
<38v> les idees absolues: dire qu'un homme est
plus ou moins grand qu'un autre. Ce n'est
pas juger de sa grandeur reelle.
Il n'y a aucune chose qui ne puisse etre liée
a d'autres par un nombre inepuisable de
relations differentes et meme opposées. Le
même homme peut etre plus grand, plus pe=
tit, plus vieux, plus jeune &c. La plus grande
partie des discours roulent sur des rela=
tions, au rapport et il n'est pas jusques
aux idées d'etendue, de durée, de nombre
qui n'offrent des secrets rapports de
parties.
RELATIONS NATURELLES
Les relations sont de differences especes
selon leurs divers fondemens. Il est des fon=
demens naturels. Ceux ci se tirent de la
nature interne des sujets ou des circons=
tances externes. Au premier egard, il
est des relations de substances entr'elles
p. ex. la roue et le moulin, la tete et le
corps. l'union des deux
substances. Il est des relations de modes entr'eux
p. ex. la vitesse et le temps. Il est des rela=
tions entre les Substances et les modes p. ex.
le corps et le mouvement, la pesanteur.
Il en est entre les relations même, comme
les proportions. Au second egard; les
relations se tirent des circonstances natu=
relles du temps, du lieu, du nombre, ou
de l'opinion: par ex: plus ancien, plus
moderne, plus haut &c. plus honoré, moins
honoré.
Il est des relations naturelles qui decoulent
de la comparaison des sujets dans leur inte=
grité: on les exprime sous le noms d'iden=
tité, de diversité, de ressemblance, de dissem=
blance, de compatibilité, d'opposé 1 mot biffure
de convenance, disconvenance &c. de
tout et de partie.
<39> Il en est qui proviennent de la comparaison
des sujets par rapport a quelque determina=
tion seulement: ou la quantité et le nombre
par ex: egalité, inegalité, unité, pluralité,
production ou la force, par ex. foiblesse, puissance,
dependance, superiorité; ou l'action re=
ciproque par ex. cause et effet genera=
tion production &c.
A toutes ces relations correspondent appellées
Physiques correspondent une foule de
mots adjectifs, participes, verbes, parti=
cules, adverbes, qui servent encor a les exprimer
sous diverses modifications.
La comparaison de ce qu'est la pensée
par rapport a l'objet fournit les fondemens
d'autres relations que nous appellons In=
tellectuelles fournies 1 mot biffure exprimées par les
mots verité, fausseté, certitude, incerti=
tude, probabilité; a quoi il faut join=
dre les relations que les pensees ont entr'elles
exprimées par des conjonctions.
La comparaison des actions libres par rap=
port avec des regles presente les fondemens
d'autres relations naturelles qui determi=
nent leur qualité morale, et s'expriment
par les mots de bien et de mal, de juste
et d'injuste &c. et tous ceux qui designent
les devoirs, les vertus et les vices.
RELATIONS DINSTITUTION.
Il est ausi des relations qui n'ont de fonde=
ment que dans la volonté humaine: on les
appelle relations d'institution, volontaires
conventionelles: Telles sont les relations
humaines, a l'exception de celles de Pater=
nité consanguineité &c. compatriotisme
qu'on peut envisager comme naturelles.
<39v> Toutes les autres tiennent a des conven=
tions expresses ou tacites: quelques unes
cependant, quoique d'institution doivent
leur naissance a des besoins naturels, com=
me celle de Magistrats et de Cytoiens ou
sujets, et on pourroit les appeller mixtes
pour les distinguer de celles qui ne provien=
nent que d'une institution purement arbitraire,
telles que celles des ordres de chevalerie &c.
Rien de plus diversifié dans les langues
que les mots qui servent a les exprimer.
REGLES
Des relations peuvent porter le même nom=
generique et etre très differentes entr'elles
par leurs fondemens. Quelle diversité entre
les relations comprises sous les noms de
tout et de partie. Selon les diverses especes
&c. touts : car on distingue tout physique,
tout mechanique, tout vegetal, tout
animal, tout ideal, tout moral, civil, re
ligieux &c. et de laquelle=
diversite dans
celles qu'on expri
me sous le nom
d'identité ou
du meme selon
les divers touts
auxquels on
la rapporte? Quelle diversité encor dans
les relations de cause et effet, selon qu'il
s'agit de cause efficiente ou insutrmentale,
ou occasionelle ou morale, ou impulsive ou finale?
ou conventionelle Quelle diversité dans les relations de neces=
sité, selon que celle ci est supposee metaphy=
sique, ou physique, ou morale ou absolue, ou hypo=
thetique. Ici pour eviter l'erreur, il faut=
absolument s'instruire des fondemens par
ticuliers et propres a chacune de ces diverses=
relations, et se servir pour cela de la voie
d'instruction qui peut convenir a chacu
ne d'elles. Faute d'etudier ces fondemens
dans leurs vraies sources, dans combien
de meprises ne tombe t'on point sur les
relations, soit en les confondant entr'elles
soit en leur attribuant ce qui ne leur convient point.
<40> Combien de fois même ne confond on pas de
pures relations arbitraires avec des qualités reelles, p.ex
des titres avec des vertus &c. Combien n'a t'on=
pas vu naitre de cette source de mesen
tendus, de disputes de mots, entr'autres=
sur la liberté, de questions absurdes, ou
l'on supposoit des rapports la ou il n'en
pouvoit exister aucun, ni aucune com
mune mesure pour etablir une compa=
raison. N'est-il pas arrivé=
aussi souvent
que le même mot
a ete pris par l'un
dans un sens abso
lu et par l'autre=
dans un sens rela
tif, qu'une pure=
relation comme
celle de chaud et
de froid a été con
vertie en realité=
absolue, et qu'on a
dit que la chaleur
etoit dans les objets.
De la on a pu dispu
ter si une eau etoit=
chaude ou tiede
une chose grande
ou petite. les qua
lifications des choses=
ont dependu du
correlatif qu'on
avoit dans l'Esprit.
Elles ont été appel
lées bonnes, par=
les uns, mauvaises
par les autres indif
ferentes par d'autres
selon l'interet que
chacun avoit a
coeur
Quelque essentielle que soit la distinction
de nos idées generales exprimées par ces 3
mots Substance, mode, relation, les noms
correspondans a ces 3 classes ont été appellées
egalement noms substantifs, parce que
cette qualification a été etendue a tout
nom qui n'est pas adjectif concret lequel
suppose une qualité considerée actuelle=
ment dans un sujet, et qu'on la même
appliquée au nom qui exprime une qua=
lité abstraite, parce que celle ci peut etre
aussi envisagée comme objet modifia=
ble et sujet d'une proposition comme quand on dit p. ex. la
blancheur est agreable. C'est de que la
que sont nés les substantifs appellés
abstraits, derivés des adjectifs. Cette
confusion qui a été introduite dans le
langage par une sorte de necessité, peut
quelques fois jetter dans l'erreur, si l'on
n'a soin de bien classifier les idées elles
mêmes, pour ne pas les confondre a
cause de la ressemblance des mots. C'est de la que
Ainsi souvent on
a confondu les
modes avec les Subs=
tances: les Payens
ont erigé la peur
en divinité, et on
a parlé souvent de
l'entendement, de
la volonté, comme
si c'etoient des Etres
separés: que d'abs=
traction
n'a
t'on pas converties
en realités?
Si l'on reflechit, en etudiant l'Ethnologie,
aux procedés que les hommes ont suivi,
pour etendre leurs idées selon la naissan=
ce successive de leurs besoins et de leurs gouts.
<40v> Si l'on fait attention, en etudiant la Glosso=
logie, a la maniere dont les hommes ont
formé successivement les mots les uns des
autres pour signifier les divers objets, on
decouvrira sans peine que les premieres no=
tions generales ont été celles des Substances,
lesquelles ont ete suivies de celles des modes
auxquelles ont succedé celles des rela=
tions, dont les dernieres ont été celles
d'institution.
ABSTRACTIONS DE DIVERS GENRES.
Suivant ce qui a été dit, on peut distinguer
des abstractions de divers genres.
Abstraction substantielle qui separe une
Substance d'une autre dont elle fait par=
tie, comme p. ex. l'oeuil du corps.
Abstraction modale qui considere le mode
separement de la substance et des autres
modes, comme le mouvement separé du
corps, l'etendue sans la solidité &c.
Abstraction relative qui s'exerce sur les
relations même, comme celles d'ordre
de Symmetrie, de verité, de doute &c.
Abstraction metaphysique qui fixe l'at=
tention sur les determinations communes
a divers individus pour les classifier par
genres et par especes, ainsi qu'il a été dit.
Rien de plus important pour les progrès
de l'Intelligence que l'exercice de ces diverses
abstractions comme nous l'avons montré ch. VI.: Ceux
qui la negligent ne peuvent jamais acque=
rir de connoissances nettes et etendues.
Mais ceux qui ne s'occupent que d'abstrac=
tions, en negligeant l'experience, ne se
nourrissent que de chimeres; ils supposent
que tout se passe hors de chès eux comme ils
se le sont figurés; ils prennent des Etres
<41> de raison pour des objets vrais et reels. Si le
même objet consideré sous diverses faces se
trouve exprimé sous divers noms, ils en font
autant d'objets divers: des choses insepa=
rables se separent dans leur cerveau, et
ils attribuent a l'une ce qui ne peut conve=
nir a l'autre. En Dieu ils separent la bon=
té de la Sagesse, et il veut 1 mot biffure que le Dieu tout
bon fasse ce que ne peut faire le Dieu
tout sage.
A ceux qui ne sont pas exercés aux abstrac=
tions, il faut conseiller, de faire un peu di=
vorce avec les objets sensibles, de rentrer en eux
mêmes, de comparer leurs idées, les classifier,
les arranger en ordre, de proceder pied
a pied pour eviter la confusion, de com=
mancer par les abstractions les plus faciles
comme celles de la Geometrie, et de ne ve=
nir que par degrés aux abstractions plus
composées de la Metaphysique, de la morale
&c.
Aux autres on peut conseiller de sortir
souvent hors d'eux mêmes, d'observer, de
prendre en note les objets, de mouler leurs
idées sur les faits pour s'en former des
idees exactes des choses avant que de les
classifier, et ne perdre jamais de vue
ce principe, que pour les connoitre, il faut
les etudier telles qu'elles sont en elles mêmes
sans jamais en soumettre la classification
a des abstractions arbitraires qui ne peu=
vent jamais decider de ce qu'elles sont.
<41v> CHAPITRE VIII
De quelques autres distinctions de nos
idees.
IDEES POSITIVES ET NEGATIVES
Si nous pensons a l'existence d'un objet
reel, cette idée est positive; si c'est a son
absence et sa privation, cette idée devient
negative: Pour former celle ci, il faut d'abord
concevoir quelque chose de reel, ensuite
l'eloigner comme s'il n'existoit pas. Une idée
negative n'est pas n'etant destinée qu'a nous represen=
ter tout ce qu'une chose est, mais seulement n'est pas, une idée positive est
ce qu'elle
donc toujours preferable a une idée nega=
tive pour nous donner de la lumiere.
Mais souvent les bornes de nôtre Esprit
nous reduisent a nous contenter de
caracteres negatifs pour distinguer les
objets: quelques fois même ils nous suf=
fisent pour nôtre but, comme quand
nous disons que nôtre ame est imma=
terielle. Il est une idée negative qui
s'etend a l'exclusion de toute realité;
la negation de tout Etre. qu'y avoit il
avant la Creation? Rien.
L'exactitude du Langage demanderoit que la
privation fut toujours exprimée par un signe
negatif, comme etoit chès les Grecs l'a priva=
tif, la particule non, in, chès les Latins; mais
cela n'a pas toujours eu lieu: les idées repon=
dantes aux mots tenebres, nuit, aveuglement,
mort, sont des idées privatives, et ces mots
semblent par leur forme n'annoncent que du
positif: les mots immortalité impiete, inso=
lence, ont la forme de negatifs, et les idées cor=
respondantes sont des idées positives; souvent
<42> la même idée est exprimée par un mot posi=
tif et par un mot negatif, cruel, inhumain;
prophane, impie. Veut on savoir si une
idee est positive ou negative, il ne faut donc
pas s'en rapporter a la forme du mot, il faut
examiner l'idée en elle même, si elle presente
ce qui est, ou ce qui n'est pas.
IDEES DEPENDANTES, DEPENDANCE,
NATURELLE OU ACCIDENTELLE.
La plupart de nos diverses idées ont une
dependance reelle les unes par rapport aux
autres, et en tout cela il y a une très grande
varieté. L'idée de nombre nous conduit na=
turellement a celles d'unité, di dixaines, d'ad=
dition &c. Celle de figure emporte celles de
côtés, d'angles. L'idée de corps produit celles
d'etendue, de solidité. Mais Nous ni ne trouvons
plus cette dependance naturelle entre les idées
de corps et d'esprit, celles qui appartiennent au
physique et celles qui se rapportent au moral.
Mais il se forme très souvent entre nos idées
une dependance accidentelle et survenue, ensui=
te de laquelle l'une ne se presente plus sans rap=
peller en même temps l'autre; ce qui arrive
lorsque ces idées se sont presentées souvent ensem=
ble, ou ont fait toutes a la fois une vive impres=
sion sur l'Esprit, comme il a ete dit en parlant
de l'imagination.
Il est toujours très important de s'assurer si la
1 mot biffure dependance qui se trouve entre nos ide=
es, est naturelle, ou purement accidentelle et
pour cela de s'instruire de leurs rapports par
la comparaison. Or pour faire celle ci d'une
maniere convenable, il faut eloigner de bonne
heure toutes les dispositions d'Esprit et de coeur
qui pourroient empecher de voir les objets
<42v> tels quils sont, et sous le point de vue neces=
saire pour en saisir les rapports: grande
Leçons pour les gens prevenus, entetés, pas=
sionés, qui ne voient dans les choses que
ce que la prevention ou la passion leur
fait voir.
LIAISON. OPPOSITION.
Il y a entre les idees une dependance de liaison ou union
telle que la position de l'une entraine celle
de l'autre: il en est une de contrariete ou oppo=
sition telle que la position de l'une entraine La liaison est
l'exclusion de l'autre, 2 mots biffure corps rond,
vous exclués l'idée d'angles.
quelquefois absolue, necessaire; d'autres
fois elle est conditionelle, lorsqu'a la premie=
re idée, il en faut joindre une autre, pour
que son union avec la 2e devienne inse=
parable.
La liaison des idées se decouvre ou par la
comparaison seule qui en manifeste imme=
diatement le rapport ou par l'experience
qui nous instruit que les certains objets se trouvent
constamment liés dans la nature, sans
que nous puissions en expliquer le pour=
quoi et le comment.
Il est aussi entre
les idees une
opposition ou
contrarieté, telle
que la position,
de l'une entrai=
ne l'exclusion,
de l'autre: l'idée
de corps rond
exclut celle
d'angle.
Quand de deux idées opposées l'une emporte
la negation expresse de l'autre, on les appelle
contradictoires. 1 mot biffure en ignorent, savant.
IDEES CHIMERIQUES. TROMPEUSES.
Souvent les hommes supposent faussement
des liaisons ou oppositions entre les idées, qui
n'existent point, et ils se familiarisent avec
elles dès les bas age, sans soubsonner seu=
lement leur erreur, ni s'aviser de la redresser
par des comparaisons. Il leur arrive même
quelquefois de reunir dans une seule idée
composée des idees partiales qui sont reellement
incompatibles; on appelle cette idée chimerique.
<43> Parce qu'on ne s'appercoit pas de la contradic=
tion qu'elle renferme, on la prend pour quelque
chose de reel, quoique ce soit plutot une
non idée, un rien; et par la elle devient
comme on la fait entrer dans des proposi=
tions pour en deduire quelque chose de posi=
tif, elle devient une source seconde d'erreurs.
Ces idées chimeriques ne nous viennent ni des
sens, ni de l'abstraction, ni de la comparaison,
mais elles se forment par une composition ideale
irreguliere, ou l'on rassemble des idées qui ne
peuvent jamais etre unies, ou l'on separe
des choses absolument inseparables. C'est ainsi
que la superstition jointe a une imagi1 mot biffurenation
bisarre, s'est formé des Dieux monstrueux
un culte absurde, et a mis les vices a la place
des vertus.
On peut demontrer qu'une idee n'est pas chime=
rique au en mettant sous les yeux un objet
sensible ou tout ce qui est representé par cette
idee se trouve reuni, ou en montrant claire=
ment la maniere dont peut se faire cette reu=
nion, ou en faisant voir par les rapports des
idees partielles qu'il n'existe aucune opposi=
tion entr'elles. Quant il s'agit de relation,
d'institution, la connoissance du vrai fon=
dement suffit pour dissiper tout doute
sur la possibilité de la chose.
Souvent les hommes croient avoir l'idée d'une
chose quoiqu'ils n'en aient absolument aucune;
c'est ce quon a appellé Idée Trompeuse ou decep=
trice. Tant qu'une telle idée subsiste chès
quelquun, il croit connoitre ce qu'il ne con=
noit point et il ne pense pas a s'en instruire.
Ainsi les Scholastiques expliquoient tout par
l'horreur du vuide, les formes substantielles &c.
avec ces mots vuides de sens, ils croioient
<43v> tout savoir, et cela seul a propagé parmi
eux l'ignorance pendant bien des siecles. D'ou
ces disputes acharnées entre gens qui par=
loient sans s'entendre, et dont aucun ne vou=
loit convenir qu'il ne se comprenoit pas
lui même. S'agissoit il de se former l'idée
particuliere d'un objet, ils emploie lui appli=
quoient une expression universelle, et ils
croioient l'avoir defini: s'agissoit il de la cau=
se d'un Phenomene, ils donnoient a celle ci
un nom general, et ils croioient l'avoir de=
terminée. Quelle etoit la cause des Pheno=
menes de l'aiman? Sympathie et Antipa=
thie, attraction et repulsion: avec cela
ils croioient avoir tout dit. Les idées
contradictoires, chimeriques, ont toujours
été les plus trompeuses, et les plus dange=
reuses pour induire en erreur. Mais les
plus generalement repandues et qui ont
causé le plus de disputes, n'ont été autre
chose que des mots vuides de sens dont nous
parlerons cy après.
<44> CHAPITRE IX
Regles pour la perfection de la pensée
PERFECTION DE LA PENSEE
La pensée est plus parfaite lorsqu'elle est
plus conforme a l'objet, plus propre a nous le
faire connoitre et distinguer de tout autre, et
nous mettre en etat d'apprendre a ceux à
qui nous parlons a le distinguer comme
nous. Ce n'est que par degrés que nos idées
s'elevent vers la perfection, a mesure qu'elles
s'etendent et se devellopent par l'accession
de nouveaux traits de ressemblance avec
leur objet; jusques a ce que cette conformité
soit poussée aussi loin que le besoin l'exige
et que les circonstances le permettent. D'ail=
leur C'est de la que dependent la verité de
nos jugemens et la justesse de nos discours.
Les traits de conformité de nos idées avec
leurs objets sont autant de caracteres ou
marques caracteristiques qui nous les font
distinguer. On sent combien il nous impor=
te de connoitre celles qui nous les font distin=
guer le plus promtement et le plus surement.
Ce sont autant de traits lumineux qui re=
pandent du jour autour dans ces sur eux et qui
nous eclairent. C'est en suivant cette image
si noble et si juste qu'on a distingué nos idées
en claires et obscures, distinctes et confuses:
expressions figurées, tirées du physique ou
on les emploie au sens propre, pour designer
la lumiere, ses effets et ses degrés. Vers le
declin du jour, la lumiere decroit, et a la
fin succede l'obscurité qui s'acroit en
progression. Si on lit a la fenetre, on voit
disparoitre a ses yeux ce qui servoit a distin=
guer les caracteres; bientot on ne distingue
plus les petites lettres, puis les grandes, puis
les lignes; enfin l'obscurité triomphe,
<44v> on ne voit plus rien sur son livre; on ne reco=
noit plus dans sa chambre les personnes et
les objets: A la pointe du jour, on voit la
lumiere s'accroitre progressivement, on distin=
gue d'abord les objets voisins, ensuite l'on
demele ceux qui sont plus eloignés; enfin on dis=
tingue jusques a leurs parties en detail.
Tout ceci peut etre transporté aisement
du physique au l'Intellectuel.
IDEE CLAIRE ET OBSCURE.
Si une idee ne suffit pas pour nous faire recon=
noitre son objet et le distinguer de tout au=
tre, c'est une idee obscure : dans l'etat de som=
meil ou d'yvresse ou l'on ne peut distinguer
aucun objet, les idées sont absolument
obscures. Mais si une idée sera appellée
claire lorsquelle suffira pour nous faire
chaque fois reconnoitre et distinguer son
objet, lors quand même nous ne pourrons
nous representer et exprimer separement
ces marques auxquelles nous le reconnois=
sons, parce que nous ne les appercevons
que obscurement, comme en bloc et
pele mele.
IDEE DISTINCTE ET CONFUSE
Que si nous pouvons nous representer et ex=
primer separement les caracteres, parce
que nous avons des idees claires de chacun d'eux
dans ce cas l'idée de l'objet sera claire et
distincte , tandis que dans le cas precedent
elle est etoit claire, mais confuse . On peut com=
parer la premiere a 1 mot biffure l'empreinte nette
d'un cachet sur la cire ou l'on demele tout
les traits; l'autre a une empreinte imparfai=
te ou alterée qui n'offre l'objet qu'en gros
mais et d'une maniere confuse embrouillée.
<45> COMPLETE ET INCOMPLETE
Si nous ne distinguons dans l'objet que quel=
ques marques exterieures qui suffisent pour
le faire reconnoitre dans certaines circonstan=
ces et non pas dans toutes, notre idée quoique
distincte, est incomplete; mais si nous distin=
guons assès de marques inherentes et constan=
tes pour reconnoitre l'objet en toute occasion,
sans le confondre jamais avec aucun autre,
alors nôtre idée sera complete , comme ren=
fermant tout ce qui est necessaire pour le sai=
sir sous toutes ses faces, et nous en donner
une pleine connoissance.
PARFAITE OU ADEQUATE, IMPARFAITE
OU INADEQUATE.
Si de plus nous pouvons encor demeler et exprimer les particularites
propres a chaque caractere distinctif de l'objet
et jusques aux detail même de ces particula=
rités, en poussant l'analyse de la pensée aussi
loin que la nature même des choses permet
de l'etendre, alors l'idée devient parfaite ou
adequate; mais lorsque, par deffaut de con=
noissances de detail, nous sommes forcés de
nous arreter dans le devellopement, sans
pouvoir aller jusques au bout, alors nôtre
idee demeure imparfaite ou inadequate.
Le mot adequate vient de adequare, ega=
ler, et il suppose que l'idée adequate doit
egaler son objet en entier, avec ses attributs,
ses modes, ses relations. L'homme ne peut
se former qu'un petit nombre d'idées ade=
quates, et seulement des objets ideaux qu'il a
composés lui même; jamais il ne sauroit
atteindre a des idees adequates des objets exis=
tans hors delui. On peut dire cependant
<45v> que nos idees peuvent etre sont plus ou moins ade=
quates selon le degré de l'analyse auquel nous
pouvons atteindre.
ECHELLE DE PERFECTION.
Tout comme la clarté physique s'accroit ou
diminue par degrés, il est aussi pour nos idées
une echelle de graduation dans leur clarté
intellectuelle. Elles montent cette echelle, en se
perfectionant, lorsque d'obscures elles devien=
nent claires, de claires distinctes, de distinctes
completes, de completes adequates, plus ade=
quates. Elles descendent cette echelle, en se
deteriorant lorsque elles d'adequates elles
deviennent successivement inadequates,
incompletes, confuses, obscures, plus obs=
cures &c.
Il est des objets sur lesquels le commun des hom=
mes n'ont que des idées obscures et confuses.
Ainsi Ce n'est p. ex.que les Botanistes qui savent
distinguer les plantes, en exprimer les carac=
teres. Mais tous les hommes bien organisés
ont des idées claires de la lumiere, des
couleurs, des sons &c. du plaisir, de la douleur
&c. Toutes les idees simples qui n'existent ja=
mais qu'en totalité, et ne peuvent pas etre con=
fondues les unes avec les autres, sont par
leur nature toutes claires: mais en même temps
toutes confuses parce qu'elles sont indecomposables
et qu'on ne peut distinguer et exprimer les di=
vers caracteres de leur objet, ni les les definir aus=
si et les faire connoitre a ceux qui ne les
ont pas acquises. Les idées composées sont
donc les seules qui peuvent devenir distinc=
tes, entant qu'elles forment un tout ideal
dont les parties peuvent etre separement enoncées
<46> avec clarté et avec ordre, d'une maniere propice
a faire connoitre distinctement leur objet;
comme par ex quand je dis, une montre est une
machine a ressort et a rouages, qui produit un
mouvement uniforme destiné a diviser le
temps qui s'ecoule, en parties egales, et en mar=
quer les divisions sur un cadran par le moien
d'une aiguille.
Il n'arrive que
trop souvent aux
hommes de se
faire illusion
sur la distinc=
tion de leurs idees.
Ainsi p.ex.
Il arrive souvent parce
ainsi que
qu'ils ont des idées
claires, des attri=
buts d'une subs=
tance, ils croient
avoir une idée
distincte de la
substance elle
même, quoiqu'ils
n'aient qu'une
idée très obscu=
re de son essen=
ce reelle. A entendre tous les même leurs discours des hommes, on
croiroit qu'ils ont des idées bien distinctes de tout
ce dont ils parlent: mais ils en sont fort eloi=
gnés: il y regne souvent la plus grande
confusion, faute de soins pour rendre leurs
idees distinctes, et s'instruire avant que de ju=
ger et de parler.
IMPORTANCE DES IDEES DISTINCTES ET
COMPLETES.
La Solidité et l'utilité de nos connoissances de=
pendant de la verité de nos jugemens, comme
celle ci depend de l'exacte conformité de nos idees
avec les objets, il est manifeste que les idées incom=
pletes et plus encor les confuses, les obscures,
ne nous offrent qu'une lumiere fausse et trom=
peuse qui nous meine inevitablement a l'er=
reur. Pour bien juger de chaque objet, de ce
qui lui convient ou ne lui convient pas, clai
rien de plus essentiel que de s'en former des
idées distinctes et même completes autant
que la nature des choses et des circonstances
peut le permettre.
Il s'agit par ex: de savoir resoudre cette question:
un souverain est il moins clement lorsqu'il
punit le crime, un Pere moins bon lorsqu'il
prend chatie un fils indocile? Si je n'ai qu'une
idee incomplete et confuse de la clemence
et ou de la bonté, si je me la represente en gros com=
me une disp faculté a accorder a chacun tout
<46v> ce qui peut lui plaire, si j'envisage la punition
sous l'unique point de vue d'un mal doulou=
reux pour celui qui l'endure, et auquel il repugne,
sur le rapport de ces idées, je jugerai tout natu=
rellement qu'on ne peut etre bon et clement
et en meme temps chatier et punir.
Que si par contre je me represente le chatiment
comme un remede desagreable, mais necessaire,
pour guerir un fils d'une maladie dangereuse,
l'action de punir comme une operation dou=
loureuse, mais necessaire pour retablir ou main=
tenir l'ordre et rappeler les citoiens au Devoir,
si je puis comprendre que la bonté consiste a
deploier sa bienveillance envers les hommes par
les moiens les plus assortis a leurs veritables in=
terets, et calculés d'après les regles de la sagesse,
dès lors que en rapprochant ces idées distinctes
et completes, je verrai evidemment qu'on peut
etre bon et clement, et en même temps exer=
cer la punition.
Si l'on n'a que des idées confuses et incompletes de
la vertu on est en danger continuel de confondre
la valeur avec l'audace, l'humilité avec la
bassesse d'ame, la liberalité avec la prodigalité,
l'œconomie avec l'avarice, la justice avec la
severité &c. et dès la de se tromper grossierement
dans ses jugemens soit a l'egard des autres, et soit a
l'egard de soi même, et de se croire vertueux
lors même qu'on est vicieux: par la le mal
pourra s'insinuer dans le coeur sous les appa=
rences du bien, on se verra livré au pouvoir
de ses sens et de ses passions, et les moeurs seront
perverties en même proportion que les idées
degenererons.
MOIENS DE LES OBTENIR.
Quiquonque a donc a coeur de connoitre les
choses, d'en bien juger, et d'agir d'une maniere
raisonnable, il ne doit negliger aucun des moiens
qui peuvent contribuer a rendre ses idees distinc=
tes et completes.
<47> Le moien general c'est l'attention, ou les efforts
appliqués de nos sens et de nos facultés pour
saisir tout ce qui peut appartenir a un chaque objet.
S'agit il des objets sensibles, il ne faut pas
courrir rapidement de l'un a l'autre, mais
s'arreter assès longtemps sur chacun pour
en considerer tous les details; il faut l'envi=
sager de tous les côtés, sous diverses positions,
a diverses distances, et a diverses reprises: il
faut consulter plusieurs sens, en redressant
les rapports des uns par les autres: a l'obser=
vation il faut joindre l'usage des instrumens
qui suppleent aux sens, et a tout cela, l'
experiences qui en appliquant les objets les
uns aux autres, les soumettent a une obser=
vation plus attentive et reiterée: combien
d'idées distinctes et completes ne devons nous
pas au microscope, au telescope, au pen=
dule, au prisme, a la machine du vuide,
et tous les instrumens nous a fourni la
physique.
Il est vrai que les objets sensibles echappent
souvent a nos recherches, tantot parce qu'ils
sont ou trop petits ou trop eloignés, ou trop
compliqués et embarassés d'accessoires, pour
que nous puissions en demeler tous les de=
tails; tantot parce que les objets ou les Phe=
nomenes s'echappent trop vite a nos obser=
vations et ne reviennent pas assès souvent,
ou ne sont pas assès en nôtre pouvoir, pour
que nous puissions les soumettre a un exa=
men opiniatre; tantot parce que nous ne
pouvons les 1 mot biffure mettre a differentes positions
pour faire la dessus des experiences assès diver=
sifiées; tantot parce que ces objets sont en trop
grand nombre, et sujets a trop de changemens
successifs, qui nous offrant chaque jour de
nouvelles determinations, derangent sans cesse
<47v> les idées que nous nous en etions formés, et la
classification a laquelle nous les avions rap=
portés.
S'agit il d'objets ideaux, il est plus aisé de nous
en former des idees distinctes et completes: encor
cela est il difficille, quand il se presente beau=
coup de choses a distinguer, que les caracteres
distinctifs sont comme entrelacés, ou que l'idée
principale est envelloppée d'accessoires qu'il
faut ecarter avec soin pour penetrer jusqu'a
elle.
Le 2e moien c'est de repasser souvent sur les
caracteres distinctifs des objets pour n'en lais=
ser echapper aucun, en joignant toujours
a cela la contemplation qui nous tient fixés
longtemps sur chaque objet pour en rappeller
tous les details, avec des idées claires de tous
les caracteres qui nous mettent en etat de
les anoncer exactement et sans confusion.
Il importe surtout d'emploier la compa=
raison de chaque objet avec d'autres qui offrent
quelque analogie, pour voir ce qu'ils ont de
commun, et quelles sont les circonstances
accessoires qu'on peut mettre de côté, pour ne
retenir que ce qui appartient reellement
a l'objet au premier.
Le 3 moien, c'est la composition de l'idée
totale de chaque objet, s'il s'agit d'un objet
sensible, il faut lier chacune des idées des
caracteres distinctifs a un signe correspondant
et imprimer dans sa memoire le souvenir
de chacune de ces idées avec son signe: ensuite
il faudra les rassembler en une seule notion
totale qui sera associée a un terme conve=
nablement choisi pour la reveiller toute
entiere au besoin: mais on liera ces idées par=
tielles dans un certain ordre ou1 mot biffure l'on se
reglera moins sur celui dans lequel elles se
seront presentées a l'ame, que sur leur liaison
<48> et leur dependance naturelle qui fait que l'une
determine l'autre, selon une certaine serie.
Ici on se rendra attentif a la classification des
objets qui en determine lessence, l'espece, &c
pourvu qu'il conste que cette classification ait
ete faite d'après des observations exactes et des
resultats bien deduits.
Quant aux objets ideaux, il faut former
aussi une idée totale associée a un mot qui
rappelle tout l'ensemble; mais il faut 1 s'assu=
rer que les idées partielles sont compatibles en=
tr'elles; 2 se les representer separement pour
les rendre claires 3. les comparer pour voir
celles qui determinent les autres: 4 les arranger
selon ce rapport: enfin suivre la classifica=
tion qui en indique le genre, l'espece, l'essen=
ce qui est ici bien connue. Par la on arrivera
surement a la distinction et la perfection
de la pensée.
4o La pensée une fois composée devra etre
frequemment rappellée et surtout decom=
posée, analysée; ou reduite en ses parties prin=
cipales enoncées en termes clairs et precis. Les
idées se presentent ordinairement a nous
comme des Tableaux confus: l'analyse seule
peut y ramener la distinction:
Ainsi je veux me former une idée distincte et
complete de ma montre, je me rends d'abord atten=
tif aux caracteres: c'est un corps rond, porta=
tif, les dehors m'offrent du metal, du verre: sous
celui ci je decouvre un quadran avec 12 divi=
sions marquées en chiffres, une aiguille qui
tourne autour d'un pivot d'une maniere uni=
forme pour marquer les heures; j'ouvre l'in=
terieur et je trouve un balancier, des roues
engrenées, qui par les armées de dents qui se font tour=
ner l'une l'autre, une fusée conique tirée
par une chainette qui est tirée elle même
<48v> par un barillet dont la force est due a un
ressort envelloppé qui, en se debandant, par
son action imprime le premier mouvement
a tout ce mechanisme. Tels sont les caracteres
separés qui sont actuellement presens a mon
Esprit chacun avec son nom: mais jusques ici
je n'ai suivi dans mon enumeration que l'ordre
dans lequel ils se sont presentés a moi; pour
en composer une idée totale, il faut que je les
rassemble, que je les dispose, que je les articule dans
un ordre qui reponde a leur liaison et leur de=
pendance naturelle; et je dis la montre est une
mechanisme enfermé dans une boite de metal
portatif, et dont le premier mobile est un ressort
envelloppé dans cette 1 biffure qui par la force
avec laquelle il se develloppe, fait tourner un
barillet, lequel tire une chainette qui fait
tourner une fusée conique dont le mouve=
ment se communique a une grande roue,
de celle ci a une seconde, a une 3. a une 4;
d'ou, a l'aide d'un balancier, depend la
revolution reguliere d'une aiguille sur un
cadran pour diviser le temps en heures.
Je veux avoir une idée distincte et complette
d'une action libre, je me rend attentif a ce qui
1 mot biffure s'est passé chès moi quand j'ai fait une telle action,
c'est moi qui ai remué le bras, &c. je ren'ai eprouvé au=
cune contrainte, je me suis decidé moi même,
j'ai examiné, deliberé, ma volonté s'est determi=
née, et celle ci a mis en jeu mon activité; ces
caracteres ainsi enoncés, j'en compose mon
idée totale, et je dis une action libre est celle
ou se deploie un concours de mon Intelligence,
de ma volonté, de mon activité, pour produire
au dehors un certain effet 1 mot biffure sans aucune
contrainte exterieure.
Je cherche a me former une idée distincte et
complete du vol; je rassemble d'abord des faits
analogues pour en extraire des caracteres
<49> communs dont la notion doit etre composée.
On a pendu un tel jour, a tel endroit, un
homme qui a fait ouverture forcée a la bou=
tique d'un joiallier pour enlever des joiaux
precieux qu'il a vendu a un Juif. Ailleurs on
a fustigé publiquement un homme qui s'etoit
introduit dans un grenier a diverses reprises,
de nuit, pour y enlever des provisions. Dans
un autre lieu on a emprisonné un jeune hom=
me pour avoir escaladé un jardin, pris
des fruits &c. Dans ces faits je demele d'abord
diverses circonstances accessoires que je dois
mettre de coté pour m'en tenir a certaines
circonstances communes a tous ces faits.
qui en sont envellopés dans les autres
Qu'elles sont elles? un homme mal inten=
tioné, qui enleve a un autre, des choses qui
lui appartiennent, a son inscu et contre
son gré, et par la se rend coupable d'une
injustice punissable. avec ces caracteres
enoncés par ordre je compose une idée
totale du vol.
Si je poussois plus loin l'analyse des carac=
teres distinctifs, et jusques aux idées elemen=
taires, j'arriverois a des idées absolument adequates; mais
il ne nous est pas donné de pousser l'analy=
se si loin par rapport aux objets sensibles,
dont nous ne saurions penetrer l'interieur,
et qui nous offrent encor tant de mysteres,
ni même par rapport aux objets ideaux dont
nous ne saurions nous former des idees il
nous est comme impossible de nous retra=
cer tout a la fois l'essence, les proprietés, les
modes, les relations &c. d'ailleurs il suffit
a nôtre instruction, pour l'ordinaire, d'avoir
des idées assès distinctes pour nous représenter
exactement les objets dans leurs rapports
a nos besoins, et nous mettre en etat d'en
porter des jugemens vrais. L'essentiel est
<49v> que nous nous comprenions bien nous mê=
mes et que nous nous rendions bien intelli=
gibles aux autres: deux choses qui vont ordi=
nairement de pair; que nous saississions
si bien le rapport de nos idées que nous puissions
nous assurer que nous ne nous trompons
pas dans nos jugemens, et que nous nous
exprimions assès nettement pour nous con=
vaincre qu'il ne tient qu'aux autres de voir
les choses comme nous. Nôtre position ne
permet gueres autre chose dans le cours
ordinaire de la vie humaine.
Si la plupart des hommes n'ont que des idées
incompletes, confuses, et faut l'attribuer a
la paresse, au deffaut manque d'attention, de compa=
raison, d'analyse, surtout de reflexion aux
facheuses consequences de ces deffauts, qui
sont la principale source de leurs erreurs.
Joignés y l'indifference pour les plaisirs
delicieux de la verité attachés a la connois=
sance de la verité, qui leur fait preferer
une lueur foible et incertaine dont il ne
peut resulter qu'egarement et desordre. Il
ne faut pas oublier l'influence des passions
qui ne fixe leur attention sur les objets que
pour les leur faire envisager du côté le plus
favorable a leurs mouvemens, et les empe=
chent de voir les choses telles qu'elles sont en
elles mêmes.
Rien donc n'est plus essentiel que de se tenir
en garde de bonne heure contre de pareils
deffauts, et de premunir les jeunes gens
contre eux, avant qu'ils en aient pris l'ha=
bitude. Pour cela, il faut les exercer sur des
objets a portée de leur observation, et qu'une
trop grande apcomplication ne rend pas trop
difficilles a saisir; il faut les interroger
<50> souvent sur les marques auxquelles ils les dis=
tinguent et les raisons amener a la connois=
sance de leur classification et a des defini=
tions exactes: les idées de l'etendue figurée
et du nombre, sont plus a leur porté et leur
montrent d'une maniere plus sensible combienment
la moindre inadvertance peut entrainer
une longue suite d'erreurs.
On oublie aisement ce a quoi on pense rare=
ment, ou qu'on a perdu de vue: les idées
les plus completes peuvent par la devenir
a la fin très obscures. Combien de gens qui
pour avoir beaucoup vu et lu, sans s'etre
donné la peine de se le rappeller de temps a
autre, a la fin confondent tout, ou après
avoir appris plusieurs langues finissent
par les brouiller toutes. Rien n'est donc
plus essentiel que de se rappeller souvent ses
idées, les transcrire en abregé, les classifier
avec soin: mais toujours en observant
de ne pas s'embarasser par trop d'objets a la
fois. Rien de plus utile aussi que de les
communiquer: en enseignant on decou=
vre souvent qu'on ne connoit point exacte=
ment ce qu'on croioit le mieux connoitre; et
on sent la necessité de le rapprendre de nou=
veau. Mais pour 2 mots biffure et en gene=
ral pour en perfectioner ses idées, il faut surtout
apporter beaucoup de eviter avec soin1 mot biffure
les inconveniens qui resultent de l'abus
de Langage. C'est ce dont nous allons
nous occuper.
<50v> CHAPITRE X.
Des signes de nos idées ou des mots:
NECESSITE DES MOTS
L'usage des mots dont nous avons deja parlé
(Anthropologie, sect. 1. ch.) est absolument neces=
saire a l'homme pour penser, soit qu'il s'agis=
se de fixer dans son Esprit des idées elementai=
res et de les rappeller, soit qu'il s'agisse de les re=
duire en idées composées, et de conserver celles ci
dans 1 mot biffure leur totalité, soit qu'il soit appellé et de
les analyser celles ci dans l'occasion pour rendre chacune d'elles
distincte et complete. Il est encor plus neces=
saire pour entrer en commerce avec sesnos sem=
blables par une communication reciproque
de lumieres, et de secours dans leursnos divers
besoins. Mais l'emploi des mots a ce double
but ne peut sortir son effet que sous certaines
conditions et avec certaines precautions qui doivent lui servir de
regles.
CONDITION ESSENTIELLE A LEUR
USAGE.
Les mots sont des signes dont l'usage s'est intro=
duit parmi les hommes par une suite de l'im=
pulsion de la nature qui leur en a fourni les
elemens (1. Anthrop. S. II. Ch. 1.) Mais les hom=
mes qui les emploient reflechissent très peu
pour la plupart a leur formation originai=
re, et n'en connoissent gueres la valeur que
par l'usage qui la fixée. Usage d'ailleurs
souvent asses vague
et incertain et
peu 1 mot biffure deter=
miné dans l'esprit
de bien des gens
qui se piquent
de bien parler. De la vient qu'ils les
proferent les mots ou les entendent prononcer très
souvent sans connoitre leur veritable signi=
fication, et par la s'eloignent entierement du
but auquel ils sont destinés. Pour repondre
au but du Langage, la condition essentielle
est donc que celui qui parle ou ecrit ait des
idees claires et determinées du sens des mots
qu'il emploie, et qu1 mot biffure ou qu'il se comprenne
<51> bien lui même, et que ces mots reveillent dans
l'Esprit de celui qui ecoute, ou qui lit les
même idées que le premier avoit actuelle=
ment dans le sien, ou qu'il l'entende et le com=
prenne .
Si un mot exprime une idée simple, il faut
pour qu'il le comprenne, qu'il ait lui même
cette idée, qu'un mot prononcé ne peut
communiquer a celui qui ne l'a point en=
cor acquise. Si un mot exprime une idée
composée, il ne sauroit l'entendre, sans se
rappeller dans ce moment cette idée d'une
maniere claire. 1 mot biffure distincte Le concert pour
se rappeller avec des mots les mêmes idées
de part et d'autre, depend ainsi de l'usage
qui en a bien fixé le sens, et c'est sous ce seul point
de vue seul, qu'on peut dire, verba valent
usu. Mais pour que celui qui ecoute ou comprenne bien celui qui parle
qui litou
ecrit, il faut qu'il soit sur que ce mot ne
puisse avoir dans l'Esprit de celui ci aucun
autre sens que celui qu'il a lui même dans
le sien, et l'on indiquera dans la seconde
partie de la Noologie, les moiens d'obtenir
cette certitude.
PRECAUTIONS POUR RENDRE SON
DISCOURS INTELLIGIBLE D'EVITER LES
MOTS VUIDES DE
SENS
Pour ramener les mots a un usage regulier
qui les rende toujours le discours intelligi=
ble, et pour soi et pour les autres, il faut d'a=
bord que celui qui parle n'emploie aucun mot
sans y attacher une idée determinée que ce
mot puisse transmettre telle a celui qui
ecoute. sans quoi 1 mot biffure celui ci 1 mot biffure n'enten=
dre point celui la. Il y a cependant dans
toutes les Langues des mots auxquels ceux
qui les emploient croient attacher aux idées,
quoique reellement ils n'en attachent aucunes
comme quand on dit, le malheur m'en veut,
le jeu ne m'aime pas &c. Ne voit on pas
<51v> même des savans inventer et accrediter des mots
vuides de sens, qu'on peut appeller de vains sons?
Les auteurs a paradoxe n'ont ils pas souvent
recours a de tels mots pour cacher quelques en=
droits foibles de leurs Systhemes? On peut ain=
si appeller mots vuides de sens ceux qui n'ex=
priment que des idées deceptrices, chimeriques,
1 mot biffure ces termes universels qu'on emploie pour
exprimer comme s'ils exprimoient une idee particuliere qu'on croit avoir
et qu'on n'a point. Observons cependant que
certains mots dans la bouche d'une personne
peuvent etre vuides de sens, tandis que d'au=
tres les emploient dans un sens fort deter=
miné. Ainsi les mots d'attraction et de repulsion
qui etoient vuides de sens dans le jargon des
scholastiques, ont eu un sens très determiné
dans l'usage qu'en a fait Newton, parce
qu'il a declaré qu'il ne 1 mot biffure les emploioit que
pour exprimer un Phenomene, une Loi,
ou tout au plus une cause inconnue a la=
quelle on pouvoit donner un nom, en atten=
dans quelle fut decouverte.
