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Chavannes, Alexandre César, Anthropologie ou Science générale de l'homme: Ethnologie, Tome III, [Lausanne], [1750]-[1788]

ETHNOLOGIE
TROISIEME SECTION

ou l’on considere les peuplades dans
leur transformation en societes regu=
lieres et civiles, et les effets qui en sont
resultés quant a leurs progrés dans la
civilisation, entr’autres dans la culture
des arts, des sciences, et de la Philosophie.

<2> CHAPITRE 1.
Transformation des peuplades en
societés regulieres.

ETAT NATUREL ET PRIMITIF DE
L’HOMME.

Jusques ici nous avons consideré l’hom=
me dans son etat naturel et primitif,
sous lequel nous comprenons non seule=
ment tout ce que l’homme est en naissant,
tout ce qui est lié a sa constitution na=
turelle, a ses prerogatives sur les autres
especes, mais encor la situation ou il se
trouve placé par une suite de sa constitu=
tion et de ses rapports, et tout ce qu’il de=
vient par le devellopement que ses facul=
tés et ses penchans peuvent recevoir, selon
l’ordre naturel des choses, des diverses rela=
tions qu’il soutient avec les objets exterieurs
et prîncipalement avec ses semblables.
Le naturel chès les animaux n’est sus=
ceptible d’aucune perfection ulterieure; ils
sont et seront toujours pour le fond de
leur nature ce qu’ils ont toujours été: ils
font chacun dès leur naissance, et ils conti=
nuent a faire pendant toute leur vie, ce
qu’ils doivent toujours faire selon les Loix
de leur instinct: s’il arrive a l’un d’eux
d’executer quelque mouvement, quelque
tour d’adresse qui n'est ne soit pas dans son ins=
tinct, nous supposons d’abord qu’il sort
de son naturel, et nous attribuons cette
singularité a l’art du Maitre qui a sçu
tirer parti de ses facultés animales pour
le dresser, et l’accoutumer a faire des choses
qu’il n’eut jamais su ni pu executer sans
cela.

Il n’en est pas ainsi de l’homme: il n’est pas
en naissant tout ce qu’il doit etre naturelle=
ment: ses facultés et ses operations ne se
devellopent que peu a peu et par des progrés
successifs: il faut que les circonstances,
<2v> l’education, l’experience, la reflexion, le
commerce de ses semblables, reunissent leurs
influences, et concourent pour en faire
enfin un homme, et tel qu’il doit etre, se=
lon l’ordre naturel des choses.

Ainsi tout ce que l’homme apprend, invente,
execute, pour se perfectioner, tout cela est
dans son naturel: il apprend a s’armer, a
se vetir, a se construire des abris, a gouver=
ner des bestiaux, a labourer la terre, il inven=
te des arts, il execute des ouvrages d’industrie,
il se forme un Langage, il lie commerce
avec ses semblables, il entre en communau=
té, il fait tout cela sans sortir de son naturel.
Rien n’est donc plus absurde que l’opinion de
ceux qui, pour concevoir l’homme dans son
etat naturel, se le sont figuré comme
un quadrupede, marchant a quatre, brou=
tant l’herbe, fuiant au moindre bruit,
destitué de toute Intelligence et de tout lan=
gage. Jamais il n’y eut d’etat de nature
pareil; l’homme fut toujours d’une espece
animale privilegiée et superieure; il devint
pecheur, chasseur, berger, cultivateur
industrieux, eclairé sur divers objets, il
sut penser et parler, vivre avec ses sem=
bables, sans etre encor sorti de son etat
naturel.

Ainsi par l’etat de nature nous entendons
ne devons entendre autre chose que si ce n’est tout
ce que l’homme fut et put devenir avant
l’etablissement des societés formées sur un
plan d’institution regulier; en un mot:
ce qui a precedé l’etat que nous appellons
civil.

L’ETAT DE NATURE CHES PLUSIEURS PEU=
PLES A DURE FORT LONGTEMS. IL SUB=
SISTE ENCOR CHES QUELQUES UNS.

Il est possible qu’il n’y ait eu aucun etat
civil parmi les hommes depuis le commencement
proprement dit)

<3> 1 mot biffure du monde 3 mots biffures
il se peut, et Il est apparut même hors de
doute, que diverses peuplades, ou de celles
qui meme n’ont jamais été barbares, et toutes
celles qui se sont relevées peu a peu dela
barbarie, ont vecu pu vivre longtemps dans
une sorte de communauté ou societé
imparfaite, sans avoir encor concerté
aucun arrangement 1 mot biffure objet sans con=
noitre d’autre Loi que la Loi naturelle, la
Loi d’opinion et d’usage, sans deferer a au=
cune autorité qu’a celle des chefs de famil=
le, des vieillards, 3 mots biffures ou celle
que pouvoit donner la confiance publique
due a une superiorité reconnue en fait
de merite, de courage, d’heroisme, de bien=
faisance. Nous avons donc tout lieu d’as=
surer que l’etat de nature a pu durer
chès plusieurs peuples pendant fort long=
temps, puisqu’il en est plusieurs chès
qui il subsiste encor aujourd’hui.

COMMENT S’EST INTRODUIT L’ETAT
CIVIL

Comment les hommes ont ils donc pu se resou=
dre a abandonner l’etat de nature, qui
sembloit suffisant a leurs besoins et a leur
bien etre, et d’ailleurs si interessant par l’es=
prit d’egalité et de liberté qui en faisoit
l’appanage, 1 mot biffure, pour y substituer
un etat civil regulier, qui suppose necessai=
rement la subordination et la genequi
C’est que les hommes y ont été comme for=
cés par diverses causes  qui ont multiplié
parmi eux les conflicts de vües, d’interets,
les chocs de Volonté, auxquels il etoit im=
possible de porter remede ou de mettre un
frein, autrement que par des moiens coac=
tifs ou une force suffisante pour les
reprimer.

<3v> CAUSES DIVERSES DE CETTE INTRO=
DUCTION.

MULTIPLICATION DES DROITS.

Des que la proprieté a été introduite et sur=
tout depuis que les objets de cette proprieté
se sont successivement multipliés par l’agri=
culture, la prattique des arts, l’exercice du
commerce, les Droits se sont aussi multipliés,
diversifiés, et differemment combinés dans
la même proportion, avec les conflicts d’in=
terets, les occasions de griefs, de disputes et
de querelles sur le mien et le tien, enfin les
guerres particulieres si funestes a la
tranquillité et au bonheur de l’espece
humaine.

MULTIPLICATION DES GOUTS ET
DES BESOINS FACTICES.

D’un autre côté, a mesure que les hommes
ont reussi a s’assurer des ressources pour
les besoins de premiere necessité, et se sont
procuré par la du loisir pour s’occuper
des objets de commodité, d’agrement et de
luxe, de recherches et de decouvertes utiles
et interessantes, et s’elever au dessus de la
sphere etroite des objets grossiers ou ils avoient
ete auparavant concentrés, a proportion
aussi se sont multipliés et diversifiés leurs
gouts, leurs penchans, leurs affections, et
tout ce qu’on appelle besoins factices dont
l’habitude a pu leur rendre la satisfaction
necessaire. De la encor sont 1 mot biffure resultés une foule
inombrable de conflicts et de chocs de vo=
lontés, qui irritant a leur tour les passions
qui leur avoient donné naissance, alte=
rant jusques aux germes de sociabilité que
la nature avoit placé dans leurs coeurs,
y ont substitué le puissant dangereux
ressort de l’interet particulier, de l’amour
propre personel, ont produit parmi eux
des contestations sans fin, qui y ont repandu
<4> le trouble, la deffiance, les allarmes et
tous ces mouvemens orageux qui pou=
voient empoisonner toutes les douceurs
attachées a la jouissance des objets de
leurs affections cheries.


ABUS DE L’INEGALITE DES FORTUNES
ET DES CONDITIONS.

Ajoutons enfin que la multiplicité des di=
verses professions ou vocations, aiant in=
troduit une inegalité trop marquée et abu=
sive des fortunes et des conditions il étoit
impossible qu’il n’en resultat une sorte beaucoup de
mesintelligence entre les hommes, des pre=
tensions orgueilleuses et injustes de la part
des riches et des puissans pour s’asservir
les pauvres, les petits ; des efforts opposés
de ceux ci pour s’opposer repousser l’oppres=
sion et conserver leur independance,
des la même une guerre poursuivie avec
acharnement entre les differentes classes
ou ordres, sans cesse attentifs a troubler
mutuellement leur tranquillité et leur
bien etre.

NECESSITE D'UNE FORME DE SOCIETE
REGULIERE

Reduits ainsi a un etat de fermentation
violente, les hommes commancerent a sentir
la necessité d'une forme de société plus regu=
liere que celle d'une simple communauté,
et d'autant plus profondement calculée que
leurs interets particuliers se trouvant plus
embrouillés et plus difficiles a concilier
entr'eux et avec le bien general, il falloit
aussi des moiens beaucoup plus reflechis
et plus compliqués pour les mettre en regle
d'une manière decisive et peremtoire
qui put prevenir les abus.
A cette foule d'inconveniens, de desordres,
de principes de destruction qui auroient en=
trainé la ruine des communautés et de
l'espece humaine entiere, on comprend
<4v> qu'il falloit opposer quelque frein contre=
poids plus efficace que ne l'avoit été jusques
alors l'autorité paternelle, insuffisante sur=
tout lorsqu'il s'agissoit de terminer les diffe=
rens qui s'elevoient entre les familles; on comppris alors qu'il
falloit de toute necessité suppleer a l'influence de la Loi
naturelle, de la Loi d'opinion et d'usage,
freins aussi peu capables efficaces que le precedent
pour réprimer les injustices et maintenir
le bon ordre; qu'il falloit pour cet effet qu'enfin rien ne seroit plus
recourir a expedient pour qu'il que l'autorité d'une Legislation
expresse et positive, bien calculée sur les
vrais interets de l'homme social, qui, sans
detruire chès lui l'idée et le sentiment de
sa liberté et de son egalité originaire,
put le determiner efficacement, par
les motifs même de sa propre societé et
de son bien etre, a concourir au bien
general de toute la communauté; une
Legislation qui, tirant le meilleur parti
1 mot biffure des talens et des forces de tous les
individus par le moien d'une 1 mot biffure1 mot biffure bien
ordonné de les 1 mot biffure
et de leurs, etablissant
entre tous une heureuse correspondance
de travaux et de secours, pourvut a
une multitude de besoin qui demandent
un concert de vües et d'efforts et produisent
ainsi l'ordre et l'harmonie la ou sans
cela, il n'y auroit eu que trouble et que
confusion. Enfin On conçut même l'idée
d'une societé qui serviroit a corriger jus=
ques aux inconveniens qu'avoit presques aupara=
vant alors introduit l'inegalité des fortunes
et des conditions, en y opposant une sorte
d'egalité politique qui soumet touses
les individus, sans distinction a une seule et même Loi, une
seule et même autorité
  destinée a main=
tenir et soutenir cette Loi, 1 mot biffure qui a dou naitroient
cet avantage fondamental en associa encor
plusieurs autres
une foule davantages qui leur rendroient a tous
l'etat social et civil plus cher et plus precieux
que l'etat de nature avec tous ses charmes
seduisans.

<5> NECESSITE DE LA SUBORDINATION

Pourlors tous les Individus d'une com=
munauté comprirent qu'il etoit de leur
plus grand interet de renoncer a ces char=
mes apparens et trompeurs, et d'en faire
de bon gré le sacrifice pour s'assurer des
d'avantages tout autrement essentiels, la
sureté de leurs personnes de leurs proprié=
tés, la jouissance paisible de leurs droits
naturels et acquis, l'exercice libre et sur
de leur industrie soutenu par des forces
suffisantes pour prevenir les aggressions,
et les proteger contre la violence et l'injus=
tice.
L'experience et la reflexion leur avoient
suffisamment appris a chacun d'eux qu'il n'y auroit
pour eux ni liberté, ni sureté ni repos,
si tous les autres Individus conservoient
une liberté illimitée, et qu'ainsi le plus
expedient seroit pour eux de renoncer
aussi a l'usage illimité de leur propre
liberté
, pour que tous, sans distinction,
ne conservassent de cette liberté primitive
qu'un exercice renfermé dans les
mêmes bornes, restraint par la même
Loi, quoique toujours suffisant pour
deploier leur activité et leurs forces
autant qu'il seroit necessaire a
en vue de leur veritable bonheur de.
De tout cela ils conclurent qu'ils ne pouroient
jamais faire un usage de cette liberté plus
raisonnable, plus sage et plus prudent,
qu'en se reunissant tout de concert pour
en restraindre l'exercice par de nouveaux
liens de dependance par rapport a certaines
Loix positives
, clairement exprimées et
assorties a l'ordre social, auxquelles tous
fussent egalement obligés de se conformer
et par rapport a l'autorité confiée a cer=
taines personnes pour agir au nom de
<5v> tous, et qui soutenues des forces de tous, pus=
sent deploier un pouvoir assès efficace pour
tenir main a l'observation des Loix, en pre=
venir la violation ou la punir, en faire l'ap=
plication aux divers cas de conflict pour
les terminer, enfin pour assurer le repos
de tous par une sage disposition de leurs forces
reunies, ou contre les perturbateurs du dedans,
ou contre les ennemis du dehors.
C'est ainsi que les hommes de l'etat de nature
passerent passerent a l'etat civil, ou se for=
merent en societé civile reguliere, suivant
un plan de Legislation et de gouvernement
etabli pour soumettre les volontés particu=
lieres a la volonté generale, l'interet privé
a l'ordre public, pourvoir efficacement a
la sureté, la liberté de proprieté, et la
prosperite de tous. Institution admirable!
qui seule a pu donner aux hommes du
repos, du loisir pour devellopper leurs fa=
cultés et leur industrie, qui seule a pu
faire fleurir 1 mot biffure la culture. l'industrie,
les arts, le commerce, les sciences, sous
la protection puissante du gouvernement
et des Loix.

AVANTAGES INESTIMABLES DE L'ETAT
CIVIL OU DE LA SOCIETE CIVILE.

Si l'on veut apprecier les avantages qui
sont revenus a l'espece humaine de l'etablis=
sement des societes civiles regulieres, on
n'a qu'a comparer le spectacle qu'elles nous
offrent avec celui que nous presentent les
hordes sauvages. Insensé qui a dit que
les arts, les sciences, la civilisation n'ont
fait des progrès parmi les hommes que pour
les rendre plus mechans et plus malheureux.
Sans doute que la ou regnent le Luxe, l'am=
bition, la cupidité, ou toutes les superfluités
sont devenues des besoins, il doit s'elever
très frequemment des conflicts d'interets et
de vues, qui produisent des rivalités, des
<6> jalousies, des menées sourdes pour se tra=
verser reciproquement et se supplanter; mais
en echange, on a aussi plus de moiens promts et
faciles pour arranger les differens et pour mettre
fin aux disputes, et celles ci une fois ter=
minées, les passions se calment, on remet
l'epée dans le foureau, a la guerre la paix succe=
de a la paix et guerre, la bienveillance succede a la
mesintelligence, parce que celle ci ne sau=
roit enfanter que des chagrins et empecher
même l'Individu d'exercer ses facultés au
profit de la societé et au sien propre.
Mais chès les peuplades qui ignorent les
institutions civiles, au deffaut d'interets
reels, tous les riens, toutes les bagatelles, tous les plus
legers pretextes, enflamment la haine,
la colere, la vengeance des particuliers, et
les entrainent aux atrocités les plus revoltan=
tes. La on s'acharne les uns contre les au=
tres comme des bêtes feroces, et parce qu'on
ne peut attaquer son adversaire dans sa
reputation, son credit, ses proprietés, qui
sont presque nulles, on l'attaque dans sa
personne, dans sa vie dans ses membres,
dans sa vie; on n'epargne aucune des
cruautés que l'imagination peut enfan=
ter, et l'espece humaine offre le spectacle
le plus affreux dans l'homme, qu'on croit
etre, mais qui dans le fond n'est plus, l'hom=
me de la nature, puisque c'est l'homme
deja perverti, et qui n'a pu trouver de
frein a sa mechanceté dans les liens
d'une societé imparfaite, comme il au=
roit pu en trouver dans ceux d'une
societé reguliere et d'un gouvernement
bien etabli, sans lequel aucune societé
ne sauroit deploier de salutaire efficace.
Je conviens bien que si les hommes etoient tous
raisonnables, bons, prets a sacrifier leur
interet particulier au bien public, on pour=
roit <6v> concevoir une societé bien reglée sans
aucun gouvernement, et même sans aucune
Loi civile. Mais de les prendre tels qu'ils sont
l'idée d'une telle societé ne peut leur etre ap=
pliquée que comme une belle chimere. La
violence de leurs appetits et de leurs passions
qui leur fait tout rapporter a l'amour propre
personel. la foiblesse leur peu d'attention a
la voix de la raison qui chercheroit a leur
rappeler au devoir social, et aux sacrifices
1 ligne biffure
tout nous montre qu'il ne sauroit exister
de veritable societé reguliere bien reglée sans des Loix expresses
et un gouvernement qui veille a leur exe=
cution.
D'autres considerations non moins fortes
doivent nous faire sentir les avantages ines=
timables de l'etat civil. Dès les temps les
plus anciens, on vit s'élever des guerres de
nation a nation
. on dut comprendre
bientot qu'une guerre ne pouvoit etre con=
duite avec succès, qu'autant que la nation
feroit d'avance ses dispositions pour la def=
fense ou l'attaque, ses preparatifs d'armes
et de provisions, que le cas echeant elle
pourroit comter sur le courage et la bonne
discipline de ses troupes; qu'enfin elle pour
se verroit en etat de pourvoir a tout le neces=
saire, lorsqu'il sagiroit de marcher a l'en=
nemi, pour le combattre, le vaincre et par
1 mot biffure par la de la victoire pour la assurer son
propre repos et sa prospérité. On ne put ignorer
longtemps que pour avoir la paix au dehors,
il falloit toujours etre en etat de deploier des forces assès
imposantes pour se faire respecter des autres
nations, et assès vigoureuses pour repousser
efficacement les leurs attaques. et faire la Loi
a l'ennemi.
Tout cela dut necessairement
faire sentir la necessité d'une autorité su=
perieure permanente, qui, chargée de veiller
<7> a la sureté commune, put sans cesse s'oc=
cuper de cet objet important, et prendre
des mesures pour n'etre jamais surprise au
depourvu; qui apportat a cette occupation
le plus sage calcul pour tirer le parti le plus
avantageux de toutes les forces reunies en
les dirigeant chacune ou le besoin et les cir=
constances pourroient l'exiger; qui enfin
s'etudiat a en procurer le develloppement
sur un plan d'operations bien concerté pour
en assurer l'effet et avec toute la celerité ne=
cessaire dans l'occasion pour compenser
la superiorité de forces d'un ennemi redou=
table, mais trop confiant en ses ressources.
A cet egard il 1 mot biffure ne fut pas difficile
de se convaincre de la necessité d'une societé
civile reguliere , en qui seule peut se trouver
une telle autorité, et combien plus de
sureté on pourroit se promettre d'une telle
institution, qu'on ne puit en esperer chès des
nations barbares non civilisees peuplades qui sont en usage
de ne s'occuper de la deffense que lorsque
l'ennemi est en presence, et de confier la
conduite d'une nation armée, mais sans
discipline, a des chefs choisis au moment
qui nont ni preponderance de merite 1 mot biffure et depourvus de cette
1 mot biffure ni autorité supreme , sans
laquelle les ordres ne sauroient etre respectés
et promtement executés.
Dès les premiers temps, le besoin, l'attrait,
l'inclination sociale, avoient deja reunis
les familles en communautés, et ils les hommes avoient
deja connu par experience que leur bien=
etre particulier etoit etroitement lié avec le
bien general. De La moindre reflexion
pouvoit leur faire comprendre encor qu'une
forme sociale reguliere soutenue de l'au=
torité devroit naturellement produire une
direction bien mieux entendue et plus efficace
de toutes leurs facultés, leurs forces, leur
<7v> leur activite vers le bonheur public com=
me vers un centre commun d'ou tous
les raions bienfaisans devoient se refle=
chir sur les individus placés dans la
sphere de son influence.
Il n'etoit pas moins connu par l'experience
que les facultés et les forces des particuliers
ni sont ni les mêmes, ni egales, mais plutot
très diversifiées dans leur genre et leur degré
et que pour produire les meilleurs effets, elles
doivent etre exercées differemment, et ap=
pliquées a divers objets; de plus, que la
plupart des hommes ne connoissent pas
même leurs talens, ni a quoi ils seroient
particulierement propres, tandis que d'au=
tres, par paresse, par depravation, n'ont
pas même le desir de faire valoir au pro=
fit de la societé les dons que la nature leur
avoit departi pour l'utilité commune.
Quelle consequence plus frappante que
celle qui devoit naitre de ces observations
par rapport a la necessité d'une autorité
superieure destinée a diriger et appliquer
les talens et les forces des Individus de la
maniere la plus propre a remplir l'objet
et le voeu de l'union sociale?
Des hommes enfin qui ne connoissoient
encor d'autre genre de subordination d'au=
torité que celle des l'autorité bienfaisante
et avantageuse des Parens, ou des personnes
distinguées respectables par leur age et
leur experience, distinguées par leur merite
et leur zele pour le bien public, durent na=
turellement se flatter, qu'en introduisant
dans la societe une forme de gouverne=
ment regulier, ils retrouveroient encor de
nouveaux Peres, de nouveaux protec=
teurs, de nouveaux guides instruits, ex=
perimentés, bienfaisans, qui deja ne dis=
poseroient de leur autorité que pour
<8> diriger les forces reunies de tous vers
le plus grand bien, et les faire servir le
plus efficacement, par leur vigilance
et leurs soins paternels a la sureté commune
au dedans et au dehors, et a la plus
grande prosperité publique. Que fal=
loit il de plus pour les encourager a
renoncer a l'etat de nature, pour et lui
substituer l'etat civil.