LES MOTS OBSCURS
La 2e regle, c'est qu'il ne faut emploier au=
cun de ces termes obscurs qui ne peuvent reveiller
que des idées obscures, pour mais toujours des
termes clairs qui par eux mêmes sont pro=
pres a reveiller des idées claires, ou a faire
comprendre clairement ce qu'on veut dire. Com=
bien de fois n'a t on pas emploié et même a des=
sein,des termes obscurs, tantot pour repandre
comme un nuage sur certaines 2 mots biffure idées
foibles d'un Systheme, tantot pour se faire
une reputation d'homme profond, tantot
pour soutenir et prolonger des disputes,
ou se preparer des echappatoires pour eluder
la force victorieuse des argumens?
<52> Il est vrai que des mots peuvent etre clairs pour
celui qui a une idée claire du sens qu'il faut
y attacher, et obscurs pour celui qui n'en a qu'une
idée obscure. De ce qu'on a peine a comprendre
une personne, il ne faut donc pas en conclure
toujours qu'elle n'a pas elle même des idées claires
de ce dont elle parle, comme aussi on ne doit pas
conclure de ce qu'on a soi même une idée claire
de ce qu'on veut dire que ceux a qui l'on parle
comprennent 1 mot biffureclairement ce qu'on leur dit.
Combien cependant de Lecon pour ces disciples qui rejettent
très mal a propos sur leurs Maitres une obscu=
rité d'expressions qui vient uniquement de
leur faute? comme de Lecon pour ces Maitres aussi qui con=
tens de s'entendre eux mêmes ne se donnent
que peu ou point de peine pour se faire enten=
dre de leurs disciples! et qui perdent par la tout Les termes absolu=
les fruits de leurs lecons
ment obscurs devroient toujours etre bannis
des discours; mais par rapport a ceux dont la
clarté peut dependre des personnes et des circons=
tances, ceux qui veulent instruire et ceux qui
veulent etre instruits, ne doivent rien negliger
pour se les rendre clairs et intelligibles.
Regle pour les mots equivoques.
Pour etre s'entendre reciproquement, il faut em=
ploier les mots conformement a l'usage; mais
souvent l'usage même est defectueux, et les Lan=
gues ont en elles mêmes des deffauts qui peut 1 mot biffure
jetter dans l'erreur. Il 1 mot biffure n'est aucune Langue ou la
plupart des mots n'aient plusieurs significa=
tions, sens originaire, derivé, propre, impropre ou
c'est a qui on a de c'est une suite de la necessité
ou l'on s'est vu, en les formant, d'eviter la trop
grande multiplication des signes, comme aussi
l'effet naturel des vicissitudes que l'usage a eprouvées succes=
sivement; d'ou sont resultés une foule de chan=
gemens <52v> dans les collections d'idées que chaque
mot etoit destiné a rappeller, tantot par addition
tantot par detraction, tantot par substitution.
En general on a cherché plutot la commodi=
té qu'une grande exactitude, et pour soulager
la memoire des hommes, on s'est etudié a lui
epargner la surcharge des mots, en appli=
quant ceux ci a la sign le meme mot a divers objets de la pen=
sée.
Il n'en est pas moins vrai que la diversité des signi=
fications attachées a un même mot, peut nuire
a la clarté du discours par l'embaras ou elle met
celui qui ecoute de savoir dans quelle de ces signi=
fications celui qui parle a pris le mot; a qui doit
il peut aussi naitre de la des disputes pernicieu=
ses aux interets de la verité, en ce que les memes mots
sont emploiés de part et d'autres pour exprimer
des choses toutes opposées, et entendues par cha=
cun dans le sens le plus concordant avec sa
façon de penser. De la ces disputes sur le sou=
verain bien, l'amour de la gloire &c. et je ne
sai combien de Logomachies qui ont fait tant
de bruit. Ou mots
Ces mots a double sens, ont été appellés Equivoques.
Souvent la difference des choses designées par
ces mots est si sensible qu'il n'en peut resulter au=
cune meprise, comme quand on dit, l'air que
nous respirons, l'air d'une personne, se donner
des airs; le chien animal, le chien constellation,
le chien d'un fusil &c. Il en est de même des
mots voir, entendre, sentir &c. qui expriment tan=
tot une sensation exterieure, tantot un acte
de l'Esprit. Mais Souvent aussi le même mot ex=
prime des choses differentes, mais qui ont entr'elles
un certain rapport d'analogie qui peut l'exposer
au danger, de les confondre entr'elles, et de tom=
ber dans l'erreur. Ainsi p. ex: le mot chaleur
signifiant egalement un etat que nous eprou=
vons, et la cause qui nous le fait eprouver,
<53> il n'en a pas fallu d'avantage pour faire
dire et croire que le feu avoit de la chaleur.
On pourroit citer nombre d'equivoques
d'autant plus nuisibles qu'elles sont plus dif=
ficilles a demeler pour ceux qui n'y apportent
pas le discernement convenable.
Il est donc indispensable d'emploier les mots
avec precaution, d'eviter ceux dont l'equivoque
pourroit etre difficille a demeler, et lorsqu'on
se voit comme forcé de les emploier de lever
l'equivoque , 1 mot biffure et pour oter a l'auditeur 1 mot biffure ou au lec=
teur tout embaras et 1 mot biffure, en
donner une definition, qui determine avec
precision le sens qu'on y attache, et qu'on veut
y attacher invariablement dans son dis=
cours.
LES MOTS VAGUES ET INTEDERMINES.
On appelle vagues et indeterminés des mots
qui expriment, selon l'occasion, tantot une chose,
tantot une autre, ou une même chose prise avec
plus ou moins d'etendue. Tels sont est p. ex: le mot
monde; ce mot signifie tantot l'univers, tan=
tot le globe terrestre, tantot les corps terres=
tres, tantot les hommes, quelquefois l'etat des
choses humaines actuel d'autrefois l'etat
present joint au passé et au futur. Dans
Dans ce cas, il n'est pas difficille, de distinguer les divers
sens, mais dans d'autres cas, cela est plus dif=
ficille, comme quand il s'agit des mots neces=
sité, Esprit, Maison (Voies Sect. II. ch. XIV.)
Tout ce qu'on a dit des mots equivoques peut
s'appliquer aux termes vagues et indetermi=
nes; si l'on est forcé de s'en servir, et surtout
qu'il y a ait lieu de craindre qu'on ne confonde
les sens, il faut determiner avec soin qu'elle
est la signification qu'on est resolu de leur
attacher dans la suite du discours: cela
n'est jamais plus necessaire que dans les ouvra=
ges importans et d'une nature a demander
toute l'exactitude possible.
<53v> SYNONIMES
Il y est
Il y aussi dans toutes les langues des mots
tres differens, qui semblent avoir la même
signification; on les a appellés synonimes.
Ils doivent leur naissance a la varieté des
tours d'Esprit chès les hommes qui leur a
fait donner a la même chose differens noms
assortis aux diverses idées qu'ils en ont
pu s'en formé 1 mot biffure et aux diverses faces sous lesquelles
ils l'ont envisagée: a quoi on peut joindre
l'influence de diverses circonstances du
melange de peuples et de langues, del'introduc=
tion de formules nouvelles, des révolutions
politiques, des gouts nouveaux ou 1 mot biffure
&c. Il est bon d'observer ici 1o que cela cela a pu depen=
a pu se faire sans multiplier 1 mot biffurele nombre
des mots
dre aussi de diver=
ses circonstances
qui ont influencé sur
le sort des langues,
telles que le mélan=
ge des peuples, les=
revolutions poli
tiques, l'introduc=
tion de formules
nouvelles, de gouts
nouveaux &c.
L'on doit observer que quoique ces mots convien=
nent entr'eux dans une signification 1 mot biffure
principale, ils different tous les uns
des autres dans ce qu'on appelle l'accessoire,
ou certaines idées ajoutées dans chacun a
la precedente, qui se tirent ou des circonstances
qui accompagent l'objet principal, ou des
diverses faces sous lesquels on l'envisage, ou
des jugemens qu'on en porte. C'est ce que nous
voions dans les mots fugue, evasion, rapid,
meurtre, brigandage, assassinat, &c. voleur,
larron, fripon, filou &c. prendre, saisir,
s'emparer, piller, voler &c.
L'usage de ces mots n'etant pas toujours bien exac=
tement determiné, ou n'etant que peu ou
point connu de ceux qui les emploient, il
arrive souvent ou qu'on leur rattache a tous
la même idée, ou que l'un leur attache une
idée , accessoire et l'autre une autre, 2 mots biffure
1 mot biffure ceux sur les idees accessoires et que ces mots
se trouvent ainsi dans le cas des mots equi=
voques et indeterminés, il en resulte 1 mot biffure de 1 mot biffure
frequens mesentendus. Cela etant on ne
poura se dispenser, en les emploiant, si l'on
<54> soubsçonne quelque danger de confusion, d'aver=
tir, ou qu'on les prend exactement au même sens
ou qu'on attache a l'un telle acception parti=
culiere, a l'autre telle autre, dans les applica=
tions qu'on en fait. D'ailleurs l'emploi des Sy=
nonimes ajoutés l'un a l'autre dans le discours,
peut avoir ses utilités pour soutenir l'atten=
tion de celui a qui l'on parle sur le même
objet consideré sous diverses faces, et par
la lui en donner une idée plus distincte et
plus etendue: mais le plus souvent l'accumulation
des Synonimes n'est qu'un entassement de
mot inutile et vicieux.
PROPRES ET FIGURES
Tous les mots ont un sens originaire et propre
appl par lequel ils ont été appliqués a quelque
objet sensible. La necessité, ainsi que l'orne=
ment du discours, les a conduit les hommes
a emploier la plupart de ces mots dans un sens derivé et
impropre pour exprimer quelque autre ob=
jet sensible ou non sensible, qui pouvoit avoir
quelque analogie avec le premier. Des mots
transportés ainsi du Physique a l'Intellectuel
ont quelquefois été tellement restreints a ce
dernier qu'on est venu a les regarder comme
pris au sens propre: tels sont chès les Geometres
les mots arc, corde, segment &c. et en Meta=
physique, les mots comprendre, reflechir &c.
Ainsi des termes impropres avec le temps ont
passé dans la classe des termes propres, soit
parce que leur sens primitif a cessé d'etre en
usage, comme les il est arrive aux mots mystere, sacrement;
1 mot biffure soit parce qu'ils ont été appliqués a tel objet qui
ne pouvoit avoir dans le avoir de nom propre tire du langage humain,
aucun nom propre ainsi que le c'est pour 1 mot biffure que les supposent
les Theologiens supposent quand ils disent que
J. C. est appellé fils de Dieu dans le sens pro=
pre. Mais il est arrivé aussi très souvent que
les hommes sans s'assujetir ni se borner aux
termes impropres dont la Langue a determiné
<54v> l'usage, ou ce qu'on appelle figures communes
ont fait servir les mots a chacun a sa maniere
pour exprimer de toutes autres idées que celles que
l'usage avoit fixées, chacun suivant sa mani=
ere de voir et de saisir les analogies, et de la
sont nées une foule de figures qui dependent
du choix ou du caprice des Orateurs. Com=
bien d'images ou de tropes ne leur ont pas
fourni les mots de feu, de chaleur, de lumiere de fleuve,
de torrent, de miroir &c.
Ces termes figurés ou metaphoriques sont sujets
aux memes inconveniens que les termes equivo=
ques, vagues et indeterminés, puisqu'ils sont em=
ploiés a signifier toute autre chose que ce qu'ils
signifient naturellement; d'ailleurs ils ne reveil=
lent aucune idée bien nette, puisqu'ils n'an=
noncent qu'une certaine analogie, souvent
eloignée, entre deux objets, sans faire connoi=
tre en quoi elle consiste. on entrevoit ce que
l'orateur a voulu exprimer mais on ne
s'auroit 1 mot biffure souvent l'anoncer avec precision.
Ainsi lorsqu'il est essentiel de presenter des
idees distinctes, comme lorsqu'on enseigne,
ou qu'on negocie quelque affaire importante,
il faut ecarter avec soin les termes figurés,
et s'en tenir aux sens propres determinés par l'usa=
ge ou les definitions. 1 mot biffure De la vient que les Philosophes qui
ont voulu eclairer n'ont ils adopté de la
Rhetorique que ce qui sert a mettre dans
le discours de l'ordre et de la netteté, aban=
donnant tout le reste a ceux qui cherchent
moins a eclairer qu'a plaire, toucher ou
amuser. C'est tout au plus
s'ils ont emploié
quelques images
tirées des choses sen=
sibles, lorsqu'elles
pouvoient, par
quelque analogie,
repandre du jour
sur le sujet, com=
me on l'a vu par
rapport aux idées
claires. Quand il s'agit d'un discours ora=
toire ou peut l'on cherche a flatter l'oreille,
l'imagination, a reveiller des mouvemens,
l'on peut sans doute emploier le style figuré; mais encor faut
il que les figures soient très justes, menagées
avec beaucoup d'art et d'une maniere qui ne
nuise jamais a la precision et la clarté
du discours.
<55> On peut rapporter ici certains mots dans lesquels
l'usage a ajouté a l'idée principale quelque idée
accessoire qui n'est point naturellement liée avec
elle; d'ou il est arrive que ces mots signifient
plus ou moins selon les circonstances du temps,
du lieu, du ton, du geste, et qu'ils passent tan=
tot pour honnetes et decens, tantot pour gros=
siers, tantot pour badins, tantot pour mor=
dans &c. Il importe de connoitre et de savoir
demeler et appliquer a propos, ces diverses
nuances.
REGLES PAR RAPPORT AUX TERMES
D'ART.
Il est des mots qui 1 mot biffureen eux mêmes et dans
leur signification ne sont point autorisés
par l'usage: on les appelle inusités, quelques
fois même barbares. Il faut s'en abstenir
s'il on veut etre entendu.
Mais ici il faut distinguer un usage civil
determiné par la maniere de parler commu=
ne, et ordinaire, et un usage Philosophique
reçu parmi les Philosophes dans leurs dis=
cours. sur les Sciences et les arts.
Le caractere des personnes d'ou depend l'usage
civil, les besoins et les interets dont elles s'occu=
pent, ne demandent et souvent ne permettent
point une si grande exactitude dans l'emploi des
mots, dans leur choix, et la maniere de s'en
servir. Leur education est pour l'ordinaire
trop negligée, leur 1 mot biffure pour l'instruction trop
relaché, leurs idées sont trop peu concordantes,
pour qu'on doive s'attendre de leur part a une
constante regularité dans le discours, dont
ils ne sentent pas meme la necessité de pression, et ou en
seroit-on, dans le commerce de la vie, s'il falloit
sans cesse eplucher minutieusement tous les
mots dont on se sert?
<55v> Mais l'usage philosophique demande une
exactitude rigoureuse. Un Philosophe doit
toujours parler un langage intelligible, clair,
precis, determiné, et se servir des mots selon
leur vraie signification; il ne doit point meme s'ecar=
ter de celle que l'usage a fixé, sans y etre
forcé par quelque necessité urgente, car a quoi
bon 1 mot biffure se distinguer par des expressions nou=
velles, singulieres, qui 1 mot biffure n'abouti=
roient qu'a donner aux autres la peine de
se familiariser avec des mots nouveaux, ou
avec de nouvelles significations.
Mais Cela n'empeche pas que le Philosophe
ne puisse et ne doive affranchir son style de tous les
mots defectueux qui se trouvent repandus
dans l'usage civil 1 mot biffureQue s'il est forcé de s'en
servir, qu'il ne 1 mot biffure Il est oblige du moins de fixer la signification=
qu'il leur donne actuellement par une defi
nition exacte, Et nous meme lorsqu'il a a exprimer des=
idees d'une combinaison nouvelle, qu'il il
est incontestablement en droit ne lui soit permi, d'appeller a son aide
des mots qui n'ont jamais eu de cours.
A des idées qui ne n'ont point encor été
mises au jour, il ne sauroit appliquer
des termes vulgaires, sans donner dans
quelque equivoque, qui pourroit occasio
ner des meprises et de la confusion, 1 mot biffure=
par Tous les experts dans les arts ou Sciences,
emploient des termes d'art pour exprimer
des idees qui sont pour eux d'un usage parti
culier. Pourquoi le Philosophe ne pourroit=
il pas en emploier aussi lorsqu'il a a enoncer
des idées qui ne sauroient etre rendues exac
tement par aucun des 1 mot biffure usités et ou s'il est forcé
dans ordinaires.
d'y recourir, il est
de son devoir, d'en
fixer la significa=
tion par quelque
definition exacte.
Mais dans les cas ou il a ex=
primer des idées
d'une combinaison
nouvelle, ou qui est
sauf pour lui d'un
usage particulier,
et qui ne sauroit
etre rendue par
aucun terme ordi=
naire, il a incontes=
tablement le même
Droit que tous les
experts dans les
arts, d'appeller a
son secours des
mots qui n'ont ja=
mais eu de cours
qu'on appelle ter=
mes d'art ou tech=
niques, puisqu'il
ne sauroit en em=
ploier d'autres
sans donner lieu
a l'equivoque, la
confusion et l'er=
reur. Les abus que la Philosophie
Scholastique a fait des termes d'art ne
prouvent point qu'ils doivent etre interdits a
ceux qui savent eviter ces abus et tirer
<56> parti de ces termes pour 1 mot biffure exprimer ce qu'ils
veulent dire avec plus de precision. et d'une ma=
niere qui rende les choses plus sensibles Supposés
en effet qu'il fallut exprimer une idée hors de l'usa=
ge commun par un terme vulgaire, dans ce cas,
il faudroit eloigner de celui ci l'idée commune
pour y en substituder une nouvelle, ce qui ne
pourroit etre que très difficille et incommode; ou
il faudroit recourir a une periphrase, une
serie de mots correspondant aux idées partielles
de la nouvelle idée, ce qui seroit plus embarassant
encor et etraineroit des longueurs très fastidi=
euses. Pour prevenir de tels embaras on a com=
prit dans tous les temps que lorsqu'il s'agit 2 mots biffure
1 mot biffure toute nouvelle le plus court etoit
d'inventer quelque terme nouveau propre
a en reveiller l'idée, et on n'y a trouvé aucun
inconvenient, tant qu'on a pris soin de bien
determiner le sens du mot et le prendre dans
ce sens d'une maniere invariable.
TERMES FAMILIERS
A force de repeter ou d'entendre repeter le même
mot, on peut se le rendre extremement familier
ou en lui même, cad. contracter la plus grande fa=
cilité a le rappeler et le reconnoitre pour le mê=
me qu'on a si souvent emploié et oui, comme
aussi entant que signe de quelque idée, en sorte
que le mot ne se retrace jamais a l'Esprit sans
rappeller promtement l'idée même, 3 mots biffure
ni l'idée, sans rappeller aussi le mot a laquelle
elle est liée.
Mais très souvent il arrive que nous nous ren=
dons très familiers certains mots en eux mêmes
sans qu'ils reveillent chès nous aucune des idées precises
et determinées, et cela ne peut etre autrement
chès la plupart des hommes, qui se familiarisent
de très bonne heure avec un grand nombre de
mots avant que d'avoir pu acquerir les idées
que ces mots doivent signifier. Et voila la vraie
et ou contracter
la plus grande
facilité a le rap=
peller et le recon=
noitre soit en
lui même, soit
comme signe
de telle pensée.
Mais par une suite
ordinaire de la
mauvaise educa=
tion Intellectuelle
qui permet aux
enfans de se fami=
liariser avec un
grand nombre de
mots avant que
d'avoir pu acque=
rir les idées atta=
chees a ces mots.
<56v> raison pourquoi ils emploient tant de mots
sans y attacher de sens, et parlent comme des
Perroquets. Dans l'education Intellectuelle
on se donne peu de peine pour accoutumer les
enfans a lier 1 mot biffure aux mots les idées que
l'usage leur a attachés, et il y a peu d'enfans
aussi qui profitent comme ils le devroient des soins
qu'on prend d'eux a cet egard. Les mauvaises
Lorsqu'on se rend ainsi des termes familiers
sans y avoir attaché des idées precises, on ne
laisse pas de se persuader qu'on y attache un
sens, et par la ils 1 mot biffure produisent autant d'idées trom= il arrive que la plu=
peuses et deceptrices.
part des hommes
se rendent tres fa=
miliers certains
mots en eux memes
et comme sons, et
les emploient a
tout instant sans
y attacher aucun
sens determiné,
a la maniere des
Perroquets, quoi=
que persuadés
d'ailleurs qu'ils
ont bien les idées
que ces mots doi=
vent signifier, ce
qui produit neces=
sairement autant
d'idees deceptrices
et de sources d'er=
reur.
Mais Souvent aussi on a commancé par
attacher a un mot une idée determinée et
distincte, mais a force de le repetter, on fait tou=
jours moins d'effort pour se rappeller cette idée
et l'on y donne toujours moins d'attention. Peu a peu
la familiarité devient telle que le mot tient
en quelque sorte lieu de l'idée et qu'on croit
l'entendre sans avoir besoin de donner au=
cune attention a celle ci, laquelle est rappellée
avec une promtitude si grande qu'elle laisse
a peine a l'Esprit le temps de s'en appercevoir.
Tant que cette promtitude n'excede pas cer=
taines normes, elle est tres utile pour faciliter tou=
tes les pour rassembler
les idées dans leur
integrité en peu
de temps, saisir
promtement les
rapports, et facili=
ter toutes les operations de l'ame; mais elle peut etre por=
tee au point qu'on se contente d'assembler
des mots sans penser a l'assemblage des idées
qui peuvent par la degenerer en idées dispa=
rates, chimeriques, monstrueuses. Les mal arri=
ve est a son comble quand a ces pretendus assem=
blages, ils les hommes donnent des noms qu'ils se rendent
familiers et qui leur otent jusques aux
soubsçon de leur erreur, surtout dans les
cas ou a l'usage de ces termes s'est jointe
une sorte de veneration. Enfin la trop grande
familiarité des mots efface peu a peu les idées
de Esprit, et les fait degenerer en mots vui=
des de sens; n'est ce point la cause pour laquelle
<57> certaines personnes après avoir raisonné long=
temps assès juste, donnent a la fin dans le Gali=
mathias?
Avant que les mots deviennent familiers nous
devons avoir grand soin de n'y attacher que
des idées distinctes. S'il se trouve que certains
mots nous sont devenus familiers avant d'avoir
pris cette precaution, nous devons nous en defier,
et revenir sur nos pas pour nous mettre en
etat d'en enoncer distinctement la significa=
tion: nous devons rappeller celle ci de temps a
autre, et surtout lorsqu'il s'agit de discussions
compliquées qui nous appelle a faire des com=
paraisons et saisir des rapports: il est alors
necessaire de bien definir les mots, et de
mettre la definition a la place du defini.
Lorsque nous entrons en discussion avec d'au=
tres, il faut les engager a faire de même:
SOURCES DES ABUS DU LANGAGE
D'ou vient que la plupart des hommes sont
dans l'habitude d'emploier sans precaution
toutes sortes de mots obscurs, equivoques,
vagues, indeterminés, et souvent vuides de
sens; ce qui occasione tant de meprises,
de disputes, d'erreurs, de sophismes &c. On peut
sans doute rapporter 1 mot biffure ces deffauts a des cau=
ses prochaines, le manque d'attention, la
negligence a se former des idées distinctes,
et a suivre les precautions, que nous avons in=
diquées: mais la cause originaire c'est la
mauvaise education Intellectuelle generale=
ment repandue, qui consiste a charger la
memoire des enfans de mots de tous genres
et même etrangers a leur propre Langue, avant qu'ils
aient pu concevoir aucune des idées que
ces mots doivent signifier, ni même acquis
les elemens dont ces idees doivent etre formées.
<57v> Une telle methode doit inevitablement les ac=
coutumer des l'enfance a prononcer des sons
articulés sans idée, a les emploier sans aucune
attention, a les appliquer hors de propos et
sans choix, a se contenter toujours de mots
vagues et indeterminés. Cette mauvaise habi=
tude ne fait que se fortifier dans le commerce
de la vie, ou il suffit pour les besoins que chacun
puisse comprendre en gros ce dont les autres veu=
lent lui parler, et ou l'on supporte de preference
l'inconvenient de l'obscurité et de l'impression,
plutot que se donner la peine d'attacher aux
mots des idées precises, distinctes, fixes et cons=
tantes, ce qui demande certains efforts peu
favorables a la paresse. Bien parler et bien
penser, sont deux choses dont le commun des
hommes s'inquietent fort peu, parce qu'il n'en
sentent point l'importance, et d'ou pourroit ve=
nir une telle insouciance que d'une mauvaise
education ou l'on n'a appris qu'a se jouer
en quelque sorte des mots, sans tenir au=
cun conte serieux des idees que ces mots
doivent exprimer.
<58v> CHAPITRE XI
De la definition et de la division.
COMMUNICATION DES IDEES.
Les idees simples qui n'offrent ni parties sepa=
rees ni marques distinctes, ne sauroient etre com=
muniquées par des mots a ceux qui ne les ont
pas. Pour donner a quelquun l'idée d'une
quelque sensation, on est reduit a l'exposer a
l'impression même de l'objet dont on a reçu
soi même cette sensation, ou a celle de quelque
autre semblable qui puisse lui faire eprouver
quelque sensation analogue, ou recourir
a la comparaison avec quelque autre sen=
sation qu'il a deja eprouvée, et connue qui pourroit
lui en donner quelque foible idée. C'est ce
qui a fait emploier ces expressions, un ton
doux, une douleur brulante, une haine
rongeante &c.
On ne peut donc communiquer par des mots
que des idées composées et distinctes que l'on
peut resolubles en autant de parties qu'on peut
distinguer de marques dans l'objet. Cette
communication peut se faire par deux
voies, la description et la definition.
DESCRIPTION.
Lorsque nous ne pouvons determiner ni les
propriétés constantes d'une chose, ni son genre
et son essence, nous ne pouvons la faire connoitre
que par une description, ou expression detaillée
des determinations même des determinations
que nous avons sai=
sies, même des variables et acci=
dentelles, comme etant des marques aux=
quelles cette chose peut etre reconnue, et
distinguée de toute autre, s'il s'agit d'une
evenement, ou d'une chose dont les circons=
tances se sont succedées l'une a l'autre, la
description se nomme narration .
<59> Les descriptions sont toujours d'une grande
utilité pour nous faire reconnoitre une chose
aussi longtemps du moins qu'elle demeure
dans le même etat avec les mêmes circons=
tances externes.
DEFINITION NOMINALE
Definir, (de definire, marquer les limites)
c'est exposer les caracteres distinctifs et essen=
tiels d'une chose: la chose s'appelle le defini,
et l'idée qu'on en donne la definition. S'il
ne s'agit que d'un mot dont on veut deter=
miner le sens, la definition s'appelle no=
minale. Mais si l'on veut faire connoitre
une chose exprimée par un mot; elle se
nomme réelle.
En faisant cette distinction, les Logiciens
ont supposé que les definitions de mots
etoient absolument arbitraires, et que cha=
cun a a ce Droit d'attacher aux mots telle
signification qu'il juge a propos, pourvu
qu'il la determine clairement par une
definition nominale. Mais cette supposition
ne s'accorde point avec le principe que nous
avons etabli, que les mots ont une raison
de leur existence et de leur valeur dans
la nature des choses, et dans l'usage qui ne
fait que la modifier. Ce que 1 mot biffure qu'il car il en resulte Dou il resulte 1o
qu'on ne doit point
recourir aux defini=
tions nominales sans
necessité, et lorsque
le sens des mots est
suffisamment deter=
miné et connu 2o qu'il n'est point permis a celui qui parle ou qui
ecrit, de denaturer les mots, ni de leur don=
ner des significations de phantaisie, 3o que
dans les cas même ou il ne peut exprimer
sa pensée sans emploier certains mots
dans un sens different de celui qui est en
fixé par l'usage usage, ou s'il 1 mot biffure sans
recourir a des mots nouveaux, dans ces
cas la même, il ne doit point perdre de
vue l'analogie de la langue, et l'etymologie,
pour toujours attentif a n'emploier que des mots qui ont
<59v> qui aient un rapport sensible a la chose, et puissent
aisement etre entendus. Mais dans ces cas, comme
dans tous ceux ou le Philosophe est contraint de
faire usage de certains mots equivoques et inde=
terminés, il etoit emploier des definitions exactes
pour en determiner le sens actuel d'une maniere
claire, mais quoique toujours conforme a la destination
primitive de ces mots et a l'usage. D'ou il suit
que de telles definitions nominales peuvent
etre defectueuses et recusables, puisque l'idée
qu'on attache a un mot ne doit point dependre
du caprice de celui qui parle et que d'ailleurs
elle doit repondre aussi a l'objet, a l'expression
duquel ce mot a été destiné, et se rapprocher
ainsi de la definition reelle. autant qu'il se peut
Mais ici le Philo=
sophe doit se sou=
venir que rien n'est=
plus superflu et
rebutant que de
multiplier 1 mot biffure
definitions nomi
nales sans necessi=
te et lorsque le=
sens des mots est
suffisamment
connu et deter
miné
DEFINITION REELLE
Dans une definition reelle proprement dite, on
se propose ou de faire
simplement l'enu=
meration des idées
simples qui sont
contenues dans
une idée compo=
see ou de determiner d'une maniere precise
et abregée ce qu'est une chose, quelles sont les mar=
ques inherentes et constantes auxquelles on
peut la reconnoitre: celles quelle en est l'essence,
quels en sont les attributs essentiels? Ainsi toute
definition reelle, suppose prealablement qu'on
connoit la nature de la chose: rien ne seroit
plus absurde que de vouloir definir ce qu'on ne
connoitroit pas.
Les Logiciens donnent pour maxime que
quand on veut parler d'une chose, il faut tou=
jours commancer par la definir, et dans toute de=
finition, faire entrer le genre et la difference
qui determinent l'essence de la chose et la font
connoitre. Mais Il faut d'abord excepter ici ce qui
est en soi indefinissable, comme les sensations,
les idées simples, qu'on ne peut qu'on ne sauroit
decomposer ni rendre en d'autres
termes que ceux qui leur ont été assignés. aux Quand aux objets compo=
termes equivoques 1 mot biffure
sés dont on ne connoit pas les qualités cons=
tantes, sur lesquels on est reduit a des carac=
teres externes, a accidentels, on peut les decrire
mais non les definir. 4 mots biffure
<60> Les Definitions ne peuvent etre appliquées qu'a
ceux dont on a pu fixer le genre et la difference,
et aux objets ideaux. Par rapport a ceux ci, le
genre et la difference ne donnent pas toujours une
lumiere suffisante sur l'objet pour en bien
saisir tout l'ensemble et les rapports; il faut
le plus souvent recourir a l'analyse pour remonter a ces
elemens primitifs de la pensée, et obtenir
quelque idées adequate: Et on peut dire mê=
me qu'a
parler même exac=
tement, il n'y a de
bonne et utile
1 mot biffure de vraie
definition, qu ou
qui puisse passer
pour principe, que
l'analyse de la chose
même ramenée aux
premiers elemens
de la pensée qui nous. D'ou
la represente
il suit que quand
l'analyse saute aux
yeux, la definition
est souvent inutile, comme
quand je dis un trian=
gle est une surface
fermée de 3 lignes,
et quand elle est com=
pliquée, la definition
ne peut etre bien
comprise que quand
celle la l'a precedée
pour en fournir
les elemens. Combien n'auroit
on pas evité de disputes sur les idées de la
vertu, de l'honneur, du devoir, si au lieu
lieu de s'en tenir a de seches definitions,
ou eut chercher a ramener ces idées, aux
premiers elemens de leur generation?
Car ont doit aussi surtout emploier de preference la
definition qui se tire de la generation même
de la chose, qui montre de quelle maniere
elle est née et ou elle a pu naitre: une telle defini=
tion est preferable a toute autre, parce qu'elle
1 mot biffure determine l'essence reelle de la chose, et le fon=
dement de tout ce qu'on en dit. Que quel=
qu'un sache comment se fait une montre,
il saura mieux que personne en expliquer
la nature et les effets. Le Geometre qui
dit, le Cercle est une ligne courbe formée
par l'extremité d'une ligne droite qu'on fait
tourner autour de l'autre extremité im=
mobile et fixée a un point qu'on appelle cen=
tre, donne une definition qui fait mieux
connoitre l'essence du cercle, que quand
on dit seulement le cercle est une figure
courbe, dont tous les points sont egalement
eloignés d'un point pris dans la figure.
Au deffaut de pareilles definitions qui deter=
minent l'essence reelle, on peut se contenter
sans doute de l'enumeration des proprietés
constantes qui determinent l'essence nomina=
le, et dès la le genre et l'espece. Telle qu'est la Ces definitions
derniere definition du cercle. Ici
qui indiquent les proprietés d'un premier ordre
sont preferables a celles qui ne presentent que
<60v> les proprietés d'un second ordre. &c Mais quelquesfois
on est reduit a la simple possibilité d'un mode
entant quelle est aussi une proprieté constante.
voies cy dessus chap. VI.
CONDITIONS D'UNE BONNE DEFINITION
Pour une bonne definition, il faut que les
caracteres presentés conviennent a la chose tou=
jours, et que dans leur ensemble, ils ne convien=
nent qu'a elle: qu'ils n'aient ni plus ni moins
d'etendue que la chose definie, qu'ils soient
bien distincts et separés, sans rentrer les uns
dans les autres; il faut que les mots soient
clairs, precis, dontque le sens en soit suffisamment
fixé par l'usage ou par quelque definition
precedente, qu'ils soient pris toujours au même
sens, et arrangés de maniere qu'ils ne presen=
tent aucune confusion. Ainsi on doit ban=
nir des definitions les mots non usites, obscurs,
ambigus, figurés, recherchés, detournés
de leur sens ordinaire, les mots negatifs
qui ne font connoitre que ce que la chose n'est
pas, excepté cependant les cas ou ce qu'on
veut definir, n'offre qu'une idée privative.
On doit eviter de faire entrer dans la de=
finition le terme defini ou un terme equi=
valent; d'expliquer idem per idem, et sur=
tout de tomber dans un cercle vicieux
en definissant l'un par l'autre reciproque=
ment. Comme par ex. si l'on disoit, un
souverain est celui qui a des sujets, un
sujet est celui qui a un souverain.
Les Logiciens ont dit, definitio sit clara
brevis et plena. Une definition obscure est
inutile, et ne repand que de l'obscurité sur
la chose qu'elle devroit eclaircir. Elle doit
etre pleine, offrir une idée distincte et com=
plette, presente a l'ensemble, et ne convenir que
la chose meme. A quoi aboutiroit Une peinture
qui ne presenteroit qu'une partie d'un objet;
<61> ou qui pourroit etre prise pour la copie d'autres
objets, ne seroit qu'une peinture infidele. A
Mais les Logiciens ont dit a cet egard cet egard on a dit qu'elle
devoit etre totalis et propria, cad. epuiser le
defini et ne convenir qu'a lui.
Une definition doit etre sans doute brieve,
mais cette brieveté ne doit jamais nuire a
la clarté et la plenitude. S'il s'agit d'un objet
compliqué on ne peut en presenter l'idée ana=
lytique en si peu de mots: une expression
trop abregée peut enfin devenir obscure.
Brevis esse Laboro, obscurus fio.
Souvent on est appellé a definir des mots
emploiés par autrui dans un discours de
vive voix ou par ecrit, conformement aux
sens qu'ils ont dans ce discours. Cela de=
mande des precautions qu'on indiquera
ailleurs. Nous aurons occasion de parler
encor dans la II partie, de la place que
les definitions doivent occuper dans la
marche de la pensée, selon les differens cas.
Il en est ou la definition doit etre placée
comme consequence de l'analyse detaillée
d'un sujet.
DIVISION.
Le plus souvent on fait preceder la defini=
tion, qui est suivie immediatement de la
division d'un sujet composé en ses parties.
Il y a une division qui s'exerce sur un mot
pour en distinguer les divers sens, et cette
distinction est souvent necessaire pour lever
les equivoques et aller au devant des so=
phismes. Mais on est tombé a cet egard dans
bien des abus en les multipliant trop et sans
consulte ces distinctions comme ont fait les
Scholastiques qui trouvoient la des ressources
inepuisables pour la dispute. Combien n'a ton
pas vue d'Esprits subtils, qui a force de les
accumuler, embrouilloient tous les sujets
qu'ils pretendoient eclaircir?
<61v> Il est une autre division, et qui est la division
proprement dite, qui s'exerce sur l'objet defini
pour le resoudre en ses parties qu'on se propose
d'examiner et devellopper l'une apres l'autre,
avec ordre. Ainsi un tout integral se divise
en ses parties integrantes p. ex. le globe en qua=
tre parties principales. Un tout ideal se divise
en ses parties ideales qui lui sont subordonnées.
L'etre se divise en substance et modes. La Subs=
tance en corporelle et pensante, le genre en
ses especes, l'animal en 2 mots biffure raison=
nable et destitué de raison, le Sujet en ses
accidens, p. ex. le corps en repos ou en mou=
vement. On n'auroit jamais fini si l'on vou=
loit rappeller toutes les especes de divisions.
CONDITIONS OU REGLES DE LA
DIVISION.
Pour faire une bonne division qui repan=
dra l'ordre et la lumiere sur le discours, il
faut 1o avoir exposé une idée distincte et
complette du sujet. Quel Dans certains cas
avant cependant on est forcé, avant qu'on soit bien
instruit du sujet, de se servir de quelque divi=
sion imparfaite, en attendant qu'un examen
plus reflechi mette en etat d'en presenter une
plus parfaite.
2. La Division doit etre exprimée en termes
clairs et precis, ou exactement definis.
3. Elle doit etre faites 1 mot biffure comprendre les
membres principaux du sujet; sans omission essentielle ni admission
d'objet etranger, mais ces membres
ne doivent pas etre multipliés sans necessité;
il ne faut ni separer les parties qui doivent
etre comprises sous le même membre, ni ren=
fermer sous le même membre des parties qui
devroient etre distinguées en plusieurs; mem=
bres: les membres ne doivent jamais rentrer
les uns dans les autres; il faut que toutes
les parties puissent
etre discutées sepa=
rement, et surtout
que la premiere
puisse etre expli=
quee sans le se=
cours de la secon=
de.
4o A la division generale on peut subordon=
ner des subdivisions de membres, mais il est
<62> un point ou il faut s'arreter, sil on ne veut
retomber dans la confusion, et a force
de menuiser les parties, les rendre comme im=
perceptibles. Par ces subdivisions 5o la
5 La Division doit epuiser le sujet; en con=
duisant aux subdivisions aucune partie
ne doit y manquer, aucune n'y doit sura=
bonder.
6 Mais il doit y avoir un ordre et un choix
dans la disposition des parties: on doit natu=
rellement commancer ou par les plus gene=
rales; ou par les plus connues, les plus faciles
a saisir, les plus saillantes celles qui peuvent repandre plus de
jour sur les autres, celles qui sont le
principe reel, le
fondement, l'ori=
gine des autres. Divisio fiat per parte
proximas et immediatas.
7. Enfin la division doit se faire en aussi peu
de membres qu'il est possible sans nuire a la
clarté et la plenitude, et sans s'ecarter de la nature
du sujet.
<62v> CHAPITRE XII
Du Jugement
Nous ne repeterons pas ce que nous avons dit
Anthropolo. Sect. 1. Ch. XIII. de la seconde ope=
ration de l'Intelligence, le jugement enoncé
par la proposition ou l'on distingue le Sujet,
l'attribut et la copule. Le sujet, auquel on
lie ou duquel on separe l'autre terme, et dans le=
quel on demele le fondement de cette union ou
de cette separation, s'exprime par un nom
ou un pronom. L'attribut qui n'est autre chose
qu'une proprieté ou modification qu'on dit
etre ou n'etre pas dans le sujet, s'exprime par
un adjectif ou un participe; la copule
placée entre deux pour exprimer signe de
l'union ou de la separation, est exprimée par
le verbe substantif est etre, est ou non
est. Mais très frequemment la copule est
envelloppée dans l'attribut qui est exprimé
par un de ces mots appellés improprement ver=
bes qui reunissent le sens combiné du verbe
substantif et d'un participe, car le mot
le feu brule, est equivalent a cette propo=
sition le feu est brulant. Une proposition
est necessairement affirmative ou nega=
tive: tout enoncé qui n'est ni affirma=
tif ni negatif est une question .
CE QUE SUPPOSE UN JUGEMENT
Tout jugement suppose 1 la presence de deux
idees et l'attention simultanée a toutes les deux;
2o leur comparaison; 3 la perception claire de
leur rapport d'identité, ou de convenance, ou
de disconvenance. 4 leur union ou leur
separation par une affirmation ou une
negation. C'est de ces deux dernieres que
depend essentiellement le jugement.
Dans toute proposition on distingue la ma=
tiere ou les parties constituantes, et la forme ou
<63> la maniere dont elles sont arrangées. Il ne
s'agit dans la Noologie que de la matiere Lo=
gique ou des trois membres de la proposition:
on reserve pour la Grammatologie ce qui re=
garde la matiere grammaticale ou les mots que
les besoins de l'enonciation et l'usage y font
entrer pour l'expression exacte de la precedente,
et ce qui appartient aux formes Grammatica=
les, d'ou naissent les propositions simples, com=
posees, complexes &c.
PROPOSITION IDENTIQUES, RECIPROQUES.
Les idées du Sujet et de l'attribut doivent etre
differentes. Une proposition ou ils seroient ex=
primés par le même mot ou par des mots qui of=
freroient exactement la même idée, seroit inu=
tile et absurde; Tout ce qui est, est, la glace
est quelque chose de gelé. Cela s'appelle des pro=
positions Identiques ou nugatoires: mais
on ne doit pas mettre dans ce rang certaines
propositions ou les deux termes sont exprimés
par le même mot, mais pris dans l'un au propre
et dans l'autre au figuré. Cet homme la est
un homme, Achab est toujours Achab,
ce qui est ecrit, est ecrit.
De deux idées Individuelles on ne sauroit
tirer qu'une proposition fausse ou inutile.
Que ce soit Pierre et Jean; si je dis, Pierre
est Jean, cela est faux, si je dis Pierre n'est
pas Jean, cela est très peu instructif. Pour que
la proposition offre presente quelque interet, il faut
que l'attribut offre quelque idée plus generale
que celle du sujet. Pierre est scavant, Jean est
un sot, l'homme est un animal. Il faut
en excepter un petit nombre de certaines propositions
ou l'attribut n'offre ni plus ni moins d'etendue
que le sujet; p. ex. tout corps est solide, Dieu est
<63v> tout parfait; dans ces cas, la proposition est
appellée reciproque parce qu'on peut reciproquer
les termes, en disant tout solide est corps, ce
qui est tout parfait est Dieu: on peut rapporter
a cette classe les definit propositions qui ne sont
que les definitions d'une chose. Ces propositions
ne sont pas inutiles, puisqu'un terme peut ser=
vir d'eclaircissement a l'autre.
UNIVERSELLES, PARTICULIERES, SINGULIERES
En considérant les propositions relativement
au sujet, on les distingue en universelles, par=
ticulieres, singulieres.
Les propositions universelles sont celles ou le
sujet est offre une idée generale exprimée par un ter=
me general pris selon toute son etendue, en sor=
te que l'attribut convient a toutes les especes
comprises sous le genre, et a tous les Individus
compris sous l'espece, p. ex. tout homme est
mortel.
Les particulieres sont celles ou le sujet est presente une
idée generale exprimée par un terme gene=
ral, mais qui n'est pris que dans une partie de
son etendue, en sorte que l'attribut ne convient
pas a toutes les especes comprises sous le genre, ni
a tous les Individus compris sous l'espece, p.ex.
quelques pierres sont transparentes, quelques
hommes sont Philosophes. Ici l'idée generale
du sujet est restreinte a une particuliere com=
prise sous la premiere.
Les Singulieres sont celles ou le sujet n'est qu'un
Individu exprimé par un nom propre; elles ont
ceci de commun avec les universelles que le
sujet est pris dans toute son etendue.
Les propositions particulieres et singulieres
sont renfermées dans les generales dont elles
sont les consequences immediates. Tous les
hommes sont mortels, donc quelques uns sont
mortels, donc Pierre est mortel. Une Science
synthetique offre une suite de propositons
dont les generales renferment les particulieres.
<64> DIFFERENTES UNIVERSALITES.
Mais ici il faut distinguer l'universalité
absolue ou metaphysique qui est fondée sur
l'essence même du sujet, ou qui ne souffre aucune
exception, et l'universalité non absolue, phy=
sique ou morale, qui souffre des exceptions
dans le detail, et qui ne suppose autre chose
si ce n'est que l'attribut convient au sujet. Le
plus souvent, au gros des Individus; en sorte dans ces cas la proposition singuliere n'est pas une con=
que
sequence necessaire de l'universelle.
Il y a des universelles collectives, ou l'attribut
convient a tous les Individus compris sous le
sujet pris ensemble, sans convenir a aucun
d'eux en particulier. p. ex. les Apotres furent au
nombre de 12. Il est des universelles distribu=
tives ou l'attribut convient a chaque Individu
pris a part; toute plante vient de semence &c. il
en est d'autres ou il ne convient qu'aux especes, tous
les animaux furent conservés dans l'arche: cela
revient a la distinction des Scholastiques: in
singula generum, et in genera singulorum.
Ceux ci ont appellé quantité des propositions
leur universalité et particularité, et qualité
leur distinction en affirmatives et negatives.