DANS LES TEMPS ANCIENS IL Y EUT
DES SOCIETES REGULIERES.

Quelques aient été les causes naturelles
qui ont amené peu a peu les institutions
sociales regulieres il eut conduit civiles chès les
diverses nations, a mesure qu'elles ont
fait des progrès vers la civilisation, il
est neammoins certain que dès les temps
les plus anciens, il y eut des societes regu
=
lieres. Dans les contrées d'Orient, ou
les peuples furent de tout temps occupés
a la bergerie, la culture, rassemblés même
dans des Villes, qui formoient par leur
reunion des Etats , soumis a des Rois,
il y eut de très bonne heure, et du temps
meme des Patriarches, des Loix et un
gouvernement civil.

MAIS NON DE GRANDS ETATS.

Mais ces societes civiles n'etoient pas
de grands Etats
: Dans ces temps anciens,
la population ne pouvoit etre encor bien gran=
de: il y avoit une immensité de terres in=
cultes: la plupart des familles preferoient
la vie pastorale et errante: les cultivateurs
n'occupoient n'occupoient que des petites
portions de terrain, et la les societes familles can=
tonnées formoient des societés regulieres
sous la forme 1 mot biffure et de petits etats, tandis que
les familles errantes se repandoient sur
les vastes paturages qui separoient les
terrins cultivés.
<8v> Ainsi ces premiers etats reguliers ne fu=
rent que des collections peu nombreuses de
familles toutes occupées des soins de leur
etablissement, d'ailleurs trop voisines de
la simplicité primitive trop éloignés de
la passion des conquetes
, trop peu opulen=
tes, pour entreprendre des expeditions en
vue de leur aggrandissement; d'ailleurs pas assès
asservies aux volontés de leurs chefs
pour se preter aux projets ambitieux
que ceux ci auroient pu concevoir: en=
fin trop eloignées les unes des autres et
separées par trop d'obstacles, pour penser
a etendre leur domination par des con=
quetes qui leur auroient été beaucoup
plus funestes qu'utiles. Bien loin qu'on
pensa a former des grands etats, lors=
qu'une nation 5 mots biffures
se trouvoit trop nombreuse, elle se divisoit
en autant de communautés et sous au=
tant de chefs, qu'elle pouvoit occuper de
contrées differentes. Survenoit il entre
les communautés quelque different, l'une
fondoit sur l'autre avec impetuosité pour
lui faire tout le mal qu'elle pouvoit: mais
elle ne pensoit pas a la retenir sous sa do=
mination, et elle n'auroit pas même pu
la retenir faute de forces suffisantes.
Les grands Etats n'ont pu se former qu'a=
près bien des changemens survenus a la
face des affaires humaines, et entr'autres
dans les deux cas suivans; 1o lorsque plu=
sieurs contrées voisines et d'une communi=
cation aisée, auront été habitées par des
peuples cultivateurs, dont l'un aura pu
usurper la domination sur l'autre, ou qui
se seront reunis en corps de nation pour
leur interet commun. 2o lorsque parmi
les peuples errans, il se sera elevé des con=
querans dont les circonstances auront
favorisé les plans ambitieux; car dans
ce cas, les societés regulieres, pour n'etre
<9> pas entierement exterminées, se seront sou=
mises au joug du vainqueur qui par la
aussi aggrandi ses etats.
On trouve la confrimation de cela dans la
relation que Moyse nous donne de cinq
Rois de la plaine
. Chefs chacun d'une ville
et de son territoire, qui entrerent en guerre
contre quatre Rois de l'Asie, lesquels, mal=
gré leur reunion, furent battus par Abra=
ham et ses Domestiques, en tout 318 per=
sonnes. Il falloit sans doute que ces Etats
fussent bien petits, et Moyse le suppose, en
disant qu'ils etoient separés par de grands
paturages, abandonnés au premier occu=
pant, aux etrangers même qui y ar=
rivoient avec leurs troupeaux. Nous
en trouvons une autre preuve dans la
conduite d'Abimelée Roi de Guerar, lors=
qu'il recherche l'alliance d'Isaac et le traite
d'egal a egal , et une plus
frappante encor dans ce qui est dit de
la quantié de Rois que les Hebreux trou=
verent dans la Palestine, dont Josué
decrit 31 , et Adonibesech
avoit vaincu 62 . Il faut
excepter ici l'Egypte, pays florissant
deja du temps d'Abraham
et surtout au temps de Joseph .
Qu'etoient aussi les premiers Rois de la
Grece? leurs etats se reduisoitent a quelque
petite ville ou bourgade: les villes etoient
meme fort petites: on appelloit certains
Rois puissans uniquement par compa=
raison avec d'autres. Nous retrouvons encor
le même spectacle en Afrique, dans une
partie de l'Asie, en Amerique; de petites
contrées, de petits Etats, separés par
des deserts immenses.

<9v> CHAPITRE II
Des Loix positives, diverses et premiere=
ment des Loix politiques.

LOIX POSITIVES

Les mêmes raisons qui firent sentir aux
hommes la necessité d'une societé civile re=
guliere, leur firent comprendre celle de
certaines Loix determinées et enoncées
avec precision, qu'on a appellé Loix
positives
. Ces Loix devoient etre rendues
publiques, et pour en procurer et consta=
ter la publicité, les premiers Legislateurs
les consignerent en vers, ils mirent ces vers
en chant, et ils obligerent les Parens a les
faire apprendre par coeur a leurs enfans,
qui durent de même les transmettre a
leurs descendans. Tel fut l'usage des an=
ciens Grecs, des Hyberiens, des Germains
&c. A ce moien on joignit la gravure
sur la pierre et les metaux, l'ecriture,
les monumens &c.

LOIX POSITIVES DIVERSES.

Il dut y avoir necessairement diverses
Loix positives
; des Loix politiques  pour
regler la forme du gouvernement ou
la combinaison des pouvoirs; des Loix
reprimantes ou peinales pour reprimer
les desordres, les attentats contre l'ordre
public, et punir les divers crimes com=
mis par des malfaiteurs; des Loix de
police, pour arreter le mal dans son prin=
cipe, par des moïens qui peuvent prevenir
les abus, et la corruption des moeurs; des
Loix religieuses pour prescrire tout ce
qui appartient au culte divin, et
qui sert a maintenir l'efficace de la
religion publique: enfin des Loix civiles
pour assurer a chacun ses Droits, regler
ce que les citoïens doivent a l'Etat, et ce
qu'ils se doivent les uns aux autres, et termi=
ner les differens qui peuvent s'elever a cet
egard.

<10> LE SOUVERAIN POUVOIR.

Il a pu exister des societés imparfaites sans
autre subordination que celle qui pouvoit
resulter de la superiorité des uns a l'egard
des autres en fait de talens, de courage,
de merite &c. Mais aucune n'a pu se for=
mer en societé reguliere, sans etablir une
subordination  des membres par rapport
a une autorité, egalement respectable pour
tous, et appellée souveraine , ou le sou=
verain pouvoir. Car quel autre moien
auroit pu donner a cette societe de la con=
sistence, pourvoir efficacement a l'obser=
vation des Loix, maintenir le bon ordre,
reprimer même les pretensions et les abus
qui pouvoient naitre de l'inegalité de me=
rite et de fortune?

IL REUNIT LE POUVOIR LEGISLATIF
ET EXECUTIF. LE GOUVERNEMENT.

La fin de toute societé reguliere exige
que la puissance souveraine s'exerce soit
pour etablir les Loix, soit pour en procurer
l'execution. Ainsi elle comprend sous elle
le pouvoir legislatif, et le pouvoir execu=
tif qui s'occupe a veiller a l'observation
des Loix, a punir les infracteurs, a termi=
ner les differens, a disposer des forces reu=
nies pour maintenir le bon ordre et la
tranquillité au dedans et au dehors;
ce qui emporte necessairement le pou=
voir de faire la guerre et la paix.
Lexerci Ces pouvoirs constituent la
souveraineté ; leur exercice forme s'appelle le
gouvernement , et de leur combinaison
depend la forme du gouvernement, qui
peut etre differemment determinée chès les
diverses nations, selon leur genre, leurs
besoins et les circonstances.