AFFIRMATIVES NEGATIVES:
Dans une proposition affirmative , l'attribut
doit etre contenu dans le sujet selon toute sa
comprehension, mais non pas selon toute son
extansion, p.ex. l'or est un metal; tout ce
qui est essentiel au metal se trouve dans l'or
mais tous les metaux ne sont pas de l'or. Dans
une proposition negative , l'attribut doit etre
separér du sujet, non selon toute sa compre=
hension, mais selon toute son extension. p.ex.
un Triangle n'est pas un quaré, je n'etens pas
ma negative a toutes les proprietés du quaré car
celui ci est une figure rectiligne comme le triangle,
mais je l'etens a tous les quarés. Il est des cas ou
<64v> elle peut s'etendre a toute la comprehension quand il
s'agit de choses qui n'ont rien de commun, p. ex. une
pierre n'est pas un Ange: de telles propositions ont
fort peu d'utilité.
ABSOLUES. CONDITIONELLES
Quand l'attribut est affirmé ou nié du sujet
sous une seule expression, et d'une maniere ab=
solue, la proposition s'appelle aussi absolue ou
cathegorique p. ex. l'ame est immaterielle. Mais
quelques fois, l'affirmation ou la negation ne se
fait qu'avec une addition conditionelle, relative
a quelque mode, relation, ou cas particulier, dont
on accompagne le sujet; alors la proposition
devient conditionelle ou hypothetique
p. ex. Si le fer est rougi au feu, il brule.
VRAIES. FAUSSES. FONDEMENT DE VERITE
On appelle propositions vraies, celles qui sont
conformes a la nature des choses, ou un attribut
est affirmé ou nié du sujet selon ce qui lui con=
vient ou ne lui convient pas: Elle est fausse
dans le cas opposé.
Toute proposition enoncée est vraie ou fausse
autrement elle ne presenteroit aucune idée; elle
ne peut pas etre vraie et fausse en même temps
ce seroit une contradiction ; ou on pourroit la regar=
der comme une double proposition dont l'une se=
roit vraie et l'autre fausse.
Toute la verité d'une proposition doit reposer
sur un fondement cad. une raison prise dans
quelque rapport apperçu qui fasse comprendre
pourquoi une chose doit etre affirmée ou niée d'une
autre. Une proposition ne doit donc etre regardée
comme vraie que sur un fondement appercu,
qui se trouve toujours envellopé dans l'idée du
sujet, mais non pas toujours de la même maniere.
Quelquefois ce fondement est une chose, que le sujet
renferme en lui constamment et invariablement
comme appartenant a son espece: ainsi quand je
dis la pierre est dure, cela a son fondement dans la pierre
meme, et dans ses proprietes constantes.
<65> Dautrefois ce fondement n'existe que dans un
accident, une modification actuelle mais
passagere, p. ex quand je dis cette pierre re=
chauffe ma main; cela a son fondement dans
la pierre, mais ce n'est que dans un 1 mot biffure de ses
accidens qui lui a été communiqué.
Il est meme des cas ou le fondement se
trouve dans une chose etrangere au sujet,
mais d'ou il a recu telle modification p. ex.
quand je dis cette pierre est chaude: cela
est fondé sur le four ou l'eau bouillante
d'ou la pierre a tiré sa chaleur.
Dans le premier cas la proposition est neces=
sairement generale et absolue: elle convient
a tous les choses qui appartiennent a la même
espece: toutes les pierres sont dures. Dans
les deux autres cas, les propositions sont neces=
sairement particulieres et ne peuvent s'ap=
pliquer qu'a certaines choses du même gen=
re qui se trouvent dans certaines circons=
tances: quelques pierres rechauffent la
main, quelques pierres sont chaudes, ce
sont celles qui sont chaudes, ou qui ont été
exposées a la chaleur. Il est vrai aussi
qu'on peut les transformer en propositions
generales, si dans l'enoncé du sujet on ex=
prime la circonstance supposée; toutes les
pierres qui sont chaudes rechauffent, toutes
les pierres qui ont été exposées a la chaleur
sont chaudes &c. On peut aussi leur donner
la forme de conditionelles en disant, si les
pierres sont chaudes, elles rechauffent &c.
On peut même donner cette forme a une
proposition absolue en prenant le fonde=
ment pour condition. p. ex. si une figure
est triangulaire, elle aura trois angles
egaux a deux droits.
Une proposition universelle affirmative
est vraie, quand le sujet renferme generale=
ment ce qu'on affirme de lui en general, ou
<65v> ou qu'ile sujet renferme sans restriction ce qui est dit
de lui d'une maniere absolue. Tout homme est
mortel, la vertu est toujours louable.
Une particuliere affirmative est vraie, lors=
que le sujet renferme en certains cas ce qui est
affirmé relativement a ces cas: ou quand l'attribut
convient au sujet sous la condition indiquée; par
ex: quelques insectes se multiplient par la section;
l'homme qui donne dans les excès nuit a sa santé.
La singuliere affirmative est vraie, lorsque l'indi=
vidu renferme absolument, ou en certains cas,
ce qui en est affirmé absolument ou sous reser=
ve.
Par les mêmes principes, on peut decider quelles
seront les negatives vraies; comme aussi quand
les affirmatives ou negatives sont fausses.
DISTINCTIONS DES PROPOSITIONS FAUSSES
VRAIES.
On distingue les propositions vraies dans le sens
composé et vraies dans le sens divisé; dans les
premieres, l'attribut convient au sujet comme
renfermant en soi le fondement de cette conve=
nance, p. ex: celui qui se promeine pourvoit
a sa santé. Dans les secondes, l'attribut con=
vient au sujet par quelque raison prise
hors de lui p. ex. les morts rescucitent,
c'est parce que Dieu veut les rappeler a la vie.
Il y a des propositions vraies qui ne pour=
roient jamais etre fausses; les tenir pour faus=
ses seroit autant que dire qu'une chose est
et n'est pas en même temps. On les appelle
necessairement vraies, necessaires . Il en est
d'autres qu'on pouroit supposer fausses sans
aucune contradiction: on les appelle contin=
gemment vraies, contingentes . On peut appli=
quer cela aux propositions fausses necessai=
rement ou contingemment.
<66> Quand d'une chose qui n'est pas, je puis sans
contradiction affirmer qu'elle est possible pour=
roit etre, on l'appelle possible, a quoi on oppo=
se l'impossible. On ne sauroit sans contradic=
tion supposer qu'une chose soit et ne soit pas
en même temps. Cela est donc impossible. Tel
est le grand principe de la contradiction.
Tout cela depend du rapport de compatibilité
ou d'incompatiblité que l'ame saisit entre les
idées. Deux idées sont liées, mais elles pourroient
sans contradiction etre separées l'une de l'autre,
dans ce cas, la proposition est contingente, dans
le cas opposé, elles est necessaire. Deux idées
pourroient sans contradiction etre liées, voila
le possible ; ne le pourroient elles pas, voila
l'impossible, qui suppose toujours des notions
qui se detruisent l'une l'autre et ne presentent
a l'esprit qu'une chimere, verba et voces et
præterea nihil. Lorsque entre deux idées on
ne decouvre rien de pareil, rien n'empeche que
nous ne puissions les unir, si nous avons une
raison de reconnoitre cette union.
AUTRES DISTINCTIONS.
Il est des distinctions qui se tirent de la com=
paraison des propositions entr'elles. On ap=
pelle opposées deux propositions qui ont
le même sujet et le même attribut, mais
dont l'une nie ce que l'autre affirme; les
opposees deviennent contradictoires, lorsque
l'une est generale, l'autre particuliere.
On les appelle contraires quand elles sont
toutes les deux generales, par. ex. Tout homme est
libre, nul homme n'est libre; subcontraires,
si elles sont toutes les deux particulieres;
quelque homme est libre, quelque homme
n'est pas libre.
Les contraires ne peuvent pas etre toutes les
deux vraies, mais elles peuvent toutes les deux 1 mot biffure etre
fausses, Tout homme est philosophe, au=
cun homme n'est philosophe. Les subcon=
traires peuvent etre toutes les deux fausses vraies
mais non toutes deux fausses. Les contradic=
toires <66v> ne peuvent jamais etre toutes deux vraies
ni toutes deux fausses: il en est de même des
singulieres ou l'on affirme et l'on nie la même
chose du même individu.
On a appelle subalternes, celles qui ne diffe=
rent que du general au particulier: la subor=
donnee est la consequence de la generale.
On appelle Theoretiques, celles qui enoncent
simplement ce qui est ou n'est pas: les prattiques
proposent quelque chose a faire. Les theoreti=
ques qui sont evidentes par elles mêmes se nom=
ment axiomes . Celles qui ne deviennent evi=
dentes que par demonstration, se nomment
Theoreme. Les prattiques dont l'execution est
evidente sont appellées demandes. Celles dont
il faut donner la solution en indiquant com=
ment la chose doit se faire et montrant qu'elle
a été bien faite, s'appellent Problemes . Les con=
sequences se nomment corollaires, les eclair=
cissemens, scholies, les propositions emprun=
tees de quelque autre 1 mot écriture lemnus, tout
ces termes sont en usage chez les des 1 mot biffure Geometres.
REGLES GENERALES POUR EVITER L'ERREUR
Quant aux
distinctions des
propositions qui
naissent des diffe=
rences dans l'e=
noncé Gramma=
tical, nous en
parlerons dans
la Grammatolo=
gie ch. XIX.
Tout assentiment donné a une proposition
fausse comme si elle etoit vraie, se nomme er=
reur. Rien de plus contraire a la lumiere et la
perfection de l'Intelligence que l'erreur dans
ses jugemens, et il lui importe d'autant plus
de l'eviter que comme une verité sert de moien
et de guide pour conduire a une foule d'autres,
ainsi une erreur par ses consequences peut
enfanter une foule d'erreurs. Rien n'est
aussi plus essentiel que de prendre certaines
precautions et de suivre certaines regles pour
eviter l'erreur dans ses jugemens.
1. Avant tout il faut se former du sujet et
de l'attribut des idées distinctes et exactes, pour
se mettre en etat d'en saisir le rapport et demeler
le fondement en vertu du quel, ou la condition
sous laquelle, l'un convient a l'autre, ou ne lui
convient pas.
<67> 2o Des la même, il faut appeller a son secours
toutes les regles qui servent a rectifier les idées et
les perfectioner, ou a empecher qu'elles ne se
deteriorent, ainsi que celles qu'il faut suivre
par rapport a l'exercice de l'attention pour
les bien saisir lorsqu'on les compare, puisque c'est
de la que depend la connoissance du fondement
sur lequel le jugement doit reposer.
3. Sur toutes choses, il ne faut point juger
avant d'avoir distinctement apperçu le rap=
port des des deux termes, pourquoi et a quels e=
gards ils conviennent ou ne conviennent
pas; sans quoi on ne jugeroit que sur un
fondement d'ignorance, et le jugement ne
seroit qu'un prejugé, cad. un jugement
precipité qui mene tout droit a l'erreur.
Combien de fois p. ex. ne dit on pas: je n'ai
rien vu, donc il n'est rien arrivé; je ne vois
pas qui a pu faire cela; donc personne ne
la fait; je ne vois pas comment cela auroit pu
arriver naturellement, donc c'est vision ou
magie; je ne vois pas ce qu'on pourroit op=
poser a cette preuve; donc il faut y croire.
Si vous ne voies pas, qui vous a dit qu'une
autre ne puisse pas decouvrir ce qui vous
echappe? au moins si vous voulés juger
sans etre instruit, ne jugés que pour vous, et
ne pretendés pas que les autres s'en rapportent
a votre jugement.
4. Pour bien juger, il ne faut jamais etendre
son jugement et son enoncé au dela des
rapports que la comparaison fait saisir
avec evidence, comme il n'arrive que trop
souvent.
5 Enfin il faut n'admettre comme evident
ou certain que ce qui l'est en effet; et quand
il s'agit de choses probables, proportioner son
<67v> assentiment au degre de vraisemblance, et dans
les cas douteux, suspendre son jugement. Tout
ceci sera expliqué plus au long dans la II Partie
section. Il suppose au reste qu'a l'etude des regles
on joigne et l'exercice constant de la Logique usuelle.
<68> Chapitre XII
Du raisonnement
Nous ne repeterons pas ce que nous avons dit
du raisonnement Anthrop. S. I. ch. XIII.
Le raisonnement suppose 1o un jugement
suspendu, reduit a une sorte de question,
ou il faut examiner si un des termes con=
vient ou ne convient pas a l'autre; 2o un
terme moien qui comparé avec les deux
termes de la question doit former les principes;
3. la question reduite a un enoncé affir=
matif ou negatif qui decoule des principes
comme consequence necessaire, et qui, mani=
feste le rapport entre le sujet et l'attribut
auparavant non apperçu. Ainsi le raison=
nement exige une attention appliquée a des
jugemens pour les comparer, comme le
jugement exige une attention appliquée
a deux idees pour les comparer entr'elles.
SYLLOGISME SIMPLE
L'arrangement des termes necessaires pour
exprimer un raisonnement qui n'existoit
auparavant dans l'Esprit que d'une maniere
envellopée, et pour lui donner une forme dis=
tincte et reguliere, a ete appellé Syllogisme
cad. assemblage de propositions enoncées
et liées les unes aux autres.
Dans les raisonnemens ordinaires, l'idée moi=
enne comparée avec le sujet et avec l'attribut
donne deux principes, d'ou resulte la conse=
quence, qui n'est que l'exposé explicite de ce
qui est implicitement contenu dans ceux la.
Ainsi dans le Sillogisme simple, on dis=
tingue deux premisses qui presentent les
principes, une conclusion qui offre la
consequence. cette cons appellée legitime, lorsqu'on
La consquence
est appellée legi=
time lorsqu'on ne peut admettre les premisses comme
<68v> vraies sans admettre en même temps celle ci,
sans quoi elle devient illegitime, le raison=
nement faux. Ce qu'on a appellé paralogis=
me. Dans le Syllogisme on y distingue trois termes, le terme
majeur qui exprime l'attribut ainsi appellé
parce qu'il doit avoir plus d'extension que
le sujet, qui est appellé a cause de cela terme mi=
neur; enfin le terme moien.
De la comparaison du terme moien avec
le terme majeur resulte une proposition
generale appellée majeure, qui doit renfermer
une verité ou Loi incontestable. De la com=
paraison du terme mineur avec le terme
moien resulte une proposition particu
liere appellée mineure, qui renferme
une verite objet, ou un fait qui doit etre rappro=
ché du principe precedent comme lui etant
subordonné. Enfin de la comparaison 1 mot écriture
deux premisses resulte la conclusion qui,
en manifestant le rapport des deux ter=
mes appellés extremes, decide que l'objet
ou le fait est ou n'est pas compris sous la
verité ou la Loi contenue dans la majeur.
On comprend que ce n'est pas la place qu'occu=
pent la proposition dans le Syllogisme qui decide quelle
est la majeure, quelle est la mineure, mais
que ce sont les termes mêmes qui y sont
renfermés. Eclaircissons tout cela par
une exemple. La Question est reduite aux
termes; la terre est elle ronde? Je ne vois
encor aucun rapport; je cherche une idée
moienne; elle m'est fournie par celle de
l'ombre circulaire que la terre jette sur la
Lune dans les Eclipses: l'idée d'un corps qui
jette un ombre circulaire sur un autre,
voila mon terme moien: je le compare d'a
bord avec le terme majeur, la rondeur,
et j'en fais cette majeure: un corps qui
<69> jette une ombre circulaire sur un au=
tre corps est un corps rond, voila une verité,
une Loi, un principe incontestable. Je passe
au terme mineur, et je le rapproche du ter=
me moien pour en faire cette mineure, or
la terre est un corps qui jette une ombre
circulaire sur un autre corps: c'est un 1 mot biffure
objet ou fait incontestable, et il est rapproché du
principe auquel il est subordonné. De
la comparaison de ces premisses, je suis
forcé d'en venir a cette conclusion, donc
la terre est ronde; par ou je decide que
l'objet ou le fait est bien compris sous
la verité ou la Loi exprimée dans la majeure.
ARGUMENTATION
Le raisonnement, sous quelle forme qu'il
soit, a été appellé argumentation . La for=
me ordinaire cy dessus exposée, a été ap=
pellée argumentation a priori, parce
qu'on y emploie des principes generaux
deja connus et posés, (prius positæ),
et qu'on descend du general au particu=
lier: ce qui suppose l'exercice de la fa=
culté de generaliser. La force de cette
argumentation repose sur les axiomes
suivans, pour les raisonnemens dont la
conclusion est affirmative.
1o Si deux choses sont les mêmes avec une
3e elles sont les mêmes entr'elles, c'est l'axio=
me des grandeurs: A est il egal a B?
pour le savoir je prends une mesure C,
je l'applique a l'un et a l'autre, je trouve
le même nombre de pieds, pouces, lignes, et
je C est egal, a A. et a B., d'ou j'en conclus
que A est egal a B. Je fais la même
chose dans tout raisonnement; la
patience est elle utile? je prens pour com=
mune mesure lidée de vertu; je dis 1 mot biffure
<69v> toute vertu est utile, or la patience est une
vertu, donc elle est utile: l'idée de patience
et d'utilité se fondent dans celle de vertu
comme dans une moienne qui les reunit
pour ne faire qu'un entr'elles.
2o Si de deux idées la premiere A contient une
3e C. comme cette 3o C contient la 2e B.
La premiere A contient necessairement
la seconde B.
3. Tout ce a quoi convient la definition d'une
chose ou ses caracteres essentiels, a lui aussi
doit convenir le nom attribué a cette chose.
La Lune est elle une lumiere? La lumiere
est ce qui rend visible les objets: or la Lune
rend visible les objets, donc la Lune est une
lumiere.
4o Ce qui convient au genre convient a toutes les
especes subalternes, et ce qui convient a l'es=
pece convient a toutes les choses comprises
sous cette espece, c'est le dictum de omni.
Voici les axiomes d'ou depend la force des
argumens dont la conclusion est negative.
1. Si il y a deux choses dont l'une est la meme que la
3e tandis que l'autre ne l'est pas, ces deux choses
ne sauroient etre les mêmes entr'elles; elles sont
en rapport de disconvenance.
2o De deux idees si la premiere contient une
3o tandis que celle ci ne contient point la
seconde, la premiere ne contiendra pas la 2o
mais elles seront en disconvenance.
3. Tout ce a quoi ne convient pas la definition
d'une chose ou ses caracteres essentiels, alors
aussi ne convient pas le nom de cette chose.
L'ovale est il un cercle? Le cercle est une ligne
dont tous les points sont egalement eloignés
d'un centre or cela ne convient pas a l'ovale
donc 1 mot biffure l'ovale n'est pas un cercle.
4. Ce qui n'est pas compatible avec le genre
ne l'est pas avec l'espece: ou ce qui doit etre
<70> nié du genre, doit etre nié de l'espece, et ce
qui est nie de l'espece doit l'etre de l'indivi=
du. C'est le dictum de nullo.
REGLES POUR LES SYLLOGISMES
De la resultent les regles pour les Syllogismes
ordinaires et simples qui doivent etre inva=
riablement observées pour que la conclu=
sion soit legitime.
1o Qu'il n'y ait que trois termes et un seul
terme moien; sans quoi il n'y auroit au=
cune commune mesure. Cette regle est
violée lorsque le terme moien n'est pas pris
au même sens dans l'une et l'autre des pre=
misses, ou que l'un ou l'autre des termes
est pris en un sens different dans la conclu=
sion que dans les premisses.
2. Que le terme moien soit pris au moins
une fois universellement: car s'il etoit
pris deux fois particulierement il seroit
pris en deux sens differens: ce qui seroit la
violation de la 1 regle precedente.
3. Que la conclusion suive la plus foible
partie, c'est a dire; 1 que si une premisse est
particuliere la conclusion soit particuliere,
sans quoi les termes de la conclusion seroient
pris plus universellement 1 mot biffure que dans
les premisses, et l'on concluroit du parti=
culier au general. 2o Que si une premis=
se est negative la conclusion soit aussi
negative, puisque le moien etant separé
de l'un des extremes, il ne peut servir a les
unir entr'eux.
4o Qu'il y ait une proposition affirma=
tive, puisque de deux negatives on ne
sauroit rien conclure ni affirmativement
ni negativement; la separation du terme
moien des deux extremes ne pouvant
eclaircir le rapport de ceux ci entr'eux pour
montrer qu'ils doivent etre unis ou separés.
<70v> Avec ces regles bien suffisantes pour distin=
guer un bon Syllogisme d'un Paralogisme,
on peut se passer entierement de toutes celles
que les Logiciens ont presentées dans cet art
aussi inutile qu'embrouillé qu'ils ont appel=
le art Syllogisitique, ou ils ont multiplié
sans fin les regles particulieres aux diverses
combinaisons des modes et de figures repre=
sentées sous les caracteres, a e o u.
Regles dont l'application, meme dans les
disputes de vive voix, exige un temps
qui la rend presque impratticable. Il
est par contre aisé d'appliquer celles que
nous avons presentées, dont l'utilité re=
pond a celle du Syllogisme, qui peut
etre emploié fort utilement soit dans sa
propre meditation, pour ne rien se permet=
tre d'inexact et pour decouvrir ou peut
etre le foible de ses propres raisonnemens, soit
dans ses lectures pour soumettre les raison=
nemens d'autrui a cette pierre de touche, soit
dans les disputes pour y apporter plus de clarté et de precision
car par la le repondant voit mieux ce qu'il
a repondu, en niant, ou distinguant,
l'opposant, ce qu'il a a prouver, et l'un et
l'autre sont plus aisement contenus dans
les termes de la question.
SYLLOGISMES COMPOSES, IRREGULIERS,
ARGUMENTATION PAR CONSEQUENCES IMMEDIATES.
Le Syllogisme peut admettre des formes diver=
sement modifiées suivant la nature des pro=
positions qu'il renferme; de la les Syllogismes
composes, disjonctifs, conditionels &c. ou selon
que les propositions sont diversement arran=
gées: de la les Syllogismes appellés irreguliers,
l'Enthymeme, l'Epichereme, le Dilemme, le
Sorite, le Prosyllogisme &c. mais comme ces mo=
difications tombent plus sur l'expression que
sur la pensée, et que tout peut etre reduit a des
Syllogismes simples, nous en renvoions la dis=
cussion a la Grammatologie: chap. XIX.
<71> Il est aussi une argumentation par consequen=
ces immediates qui naitent d'un seul principe
par une avec lequel elle a une liaison si sensi=
ble qu'on ne peut admettre celui ci sans etre
forcé d'admettre celle la. Ainsi une proposition
etant reconnue pour incontestable, on en deduit
immediatement la fausseté de la proposition
contraire ou contradictoire; une proposition ge=
nerale une fois admise, on en deduit immedia=
tement la subalterne. Tous les hommes sont
mortels; donc les Sages meurent comme les fols.
Le principe se nomme alors l'antecedent, la
consequence immediate, le consequent. Mais
cette argumentation ne differre du Syllogisme
ordinaire, si ce n'est en ce qu'il y a une premisse
sous entendue, dont la verité est trop palpa=
ble pour qu'il soit necessaire de 1 mot biffure l'exprimer.
Tous les hommes sont mortels, or les Sages
sont des hommes, Donc &c.
Si nous avions des idées bien distinctes et com=
pletes, nous verrions d'abord les rapports de ces
idées, et le nexe des propositions, et en placant
celles ci ou elles doivent etre placées dans la chaine,
nous pourrions presque toujours argumen=
ter par consequences immediates qui viendroient
les unes a la suite des autres; un discours
un livre, ne seroit qu'une serie lumineuse
d'énoncés, qui epargneroit les longueurs de
raisonnement dont la necessité n'est qu'une
suite de l'imperfection de nos idées et du
desordre de nos enoncés. Mais les idées
des hommes sont le plus souvent imparfai=
tes, et le fondement de leurs jugemens se
trouve très souvent dans des choses acciden=
telles et même etre hors du sujet. De la la neces=
sité de recourir a des termes moiens pour
former des Syllogismes reguliers et argu=
menter par consequence mediate. Souvent,
même d'appeler a son leur secours plusieurs idées moien=
nes pour former une serie de Syllogismes,
necessaires pour rendre sensible un rapport non appercu.
<71v> INDUCTION.
Toute idée moienne doit etre une notion clai=
rement enoncée qui puisse fournir des premis=
ses dont on tire une consequence du même
genre. Mais on ne procede pas toujours du
general au particulier. La Solution d'une ques=
tion souvent ne depend que de l'experience,
et dans ce cas l'idée moienne n'est tire ne peut se tirer que d'un certain
nombre de faits separement enoncés, mais
rapprochés sous le nom de preuves, et dont
la reunion, par la Loi d'analogie, fournit
un principe certain et incontestable, dont
on peut deduire immediatement la ques=
tion ramenée a une proposition generale qui
sera affirmative si tous les faits sont con=
cordans, et negative, s'ils ne le sont pas, c'est
ce genre d'argumentation qu'on a appellée
a posteriori, ou l'induction .
On y distingue 1o l'enumeration des faits:
2o la conclusion, ou l'induction proprement dite.
Tantot ce sont des faits appartenant aux in=
dividus et l'induction porte sur l'espece;
Pierre, Paul, Jean &c. sont raisonnables, donc
les hommes sont raisonnables. Tantot ce
sont des faits appartenant aux especes colla=
terales, et l'induction porte sur le genre; l'hom=
me, le Boeuf, le cheval &c. sont doués de sen=
sibilité, donc les animaux sont sensibles.
Tantot de l'enumeration des parties, on
conclut au tout; les murailles, le toit, les
planchers, les portes, les jours sont construits
a neuf: donc la maison est batie a neuf.
La question est, l'homme est il un animal? Voici
l'enumeration, l'hommes est sensible, il est
actif, il se meut par lui même, il nait de
l'union des sexes, d'un germe preformes &c. Voici
l'induction, donc il est un animal.
<72> Tel est le genre d'argumentation par lequel
les hommes se sont elevés des faits particuliers
aux enoncés generaux, et a ces principes qui
servent ensuite de base au raisonnement
a priori. C'est par cette voie qu'ils sont parvenus
a fixer leurs connoissances, en les reduisans
a des expressions generales et abregées, d'ou
ils ont pu, par la Synthese, redescendre aux
faits particuliers pour les expliquer par
l'application des principes.
Tous les raisonnemens a posteriori pour=
roient sans doute etre convertis en argumens
a priori en y faisant entrer un principe
general, comme si je disois dans l'exemple
precedent, Tout ce qui est sensible, actif &c.
est un animal, or l'homme &c.
Mais les hommes n'ont pas commancé 1 mot biffure
par raisonner a priori; leur premiere ar=
gumentation a été l'induction qui les a
conduit aux principes generaux, après
quoi ils en sont venus a l'argumentation
a priori, qu'ils ont appliquée partout.
Ainsi des faits de la nature ils se sont elevés
a l'idée de Dieu; mais a cette methode, ils
ont donné ausi la forme d'argumenta=
tion a priori; en disant, tout effet suppose
une cause, le monde offre une multitude
infinie d'effets, donc il a une cause distin=
cte de lui, premiere et eternelle.
C'est ainsi que les hommes sont ont parcou=
ru l'echelle des connoissances en s'elevant
du particulier au general, et descendant
du general au particulier.
REGLES A SUIVRE POUR BIEN RAISONNER
Pour bien raisonner, il faut 1o poser
l'etat de la question asses clairement pour
qu'on voie bien de quoi il s'agit; quel est le
sujet, quel est l'attribut, de quelle relation
on parle, cela demande qu'on leve toute equi=
voque, qu'on definisse bien les termes, qu'on
examine separement l'idée des sujets, celle
<72v> de l'attribut; la nature du rapport, si l'attribut
peut convenir au sujet, ou absolument ou
avec restriction; a quel degré d'extension, si
la question est simple ou composée et resoluble
en d'autres qui doivent etre examinées separe=
ment: si la question proposée demande qu'on
borne son attention a quelques unes &c. enfin
chercher s'il est possible, sans autre operation
ulterieure, le rapport qui n'etoit pas d'abord
apperçu;voir si la preposition est vraie ou
fausse, ou si, comme cela arrive souvent,
elle pourroit etre vraie dans un sens et fausse
dans l'autre: si l'on peut se decider sur tout
cela, la question est resolue.
Mais si malgré ces precautions, elle reste encor
indecise, alors il faut 2o aller a la decouver=
te de l'idée ou des idées moiennes, des preuves
qui peuvent le manifester le rapport. Les Scholastiques
cherchoient leurs idées moiennes dans cer=
tains lieux communs ou classes d'idées
abstraites sous les noms de genre; espece,
cause, effet, fin &c. denominations qui
n'indiquoient que les classes, Les sources
sans indiquer les vraies sources ou ces idées moien=
nes devoient etre puisées selon les besoins
et les circonstances: ce qui ne faisoit que
mettre des entraves a l'Esprit humain sans
lui fournir de vraies lumieres.
Une vraie idee moienne doit etre prise dans
la nature même des choses, dans le fondement
du rapport, ou la condition d'ou depend la conve=
nance ou la disconvenance, dans l'idée du
sujet ou elle est confusement envellopée, ou
dans son essence, ou dans quelque modifica=
tion actuelle, ou quelque impression recue
de dehors &c.
Telle etant la liaison qu'il y a entre nos idées
que l'attention donnée a l'une peut en rappeller
une foule d'autres, nous devons 3o nous rendre
<73> extremement attentifs aux termes de la ques=
tion, en analyser les idées, les contempler sepa=
rement puis, conjointement, et sur tout cela
reveiller l'activité de nôtre Esprit par des
questions; le plus souvent cela suffit pour
rappeller et saisir l'idée moienne qu'on cher=
che: ce qui suppose l'exercice de l'attention, de
la memoire, de la contemplation, sur les con=
noissances qu'on a deja acquises, et qu'on
saisit les circonstances les plus favorables a
cet exercice. Sans doute que pour trouver
les idées moiennes, il faut etre instruit,
s'etre rendu familieres les definitions et les
principies, et avoir fait une certaine
collection de materiaux.
4o on poura acquerir aussi beaucoup
d'habileté en ce genre, si l'on prend pour
modele les bons auteurs qui ont le mieux
reussi dans la decouverte des idees moien=
nes et dans l'art du raisonnement. On
tirera grand fruit de l'etude de la Geometrie
et de l'Algebre qui apprend particuliere=
ment a resoudre les questions.
SOPHISMES
On appella Sophistes ceux qui n'avoient
qu'une fausse Sagesse, et Sophismes les
argumens qu'ils emploioient pour lui donner
la couleur du vrai. On a donné le nom
de Paralogisme aux argumens qui pechent
contre la forme, et celui de Sophisme a
ceux qui pechent par la matiere ou le
fond.
Les anciens en ont distingué cinq ou six qui
viennent du deffaut d'attention aux regles
de la Logique.
Ignoratio Elenchi; c'est un argument
qui peut etre vrai dans tous ses points, mais
dont la consequence n'est point ce qu'il faut
prouver pour etablir
ou pour combat=
tre une these . Ce qui suppose l'ignorance de
l'etat de la question, d'ou le deffaut de l'ar
<73v> l'argument en faveur du purgatoire tiré
de l'opinion des Peres, sur la priere pour les
morts.
Petitio principii; c'est un argument ou
l'on prend pour principe ce qu'il faut prou=
ver ou l'equivalent Tout ce qui est etendu
est corps, or l'Espace est etendu; donc il est
corps.
Circulus vitiosus; c'est un argument ou
l'on se sert pour principe prouver une pro=
position d'un principe qu'on prouve ensuite par
la proposition precedente: tel est celui lui des
catholiques qui lorsqu'ils fond dependre l'autorité
de l'Ecriture de celle de l'Eglise, et prouvent
ensuite l'autorité de l'Eglise par celle de
l'Ecriture.
Encemeratio imperfecta: c'est celui ou l'on
tire une consequence generale d'une enu=
meration de cas qui n'est pas complette. Tel
est celui qu'on a emploie contre l'existence
du mouvement, le corps ne peut se mouvoir
que dans le lieu ou il est, ou dans le lieu ou
il n'est pas &c. Cela arrive en
particulier
1 mot biffure lorsqu'a=
pres avoir fait
l'enumeration
desaut les moyens
possibles on les
rejette tous
excepté un seul
pour en fa=
veur duquel
on conclut,
sans qu'on sache
s'il n'y auroit pas
quelque moien
a nous inconnu
qui meritat la
preference.
Non causa pro causa, ou l'on prend pour
cause ce qui n'est pas cause p: l'horreur
du vuide, la matiere subtile &c.
Les Equivoques, cad. les Sophismes qui
viennent d'ambiguités ou des mots ou des
phrases, ex fallacia accidentis, compositionis, trans=
tus ex sensu composito ad divisum, ex dicto
secundum quid ad dictum simpliciter &c.
comme quand on attribue absolument a une
chose ce qui ne lui convient que par accident,
quand on affirme de certaines choses jointes
ensemble, ce qui n'est vrai que quand elles sont
separees, ou quand on affirme de choses se=
parées ce qui n'est vrai que quand elles sont
jointes ensemble, lorsqu'on affirme generale=
ment d'une chose ce qui n'est vrai qu'a un certain
egard, ou a un egard ce qui n'est vrai qu'au
sens general.
<74> CHAPITRE XIV
De la reflexion ou meditation appellée
aussi methode.
MARCHE HABITUELLE QUI REGLE LES JU=
GEMENS DES HOMMES.
Dans le train journalier les hommes ne pen=
sent, ne jugent, ne raisonnent gueres que par d'après une marche routiniere que
habitude
l'education, l'usage et l'exemple leur ont ren=
du familiere, et dont les operations sont si
promtes qu'ils n'en sauroient rendre eux mê=
mes aucun comte. Les operations de leur
intelligence, comme les mouvemens de leur
corps, ne sont que l'effet d'une disposition ha=
bituelle contractée dès leur enfance et sans
qu'ils s'en soient appercu. Nous avons deja
dit quelque chose la dessus (Anthrop. S. 1. C. XIV).
Ces jugemens d'habitude resultent de
certaines associations qui se sont formées,
ou que nous avons formées nous mêmes, entre
nos idées (v. Chap. V) et qui lorsqu'elles nous
sont devenues familieres, se sont conver=
ties en autant de Loix auxquelles nôtre In=
telligence obeit habituellement et même
sans s'en appercevoir. Quand les jugemens
nés de ces associations sont justes, ils peuvent
devenir d'un grand secours pour elle, parce
que plus il sont soumis au pouvoir de l'ha=
bitude, moins elle eprouve d'efforts pour se
les rappeller et plus sa conception devient
promte et facile; son etendue et sa penetration
peuvent même dependre en grande partie de la
multiplication de ces jugemens d'habitude et
de la rapidité avec laquelle ils se succedent lors=
qu'elle s'occupe de quelque objet.
Mais comme ces associations d'idées se sont for=
mées chès nous la plupart avant la reflexion, et sans que
nous aions pu nous assurer que les jugemens qui
en resultoient etoient justes, il ne se peut autrement
qu'il n'y en ait parmi eux beaucoup d'erronés, et
<74v> dont l'influence est d'autant plus dangereuse
que nous nous les sommes rendus plus familiers
a force de les repeter. Peut on douter que ce ne
soit la source principale des prejugés commu=
nement repandus parmi les hommes et chès
le gros de chaque nation, contre lesquels
très peu de gens même sont en etat de s'ele=
ver. De quelle autre source pourroient venir
ces maximes, que les dettes contractées au jeu
doivent se payer avant toute autre, qu'il
est honteux de survivre a un affront &c.
N'est ce pas aussi de la que naissent ces juge=
mens si promts qu'on porte sur les physionomies.
Ces preventions contre certaines personnes, ces
sympathies et antipathies bisarres, dont
on ne sauroit rendre aucune raison. Je
crois même que c'est a ces jugemens habituels
qu'on pourroit rapporter la premiere origi=
ne de ce qu'on appelle, manque de jugement,
Esprit faux, mauvais gout, et même ces
travers d'Esprit, portés quelquefois au
point que l'Imagination en devient dereglée
et approchant de la folie, laquelle se con=
somme enfin quand elle s'associe a l'or=
gueil qui fait admettre indistinctement
les contraires d'un moment a l'autre, pour
deffendre d'un a tout prix le jugement
qu'on a hazardé.
Ces jugemens d'habitude, adoptés sans exa=
men, deviennent autant de principes aux=
quels on s'attache obstinement et pour
toute sa vie: mais ce qu'on a peine a
croire, c'est que cette obstination n'est ja=
mais plus sensible chès les hommes que lors=
qu'il s'agit des objets de leur profession et
sur lesquels ils devroient etre le mieux instruits,
presque tous leurs jugemens sur ce point
ne sont des jugemens habituels, pris dans
l'enfance et le noviciat, adoptés sur
parole, qu'ils soutiennent et deffendent
toute leur vie avec d'autant plus de chaleur
qu'ils se supposent mieux instruits sur ces objets.
<75> REFLEXION METHODE
Ainsi quelque utilité qu'on pretende attri=
buer a la marche routiniere de penser de
juger et de raisonner, il n'en est pas moins
certain que celui qui aspire serieusement a
la decouverte du vrai ne sauroit se dispenser
d'appeller sans cesse a son secours la reflexion,
pour lui soumettre ses operations Intellectuelles,
en assujetissant leur exercice et leur devellop=
pement a une marche et des procedés regu=
liers; plus propres a le conduire a son but,
qui est d'acquerir des connoissances vraies
certaines et lumineuses sur les objets dont il
s'occupe. Pour cet effet, les jugemens sou=
mis a la reflexion, ainsi que toutes les opera=
tions de l'ame pensante, bien differens en cela
des jugemens d'habitude, voient se succeder
avec une certaine lenteur, qui permette de les
examiner, devellopper, en sorte que les idées
dont ils sont formés, puissent devenir distinc=
tes et completes, qu'on puisse bien saisir les rapports
avec les fondemens des enoncés, pour
s'en rendre comte a soi même et les communi=
quer aux autres avec netteté, ordre et exac=
titude. Cette marche reguliere que l'In=
telligence doit suivre lorsqu'il s'agit de
develloper ses operations pour eclaircir
un sujet composé, se nomme Methode,
(du Grec μεθοδος de μεθ 1 mot biffure
1 mot biffure) expression metaphorique, tirée de ce
que fait un voiageur qui d'entre plusieurs
chemins qui pourroient le conduire a sa des=
tination, choisit le plus sur, le plus facile et
le plus abregé de tous. Est enim methodus
admirabilis quædam continuatio series=
que rerum ut aliæ ex aliis nexæ ce, et omnes
inter se aptæ colligatæque videntur. Cicero
<75v> CONDITIONS OU CARACTERES D'UNE
BONNE METHODE
1 Le premier caractere d'une bonne methode c'est qu'elle conduise l'Intelligence
a la decouverte de la verité avec certitude,
ce qui est son premier but, auquel tout les doit
autresent etre subordonnés: toute me=
thode qui seroit facile et courte, sans etre
sure, ne seroit qu'un guide trompeur.
2o Le Second, c'est qu'entre les routes egalement
sures, elle cho prefere celle qui offre le moien
1 mot biffure tout est la mieux appropriée aux
circonstances, qui conduite l'Intelligence
avec le plus de facilité, le moins d'efforts et
d'embaras, a son but, sans s'arreter a des
objets aussi compliqués qu'inutiles, qui
ne feroient qu'augmenter la peine et alle=
ger le travail.
3o car le 3o caractere de toute bonne me=
thode, c'est de choisir, toutes choses d'ailleurs
egales, le chemin le plus court, la voie
la moins dispendieuse pour le temps. D'ail=
leur ni la brieveté, ni la facilité, ne doivent
jamais etre recherchées au depends de la
verite, de la clarté et de la certitude. Il
est nombre de sujets importans dont la complication nous
forcent a des operations successives et lentes,
que nous ne saurions abreger sans danger
de nous fourvoier, et de nous mettre dans le
cas de revenir sur nos pas avec peine et per=
te de temps. Ne vaut il pas mieux avoir emploier
un certain temps a poser de bons fondemens,
qu'a entasser des materiaux sans solidité,
qu'il faudra ensuite detruire pour recom=
mancer tout l'ouvrage?
<76> REGLES COMMUNES A TOUTE BONNE
METHODE
Une bonne methode, quelle quelle soit, deman=
de 1o qu'on saisisse et qu'on exprime aussi distincte=
ment que possible, la nature de l'objet dont on
s'occupe, l'etat de la question qu'on veut traiter,
en ecartant ce qui
lui est etranger,
ou suppleant a ce
qui peut manquer
a l'expression; ce qui suppose des idées distinctes, des expres=
sions sans equivoque et intelligibles, des defini=
tions exactes 2 mots biffure et tout ce qui est propres a soulager
l'attention et a perfectioner la pensée.
2o Que quand il s'agit de sujets et de questions
compliquées, dont les parties doivent etre medi=
tées separement avant que d'etre rapprochées
pour former un ensemble complet, on ait
recours a la une bonne division; 1 mot biffure qui distingue necessaire
les membres sans omettre rien d'essentiels, ni
admettre rien d'etrangers qui est 1 mot biffure 1 mot biffure
pour aider a la foiblesse de nôtre Esprit qui
ne sauroit jamais voir clair dans les choses
un peu compliquées, s'il ne les considere
naitre apres partie, avant que de les consi=
derer dans leur ensemble.
Car 3. chaque chef de la division doit etre
soumis a l'examen et devellopé a part pour
s'en former des idées exactes; et après qu'ils ont
été tous parcourus, il faut en faire une revue
generale pour s'assurer qu'on a bien saisi
tous les details, qu'ils sont bien d'accord en=
tr'eux, et tous compris effectivement dans
le sujet auquel ils doivent tous se rapporter.
Mais il faut=
que la division
soit faite de ma
niere que toutes=
les parties puis
sent etre exami=
nes 2 mots biffure
separement:
en sorte que la
premiere puisse
etre expliquee,
sans le secours
de la 2e &c.
4 Dans la discussion de chaque 1 mot écriture, il faut
suivre la marche qui donne a l'Esprit le plus
de facilité pour saisir les choses, qui peut repan=
dre le plus de lumiere sur les objets et sur la suite
des operations: et cette marche consiste essen=
tiellement a faire toujours preceder ce qui peut
servir a l'intelligence de ce qui suit, a commen=
cer toujours par le plus simple et le plus facile
<76v> avant que d'en venir au plus composé et au plus
difficille: car c'est la solution des questions aisées
qui seule fournit des 2 mots biffure celles c'est la regle
des questions plus compliquées
de toutes les methodes, soit qu'il s'agisse de remon=
ter du particulier au general, ou de redescendre
du general au particulier, soit qu'il s'agisse d'e=
tudier soi même ce qu'on ne connoit point encor
ou de communiquer aux autres les connoissan=
ces qu'on a acquises: regle importante, et
sans cesse violée par la plupart qui veulent
passer d'abord au plus difficille, sans s'arreter
aux principes ni s'assujetir a une marche gra=
duelle: ce qui fait qu'ils ne reussissent en rien, et
finissent pas se degouter de tout.
5 Dans toute methode, il se peut il ne faut rien
admettre rien
dont la verité soit
susceptible de dou=
te, et il est indis=
pensable que les idées et
les propositions soient liées les unes aux autres
d'une maniere naturelle et sensible, afin qu'elles
se communiquent un jour mutuel, et que
chacune pour sa part concoure a eclaircir
le sujet: mais il ne faut pas confondre ici
les liaisons accidentelles avec les naturelles, qui
sont seules capables de repandre 1 mot biffure quelque
lumiere.
C'est ainsi que la pensée se transforme en vrai
connoissance des objets: d'ou l'on voit que
6 A tout cela il faut
joindre l'habitude
de l'attention, de l'exer=
cice de la memoire,
pour trouver les idées
moiennes, et des effors
continuels pour eten=
dre l'intelligence.
C'est en suivant les
regles d'une bonne
methode que la
pensee se transforme
peu a peu en vraie
connoissance, et
nous trouvons encor
ici la confirmation
de ce qui a été deja
dit, que tout
tout peut etre reduit dans nos operations
a l'analyse de la pensée, et que pour se former
une juste idée de leur devellopement, on n'a
qu'a se rendre attentif a ce que l'ame fait
pour concevoir distinctement un Tableau
ideal dont toutes les parties ne s'offroient a dabord a elle que d'une manieve envellopée et confuse.
d'abord
On voit aussi que l'exercice de la methode
ne peut s'executer qu'a l'aide du discours,
qui est essentiel au devellopement de la pensée,
enfin que les enfans, n'en sont pas que peu susceptibles
faute de connoitre le Langage et les signes
dont l'usage est necessaire a ce develloppe=
ment. Voila ce que nous avons a dire sur
la reflexion ou methode en general. Notre
II 1 mot biffure Section est destinée a nous en
presenter tous les details.
<77> AVANTAGES D'UNE BONNE METHODE.
L'observation des regles d'une bonne methode
procure les plus grands avantages pour la
perfection de l'Intelligence qui ne peut se dispen=
ser de suivre une marche graduée qui facilite
ses progrés et le devellopement successif de ses
facultés, a peu près comme celui qui se voue
a un art difficille, se voit contraint de s'assuje=
tir a la marche d'un noviciat.