<10v> LOIX POLITIQUES OU FONDAMENTALES
DE L'ETAT.

Nous ne saurions concevoir que les hom=
mes, lorsqu'ils se sont formés en societé re=
guliere, se soient soumis volontairement
a une autorité quelquonque sans aucune
condition ni reserve, comme pour devenir
les esclaves du gouvernement. Jamais
ils n'ont pu s'assujetir a aucun lien de de=
pendance envers la societé qu'en vüe d'y trou=
ver une protection qui mit a couvert leur
personne, leurs droits, leur liberté, et des
la même, que sous certaines conditions 
ou constitutions qui determinassent une
forme fixe de gouvernement et l'etendue
de l'autorité a laquelle ils vouloient se sou=
mettre. Ces conditions ont du etre clairement
exprimées, solemnellement publiées sous
une forme de Loix: et ces Loix ont été ap=
pellées politiques, parce qu'elles reglent l'u=
sage de l'autorité politique, et Loix fon=
damentales de l'Etat, parce qu'elles servent
de baze au gouvernement. 

MONARCHIE. REPUBLIQUE.

Toutes les formes peuvent se reduire a deux;
la Monarchie  ou les pouvoirs de la Souveraineté peuvent
etre sont reunis en une seule personne placée
a la tête de plusieurs dignités qui lui
sont subordonnées: dans ce cas l'Etat est
appelé Monarchie. Ils ne 1 mot biffure aussi la Republique  ou ces pouvoirs
et sont exercés par le concours de tous les
membres de la societé, ou par un certain
nombre d'Individus entre lesquels ils sont
repartis. Dans ce cas l'Etat est appelé
Republique

<11> MONARCHIE ABSOLUE
DESPOTISME. DEMOCRATIE PURE

Quand le monarque peut disposer de
toutes les forces de l'Etat en maitre absolu,

la Monarchie se nomme absolue si le
Les deux extremes
sont la Monarchie
absolue
et la De=
mocratie pure.
La Monarchie est
absolue  quand
le monarque
seul peut dispo=
ser de toutes les
forces sans que
les
etre gené par aucune Loi
fondamentale
de l'Etat, soit vio=
lee mais si le
 
pouvoir supreme y est acquis et maintenu
uniquement par la force et exercé arbitrai=
rement, le monarque devient alors despote ,
et son gouvernement abusif s'appelle des=
potique.
Dans les Republiques ou les citoiens ont
tous une part egale a la souveraineté,
le gouvernement se nomme Democratie 
pure, parce que l'autorité supreme est
toute entiere entre les mains du peuple
ou des chefs de familles, qui exercent cette
autorité dans les assemblees generales.

FORMES INTERMEDIAIRES
GOUVERNEMENS MIXTES.

Dans les Etats ou la souveraineté se par=
tage entre differentes personnes ou diffe=
rens corps separés, ce partage peut se faire
en bien des manieres, et donner lieu a
diverses combinaisons qui forment au=
tant de gouvernemens differens, qui
tiennent, entre la monarchie absolue,
et la democratie pure, un milieu plus
ou moins raproché de l'une ou de l'autre; et sui=
vant cela, on les appelle ou Monarchies
ou Republiques: d'ou resultent ainsi
differentes especes de Monarchies, dif=
ferentes especes de Republiques, et il
est
meme des Etats qu'on peut envisager
comme un melange de monarchie et
<11v> de republique: on les appelle a cause
de cela gouvernemens mixtes, et c'est
la ou les pouvoirs doivent etre surtout
balancés pour se faire equilibre l'un
a l'autre, crainte qu'il ne s'eleve quelque
puissance preponderante qui en al=
tere la constitution.
Ainsi dans un Etat le pouvoir legislatif
peut demeurer au peuple, pendant qu'on
assure au monarque le pouvoir execu=
tif: et pour lors, le monarque contient
la puissance du peuple, comme le peu=
ple contient celle du monarque, par ce
qu'il ne souffre pas que celui ci attaque
sa legislation. &c.
Une telle constitution est sans doute preferable a
la Monarchie absolue qui conduit na=
turellement au despotisme et a la Demo=
cratie pure qui enfante ordinairement souvent
l'anarchie : car a la fin chacun veut etre mai=
tre et refuse d'obeir, d'ou resulte un
desordre public qui ne peut finir que
par une revolution violente.

ARISTOCRATIE. OLIGARCHIE.

Si dans une republique, la souveraine=
té est exercée par un certain nombre de
familles qui se sont appellées par de personnes en vertu des
privileges attachés a leur naissance ou
a leur fortune a l'exclusion des autres fa=
milles. Ce gouvernement s'appelle Aris=
tocratie : quand 3 mots biffures elle vient a se con=
centrer dans un petit nombre de personnes,
comme cela arrive quelque fois par abus,
alors le gouvernement se nomme oligar=
chie . Plus ce nombre est petit, plus le
gouvernement approche de la Monarchie, plus il
est grand, plus il tient de la Democratie.
<12> Il est aussi des gouvernemens ou le pouvoir
souverain est partagé entre le monarque
les Grands et le peuple, et qui tiennent de
la Monarchie, de l'Aristocratie et de la Demo=
cratie . On a toujours regardé cette forme mixte,
lorsque les pouvoirs sont bien combinés,
comme celle qui est la plus propre a pre=
venir d'une part la tyrannie , et de l'autre
l'anarchie. 

CE QUE DEMANDE LE PLUS GRAND BIEN
D'UN ETAT

Qu'est ce que demande le plus grand bien
d'un Etat. 1o Que le pouvoir Legislatif de=
pende du plus grand nombre de volontés
que la forme du gouvernement peut per=
mettre: Car quand il est entre les mains
d'un seul homme, ou d'un corps particu=
lier, le gouvernement doit naturellement
avoir plus de pente au despotisme, sur=
tout si au pouvoir Legislatif se trou=
ve joint la force militaire.
2o Que le pouvoir executif soit le moins
divisé ou reparti qu'il est possible, car
plus le nombre des particuliers ou des corps
qui l'exercent est grand, plus il survient
des conflicts d'autorité et d'agitation civi=
les

ne soit ni trop
divisé
, pour eviter
autant qu'il se peut
les conflicts d'au=
torité ni trop con=
centré, pour eviter
les entreprises et
les usurpations
sur le pouvoir
Legislatif.
 
3o Qu'il y ait dans l'Etat une balance qui
contienne chaque pouvoir dans de justes
bornes
: sans quoi le gouvernement tend
aussi naturellement au despotisme. Ain=
si par ex: si le Prince commande en
Maitre absolu une nombreuse armée,
il n'est que trop aisement tenté de se pre=
valoir de celle ci pour asservir ses sujets;
<12v> et de la peut naitre encor la revolution la
plus fatale a la nation: car la milice
voiant que le Prince ne peut plus comter
que sur elle, elle devient naturellement
insolente, et s'empare de l'autorité, pour
commander au Prince et a ses Ministres,
d'ou naissent les plus grands malheurs.
4o Il est enfin essentiel que le souverain
n'ait jamais de volonté arbitraire
, que
ses Loix soient toujours fondées en raison,
et qu'il se respecte lui même: Car alors
il est impossible que les sujets ne le respec=
tent aussi: alors tous obeissent sans vio=
lence, et en même temps tous jouissent
de la liberté, puisqu'on est toujours libre
lors qu'on n'est point forcé a faire ce
qu'on ne veut pas, et que tout ce qu'on
fait on le fait de bon gré.

QU'APPELLE T'ON GOUVERNEMENT
LIBRE?

La liberté dans un Etat ne consiste pas
en effet dans le pouvoir de faire tout ce
qu'on peut vouloir: ce pouvoir seroit
une licence , et la ou la licence regne,
il n'y a point de liberté, car la licence
de tous seroit la plus grande gêne pos=
sible pour la liberté individuelle de chacun.
Un gouvernement libre n'est donc pas
celui ou l'on peut faire tout ce qu'on
veut, mais celui ou il n'est permis a per=
sonne d'abuser de sa liberté pour atta=
quer celle d'autrui, ou la force n'est em=
ploiée que pour reprimer la licence, ou
les citoiens, a couvert des coups de l'au=
torité arbitraire, n'ont rien a craindre
pendant qu'ils respectent des Loix que
le souverain respecte lui même.
<13> Cependant quelque despotique que soit
un gouvernement, il y a toujours quelque
liberté. Le despotisme le plus grand est tou=
jours limité par l'impuissance ou il
est de s'exercer egalement sur tous ensem=
ble. Le Despote ne connoit aucune Loi
fondamentale d'Etat: sa volonté est la
Loi supreme: neammoins il est forcé en=
cor a se faire a lui même des regles ou
de s'assujetir a celles que lui prescrit l'opi=
nion publique. ll n'a qu'a commander
pour etre obei: mais il a tout a craindre
de ceux qu'il frappe de ses coups: il a a
se deffier de tous ceux qui l'approchent
et même de la garde qui veille pour lui.
Son pouvoir est sans bornes, mais il
n'ose l'exercer selon toute son etendue,
les chaines sont pour ceux qu'il re=
doute, les grands: le peuple et les
petits demeurent libres, jusques a un
un certain point, dans leur avilisse=
ment.
Au contraire, dans les pays qui paroissent
les plus libres,
la liberté n'est jamais par=
faite. On a beau diviser la souveraine=
té entre differens corps, opposer la force
des uns a celle des autres cherch etablir
une balance pour empecher que aucun des
pouvoirs ne devienne preponderant,
jamais on ne peut arriver a cet equili=
bre parfait ou les forces opposées se
contiennent exactement l'une l'autre, et
quand on le pourroit pour le moment,
Cet equilibre ne sauroit jamais subsis=
ter bien longtemps, parce que chaque
force par sa nature, tend toujours a
croitre ou decroitre, et même alterna=
tivement. Or si tot qu'un pouvoir devient
preponderant, il est comme necessaire
<13v> qu'il s'en prevale pour etendre son auto=
rité, et cela seul diminue d'autant la
liberté du gouvernement, puisque ou
les uns ou les autres sont genés dans
leur liberté par la preponderance des
plus forts.
le gouvernement le plus libre devoit etre
le mixte dont nous avons parlé. La
licence du peuple a un frein dans les
Loix que le monarque de concert avec
le Senat  lui font respecter: l'esprit de
despotisme du monarque y est reprimé
par l'autorité des Grands, comme l'ambi=
tion des Grands l'est par l'autorité du
Monarque. Le concert des uns et des
autres pour exercer le despotisme, trouve
un obstacle invincible dans la resistance
du peuple, qui ne veut se soumettre
qu'aux Loix, et qui force le monarque
et les Grands a les respecter eux mêmes.
Mais l'experience prouve que les divers
pouvoirs s'efforcent toujours d'obtenir
la preponderance. Le monarque cherche
a restreindre l'autorité du Senat et du
peuple; ceux ci travaillent a limiter celle
du monarque; le peuple lutte tantot
contre le monarque, tantot contre le Senat,
le senat contre les deux autres, et le
plus souvent, après des balancemens al=
ternatifs, l'un des pouvoirs l'emporte,
et fait pencher le gouvernement ou
du côté de la Monarchie, ou du côté de
la Democratie.