Elle n'est pas moins utile pour epargner du
temps et des efforts. Sans doute qu'elle exige
aussi des efforts d'attention, mais aucun d'eux
ne demeure inutile pour son but; l'attention
entierement dirigée vers l'objet se tient en garde
contre les distractions qui amusent l'Esprit en
pure perte, et celui ci n'est point assailli par cette
multitude d'idées qui assiegent en foule celui
qui pense sans methode, et fatiguent sans fruit
son activité, au point même de le degouter
de ce qui epuise ses forces d'une maniere si
infructueuse.
Une bonne methode produit même l'accroisse=
ment progressif des forces de l'ame. Un travail trop
peinible et trop partagé epuise les forces du
corps, et demande de longs intervalles de
repos, tandis que dirigé avec prudence, il ne
produit aucune fatigue, et fortifie au lieu
d'affoiblir. Il en est de même d'un exercice de
l'Intelligence fait regulierement et avec or=
dre; il peut se soutenir sans fatigue plus
longtemps, et il donne de nouvelles forces.
Rien n'est ainsi plus propre a conduire a la decou=
verte de la verité et a mettre l'ame en etat
de tirer les consequences des principes, d'extrai=
re des faits des resultats lumineux, et de s'elever
de ce qui est connu a ce qui est encor inconnu.
De ce qu'on a fait bien des decouvertes par ha=
zard, il ne s'ensuit pas que l'observation des
regles ne soit entrée pour rien dans les recher=
ches; qu'on auroit faites: la methode avoit prepa=
re les acheminemens aux decouvertes, la
<77v> la methode les a ensuite eclaircies, devellopees,
convenablement appliquées. N'est ce point
parce qu'on a mieux connu et observé les regles,
que ce siecle est devenu si fecond en inventions
et en genies. N'est ce point le deffaut de methode
qui a retardé si longtemps les progrés des Scien=
ces et des arts?
Combien n'a telle pas été surtout utile pour
l'instruction, pour communiquer les connoissan=
ces acquises. Un disciple qui a le bonheur de
trouver un Maitre dont les Leçons sont metho=
diques, ne fait il pas beaucoup plus de progrés
sous sa direction qu'il en feroit par lui même
en etudiant sans methode? Quelle difference
entre les progres d'un disciple jeune homme sans guide, qui
s'occupe de choses qui passent sa portée ou
qui lui sont inutiles, qui fait tout sans
choix et sans ordre, et de celui qui sera bien
dirigé, selon une methode naturelle et re=
guliere.
Tout ce qu'on fait avec methode s'imprime
plus aisement dans la memoire, s'y grave
plus profondement, s'y conserve beaucoup
plus longtemps, se rappelle plus promtement
parce qu'il est plus clair, plus lié, plus suivi.
Que reste til d'une etude faite sans methode
de la lecture d'un auteur qui bat la cam=
pagne? Pourquoi des hommes savans et
profonds echouent ils dans l'instruction?
C'est qu'ils manquent de methode: d'autres
d'un savoir mediocre y excellent; parce que
leur marche est mieux reglée ou plus a
la portée de leurs disciples.
Une methode claire, simple, facile soutient
l'ardeur des disciples; leur amour propre est
flatté de ne trouver rien d'embarassant; c'est
un aiguillon puissant pour exciter le gout
et l'envie de faire des progrés.
<78> SECTION IIe
ou
l'on presente les regles particulieres aux
divers cas ou l'ame Intellectuelle peut se
rencontrer lorsquelle s'occupe de la recher=
che du vrai, et l'application qu'elle doit faire
dans chacun de ces cas des regles generales
proposées dans la 1o Section.
CHAPITRE 1
Des divers genres de connoissances dont l'hom=
me est susceptible.
BRANCHES DE CONNOISSANCES
En donnant des regles pour reconnoitre si une
proposition est vraie ou fausse, nous avons con=
diseré le vrai et le faux en lui même, et comme
resultat du rapport qu'il y a entre les idées
ou les choses. Mais nous pouvons le considerer
aussi relativement a la connoissance que nous
en avons, qui est susceptible de divers degrés,
selon que la relation entre les idées ou les choses
est pour nous plus ou moins perceptible: car
il est des cas ou elle se fait appercevoir avec la
plus grande clarté, et d'autres ou elle nous echappe
au point que nous sommes hors d'etat de decider
si une proposition est vraie ou fausse, quoi=
que en elle même elle soit necessairement l'une
ou l'autre.
Sous ce point de vue, il est de la derniere importance,
pour bien regler la marche de l'Esprit humain
dans la recherche du vrai, de reduire ses diverses
connoissances a certaines classes ou branches dis=
tinctes selon le degré de certitude qui les accompagne,
lequel peut varier non seulement selon l'etat ac=
tuel de ses progres en lumiere, mais encor selon les
divers genres d'objets, et les divers moiens qu'il emploie
pour en acquerir la connoissance.
<78v> En parcourant 1 mot biffure ces diverses branches, il est pas
moins necessaire indispensable de montrer sur chacune les fa=
cultes et les operations que l'Esprit humain doit
deploier, la marche methode qu'il doit suivre dans ses pro=
cedés, la methode qui doit le diriger selon les divers
cas, pour parvenir sur chaque objet a la decou=
verte du vrai, et pour pousser ses connoissances
au plus haut point de lumiere, ou cet etat qu'on et de ap=
pelle la certitude.
CERTITUDE
Il est en effet de la derniere consequence pour
nous d'atteindre a ce degré de connoissance qui
produit la persuasion intime qu'en admettant
une proposition comme vraie, ou en la rejettant
comme fausse, nous sommes a couvert de
tout danger d'erreur, et que nous pouvons
avoir une entiere confiance en nôtre juge=
ment. comme reposant sur un fondement so=
lide. C'est cet etat qu'on appelle certitude;
en ce cas la proposition est appellée par rapport
a nous certaine: elle est incertaine quand
cette confiance manque. Nous disons que cette
verité d'une proposition est certaine, quand lorsque nous sommes=
intimement persuadés de sa verite: au même
sens nous disons, la fausseté d'une proposition
est certaine; une proposition est certaine
ment vraie &c. En ce cas nous
disons que la
proposition est
certaine ou ac=
compagnée de
certitude; elle
est incertaine,
ou accompagnée
d'incertitude,
quand cette con=
fiance manque;
au meme sens
nous disons la
verité d'une pro
ou la fausseté d'une
proposition est
certaine; une
proposition est
certainement
vraie ou fausse.
Cet assentiment plein et entier
que nous donnons a une proposition certaine
parce qu'il est fondé sur une connoissance
exacte, se nomme Science: je sçai que la
terre tourne.
PROBABILITE
Très souvent nous avons assés de connoissan=
ce pour fonder un jugement, mais pas assès
pour produire en nous la persuasion qu'il est
a l'abri de tout danger d'erreur. Dans ce cas
nous disons qu'une proposition est probable,
en tant quelle est 1 mot biffure appuiée sur des preuves ou raisons plus
ou moins fortes pour l'admettre comme vraie,
<79> ou vraisemblable, en tant qu'elle est revetu des
apparences de la verité, et qu'on peut raisonnable=
ment la tenir pour vraie, jusques a ce qu'on ait
demontré quelle est fausse.
L'assentiment qu'on lui donne est appellé opinion
par oppos. a la Science: une opinion n'est que
precaire lorsqu'elle ne s'appuiée repose que sur une
hypothese ou conjecture mais elle est proba=
ble, quand elle repose sur est appuiée des 1 mot biffure raisons p. ex.
les Planetes sont habitées. Les opinions des
hommes depen=
dent du degré
de leurs connois=
sances sur les
objets dont ils
s'occupent. Il
ne faut donc pas
etre surpris si elles
sont si differen=
tes, et s'il arrive
au même hom=
me de changer
si souvent d'o=
pinion.
DOUTE
Si après avoir examiné une proposition, nous
n'avons aucune raison pour l'admettre comme
vraie, aucune pour la rejetter comme fausse, ou
bien, autant de raisons pour la croire vraie que
pour la croire fausse, en sorte que nous nous trouvions
placés dans une sorte d'equilibre, cet etat
est appellé doute, et la proposition douteuse.
p ex. les cometes sont elles habitées. C'est même
improprement qu'on donne le nom de proposi=
tion a ce qui ne doit etre presenté que sous
la forme de question, ou il n'y a encor au=
cun jugement. Rien en effet de plus indispen=
sable dans le doute que de s'abstenir de tout
jugement, et d'attendre qu'un examen ulterieur
ait amené de part ou d'autre quelque raison
preponderante, et d'un poids suffisant pour faire
pencher la balance de l'un ou de l'autre côté.
Dans ce cas la preponderance pour admettre
une proposition comme vraie, rend la proposi=
tion probable: p ex. il y a un atmosphere au=
tour de la Lune. S'il y a une preponderance
pour la rejetter comme fausse, alors elle est
improbable, suspecte, p. ex. Pierre agé de
10 ans parviendra a 80 ans.
Il est
DEGRES DE PROBABILITE
On comprend par ce qui a été dit, qu'entre le
doute et la certitude, il y a une echelle de
degrés intermediaires de probabilité ou de
vraisemblance, qui peuvent etre soumis a une
sorte de calcul.
<79v> on comprend aussi que les degrés peuvent
varier selon les personnes, c'est a dire que la
même proposition peut etre certaine pour l'un,
douteuse pour l'autre, plus ou moins probable
pour d'autres, selon le degré de connoissance
qu'elles ont des objets et des rapports, ou le gen=
re de preuves qui ont pu etre a leur porté. Ain=
si ce qui est science pour l'un peut n'etre qu'o=
pinion pour l'autre: ainsi les opinions sont
très variables, mais la Science ne change
point pour aussi ceux qui ont saisi distinctement
les fondemens de leur persuasion. Opinionum
commenta delet dies, natura judicia
confirmat. Cicero, de N. D. L. II.
Il y a une certitude accompagnée d'evidence,
evidence de sentiment, evidence d'instruction,
evidence de demonstration. Il en est une
autres qui n'est pas accompagnée le fruit immediat de l'evi=
dence, mais qui repose sur le rapport des
sens, sur le temoignage, sur l'analogie.
Nous allons les examiner.
CHAPITRE II.
Des connoissances dont la certitude repo=
se sur l'evidence.
EVIDENCE
Entre les connoissances certaines, la premiere
place est due a celles qui sont accompagnées
d'evidence c.a.d. une perception claire et im=
mediate de ce qui est en nous, qui exclut tout
danger d'erreur. Ainsi quand je dis, je vois
eivdemment, je suppose que, dans mon juge=
ment, je suis aussi sur de ne pas me meprendre
que lorsque je dis, je vois actuellement la
lumiere du jour.
EVIDENCE DE SENTIMENT.
Il y a pour l'ame une evidence de sentiment ou de cons=
cience actuelle de son existence, de ses facul=
tés, de son etat, des sensations qu'elle eprouve
des idées qui se presentent a elle, ou a la fois,
<80> ou successivement: Aucune evidence plus
irresistible; je pense, je veux, j'agis sans
contrainte, dont cela est aussi certain pour
moi qu'il est certain que j'existe; tout cela
appartient a la Conscience interieure; par=
tout la même certitude: elle est la même
chès tous les hommes, et toutes les proposi=
tions qui l'enoncent doivent etre admises pour
certaines par tous ceux dont le cerveau n'est
pas derangé, et qui connoissent la valeur des
termes.
EVIDENCE D'INTUITION.
On appelle Evidence d'intuition ou de sim=
ple vue celle la perception claire et immedia=
te du rapport de deux idées ou de deux ter=
mes d'une proposition, et en ce cas la proposi=
tion est appellée evidente par elle même. Cette
evidence est tout aussi claire et immediate que
celle qui accompagne dans l'Esprit le sentiment de l'actualité
de ces deux idees et de sa propre existence; il est
aussi evident pour moi que 2 et 2 font 4,
que le tout est plus grand que sa partie, qu'il
l'est que je pense et que j'existe. La certitude
est donc aussi la même et les propositions evi=
dentes par elles mêmes sont egalement certai=
nes pour tous les hommes qui connoissent la
valeur des expressions: elles sont dès la incon=
testables et doivent etre admises comme princi=
pes premiers, avec toutes leurs consequences
necessaires. Tout effet suppose une cause,
tous les raions d'un cercle sont egaux.
EVIDENCE DE DEMONSTRATION.
On appelle evidence de demonstration la per=
ception claire de la liaison intime d'un princi=
pe evident avec telle proposition, en vertu
de laquelle l'ame voit evidemment qu'il est
impossible d'admettre le principe sans admettre
cette proposition comme consequence et qu'on
ne sauroit rejetter celle ci sans etre 1 mot biffure meme admettre
<80v> l'un et rejetter l'autre sans supposer qu'il est
possible qu'une chose soit et ne soit pas en même
temps, ou que deux contradictoires sont egale=
ment vraies; d'ou vient que quand une propo=
sition est demontrée , on dit que le contraire
implique contradiction: Telle est l'evidence
de cette proposition, le quaré de l'hypothe=
nuse est egal aux quarés des deux autres côtés
du Triange rectangle.
D'OU PEUT NAITRE L'ERREUR DANS LES
CHOSES EVIDENTES
Quand l'ame est frappée de l'evidence, elle
acquiesce a un jugement par une contrain=
te irresistible, et il ne sauroit y avoir lieu
a l'erreur d'ou vient donc que des proposi=
tions ni même a la
suspension du
jugement: elle
ne pouroit avoir
d'un cote les idées
de 4 et 3, et de
l'autre, celle de 7, sans
appercevoir entr'elles un
rapport d'egalité.
Ainsi l'evidence
porte avec elle
son caractere
distinctif, qui
n'est autre chose
que le sentiment
qui accompagne
la perception im=
mediate. Mais
d'ou vient donc que
des propositions
qui passent pour evidentes sont niées
ou contestées par certaines personnes? on
pourroit attribuer cela a la mauvaise foi
et a l'esprit de chicane: mais rien n'empeche
aussi de supposer qu'en effet l'evidence de ces
propositions ne les frappe point, parce qu'il
sagit de choses qu'ils ignorent, ou dont ils n'ont
aucune idee distincte, jusques la qu'ils ne con=
noissent pas même le sens des mots emploiés a
leur expression. D'ailleurs D'un autre côté nous voions des
gens qui se croient frappés d'evidence lors=
qu'ils ne le sont point. On 1 mot biffure il en est qui
ne font point d'attention a ce qui se passent
en eux, qui le laissent echapper, qui se le de=
guisent, et qui supposent de même au contraire ce qui
n'y est pas; qui croient eprouver un sentiment
qu'ils n'eprouvent point &c. combien qui
s'imaginent voir un rapport entre deux idées
tandis qu'ils n'y voient reellement rien, ou
que les idées ne leur offrent qu'une union chi=
merique. N'en a t'on pas vu qui arrivés a
la conclusion d'une demonstration d'Euclide
ont cru etre frappés d'evidence, quand même
ils n'y avoient rien compris? Et ne voit on
<81> pas tous les jours des gens qui regardent
comme des axiomes de purs prejugés, des
opinions vraies en un sens, fausses dans
l'autre &c. Tout cela prouve, non, que ce qui
est evident puisse etre faux, mais que les hom=
mes peuvent prendre l'apparence pour la realité,
admettre pour evident ce qui ne l'est point,
contester sur
ce qui l'est reelle=
ment, et par cons. qu'il est necessaire d'indiquer
le criterium auquel on peut reconnoitre si
l'evidence qu'on suppose est bien reelle, ou
ne l'est pas.
CRITERIUM DE L'EVIDENCE
L'evidence du sentiment ne sauroit avoir
d'autre criterium que le sentiment lui même,
accompagné de la persuasion intime que
dans la pensée qui correspond ainsi que dans son
expression, on ne suppose ni plus ni moins que
ce qu'on sent en effet.
Le criterium de l'evidence d'intuition pour
les jugemens affirmatifs, c'est la perception
claire et immediate de l'identité reelle de
deux idées rapprochées, qui fait voir claire=
ment qu'elles ne different entr'elles que par
ce que l'une a été separée de l'autre pour
recevoir une expression a part, quoique
dans le fond elles se reunissent et se fondent dans un
seul et même objet ideal: quand je dis,
le tout est plus grand que sa partie, j'apper=
cois distinctement l'identité puisque l'idée
de partie n'est que celle d'une chose contenues avec
d'autres dans le tout, qui est plus grand que
chacune d'elles. Dans les jugemens nega=
tifs, c'est la perception de la non identité de
deux idées dont l'une exclut l'autre. Avec
ces criteria on est sur de ne pas sortir
du rapport qui est le resultat immediat de
la comparaison, et avec la perception de ce de ne pas se tromper dans
rapport, on est sur
<81v> dans son jugement, puisqu'il n'y a aucun
rapport supposé. Ici la verité est indepen=
dante des rapports des idées avec des ob=
jets au dehors, et l'axiome; le tout est plus
grand que sa partie,seroit egalement
incontestable, quand il n'y auroit hors
de moi aucun objet, auquel je pus l'ap=
pliquer.
Le criterium de l'Identité peut etre aussi
appliqué a l'evidence de demonstration, car
cette evidence ne peut etre sensible qu'autant
qu'on voit la connexion intime des proposi=
tions, ou qu'on decouvre, en les comparant,
que la premiere renferme implicitement la
seconde, la 2o la troisieme &c. en sorte que
pour le fond, la 3o rentre dans la 2o, la 2o
dans la 1o, et qu'a considerer la chose de
près, elles n'offrent qu'une même idée
verité enoncée sous des termes differens.
IDEE DE LA DEMONSTRATION
La demonstration se reduit en effet a une
serie de propositions dont la suivante ne
differe de la precedente que par la transmu=
tation des termes de l'enoncé: demontrer
n'est autre chose que donner a un même
principe diverses formes, jusques a ce qu'il
soit converti en la proposition qu'on veut
etablir. Mais l'Identité de celle ci avec le princi=
pe ne devient manifeste que quand on
suit la chaine des propositions intermedi=
aires, sans omettre aucune de celles qui
sont necessaires pour rendre sensible le passa=
ge du principe a la consequence. Quiquon=
que est incapable de la suivre ne sauroit
etre frappé de l'evidence de demonstration,
ce qui fait qu'une même 1 mot biffure demons=
tration est evidente pour l'un qui ne l'est point
pour un autre. D'ou l'un 1 mot biffure voit aussi
<83> que si dans une chaine d'intermediaires,
il vient a se glisser une seule qui n'est point liée
ni a la precedente ni a la suivante, la demons=
tration est manquée, et combien il faut y
apporter d'attention si on veut la bien faire
ou la bien saisir.
Cette maniere de demontrer est directe; il en
est une autre indirecte ou ex absurdo, par
laquelle on montre qu'en supposant la pro=
position dont il s'agit fausse, et la contraire
vraie, on pouroit deduire de celle ci une
serie 1 mot biffure de propositions dont la derniere ren=
fermeroit une absurdité, une contradiction.
Cette forme est bonne au deffaut de l'autre,
ou pour confirmer celle ci; mais la directe
est d'ailleurs preferable comme etant plus
instructive.
OBSERVATIONS
Les mêmes moiens qui conduisent a la cer=
titude d'evidence pour saisir la verité d'une
proposition, servent aussi a reconnoitre
ce qui est evidemment faux, et a en demon=
trer la fausseté. Un jugement est
evidemment faux,
quand on ajoute
quelque idee etran=
gere a celles dont
on a la perception
immediate; quand
on rapporte a d'au=
tres idées la relation
qu'on a appercue
seulement entre
certaines idées, p. ex
qu'on rapporte a
la necessité morale
ce qui est vrai de
la necessité physi=
que, ou que, comme les Epicu=
riens, qu' on rapporte
a la volupté des sens
ce qui n'est vrai que
de celle de l'Esprit quand a
la relation imme=
diatement appercue
entre deux idées
on ajoute quelque
chose qu'on n'a
point appercu;
comme cela est
arrivé si souvent
en Théologie, en
parlant de Dieu.
Le mot de Science se prend dans un sens
general pour marquer la certitude par oppo=
sition a l'opinion; il se prend aussi quelques
fois dans un sens particulier, pour la connois=
sance fondée sur l'evidence d'intuition ou
de demonstration, par opposition a la foi
fondée sur le temoignage. Dans un autre
sens prattique, il designe l'habitude de
prouver et entr'autre de demontrer tout
ce qui peut l'etre. Pour acquerir cette habitu=
de, il faut un continuel exercice accompa=
gné d'une attention soutenue pour ne rien
admettre qui ne soit deduit legitimement de principes
de principes certains et même
evidens, si la nature des choses le permet.
voir note.
<82> note a la fin du ch. II.
Remarqués que dans ce qui vient d'etre dit
de l'evidence nous avons toujours supposé qu'elle
n'existoit que dans la perception immediate
du rapport de nos idees entrelles, et nullement
dans le rapport de celles ci avec les objets du
dehors; car l'axiome, le tout est plus grand
que sa partie seroit toujours evidemment vrai
quand il n'y auroit hors de moi aucun objet
auquel je pus l'appliquer; le Mathematicien
ne s'occupe que d'idees, et les verités qu'il pro=
pose sont independantes de tout objet existant;
lorsquil les applique a ceux ci, il suppose
alors que les idées sont conformes a leur
nature, mais ce n'est pas l'evidence qui
l'en assure. Il en est de meme de toute Science
ou l'on traite des choses mêmes, mais tou=
jours en raisonnant sur les idees qu'on s'en
forme et dans la supposition que les idees
sont d'accord avec les choses.
<82v> Mais si a cause de l'imperfection de l'Esprit hu=
main, il se trouve des cas ou une proposition
me paroit evidemment demontrée et qu'on me
presente en faveur de la proposition contraire
des argumens qui me paroissent aussi evidents
que dois je faire ou qu'on deduise de la premiere
avec evidence, une consequence manifestement
absurde, que dois je faire pour eviter l'erreur?
rester dans le doute, examiner de nouveau
la question et si je trouve que les objections
se reduisent a certaines difficultes qui ne
prouvent autre chose si ce n'est que la question
a un cote obscur et que la proposition peut
toujours demeurer vraie, quoique mon
ignorance ne me permette pas de les lever,
alors je puis m'en tenir a ce qui est evi=
demment prouvé, sans me mettre peine
du reste. C'est le parti qu'il faut prendre
en Geometrie quand on demontre qu'il y a
des classes d'infini a l'infini, que la speculations
Logarithmique peut faire des circonvo=
lutions en elle meme a l'infini sans ja=
mais arriver a son centre, que les asym=
totes de l'hyperbole inclinees l'une vers
l'autre, peuvent etre prolongees a l'infi=
ni sans jamais se rencontrer.
<83v> CHAPITRE III.
Des principes evidens qui servent de base
a toute Science de raisonnement exposée
par la Synthese.
PREMIERES VERITES, AXIOMES.
La perception immediate des rapports d'identité
entre les idées donne les principes evidens
par eux mêmes, les premieres verités, ou les
enonces generaux appellés axiomes, qui
servent de base, comme de Loix, a tous nos rai=
sonnemens, que nous sous entendons toujours
en nous mêmes, et que nous pourrions même
nous dispenser de rappeller, lorsque nous par=
lons, si cela n'etoit le plus souvent necessaire
pour exprimer nos pensées avec methode, pour
nous rendre plus intelligibles a ceux qui nous
ecoutent, et les convaincre pleinement de ce
que nous leur disons. Toujours du moins
supposons nous, lorsqu'il nous arrive de les rap=
peller, qu'ils sont d'une evidence irresistible
pour ceux qui connoissant le sens des termes,
et lorsque nous nous en dispensons, qu'ils
sont autant de donnés sous entendus,
qu'on n'a que faire d'enoncer lorsqu'on parle
a des gens sensés et de bonne foi.
OBJET DE L'ONTOLOGIE ET DE TOUTE
VRAIE SCIENCE.
L'ensemble de ces principes generaux avec leurs
consequences necessaires 1 mot biffure entr'autres, sont l'objet de la Science
qu'on a appellée Philosophie premiere, autre=
ment ontologie. Une vraie ontologie ne
devroit presenter aucune proposition qui ne fut eviden=
te par intuition ou demonstration. 1 mot biffure
Si l'on s'en tenoit aux rapports appliqués saisis par
une perception claire de l'identité, elle seroit ab=
solument exempte d'erreur: mais pour cela
il faudroit que les idées fussent bien analysees
et rappellées a leurs Elemens primitifs dans
la perception desquels on ne sauroit saisir
<84> les rapports des notions qui en sont compo=
sées. Ainsi la vraie Ontologie ne s'occupe=
ra jamais d'opinions, ni de questions qui
ont fourni matiere a des disputes intermi=
nables, comme celles qu'on a elevées sur l'espace
et l'immensité, la durée et l'eternité, sur l'essen=
ce reelle des Etres, et des sur des qualités non connues
par l'experience, sur la creation, le concours,
la premotion, les causes occasionelles, l'harmo=
nie preetablie, les monades, la raison premie=
re de l'union des deux substances &c. Laissant
toutes ces questions a des gens curieux et oisifs,
la vraie Science s'attachera plutot a deter=
miner par l'analyse de la pensée qu'elle en
est l'enceinte et qu'elles en sont les bornes, qu'on
ne peut passer sans entrer dans les sentiers
de l'illusion et de la chimere; tout y abou=
tira a presenter dans l'ordre les plus lumineux
les verités premieres qui servent de base a nos
raisonnemens, et de fondement aux Sciences
que exposees par la Synthese . doit classer sur elles com=
me sur une base 1 mot biffure
PREMIERES VERITES ONTOLOGIQUES
Les premieres verités ontologiques enoncées
ou sous entendues dans tout raisonnement,
universellement recues pour evidentes, et cer=
taines des qu'on les entend prononcer, sans
qu'il soit besoin, pour les etablir, de recourir
a aucune demonstration; peuvent se redui=
re aux suivantes.
1o Pendant qu'une chose est il est impossible que
dans le même temps, elle ne soit pas: c'est
ce qu'on a appellé le principe de la contradic=
tion.
2 Ce qui est ne peut pas exister par une suite
de ce qui n'est pas; une chose qui n'etoit pas et
qui a commancé d'etre, n'a pas pu se donner l'exis=
tence a elle même; elle est un effet produit.
<84v> 3 Tout ce qui est effet produit a necessairement une cause
qui l'a produit, et on peut cette cause explique par les
pourquoi il existe plutot qu'il n'existe pas, pour=
quoi il est ainsi et non autrement, c'est ce
qu'on a appellé le principe de la raison suffi=
sante.
Tout 4o Partout
ou il y a une
cause c.d. tout
ce qui est suffisant
et requis pour
produire tel effet,
il doit y avoir
un tel et tel, sans
quoi il n'y auroit
pas ce qu'il faut
pour le produire
9 il implique contradiction qu'il y ait une succes=
sion infinie d'effets sans cause primordiale.
10 Il existe une cause premiere qui n'est pas
un effet, qui n'a pas été produite, qui n'a pas
commancé d'etre, qui est eternelle; quelque
1 mot biffure chose a existé de toute eternité;
10 cette chose n'a aucune raison de son existen=
ce hors de soi, elle existe par elle même, par
sa propre essence, necessairement, indepen=
damment, elle ne peut pas ne pas exister
aucune 3 mots biffure ni etre autrement qu'elle n'est, elle est im=
muable. Tout ce qui exis=
te a dans elle la
raison de son exis=
tence dans elle
dans sa force, son
activité, sa pensée
et elle doit etre
des la souveraine=
ment active, in=
telligente, sage
dans son but et
ses moiens.
5o Des qualités dont les notions s'excluent
reciproquement ne peuvent exister dans
le même sujet, ou la même substance;
elles doivent necessairement appartenir
a deux substances differentes distinctes.
6 Les L'Essence d'une chose ne peut pas
etre l'essence d'une autre, ce seroit dire
quune chose est et n'est pas en même
temps. Les essences sont donc necessaires,
immuables eternelles.
7o Considerés dans
leur essence, et
dans leurs effets,
tous les Etres
quelquils soient
des essences
ont entr'eux
2 mots biffure
elles 1 mot biffure
des rapports na=
turels et perma=
nens invaria=
bles comme qui
les essences elles
memes, et
produisent des
effets constans
et uniformes qu'on
appelle des Loix.
Tous les Etres ont entr'eux des rapports na=
turels et permanens d'ou resulte une vraie
constante entre les causes et les effets, en
vertu de laquelle les causes semblables, dans
les memes circonstances produisent des effets
semblables et les effets semblables, sous les
memes circonstances doivent etre attribuées
a des causes semblables. C'est ce qu'on appelle=
le principe le principe general ou loi univer
selle de l'analogie, qui appartient a l'ordre
des premieres verites.
<85> 8o
De ces Loix decou=
le une liaison et
entre les causes et
les effets en vertu
de laquelle les cau=
ses semblables, dans
les memes circons=
tances, produisent
des effets semblables,
et les effets sembla=
bles, dans les memes
circonstances, doi=
vent etre rapportés
a des causes sem=
blables: ce qui
donne la Loi la
plus generale
que nous connois=
sions, appellée Loi
d'analogie; d'ou
nait l'ordre Physi=
que ou la Serie
constante des causes
et des effets physi=
ques, resultant des
rapports permanens
entre les Etres Phy=
siques.
De cette Science
de l'Etre en general,
resulte immedia=
tement les axiomes
applicables a
l'Etre Infini quon
peut reduire aux
suivans
PREMIERES VERITES MATHEMATIQUES
La Science de l'Etre en general, comprend aussi
celle de l'Etre consideré sous l'idée abstraite
de grandeur qui est l'objet de la Science Ma=
thematique; dont voici les premieres ve=
rités.
Une chose qui demeure la même demeure
toujours egale a elle même : le tout est egal
a toutes ses parties prises ensemble - le tout
est plus grand qu'aucune de ses parties - les
choses egales a une 3o sont egales entrelles
- si a des choses egales, on en ajoute d'egales
les touts demeureront egaux- si de choses
egales, on en retranche d'egales, les restes
demeureront egaux - les mêmes multi=
ples ou sous multiples de grandeurs egales sont egaux
entreux - on peut appliquer tout cela
aux rapports entre les grandeurs, d'ou
naissent les proportions, les progres=
sions.
APPLICATION DES PREMIERES VERITES
Des qu'il faut nous occuper d'objets reelle=
ment existans hors de nous la pensee, pour nous assu=
rer quils sont bien ce qu'ils nous semblent etre,
et que nos jugemens a leur egard sont vrais,
la certitude cesse d'etre une consequence neces=
saire de l'evidence et des premieres verités:
neammoins l'Ontologie ne laisse pas d'etre
d'un usage indispensable pour fournir
les principes generaux d'ou depend la force
de tout raisonnement, qui peut nous condui=
re a la certitude sur quelque objet que ce soit.
S'agit il de nôtre ame, nous savons par evi=
dence de sentiment qu'elle existe avec certai=
nes facultés: liees inseparable=
ment avec la cons=
cience de soi meme
et l'Intelligence,
et sur tout ceci nôtre
certitude est accom=
pagnee d'evidence de
sentiment mais par cette voie, nous ne
savons point si elle est distincte du corps.
<85v> avant tout, il faut que nous aions une certi=
tude physique de l'existence des corps, de leurs pro=
prietes leurs loix, leurs opposition et incompati=
bilité de celles ci avec les facultés de l'ame. Cette certitude
une fois acquise, il faut alors recourir aux pre=
mieres verités pour etablir le raisonnement qui
doit ici nous conduire a la certitude sur la
question dont il s'agit, et nous disons; des quali=
tes qui s'excluent par une incompatibilité na=
turelle doivent necessairement appartenir a
deux Substances distinctes. Or les qualités &c.
voulons nous dire quelque chose sur les limites
de nôtre Intelligence: il faut nous rappeller
d'abord que c'est a l'usage des sens, a l'observation aux ex=
periences, aux secours exterieurs, que nous som=
mes redevables des premiers materiaux sur
lesquels nous exercions nos facultés Intellec=
tuelles, et que c'est de la que dependent l'etendue
et les limites de celles ci: après quoi nous disons,
il est impossible a un Etre Intelligent qui tire ses
premiers materiaux des sens, de l'observations &c.
de connoitre des objets qui ne sont pas a la portée
des sens &c. or l'homme &c. on pourroit dire
aussi; il est impossible a un Etre fini, qui ne
connoit que très imparfaitement les Etres finis
de comprendre l'infini qui n'a aucune com=
mune mesure avec le fini, or l'homme &c.
S'agit il de Dieu, je puis obtenir une vraie de=
monstration de son existence sans sortir des
premieres verités; je sai par evidence de sentiment que j'existe,
que je sens, que je pense, que je n'ai pas toujours
existé, que je ne suis pas cause de moi même,
que j'ai une cause hors de moi, et je suis forcé
de reconnoitre une cause premiere qui est elle
meme sensible, Intelligente, &c. Je puis m'elever
meme a la connois=
sance de ses attri=
buts sans sortir
des rapports evi=
dens que je saisis
entre mes notions,
et mes resultats
sont certains par
evidence d'intuition
et de demonstra=
tion. Il est evident
pour moi quetant
Intelligent, je dois
mon existence a
un etre Intelligent
eternel, infiniment
au dessus de moi
en pensée et en puis=
sance, et des la
meme infiniment
sage et bon.
Mais si pour m'elever a la connoissance de Dieu
je veux sortir de moi même, il faut avant
tout que j'obtienne une certitude physique
sur les l'existence des objets dont je suis environ=
né, sur leur succession, leur mouvement, leur ord=
re <86> toutes les proprietes des corps, leur inertie, leur
mutabilité, leurs limites &c. Après quoi je dis,
la premiere cause eternelle et necessaire ne
peut etre ni dependante ni finie, ni muable,
ni passive, puisqu'elle est l'auteur de tout ce qui
existe, des corps, des Loix &c. or l'univers et la
matiere sont &c. donc la premiere cause est
essentiellement distincte de l'univers et de la ma=
tiere, un Etre essentiellement actif, intelligent
immateriel, qui ne peut etre mu et qui meut
tout &c. Je suis assuré
que mes idées
sont d'accord avec
les choses, et je
tire de leur rap=
port immediat
une consequence
evidemment
vraie et certaine
Lorsqu'il s'agit des choses Physiques, les sens, l'obser=
vation, les experiences nous fournissent d'abord
les idées de leurs qualités, et nous nous exercons
sur ces idées pour les rapporter les divers objets
a des classes ou notions generales, que nous
lions a des termes generaux, pour eviter la con=
fusion et faciliter nos progrés en connoissance.
Mais ici nous pouvons adopter des classifica=
tions arbitraires sans avoir aucune certitude
que ce que nous separons dans nôtre pensée, soit
de même separé dans la nature, ou tirer de ces
classifications des inductions precipitées en ad=
mettant comme vraies des resultats qui ne
le sont point. Dans des operations de ce gen=
re on a encor besoin de recourir a certains
principes generaux de raisonnement pour
en obtenir la certitude que les choses sont bien
comme nous les voions, que les classes auxquelles
on les rapporte, ont été bien distribuées con=
formement a leur nature et a leurs qualités,
d'après des appercus bien verifiés par l'expe=
rience, que nous n'avons admis comme resul=
tat qui de qui etoit la suite necessaire de faits
bien prouvés, ni etendu nos inductions au
dela du cercle dans lequel ils se trouvoient
circonscrits. Des que nous
avons ainsi la certitu=
de de la convenan=
ce de nos idees
avec les choses
meme et leur Phe=
nomenes, nous
pouvons encor
fonder des rai=
sonnemens, accom=
pagnés d'eviden=
ce, et de certitu=
de mathemati=
que.
<86v> Par rapport aux objets moraux, on ne peut rien
etablir d'une maniere solide que d'après des pre=
mieres verités qui sont elles mêmes evidentes par
intuition, comme celles qui 1 mot biffure que etant l'expres=
sion des rapports immediats entre des idées puisées
dans la nature de l'Etre libre, qui agit pour une fin,
et que soutient des relations constantes l'une a 1 mot biffure avec
les autres Etres: d'ou naissent des verités pratti=
ques fondées sur ces mêmes relations, cette meme
1 mot biffure et qui sont dès la aussi necessaires et
immuables 1 mot biffure que l'est la nature des choses
même. Ainsi il est evident que l'homme doit
agir d'une maniere conforme a sa fin, au
bonheur auquel il aspire, prendre soin de sa
conservation, de sa personne, de sa vie, sa
reputation, sa fortune, de la culture de son
Esprit, &c.- qu'il doit chercher a se conci=
lier l'affection de ses semblables, les interesser
en sa faveur, les prevenir, les aimer &c.
- qu'etant une creature de Dieu: Son
souverain bien, il doit l'aimer, chercher par
dessus tout a lui plaire &c. Les principes gene=
raux ne sont pas moins necessaires lorsqu'il s'agit
d'appliquer les regles ou Loix aux divers
cas, comme on le fait en morale, en Juris=
prudence, en Politique.
Apres avoir montre la necessité de l'ontologie
dans toutes les Sciences, exposées par la 1 mot biffure
et lors même que celles ci se rapportent a des objets
hors de nous, il s'agit de voir, comment dans
la connoissance de ceux ci, qui n'est point du res=
sort de l'evidence, nous pouvons parvenir ce=
pendant a la certitude par les moiens, dont
nous sommes pourvus pour cela, qui sont de divers
genres suivant la diversité des objets, 1 mot biffure et de=
mandent des methodes de divers genres assor=
tis a la nature de chacun d'eux.
<87> CHAPITRE IV
Des connoissances humaines dont la certitude
n'est point le produit immediat de l'evidence;
et premierement de celles que nous acquerons
par l'observation.
L'AUTRE MOIENS D'OBTENIR LA CERTITUDE
Lorsqu'il s'agit des rapports de nos conceptions
avec les objets exterieurs ou de nous assurer que
Quand il s'agit d'ac=
querir les idées des
choses qui sont
hors de nous, nous
ne pouvons l'1 mot biffure
obtenir de la percep=
tion immediate
de ses choses, ni de ce qui
de celle
se passe en nous
mêmes; il nous
faut pour cela
des secours ou ins=
trumens differens
de cette 1 mot biffure
perception meme im=
ediate or
2 mots biffure
de connoitre ces
objets exterieurs,
pour etablir les rap=
ports de nos con=
ceptions avec eux, on
ou de nous assu=
rer que ceux ci ceux ci sont reellement tels que nous les conce=
vons, et qu'ils ont entr'eux ou avec nous les
rapports que nous y supposons, nous avons,
pour arriver a la certitude, quatre moiens, qui
sont tous a notre portée.
1o nôtre propre observation 1 mot biffure sur les
objets et les faits, sur tout ce qui est ou qui se passe
hors de nous, et qui frappe nos sens.
2o l'observation et les 1 mot biffure des autres, qui
appuie la nôtre ou y supplée dans les cas ou
nous n'avons pu observer les choses nous mêmes,
1 mot biffure du moins avec autant d'exactitude et de succes
qu'ils l'ont fait. La certitude qui nait de cette
source repose sur les raisons que nous avons
de croire que les autres ont pris toutes les precau=
tions pour bien observer et de comnter sur
leur bonne foi. Cette certitude se nomme
morale et la precedente physique.
3o l'Analogie en vertu de laquelle nos obser=
vations reunies a celles des autres sur certains
faits, lorsquelles se trouvent uniformes et cons=
tantes, peuvent etre transportées et appliquées
a d'autres faits non encor observés, mais qu'on
peut supposer semblables aux precedens, de=
pendant des mêmes causes et des mêmes Loix.
4o L'Induction qui nous autoriser a tirer de
nos observations jointes a celles des autres, eten=
dues par l'analogie, quelque resultat qui ex=
prime en termes generaux une verité, une Loi,
un principe incontestable, qui peut s'appliquer
a tous les faits reductibles a la même classe. ou
genre
<87v> Quatre moiens qui n'ont aucune connexion
naturelle avec ce que les objets sont en eux mêmes,
mais quisont comme des instrumens mais a nôtre por=
tee pour les connoitre, commancons par le qui ne nous en don=
premier.
nant aucune per=
ception immediate
accompagnée d'evi=
dence, qui n'est 1 mot biffure=
point par eux me
mes la mais qui
sont comme des
instrumens dont
le Sage auteur
de la nature nous
a muni pour
arriver a une
connoissance des
objets suffisante
pour nos besoins
et le plus souvent
certaine.
Remarquons ce=
pendant que quoique nous
les considerions ici
separement, ils ne
sont point separés
dans l'usage et
dans le fait, et
que la certitude
de nos connois=
sances depend
de leur concours
dans les instruc=
tions qu'ils nous
donnent sur les
memes objets.
L'OBSERVATION, LES EXPERIENCES.
On appelle observation ce moien que nous avons
de connoitre les objets et les faits exterieurs, par
l'usage de nos organes sensibles, soutenu de
la reminiscence, l'attention, la memoire, pour en
tenir note et registre: a quoi il faut joindre les
instrumens qui augmentent la portée de nos
sens et en multiplient les instructions.
On donne ici le nom d'experiences au choix
et a l'emploi de divers moiens artificiels pour
suppleer a l'observation simple, et s'assurer d'au=
tant mieux de la verité des faits observés. C'est
en ce sens qu'on dit faire des experiences, ce
qui se fait en appliquant des corps a d'autres
corps, pour mieux observer les effets produits: on
distingue observations et experiences physi=
ques, chymiques, Meteorologïques &c.
GENRE DE CONNOISSANCES QUI EN NAISSENT
De ces sources il ne peut naitre aucune
evidence que celle du sentiment des diverses
impressions que nous eprouvons en nous mê=
mes avec la conscience que nous avons qu'elles
proviennent de quelque cause hors de nous
qui agit sur nos organes. J'eprouve actuel=
lement les sensations de la chaleur et de la
lumiere, et je sens que ces sensations sont
produites par un corps que j'appelle Soleil;
veux je aller plus loin, toute evidence m'e=
chappe.
Dans les impressions que recoivent nos orga=
nes il n'y a que du mouvement. Les sensations
de dureté, mollesse, fluidité, chaleur, froid
ne proviennent que de certains mouvemens.
<88> Dans les organes du tact qui varient comme les
impressions qui se font sur les fibres. 2 La vision
est le produit den l'ebranlement d'une membra=
ne au fond de l'oeuil frappées par les rayons de
la lumiere qui se reflechissent de la surface
des corps. 1 Le son provient de l'ebranlement
du tympan a qui l'air agité communique
les vibrations du corps sonore &c. Quoique
resultat du mouvement, la sensation n'est point
ce mouvement même, et elle ne sauroit nous re=
presenter ce mouvement qui la produite par
une influence a nous inconnue, et encor
moins nous 1 mot biffure apprendre quel est ce corps exterieur d'ou
est parti le mouvement; aucune connexion
naturelle entre ces diverses choses. Ainsi le
simple usage des sens, ne nous decouvre ni
l'essence des corps, ni leurs elemens, ni ce qu'ils
sont en eux mêmes, ni quelles sont leurs propri=
etés inherentes et independantes; car ce que
nous appellons leurs proprietés, qualités, ne sont
au fond que des rapports d'influence sur
nôtre corps, qui ne nous decouvrent point
ce que ce qu'ils sont en eux-mêmes.
On distingue ordinairement des qualités
secondaires qui se reduisent toutes a des sen=
sations que ces corps produisent en nous, et
des qualités premieres que nous supposons y
exister reellement et independamment de toute
impression sur nos organes. Celles Les secon=
daires n'ont certainement rien qui existe
dans les corps même, et elles ne sauroient
nous en donner aucune idée vraie. Parce
qu'on les rapporte dans le discours a certaines
qualités qu'on attribue aux objets, le vulgaire,
il est vrai, n'est que trop porté a supposer dans
ceux ci des qualités semblables reellement
aux sensations qu'ils nous font eprouver; d'ou
vient qu'on dit le feu est chaud, la glace est froide.
<88v> Mais tout homme de sens reconnoit d'abord l'impro=
prieté de ces expressions, et comprend qu'on ne
doit pas confondre des choses qui n'ont rien de res=
semblant entr'elles, savoir la sensation que nous
eprouvons et la constitution 1 mot biffure de l'objet
qui nous la fait eprouver. Quel rapport entre
la sensation du son et le tremoussement du corps
sonore, l'odeur et les molecules volatiles qui
agissent sur la membrane pituitaire.
Quant aux qualités premieres, puisque nous
ne les connoissons que par les sens, qui nous a
dit qu'elles ne puissent etre aussi des qualités pu=
rement relatives a nôtre organisation et depen=
dantes d'autres qualites primitives et essentielles
jusques ici inconnues, en sorte qu'elles ne sau=
roient nous instruire de ce que les corps sont
en eux memes et independamnent de leurs in=
fluences sur nôtre corps.
Ne nous figurons donc pas que nos sens nous
representent les corps comme un Tableau repre=
sente son original: elles ne ne sont pas même
l'expression naturelle vraie des changemens qui sur=
viennent a nos corps par les impressions du
dehors: ce sont tout au plus des indices pour
nous en avertir. A quelle connoissance et
quelle certitude peut donc nous 1 mot biffure conduire l'usage de
nos sens 1 mot biffure l'observation?
INTRUCTION DE NOS SENS POUR
NOUS CONDUIRE A LA CERTITUDE.