CAUSES DIVERSES QUI MODIFIENT
LES GOUVERNEMENS

Quelquun a dit que les formes du gou=
vernement sont essentiellement partout
les mêmes, et qu'elles ne varient d'un Etat a
l'autre, qu'en raison du caractere de ceux
<14> qui exercent l'administration. Cela pour=
roit etre vrai des gouvernemens despotiques
ou tout se repend du même Esprit; mais
cela est faux de ceux dont le gouverne=
ment est reglé par des Loix fondamen=
tales dont l'administration doit toujours
suivre l'impulsion. Il y a ici une diver=
sité très sensible entre les formes, qui recoi=
vent chacune un grand nombre de diver=
ses modifications de la situation locale de la
nation, de l'etendue de son territoire, de la
masse de sa population, de son genie ou carac=
tere 1 mot biffure, de l'influence des opinions,
du genre d'occupations et de moeurs qui
regnent chès cette nation, de ses relations
exterieures avec les nations qui l'environnent,
de la vicissitude des evenemens qui peuvent
agir sur l'organisation du corps politi=
que qui la gouverne.
Il est aussi très peu de contrées ou la forme
du gouvernement n'est changé successi=
vement avec les circonstances et la situa=
tion des peuples qui les ont habitées, ou
avec les revolutions qui y sont survenues
par rapport aux relations exterieures, aux
lumieres, a l'industrie, au commerce, sur=
tout aux moeurs qui ont une si grande
influence sur les Loix politiques et sur la com=
binaison des pouvoirs.
on peut même dire qu'il y a une sorte de
cercle de liberté et de servitude, d'elevation
et de decadence, de prosperité et de malheur,
dont les peuples qui ont habité chaque
contrée, ont parcouru successivement les
divers points, a la suite des revolutions.

CAUSES DE LEUR RUINE.

Tout gouvernement a son commancement,
ses progrés et sôn moment de perfection,
lorsqu'il a été bien conceu et bien combi=
a son origine: il a de même son
<14v> commancement, ses progres et son moment
d'extreme corruption, lorsque sa premiere
institution a été vicieuse.
Alors il perit par l'impatience des sujets
qui, las de porter le joug du despotisme
parviennent enfin a le briser, et tombent
dans l'anarchie, ou par l'imprudence et la
foiblesse du souverain, incapable de
deffendre l'Etat contre des peuples avi=
des de conquetes qui fondent sur lui
et l'envahissent. C'est alors qu'il retombe
souvent dans un Etat pire que la barbarie: les
Loix du peuple conquerant luttent con=
tre celles du peuple conquis, les usages
de l'un contre les usages de l'autre, ses
moeurs contre ses moeurs, sa religion
contre sa religion: les langues même
des deux peuples se confondent, et
enfantent quelque fois un idiome monstrueux.
Le melange des deux peuples produit un
cahox qui ne peut se debrouiller qu'a
la longue et difficillement.
C'est par de telles revolutions que les
gouvernemens declinent et arrivent
a leur destinée finale.

<15> CHAPITRE III
Idees sur l'introduction des diverses
formes de gouvernement.

LE PLUS ANCIEN GOUVERNEMENT A ETE LA MONARCHIE.

On croit communement que la forme
Monarchique
a été introduite la pre=
miere, comme etant la plus simple, celle
qui demande le moins de combinaisons,
qui convenoit le mieux aux besoins
et aux moeurs des premiers peuples, celle
enfin qui avoit le plus d'analogie avec
le pouvoir paternel qui fut ancienne=
ment un pouvoir supreme: cette
souveraineté naturelle a pu etre le
premier modele de toute institution,
et le plus aisé a saisir dans un temps
ou les hommes etoient encor trop peu
experimentés pour tracer le plan d'une
constitution un peu compliquée dans
ses parties et dans ses ressorts.

QUI A PU S'INTRODUIRE TOUT NATU=
RELLEMENT.

Une peuplade aiant a se deffendre con=
tre les betes feroces, ou contre des peupla=
des ennemies, ou a Contenir dans son
sein des hommes turbulens et injustes,
aura très naturellement jetté les yeux sur
quelque particulier distingué par son cou=
rage et sa prudence, pour s'en faire un
conducteur, un chef, appellé a marcher a
la tête de tous pour diriger leurs opera=
tions, et faire servir efficacement leurs
forces reunies a la deffense commune
et au maintien de la tranquillité publique.
Cela se sera fait originairement sans
convention, sans reflexion aux consequen=
ces, et le chef n'aura pas même pensé a
devenir maitre des autres, ni ceux ci pre=
vu qu'ils pouroient devenir ses sujets..
<15v> L'autorité dont il aura été revetu aura
été l'effet momentané de l'ascendant que
lui donnoient ses qualités personnelles dans
la crise actuelle; mais Cette crise une fois
passée, est un tel ascendant borné a un effet pas=
sager, n'aura produit ni prerogative ni pou=
voir permanent: c'est ce qui se voit encor
parmi les hordes sauvages.
Mais les effets de l'ascendant venant a se
reiterer par de nouvelles crises, le même
particulier se trouvant toujours au pre=
mier signal de danger, a la tete de tous,
on se sera peu a peu fait une habitude
de se soumettre aux impulsions de sa volonté
et cette soumission passée en coutume lui
aura finalement donné sur les autres une
autorité habituelle soutenue qu'on aura regardé
comme legitime une sorte de domination 
acquise sans resistance d'un coté, et de l'au=
tre sans ambition, uniquement par
une suite des circonstances qui d'un chef
en auront fait tout naturellement un Mo=
narque. Ainsi le gouvernement d'un
seul
a pu s'introduire dans l'origine sans
violence, s'affermir par l'habitude et recevoir
de l'usage une consistence solide et perma=
nente. Peut etre que dans les temps anciens
on n'imagine pas qu'il put y avoir d'autres
formes de gouvernement, et il semble en
effet que lorsque les premieres peuplades
cantonées furent exposées aux 1 mot biffure
subites des peuplades errantes, elles ne pou
=
voient gueres prendre d'autre parti que
de se ranger sous les ordres d'un chef pour
les conduire contre l'ennemi.

IL POURROIT CEPENDANT Y AVOIR EU
ANCIENNEMENT D'AUTRES FORMES.

Cependant s'il s'étoit trouvé dans une societé
plusieurs personnes egalement distinguées
par leur capacité ou par des services rendus,
qui leur auroient valu a tous le même degré
de confiance, rien, ce semble, n'auroit pu em=
pecher <16> de les reunir en un seul corps pour
etre placé a la tête de la societé, la conduire
et la gouverner. Ainsi parmi les hordes
sauvages, les vieillards dirigent les af=
faires publiques, sans autre titre pour
cela que l'autorité naturelle que leur don=
nent l'age et l'experience: la aussi le com=
mandement militaire est attribué a
ceux qui ont fait leurs preuves de valeur.
Il en aura pu être de même de plusieurs
peuplades: Un Senat aura été placé
naturellement a leur tête, et sera peu
a peu devenu une sorte d'Aristocratie.
Dans les societés ou le merite se sera trou=
vé plus generalement repandu parmi tous les mem=
bres, Ceux ci auront pu se reserver en com=
mun l'administration supreme, le pou=
voir legislatif, celui de se choisir un Senat
pour exercer en leur nom le pouvoir exe=
cutif avec charge de leur en rendre comte.
Telle fut la premiere forme chès les Grecs
et celle de Rome naissante, dont le pre=
mier Roi ne fut que le premier membre
du Senat, comme le Senat n'etoit que le depositaire
de la majesté du peuple.

LES PREMIERES MONARCHIES NE
FURENT POINT ABSOLUES.

Dans les societés errantes, le chef ne
fut d'abord que le premier entre ses egaux;
il en fut de même a la naissance des soci=
etés regulieres: ceux qui les formerent
etoient des associés volontaires qui ne
firent rien sans etre dirigés par le senti=
ment de leur liberté et de leur egalité na=
turelles. Leur premiere intention fut
de se donner un chef pour les conduire,
et non un Maitre pour les asservir; le
pouvoir commis a celui ci n'etoit qu'un
<16v> depot dont il etoit censé comtable envers
la communauté. Jamais les Peres de fam=
mille ne penserent a se depouiller de toute
influence sur l'ordre public. Le Chef put
etre declaré General, Juge, mainteneur
des Loix
&c. mais son pouvoir fut toujours
determinés par quelque Loi expresse, ou
limité tacitement par la fin de son ins=
titution, par des usages, des coutumes, qu'il
n'eut pu violer sans danger.

MAIS LIMITEES PAR DES ASSEMBLEES
NATIONALES.