Les sens nous instruisent avec certitude 1o de
l'existence de notre corps, de nos membres, de nos
organes sensibles. L'evidence de sentiment
nous assure de l'existence de nôtre moi pensant,
1 mot biffure et de la sensation que nous eprouvons comme
effet de quelque cause, mais nous ne saurions soub=
çonner aucune autre cause que nôtre corps avec lequel
nôtre conscience nous fait sentir avec 2 mot biffure
que nôtre moi pensant est uni, et dont nous
<89> n'avons aucune raison de suspecter la realité,
sans laquelle nous n'eussions même jamais pu
en concevoir l'idée: Cette certitude qui s'etend a tous
ses membres, tous ses organes, qui nous transmet=
tent les sensations a leur diversité correspondan=
te a la diversité de celles ci.
Ils Les sens nous assurent 2o qu'il existe hors de lui d'au=
tres corps qui font impression sur ses organes et
sur lesquels ses membres deploient a leur tour leur
activité. Il se peut quelquefois que nos organes,
a la suite de quelque mouvement, nous fassent
eprouver quelque sensation que nous rapportons
a l'impression de certain objet, supposé present
quoiqu'il ne le soit point: mais ces cas la sont
fort rares, et même, comme 1 mot biffure ils supposent toujours
la reminiscence de quelque impression 1 mot biffure an=
terieure de la part de l'objet, on n'en peut rien con=
clure contre ce que nous disons de la certitude
que les sens nous donnent sur l'existence des
objets dont nous sommes environnés.
Ils nous apprennent 3o avec certitude que telle
sensation est la suite constante de telle impres=
sion qui nous vient du dehors, comme celle ci
est l'effet ordinaire de certaine cause Considérée
comme qualité dans l'objet: et cela nous
conduit a cette induction legitime, que les
impressions qui nous viennent du dehors ne sont
que des resultats des rapports que les objets exte=
rieurs ont avec nôtre corps par une suite de
leur constitution ou de leurs qualités primiti=
ves. Mais on comprend qu'une telle induction
presuppose une suite d'observations reiterées.
Ainsi 4o quoique les Sens ne nous apprennent
point ce que les corps sont en eux mêmes, ni la
raison premiere des qualités que nous leur sup=
posons, neanmoins ils nous assurent de la rea=
lité de ces qualités par leurs effets, et nous font connoi=
tre la correspondance ordinaire de ceux ci avec
leurs causes, l'uniformité et la constance de
cette correspond
<89v> de cette correspondance, et sa dependance de cer=
tains rapports permanens qu'on a appellés des
Loix.
5 Ces Loix n'etant autre chose que des rapports sen=
sibles entre les corps exterieurs et le nôtre, ou de
ces corps entr'eux, nôtre propre observation, si
elle est accompagnée de l'exercice de nos autres
facultés, suffit pour nous faire connoitre la
plupart de ces Loix avec une telle certitude
que nous ne saurions les revoquer en doute
sans absurdité, et sans nous exposer a vivre dans
la plus cruelle incertitude sur tous les objets qui
interessent nôtre conservation, et même sans nous
mettre dans le cas de rejetter des certaines verités qui tien=
nent a l'evidence de demonstration, savoir
que ce monde est l'ouvrage d'une cause premiere
infiniment sage, qui n'a pu se dispenser de le
soumettre a certaines Loix regulieres et cons=
tantes, et abl necessaires pour l'ordre et le bien
general des Intelligences.
Ce que nous venons de dire est si vrai que
tous les enoncés de faits, que chacun a pu obser=
ver soi même comme liés a des sensations cons=
tamment eprouvées, que l'experience ne dementit
jamais dans aucun temps ni aucun lieu, ou
ce qu'on appelle les observations simples et commu=
nes, ont toujours passé pour des principes certains
et incontestables, ainsi que les propositions qu'on
ne pourroit rejetter sans revoquer en doute la
verité de ceux la, p ex: Le Soleil donne de la cha=
leur et de la lumiere, une lumiere plus brillante
que celle de la Lune: il se leve et se couche chaque
jour et tous les jours a differens lieux de l'hori=
son &c. Tout fait supposé
qui seroit evidem=
ment contraire a
ces Loix ne sauroit
exister par aucune
cause prise dans
la nature, et de la
nous l'appellons
physiquement
impossible; quoi=
que possible en
lui même et au
sens absolu.
Quand le contrai=
re d'une chose est
impossible, non
en lui même, mais
par quelque cause
naturelle, nous
appellons la chose
necessaire dans
le sens physique
Cependant comme 2 mots biffure plusieurs
3 mots biffure de ces Loix et elles sont peuvent n'etre point une suite
de l'essence des choses, 2 mots biffure mais le estat de la volonté
arbitraire du createur, la raison 1 mot biffure d'apres
ses lumieres, 3 mots biffure presente cette
derniere comme la 3 mots biffure
proposition
<90> et nous fait conclure qu'il est des cas ou le Crea=
teur a pu ou peut agir immediatement, pour
produire des effets qui ne sont reductibles a aucune
des ces Loix physiques; et que quand on parle de
faits pareils, il est absurde de les rejetter unique=
ment parce qu'ils sont peu croiables en eux mêmes,
et que la sagesse demande plutot qu'on exami=
ne si les faits sont vrais ou faux d'après les
principes qui fondent la certitude morale
dependant du temoignage.
6. Il est manifeste par la construction de nos or=
ganes et leur disposition entr'eux que la princi=
pale destination de leur usage a été de nous
avertir promtement et surement des rapports que
les corps exterieurs ont avec le notre, de l'influence
qu'ils peuvent avoir sur nôtre etat ou en bien ou
en mal, et du parti que nous pouvons en tirer
relativement a nos besoins:
Il est vrai que la sensation seule ne nous fait pas
toujours distinguer avec certitude les objets sa=
lutaires et nuisibles: car quoi qu'il soit generale=
ment vrai qu'un ebranlement des organes vio=
lent et peinible nous avertis de nous deffier de l'ob=
jet qui l'a produit; cependant il n'arrive pas
toujours que ce qui nous est bon ou funeste nous
soit annoncé d'une maniere sure par des sensa=
tions flatteuses ou douloureuses: il est même
assès frequent que des plaisirs piquans se convertissent
par leurs suites en poison, tandis que des breu=
vages desagreables deviennent pour nous des
remedes salutaires. Souvent Quelques fois même
nous portons l'illusion jusques a rapporter
a des qualités de corps exterieurs des sensations qui ne
proviennent que de causes internes: L'homme
saisi du froid de la fievre croit etre dans un
glacier; l'excès de chaud qui succede lui rap=
pelle l'idée de la canicule: il lui semble que tout
cela depend de la temperature de l'air. Combien
de fois ne ressemblerions pas a ce malade dans
nos jugemens si nous ne nous tenions sur nos
gardes et si au rapport des
sens nous ne joignio=
ns 1 mot écriture d'autres
recettes destinées
a la rectifier.
<90v> QUAND L'INSTRUCTION DES SENS SE TROUVE
EN DEFFAUT.
Les sens ne peuvent nous conduire nous conduisent point a la certitu=
de, mais plutot a l'erreur. 1o lorsque les organes
sont alterés, mal disposés, puisqu'alors ils nous
font voir les choses tout autrement qu'elles ne
sont p. ex. ceux qui ont la jaunisse voient tout
jaune. 2o Lorsque les objets se trouvent a une
trop grande distance: car alors ce que nous en
voions ne nous dit rien que de trompeur sur leur
eloignement et leur grandeur souvent leur figure meme,leur mouvement
et l'espace par=
couru en ligne
s'avancant ou
reculant. 3o Lorsqu'il n'y a
aucune proportion entre l'organe et l'objet, car
alors s'il est trop grand nous n'envoions qu'une par=
tie et nous ne pouvons juger du reste; s'il est trop petit,
il nous echappe: nous n'en pouvons distinguer
les parties, ni en porter aucun jugement. 4o quand
il se trouve un obstacle intermediaire entre l'or=
gane et l'objet qui intercepte ou altere l'impression,
ainsi par ex. la refraction d'un fluide nous trompe en nous
montrant 1 mot biffure un corps la ou il n'est pas, ou comme
recourbé un objet qui est très droit.
CE QU'IL FAUT AJOUTER POUR QUELLE
NOUS CONDUISE A LA CERTITUDE.
Pour que les sens nous conduisent a la certitude
il faut 1 emploier et con=
sulter plusieurs
sens, autant de
sens que la chose
le permet, ou la
considerer de di=
verses manieres
pour en recevoir
par le même orga=
ne des sensations
differentes, joindre
a cela les secours de l'art.
2o ne rien ajouter
de notre chef au
rapport effectif
des sens et a ce
qui en est la consequence
necessaire.
mais 2o on ne
peut se dispen=
ser de joindre
a ce rapport jointre a leur rapport l'attention, la mé=
moire, l'exercice de l'Intelligence, pour bien dis=
tinguer les sensations, les rapprocher, et les compa=
rer entrelles, et les verifier les unes par les autres
comme il a été dit. (Anthrop. S. 1. C. VIII.)
Après cela il faut en faire souvent la revue, les
reconnoitre successivement, et par la se mettre
en etat de saisir clairement et determiner avec precision les
traits de conformité ou de difference qu'il y a en=
tre les objets, quant a leurs qualités, proprietés,
effets et influences salutaires ou nuisibles.
C'est de cet examen reflechi de nos sensations
que resulte proprement cette voie de connoissan=
ce et de certitude qu'on appelle l'observation,
sans laquelle nos sensations ne sauroient nous
conduire a rien de vrai et de certain.
<91> car 2 mots écriture ici que des objets de la vue,
ce que celle ci nous rend sensible de la disposition
de la lumiere et des ombres sur leur surface et de
leur grandeur apparente, 1 mot biffure ne nous conduiroit
jamais a aucun jugement vrai et certain
touchant leur grandeur reelle, leur distance,
leur figure, si nous ne pouvions comparer les rap=
ports de la vue avec ceux du toucher, ou voir les
memes objets a diverses distances, faire usage d'inter=
mediaires connus pour nous servir de mesure,
en un mot reflechir, raisonner, avant que
de juger. En general les sens ne se=
roient pour nous
qu'une source
continuelle d'ilu=
sions si nous n'ap=
prenions a en fai=
re usage par
le secours de la
reflexion et de
l'art.
CERTITUDE PHYSIQUE
Ainsi la certitude physique que nous pou=
vons obtenir dans les enoncés qui ont rapport
aux coprs, a leurs Phenomenes et a leurs Loix,
ne peut etre que le resultat d'une observation
reflechie, et soutenue d'un raisonnement fondé
sur les premieres verités, dont l'application
s'etend a toutes les branches de nos connois=
sances. La certitude physique, lorsqu'elle va
celle qui 1 mot biffure au dela des observations simples
et communes, depend ainsi de l'etendue de nos connois=
sances sur les faits physiques, de la reunion
des observations et des experiences faites par
nous ou par d'autres, de leur reiteration, de
l'assiduité de nos recherches, enfin de l'art
de bien argumenter par analogie et
induction.
ERREURS PROVENANT DES SENS.
Il ne sauroit y avoir d'erreur dans nos sensa=
tions même, ni dans les idées qu'elles reveillent
chès nous, qui ne sont que des idées nües, sim=
ples et claires: il est même rare que nous nous
trompions, lorsque nous rapportons la cause
de ces sensations a quelque objet hors de nous,
qui fait actuellement impression sur nos
organes. Mais il peut y avoir et il y a
effectivement erreur 1e lorsque nous sup=
posons que la sensation que nous eprouvons ou
<91v> quelque chose de semblable, se trouve aussi dans l'objet:
2 quand nous portons un jugement ou nous supposons
faussement que l'objet nous est representé par la sensa=
tion tel qu'il est en effet, et que dès la nous prononcons
sur sa nature et ses proprietés. Un trone d'arbre placé
a une certaine distance me retrace au fond de l'oeil
l'image d'un homme; il n'y a erreur ni dans l'image
ni dans l'idée, mais elle est dans le jugement par lequel je
prononce que c'est bien la un homme.
Les erreurs qui viennent des sens sont d'autant plus
communes que les hommes, lorsqu'il s'agit de choses
qui leur sont familieres, et sur lesquelles ils se sont
habitués a juger dès l'enfance, portent des jugemens si
promts qu'ils ne soubsçonnent pas même en avoir por=
té aucun. Ainsi ils croient saisir par la simple vue
la distance des objets, et cela est faux, car ils en ju=
gent; d'ou vient en effet que le même objet immobi=
le nous paroit près de nous; si un objet prochain
nous cache tous ceux qui se trouvent entre lui et
nous, tandis qu'il nous paroitra eloigné, si rien ne
nous cache l'entre deux? D'ou vient que les objets sepa=
rés de nous par un lac nous paroissent plus rap=
prochés que d'autres placés a la même distance?
d'ou vient que la Lune nous paroit plus grande
et plus près de nous a l'horison qu'au meridian?
Mais cela ne prouve til pas evidemment que
dans l'évaluation des distances, il y a toujours
une mesure a laquelle nous les rapportons et
dès la même un jugement. Dans mille autres
cas, les jugemens ne nous semblent etre que de
simples perceptions, et de la une infinité d'erreurs
dont nous ne soubsconnons pas même la cause,
surtout quand quelque passion nous possede; qui
ne voit pas un homme jaloux, emporté &c.?
PRECAUTIONS POUR EVITER
L'ERREUR DANS L'OBSERVATION.
En matiere d'observation, l'erreur provient
1 de ce que nous prenons pour reel un fait qui
ne l'est point. 2 de ce que nous comprenons mal
un fait reel 3o enfin de ce que nous en donnons
une fausse explication. De la les 3 regles suivantes.
<92> La 1o c'est, avant de juger, de nous bien assurer
que le fait dont il s'agit est reel dans toutes ses
circonstances essentielles; car rien de plus absur=
de que de s'occuper de ce qui n'est qu'une chimere;
La 2o c'est d'apporter a l'examen detaillé du fait
une attention reflechie sans negliger aucun
organe, moien, secours, instrumens, aucune des
precautions necessaires, pour en recevoir toutes
les diverses sensations, en saisir toutes les circons=
tances, qui peuvent par leur reunion en fournir
une idée aussi distincte et complette que possible.
Pour en obtenir une connoissance plus certaine
plus etendue et plus instructive, il faut 3een chercher une ex=
plication satisfaisante, en le rapprochant de quel=
que Loi connue pour montrer qu'il est compris sous
cette Loi. ce qui est, rapporter l'effet a sa cause
Cette Loi peut etre subordonnée a une Loi
plus generale: on peut, si l'on veut, remonter a
celle ci, quoique ordinairement, cela ne soit pas
bien necessaire. Elle peut etre aussi un sim=
ple fait primitif et general, qui ne sauroit
etre expliqué par aucune Loi anterieure mieux
connue. En ce cas, il seroit ridicule de remon=
ter plus haut. Il n'est pas donné aux hommes
de remonter de cause en cause a l'infini
EXPLICATION DES FAITS
Pour que l'explication d'un fait conduise a
une connoissance exacte et certaine, elle doit
etre soumises a certaines regles. 1o Nulle Loi
ne doit etre admise quelle ne soit deduite par
induction legitime d'un grand nombre de faits
semblables connus, et grandement 1 mot biffure et observés et constatés.
nulle Loi relative au fait dont il s'agit qui=
ne soit le resultat d'observations bien generale
ment concretes 2o Aucune Loi ne doit souf=
frir d'extension au dela des termes ou limites
sous lesquelles l'observation et les experiences ont
appris mis generalement que cette Loi etoit ren=
fermée. 3. Dans l'application de la Loi au
<92v> au fait on doit en presenter un detail de celui ci qui
montre qu'il est exactement semblable a tous
les autres faits d'ou elle a été deduite par in=
duction ou qui sont manifestement compris
sous elle. Avec ces precautions, une explica=
tion doit etre regardee comme suffisante,
et on peut dire qu'on comprend bien le fait
ou l'objet dont il s'agit.
Quelque fois on voudroit encor savoir si ce un
fait appartient ou non a l'essence d'une chose
ou si ce n'est qu'un mode ou accident; dans
ce cas, il faut voir si le fait se retrouve dans la
chose, toujours, partout au même degré: pour
cela, il faut examiner cet objet en differens
temps, les diverses positions et suivre de près les
changemens qui peuvent lui survenir: ce
qui varie, n'est que accidentel &c.
DES CAUSES
Souvent on desire encor de savoir precisement
quelle est la cause particuliere et prochaine
des fais et comment elle a agi. Le pole de
l'aimant se dirige constamment vers le nord
c'est une Loi appuiée sur une multitude de
faits, generale et sans reserve. Je frotte une
aiguille avec l'aimant; mise en equilibre, elle
se dirige aussi constamment vers le nord; voila
un fait compris sous la Loi precedente: cette
explication peut suffire, mais on peut rempor=
ter a la cause particuliere de cette direction
constante.
Pour cet effet, il faut se rendre attentif a toutes
les circonstances connues, relativement a l'effet
et s'il se trouve que l'effet suit constamment
l'activité de tel objet, on est fondé a envisager
celui ci comme la vraie cause, moiennant
que la quantité des l'effet paroisse toujours
proportionelle a l'intensité de l'action. J'expose
l'aimant au voisinage du fer, je vois que le
fer lui fait presenter son pole, l'attire, que
la vitesse du mouvement est proportionelle
a la proximité de l'aimant a la masse du fer,
je vois que le fer agit constamment sur l'aimant,
<93> je ne connois aucune autre cause qui pro=
duise les mêmes effets: a ces indices, je me
crois fondé a supposer que la cause de la
direction de l'aimant vers le nord est une
quantité suffisante de fer placée de
ce côté la, et suffisante pour decider constam=
ment cette direction. Mais ici rien n'est plus
facile que de se tromper ni: quand ont fait
rechercher ainsi les causes; il faut bien
prendre garde de supposer qu'on a decou=
vert une cause quand on n'a encor decou=
vert qu'un effet, de confondre une cause
partielle, cooperante, concourante, avec
la cause principale et decisive, comme
aussi de joindre a la cause suffisante
d'autres accessoires sans qu'il y ait aucu=
ne necessité. Si l'on croit avoir trouvé la
vraie cause, il faut pour s'en assurer par
des experiences, augmenter l'intensité
de son action, et voir si l'effet suit toujours
dans la même proportion.
CE QUE C'EST EN PHYSIQUE QUE APPREN=
DRE, COMPRENDRE ET DECOUVRIR.
L'on comprend les objets physiques lorsqu'on
peut en donner une explication satisfaisante.
pour les comprendre, il faut les etudier ou
les apprendre en joignant a l'observation,
les experiences, l'analogie, l'induction, le
raisonnement.
On a vu des genies heureux s'elancer comme
d'eux mêmes dans la region des Mathematiques
et y faire de grands progrés; il n'en est pas
ainsi de celle des connoissances physiques.
Ici on ne peut rien apprendre qu'a force
d'observations, de peine et de temps, et surtout
de secours. Ceux qui se vantent d'avoir
beaucoup appris sans etude, ou ne savent
rien, ou s'ils savent quelque chose, ils ont
oublié quand et comment ils l'ont apprise,
<93v> comme quelquun qui diroit qu'il sait lire
sans avoir jamais appris; ou ils ne pensent
pas qu'au deffaut d'etude ils ont suppléé par
des circonstances favorables, des conversations
instructives. &c.
En fait de connoissances Physiques, on n'est
pas dans le cas d'imaginer, de deviner, il
ne s'agit que de bien saisir ce qui est; point toutes les decouvertes
d'autreque celle qui a pour objet se reduisent a
l'observation de quelque fait qui avoit aupa=
ravant echappé, ou ete a la reduction d'un
fait isolé a quelque Loi, tout 1 mot biffure ou l'indi=
cation de quelque Loi classe qui n'avoit point encor
ete enoncée, ou dans une classe enoncée,
celle de quelque Loi non encor presentée, ou
enfin quelque nouvelle maniere d'appliquer
une Loi bien reconnue a quelque fait
particulier.
CHAPITRE V
Des connoissances dont la certitude Physi=
que s'acquiert par l'observation et l'expe=
riences des autres, par l'experience, par l'analogie et l'induction.
OBSERVATION D'AUTRUI.
Nos connoissances demeureroient pour la plupart
incomplettes et incertaines si a nos propres obser=
vations nous ne pouvions reunir celles des autres
et si nous ne pouvions nous communiquer mu=
tuellement des observations faites par diverses
personnes, en differens temps et en differens lieux.
Cela suppose que nous pouvons aussi conter
sur les observations d'autrui, et la certitude a
cet egard repose sur la Loi d'analogie qui
nous fait comprendre que les hommes etant
susceptibles de sensations très ressemblantes en=
tr'elles, lorsque ce sont les mêmes organes, qui
reçoivent les impressions des mêmes objets et dans
les mêmes circonstances, nous pouvons envisager
les observations faites par les autres comme equi=
valentes 1 mot biffure a celles qui auroient pu etre faites par
nous mêmes, et supposer que quand nous les
<94> aurions faites nous mêmes nous aurions été
conduits aux mêmes resultats. Mais Cependant
pour que cette supposition soit legitime dans
chaque cas particulier, il faut qu'il conste 1o que
les autres ont eu autant a coeur et ont été aussi aussi
capables de faire leurs observations aussi exactement
que nous l'aurions été nous mêmes, si nous
eussions été a leur place; qu'ils ne s'en sont
pas rapportés a
une premiere
vue legere et pas=
sagere et qu'ils
ont serieusement
examiné les cho=
ses, sans prejugé,
sans prevention,
et sans passions. 2o que dans leur ex=
posé, ils n'ont eu ni pu avoir intention ou
interet de nous tromper, en nous presentant
les choses tout autrement qu'ils ne le sont apper=
çues: ce n'est que sous ces conditions qui
appartiennent proprement a la certitude
morale, que nous pouvons comter sur les
observations d'autrui comme sur un fonde=
ment de certitude Physique equivalente
ou a peu près a celle que nous obtenons de nos
propres observations.
L'EXPERIENCE.
La Coincidence des observations d'autrui avec
les nôtres, l'identité des resultats, donnent
un nouveau degré de certitude a nos connois=
sances Physiques, et lorsqu'elles servent de
supplement aux nôtres par leur etendue et
leur varieté, elles peuvent encor nous condui=
re a de nouveaux resultats, auxquels nous
n'aurions pu arriver sans ce secours 2 mots biffure. Cette
source de connoissance et de certitude pro=
duite par l'association des observations
d'autrui aux nôtres propres, se nomme l'expe=
rience qui n'est autre chose que l'observation
verifiée par le temoignage des toutes les personnes
qui s'accordent a declarer qu'elles ont vu
et observé la même chose par rapport a tel
fait ou objet, en differens temps et en diffe=
rens lieux. C'est en ce sens qu'on dit, nous
savons par l'experience de tous les hommes
et de tous les siecles que &. De l'experience
nait l'histoire physique occupée a rassem=
bler les faits physiques comme pour donner
ou la Description des faits coexistans relatifs
<94v> a tel ou tel objet, ou la narration de faits
successivement observés qu'elle passe en re=
vue l'un après l'autre.
L'ANALOGIE.
Quand un fait quelquonque a été observé
constamment, et d'une maniere uniforme,
dans les mêmes circonstances, en differens
temps et en differens lieux, on peut l'envisager
comme un fait universellement reconnuqui se repete
1 mot biffure et en extraire une verité ou
et reitere partout
dans tous les lieux
et les temps, ou
comme une proprie=
te qui peut etre ap=
pliquée a toutes
les choses du même
genre, qui n'ont
pu encor etre im=
mediatement ob=
servés; ce qui
donne un pour resul=
tat une verité ou Loi generale, a laquelle, comme a un prin=
cipe d'explication certain, on pourra rapporter tous
l'explication de tous les faits particuliers du même genre, ou
reductibles a la même classe, qui pourront
etre observés. Cette voie de connoissance
et de certitude physique, d'un usage si prodigieuse=
ment etendu, sans lequel il ne sauroit yfaire nous l'appellons
y avoir de certitude physique
l'analogie pour ce qu'elle 2 mot biffure comme appartenant a la Loi
generale d'analogie dont nous avons parlé
1 mot biffure la Loi generale d'analogie dont
au Chap. III.
nous avons parlé chap III.
Il est evident que c'est sur cette même analogie meme
qu'est fondée la certitude par rapport aux
observations d'autrui, qui repose unique=
ment sur ce qu'ils ont les mêmes facultés
que nous, les mêmes interets que nous a
bien observer et connoitre les choses, et que
cette ressemblance entr'eux et nous, doit na=
turellement amener de part et d'autre des
memes effets ressemblans.
L'INDUCTION
Il en est de même de la certitude que nous
fournit cette voie d'argumentation que
nous avons appellée l'Induction, en ver=
tu de laquelle, après avoir rassemblé nombre
de faits semblables observés et verifiés par
l'experience, après les avoir rapportés a
une classe commune, nous en tirons
<95> un resultat general ou enonce general sous lequel
doivent etre compris non seulement les faits
precedens, mais encor tous les faits reductibles
a la même classe, tout ceux du même genre en sorte que
qui ne sont encor que possibles
1 mot biffure se trouvant rassemblés sous une expression
generale, celle ci deviendra le sujet d'une
proposition universelle, a laquelle on n'ap=
portera aucune exception, jusques a ce que
de nouvelles experiences aient prouvé qu'il en
est effectivement d'admissibles.
Il peut y avoir des cas d'induction qui deman=
dent une enumeration complete, parce que la
moindre omission s'opposeroit a une conclusion
generale. Ainsi supposé qu'il s'agit de faire
une enquete sur un assassinat commis
dans une 1 mot biffure maison, si les deux
ou 3 premiers interrogés avouoient y avoir pris part
ce ne seroit pas asses pour conclure qu'ils y ont
tous participé: pour en venir a cette conse=
quence, il faut qu'ils aient tous été interrogés
et convaincus. Mais quand il s'agit de choses
classifiées, comprises sous quelque Loi com=
mune, l'enumeration de toutes n'est point
necessaire pour fonder la certitude de l'in=
duction. Pour juger par ex: que les hommes sont
superieurs aux animaux, il suffit que j'en
ai connu un certain nombre, chès qui j'ai
trouvé des facultes superieures a toutes celles
des animaux, que d'autres aient trouvé la
même chose chès ceux qu'ils ont été a portée
de voir: je puis supposer qu'ils se ressemblent
tous par les endroits essentiels tout comme et que ce qui est
les autres objets classifiés,
vrai de ceux que j'ai vu est aussi vrai de
tous les autres.
<95v> C'est ainsi que le concours de l'observation, de l'ex=
perience de l'analogie et l'induction, nous conduit
a la certitude Physique sur les faits et les objets
sensibles, et dans nos procedés pour les prendre
en note, en detailler les parties ou les circonstances,
distinguer ce qu'ils ont de commun ou de different,
de constant ou de variable, pour les classifier et les
soumettre a des enoncés generaux que nous en=
visageons comme des principes certains; car
après nous etre elevé par l'argumentation a
posteriori a ces principes, nous pouvons par
l'argumentation a priori, tirer de ces principes
des consequences certaines, et en faire l'applica=
tion aux faits particuliers que nous cherchons
a expliquer, en les rapportant aux Loix sous
lesquelles ils sont compris et faisant servir
celles ci a rendre raison de leur existence et
de leur maniere d'etre.
C'est aussi cette maniere de proceder qui nous
decouvre la Serie des propositions, la chaine
qui unit des verités subordonnées l'une a
autre, et l'ordre dans lequel la Synthese doit
les exposer, pour arriver par ce moien a un
ensemble qui repande un plus grand jour
sur un plus grand nombre de faits et qui mette
en etat de les expliquer d'une maniere plus
exacte et plus solide.
CHAPITRE VI
De la certitude morale que nous acque=
rons fondée sur le temoignage.
CERTITUDE MORALE
Outre la certitude Physique qui repose
sur la Loi generale d'analogie, 1 mot biffure
l'ordre Physique ou la serie constante il est une une certitude ap=
des causes et des effets resultant de rapports
permanens:
pellée morale qui repose sur l'analogie
morale. ou et d'ou depend l'ordre moral, cad. la serie
<96> des causes morales et des effets moraux, re=
sultant de la constitution des Etres libres, ainsi
que des rapports permanens entr'eux et les
autres Etres, d'ou decoulent certaines Loix
prattiques qui determinent ce qu'ils devroient
toujours faire pour agir conformement a
cette constitution et a ces rapports.
Nous appellons faits moraux ceux qui sont
relatifs aux affaires de la vie humaine, les
evenemens humains qui interessent les socie=
tés, les actions libres des particuliers. Tous ces
faits sont autant d'objets soumis a l'obser=
vation et l'experience; ils peuvent aussi etre pris
en note, rapprochés, comparés, distribués
dans certaines classes, rappellés a des enoncés par l'analogie et l'induction, a
generaux
pour tirer de la des loix prattiques 1 mot biffure
tout ce qu'on a 1 mot biffure sur les moiens d'arriver a
des enonces generaux qui
servent de prin=
cipes d'ou se tirent
les Loix prattiques
selon les les quelles
les hommes sont
obliges de regler
leurs actions libres.
Ainsi tout ce
que nous avons
dit au chap. preced.
sur les moiens de
parvenir a la certitude Physique peut doit etre appliqué
a la recherche de la certitude morale qui
peut aussi s'elever a un degré suffisant pour
nous mettre a l'abri de toute erreur. Car
nous pouvons par ex: regarder comme
certain, qu'un homme qui est dans son
bon sens, ne se conduit pas comme un insensé
contre son interet essentiel, a lui bien con=
nue, le sachant et le voulant, qu'il n'ira pas
se precipiter d'un rocher, jetter son argent
dans le fleuve, qu'il ne soutiendra pas un
mensonge au peril de sa vie; qu'une multi=
tude de personnes ne se reuniront pas pour
inventer et accrediter une imposture dont il
ne pourroit resulter que mal pour eux &c.
nous pouvons dès la même rejetter avec certi=
tude comme fausse une proposition qu'on
ne sauroit admettre sans donner un dementi
formel a ces principes certains et incontesta=
bles.
Ainsi la Loi d'Analogie qui existe dans l'ordre
Moral comme dans l'ordre Physique, nous
<96v> persuade que dans l'un comme dans l'autre, nous
pouvons egalement conclure des faits qui ont
été observés et qui sont bien connus, a ceux qui
ne l'ont pas été encore, tirer des faits rappro=
chés des enoncés generaux, qui soient autant
de principes certains qui nous tiennent lieu de
Loix applicables a tous les faits reductibles a
la même classe, pour expliquer ce qui se fait,
ce qui doit se faire, ou qui a du etre fait.
OBSERVATION DES FAITS MORAUX
Pour obtenir une connoissance exacte et cer=
taine des faits moraux proposés a nôtre obser=
vation ou examen, nous sommes appellés, tout
comme par rapport aux faits physiques 1o
a nous assurer de leur realité, 2o a nous en for=
mer des idées distinctes et completes, 3o a en don=
ner une explication suffisante.
La certitude de
la realité des faits moraux dont nous sommes
les temoins oculaires, ne s'acquiert pas autrement
que celle de la realité des faits physiques; mais
lorsque nous n'en avons pas été les temoins, nous
nous ne pouvons l'acquerir que par les rap=
ports ou le temoignage d'autrui, qui peut nous four=
nir ce genre de certitude qu'on a appelle mo=
rale, et lorsqu'elle historique, quand nous la
devons a des auteurs qui ont mis leur nar=
ration par ecrit. Cette certitude n'est pleine et
entiere que lorsque ceux qui declarent, attestent,
racontent, nous mettent en quelque sorte a la
place de ceux qui ont vu et entendu, ensorte
que nous ne pouvons pas plus douter de ce qui
nous est dit, que si nous l'eussions vu et enten=
du nous mêmes.
COMMENT ON S'ASSURE DE LA REALITE
DES FAITS MORAUX.
Pour arriver a cette certitude morale sur la realité
des faits, moraux il faut d'abord 1o examiner
le fait en lui même; s'il est possible, vraisemblable,
conforme au cours ordinaire des choses, ou s'il est
<97> invraisemblable, peu d'accord avec ce que nous con=
noissons de l'ordre Physique et moral, s'il est frequent
ou très rare, ou même jusques a present inoui, ce qui
n'empeche pas cependant qu'il n'y ait des cas ou la seule l'on peut s'en te=
nir a la seule possibilité du fait, 1 mot biffure suffise, quand d'ailleurs le con=
cours des preuves est suffisant pour en demontrer
la certitude. Après cela 2o il faut voir par qui le
fait est attesté, si c'est par un seul ou par plusieurs,
s'ils ont été tous temoins oculaires ou non, s'ils ra=
content la chose tous ensemble, ou separement en
divers temps en divers lieux, si en ce cas, ils s'accor=
dent exactement sur les circonstances essentielles
sans offrir de varietés dans leur narration, que
sur les incidens, la maniere, les expressions &c.
S'il s'agit d'historiens il faut examiner, s'ils ont
été témoins oculaires, spectateurs ou acteurs, con=
temporains ou voisins du temps ou le fait s'est passé,
s'ils tiennent le fait de la premiere main, ou de quelque
autre qui les a precedés, ou de plusieurs qui se sont
succedés; s'ils citent exactement leurs auteurs
ou garants s'ils ne se sont point
contredit les uns les
autres, et jusques a
quel point; si c'est
sur l'essentiel ou sur l'ac=
cessoire seulement;
si leur relation
nous est parvenue
dans son integrité,
ou si elle n'a point
ete alterée par des
gens de mauvaise
intention? S'ils
ont se sont expli=
ques clairement
et si nous avons
saisir distincte=
ment et avec
certitude le vrai
sens de leurs
expressions,
ou si peut etre
nous n'avons
par pris le chan=
ge.
Mais il importe surtout 3 d'examiner si le temoi=
gnage n'a rien de suspect; si les temoins sont des
gens de bon sens, judicieux, exempts de credulité, de
prejugés grossiers, d'Esprit de parti ou de secte, de
fanatisme, et de tout ce qui peut faire soubsconner
quelque erreur dans leur exposé; si ce sont des gens
de probité, amis de la verité, non suspects de mau=
vaise foi, non interessés dans la chose dont il s'agit,
n'aiant rien a gagner, mais plutot tout a perdre par
le mensonge; outre cela, si ce sont des historiens, quel a pu etre leur but,
les circonstances et l'occasion qui les ont porté a
mettre leur relation par ecrit: car tout cela a pu
influer sur la fidelité de leur narration.
Enfin s'il y a des temoignages opposés, il faut
les peser a une balance impartiale, pour voir
quel est celui qui merite le plus de creance, selon les
principes qui seront etablis au chap. suivant.
<97v> peux se Quand il s'agit de s'assurer de la realité
des faits, il faut faire la plus grande attention a
toutes les circonstances que nous venons d'indiquer.
Si elles sont toutes favorables au temoignage
de vive voix ou par ecrit, sans qu'on puisse rien
y opposer de solide, que nous aions toutes les rai=
sons de croire a sa verité, sans en avoir aucune pour
refuser nôtre creance, dans ce cas nous pouvons
dire que nous avons une certitude morale de la
realité des faits. Souvent nous sommes dans le
cas, quant toutes les circonstances ne sont pas
egalement favorables, d'accorder un certain degré
de creance, mais au dessous de la certitude et
qui ne tient qu'a la probabilité, de distinguer
même dans les faits ce qu'il y a de probable
d'avec ce qui est improbable; enfin quelques=
fois nous sommes reduits a demeurer dans le
doute en tout cela nous devons etre dirigés
par la Logique des faits qui appartient auvraisemblances et par la critique.
calcul des
qui n'est autre chose que ce même calcul Nous en exposerons les
appliqué a l'histoire.
Loix Dans le chapitre suivant ci après.
La certitude morale demande 2o que nous cher=
chions a nous former des idées distinctes et com=
pletes des faits moraux, par la connoissance
du detail des circonstances, et en examinant
qui en ont été les auteurs, ou agens, quel a été
leur nombre, leur genre de concours, lesquelles ont
été les causes impulsives et finales qui les ont
fait agir et qui auront produit sur eux les
mêmes effets quelles produisent ordinairement
sur les hommes, places dans les mêmes circons=
tances; ce qui doit nous conduire a rapporter
ces faits a certaines classes, ou notions ou expressions genera=
les, qui en annoncent la nature, le genre, l'espece et permettent
de les rappeler a quelques certaines qu'une Loix prattiques sur
lesquelles ils puissent etre comparer pour savoir
si ces faits ont été legitimes ou illegitimes &c.
<98> et par la nous
conduisent a cer=
tains resultats
generaux qui
peuvent et doivent
etre envisages
comme autant
de Loix prattiques
auxquelles on
peut comparer
toutes les actions
du même gen=
re ou espece
pour savoir si
elles sont legi=
times ou illegi=
times.
C'est en effet sur ces operations de detail qu'on
a elevé originairement tout l'edifice de la Morale, du
Droit &c.
Enfin 3o pour arriver sur les faits moraux a une
connoissance complete et une entiere certitude
morale, il faut etre en etat d'en donner une
explication satisfaisante toutes les fois qu'il; ce qui se fait
se presente des cas particuliers
en ramenant le le fait a la classe ou la notion
a laquelle il doit appartenir a raison de ces cir=
constances essentielles, et montrant qu'il doit
etre rapporté a telle Loi pour y etre comparé
afin qu'on puisse decider si c'est une chose qui
a pu ou du se faire, ou qui n'a ni pu ni
du etre faite (V. Chap. IV) ou qui ne peut
ni ne doit etre faite.
FOI HUMAINE FOI DIVINE
Des qu'on est parvenu par le concours des
temoignages, a une entiere certitude morale
sur un la realité d'un fait. L'acquiescement qu'on lui donne
se nomme foi , par opp. a la Science., et foi
humaine, en tant quelle repose sur le temoi=
gnage des hommes.
Lorsqu'il s'est trouvé des hommes dont le
temoignage a eu pour but d'attester qu'ils
etoient envoiés de Dieu, et inspirés de son Esprit,
et qu'ils ont confirmé telle declaration par des
miracles, et par leur sang, la foi qu'on a
accordé a leur discours, entant que fondée
sur le temoignage de Dieu même, a été
appellee foi divine.
<98v> CHAPITRE VII
Des connoissances humaines qui ne s'elevent
pas a la certitude, et qui sont seulement plus
ou moins probables.
POURQUOI LES DIVERSES VOIES DE CONNOIS=
SANCES INDIQUEES NE NOUS ELEVENT PAS
TOUJOURS A LA CERTITUDE.
Les diverses voies de connoissances dont nous
avons parlé ne peuvent pas toujours nous
elever a l'entiere certitude, ni sur les faits ni
sur les resultats: on ne doit pas en etre surpris
quand on pense d'un côté combien le theatre de
nos observations est borné, combien il y a d'ob=
jets qui nous echappent par leur eloignement
ou leur petitesse &c. quel est la multitude et
la complication des rapports qui lient ces ob=
jets entr'eux ou avec nous mêmes; quand on
reflechit d'un autre côté, a la foiblesse de nos
organes et de nos facultés, a la lenteur des
mouvemens de nôtre corps et de la marche des
operations de nôtre ame, lorsqu'il s'agit de
develloper nos idées, a l'imperfection de nos
moiens, et de nos methodes, on comprend
aisement combien sont resserrées les limites
de nos connoissances, et pourquoi nous ne
saurions arriver a la certitude sur une
multitude inombrables d'objets. Nous con=
noissons les parties grossieres, dont les corps
sont composés, leurs qualités exterieures et
relatives, mais nous ignorons quels en sont les
premiers elemens, leur l'arrangement imme=
diat de ceux ci et les attributs essentiels qui en dependent.
Nous analysons les facultés et operations
de nôtre ame, mais nous ignorons quelle est
l'essence de cette ame, comment elle est presen=
te au corps, comment elle agit sur lui et elle
en recoit les impressions; nous ignorons jus=
ques a la construction de ce globe terrestre,
et nous ne connoissons que bien peu nos rap=
ports avec lui, ni ses rapports avec le reste de
l'univers.
<99> Le monde moral nous offre encor plus d'obs=
curités que le monde physique; nous ne pou=
vons penetrer dans les secrets replis du coeur
humain, demeler les ressorts qui agissent sur
les volontés et amenent les evenemens; ce
n'est par de simples conjectures que nous
ne pouvons anticiper que par simple conjectu=
res sur les consequences suites des actions humaines
et des 1 mot biffure et lire dans l'avenir. L'observation et l'experience a ont sans
doute instruit sans doute les hommes sur la liai=
son des faits moraux entr'eux, et sur leurs
suites ordinaires et naturelles par rapport
a leur etat, et cela les a conduit a des resul=
tats ou principes generaux prattiques qui
doivent regler leur conduite. Mais combien
encor d'incertitudes sur plusieurs points,
et lorsqu'il s'agit de faire l'application de
Loix reconnues pour certaines aux faits
qui se presentent pour juger ou de ce
qu'on doit faire, ou qui a du etre fait;
combien n'est il pas difficile d'eviter tout
ce qui peut denaturer les faits, de combi=
ner avec soin toutes les circonstances,
et d'eviter par la toute meprise dans
cette application.
CE QUE NOUS CON=
NOISSONS NOUS
SUFFIT.
Remarquons meme ici que ces limites prescri=
tes a nos connoissances ont été fort sage=
ment calculées sur nôtre etat, nos besoins,
nôtre position, 1 mot biffure et nôtre destination.
Qu'etoit il necessaire que nous connussions
avec certitude l'essence de nôtre ame pour
en diriger les facultés a la decouverte du
vrai et a la recherche du bien, ou que
nous puissions sonder les coeurs, pour
regler nôtre conduite a l'egard de nos sem=
blables et travailler a leur bonheur en
avancant le nôtre propre? Qu'avions nous
que faire de connoitre la constitution in=
time de nôtre corps et de ceux dont nous
sommes environnés pour apprendre a
<99v> fuir ce qui nous est nuisible et a tirer parti de ce qui est
a nôtre portée. N'en savons nous pas assès pour etre
sages et dès la contens et heureux?
Avec le Sens commun, nous pouvons observer
les faits, classifier les objets, en saisir les rapports
avec nous suffisamment pour nous diriger
dans leur usage. Aux connoissances experimen=
tales de ces objets, nous pouvons joindre l'exerci=
ce de nos facultés Intellectuelles, pour en acquerir
une connoissance plus approfondïe: avec
l'analogie et l'induction, nous arrivons a des
principes certains pour expliquer les faits qui
piquent nôtre curiosité et faire valoir ce que
nous en savons au notre profit de la 1 mot biffure nous et a celui
mêmes et de nos semblables.
A l'aide des mêmes facultés, nous pouvons
rapporter les actions humaines a certaines classes,
demeler dans chacune en particulier les diver=
ses circonstances, ainsi que leurs consequences
heureuses heureuses ou funestes pour nous
ou pour la societé: de la nous pouvons nous
elever a des verités prattiques dont nous pou=
vons faire l'application aux cas particuliers qui
se presentent, pour connoître ce qui est ou
qui n'est pas du devoir.
IDEE PLUS PRECISE DE L'ECHELLE DE
NOS CONNOISSANCES.
Quand nous voions par l'evidence de sentiment
d'intuition, de demonstration que les choses
ne peuvent pas etre autrement qu'elles ne sont,
nous jouissons d'une certitude pleine et en=
tiere. Ici il ne sauroit y
avoir de degrés de
persuasion ou
de probabilités,
ni de milieu
entre l'ignorance
et la science ou
connoissance cer=
taine: notre con=
noissance peut
s'etendre par l'acqui=
sition de certaines
idees, mais les idees
une fois acquises
et comparées, la
certitude est
d'abord pleine
et entiere. Dans les cas ou l'evidence nous man=
que et la verité ne peut nous etre connue qu'a
la faveur de l'observation &c comme dans
les faits physiques et moraux, et tout ce
qui tient aux cours ordinaire de la vie hu=
maine, s'il y a un concours de circonstances
ou de preuves qui fournisse un fondement
suffisant pour croire a la verité d'une proposi=
tion, sans courir a aucun risque d'erreur dans
ce cas quoique 1 mot biffure contraire
<100> n'implique pas contradiction, la proposition
peut aussi etre regardée comme certaine
et incontestable.
Mais dans la plupart des cas, lors même qu'il
se trouve diverses circonstances essentielles reu=
nies en faveur de la verité d'une proposition,
on voit sensiblement que la chose pourroit etre
autrement qu'on ne suppose, parce qu'il peut y
avoir d'autres circonstances non moins essentielles jus=
ques ici cachées, non determinées, ou qu'il
s'en trouve même actuellement, qui paroissent
en opposition avec les precedentes: dans de
tels cas, quoiqu'il n'y ait une pas de certitude, la
proposition ne doit point etre rejetée si l'on trou=
ve les raisons en sa faveur de sa verité asses fortes pour
disposer une personne raisonnable a l'ad=
mettre, et elle peut même etre tenue pour
vraie, jusques a ce qu'on presente des raisons
superieures en force pour la regarder com=
me fausse ou suspecte. Telles sont cette foule
immense de propositions que nous sommes
dans le cas appelles a admettre et prendre pour regle
tous les jours instans de la vie. On les appelle proba=
bles et on leur oppose les improbables. et comme
il a été des plus haut.
D'ou il paroit que ce que nous appellons certi=
tude, probabilité, doute, sont des notions relati=
ves non a ce que les choses sont, mais au degré
de connoissance que nous en avons 2 mots biffure
qui peuvent servir de fondement pour
et a la force
comparative
des raisons qui
se presentent
a notre Esprit
pour regarder une proposition comme vraie
ou comme fausse. Ainsi la persua=
sion de la verité
ou de la fausseté
d'une proposition
est susceptible
de degrés, et ces
degrés croissent
en proporition des
Lumières que je
puis acquerir
sur l'objet Ainsi une proposition
qui etoit d'abord douteuse pour moi peut
devenir probable si je decouvre de nouvelles
raisons en faveur de sa verité. On me dit
qu'il y a un atmosphere autour de la Lune;
je regarde d'abord cette proposition comme
douteuse, d'autant plus qu'on n'observe point
de traces nebuleuses qui en obscurcissent les
taches; mais on insiste sur l'analogie de la
Lune avec la terre, sur les raisons qu'on a de
presumer qu'il y a des Etres animes qui ont
besoin d'air, sur ce que dans les Eclipses
<100v> Solaires on a appercu des bords colorés autour
du disque de la Lune. Ces nouvelles preuves me
frappent, la probabilité dans mon Esprit suc=
cede au doute; qui sait si quelque nouvelle
observation ne viendra point encor l'aug=
menter? J'ai une possession dans le lointain,
j'ai j'ignore encor si la recolte y sera abondan=
te ou non; mais on m'ecrit que la terre etoit
fort bonne, quelle a été bien engraissée, qu'on y
a fait un bon labour dans la bonne saison.
Je conçois un degré d'esperance: on me mande
ensuite qu'on a semé de la très bonne semence
avec tous les procedés requis; mon esperance
s'accroit. Dès lors j'apprends encor que les sai=
sons ont été très favorables, que l'apparence
est très belle &c. nouveau degré de probabilité
pour esperer une moisson abondante, je
touche a la certitude. Pleuvra t'il? je n'en sai
rien; mais je vois l'air se charger de vapeur,
premiere presumtion; le barometre descend,
autre indice; il ne regne aucun vent qui
puisse transporter les nuages; ou il regne un
vent sud ouest qui les accumule contre la
montagne; vraisemblablement il pleuvra;
je puis m'y attendre. Je veux deviner
ce qui se passe dans
l'ame de quelquun
relativement a tel
objet; j'appelle a
mon secours les
circonstances du
temps et du lieu ou
il a fait ou dit
telle chose, j'exami=
ne l'attitude et les
mouvemens de son
corps, je me rends
attentifs a sa voix,
aux changemens
ou alterations de
son visage &c. et
de tout cela j'en tire
quelque inference probable. Ainsi la probabilité
croit en proportion des lumieres que nous pou=
vons tirer de l'observation &c. et par degrés elle
peut s'elever jusques a la certitude; il y a donc
divers degrés de probabilité par ou l'Esprit peut
passer successivement en proportion: du nom=
bre et du poids des raisons qui se presentent
a lui pour admettre une proposition comme
vraie plutot que de la rejetter comme fausse.
C'est le cas le plus ordinaire de la vie humaine
ou l'on ne peut se decider que d'après des circons=
tances de detail, des indices de divers genres
et ce qu'on appelle des presumtions plus ou
moins fortes. chacune de ces
presumtions, sans
former une preuve
a part, fournit un
degré de probabilité,
qui reuni a di=
vers autres peut
m'elever jusques
a la certitude; ainsi
cette probabilité
peut etre considerée
comme une quan=
tité qui va en crois=
sant jusques a
la persuasion en=
tiere qui exclut
tout doute. Rien de plus essentiel au bonheur
de l'homme ici bas que de savoir les apprecier,
et calculer les divers degrés de probabilité qui
amenent ou fortifient la vraisemblance.
<101> CHAPITRE VIII
Calcul de la probabilité
LOGIQUE DES VRAISEMBLANCES
La Logique en general s'etend a tout ce qui
est du ressort de l'evidence et de la certitude:
il y a une logique particuliere, peut etre la plus utile,
qui s'occupe du calcul de la probabilité ou
des degres de vraisemblances, par lequel on peut les
soumettre a une sorte d'operation nume=
raire. Il etoit naturel d'appliquer d'abord
ce calcul a certains evenemens physiques,
ou il etoit possible d'evaluer exactement par la nature
par nombres
même des choses
d'evaluer exac=
tement par nom=
bre tous les cas
possibles entre
lesquels l'evene=
ment dont il s'a=
git se trouve com=
pris, et des la
même , les cas favorables pour l'echean=
ce de tel ou tel, et les cas opposés qu'on
peut appeler de mecheance , et ensuite, en
les comparant entr'eux, determiner de même
numeriquement le rapport de la plus
grande probabilité a la moindre. C'est
l'application qu'on en a faite au jeux
c'est
La premiere ap=
plication qu'on
a faite de ce cal=
cul, c'est au jeu des dez. J'ai un seul dez a jetter, et un
seul jet: quelle probabilité y a til que j'ame=
nerai 6. Il n'y a qu'un cas favorable
contre 6. Le rapport est de 6 a 1 contre
me donne la probabilité. On me donne 3
jets, quelle probabilité y a t'il que j'amene=
rai le nombre 6? aucune: car il y a 3
raisons pour croire que je l'amenerai et
trois pour croire que je ne l'amenerai
pas; les choses restent en equilibre; mais
si l'on me donne 4 jets, alors j'aurai une
probabilité de 4 contre deux; si c'est
5 jets, ce sera de 5 contre 1, si c'est 6 jets
ce sera 6 contre 0, puis 7, 8, 9, contre
0: il y aura toujours possibilité que
je n'amene pas le numero 6, mais
la probabilité que je l'amenerai ira toujours
<101v> en augmentant, et si l'on me donne mille jets,
on poura la regarder comme equivalente
a la certitude. J'ai maintenant deux dez
a jetter, quelle probabilité y aura t'il
que j'ameine le nombre 12 dans 6 jets?
bien loin qu'il y ait probabilité, il y au=
ra 36 contre un six que je ne l'amenerai
pas: il y aura donc une improbabilité
qui augmentera encor si l'on ne me donne que
5 jets, puis 4 &c.
C'est ce cacul appliqué aux dez qui a
fait naitre l'idée de regarder la certitude
comme un tout dont les probabilités nume=
rales sont les parties: ainsi en supposant le
tout divisé en ses parties nombrées, on
peut dresser une echelle de probabilité en
numeraire en assignant
le rapport du
nombre des proba=
bilité connues
avec celui qui
exprime le tout. Quand le nombre des degres, des proba=
bilités pour une passe la moitie du
nombre total et ou excede le nombre des
degrés de probabilité contre, alors la
probabilité commence ce qu'on s'appelle
vraisemblance. S'il y a equili=
bre, c'est le doute
proprement dit.
J'ignore pourquoi
on a appellé cela
demi certitude,
quand la proba=
bilité contre l'em=
porte, la chose
devient alors
incertaine,
invraisembla=
ble, improbable.
On ne peut pas
dire que la possi=
bilité seule for=
me le premier
degré de la pro=
babilité, quoique
celle ci ne puisse
exister sans celle
la. Ce qui se fait sur le jeux des dez peut
s'appliquer a toutes sortes d'echeances
aux jeux de hazard, aux jeux de
loto, aux loteries, aux jeux même
de commerce pour savoir calculer quelle
est la probabilité que telle carte se trou=
ve en telle main, combien on a de raisons
pour jetter telle carte, plutot que telle
autre.
C'est de ce même calcul qu'on est parti,
d'après des tables de chance sur le sort
des vaisseaux qui courent les mers, a
fixer un taux d'assurance pour les
vaisseaux qui portent pour les en diverses
lieux directions. et
<102> On a dressé aussi d'apres des observations
faites dans les divers pays du monde, des
tables de naissance, de mort, de probabilité
de vie dans les divers ages &c. qui ont servi
de baze a une multitude de speculations
en fait de viagers, de tontines &c. et
autres arrangemens de ce genre tout
fondés sur des calculs de differens genres
de probabilités. Nous ne sommes pas ap=
pellés par nôtre plan a entrer dans la dis=
cussion de ces objets.
REGLES GENERALES
Contentons nous d'observer 1 que pour porter
des jugemens justes sains sur les objets ou les
degrés de probabilité sont ramenés a un calcul
numeral, il ne suffit pas de donner son
attention a ce calcul, mais qu'il faut l'eten=
dre a diverses circonstances qui en sont in=
dependantes. Ainsi par ex. je veux savoir
si je dois placer un visage sur la tête d'un
jeune homme de 25 ans, ou sur celle d'un
sexagenaire. Si je consulte les tables, je trou=
ve que celui ci doit probablement vivre
moins longtemps que le premier 1 mot biffure
la preference: mais je ne dois pas pru=
demment m'en tenir la, je dois examiner en=
cor les 2 sujets 1 mot biffure qui se presentent: d'un
côté je vois un jeune homme delicat
debauché, paresseux &c. de l'autre un
sexagenaire sobre, robuste, laborieux;
cela me donne des1 mot biffure circonstances per=
sonnelles qui peuvent contrebalancer la
probabilité precedente, et même me decider
contre cette probabilité. Si de mille vaisseaux
qui on fait le me=
me chemin, il n'en
a peri que 10, pour
l'assureur pour=
ra se contenter
du 1/100 pour le
prix de l'assurance:
mais le il peut y
avoir des consi=
derations parti=
culieres a faire
sur la construc=
tion du vaisseau
son age, sa bonté
&c.
En general dans toutes les affaires de la vie
qui n'ont rien de commun avec la chance
physique, qui dependent de reelle circonstances
<102v> ou physiques ou morales, les unes
circonstances; au connues ou ignorees 1 mot biffure
les autres ignorees, casuelles,
elles il faut bien prendre garde de ne pas
s'en tenir a des generalités, il faut tout noter,
peser, estimer, comparer, et après un mur
examen se decider, pour ce qui, a tout prendre,
paroit le plus probable, et le plus sur. C'est ce qui carac=
terise les hommes
sages et prudens
mais la plupart
s'en tiennent a
une estimation
tres grossiere.
REGLES POUR LES OBJETS PHYSIQUES
En matiere d'objets physiques, les degrés
de probabilité ne peuvent que difficillement
etre assujetis a une echelle numeraire, mais
nos connoissances seront d'autant plus proba=
bles qu'il y aura plus de faits observés, que
les observations et les experiences auront été faites
avec plus de soin, plus souvent reiterées, avec
une plus grande convenance des circons=
tances et des resultats entre les divers obser=
vateurs, que le rapprochement de ces resultats
aura donné lieu a des inductions plus etendues,
et que ces inductions auront plus d'analogie
et de connexion avec d'autres deja constatées et
et connues, au avec des Loix sur lesquelles on n'eleve
plus aucun doute. en gen. la pro=
babilité d'un
fait general
sera d'autant
plus grande
qu'on pourra
moins opposer
des faits contrai=
res.
LES CONJECTURES, LES HYPOTHESES
Ainsi on pourra chercher et trouver la pro=
babilité en ce genre par le moien de la conjec=
ture qui, a côté de quelque fait, met en a=
vant une probabilité destinée a l'eclair=
cir et l'expliquer cad. une proposition
supposée pour le moment vraie, dans la
vue de la faire servir a expliquer ce fait
isolé, qui jusques ici n'avoit été 1 mot biffure
a aucune Loi connue, 2 mots biffure
elle. Cette proposition est appellée hypothese
(de υπο et de θεσις position, de θεω poser)
ces conjectures ou hypotheses sont tantot
des consequences de faits generaux connus
mais tres indirectes, eloignées, dont la force
Regles pour l'u=
sage des hypothe=
ses.=
1o examiner le
sujet dont il s'agit
pour en obtenir une
connoissance aussi
etendue que possi
ble, quand aux=
circonstances ou
particularités.
2. s'attacher pre
mierement a l'exa=
men de celles qui=
semblent les prin
cipales et les plus
importantes. 3.
Entre celle ci se
rendre attentif
a l'une, et cher
<103> CONJECTURES OU HYPOTHESES
DANS L'EXPLICATION DES FAITS.
Lorsqu'il s'agit de l'explication d'un fait,
on s'etudie a chercher et trouver la plus
grande probabilité par le moien de la
conjecture , ou proposition qu'on suppose pour
le moment vraie dans la seule vüe d'en
tirer par essai une explication de ce fait
qui jusques ici n'a été consideré que comme
isolé, sans avoir été ramené a aucune
Loi connue. On l'appelle aussi hypothese
ou supposition (de υπο et de θεσις position
position). Ces conjectures ou hypotheses
sont tantot des consequences de faits gene=
raux connus, mais indirectes, eloignées
dont la force se perd a mesure que la serie
se prolonge; tantot des opinions isolées, qui
ne tiennent a aucune verité connue et
n'ont même pour le moment aucun de=
gré de probabilité.
Lorsque appliquées a divers faits de la même
classe, considerées sous toutes leurs faces, elles
paroissent suffisantes pour les expliquer
par des rapports qui 1 mot biffure les lient a certaines
Loix connues, dans ce cas, nous pouvons
les admettre comme probables, aussi long=
temps qu'on n'en demontrera pas la fausseté
en prouvant quelles ne sont point suffi=
santes pour expliquer les circonstances
essentielles des faits ou quelles ne peuvent
du tout point se concilier avec telle ou telle
Loi sur laquelle il ne reste aucun doute.
Quoi quelles ne nous conduisent qu'a un
certain degré de probabilité, elles ont neam=
moins leur utilité, puisque par la les faits
auparavant isolés se classifient, les
<103v> rapports connus entre les objets s'etendent
avec les resultats, et nos connoissances em=
brassent un plus vaste cercle.
REGLES POUR LES FORMER.
Pour former une hypothese avec utilité,
il faut 1o examiner le fait dont il s'agit pour
en obtenir une connoissance aussi etendue
et detaillee que possible, quant aux circons=
tances ou particularités qu'il offre; 2o s'atta=
cher premierement a l'examen de celles qui
semblent les principales, les plus importan=
tes et les plus decisives; 3o entre celles ci,
se rendre singulierement attentif a l'une,
et chercher, imaginer, quelque cause d'ou
elle pourroit etre deduite naturellement,
et si l'on en trouve plusieurs de ces causes,
les annoter toutes. 4o voir si entre ces cau=
ses, il n'en est point qui put donner une
explication satisfaisante des autres cir=
constances remarquables; car s'il s'en
trouve une telle, elle fournira une hypo=
these admissible, mais qui ne pourra etre
regardée que comme de pure probabilité
proportionelle au nombre des circonstances
dont elle peut rendre raison: sauf a
en chercher, ou attendre une meilleure
dans un temps plus opportun.
CONDITIONS POUR ETRE ADMISE.
Mais pour etre admise avec quelque utilité
une hypothese 1o ne doit rien en soi renfermer
d'absurde, de contraire a quelque Loi connue,
elle ne doit pas etre, comme celle des tourbillons
de Descartes, une pure supposition imaginai=
re, sans aucune analogie avec les Loix
connues, moins encor quelque idée metapho=
rique ou empruntée de quelque chose d'etran=
ger au sujet. Dans les consequences qu'on
en peut tirer 2o il n'en doit exister aucune
qui repugne a des faits averés ou a des
verités reconnues pour certaines, 3o il faut
<104> quelle puisse etre appliquée sans peine a
toutes les particularites du fait sans en
separer aucune circonstance essentielle, ainsi
qu'a tous les faits de même genre, reductibles
a la même classe; qu'enfin 4o on arrive par
les consequences a des resultats exactement
d'accords avec tous les faits connus, sans
qu'il y ait lieu a exception; car si l'hypothe=
se s'accorde avec les uns et non avec les au=
tres, et a plus forte raison, s'il y a contra=
diction, elle doit etre entierement aban=
donnée comme etant insoutenable.
On demande p. ex: quelle est l'origine des
fontaines, des fleuves et des Lacs. Les uns
ont supposé qu'il falloit la chercher dans
les eaux de l'Ocean qui remontent par des
canaux souterrains: mais cette hypothese
contredit la Loi generale du nivellement
des eaux. D'autres l'ont rapportée a la
fonte des neiges qui s'ecoulent dans les
bas fonds; mais cette hypothese n'explique
point l'origine des sources qu'on trouve sur
la hauteur des montagnes, ni celle de cette
masse immense d'eau necessaire pour
fournir au cours des grands fleuves du=
rant toute l'année. D'autres ajoutent les
vapeurs qui s'elevent continuellement
au dessus même des montagnes sous la
forme de 1 mot biffure brouillards et ne cessent
de se distiller sur elles. Cette derniere hypo=
these n'offre pas les mêmes difficultes, elle
semble satisfaire a l'explication du Pheno=
mene. On peut donc l'admettre comme
etant probable.
Que si une hypothese explique exactement
la plupart des Phenomenes du même genre
et que d'ailleurs elle nait rien qui ne puisse
se concilier avec les autres, on peut encor
l'admettre comme revetue de quelques pro=
babilité, en attendant que quelque nou=
velle, decouverte vienne ou la fortifier
ou l'affoiblir, ou la detruire entierement.
<104v> Dans ce cas, il peut arriver quelques fois
que par des recherches ulterieures, l'hypo=
these s'eleve par degrés jusques a la certitude
qui la rend propre a expliquer tous les
Phenomenes connus ou qu'on peut decou=
vrir dans la suite: c'est ainsi que l'hypothe=
se de Huygens sur l'anneau de Saturne
est devenue une chose demontrée.
CE QUIL Y A A FAIRE POUR CHOISIR LA
PLUS PROBABLE
Dans nombre de cas, il se presente a la fois
differentes hypotheses qui paroissent toutes
admissibles, et sur lesquelles on ne sau=
roit se decider pour le choix du premier
abord. Comment faut il s'y prendre pour
trouver quelle est la plus probable et
a laquelle on doit donner la preference?
Pour cet effet Tout se reduit a chercher
celle qui reunit le plus toutes les condi=
tions requises pour rendre une hypothese
probable, qui donne l'explication la plus
satisfaisante a laquelle on peut opposer
le moins de difficultés. On n'a pour cet
effet qu'a les soumettre l'une après l'autre
a l'examen. On commancera par en sup=
poser une vraie, et on la fait passer par tou=
tes les epreuves qui peuvent mettre a portée
de juger, si l'on a eu raison de la supposer
telle; après cela on passera a une autre et
on l'examine de même; en trouve t'on une
avec laquelle toutes les circonstances re=
quises requises s'accordent pour caracteri=
ser une hypothese vraie, on est fondé
alors a retenir celle ci, comme etant
la plus probable; autant il y aura de cir=
constances concordantes, autant il y au=
ra de degrés de probabilité, autant il s'y
en joindra de nouvelles, autant la vraisem=
blance s'approchera de la certitude. S'il
se trouvoit plusieurs hypotheses toutes
<105> munies de grandes probabilités ce sera alors
le cas, de les rapprocher, apprecier au juste
les degrés et se decider pour celle qui touche
de plus pres a la certitude.
L'art des hypotheses se reduit a ces deux points
invention pour conjecturer critique pour
apprecier. L'invention suppose des talens,
une memoire enrichie de faits et de resul=
tats, un Esprit observateur pour saisir
tout ce qui tombe sous les sens, et jusques
dans les plus petits details; l'habitude de
la meditation, qui met en etat de passer ses
connoissances en revüe avec rapidité, de saisir
les liens imperceptibles qui les amenent les
unes a la suite des autres, et les combinaisons
inattendues quelles presentens a l'Esprit, pour
les appliquer ensuite, et en tirer parti sur
le champ a chaque occasion.
Mais a côte de l'invention qui produit les hy=
potheses, et pour quelle ne se borne pas a un
pur jeu d'Esprit, doit marcher la Logique
critique qui s'occupe a eliminer tout ce
quelle juge faux pour ne s'attacher qu'a ce
qui est revetu des caracteres de la verité.
Son principe fondamental est de ne rien
admettre comme vrai que ce qui s'accorde
avec tout ce qui est reconnu pour vrai, et
avec tous les faits que cette verité suppose,
et dont elle doit rendre raison.
Une supposition, il est vrai, pourroit s'accor=
der avec tous les faits et leurs circonstances con=
nues, sans cependant indiquer la vraie cause
qu'on cherche, parce que l'Esprit humain est
trop borné pour saisir toujours completement
toutes les circonstances d'un effet et toutes
les consequences qui peuvent marcher a la
suite d'une supposition, et dès la même pour
etre bien sur qu'il n'y ait point encor quelque
circonstance jusques ici inconnue qui
ne puisse se concilier avec toutes les consequences
<105v> que la supposition peut entrainer après
elle. Ainsi l'accord d'une supposition avec
les faits ne prouve point l'impossibilité du
contraire, mais seulement qu'elle peut etre
regardée comme probable, probabilité
qui croitra a mesure qu'il se presentera de
nouvelles circonstances avec lesquelles
elle s'accorde.
Mais lorsqu'il se presente plusieurs hypothe=
ses probables, la critique, après les avoir
soumises a l'examen, s'exercera a balancer
les probabilités, pour passer de la a une
conclusion en faveur de celle quelle juge=
ra la plus probable, et ou elle pourra ou l'ad=
mettre purement et simplement, ou y dis=
tinguer ce qui paroit probable d'avec ce qui
est encor douteux: hors lequel cas dans le doute, plutot
que de s'exposer au risque d'admettre du
faux, elle prendra le parti de suspendre
son jugement en attendant des Lumie=
res plus etendues et plus sures.
Tout ce qui vient d'etre dit sur l'art conjec=
tural peut s'appliquer a d'autres objets
qui ne sont pas purement physiques mais
qui sont aussi ideaux. Tels sont les mots
du Langage et la maniere d'en expliquer
la formation et le sens pour remonter a
leurs origines primitives. Toutes les regles
precedentes servent a diriger l'Etymologis=
te dans ses operations, comme nous le mon=
trerons dans la partie Etymologique. Leur
tels application peut s'etendre meme jusques
a a nous mettre en etat de dechiffrer la
valeur des mots dans une Langue jusques
ici inconnue, sans autre secours que les=
principes generaux de la Glossologie
de la Grammaire, et du dictionnaire Ety
mologique universel, ainsi que nous le
montrerons dans la Grammatologie.
<106> On en fait usage aussi lorsqu'il s'agit
de dechiffrer des ecrits en caracteres occul=
tes comme la montre M. s Gravesande.
On y a recours enfin dans la critique des au=
teurs anciens quand on veut connoitre
la veritable leçon c.d. quels sont les
termes quils ont emploiés, et le vrai
sens de leurs expressions.
REGLES SUR LA PROBABILITE
EN FAIT D'OBJETS MORAUX.
Avec diverses données que peuvent
fournir l'observation habituelle des
hommes, de leurs discours, de leurs ac=
tions, de leurs opinions, de leurs gestes
de leur Physionomie, on pourroit exercer
le calcul des degrés de probabilité et l'art
des hypotheses, pour juger de leur ma=
niere de sentir, de leurs affections, des motifs
qui les font agir, des desseins qu'ils se pre=
posent &c. mais l'exposition des regles et
des precautions a prendre seroit trop longue
pour entrer dans notre plan; nous nous
bornerons a ce qui regarde les faits mo=
raux qui dont la probabilité repose
sur le temoignage.
<107> REGLES POUR LES OBJETS MORAUX.
Quand il s'agit d'un fait moral la probabilité
augmente avec le nombre et le poids des rai=
sons qu'on a d'en croire la realité et de l'exactitude
de la connoissance qu'on peut en acquerir.
Dans le plus grand nombre des cas, il y a des
raisons pour et contre, et des temoignages qui
donnent des relations differentes. La Logi=
que des vraisemblances apprend a apprecier
les degrés 1 mot biffure qui sont favorables ou
contraires a telle ou telle creance, 1 mot biffure et de choi=
sir entre plusieurs celle qui merite la preferen=
ce. La ou il y a differentes relations il faut
se rendre attentif 1o au caractere moral des
temoins: ceux qui paroissent ou plus eclairés ou
plus integres 1 mot biffure doivent etre preferés1 mot biffure 2o a leur
nombre: toutes choses d'ailleurs egales le plus
grand nombre doit emporter sur le petit.
3o a la maniere dont ils ont pu s'instruire:
on doit preferer le rapport de ceux qui ont
vu, ou de ceux qui ont été les plus voisins
du lieu et du temps ou le fait s'est passé.
4o a la maniere dont ils racontent: ceux qui
s'accordent dans les points essentiels meritent le
plus de confiance &c. au but et aux motifs;
on doit plus d'attention a ceux qui sont neutres,
desinteressés, ou qui par leur relation s'expo=
sent a des risques.
Les temoignages etant bien pesés, il faut
s'en tenir a ceux qui paroissent plus dignes
de creance: mais ceux ci peuvent encor n'of=
frir qu'un certain degré de probabilité.
1 mot biffure S'il y a un concours de tous les caracteres
de la verité historique, alors la foi doit
etre accompagnée d'une pleine persuasion, la
certitude etant ici equivalente dans son genre
a celle de l'evidence dans le sien, puisquelle
ne peut etre contestée sans folie. Car il seroit
aussi absurde de nier qu'il y ait eu un Jules Cesar
que de nier que deux et deux font quatre.
on peut aussi appli=
quer l'art des hy=
potheses a la=
recherche des
motifs qui ont
porté quelquun
a agir, ou des
depens qu'il se
propose dans
sa conduite
on peut l'appli
quer au dechif=
frement des ecrits
en caracteres
occultes, même
de ceux qui sont
écrits dans une
langue qu'on
ne connoit point
encor nous
avons 1 mot biffure
le probleme
Grammatologie
<107v> CHAPITRE IX
De l'art de penser
BUT DE TOUTE METHODE
Nous avons indiqué jusques ici les regles d'une
bonne methode pour decouvrir la verité, et arri=
ver a la certitude, ou au plus haut degré de
vraisemblance possible. 2 mots biffure Mais elle doit nous
d'objets. Mais a la certitude 3 mots biffure conduire a ce but par une marche qui
aussi absurde reunisse la facilité, la brieveté
et la plus grande clarté pour applanir le travail,
sans possibilité de la verité, et de l'exactitude, et en assurer le succes.
C'est a quoi se rapportent essentiellement les regles
que nous avons encor a presenter.
L'ART DE PENSER.
Suivant ce qui a été dit (Anthrop S. I. Ch. XIII)
l'art de penser n'est autre chose que celui de reu=
nir d'exercer ses diverses operations Intellectu=
elles de la maniere la plus convenable pour arri=
ver avec le plus de facilité, de brieveté et de clarté a la de=
couverte du vrai et a sa connoissance certaine,
l'art de penser suppose necessairement celui de s'ex=
primer qui en est inseparable, puisqu'on ne sauroit
donner a la pensée aucun developement, aucu=
ne perfection, sans un usage bien reglé des signes
qui doivent lui etre associés.
Tout cet art se reduit a substituer aux jugemens
d'habitude qui ne sont que des Tableaux con=
fut et embrouillés des jugemens reflechis c.a.d.
au des Tableaux ou les idées soient presentees
d'une maniere distincte, et se succedent l'une
a l'autre dans un certain ordre qui en mar=
que la liaison et le devellopement successif,
en assignant a chacune la place qui lui con=
vient, ensorte que nous puissions les rappeller
et les parcourir facilement, pour nous arreter a
nôtre gré sur celles que nous voulons compa=
rer sous tels rapports, sur lesquels il nous con=
vient actuellement de fixer nôtre attention.
<108> Ainsi encor tout cet art pourroit peut etre reduit
a ce que nous avons appellé l'analyse de la
pensée qui suppose aussi l'exercice simultané
de toutes nos operations, et qui demande en
general ces deux choses, 1o que l'analyse soit con=
forme a un certain ordre donné par la
nature elle même, ou a nôtre maniere na=
turelle de concevoir 2o qu'on y emploie con=
venablement l'usage des signes sans lesquels
il seroit impossible de decomposer la pensée,
d'en distinguer reellement les parties, en assi=
gner les rapports, et les arranger avec ordre.
CONDITIONS ESSENTIELLES AU
VRAI ART DE PENSER
Cette analyse de la pensée ne peut etre conforme
a l'ordre donné par la nature qu'autant quelle
l'est a nôtre maniere naturelle de concevoir
les choses, qui repond a la marche ou l'ordre
des procedés, que les hommes ont suivi natu=
rellement dans la formation et le devellope=
ment de la pensée. Or quel a été cet ordre?
D'abord les objets exterieurs se sont presentes
a eux sous diverses qualités sensibles qui ont
produit en eux autant de perceptions separées
quoique mais simples et sans melange. Ces qualites
perceptions, par la reminiscence, l'imagination,
se sont ensuite reunies sous une association naturelle
pour former un tout ideal, qui les compre=
noit toutes, mais en bloc; et confondues dans
un ensemble qu'on a appellé objet Indivi=
duel exprimé par un nom propre.
Apres avoir formé ainsi un grand nombre d'idées
Individuelles, ils ont exercé l'abstraction
physique pour se rendre attentifs aux diver=
ses qualités de ces objets, prises a part; puis
ils les ont rapprochés ces qualités observées,
pour en faire autant de traits de comparaison
entre les objets, et au travers de plusieurs differen=
ces entre ceux ci, ils ont decouvert des caracteres
<108v> de ressemblance qui les ont frappé: ils ont pris ceux
ci a part pour en former une notion generale, sous
laquelle, comme sous une classe, etoient compris tous
ces objets, et devoient etre compris tous ceux ou l'on
retrouveroit les mêmes caracteres. Peut etre furent
ils d'abord disposés a tout generaliser avec la der=
niere etendue, en donnant le même nom au plus
grand nombre possible d'Individus, pour legers
et grossiers que fussent leurs traits de ressemblance.
Mais a mesure qu'ils s'avancerent dans les connois=
sances de detail, ils redescendirent des genres aux
especes et multiplierent celles ci a moins proportion qu'ils pous=
erent plus loin leurs observations. Dans leurs
procedés ordinaires, ils ont neanmoins plutot
suivi la marche inverse en s'elevant des indivi=
dus aux especes, et des especes au genre, ou en re=
montant du particulier au general: car cette
marche dans la generation des idées a toujours
été la plus conforme a la nature des choses et a
nôtre maniere naturelle de concevoir: nos pre=
mieres idées composées sont des idées Individuelles;
les autres ne sont que des objets ideaux que l'Esprit
se forme successivement a mesure qu'il saisit
de nouveaux rapports entre les objets reels.
Quelle est donc en consequence la regle fondamentale de l'ana=
lyse de la pensée et de l'art de penser? C'est de
suivre l'ordre naturel de la generation de la pensée,
de reduire celle ci aux elemens dont elle a été
formée tirée, 3 mots biffure forment selon la marche na=
turelle que les hommes ont suivie; dans sa
generation formation et dans son develloppement, selon leur
maniere de voir et d'observer
S'agit il d'un objet Individuel tout se reduira
au detail des qualites parties ou qualités dont
les idées ont servi a composer l'idée totale ex=
primée par le nom de l'objet, en faisant une
enumeration conforme ou a l'ordre dans lequel
ces parties ou qualités ont été observées, ou a leurs
rapports entr'elles, en donnant la place princi=
pale a celles qui sont constantes, permanentes
et qui sont comme le soutien des autres.
<109> S'il s'agit d'une notion generale abstraite,
de quelque objet ideal on sera appellé aussi
a rendre comte de tous les elemens dont l'idée est
composée, ou de ces traits de conformité qu'on
a rassemblés sous une même notion et expression
comme autant de caracteres communs aux=
quels on peut reconnoitre tous les objets reels
appartenant a la même classe.
Tout cela demande qu'on soit pourvu d'un
nombre de signes ou expressions suffisantes,
proportioné au nombre et a la variété des idées
qu'on a p a presenter; qu'on en connoisse bien
la vraie signification et le vrai usage pour
les appliquer comme il convient, et pour
cela, qu'on en ait fait une etude particuliere
en suivant la marche la plus propre a en faci=
liter et assurer l'intelligence par la lumiere
qu'ils peuvent repandre les uns sur les autres,
ce qui suppose qu'on les a etudiés selon un
certain ordre Etymologique et une cer=
taine analogie reguliere, conforme a
l'ordre de la generation des pensées, 1 mot biffure que les
hommes ont effectivement suivie dans la formation
du Langage; enfin, que ces signes soient
bien choisis, appliqués, et liés dans un
ordre grammatical, qui previenne toute
confusion dans le devellopement de la
pensée. Le jugement n'etant autre chose qu'un rap=
prochement de la partie de son tout pour
en connoitre l'identité, il tient essentiellement
a l'analyse de la pensée, et ici tout l'art de
penser se reduit a analyser les deux idées
qu'il faut unir ou separer, et observer toutes
les regles que nous avons presentées pour
decouvrir la verité avec certitude, ou du
moins avec le plus grand degré de probabilité
qu'il est possible.
<109v> Puisque le raisonnement n'est aussi qu'un
composé de jugemens dont les rapports
conduisent a des consequences applicables
aux faits particuliers, il tient pareillement
a l'analyse de la pensée qui seule peut
manifester ces rapports et tout l'art de
penser peut ici se reduire ici rapporter a ces 3 choses;
1o reduire les propositions a des idées bien
distinctes et clairement enoncées; 2 suivre
les regles presentées pour former des raison=
nemens reguliers et justes; 3 distinguer les
divers genres de sujets et les differens genres
de preuves dont chacun d'eux par sa natu=
re est susceptible, pour appliquer a chacun
celui qui lui convient, et s'en contenter, lors=
qu'ils suffit pour amener tout homme
raisonnable a la certitude, ou a un degré
de probabilité suffisant pour fonder sa
creance.
Ainsi celui qui est instruit dans l'art de
penser, lorsqu'il s'agira de faits ne deman=
dera pas l'evidence d'intuition ou demons=
tration, mais des preuves suffisantes tirées
de l'observation etc. Sur des objets purement
ideaux, il n'exigera pas des preuves de fait
mais de l'evidence; agir autrement ce seroit etre aussi insen=
sé que celui qui voudroit voir par les oreil=
les, et entendre par les yeux. Si dans les choses
de fait il obtient la certitude, il se croira
autant a l'abri de l'erreur que sil dans
avoit l'evidence de demonstration.
La ou la nature même des choses ne per=
met pas de s'elever a la pleine certitude,
il se contentera de la probabilité, mais il
ne s'en tiendra pas a celle ci quand il croira
pouvoir s'elever a la certitude.
REGLES POUR EVITER L'ERREUR.
Sur toutes choses, l'art de penser demande la
plus grande attention pour eviter les erreurs
qui sont si funestes a l'homme et qui cependant
sont si frequentes, parce qu'elles naissent les
<110> unes des autres en foule, tout comme les
consequences naissent de leurs principes,
sur quoi on peut indiquer 4 regles.
1 Dans les choses douteuses suspendre son
jugement 2. Dans les choses qui ne peuvent
atteindre a la certitude, proportioner son
assentiment aux degrés de probabilité;
3 Dans les autres, ne se rendre a l'assentiment
que lorsque les preuves ont pu s'elever
jusques a la certitude, 4. se tenir sans
cesse en garde contre les causes qui peuvent
produire l'erreur. que elles seront indiquées
au chapitre dernier chapitre XIII.
Dans le chapitre suivant on dira quelque
chose de plus particulier sur l'art de penser
selon les diverses methodes suivies dans les
procedés intellectuels pour la recherche de
la verité.
CHAPITRE X
De la methode Analytique et Synthe=
tique.
METHODE ANALYTIQUE
Dans Les decouvertes que les hommes ont
faites successivement, n'ont pas toujours été le
fruit d'une Methode reguliere: souvent elles
ont été dues a des circonstances fortuites,
ou des procedes heureux dont ils n'ont pu
dans la suite se rendre compte a eux mêmes.
La plupart cependant sont nées d'un exercice
d'operations intellectuelles reguliers et suivi,
et de cette marche appellée Analytique
qui consiste 1o a decomposer les idées pour
en faire des comparaisons, en saisir les rap=
ports et en tirer des principes evidens;
2o a rassembler les faits observés pour en
tirer des inductions des resultats generaux,
qui puissent servir de principes certains dans
l'explication des faits particuliers; enfin a
s'elever sans cesse du particulier au gene=
ral et jusques aux notions les plus generales.
Ce qui fait sentir l'importance et la grande
<110v> utilité de cette methode, c'est quelle est la seule
qui puisse diriger celui qui cherche par lui
même la verité lorsqu'elle ne lui est pas encor
connue; d'ou vient qu'elle a été appellée aussi
la methode d'invention , et que a considerer
les choses de près, elle est, a tout prendre, la
meilleure methode pour exposer le vrai dans
tout son jour a ceux qu'on veut instruire. Car
en la suivant avec eux, on les fait marcher par
la même voie qui a conduit a la verité; on
exerce meme aussi leur activité pour la leur faire
trouver par eux mêmes, on les rameine a l'origi=
ne et a la generation des idées, qu'on leur presente
selon l'enchainure la plus naturelle et la plus sim=
ple, et en les fixant dans leur Esprit d'une ma=
niere precise et determinée, on les met en etat
de les rapprocher et comparer eux mêmes selon
le but qu'on se propose, d'en tirer des jugemens
vrais et d'y joindre un raisonnement juste pour
s'elever au plus haut degré de certitude.
Ce n'est que par cette methode que les hommes ont
pu arriver a ces propositions generales qui expri=
ment en abregé leurs connoissances, pour en facili=
ter le rappel, et leur fournir des principes lumineux
pour l'explication
de tous les faits
ou objets par=
ticuliers.
Aux idees absolues repondent des mots abso=
lus, aux relatives, des termes relatifs en com=
paratifs. Dans la plupart de ceux ci, la rela=
tion l'annonce sans equivoque; p. ex. Mari,=
Pere, moindre, meilleur &c. souvent les com
paratifs ont l'apparence d'absolus; p. ex.=
grand, petit, long, court &c. Quelques uns
appliqués aux hommes sont relatifs: appliques
a Dieu, ils deviennent absolus; p. ex. age,
bon, puissant.
Aucune relation ne peut etre formée entre
nos idees sans l'exercice de la faculte de com
parer les objets entr'eux pour voir ce qu'ils sont
l'un a l'egard de l'autre. Mais il ne faut pas
confondre la relation ideale avec celle qui
existe reellement dans la nature entre les
objets compares.
<111> METHODE SYNTHETIQUE
Mais lorsque les hommes ont voulu com=
muniquer leurs connoissances, ils n'ont
pas toujours scu les ramener a leurs
vraies origines par le moien de la metho=
de analytique, et le plus souvent, ils ne
l'ont pas voulu, parce qu'ils ont cru que
cette methode seroit trop peinible et trop
longue: ils ont borné leurs instructions
a certaines a ces propositions universellement
admises comme incontestables, desquelles
ils ont fait decouler ces instructions comme
autant de consequences legitimes; ainsi ils ne n'ont
fait autre chose que de descendre du general
au particulier, et cette marche leur a paru
plus abregée, plus facile et plus commode
pour eux et même plus propre a contenter
la curiosité de ceux qui qui vouloient
s'instruire rapidement, et sans beaucoup
de peine, des decouvertes d'autrui. De cette
methode generalement repandue est natu=
rellement née l'opinion que les propositions
universelles etoient la vraie source de la
verité, et que sur tous les sujets donnés, on
n'avoit d'autre voie a suivre que la Syn=
these qui consiste a partir des principes
les plus generaux pour descendre de conse=
quence en consequence aux verités parti=
culieres, et arriver par la a l'explication des
divers faits sans epuiser les details ennuieux
et peinibles de l'observation et de l'experien=
ce.
comme SES DEFAUTS
On ne peut cependant se dissimuler que
cette Methode purement Synthetique eclaire
d'autant moins l'Esprit quelle lui cache la
route qui a conduit les hommes a la decou=
verte du vrai, qu'elle ne donne aucune eten=
due nouvelle a nos recherches, puisque les
propositions generales ne sauroient aller
au dela du cercle ou sont compris les objets
<111v> reels que d'ou les hommes sont partis pour s'elever
jusques a elles; que cette methode, avec tout
son appareil, ne peut etre utilement emploiée
que par ceux qui ont deja suivi la methode
analytique pour s'instruire des details, et
que ceux qui ignorent ceux ci, ne sauroient
par l'autre methode, se former des idées des
objets exactes et lumineuses, qu'on ne peut
trouver que dans les origines des idées et l'obser=
vation des faits; que sans cela, cette metho=
de pourront peut 1 mot écriture et conduire a des erreurs très gros=
sieres par 1 mot biffure des definitions defectueuses,
des notions mal determinées, des mots equi=
voques, par des principes vagues, par une chaine
trop longue et trop compliquées de conse=
quences. C'est en effet pour s'etre tenu opi=
niatrement a des generalités, en mettant
de côté les instructions de detail, qu'on est
tombé dans une foule de prejugés, de
disputes frivoles, et il n'est pas même jusques
aux sciences de demonstration telle que
les Mathematiques, qui n'aient souffert
des inconveniens de cette methode.
Il ne faut pas donc pas etre surpris si des
savans du premier ordre ont tant recom=
mandé pour l'instruction la methode ana=
lytique qu'ils ont emploiée eux mêmes avec
tant de succès, comme etant celle qui,
lorsqu'on sait bien l'emploier, meine conduit a
la verité par la voie la plus interessante
la plus claire, la moins peinible, et la
plus propre a former l'esprit l'Intelligence. Il n'est
pas jusques aux Geometres qui n'en aient
tiré le plus grand parti en remontant de
chaque proposition aux principes d'ou
elle depend, jusques a un principe premier
evident qui se trouve lié avec tous les
autres par une chaine indissoluble: après
quoi de ce même principe, ils redescendent
le long de la même chaire, jusques a la
<112> proposition dont il s'agit qui se trouve
ainsi demontrée par la Synthese: double
methode bien propre a eclairer l'Esprit et
a le convaincre.
REGLES POUR LA METHODE
ANALYTIQUE
Les regles generales de la methode que nous
avons indiquées Sect 1. C. X. peuvent etre ap=
pliquées d'abord a la methode Analytique.
La 1o est de bien saisir et bien poser l'etat de
la Question. Nous avons deja dit ce qu'il y a
faire, lorsqu'il s'agit de la poser nous mêmes.
Quand c'est quelquun qui nous la propose a resou=
dre, il peut arriver qu'il la pose mal, d'une
maniere embarassée, en la chargeant de condi=
tions inutiles, ou en omettant des conditions
essentielles. Dans ce cas, il faut l'interroger
pour ramener la question a quelque chose de
precis et en lui même resoluble. En vain p. ex.
nous proposeroit on l'explication d'un Pheno=
mene, si on y ajoutoit des circonstances qui
pourroient le faire confondre avec un autre,
ou si l'on supprimoit quelque partie ou cir=
constance importante.
2. Si par la, la question mise au clair ne
se trouve pas deja resolue, comme cela peut
arriver quelquefois souvent, il faut encor examiner les
diverses idées qu'elle comprend pour dis=
tinguer les essentielles propres a la question
d'avec les accidentelles, qui peuvent etre com=
munes avec d'autres, mettre de côté tout ce
qui ne fait qu'em=
barasser la ques=
tion et qui ne peut aider en rien a la solution;
pour s'en tenir uniquement a ce qui doit
naturellement y conduire, suppleer meme
tout ce qui n'est pas exprimé avec asses de clarte
et de precision. Apres quoi 3. on peut passer a la recherche
de quelque idée moienne, qui decouvre
<112v> le rapports des idées essentielles de la question
proposee. Si Descartes avoit saisi l'observa=
tion des anciens que le re flux et le reflux
de la mer est d'autant plus grand que la
Lune est plus proche de la terre, cette seule
idée moienne lui eut fourni une solution
de ce Phenomene tout autrement Philosophi=
que que celle qu'il a proposée.
4. Si une idée moienne ne suffit pas, il faut
en chercher une 2o et une 3o qui se liant a la
premiere fournissent une somme de lu=
miere suffisante pour la solution qu'on
cherche.
5o Si la question se trouve compliquée, il
faut la decomposer, la reduire par la
division a des chefs principaux pour les
examiner l'un après l'autre par ordre et
sans omission car il faut que
la division soit de=
duite de la nature
même du sujet, et
il faut quelle soit
complete, ou que
la question proposee
soit contenue tou=
te entiere dans
toutes les questions
particulieres prises
ensemble. chaque partie on appli=
quera quelques idées moienne, et de ces ope=
rations partiales souvent on verra sortir
une lumiere qui eut echapé si l'on se fut
borné a considerer la question dans son
ensemble et en bloc. La ou la chose sera
necessaire, on aura recours a plusieurs moi=
ennes jusques a ce que chaque partie
soit ramenée a sa solution.
6. On rapprochera ensuite les questions
partielles avec leur solution pour les refondre pour en diminuer
ensemble, dans la question totale, et la
le nombre jusques
a ce 1 mot biffure qu'on les
ait comme
fondues en une
seule qui contien=
ne ce que l'on
avec pu decou=
vrir sur la question
proposee, et la lumiere obtenue repandra sur celle ci un
jour nouveau qui en amenera la solution
complette; a deffaut de quoi, on poura
conclure que la question n'est pas encor
resolue ou qu'elle est insoluble. Cette regle
est d'autant plus essentielle que c'est le seul
moien de s'assurer qu'on n'a rien omis, et
quoique cette methode paroisse longue et
peinible, il est clair que c'est au fond la plus
sure et la plus courte, pour arriver au but.