Ainsi les chefs de famille retinrent tou=
jours une autorité que le chef de la nation
etoit forcé de respecter. chès les anciens
peuples d'Orient  chès les
Egyptiens, les Grecs, chès les Scythes, les
Germains, les Francs, les Monarques ne
pouvoient rien faire d'important sans l'a=
voir soumis a la deliberation des assemblées
generales de la nation
, et en temps de guerre,
des camps entiers sous les armes. Le Mo=
narque devoit rendre la justice, marcher
a la tête des armées &c. mais aucune Loi
ne pouvoit prendre vigueur sans avoir
reçu sa sanction du corps entier de la na=
tion solemnellement convoqué a une
assemblée, ou se rendoient tous les chefs
de famille qui se faisoient accompagner de leurs en=
fans adultes, et même de leurs domesti=
ques pour rendre l'appareil plus imposant
et faire d'autant plus respecter leurs suf=
frages.
L'usage de ces assemblées nationales chès
les societés civiles date de leur premiere
origine. comme les peuplades errantes ne
s'etoient jamais ecarté de l'usage de deliberer
sur tous les objets importans dans des as=
semblées generales, rien ne fut plus natu=
rel, lorsqu'elles vinrent a se cantonner,
<17> que de conserver cet usage, lors des qu'il s'agissoit
de prendre un parti auquel tous avoient
le même interet. L'histoire prouve que
leur Roi n'etoit que le chef des assemblées,
et que toutes les affaires importantes se deci=
doient a la pluralité des suffrages.
Il y eut même un temps ou les femmes
furent appellées a deliberer: Cela s'est
vu chès les Grecs, les Germains, les Gaulois.
Aujourd'hui encor chès les Hurons dans
la nouvelle France, la succession a la dignité
principale se regle par les Meres et et les fem=
mes ont eu peuplé le 1 mot biffure ont la premiere place
deliberent les premieres dans les assem=
blées. Mais ce n'est pas
sans raison que
les Etats policés
ont rejetté cet
usage.
 

LES PREMIERES SOCIETES CIVILES FOR=
MEES SUR LE MODELE DES ANCIENNES
COMMUNAUTES IMPARFAITES

Les plus anciennes societés civiles n'ont
gueres pu se former autrement qu'en sui=
vant l'impulsion donnée par la nature, et
d'anciens usages adoptés chès les nations
non encor civilisées, telles que les hordes
errantes. Chès celles ci, le Chef ne fut ja=
mais un monarque absolu; les principaux
de la peuplade n'auroient point obei a ses or=
dres, s'il n'en eut soumis les raisons a leur
examen: forcé de consulter avec eux, ils
devenoient naturellement son conseil;
c'etoit des la même un Senat ou assem=
blée d'anciens. Mais ce Senat ne tenoit
son autorité que de la confiance publique
et de l'acquiescement de toute la peuplade
en corps
. Ainsi lors de la transformation
des communautés imparfaites en societés
regulieres, la Souveraineté residat toute
entiere et d'une maniere indivisible, dans
le concours du Roi, du Senat et du peuple:
ce fut la l'impulsion de la nature; l'art poli=
tique du partage de la souveraineté en divers
corps, demeura encor inconnu.
<17v> Ainsi Dans les anciens Royaumes de la
Grece petits et bornés, le gouvernement
fut mixte: les Grands avoient des preroga=
tives, le peuple des assemblées; le Roi n'e=
toit que le Chef. Ce que celui ci avoit a propo=
ser, il devoit le presenter au Senat pour en
etre approuvé; après quoi il etoit rapporté
au peuple qui en decidoit a la pluralité des
voix: il pouvoit rejetter tout ce qu'il croioit
contraire a ses interets: c'etoit meme lui qui decidoit
si le Roi devoit marcher avec ses troupes.

DANS CES PETITS
ETATS LE POU=
VOIR DES ROIS
FUT TRES BOR=
NÉ AINSI QUE
LEURS REVENUS

Les Rois chès les Grecs avoient le pouvoir
d'assembler le peuple, ils opïnoient les pre=
miers: ils etoient chargés d'ecouter les griefs
des particuliers et de juger de leurs differens.
Leurs plus grandes prerogatives etoient
le commandement des troupes en temps de
guerre, et la supreme intendance sur la
Religion: ils presidoient aux sacrifices;
partout le sacerdoce etoit reuni a la
Royauté; et de la vint que dans les repu=
bliques même, d'ou les Rois furent chassés,
celui qui presidoit aux sacrifices fut
toujours appellé Roi comme cela se
vit aussi chès les Romains.
Les revenus de ces anciens Rois consistoient
dans le produit de certaines terres; cependant
dans les cas de necessité, ils pouvoient lever des
subsides, imposer des taxes; ces objets avec
les tributs exigés des vaincus faisoient tou=
tes leurs richesses, qui ne pouvoient etre fort
considerables. Le peu d'etendue de chaque
district et le peu de population, ne permet=
toit gueres aux Rois d'accroitre leur pou=
voir: il se passa même bien du longtemps avant
qu'on soubsconna qu'il pourroit degene=
rer un jour en monarchie absolue. et
qu'on pensa a le circonscrire par des Loix
politiques 1 mot biffure
Ce ne fut que lors=
qu'il s'eleva des conquerans ambitieux
que le pouvoir monarchique s'accrut
<18> et commanca a prendre sa pente na=
turelle vers le despotisme.

DANS LES GRANDS EMPIRES MEME
CE POUVOIR NE FUT PAS D'ABORD SI
GRAND.

Dans les grands Empires qui se for=
merent successivement, la Monarchie
ne devint pas meme d'abord absolue. Les petites
Monarchies conquises dont un grand em=
pire s'etoit formé, avoient chacune leurs
usages qui ne permettoient pas au despo=
tisme de s'y etablir dès aussitot qu'elles
avoient été reduites en provinces. Le
conquerant n'eut pu proscrire d'abord
ce que l'habitude leur rendoit chere &
respectable, pas même leurs assemblées
generales. Sans doute qu'il aura cherché
a attirer a lui les affaires importantes
et que les assemblées generales auront eut
beaucoup moins d'influence; mais elles
n'auront pas laissé de continuer, ou par
deffaut de moiens suffisans pour les a=
bolir, ou parce que la violence qui les au=
roit interdites, n'eut abouti qu'a aigrir les
Esprits des peuples qui ne pouvoient souf=
frir ce qui attaquoit ouvertement des
coutumes anciennes auxquelles ils atta=
choient leur gloire. Un conquerant
sensé aura pris le parti prudent de lais=
ser aux provinces la liberté de se gou=
verner comme auparavant suivant leurs
usages, et content d'en tirer de gros reve=
nus et des services militaires, et pour il aura
le reste abandonnés les choses a leur
train ordinaire, plutot que de se donner
l'embaras d'une reforme dans les
qui eut été difficile, dangereuse, peu
assortie a la position et au caractere des
peuples, sans autre profit que le plaisir
de deploier un pouvoir tyrannique qui
l'eut rendu necessairement odieux.

<18v> AUTRES CAUSES QUI ONT CONCOURU
I. A LE LIMITER.

Plusieurs causes  d'ailleurs ont pu concou=
rir dans les premiers temps a limiter l'au=
torité du Monarque. On ne connut pas
d'abord les impots : Ce que le monarque ti=
roit des anciennes provinces n'etoit que des subsides
ou dons gratuits reglès par le peuple même.
les anciennes provinces Elles etoient traitées
beaucoup plus favorablement que les
nouvelles, qu'elles avoient aidé a conque=
rir. Les guerres avec les nations voisines,
pour s'enrichir de leurs depouilles tour=
noient au profit du peuple vainqueur,
avec qui le conquerant les partageoit,
et cela même le mettoit a l'abri de l'oppres=
sion et des coups du despotisme. L'usage
de la division du peuple en castes, tri=
bus ou classes, dont chacune avoit ses
privileges, ses coutumes, ses Loix, formoit
encor une barriere que le Monarque
n'eut osé franchir sans s'attirer l'indi=
gnation generale. et les tribus jalouses
les unes contre les autres, cherchant d'ordi=
naire a s'entre detruire, ne laissoient pas
de se conserver toutes, parce que l'opinion
publique veilloit a la deffense des plus
foibles contre les plus fortes; le monarque
forcé lui meme a respecter l'opinion,
ne pouvoit avoir d'autorité qu'autant
qu'il menageoit a la fois toutes les tribus,
et qu'il se placoit lui même sous le joug
des prejugés repandus. Enfin l'autorité
du monarque fut toujours fortement
balancée par celle des Tribunaux qui s'at=
tribuoient l'independance dans leur juris=
diction. Chès la plupart des nations, les
Magistrats promettoient, a leur installa=
tion, de ne pas obeir même au Monarque,
en cas qu'il leur ordonna de rendre
un jugement qui ne leur paroitroit
pas juste.

<19> CAUSES QUI ONT CONCOURU A L'E=
TENDRE PEU A PEU.

Plusieurs causes devoient cependant con=
courir naturellement pour etendre peu
a peu la puissance monarchique
,
Telle fut l'habitude de se ploier aux vo=
lontes d'un chef dont l'autorité devoit croi=
tre a mesure qu'on s'accoutumoit a l'obeis=
sance. 2o le penchant que les hommes ont
tous a augmenter leur pouvoir quand
ils en trouvent l'occasion, surtout quand
ceux sur qui il l'exercent n'ont ni le courage
ni la force d'opposer une resistence efficace.
3o La multiplication des conflicts parmi les
hommes, l'efferverscence de leurs passions
toujours croissante, qui les a mis dans une
sorte de necessité de laisser etendre l'autorité
supreme
afin qu'elle put deploier assès
de promtitude et d'efficace pour retablir
l'ordre et assurer la tranquillité: car il
falloit un pouvoir reprimant qui prit
de la vigueur en proportion du besoin
que les hommes avoient d'un frein
pour etre contenus.
Mais une des principales causes a été 4o
la reunion des fonctions du sacerdoce 
a celles de la Royauté. Il sembloit natu=
rel que les Monarques dans les ceremo=
nies religieuses, continuassent d'etre les
Chefs du peuple. Il importoit d'avoir la
dessus quelque chose de determiné, et il
falloit pour cela une autorité capable
de faire respecter ses reglemens. or pour
peu que ces reglemens fussent sages
et agreables au Peuple, ils durent addoucir
ses moeurs, donner de la force aux Loix,
et augmenter l'autorité du Monarque.
Lors même qu'il partagea le sacerdoce
avec un ordre de Citoiens choisis, il demeu=
ra toujours le souverain Pontife, il ne per=
dit rien de son influence sur la Religion
et cette influence continua d'assurer
<19v> et d'etendre de plus en plus son pouvoir
en qualité de Roi.

ORDRE DE SUCCESSION

Ce qui contribua le plus a l'aggrandissement
du pouvoir monarchique, ce fut l'ordre
de succession
. Dans les premiers temps
les elections  des Chefs ne durent avoir qu'un
effet passager et pour le temps de crise; mais
le besoin toujours renaissant fit sentir
la necessité d'un etablissement fixe. On
se soumit au Chef pour toute sa vie et
les mêmes raisons inviterent a lui don=
ner un sucesseur etabli sur le même pied.
On ne s'attacha d'abord a aucune famille,
l'election tomboit toujours sur des person=
nes agées que l'experience avoit meuri.
Mais ces elections par la devenoient trop
frequentes, et elles donnoit lieu donnoient
lieu a des mouvemens et des troubles
presque non interrompus. Pour remedier
a ces abus, on pensa a perpetuer les
elections dans une même famille d'une
generation a l'autre
. On croit même ne
pouvoir mieux temoigner son attache=
ment a un Chef qu'en designant deja de
son vivant son fils pour son successeur
et on crut aussi que des enfans elevés
par le Monarque auroient naturellement
plus de qualités pour regner que ceux
dont l'education n'auroit pas été dirigée
vers ce point de vüe particulier et unique.
Le choix dut naturellement tomber
sur le fils aïné du Monarque, comme
celui que le Pere avoit fait le premier
le depositaire de ses lumieres et de ses vües
pour bien regner. Mais au deffaut de
l'ainé, lorsqu'on le jugeoit peu capable,
on substituoit celui des fils qui prome=
toit le plus de capacité; ce n'etoit qu'au
deffaut des fils qu'on faisoit retomber
l'election hors de la famille.
<20> Cette succession d'une famille au throne
contribua sans doute beaucoup a eten=
dre le pouvoir monarchique. mais cependant il y
avoit encore loin dela au despotisme; car
quand un monarque faisoit des fautes,
on lui faisoit presentoit de respectueuses remontran=
ces; mais on le supportoit, et rarement
3 mots biffures
changer de constitution.
Dans les cas d'oppression reiterée, le
peuple se soulevoit, et alors le Monarque
n'avoit d'autre moien de le faire rentrer
dans le devoir que d'y rentrer lui même.
Dans la suite, l'experience fit sentir tous les
inconveniens attachés a l'usage de se
choisir un Roi chaque fois que le throne
devenoit vacant. C'est sans doute un beau
privilege pour une nation que d'elire ses
Rois, et rien ne lui seroit même plus
avantageux si la choix couronne devoit toujours
tomber sur le Citoien le plus digne de
la porter. Mais un objet d'ambition
aussi considerable devient necessairement
a chaque vacance, une source d'intrigues
de calcules, de fermentations qui souvent
amenent la guerre civile, et celui qui
a la fin l'emporte sur ses rivaux, devient
d'ordinaire ou un Tyran odieux, ou
le vil esclave de ceux a qui il doit son
elevation. Pour remedier a de si grands
maux, on prit le parti de s'attacher a une
famille entiere une fois pour toutes
et de
rendre la couronne hereditaire de Pere
en fils, selon certaines Loix de succession 
fixes et invariables. L'inconvenient de
voir cette couronne sur la tête d'un
enfant, ou d'un sujet inepte, fut jugé
inferieur aux inconveniens des elections,
et on crut pouvoir y remedier, en soumet=
tant le gouvernement a un conseil  de
regence , pendant la minorité de l'un ou
en supplement de la capacité de l'autre.
<20v> La Royauté a pu devenir aussi heredi=
taire  par certaines circonstances qui fa=
voriserent un Monarque pour soumettre
a cette Loi un peuple tout accoutumé
a la dépendance. Quoiqu'il en soit, rien
ne contribua plus a etendre l'autorité mo=
narchique, puisque le Monarque n'eut
plus le même interet de menager le peu=
ple pour assurer l'election de ses enfans.

LES PROGRES DE LA PUISSANCE MONAR=
CHIQUE ONT ETE PLUS RAPIDES CHES
LES NATIONS POLICEES.

A proportion que les hommes multiplie=
rent leurs besoins avec leurs gouts, qu'ils
furent plus occupés des moiens propres a
les satisfaire que de ceux de conserver
leur liberté, dont la deffense même n'etoit
soit plus pour ceux regardée par eux que comme diversion aux
jouissances en proportion aussi ils laisse=
rent un cours plus libre aux progrès de la
puissance monarchique,
soutenue du
secours 1 mot biffure
d'une politique artifi=
cieuse et de l'habitude de la dependance
de la part des peuples.
De la vient que les nations chès qui cette puis=
sance fit les progrès les plus rapides fu=
rent celles qui se policerent avant les au=
tres, tandis que chès celles qui demeure=
rent plus longtemps dans l'etat de grossi=
ereté, telles que les Germains et les Gaulois,
il y eut toujours une lutte plus opinia=
tre contre le pouvoir des Rois, et ce pou=
voir demeura beaucoup plus longtemps
fort restreint et limité. Les choses ne
peuvent pas même naturellement aller d'une
autre maniere. Pendant qu'une nation
reste dans son etat de grossiereté, tout
y va le même train et le gouvernement
ne peut gueres changer: c'est l'introduc=
tion des nouveautés qui autorise le
<21> gouvernement a prendre de nouvelles mesu=
res, a faire de nouvelles Loix, a revetir de nou=
velles formes plus importantes, et plus
voisines du despotisme.
Cela n'empeche pas qu'une nation pauvre
et belliqueuse ne puisse passer aussi sous le joug
du despotisme, lorsque quelques Rois heu=
reux a la guerre, a mesure qu'ils remportent
des victoires, prennent toujours plus d'as=
cendant sur leurs troupes, qui ensuite
deviennent la terreur du peuple. Alors
le joug s'appesantit sans que celui ci
ose se plaindre, ou si dans son desespoir
il vient a se revolter, il tombe dans une
anarchie plus funeste que le despotisme,
puisquelle le livre a la merci des puis=
sances voisines, qui ne manquent pas
d'intervenir dans ses troubles civils pour
en faire a la fin leur proïe. Ainsi les
barbares du Nord après s'etre repandus
dans l'empire furent promtement asser=
vis au despotisme de leurs Rois, parce
que les armées que ceux ci avoient tou=
jours sur pied leur inspiroient la ter=
reur.

LA POLITIQUE
A CONSOMME LE
DESPOTISME.
 

Pour consommer le despotisme, La politique a su tirer parti dans tous
les Etats des antipathies qui s'introduisent
naturellement entre les ordres. Pour en
faire un instrument d'aggrandissement,
l'autorité n'a eu qu'a entretenir
la division des esprits par la diversité
d'opinions. Celle des coeurs par la diversité
des interets, semer et nourrir les riva=
lités, consoler le peuple par l'humilia=
tion des grands et le disposer a servir
le monarque contre ceux qui pouvoient
lui disputer l'autorité. de l'oppresser a
se couper du depotisme

<21v> IDEE D'UN GRAND EMPIRE OU LE DESPO=
TISME EST ETABLI.

Dans un grand Empire ou le despotisme
est etabli, les Grands dependent immedia=
tement des caprices du despote et aucune
loi ne les protege: les grands sont esclaves
et ils le veulent bien ainsi. Les gouverneurs
voudroient aussi a l'exemple de leurs mai=
tres, exercer une autorité despotique sur
leurs provinces: mais il importe au des=
pote de limiter leur pouvoir, et il est aussi
de l'interet de ceux ci que l'autorité soit
limitée chès leurs subdelegués: Cette
limitation des pouvoirs devient la sauve=
garde du peuple: il est sous la protection
des loix prescrïtes aux esclaves du monar=
que, du moins jusques a un certain point
car on comprend que ces lois ne sont res=
pectées que dans les cas ou l'on croit ne
pouvoir les enfreindre impunement:
Tous les Ministres  du Monarque seroient
disposés a les violer; mais divisés d'inte=
rets, ils ont sans cesse les yeux ouverts les
uns sur les autres et cette surveillance
mutuelle les retient, et fait jusques a
un certain point, la sureté du peuple.
Ainsi les coups du despotisme retombent
beaucoup plus sur les grands que sur
les petits plus les sujets se trouvent par
qui ont moins a souffrir a proportion
leur condition eloignés du souverain pouvoir,
qu'ils sont plus au dessous du throne
moins ils ont a souffrir et comme les provinces
eloignées sont aussi plus épargnées a pro=
celles qui sont plus eloignées portion qu'elles sont plus eloignées de la capitale.

C'EST LE LUXE QUI A AMENE LE DESPO=
TISME A SON COMBLE.

L'agriculture dut souffrir beaucoup de
la fondation des grands Empires qui ne
purent s'établir que par la devastation,
mais ce mal ne fut que passager: la necessi=
té de l'agriculture, et la consideration qu'on
avoit pour elle, la firent bientôt refleurir
<22> dans les provinces même devastées. Les
grands monarques chercherent a la faire
soutenir, et ils firent pour cela des depenses
dont eux seuls etoient capables. Ainsi
dans les grands Empires, les cultivateurs
furent protegés et jouirent en paix des
fruits de leur travail, la guerre n'etoit
même qu'un fleau passager pour les
campagnes, par ce que les conquetes s'exe=
cutoient avec plus de rapidité. Les con=
querans en terminoient tout sur leur pas=
sage, mais ils ne s'amusoient pas a ravager
les alentour. Le pillage ne s'exerceoit pas
même autant sur les campagnes que sur
les villes ou les grandes fortunes donnoient
plus de prise aux vexations. Hors des
rapines de la guerre, on jouissoit aussi dans les
villes d'une grande liberté: l'industrie
etoit encor exemptes d'imposition et on ne
connoissoit pas l'usage de mettre des entra=
ves au commerce..
Dans ces temps la, les denrees etoient abon=
dantes et peu cheres: tandis que les objets
de luxe connus des grands seuls, etoient
3 mots biffures prix. Cette disproportion
contribua pendant fort longtemps a retenir
les progres du despotisme; les monarques
etoient beaucoup plus riches et puissans et
de la poussoient beaucoup moins a depouil
=
ler leurs sujets pour soutenir la depense
de leur cour. Le despotisme ne devint des
=
structeur qu'a proportion des progrès du luxe.
Les monarques
ne manquoient
de rien de tout ce
qu'il falloit pour
soutenir la de=
pense de leur cour,
et n'avoient nul
besoin de s'enri=
chir des depouil=
les de leurs sujets.
 