<113> Pour s'assurer qu'on n'a rien omis d'essentiel
dans l'operation, il est a propos de tenir note
chemin faisant des questions qu'on a resolues
et des idées moiennes qu'on a emploiées.
7. Il importe aussi de reiterer les mêmes operations
pour voir si l'on a commis aucune faute,
et si l'on retrouve les mêmes resultats; il est
bon même de revenir a la charge en diffe=
rens temps, pour qu'on ne soit pas dans le cas
de ceux qui repetent la même faute par
une suite de l'habitude.
8. Enfin il faut recourir a la Synthese
pour redescendre du principe general,
ou on est parvenu par l'analyse, jusques
a la question proposée: car si on retrouve
celle ci, on est sur d'avoir bien procedé:
Les deux methodes se servent, mutuellement
de preuve, comme les regles d'addition et de
soustraction.
REGLES DE LA METHODE SYN=
THETIQUE.
Dans la methode analytique on remonte d'une
proposition non encor eclaircie a un princi=
pe general qui en fournit la solution: Dans
la Methode Synthetique, on descend du
principe general aux consequences: on par=
court le même chemin dans l'une et dans l'autre, mais en partant de
deux points opposés. Neammoins les mêmes
regles generales peuvent etre egalement ap=
pliquées a la Synthese.
On commance par les definitions, et on appli=
que ici toutes les regles qui ont été presen=
tees Sect. 1. ch. XI.
On fait succeder les axiomes qu'on presente
comme resultats immediats des definitions,
et comme principes evidens par eux memes pour servir a la demons=
tration d'autres propositions dont la verité ne
peut être rendue sensible que par le raisonne=
ment, qui seul peut conduire ici du connu a
l'inconnu.
<113v> Suivent après cela ces mêmes propositions
avec leur demonstration, comme consequences
necessaires des principes posés.
Mais une fois demontrées, elles deviennent
a leur tour autant de principes certains
et incontestables pour concourir a la demons=
tration des propositions suivantes; ce qui
donne une enchainure de verites toutes
liées les unes aux autres, et ce qu'on appelle
un Systheme. En expliquant
une Science on
est souvent appellé
a prendre pour
principe ou base
de raisonnemens
des propositions
dont la verité
ne se fait pas
sentir par leur
enchainure avec
les precedentes,
mais qui est sup=
posee connue
de ceux a qui
l'on parle.
Quand il s'agit
de Sciences pratti=
ques, aux axio=
mes on joint
les demandes.
Quelques fois on
y associe des hy=
potheses suppositions pour
expliquer d'avan=
ce ce qui doit
resulter de l'arran=
gement de cer=
taines circons=
tances, mais
ici il ne faut pas
confondre ce qui
n'est consideré
comme vrai
que hypotheti=
quement, avec
ce qu'on tient pour
vrai absolument
L'ordre des propositions doit etre reglé sur
la nature des sujets, sur la division sur
leur plus ou moins grande connexion avec
ce qui en fait l'essence, surtout sur
cette regle que l'on doit toujours faire pre=
ceder ce qui peut servir a l'intelligence et
la demonstration de ce qui suit
Ainsi cette methode peut etre emploiée dans l'ex=
position même des Sciences physiques et morales,
si l'on peut y presenter des principes certains d'ou
naissent des consequences legitimes, et des series
de propositions dont les premieres servent a
eclaircir et a prouver celles qui suivent.
METHODE SOCRATIQUE.
On distingue aussi la methode socratique qui
procede par demandes et reponses entre des inter=
locuteurs, dont le repondant est forcé par la tour=
nure et l'adresse des questions de se rendre a la
verité. Mais elle ne differre des precedentes que
par la forme du discours, qui peut quelques
fois etre preferées aux autres, surtout lorsqu'il
s'agit d'instruire des jeunes gens dont elle
est propre a reveiller l'attention. Quelque for=
me de discours qu'on suivie, la marche est
toujours assujetie aux regles de l'analyse
et ou de la Synthese, qui sont les deux seules me=
thodes essentiellement distinctes.
<114> CHAPITRE XI
De l'art de parler
NECESSITE DU LANGAGE POUR LA PENSEE
La pensée ne se presente a nous au premier
coup que comme un Tableau, ou un ensemble
de traits coexistans, mais en confusion et
pelemele. Si nous voulons communiquer
ce Tableau aux autres, nous ne pouvons le
faire qu'en exprimant separement ces divers
traits par des mots signes arrangés d'une maniere
qui soit pour eux intelligible. Mais pour qu'ils
nous comprennent, il faut que nous nous com=
prenions nous memes ce que nous avons a leur dire et qu'au=
paravant nous nous soions retracé ce Tableau
de traits et de signes dans un certain ordre,
et comme si nous etions appellés a nous par=
ler en quelque sorte a nous mêmes.
Or pour pouvoir ainsi nous parler a nous
mêmes, nous sommes forcés de lier chacune
des parties de la pensée a des signes qui servent
a les tenir separee et distinguesees les unes des au=
tres et d'assujetir la marche 1 mot biffure
de ces idées et de ces mots, a un ordre regulier.
D'ou vient que nous ne pouvons penser sans
nous rappeller les mots, ni même autrement
que dans nôtre Langue, et d'après nôtre Langue.
Ainsi le Langage est une vraie methode
analytique essentielle au devellopement de
la pensée, sans laquelle il n'y auroit que
confusion dans l'Esprit, et celui qui parle
l'homme ne sauroit ni se faire entendre des
autres, ni se comprendre lui même. Il est
donc tout a la fois l'expression et l'instrument
de l'analyse de la pensée, qui seul met l'Esprit
en etat de la decomposer dans ses elemens, et
en parcourant ceux ci, d'observer ce qu'il a fait
et ce qui lui reste encore a faire pour son entier
devellopement.
<114v> INFLUENCES HEUREUSES DE SA REFLECTION
Il n'est aucune methode dont l'influence ait
été si decisive et si etendue sur les connoissan=
ces humaines que la été le Langage, puisque sans
lui l'homme n'auroit pu s'elever a aucune
idée distincte, et seroit demeuré fort peu
superieur a la brute. Aussi la perfection
du langage et les progrés Intellectuels des
diverses nations ont toujours marché d'un
pas egal. A mesure qu'elles se sont perfectio=
nees dans l'art de penser, a mesure aussi leur
Langage est devenu plus propre a l'analyse
et l'expression exacte de la pensée. et aucun
1 mot biffure La langue leur a fournit le seul moien
de donner a celle ci de la clarté et de la preci=
sion, et a proportion que la pensée s'est perfec=
tionée, elle a donné aussi plus de clarté et de pre=
cision au Langage. Celui ci on a été tout a la fois
son ouvrage et son soutien.
Dans l'origine des nations, les leurs langues ont été
pauvres et imparfaites. A mesure Des qu'une na=
tion s'est eclairée et qu'elle a mieux senti le
besoin de s'eclairer toujours d'avantage, elle
s'est occupée a etendre son Langage, a le
rendre plus exact, et plus riche, 1 mot biffure plus
fecond en ressources, pour exprimer les idées
qu'elle acqueroit successivement. Quelques
unes ont trouvé dans leur Langue de grands
1 mot biffure secours pour leurs progres en lumieres:
chès d'autres, l'imperfection du Langage a oppo=
se les plus grands obstacles aux progrés de leurs
connoissances.
INCONVENIENS DE SON IMPERFECTION.
Si les hommes eussent toujours suivi dans la
formation du Langage des procedés assès regu=
liers pour que l'analyse de la pensée par le
moien des mots, eut toujours pu se faire de
la maniere la plus simple, la plus claire et la
plus precise, on auroit toujours vu dans la
<115> serie même des mots, l'origine et la generation
des idées, et celles ci auroient toujours pu etre
develloppées avec ordre et precision; il n'y au=
roit pas eu en Philosophie ni tant de questions ridicules
de disputes de mots, a d'opinions singulieres,
qui pour la plupart n'ont du leur naissance
qu'a un deffaut du Langage, sur lequel
elles ont aussi a leur tour prodigieusement influé, par
cela même qu'il a fallu imaginer des mots
et des tours singuliers ou bisarres, pour dis=
cuter ces questions, soutenir ces disputes,
deffendre ces opinions. Une fois prevenus
pour certaines idées, au lieu de les examiner
serieusement, les hommes n'ont fait que cher=
cher dans le Langage des expressions propres a
leur donner quelque couleur de vraisem=
blance. D'ailleurs ils ont emploié les mots sans
les definir, ils en ont alteré le sens, ils l'ont
obscurci par des metaphores, ou pour les
expliquer, ils ont emploié des mots beaucoup
plus obscurs encor. Ainsi les opinions n'ont
fait que repandre sur le Langage de la
confusion, et le Langage une fois obscurci
a multiplié, a son tour les opinions et les
disputes. D'ou sont venu tant de1 mot biffure toutes celles
de disputes qu'on a elevées sur la verité, sur le bonheur, sur
la substance, la nature, l'essence, &c. c'est qu'on
ne 1 mot biffure s'est jamais occupé a definir ces mots.
Que quelquun eut dit, la substance c'est
Etymologiquement, ce qui est au dessous
des modes pour les soutenir; la nature, c'est
ce qui fait qu'une chose est née avec certaines
proprietés; l'essence, c'est ce qui fait qu'une chose
est ce qu'elle est et non une autre, que quelquun
eut ainsi defini ces mots, et tous auroient dit
pourquoi donc nous disputer sur des mots
qui n'ont pu avoir d'autre usage que d'indiquer
par abstraction certaines qualités premieres
<115v> ce qu'il y a de premier
dans les choses, qui ne sont point parties de et que nous ignorons profonde=
l'observation
ment. Pourquoi a t'on parlé de l'ame comme
d'une matiere subtile, c'est que sous les mots
πνευμα spiritus, anima, on designoit egale=
ment le souffle, la respiration, le vent, les
Esprits animaux &c. Que quelquun eut dit,
ces mots n'ont été appliqués a l'ame que par
analogie, par metaphore: ainsi qu'avons nous
que faire avancer que de parler de l'ame est comme une ma=
tiere subtile, quand aucun fait ne le prouve
et qu'on ne peut appuier cela que sur des mots mal
entendus.
PREMIERES ORIGINES DE LA
GRAMMAIRE.
Jamais les hommes n'ont pu parler d'une ma=
niere intelligible sans emploier quelque procedé
analytique essentiel au devellopement de la
pensée. Ils auront fait pendant longtemps
usage de ce procedé naturel sans y reflechir: ils n'au=
ront point pensé a le perfectioner par l'art. Ce qui=
etoit chès eux que l'effet naturel de leur constitu
tion de leurs besoins et des circonstances De
la il est resulté que les progrés de la perfec=
tion du Langage ont été très lents, et que la
methode analytique qu'il suppose ne s'est
perfectionée qu'a la suite des 1 mot biffure longue; Enfin
l'art est venu au secours de la nature: le
Langage a été assujeti a certaines regles de
combinaison et de construction; il est devenu
une sorte de Systheme regulier.
Cet art lui meme a été aussi une consequence na=
turelle de la constitution de l'homme, de ses be=
soins essentiels, des circonstances de sa position,
pour la sorte, et il a deu resulter de la une me=
thode de Langage uniforme et commune
a toutes les Langues, et a tous les peuples; c'est
ce qu'on a appellé la Grammaire generale.
D'un autre côté cette methode se trouvant
assujetie a la Loi imperieuse de l'usage, aux
<116> aux influences des divers tours d'Esprit ou carac=
teres nationaux, et de leurs circonstances particu=
lieres, qui ont pu avancer ou retarder leurs
progrés, il en a du resulter necessairement
des Grammaires particulieres.
Quoique la Grammaire generale doive etre traitee
a part sous le nom de Grammatologie, nous
ne pouvons nous dispenser d'en dire ici quelque chose
ici a cause de l'intime connexion qu'il y a entre
l'art de penser et l'art de parler.
LES PARTIES ESSENTIELLES DIVERSES DU DISCOURS.
Il semble difficille de retrouver les premiers proce=
dés originairement emploiés, l'ordre dans le=
quel on a donné des noms aux choses, et on a
revetu les idées de signes, d'expliquer comment les especes
de mots se sont introduites successivement pour
satisfaire aux besoins de la parole, et figurer
dans le discours suivant le rôle qui leur a
été assigné dans l'ordre de l'enonciation, pour
former un Tableau regulier de la pensée
qui en presente toutes les parties d'une maniere
exacte et intelligible. Neammoins on peut
dire la dessus des choses très satisfaisantes, si l'on
s'attache a ce que la nature même des choses uniquement
1 mot biffure puisqu'elle a 1 mot biffure été le premier
guide des hommes.
a ce qui a du
etre suggeré
par le aux
hommes par
la nature elle
même qui a
été en tout
leur premier
guide.
Toutes Nos idées sont composées de parties
qui sont en rapport, dont les unes ameinent les
autres, et qui dans l'enoncé verbal, doivent
se succeder l'une a l'autre dans un certain or=
dre, jusques a ce qu'elles aient toutes passées en
revue et completé le Tableau. Pour cela et former ce
Tableau il faut 1o des mots qui expriment les parties
ou objets qui doivent etre comparés, 2o des mots
qui expriment annoncent la comparaison de ces objets,
et leurs divers rapports entr'eux ou avec nous
mêmes: enfin des mots qui marquent la liai=
son des parties ideales entr'elles pour former un tout
ideal et verbal.
<116v> Dailleurs, le Tableau peut etre plus ou moins
chargé de traits suivant le plus ou le moins de
complication des rapports a exprimer. Il ne
doit donc y avoir dans le discours d'autres Elemens
que ceux qui sont necessaires pour exprimer
les objets, les rapports, les liaisons dont nos idées
sont susceptibles. Ces elemens du discours
doivent etre distingués soigneusement par
certains caracteres et nous ne pouvons les distin=
guer que par la connoissance analytique des
diverses parties constituantes de la pensée.
Il y aura donc dans le Tableau verbal com=
me dans le Tableau ideal, autant de parties
distinctes qu'il y aura de traits distincts, en
ce que, on ne ce qu'on pourra pas dire de l'un, ce qu'on on ne pourra pas le dire de l'autre, qu'ils auront des places
pourra
et des fonctions differentes, qu'ils produiront des
effets divers, mais tous necessaires a l'expression
complete de la pensée. totale A chaque
trait correspondra un Element constitutif
du discours; chacun de ceux ci aura son
essence propre d'ou dependra le nom qui
lui est assigné, et ces noms seront en même
nombre que ces traits ou ces elemens dis=
tingués par leurs caracteres.
Les premiers mots furent ces sons elemen=
taires primitifs qu'on a appelés Interjections,
entant qu'ils sont jettés en quelque sorte entre
les mots par une sorte d'interruption, pour expri=
mer les sentimens dont l'ame est agitée et qu'elle
cherche a faire passer chès les autres, voiès
ce qui en a été dit (Anthrop. S. II ch. IX.)
Après cela vinrent les noms donnés successive=
ment aux divers objets exterieurs dont les hom=
mes vouloient s'entretenir, selon qu'ils attiroient
plus ou moins leur attention, qu'ils en recevoient
des impressions plus ou moins vives, et qu'ils les juge=
geoient plus ou moins propres a soulager leurs besoins
les plus pressans.
<117> Les premiers de ces noms durent leur naissan=
ce aux sons enfantins qui, 2 mots biffure
1 mot biffure même endroit, passerent les premiers
dans le Langage, comme etant donnés le plus
immediatement par la nature. Vinrent en=
suite les noms donnés aux divers organes de
de la voix, aux divers organes des sens, aux
divers membres du corps humain; Après
cela les noms donnés aux 2 mots biffure divers corps
dont les hommes frappes de leurs impressions a=
voient le plus souvent occasion de parler; noms
formés sur l'imitation des sons rendus par
ces corps ou sur d'apres certaines analogies plus ou
moins sensibles. De la nacquirent les noms
appellés substantifs comme destinés a expri=
mer des substances ou objets reellement exis=
tans. Ceux qui furent attribues aux Individus ont eu recurent
appella le nom de propres: ceux qui furent appliques aux
classes ou especes, on les nomma celui, appella=
tifs. Remarqués cependant que pendant
que le Langage d'action put pouvoit suffire pour
faire entendre quel etoit l'objet ou le sujet
dont on s'occupoit, on ne pensoit pas même
a faire 1 mot biffure lui assigner un nom: et que les
noms ne se multiplierent que lorsque on
y fut comme forcé par la multiplication
des objets de la pensée. qui suivoit celle des Il n'y
observations dont le nombre augmentoit
en proportion des besoins et des gouts.
eut dans les commancemens qu'un petit nom=
bre de substantifs, necessaires pour retracer
les idées des substances qui n'etoient pas pre=
sentes, et qu'on ne pouvoit rappeller par le
Langage d'actions. on en y joignoit les mots Tout cela etoit en=
qui exprimoient les sentations que ces objets
faisoient naitre, et que ce même Langage
ne pouvoient pas 1 mot biffure
cor bien eloigné de suffire a l'analyse de
la pensee.
<117v> S'agissoit il d'exprimer quelque qualité sensible
observé dans une substance, on eut recours d'a=
bord a un nom substantif signifiant un objet très
remarquable par cette qualité dominante, et on
ne fit que placer ce nom a côté de la substance
celui de la substance: cette juxtaposition en
marqua la destination. Ainsi cædres
siginiffia de grands cedres, douleur mort,
douleurs mortelles, &c. Pour rendre le discours
plus precis, on tira des substantifs par la
derivation une nouvelle forme de mots destines
a marquer la qualité consideree dans 1 mot biffure comme ap=
partenant a l'objet exprimé par le substan=
tif. De la ce qu'on appele adjectif, p ex grand
mortel, dur, sage &c.
Pour exprimer la qualité considerée hors du
sujet, par abstraction, et comme applicable a nombre
d'objets compris sous la même classe, on introdui=
sit une nouvelle espece de mots appellés substan=
tifs abstraits, derivés des adjectifs, p. ex. grandeur,
mortalité, dureté, sagesse, &c.
Lorsqu'il fallut designer l'etat d'un Etre actif
ou passif, on eut recours a un espece d'ad=
jectif qu'on a appellé participes.
Mais pour faciliter l'analyse on introduisit
sous le nom de verbe un mot destiné a suppleer
au geste ou a la juxtaposition, toujours equi=
voques, 1 mot biffure pour a marquer la liaison du substan=
tif avec l'adjectif et ou le participe; et parce que ce
mot se trouvoit toujours lié avec le substantif
on l'a appellé verbe substantif: on dit, le
ciel est beau, Pierre est battant, Jean est
battu.
A la suite on trouva un moyen d'expression plus
abregé par une autre espece de mots composés
du verbe substantif et d'un participe, qu'on appel=
lat verbes dans un sens impropre ou secondaire,
On en appliqua d'abord l'usage a l'homme qui
agit ou patit: on en l'etendit peu a peu l'usage
a tous les objets susceptibles d'action et de passion
<118> et ils furent emploies a l'expression de tous les
evenemens qui supposent l'action, le mou=
vement et les changemens succesifs.
On ne les appliqua d'abord que d'une ma=
niere indeterminée par ex: Pierre battre
grain; on se servoit du geste pour marquer
les diverses modifications; dans la suite, on
imagina d'exprimer ces modifications par
certains petits mots separés et placés après le
verbe; mais peu a peu ces mots s'identifierent
avec le verbe pour ne former qu'un seul
mot avec diverses terminaisons, selon ses
diverses acceptions, et par la le verbe indefini
dans son origine devoit defini pour chaque
modification.
Ainsi le rapport de l'action ou de la passion
a l'une des 3 personnes du discours, celle qui
parle, celle a qui la 1e parle, la 3e dont on
parle, ne fut plus exprimée comme aupara=
vant par quelque geste demonstratif, mais
par un mot identifié avec le verbe. a la
on distingua le nombre un ou plusieurs,
quant aux personnes impliquées dans le
discours ou dans l'action, et cette modifica=
tion fut aussi introduite et enoncée dans
le nom. On signifia aussi par diverses ter=
minaisons, les divers temps de l'action, les
divers modes, ou manieres de la produire
et les formes relatives a l'action, a la passion,
la reflexion sur soi même et la reciprocité;
et de toutes ces modifications resulta la
conjugaison des verbes.
Dans les noms, on distingua aussi les
nombres, ensuite les genres, masculin, foe=
minin, neutre, puis divers les cas exprimant
divers rapports des noms entr'eux, ou des
noms aux verbes, exprimés par des terminai=
sons ou par des articles, et de tout cela
resulta la declinaison des noms.
<118v> Les articles sont de petits mots placés avant ou
quelquefois après les noms pour distinguer ou
annoncer les genres, les nombres, les cas.
Pour s'epargner l'embaras de gesticuler sans cesse
ou l'ennui de repeter a tout instant des noms,
on introduisit des mots plus courts appelles pro=
noms, comme devant etre mis a la place des
noms dans le discours.
La clarté et l'exactitude du discours demandoient
encor des mots pour exprimer tantot les diverses modifica=
tions qui peuvent survenir aux diverses relations
d'action et de passion, tantot les diverses circonstan=
ces qui accompagnent les divers rapports des cho=
ses entr'elles, tantot les diverses liaisons que l'ame
met entre ses idées ou entre les mots et la pensée,
et ou entre les diverses parties du discours, pour se rendre
intelligible, tantot enfin les diverses situations
de l'ame par rapport a la pensée ou l'objet qui
l'occupe et les differentes manieres dont elle en
en est affectée. Tous ces divers mots indeclina=
bles ont été appellés particules et a raison des
4 destinations indiquées, on les a rapportés a 4
classes sous les noms d'adverbes, de prepositions,
de conjonctions, et d'interjections. On comprend
combien laeur juste application est necessaire pour epar=
gner aux autres la peine de deviner ce qu'on
veut leur dire, et aux quelle attention on doit
apporter pour en saisir la veritable valeur,
d'autant plus que la plupart ont des sens diversi=
fiés, selon les circonstances ou on les emploie,
et que c'est de la justesse de leur application que
depend toute l'energie du discours.
SENS DETOURNE
Quand les hommes eurent a exprimer des objets
ideaux, donc ou non sensibles, ils furent reduits a
faire servir les noms et les verbes deja usités pour
les choses sensibles, en leur donnant un sens
detourné du principe transporté, derivé,
figuré, &c. Ainsi les mots qui n'exprimoient que action
<119> et mouvement, exprimerent les desirs, les facul=
tes, les operations de l'ame: ceux meme qui n'exprimoient
que l'etat passif des sens furent appliqués
a l'etat actif de l'ame, qui 1 mot biffure veut recevoir telle
impression plutot que l'autre; 2 mots biffure &c.
Ceux qui s'etoient d'abord emploiés que par
rapport a un organe furent appliqués en=
suite a d'autres organes, par ex attention
et de la passerent du physique a l'Intellec=
tuel, c'est ce quon montrera en detail dans
la Glossologie.
OBSERVATIONS
Sur ce court Tableau exposé on peut comprendre
1o qu'on a commancé par introduire des mots
pour les parties principales de la pensée, des=
quelles l'intelligence de celle ci depend le plus
immediatement; que les mots appropriés aux
parties accessoires ont été institués successi=
vement, et que c'est plus tard encor qu'on
a revetu les mots des diverses formes neces=
saires, pour marquer les modifications et
qu'on s'est fait une methode reguliere pour leur
arrangement dans le discours.
Il est evident de la 2o que l'analyse de la
pensée a du etre dans les commancemens fort
imparfaite; qu'il a fallu bien du temps pour
amener le Langage au point de devellope=
ment perfection necessaire au son develloppe=
ment; de celle ci qu'enfin les Langues même
des peuples policés ne sont pas encor tout ce quel=
les devroient etre pour rendre le discours
parfaitement exact et precis car il faudroit
pour cela qu'a chaque espece d'idées repon=
dit constamment une même classe de mots,
et cela par sous des formes de derivations ou
de terminaisons determinees fixees d'une maniere
invariable, 1 mots biffure caracteristique ensorte
que sur chaque mot, on vit d'abord au pre=
mier coup d'oeil. Si c'est un nom, ou un verbe
ou une particule, si c'est un nom propre, appellatif &c.
<119v> or c'est sur quoi toutes les Langues se trouvent
plus ou moins en deffaut, les mêmes figures
de mots exprimant des idées toutes differen=
tes, et vice versa: temoin les verbes depo=
nens et neutres en Latin.
Il est cependant vrai 3o que dans toutes les
Langues des peuples policés ou le Langage
suffit aux besoins de l'enonciation, on re=
trouve toutes ces especes de mots dont nous
avons fait l'enumeration, ou toutes les
parties grammaticales du discours qui
sont necessaires pour exprimer les Elemens
essentiels et constitutifs du Tableau de
parole regulier, tel qu'il doit etre pour
rendre dans toute son integrité tous les
divers traits essentiels et constitutifs du
Tabeau ideal.
ELEMENS ESSENTIELS ET CONSTITU=
TIFS D'UN TABLEAU IDEAL ET VERBAL.
Rien de plus important pour celui qui veut
s'instruire tout a la fois dans l'art de penser
et celui de parler, que de connoitre exactement quels
sont ces Elemens essentiels et constitutifs
d'un Tableau ideal et verbal, qui doivent
trouver, chès tous les peuples policés, une
expression suffisante dans les parties
grammaticales du discours que leur
Langue peut fournir, pour que ce
Tableau soit regulier et exact, tel que
le demande l'analyse de la pensée. A
chacun de ces Elemens on doit assigner
un nom correspondant a sa destination,
et leur distribution avec leur nomencla=
ture, prises dans la nature même des choses,
pourront etre appliquées egalement a
toutes les Langues, et servir a tous les
peuples de guide dans l'art de penser
et de parler.
<120> Un Tableau ideal verbal n'est autre chose
qu'une proposition composée de divers mem=
bres qui y figurent chacun a sa maniere.
Il y a toujours un sujet principal au=
quel tout se rapporte: c'est une chose expri=
mée par un nom ou un pronom, auquel
on associe le plus souvent un article, quelquefois même
par un verbe qui
exprime action ou
passion. Ce Ce
terme la nous l'appellons le subjectif, auquel
repond le nominatif des Latins.
A ce sujet on attribue une qualité, propri=
eté, action, passion, ce qu'on a appelle
attribut: cet element essentiel a la propo=
sition, nous l'appellons attributif. Il
peut etre exprimé ou par un adjectif, ou
par un participe, dont le liaison rapport avec le
subjectif est marquée par la copule, ou
1 mot biffure qui ordinairement est le verbe
substantif. Le plus souvent l'adjectif
ou le participe est fondu avec le verbe
substantif dans un seul mot appellé aussi
verbe, dans un sens secondaire, qui avec
une modification convenable tient lieu
de tous les deux. De quelque maniere que
s'exprime l'attributif, il doit etre toujours
en concordance avec son subjectif.
Le plus souvent l'action enoncée par l'attri=
butif exerce son influence sur un objet
auquel cette action est rapportée, appliquée,
et par lequel elle est aussi determinée et
specifiée. L'element qui l'exprime, nous
l'appellons l'objectif. auquel repondoit Ce terme doit etre
l'Accusatif des Latins.
naturellement sous la dependance de l'Attri=
butif, et il peut s'exprimer ou par un nom
ou par un pronom, en y joignant un ar=
ticle, et même quelquefois par un ver=
be, p. ex. faire marcher.
Le plus souvent il y a encor 1 mot biffure une chose ou personne
vers laquelle se porte, ou a laquelle s'adresse
l'attribution exercée sur l'objet, comme vers
<120v> son but, sa fin, son terme; cet element
nous l'appellons le Terminatif. auquel Il s'enonce
repond le Datif des Latins
ou par un nom ou par un pronom ou
même quelquefois par un verbe; mediter
un projet a executer.
Le plus souvent, on rappelle le rapport
immediat d'origine ou de dependance du
Subjectif, ou de l'Attributif, ou de l'Objectif,
ou du Terminatif, avec par rapport a quelque objet
different dont on place le nom a côté du
precedent, et cet element peut etre appellé
le Relatif; auquel repond le Genitif des Le Maitre de la maison a or=
Latins.
donné le labourage de son champs
a ces ouvriers de dehors.
Dans toute une proposition qui renferme des
divers elemens indiqués, il se trouve d'ordinaire l'ex=
pression de diverses circonstances modifi=
catives ou accessoires necessaires pour une
determination exacte, comme celles qui re=
gardent le temps, le lieu, la cause, la
maniere &c.; l'Element qui les exprime
peut etre appellé le circonstanciel, auquel Il est exprime
repond l'Ablatif des Latins.
ou par un nom
comme 2 mots biffure a la
maniere des Latins,
qui emploioient
leur Ablatif a cet
usage, ou par des prepositions placées avant les
noms, ou par des adverbes destinés a l'ex=
pression des diverses circonstances qui ac=
compagnent les objets ou les actions.
Il faut des conjonctions dans le discours
pour unir les idées, les objets, les mots et
former des sens complets. De la encor
l'element conjonctif commun a toutes
les Langues, qui n'est sous le regime d'au=
cun autre element, tandis qu'il y s'elevent
en a d'autres sous le sien.
Enfin le discours demande certains mots
detaches, jettés entre les autres ou pour
appuier sur ce qu'on dit, ou pour exciter l'attention
ou pour faire naitre un mouvement.
<121> l'Element qui les exprimen, entant qu'il
n'est pas lié aux autres, pourroit etre appellé
l'Adjonctif. Nous l'appellons interjectif,
auquel repondent le Vocatif, l'aposthrophe,
l'exclamation et toutes les interjections.
Ces 8 Elemens constitutifs, distincts essentielle=
ment par leurs rôles ou fonctions, font dans
toutes les Langues 8 membres du corps de la
Phrase, sur lesquels roule tout l'ordre de l'e=
nonciation construction, et cette distribution toute Philoso=
phique independante de l'usage et des Gram=
maires particulieres, appartenant a la Gram=
maire generale est suffisante pour l'ana=
lyse grammaticale de quelque Langue que
ce soit, et pour celle de la pensée si compliquée
qu'elle puisse etre. Mais il ne faut pas conclu
de la qu'ils se retrouvent dans toutes les phra=
ses ou puisqu'ils ne sont pas toujours necessaires
a l'expression complete de la pensée. Toute
phrase demande essentiellement un subjectif
et un attributif, deux membres exprimés ordi=
nairement par deux termes separés, mais
quelquefois par un seul mot qui remplit
deux fonctions, comme en Latin, ambulat.
Quant aux 6 autres membres, on les trouve
quelques fois tous reunis, le plus souvent
c'est 3 mots biffure la phrase n'en offre que quelques uns.
CONDITIONS ESSENTIELLES A L'ART DE
PARLER.
1 Pour qu'une Langue puisse devenir un
bon instrument d'analyse, il faut que celui
qui la parle connoisse bien toutes les ressources
de cette Langue, et qu'il ait l'Esprit net et juste.
La Langue la plus parfaite, ne peut servir
a la communication mutuelle de cette ana=
lyse qu'autant qu'on est bien instruit de part
et d'autre de toutes ces ressources et qu'on sait
les mettre a profit.
<121v> 2 pour bien parler cad. exactement, correc=
tement, de la maniere la plus convenable a
une analyse de la pensée reguliere et intel=
ligible, il faut bien connoitre le vrai sens
de chaque mot tel qu'il est decidé par le bon
usage et même tel qu'il a été selon l'origine
primitive et Etymologique, qui sert si utile=
ment a fixer le sens d'usage: des la même
aussi il faut connoître les divers cas ou cha=
que mot doit etre emploié avec ses diverses
acceptions; il faut distinguer l'idée principale
d'avec les accessoires qui ont pu beaucoup
varier:
3. avant que d'emploier un mot, il faut
examiner s'il n'exprime ni plus ni moins
que ce que nous voulons lui faire signifier,
et si l'usage autorise a le prendre en ce
sens la: sans quoi il faut en chercher un
autre plus propre ou substituer une peri=
phrase.
4 Il n'est pas moins essentiel de connoitre
le vrai sens Grammatical de chaque
mot a raison de sa forme, de sa termi=
naison, de sa dependance a l'egard des au=
tres mots, et lui assigner une place conve=
nable dans le discours selon le rôlle qu'il
doit y jouer, conformement aux regles
de la Grammaire generale et a celles de la
grammaire particuliere a la Langue
qu'on parle.
5o Soit qu'on parle, soit qu'on ecoute, soit
qu'on lise, il faut apprendre par l'etude
de la Garmmaire, a distinguer surement
dans chaque phrase, chacune de ses par=
ties essentielles, en se demandant a soi
meme Quel est le Subjectif? quel est l'attri=
butif &c. on peut voir apres cela dans
quel ordre ils doivent se succeder l'un a
l'autre, pour projetter que la phrase soit pre=
sentée de la maniere la plus lumineuse,
<122> sans s'ecarter cependant de l'arrangement
consacré par l'usage de la Langue, et
s'il on est dans le cas de lire, il faut rap=
peller les mots a leur ordre naturel et
regulier. Quand il s'agit d'une Langue
etrangere a la sienne, on peut avoir re=
cours a l'expedient de la construction,
pour saisir le sens avec plus de facilité;
mais apres cela il faut retablir les mots
dans leur arrangement precedent, pour
se rendre cet arrangement familier et saisir
peu a peu le genie de cette Langue. Une
fois saisi, il faut renoncer a l'habitude
de la construction pour suivre d'autant
mieux le genie de la Langue qu'on est
parvenu a saisir par l'exercice et l'habi=
tude.
<122v> CHAPITRE XII
Des differentes methodes suivant les divers
buts qu'on se propose.
METHODE POUR L'INSTRUCTION.
On a dit communement, que l'Analyse etoit
la methode d'invention et la Synthese la
seule propre a l'instruction: nous avons mon=
tré dans nôtre essai combien ce prejugé a été
funeste a l'education Intellectuelle. Point de
meilleure methode pour instruire un jeune
homme que celle qui le met sur la voie même
qui a conduit les hommes a la verité, qui le
fait remonter rameine aux premieres origines des
idées pour en suivre pas a pas le devellopement,
qui lui presente les observations avant les ré=
sultats, qui le fait remonter des faits aux
principes generaux, avant que de le faire
descendre de ceux ci aux consequences, et
ne lui ouvre la voie du raisonnement que
quand il a pu obtenir des connoissances
exactes des choses même.
CONDITIONS POUR UNE BONNE
INSTRUCTION.
1o Celui qui veut enseigner doit avant tout
avoir des idées claires et distinctes, il doit etre pourvu
des talens necessaires pour enoncer ses idées
avec facilité, avec decence, et même une sorte
d'agrement; il ne doit jamais perdre de vue les
regles de l'art de penser et de parler.
2. un maitre habile doit toujours comman=
cer son Instruction par l'analyse de la pensée
qui doit etre comme le texte de son enseigne=
ment, ou s'il s'agit de faits, par l'exposé de
ces faits.
3. Arrivé aux resultats ou principes generaux
ou aux resultats auxquels cette analyse
la conduit, il peut redescendre pour lors
<123> par la Synthese du general au particulier
et 1 mot biffure et en faire des applications de de=
tail; ce qui sert a repasser sur les mêmes ob=
jets et a les mieux inculquer.
4o Partout il doit etre principalement attentif
a faire preceder ce qui peut servir a l'intelli=
gence de ce qui suit; et a ne rien prouver
qui ne soit auparavant bien eclairci et bien
compris: mais il ne doit rien laisser passer
sans preuve suffisante; et assorties qui convienne a la
nature du Sujet qu'il explique.
5. Sa tractation sera toujours assortie a l'importance
des choses, et a son but: il s'attachera principa=
lement a ce qui est essentiel et fondamental,
et appuiera moins sur le reste: il assortis ac=
commodera sa marche et son style au
genre d'instruction qu'il professe, a la coutu=
me et aux usages du temps, au genie et au=
tour d'Esprit de ceux qu'il est chargé d'ins=
truire: il ne ramenera pas une forme
surannée qu'on ne goute plus: cela seroit
aussi absurde que si l'on vouloit aujour=
d'hui batir a la Gothique. Tout cela
au reste sera toujours subordonné a un amour
dominant pour la verité et pour une
expression claire et intelligible.
6. Dans tout exercice quelquonque, quelqu'en
soit la forme, celui qui enseigne aura tou=
jours un but marqué, partout clairement
annoncé, avec lequel toutes les parties des seront en concours. Unite et
discours
harmonie, condition essentielle a toute
instruction pour quelle produise son effet.
7. Dans un cours d'instructions, il faut qu'il y
ait une division generale prise dans la nature
même du sujet, et qui conduise naturellement
a des subdivisions, conformes aux Loix d'une
bonne division, ensorte qu'on puisse se former
<123v> une idee nette de tout le plan au moien d'une
Table distribuée en Parties, Sections, Chapi=
tres, articles &c. Surtout, qu'entre les matieres,
il y ait une telle relation de dependance
que l'une conduise naturellement a l'autre
sans qu'on appercoive d'hiatus, de lacune,
de saut inopiné, qui font perdre le fil des
pensées, et y repandent de l'obscurité: il
est bon qu'il y ait des transitions qui lient
les parties, et conduisent le tout de l'une a
l'autre sans que le fil paroisse jamais
interrompu.
REGLES POUR CEUX A QUI L'INSTRUCTION
S'ADRESSE.
Les jeunes gens qui ont a coeur de s'instruire,
doivent avant tout se convaincre de leur igno=
rance, et de la necessité de sortir d'un etat
aussi peu digne d'un Etre Intelligent, et dont
les consequences peuvent leur devenir si fu=
nestes.
Rien de plus important pour eux que de se pre=
munir contre le faux gout du Siecle qui sem=
ble donner a l'Esprit la preference sur le bon
sens, et de se bien persuader que les qualités
solides sont les plus necessaires, et toujours
les plus utiles, tandis que les brillantes n'ont
qu'un eclat trompeur et ne conduisent pour
l'ordinaire a rien de bon.
Qu'ils se gardent d'un cote d'entreprendre l'etu=
de de choses trop difficilles pour eux, et aux=
quelles ils ne sont point encor suffisammen
preparés; de l'autre; quoiqu'ils entreprennent
de 1 mot biffure s'en tenir a la superficie et a l'ecorce
des objets, pour passer de la rapidement des
uns aux autres; sans faire autre chose que les effleurer
legerement, comme font la plupart qui s'ils
n'aspirentoient qu'a la renommée du scavoir.
<124> Qu'ils s'accoutumernt a proceder avec une cer=
taine lenteur; qu'ils n'entreprennent pas plu=
sieurs choses a la fois; qu'ils s'arretent long=
temps sur les elemens, jusques a ce qu'ils en
aient acquis des idées très distinctes, et
qu'ils se les soient rendu extremement fa=
miliers. Qu'ils ne s'attachent même qu'a
une seule Science a la fois, en y joignant,
comme par recreation, quelque autre occu=
pation plus facile. Que dans le choix du
genre dont ils veulent s'occuper, ils ne con=
sultent que leurs talens naturels, leur gout
et la vraisemblance du succés de leurs tra=
vaux pour le bien public. Leur choix
une fois decidé, qu'ils y consacrent la ma=
jeure partie de leur temps reservant d'au=
tre pour s'instruire de conaitre diverses choses qu'un
honnete homme ne peut ignorer.
Les jeunes gens ne doivent pas se laisser rebu=
ter par certaines difficultés, parce qu'au moien
de quelques progrés ulterieurs, et de quelques efforts elles seront
bientot applanies.
Ils doivent toujours proportioner l'attention
et les efforts qu'ils consacrent a une ques=
tion a son degré d'importance, et ne s'atta=
cher a ce qui est speculation que pour le
ramener a la prattique.
Tous les jours ils doivent s'adresser a eux
mêmes ces deux questions, Quel progrès ai
je fait jusques ici? Que me reste il a faire
encor. Ils doivent même se regarder toute
leur vie comme des disciples qui ont toujours
a apprendre.
S'ils ont pour guide un maitre habile et ex=
perimenté, ils doivent ecouter attentivement
ses Leçons, les mediter, y deferer, non d'une
maniere servile, et qui exclue l'examen, mais
<124v> avec confiance, accompagnée de modestie et
de deffiance de leur propre jugement: ce qu'ils
ne comprennent pas bien ils doivent lui en demander
explication.
Quand les jeunes gens ont fini leur cours, s'ils
se croient assès savans, c'est la preuve la plus sure
qu'ils ont très peu profité. Leurs premiers progrés
se marquent par la conviction ou ils sont que
ce qu'ils ont appris n'est encor rien au prix
de ce qui leur reste encor a apprendre, et par
l'empressement qu'ils temoignent dès lors pour
acquerir des lumieres ulterieures par la
lecture, l'experience, les conversations &c.
REGLES POUR LES LECTURES.
Il leur importe essentiellement de ne lire que
des bons livres, et de les lire les bons dans un cer=
tain ordre. Ils ont besoin pour cela d'etre
dirigés par des experts.
Sur la Science qu'ils veulent etudier, ils doi=
vent commancer par un bon abrégé qui
en rapproche les elemens avec clarté et ple=
nitude: ils doivent chercher a le bien saisir
et se le rendre familier; après cela ils peu=
vent faire des Lectures plus etendues, plus
detaillées, mais toujours enles rapportant
le precis par des extraits a leur abregé
et a la place qui doit naturellement lui
etre assignée. Les jeunes gens a talens
peuvent commancer par un ouvrage
plus etendu, mais il faut qu'ils en fassent
eux memes un abregé.
Entreprend on la lecture d'un ouvrage im=
portant; on peut d'abord le parcourir ra=
pidement pour prendre quelque idée de l'en=
semble; ensuite il faut le reprendre pour
le lire attentivement; il faut chercher en
lisant, a en saisir le but, les principes, l'en=
chainure, la liaison des parties, et tous les
details: quelque fois on peut a besoin de
consulter des Maitres ou des commentateurs.
Il faut analyser chaque article, ne rien pas=
ser sans l'avoir bien compris, lier toujours
<125> ce qui suit avec ce qui precede, repasser celui ci
aussi souvent qu'il est necessaire pour facili=
ter l'intelligence de ce qui vient après suit, et tou=
jours ainsi jusques a la fin, ensorte qu'on se
trouve en etat d'analyser l'ouvrage entier.
Le but de la lecture d'un ouvrage n'est pas
seulement de pouvoir rendre comte de tout
ce qu'il contient, mais principalement de l'emploier
comme un secours pour acquerir des connoissances
solides sur l'objet dont on souhaite de s'instruire,
c'est pourquoi, s'il est d'un merite distingué,
il faut le relire pour la une 3e fois, pour soumettre
tout a un nouvel examen, voir si tout est
vrai et certain, ou s'il y a du faux, du dou=
teux, du suspect, dont il faut faille se deffier. Si l'on
trouve des erreurs, il faut les annoter, et si
on le peut, les redresser: s'il peche quelque
part par la forme, il faut essaier d'ar=
ranger les idées dans un meilleur ordre;
il faut relever les fautes de style, et s'il
y a aussi quelque tour heureux qui flatte
le gout, il faut penetrer la cause du plai=
sir qu'il procure, et le prendre en note.
Rien n'est plus utile aux jeunes gens qui
courent la même carriere que de lire
le même ouvrage dans le même temps,
et ensuite en raisonner ensemble, pour
se communiquer mutuellement leurs
observations. La dessus Il est bon aussi qu'ils
lisent dans le même temps differens auteurs
sur la même matiere, et après cela qu'ils
conferent entr'eux pour se communiquer
mutuellement ce qu'ils peuvent avoir ap=
pris.
REGLES POUR EXPLIQUER LES AUTEURS
ANCIENS OU DIFFICILLES A SAISIR.
S'il sagit de comprendre et d'expliquer quelque
ouvrages anciens ou difficille a saisir, il
faut 1o connoitre bien la Langue dans laquelle
<125v> l'auteur a et est ecrit; 2 s'instruire des changemens que la
suite des siecles a pu apporter a l'usage; pour con=
noitre par la le sens des mots tel qu'il etoit adop=
te de son temps: 3o etudier le genie, le tour d'Es=
prit, les moeurs, les opinions, la methode qui
etoient en regne chès sa nation, ou ceux pour
qui il ecrivoit. Il importe surtout 4o de bien
s'instruire du but general qu'il se proposoit;
ce qu'on apprend par la lecture de l'ouvrage
ou par la declaration qu'il en a faite lui
même ou ceux qui
ont travaillé
a l'eclaircir. 5 Lorsqu'on est appellé a trouver le
sens de quelque passage obscur et difficille, il
il faut se rendre attentif au sujet et au but
particulier de cet endroit, a ce qui precede et
ce qui suit, a la connexion qui d'ordinaire est
la meilleure boussole. Il faut rapprocher
ce passage d'autres passages parallelles qui
ont avec lui quelque affinité pour les choses
et les expressions: les endroits ou et l'auteur expose
sa pensée avec precision serviroit a repandre
du jour sur ceux ou il n'a parlé de la chose
que par incident, et avec rapidité. Les con=
sequences claires peuvent eclaircir aussi
des principes obscurs et vice versa. Par
les objections, que l'auteur se propose a resou=
dre, on peut comprendre mieux quelles ont
été ses opinions. Mais pour bien saisir les
auteurs, il faut s'affranchir de tout Esprit
de parti, chercher a y voir, non ce qu'on
souhaiteroit qu'ils eussent dit, mais ce qu'ils
ont eu intention de dire en effet, leur donner
une interpretation favorable plutot que
maligne, les juges avec equité &c.
AVIS GENERAUX
Nul ne peut s'instruire solidement sans
l'habitude de tout observer dans le physique,
dans l'intellectuel, dans le moral, dans le
civil, on peut trouver partout, et même
sans sortir de son lieu natal, d'abondantes
matieres a observation. Mais cette habitude
<126> doit etre contractée de bonne heure: il faut
chercher a la former chès les enfans, entre=
tenir leur curiosité naturelle, les louer
quand ils font des remarques, repondre a
leurs questions avec bonté, et toujours avec
verité et precision, il faut leur montrer
les choses en detail, sous toutes leur faces &c.
Il est bon que les jeunes gens s'accoutu=
ment a anoter ce qu'ils observent dans
un livre avec un repertoire. Mais on doit
les exhorter a ne pas tirer de leurs obser=
vations des consequences precipitées, des
opinions sans appui &c.
Rien de plus utile pour eux que le commer=
ce des gens sages et eclairés, en même temps
modestes, doux, sans opiniatreté: il faut
aussi qu'ils sortent de leur cercle ordinaire
pour s'entretenir avec toutes sortes de
personnes, sur les objets qui sont du ressort
de ceux ci, et dont ils peuvent parler avec
connoissance. Ils doivent etre promts
a ecouter et lents a parler; ont ils quel=
que chose a proposer demander, qu'ils accoutument
a la proposer la faire avec precision et clarté, en se
mettant toujours au fil de la conver=
sation. Au lieu de prendre le tour
de l'objection, qu'ils prennent celui de la
demande d'explication sur ce qui n'est
pas bien clair pour eux: qu'ils evitent
toute apparence d'obstination, excepté
lorsqu'il s'agit de deffendre la religion
et les moeurs. Les Societes savantes
pourront etre fort utiles a ceux qui sont
deja avancés; et qui souhaitent de faire des
progrès rapides.
<126v> Chapitre XIII.
Des causes de nos erreurs
Toutes les regles de l'art de penser et de parler se=
roient inutiles sans l'attention et les soins pour
se tenir en garde contre les causes diverses qui
peuvent nous plonger dans l'incertitude et dans
l'erreur.
Il y a des causes qui sont la une suite naturelle
de la constitution des choses humaines:
1o La vaste etendue des objets qui s'offrent a nos re=
cherches, sans parler de ceux qui sont au dessus de
nôtre portée. Sans doute qu'il depend de nous d'en
embrasser plus ou moins; mais telle est leur con=
nexion entr'eux que, pour en saisir bien quelques
uns, nous sommes forcés d'en parcourir un très
grand nombre, et nous ne saurions nous former
de tous des idées justes et exactes. Nôtre Entendement
est trop foible pour concevoir un tel ensemble, et
nôtre memoire trop labile pour tout retenir:
nous sommes dès la bien eloignes de pouvoir
demeler tous les rapports, et prononcer sur tout 1 mot biffure sans
sans courir aucun risque sans 1 mot biffure danger de nous tromper
dans nos jugemens.
2. Les besoins et les occupations de la vie humaine
qui nous distraisent sans cesse de l'observation
et de la reflexions, sans lesquelles nous ne sau=
rions reussir dans la recherche du vrai.
3. L'ignorance naturelle ou nous sommes dans
l'enfance sur de la destination de nos sens, et sur les moiens
d'en rectifier les rapports, ce qui nous fait supposer
que les objets sont toujours tels qu'ils nous les paroissent.
representent
4. La foible portée de nos organes, leur delicatesse,
l'imperfection même des instrumens auxquels nous
avons recours pour y suppleer et qui dans le temps
même, qu'ils nous amenent conduisent a des decouvertes, nous
conduientrainent dans des erreurs.
5 La gene de l'education, le peu de gout que nous
avons pour les objets auxquels on nous applique,
<127> le peu de moiens, de secours, de bons guides qui sont a nô=
tre portée, pour avancer en connoissance, le peu
de ressorts d'emulation qu'offrent la plupart des
societés, a ceux qui voudroient se pousser.
A ces causes externes et independantes de nous
il faut en joindre d'internes, soumises a nôtre
influence.
Il en est une generale, qui est la precipitation
a juger sans examen, sans avoir pris la peine
de le nous former des idées distinctes des choses, par
une analyse exacte et une observation attenti=
ve ce qui nous fait
confondre les idées
associées avec les
idées composées,
les notions abstrai=
tes avec les idées
des objets reels,
les idees relatives
avec les absolues,
les idees obscures
avec les claires,
les confuses avec
les distinctes &c.
Il en est de particulieres qui procedent de certaines
dispositions morales plus ou moins dependantes
de nous. Telles sont
1. la paresse. Accoutumés dès l'enfance a ne
s'occuper que d'objets et de plaisirs sensibles, les
hommes deviennent asses generalement très eloignés
de tout gout pour l'etude des choses Intellectuel=
les et morales, qui exigeroient l'exercice des facultes
superieures, et des efforts auxquels ils ne sont point
accoutumés. De la la la paresse, l'indolence
qui s'opposent a une observation attentive, a
une reflexion soutenue, a une activité toujours
en haleine pour surmonter les difficultés qu'on
eprouve a percer au dela des'apparences, le plus
souvent trompeuses, pour decouvrir la realité
et saisir les objets sous toutes leurs faces: ce
qui fait qu'on se contente d'idées incompletes
superficielles, vagues, ou rien n'est distinct
comme il devroit l'etre pour bien juger, qu'on s'en rappor=
te au jugemens
des autres, et qu'on
l'arrete a ceux ju=
gemens qui ont
été proposés les
derniers, qu'on
evite le calcul
des probabilités
ou raisons pour
et contre, ou qu'on
se decide pour la
premiere opinion
et qu'on la soutient
avec opiniatrete
La ou la paresse n'ôte pas l'activité, comme se trouve 12o l'envie
chès les jeunes gens, la
de tout savoir qui fait qu'on aimera s'occuper de 1 mot biffure ce qui est
encor au dessus de sa portée, qu'on etudie sans
ordre, 1 mot biffure sans choix, et cette legereté
d'Esprit qui fait courir sans cesse d'un objet
a l'autre, sans se donner la peine d'en examiner aucun
et rend toutes les etudes inutiles pour la re=
cherche de la verité. A cela se joint; l'avidité
<127v> pour les choses nouvelles, l'impatience qui ne
permet pas de s'occuper des details, qui preci=
pite les resultats et conduit a une foule de
faux jugemens.
Ces deffauts precedans sont encor soutenus
3 par l'orgueil, la presomtion, qui fait que
quand on s'est occupé quelque temps d'une
chose, on se flatte de l'avoir bien approfondie
et même epuisée: et d'ou vient que l'on pretend en savoir la des=
sus plus que tous les autres, et qu'on en parle
avec la plus temeraire confiance; je joins ici par l'amour de la
gloire, l'ambition
de la reputation,
dit des dignites,
qui fait qu'on cher=
che a entasser des
connoissances dans
l'unique vue de
passer pour sa=
vant et d'en im=
poser a la multi=
tude ignorante.
qui A cela se joint ordinairement 4o l'amour
des Systhemes, la manie ridicule d'elever un
Edifice Intellectuel avant que d'avoir eu le
temps et pris la peine d'assembler les materiaux
et de poser les fondemens, ce qui met dans le
cas d'adopter toutes sortes de principes incer=
tains avec toutes leurs consequences. Cette
manie se lie avec la rivalité, la demangeaison
de briller, de devenir chef de parti; d'ou nait
necessairement l'esprit de subtilité, de chi=
cane, et cette mauvaise foi qui avance
des faits controuvés ou conteste ceux qui sont
le mieux constates prouvés.
5 Joignes ici encor l'abus des conjectures et des hypo=
theses, 1 mot biffure des analogies hasardées; manie=
re de proceder dès commode pour la paresse,
très flatteuse pour l'amour propre, d'autant
plus quelle est la plus souvent et très mal
a propos, admirée, mais très dangereuse pour
celui qui s'y livre, et plus funeste encor aux
progrès des Sciences. Un homme produit il
une hypothese; Il se fait d'abord un nom, son
opinion est 1 mot biffure celebrée, suivie pendant quel=
que temps. Qu'en resulta t'il! C'est que la recher=
che de la verité demeure suspendue pendant
tout ce temps, jusques a ce que quelque genie
superieur s'eleve qui foudroie l'opinion
et son auteur.
<128> 6 Il est des deffauts particuliers aux Divers
genres de personnes a raison de leurs diverses
procedés vocations ceux qui voiagent pour observer,
qui font des descriptions, sont ou instruits a
moitié ou menteurs. Ceux qui menent une
vie contemplative sans observer, raisonnent
beaucoup en lair, et veulent expliquer tout
ce qu'ils ignorent. Le faiseur d'experiences
n'est souvent qu'un homme minutieux et sans
genie et il ne sauroit
raisonner sans
donner dans
le travers. L'homme de genie dedaigne les de=
tails et se nourrit de chimeres. Le metaphy=
sicien se moque de ce qui tient a l'Etymolo=
gie et a la Grammaire, et par la il est conduit
aux abus les plus etranges des mots. Il n'est
pas un etat qui n'ait ses inconveniens pour
la recherche du vrai.
Partout Toujours aussi elle est aussi traversée par l'incons=
tance humaine qui fait de l'etude des Sciences
une affaire de mode. Une science a telle fait
de grands progrés, qui rendent des progres
ulterieurs plus difficilles, bientot on s'en de=
goute, on se moque même de ceux qui s'obsti=
nent a la cultiver, comme s'ils perdoient leur
temps: On se jette a l'envi vers quelque
autre science branche ou l'on croit pouvoir se
faire un nom: tout cela devient affaire
de ton. N'a t'on pas vu dans ce Siecle la
succession rapide des regnes, de l'erudition
de l'eloquence, de la poesie, de la metaphysi=
que, de la geometrie, de la physique, de l'his=
toire naturelle, de la chymie &c. et depuis quelques
années, de la
politique. Quels pro=
grès n'auroit on peut etre pas fait dans
chacun de ces genres, si on les eut mené
de front sans interruption et sans en
negliger aucun.
<128v> CONSEILS POUR REMEDIER A CES CAUSES
Pour prevenir ou du moins affoiblir l'influen=
ce des causes ci devant indiquées, il faut
1o se bien convaincre du prix de la verité et d'une
connoissance solide, de la honte et du mepris
qui reviennent de l'ignorance et de l'erreur, de la
facilité qu'il y auroit de l'eviter avec quelques
efforts pour triompher de certains deffauts avi=
lissans en eux mêmes, et pour mettre en prattique,
les regles qui doivent diriger dans la recherche
du vrai.
2. se former de bonne heure a l'habitude du tra=
vail intellectuel, de l'observation, de la reflexion,
de l'etude, eviter tout ce qui entretient a cet egard
la paresse, les excés, la dissipation, les mauvai=
ses compagnies &c.; gouter les plaisirs 1 mot biffure des sens avec
moderation, sans s'y livrer comme fait la
multitude !
3. ne s'engager dans aucune etude qui excede
sa portée actuelle, s'attacher a ce qui est utile,
necessaire, du ressort de son etat: ne point par=
tager son attention entre trop d'objets a la fois,
mettre de l'ordre dans ses recherches, faire toujours
preceder ce qui peut repandre du jour sur ce
qui nuit; apporter a tout ce qu'on fait une
assiduité opiniatre avec une sorte de chaleur
et d'enthousiasme, repasser ce qu'on a deja
vu, et même au bout d'un certain temps, le
reprendre tout de nouveau, pour mettre de
côte tout ce qu'on ne trouve pas de bien re=
gulier satisfaisant.
4. De la naissent aussi pour les Parens diverses
obligations qui les appellent a une grande
attention, a l'eduction de leurs enfans pour
le choix des maitres, pour ne pas les gener dans
le choix de leurs 1 mot biffure et pour les instruire
on comprend
qu'il doit nait
de la une
4 d'ou naissent obliga=
que les
tions sacree pour les Pa=
rens pour de veil=
ler serieusement
a l'education
de leurs enfans
jusques a ce pour les amener a l'observation de ces regles
de manier jusques a ce qu'ils se trouvent en etat de sentir
choisir eux mêmes 2 mots biffure
l'importance et la necessite.
<129> PREJUGES DE DIVERS ORDRES.
REGLES POUR LES PREVENIR
De la negligence de ces regles naissent les
prejugés cad. des opinions qu'on adopté
comme vraies prematurement, et sans les avoir
soumises auparavant a l'examen. On
peut les rapporter a diverses classes.
Il y a des prejugés nationaux. Chaque peuple
a son tour d'Esprit national, c.d. une maniere de
voir a lui, qu'il regarde comme la plus rai=
sonnable, la plus sensée, ensorte que tout ce qui s'en ecarte
lui semble absurde. Mais un homme sage ne
regarde pas une chose comme vraie unique=
ment parce qu'elle a cours dans la Societé
ou il vit: car l'opinion generale peut tenir
au hazard; a la mode, a l'education, &c. la
raison seule est de tous les temps et des lieux.
Pour se soustraire a la tyrannie du prejugé
national, il est bon a propos de s'instruire dans l'histoire
des divers peuples, et de comparer leurs diverses
opinions &c.
Il y a aussi des prejugés personels
Prejugés d'enfance et d'education. Les enfans
ne jugent que sur les rapports de leurs sens.
Ils se regardent comme le centre de tout ce qui
les environne. Ils ne trouvent rien de bien
que ce qui leur plait, rien de mal que ce qui
ne les accommode pas. L'education ne fait que
les affermir dans ces preventions. D'ailleurs
ils louent ce qu'ils entendent louer. Ils blament
ce qu'ils entendent blamer, ils font ce qu'ils
voient faire. Ils repetent aveuglement
tous les adages, sentences, maximes, qu'ils
entendent debiter, et le plus souvent, pen=
dant toute leur vie, ils pensent, parlent et agis=
sent de même, sans se douter seulement
qu'il y ait ches eux des prejugés. et 1 mot biffure
Apres avoir si longtemps tenu certaines cho=
ses pour vraies et certaines, il ne leur est
presque plus possible d'elever la dessus aucun
doute.
<129v> Prejuges d'autorité. Nous sommes naturellement
enclins a deferer aux opinions de ceux que l'age
l'experience, le savoir et même le rang et l'opulen=
ce rendent respectables a nos yeux: mais souvent
cette deference excede les justes bornes, et nous por=
tent a recevoir leurs decisions aveuglement: ce
qui accommode aussi nôtre paresse naturelle. Que
de prejugés nés de ce respect pour l'autorité dans
les sectes, les corps politiques, Accademiques &c.
Il n'est d'autre moien de se garantir de tous
ces prejuges d'education et d'autorité que de sui=
vre toujours les regles d'une bonne Logique et
d'examiner serieusement toutes les opinions repandues avec
autant de soin que si elles se presentoient a nôtre
Esprit pour la premiere fois, et que nous eussions
de bonnes raisons pour en suspecter la verité.
Combien ne doit on pas aussi etre attentifs pour
ne rien inculquer aux enfans qui tienne au pre=
jugé, et qui les mette dans le cas de se deffier un jour de tout ce
qu'on leur a enseigné.
Prejugés de passion. Il est des prejugés qui viennent
de passions tumultueuses qui nous font voir les
objets tout autrement qu'ils ne sont, et comme
nous desirons qu'ils soient, uniquement par
l'endroit qui flatte nos mouvemens gouts, ce qui nous
fait porter des jugemens faux et contre toute
raison; on peut comparer les passions a ces verres
colorés qui nous font voir les objets sous des
couleurs qui leur sont tout a fait etrangeres.
Ainsi l'amour ou la haine nous previent pour
ou contre ce que quelquun dit, et ajoute ou ote
du poids aux raisons qu'il allegue, en sa faveur.
Tout nous paroit vrai et bon de la part d'une
personne que nous aimons, et tout, jusques
a ses deffauts, peut nous plaire. On peut en dire
autant de l'avarice, l'orgueil l'ambition &c.
qui ne permettent pas d'examiner les objets tels
qu'ils sont en eux mêmes et rendent même l'Enten=
dement <130> incapable de tourner son attention vers
ce qui peut les contrarier. A quoi un ambitieux
peut il regarder qu'a ce qui flatte la passion
qui l'obsede?
Il est difficille de maitriser ses passions, mais
cela est absolument necessaire pour la recher=
che du vrai. Pour cela, il faut se rendre atten=
tif a leurs suites funestes et a la honte qu'il y a
d'en etre les esclaves, il faut etudier sa passion
dominante et diriger contr'elle ses efforts:
quand on s'occupe de quelque sujet, il faut
tenir pour suspects tous les jugemens qui
pourroient avoir quelque connexion avec la
passion favorite, les examiner avec plus de
soin que tous les autres; laisser passer l'accès
pour juger plus de sang froid: distraire
son ame des objets de sa passion par quel=
que objet plus digne d'elle; s'accoutumer
a faire toujours parler la raison et en
ecouter la voix.
Prejugé de temperamment et d'habitude.
L'influence en est tres etendue. Un homme
rude et dur approuvera toujours ce qui
est conforme a son caractere: un homme
naturellement mol, lache, pusillanime,
se montrera tel dans tous ses jugemens.
L'homme ardent, exhalté, n'approuve que ce
qui est exageré: un autre deteste tout ce
qui n'est pas simple et naif. Celui qui
est inquiet ne se plait que dans le tumul=
te des villes. Celui qui est tranquille, n'aime
que les objets paisibles de la campagne.
Chacun doit aussi se deffier de son tempe=
ramment, de son naturel, de son tour d'Esprit
pour ne rien admettre de ce qui les flatte,
qu'apres un mur examens, et sur de bonnes
preuves.
<130v> Les choses n'attirent le plus souvent nôtre atten=
tion que par l'endroit ou elles ont le plus de
rapport avec nous mêmes; d'ou il arrive que
quand ce rapport vient a changer, nous
jugeons d'une maniere toute opposée a celle
dont nous avions jugé auparavant, et neam=
moins nous croions bien juger. Il importe
donc de juger des choses, autant qu'il se
peut, en les considerant sous toutes leurs faces, sans nous
borner a celles par ou elles peuvent
nous interresser.
REGLES POUR S'EN DELIVRER
Pour nous delivrer de nos prejugés, on
conseille souvent un doute universel afin
d'examiner par ordre et sans exception toutes les opinions qui
sont reçues parmi les hommes: mais c'est la
une tache superieure aux forces natu=
relles de l'homme: et lors même qu'on est par=
venu a secouer le joug de l'autorité, il
ne faut pas pour cela tenir pour incer=
tains tous les sentimens recus. Ce a quoi
nous devons nous appliquer, c'est lorsque
nous nous occupons serieusement d'un sujet
de commancer par examiner si nous avons
la dessus des principes dont la verité et la
certitude soient bien reconnues, si nous
avons deja auparavant bien examiné les
argumens sur lesquels nôtre opinion est fon=
dée, et pesé murement les raisons en
faveur de l'opinion opposée, et au cas
que nous soions en deffaut a cet egard,
ne pas nous rebuter par la peine de
soumettre tout a un nouvel examen plutot que
de nous asservir a l'autorité et ne nous
en laisser eloigner detourner de cet examen par aucun motif
d'interet, aucun menagement ni
aucune crainte. Dans tous les cas
ou nous sommes
appellés a porter
un jugement sur
quelque objet ou
action, ce juge=
ment ne doit por=
ter que sur le sujet
meme dont il sa=
git et non sur des
choses etrangeres
ou qui n'ont qu'un
rapport eloigné,
et il ne doit pas
s'etendre au dela
de ce que peut
permettre la con=
noissance distinc=
te que nous avons
pu acquerir; soit
tout le reste il doit
pendre notre etre
suspendu, a
moins qu'il neus
s'agisse d'une ac=
tion non suscep=
tible de renvoi;
auquel cas il
faut se decider
pour le parti qui
paroit le plus sur.
<131> CHAPITRE XIV
De l'Entendement pur humain et des divers degrés
de perfection dont il est susceptible enoncés
sous diverses denominations.
INTELLIGENCE, ENTENDEMENT, ENTEN=
DEMENT PUR.
La reunion de toutes les facultés et ope=
rations que l'homme deploie pour penser
et parvenir a la decouverte et la connois=
sance des choses, se nomme Intelligence,
Entant que l'homme est supposé en faire
un bon usage dans ce but, on l'appelle En=
tendement qui consiste dans la faculté
de concevoir et comprendre les choses aussi
distinctement qu'une oreille bien orga=
nisée entend les sons.
On a donné a ce dernier le nom d'Entendement
pur entant qu'il peut concevoir les
choses sans les revetir d'aucune image
sensible, se former des idées non sensibles,
abstraites, generales, les reduire a des idées
distinctes, qu'il compare entr'elles pour en
saisir les rapports, en former des jugemens,
et rapprocher ceux ci par le raisonnement
pour en tirer des consequences, lier toutes
ses operations entr'elles par la reflexion
et la meditation, se tenir en garde contre
les sources d'erreurs, et arriver par le che=
min le plus sur et le plus court a la decou=
verte de la verité. Rien de plus essentiel
a la perfection de l'Intelligence humaine
que l'usage de l'Entendement pur. Lui seul
peut nous donner des idées distinctes de nôtre
ame de ses facultés, d'un Etre spirituel cause
premiere, des actions morales, des vertus
des Loix, et de toutes ces idees que nous
appellons non sensibles ou Intellectuelles.
A quoi serions nous reduits sans l'Entende=
ment <131v> pur? Les sens nous font sans cesse des
Illusions: c'est lui qui les demele et les redresse;
il nous eclaire sur les precautions necessaires pour
nous garantir de leurs influences. L'imagi=
nation nous offre des images confuses et sou=
vent fausses: elle nous peint nos Antipodes
comme aiant la tête en bas: l'entendement
seul peut les concevoir comme etant dans la
meme position que nous. L'Imagination
brouille toutes les figures un peu composées,
l'Entendement pur distingue leurs cotés et leurs
angles, il les mesure et determine les propri=
etés de chacune. Voulons nous penser a
nôtre ame, d'abord l'imagination nous pre=
sente un souffle, un feu &c. voulons nous
penser a Dieu, l'imagination nous retrace
quelque figure humaine avec une face
respectable; l'entendement pur peut seule
nous elever a l'idée d'un Esprit immateriel.
Lui seul peut nous donner, une idée de la divisibi=
lité de la matiere a l'infini &c.
REGLES POUR LA CULTURE DE L'EN=
TENDEMENT PUR.
Avec quel soin ne devons nous donc pas culti=
ver cette precieuse faculté: pour cet effet
toutes les fois que nous nous occupons d'idées
Intellectuelles, nous devons nous
1o eloigner les phantomes de l'imagination
qui ne font que obscurcir, distraire, retar=
der l'Entendement pur;
2. distinguer avec precision les idées par tous
leurs traits, et ne negliger aucune precau=
tion pour ne rien confondre.
3. Se souvenir toujours que l'Entendement est
borné, qu'il ne peut comprendre ni l'infini ni
les choses qui n'entrent point dans l'ensemble
des objets que la nature 1 mot biffure a mis a sa por=
tée, et qu'il ne faut pas l'appliquer a de tels
objets pour en epuiser l'activité en pure per=
te.
<132> 4 n'exercer l'Entendement que proportionnellement
a ses forces qui peuvent s'epuiser par un exer=
cice trop soutenu. Tandis qu'elles s'augmen=
tent par un exercice prudemment menagé
5. Il ne faut etre content de soi même que lors=
qu'on s'appercoit qu'on fait des progrés que
les difficultés s'applanissent, qu'1 mot biffure que la faculté
les choses plus exactement et avec plus de
facilite
1 mot biffure s'etend, quelle saisit
un plus grand
nombre d'objets,
d'une maniere plus
distincte et avec
plus de facilite.
RAISON HUMAINE, SENS COMMUN.
Les hommes etant pourvus des mêmes orga=
nes et des mêmes facultées qui ne different chès
eux que quand au degré de facilité, de prom=
titude ou d'etendue, on peut presumer que
quand il s'agit d'objets communs, egalement
interessans pour tous, a la portée de tous, ou
dont l'observation et la connoissance ne supposent
aucune operation difficille et delicate, sur les=
quels d'ailleurs ils les hommes peuvent tous les jours se com=
muniquer leurs idées, on peut presumer, qu'ils
les observent a peu pres tous de la même maniere,
qu'ils s'en forment a peu prés les mêmes idées,
qu'ils arrivent a peu prés aux mêmes resultats,
et qu'ainsi ils doivent naturellement s'accorder
entr'eux sur la verité d'un certain nombre de
propositions, et les envisager comme autant
de principes incontestables, auxquels nul homme
qui n'est pas depourvu d'Intelligence, ne sau=
roit refuser son assentiment, et qui ont été
effectivement admis chès toutes les nations
et dans tous les temps, comme une base fon=
damentale de raisonnement. L'entendement
humain consideré comme naturellement
et universellement disposé a admettre ainsi comme
incontestables certains enoncés ainsi que avec les
consequences qui en naissent necessairement,
a été appellés Raison humaine entant
que c'est elle qui sert de base au raisonnement.
<132v> Ainsi c'est a la raison qu'il faut rapporter ces veri=
tes premieres que nous emploions ou que nous sousen=
tendons sans cesse dans nos raisonnemens, dont
nous ne pouvons nous a 1 mot biffure ecarter sans donner
dans un travers qui nous fait passer pour gens
depourvus de sens, d'ou vient que cette raison
commune est appellée sens commun. Observons
que par ces verites premieres et communes a tous
les hommes raisonnables, nous n'entendons pas
des principes innés, comme l'ont dit quelques uns,
car cela supposeroit que les idées generales sont
aussi innées, ce qui seroit absurde, puisqu'elles
sont toutes tirées de perceptions elementaires qui nous
viennent de la sensation exterieure et interieure
de l'observation &c. Il n'est aucune verité generale
qui ne soit originairement extraites du rapport
immediat des idees ou de l'induction. Mais il en
est a la portée de tous les hommes, 1 mot biffure et de la naissent
ces principes communs et une raison commune
a tous.
Souvent par la raison on entend le bon usage
des facultés intellectuelles, par lequel on se bor=
ne aux objets qui sont a leur portée, et on s'atta=
che uniquement par rapport a ceux ci, a bien
diriger ses facultés pour decouvrir le vrai. C'est
en ce sens qu'on dit d'un homme qu'il a de
la raison.
D'ou vient que Par la droite raison on entend aussi en par=
ticulier tous ces principes que les hommes ne peu=
vent sempecher d'admettre comme vrais et certains lorsqu'ils
font un bon usage de leurs facultés Intellectu=
elles: l'essence sens que nous disons qu'il faut
admettre tout ce qui est conforme a la droite
raison, rejetter tout ce qui lui est evidemment
contraire, et s'abstenir de prononcer sur tout
ce qui est au dessus de la raison, qui ne peut
pas etre rapporté et soumis a ses principes.
Nous NB. on voit par la que le mot raison se prend
en differentes acceptions. Il signifie l'intelligence
<133> 1o ce qui sert a expliquer et prouver. 2o la faculté
de raisonner, de saisir le nexe des verités, de tirer
parti de ce qui est connu pour eclaircir ce qui
ne l'est pas encor. 3o Le sens commun, 4o la droite
raison droit ou le bon sens, a laquelle on
oppose la raison depravée, 5 l'Entendement
pur. 6. L'Intelligence qui distingue l'homme
de la brute.
TALENT.
S'il arrive a certaines personnes privilegiées
par le naturel, l'education, les circonstances,
l'exercice appliqué et bien reglé de leurs facul=
tes, d'etendre la portée de celles ci, de s'elever a des
connoissances ou des procedés industrieux, qui
surpassent sensiblement la portée du commun
des hommes, on leur attribue ce qu'on appelle
le Talent , terme vague et indeterminé en lui
meme, mais qu'on determine sous diverses
qualifications. Intelligence, discernement &c.
INTELLIGENCE DISCERNEMENT, JUGEMENT.
On attribue de l'Intelligence a ceux qui concoivent
une suite de choses ou de pensées plus compli=
quées et plus difficilles a saisir que celles qui
sont a la portée du sens commun: ainsi nous
disons, c'est un homme très Intelligent. c'est
un talent asses rare.
Le Discernement suppose qu'entre des choses
ou des idées qui se presentent au premier coup
d'oeil comme semblables, on demele des diffe=
rences difficilles a saisir des nuances delicates
et fines, qui echappent a la multitude, ou quelle
ne peut saisir qu'a force de temps et d'examen,
et qu'on sait faire servir ces observations a
bien apprecier le merite relatif des objets lorsqu'on
en fait le parallelle.
<133v> On dit d'un homme qu'il a du jugement
quand entre les objets dissemblables, il scait
trouver des ressemblances qui sont impercep=
tibles pour ceux qui ne voient les choses que
superficiellement et en jugent sans les avoir
approfondies. Moins les rapports sont percep=
tibles, plus il les saisit avec aisance et promp=
titude, plus on lui attribue de finesse dans
le jugement, ainsi nous disons, il a un juge=
ment fin et exquis, ou c'est un homme très
judicieux &c.
ESPRIT.
Par ce mot Esprit on designe souvent des talens
agreables pour la conversation, le commer=
ce du monde, des ouvrages d'amusement
et de gout, qui ne supposent que des con=
noissances superficielles et beaucoup de
legereté dans la pensée: Ces talens que le
monde estime beaucoup, et qui le plus sou=
vent fondent les reputations, peuvent amu=
ser et plaire, mais ils ne sont 1 mot biffure que de peu ou
point d'utilité pour la perfection de l'ame
et le progrés des connoissances humaines.
Le vrai Esprit suppose l'intelligence, le
discernement, un jugement fin; avec cela
une imagination vive et ardente, soute=
nue d'une activité superieure, qui surmon=
te aisement les difficultés, et a l'exactitude
de la discussion, reunit le grand art d'expri=
mer tout avec autant de force que de
delicatesse et d'agrement. En ce sens
on dit, c'est un Esprit distingué, un
grand Esprit.
SAGACITE PROFONDEUR.
On attribue a l'ame de la sagacité ou pene=
tration lorsqu'elle peut saisir avec facilité
une longue suite de rapports et de consequences
eloignées, separées de leurs principes par
<134> une foule d'intermediaires, ou lorsque, sans
s'arreter a l'ecorce des choses, elle penetre jusques
a l'interieur pour saisir la realité et sen
sert1 mot biffure meme de celle ci pour expliquer jusques aux appa=
rences. meme Cette sagacité devient pro=
fondeur quand devellopant les choses a
fond, elle parvient a expliquer non seule=
ment ce qu'elles sont , mais encor d'ou elles
viennent, et ce quelles deviendront, et que
par la elle satisfait a toutes les questions
que la curiosité humaine pourroit elever
a ce sujet.
LE GENIE
Chès un petit nombre d'ames privilegiées
se joint le genie qui s'eleve au dessus de
toutes les connoissances repandues, au
dessus de toutes les methodes, de tous les
procedés usités, et s'elance dans une
region superieure d'idées et de moiens
a laquelle l'Esprit humain n'etoit pas encor
parvenu, et qu'il n'avoit pas même. C'est l'Esprit createur, in=
soubsconné
venteur, qui après avoir parcouru l'echelle
des objets connus, franchit le premier
de grands intervalles et saisit d'une main
hardie la chaine des verites qui unit des
verités en apparence très eloignées, et par
de nouvelles combinaisons atteint prom=
tement a des resultats inattendus, qui
etonnent le monde eclairé et savant,
autant par leur nouveauté que par
leur importance dans les Sciences et les
arts. Tantot il decouvre de nouvelles
verités, ou de nouvelles Loix, ou des appli=
cations qui avoient echappé jusques alors
aux plus habiles, ou de nouvelles methodes,
plus simples que les precedentes, et pour ex=
pliquer des faits ou executer des prattiques
<134v> jusques alors longues et embarassées. Tan=
tot il saisit des points de vue qui leur sont
propres, il donne puissance a une science ou il fraye une route a des
nouvelle,
verités auxquelles on n'esperoit pas de
parvenir, ou il repand sur elles des objets
un jour dont on ne les croioit pas suscepti=
bles. Tantot par de nouvelles dispositions
des Elemens donnés par la nature, il inven=
te des instrumens, des machines pour facili=
ter les travaux, en assurer le succés, il cree
des arts nouveaux ou des genres superieur
a ceux qui etoient adoptés. Tantot enfin il
se deploie dans les beaux arts par des produc=
tions qui portent l'empreinte d'un carac=
tere original et inimitable.
Souvent le genie se prend pour le talent
en general; alors on l'appelle etendu lors=
qu'il marche a grands pas dans un genre,
et vaste lorsqu'il en reunit plusieurs
et les pousse avec le même Succes.
PREVOIANCE SAGESSE HABILETE
Entre les talens prattiques on distingue
la prevoiance fille de la penetration, qui
anticipe de fort loin sur les consequences,
et exerce une attention continuelle sur les
obstacles, les moiens et les mesures, et tout
ce qui est necessaire pour assurer le suc=
ces des entreprises. Elle est mere de la
sagesse, de la prudence, de l'habilité dans
les affaires; talent infiniment precieux
qui se devellope par des observations, l'ex=
perience, l'exemple, l'habitude &c.
L'ESPRIT JUSTE, LE BON SENS.
Le fruit des talens dont nous avons parlé
le plus utile, c'est l'Esprit juste ou vul=
gairement le bon sens, qui saisit facile=
ment l'etat des questions, le vrai point
des affaires, les raisons decisives, et pour
<135> prononcer ne s'appuie que sur une con=
noissance exacte des faits, des objets, des
rapports, et des preuves. Le bon sens est
comme l'ame des talens et des vertus; il
distingue le vrai savant de celui qui n'a
qu'une fausse Science, l'homme vrai=
ment vertueux du cagot et du sot; le
grand homme de celui qui n'est qu'un
heros fameux. Sans le bon sens, tout,
jusques a la vertu, devient ridicule,
et le bien qu'on fait, peut devenir dan=
gereux.
LE BON GOUT.
Il est un talent qui semble n'etre point
comme les precedens, soumis a la reflexion;
c'est le bon gout, dont se piquent les gens
du monde dont l'education a ete un peu soignée,
qui consiste dans une disposition a juger
sainement des choses, et les apprecier
d'après certains modeles de vrai, de bon,
de beau, qu'on s'est rendu familiers, et
desquels on rapproche tout pour avoir
une boussole d'evaluation. Ce talent
supplée jusques a un certain point
aux autres, mais il ne meine pas fort
surement au vrai.
L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE
Il est 1 mot biffure Le bon sens devient Esprit
Philosophique quand il est cultivé,
et soutenu d'une Logique exacte sans
cesse usuelle. Il est par rapport a la Phi=
losophie, ce qu'est l'Esprit Geometrique
par rapport a la Geometrie; il en est le
but, le fruit et en même temps le meil=
leur guide d'etudes. C'est un Esprit appli=
cable a tout, qui sait rapporter chaque
chose a ses principes, et des la meme le meilleur
<135v> preservatif contre la tyrannie des prejugés
et de l'opinion: c'est comme une lumiere uni=
verselle qui eclaire sur tous les objets dont
on s'occupe, sur leurs causes, leur destina=
tion, leurs rapports, leur influences reci=
proques leurs usages et qui apprend a
tirer le meilleur parti de tout. L'esprit Phi=
losophique penetre jusques dans les deffauts
des Sciences, il voit ce qui y manque, ce qui
devroit y etre ajouté; il saisit ce qui a pu
contribuer aux progrés ou au retarde=
ment des decouvertes, et en indiquant
le mal, il sait appliquer le remede.
La diversité des talens parmi les hommes
tient a une multitude de causes diver=
ses: elle depend beaucoup du tempe=
ramment et des penchans naturels, c'est
cependant toujours l'etude qui le devel=
lope et l'etend.
Pour perfectioner l'Intelligence et devel=
loper les talens, il faut de l'exercice, et
un exercice dirigé avec art, ou selon cer=
taines regles; il faut que l'exercice soit
graduel, commancer par un petit nom=
bre d'objets, et s'attacher a les bien saisir
avant que de lui en offrir un plus grand
nombre; suivre constamment l'ordre na=
turel des pensées qui seul peut conduire
a l'evidence et la vraie connoissance;
s'attacher particulierement a quelque Scien=
ce dont l'etude puisse former l'esprit a cette
marche exacte, telle que celle de la Geometri
l'Algebre; ensuite porter cette disposition
dans les Sciences auxquelles on est appellé
a s'appliquer par etat et aux dans les autres même
pour lesquelles on a du gout, et ou l'on
trouve des lumieres sur les precedentes, car
toutes les Sciences sont liees; les une aux au=
tres difficillement peut on les separer les unes
des autres; elles ne forment qu'un seul tout.
<136> TABLE
Section premiere
INTRODUCTION
Logique naturelle - deffauts de ce guide
Necessité de la Logique artificielle
Noologie rhetorique et prattique
Ch. I. Des premiers materiaux de la pensée ou des ele=
mens originaires et primitifs de toutes nos connoissances.
Elemens primordiaux de la pensée. - caracteres
auxquels on les reconnoit - Leur reduction a 3
classes; Premiere classe - seconde classe - Troisie=
me classe.
Ch. II. Des idees sensibles et des organes qui nous
les transmettent
Sensation passive et active
Cinq choses a distinguer dans toute sensation.
Ressemblance entre les sensations chès les divers Individus
Cette ressemblance ne tombe pas sur les idees des
objets en eux memes
Quelles instructions fournissent les sens en general
Surtout quant aux qualites secondaires et aux
premieres.
Instructions particulieres des divers sens
Ch. III Des facultes qui s'exercent les premieres sur
les idees elementaires sensibles et non sensibles:
Reminiscence
Attention, sa necessite, regles
Memoire - diversités - qualites et deffauts -
necessite de la memoire - moiens de la perfec=
tioner
contemplation
Ch. V. De l'imagination
Imagination - association d'idees
avantages qui reviennent de l'imagination, et sa
grande influence dans le monde Intellectuel et mo=
ral.
Ses influences sur la diversité des tours d'Esprit
D'ou elle depend quant au degré
Precautions selon les divers temperammens - leur
necessite.
<136v> Ch. V. Autres facultés de l'ame appellées superi=
eures, parce qu'elles sont plus independantes de
l'organisation physique et que l'ame les exerce sur
les idees elementaires comme sur des materiaux
entierement soumis a son activité libre.
Resume de ce qui a ete dit sur les idees elementaires
Facultés superieures Intellectuelles
Faculté de composer, et de decomposer
Faculté d'abstraire
Recompositions - analyse
Faculté de comparer.
Ch. VI. De la distinction des idées composées
en individuelles et generales ou universelles
et de la faculté de generaliser.
Idees individuelles - notions generales
Determinations de l'individu
origine de notions generales, et comment elles se
sont formees
Echelle des especes et des genres - idees et expres=
sions qui sont nees de cette echelle - attributs -
sujet - difference - attributs essentiels, essence
attributs communs, propres - accidens
Ce qui determine l'espece ou le genre d'une chose
La classification s'exerce sur les objets reels, sur
les objets ideaux, et meme sur les modifications
axiomes qui decoulent de la
necessité des notions generales
Differences a observer entre les objets soumis a
la classification
consequences
Ch. VII. Des diverses classes de notions generales
sous les noms de Substance, mode, relation
Substance concrete et abstaite
Modes - sources d'erreurs
Relations naturelles, d'institution Regles
Abstractions de divers genres
<137> Ch. VIII. De quelques autres distinctions de
nos idees
Idees positives et negatives
Idees dependantes; dependance naturelle
ou accidentelle
Liaison, opposition
Idees chimeriques, trompeuses
Ch. IX Regles pour la perfection de la pensée
Perfection de la pensée
Idee claire et obscure, - distincte et confuse
complete et incomplete - parfaite ou ade=
quate, imparfaite ou inadequate
Echelle de perfection
Importance des idees distinctes et completes
Moiens de les obtenir
Ch. X. Des signes de nos idees ou des mots
Necessité des mots
Conditions essentielle a leur usage
Precautions pour rendre son discours intelligi=
ble: eviter les mots vuides de sens, les mots
obscurs - Regles pour les mots equivoques -
vagues et indeterminés - propres et figures
- pour les termes d'art - pour les termes
familiers
Sources des abus du Langage
Ch. XI De la definition et de la division
communication des idées - description
- definition nominale - definition reelle
condition d'une bonne definition
division - conditions ou regles de la division
Ch. XII Du jugement
ce que suppose un jugement
Propositions identiques, reciproques
universelles, particulieres, singulieres
Differentes universalités
Propositions affirmatives negatives
absolues conditionnelles
vraies fausses - fondement de verité
<137> distinctions des propositions vraies; autres distin=
tions
Regles generales pour eviter l'erreur.
Ch. XIII. Du Raisonnement
Syllogisme simple, ses parties.
Argumentation: principes sur lesquels elle repose
Regles pour les Syllogismes
Syllogismes composes, irreguliers, argumen=
tation par consequences immediates
Induction ou argumentation a posteriori
Regles a suivre pour bien raisonner
Sophismes.
Ch. XIV De la reflexion ou meditation appellée
aussi methode.
Marche habituelle qui regle les jugemens des hommes
Reflexion, methode
Conditions ou caracteres d'une bonne Methode
Regles communes a toute bonne Methode
Avantages d'une bonne Methode
<138> Section Seconde
Ch. I. Des divers genres de connoissances dont l'hom=
me est susceptible
Branches de connoissance
Certitude, probabilite, doute, degres de probabilites.
Ch. II. Des connoissances dont la certitude repose sur
l'evidence
Evidence, Evidence de sentiment, - d'intuition
- de demonstration
D'ou peut naitre l'erreur dans les choses evidentes
Criterium de l'evidence
Idée de la demonstration
observation
Ch. III. Premi Des principes evidens qui servent
de base a toute Science de raisonnement exposee
par la Synthese
Premieres verités, axiomes
objet de l'ontologie et de toute vraie Science
Premieres verites ontologiques
Premieres verites Mathematiques
Application des premieres verites
Ch. IV Des connoissances humaines dont la certitude
n'est point le produit immediat de l'evidence et
premierement de celles que nous acquerons par
l'observation.
Quatre moiens d'obtenir la certitude
L'observation, et les experiences
Genre de connoissances qui en naissent
Instructions de nos sens pour nous conduire a
la certitude
Quand l'instruction des sens se trouve en deffaut;
Ce qu'il faut y ajouter pour qu'elle nous conduise
a la certitude
Certitude Physique
Erreurs provenant des sens
Precautions pour eviter l'erreur dans l'observation
Explication des faits.
Ce que c'est en Physique que apprendre, comprendre et decouvrir
<138v> Ch. V Des connoissances dont la certitude Phy=
sique s'acquiert par l'observation des autres,
par l'experience, par l'analogie et l'induction
observation d'autrui
L'Experience
L'Analogie
L'Induction
Ch. VI. De la certitude morale fondee sur le
temoignage
Certitude morale
Observation des faits moraux
Comment on s'assure de la realité des faits
moraux
Foi humaine, foi divine
Ch. VII. Des connoissances humaines qui ne
s'elevent pas a la certitude et qui sont seule=
ment plus ou moins probables.
Pourquoi les diverses voies de connoissance
indiquees ne nous elevent pas toujours a
la certitude
Ce que nous connoissons nous suffit
Idee plus precise de l'echelle de nos connoissances
Ch. VIII calcul de la probabilité
Logique des vraisemblances
Regles generales
Regles pour les objets Physiques
Les conjectures, les hypotheses
Conditions essentielles a une hypothese pour
etre admise avec utilité
Regles pour les objets moraux
Ch. IX De l'art de penser
But de toute methode
l'Art de penser - conditions essentielles au
vrai art de penser
Regles pour eviter l'erreur
<139> Ch. X. De la methode Analytique et Syn=
thetique
Methode Analytique
Methode Synthetique - ses deffauts
Regles pour la Methode Analytique
Regles de la Methode Synthetique
Methode Socratique
Ch. XI De l'art de parler
Necessité du Langage pour la pensee
Influences heureuses de sa perfection
Inconveniens de son imperfection
Premieres origines de la Grammaire
Les parties diverses du discours
observations
Elemens essentiels et constitutifs d'un Ta=
bleau ideal et verbal
Conditions essentielles a l'art de parler
Ch. XVI Des differentes methodes suivant les
divers buts quon se propose
Methode pour l'instruction
Conditions pour une bonne instruction
Regles pour ceux a qui l'instruction s'adresse
Regles pour expliquer les auteurs anciens ou
difficilles a saisir
avis generaux
Ch. XIII Des causes de nos erreurs
Causes diverses
Conseils pour remedier a ces causes
Prejuges de divers ordres
Ch. XIV De l'Entendement pur humain et des divers degres
de perfection dont il est susceptible enonces sous
diverses denominations
Intelligence Entendement, Entendement pur
Regles pour la culture de l'Entendement pur
<139v> Raison humaine, sens commun
Talent
Intelligence, discernement, jugement
Esprit
Sagacité Profondeur
Genie
Prevoiance, Sagesse, habileté
l'Esprit juste, le bon sens
Le bon gout
l'Esprit philosophique.