Pendant que le genre de vie fut simple dans
les divers ordres, l'agriculture prospera,
l'argent se repandit et garda, ou a peu
pres son niveau; les peuples payoient
facilement les contributions et celles ci suf=
fisoient au train du monarque; les cours
n'etoient pas encor des grouffres ou tout
s'engloutit. Mais des que le luxe fut
<22v> monté a l'exces, les arts concentrés dans
les villes y attirerent le concours des hom=
mes aisés et des richesses, la culture perdit
une foule de bras et languit, le peuple des
campagnes n'eut plus les mêmes ressources
pour payer les mêmes impots; le monar=
que, pour soutenir le luxe train de la cour, de
ses ministres, de ses emploiés, pour leur payer
des appointemens qui durent augmenter
avec les progrès du luxe, ne vit d'autre ex=
pedient que d'emploier l'exaction, et augmen=
ter les charges; ce qui grevat le peuple
beaucoup plus encor que le monarque n'y
gagna, a cause des fraix de perception et
de la hausse du prix des denrees. Ce fut alors
que le despotisme monta a son comble,
comme la misere, des sujets opprimés.

HORREUR D'UN TEL ETAT.

Alors un despote abhorré ne vit plus de
sureté que dans le nombre des soldats qui
gardoient sa personne; mais s'il falloit en=
cor les gagner, et pour cela les combler de
largesses; il n'en resultoit a la fin que
plus d'insolence, et le despote se voioit sous
la dependance de ses armées, a laquelle
succedoit bientot l'anarchie militaire qui
le plus souvent lui faisoit perdre le
throne avec la vie; telle a été presque
partout l'horreur du gouvernement
despotique
: sous un tel gouvernement
les sujets esclaves n'ont ni patrie ni amour
pour le bien public; l'humanité est avilie
les moeurs corrompues, les richesses preferées
a la vertu: il n'y a plus de lien civil, par
ce que chacun ne pense qu'a soi, toujours
pres a sacrifier l'etat entier a sa propre
sureté et même a l'avancement de sa
fortune.

<23> LA MONARCHIE ABSOLUE NE PRO=
DUIT PAS TOUJOURS LE DESPOTISME.

Il y a dans quelques monarchies de l'Eu=
rope des Loix fondamentales auxquelles
les monarques jurent de se conformer et qui
servent a restreindre leur pouvoir. Mais
il en est plusieurs ou l'on peut dire que la
volonté du monarque est la Loi supreme,
puisque lui seul fait les Loix, les abolit,
les etend ou les retraint, en suspend même
l'exercice a son gré. Telle est cependant la
disposition actuelle des Esprits que les po=
tentats ne se prevalent point de l'etendue de
leur pouvoir pour faire le malheur de leurs
sujets, et qu'en general on respecte sur
les thrones les Loix de la justice et de l'equi=
te. Ainsi en Europe Il n'y a point de despotisme propre=
ment dit, la même ou la monarchie est
la plus absolue
. Nombre de gens disent,
ce pouvoir est injuste parce qu'il est usur=
pé. Je repons qu'il n'est point usurpé
puisque les peuples l'ont laissé etendre
sans y opposer de resistence, et cela même
prouve que le besoin et les circonstances
demandoient qu'ils fussent gouvernés
ainsi. 1 mot biffure un tel gouvernement est donc legitime
pendant qu'il n'est point tyrannique et
destructeur. Je dis plus, si la monar=
chie absolue est un mal, c'est un moin=
dre mal qu'une monarchie sans pou=
voir, telle qu'elle existe la ou le peuple
est venu 1 mot biffure de se faire redouter
de son
Roi ne porte plus le sceptre
qu'en tremblant, et ou la moindre de=
marche desaprouvée devient le signal
d'une sedition et d'un embrasement ge=
neral. Qu'estce apres tout qu'un roi sans
pouvoir
, qui ne peut rien faire sans le
1 mot biffure des divers ordres de l'Etat, et de
qu'a la suite d'assemblees tumultueuses ou
tout se decide par la cabale et l'intrigue?
<23v> Qu'estce qu'un Roi sans cesse occupé a
lutter contre les Grands ambitieux et des=
fians, qui se voit reduit a diviser pour
commander, a opposer la ruse a la for=
ce pour n'etre pas avili?

INCONVENIENS QUI SONT RESULTES
DE L'AFOIBLISSEMENT DU POUVOIR
GOUVERNEMENT MONARCHIQUE FEODAL.

De l'affoiblissement poussé trop loin de la
puissance monarchique
est née une forme
de gouvernement pire que le despotisme,
le gouvernement feodal. un vaste em=
pire soumis a un monarque trop foi=
ble pour soutenir l'exercice de sa souve=
raineté, lorsque les circonstances favori=
serent la revolte, put devenir tout a
coup la proie d'un certain nombre de
Grands, qui le demembrerent pour s'eriger
chacun en souverain d'un certain dis=
trict et y exercer le despotisme. Dans cette
anarchie feodale, le Monarque qui n'a=
voit conservé que son titre avec une om=
bre de pouvoir, ne trouva aucun moien
pour se relever, que d'interesser en sa faveur
les peuples opprimés par les seigneurs,
et c'est ce qu'il fit en publiant des edits
propres a ranimer leur courage et
en même temps favoriser leur industrie
et leur commerce. C'est pour Par la il s'eleva
de nouvelles villes ou l'on ne respiroit
que democratie, et dans les anciennes,
les partisans de celle ci, formerent des
partis puissans en faveur du peuple
opprimé; c'est ce qui mit le monarque en
etat de regagner sur les seigneurs un
pouvoir que ceux-ci lui avoient enle=
vé, et de la nacquit la constitution qu'on
voit chès la plupart des monarchies
actuelles de l'Europe.
<24> Avant l'invasion des peuples du Nord, les
peuples d'Europe etoient très libres et s'assem=
bloient en corps de nation: multipliés et dispersés dans
la suite, ces assemblées devinrent toujours
moins practicables: il fallut nommer des
representans et ceux ci devinrent des
Grands, des Seigneurs , des aristocrates, qui
luttoient contre la puissance des Rois et
tenoient le peuple en esclavage. Tel fut
le gouvernement feodal. Alors les Rois
affranchirent les peuples pour s'en faire
un rempart contre les Grands, et peu a
peu la liberté civile du peuple, les prero=
gatives de la noblesse et du clergé, la puis=
sance des Rois se trouverent tellement
balancées qu'il en resultat un gouver=
nement mixte qui mit pour l'avenir
les peuples a l'abri du despotisme et
prevint les usurpations du pouvoir.

LE DESPOTISME DES MONARCHIES
A PRODUIT LES REPUBLIQUES.

Le despotisme des monarchies a produit
aussi des effets salutaires en donnant
naissance a des formes de gouverne=
ment avantageuses a l'humanité.
Des qu'il fut devenu insupportable a
des peuples qui a la force et au courage
joignoient la grandeur d'ame, l'amour
de la liberté d'une politique ferme, ces
peuples parvinrent a secouer le joug de
la Tyrannie, pour se former en Etats
libres
, appellés Republiques.
C'est ainsi que les Grecs et les Romains se
deffirent de leurs premiers Rois pour
devenir des Republiques gouvernées par
l'autorité des seules Loix, dont les Magis=
trats ne furent que les depositaires et les
mainteneurs, et qui etoient fondées sur
le principe de l'egalité entre les citoiens.
<24v> Tel fut encor le cas de plusieurs colonies
qui, degoutées d'une Royauté devenue o=
dieuse, chercherent a former des etablis=
sements dans des lieux eloignés, ou elles
parvinrent a retablir le regne de la liber=
te et des Loix. Leur succès fut un encoura=
gement pour d'autres, et devint le fleau
des Tyrans. Les mêmes causes dans la
suite ont produitisent les mêmes effets: plusieurs
peuples, après avoir secoué le joug de
l'oppression, se sont formés en Republiques,
et ont montré par le fait, combien cette for=
me de gouvernement est avantageux aux
peuples, lorsqu'ils ne se laissent pas in=
fecter par le poison des vices qui eteïgnent
dans les ames l'esprit patriotique et l'amour
genereux de la liberté: car quand cela
arrive, ils ne manquent pas de perdre
bientot cette liberté et une fois perdue,
c'en est fait, ils ne la recouvrent jamais.

AVANTAGES DU GOUVERNEMENT RE=
PUBLICAIN.

Le grand avantage des Republiques, c'est
que la chose publique, le bien commun,
n'y est pas soumis aux caprices d'un seul,
du aux menées de ceux qui l'entourent
qui sous ombre de faire la volonté de
leur maitre, font la leur propre, ni aux
impulsions bisarres de divers interets par=
ticuliers qui se croisent; c'est que tout
est ramené a des interets permanens
a une seule Loi supreme, le Salut  de l'Etat
et des la même a des principes fixes et
independans des vues particulieres. La
cela prosperité dure pendant que la nation ne se
laisse pas corrompre par des vices capa=
bles de detruire ces principes et d'en ame=
ner ainsi inevitablement la ruïne.
 

<25> INCONVENIENS.

Le grand inconvenient de cette forme
c'est la lenteur des deliberations, des
operations, les conflicts d'opinions sur
la chose publique, les difficultés qu'on
eprouve a les concilier par quelque
temperamment; la multiplicité des pre=
cautions a prendre contre les cabales
les intrigues, les abus du pouvoir
confié, la naissance des troubles,
et quelquefois de l'anarchie &c.

CONFEDERATION DES REPUBLIQUES.

Quand des republiques voisines ou appar=
tenant d'origine a la même nation, se sont
trouvées environnées de nations puissan=
tes, inquietes, ambitieuses, elles ont été
naturellement conduite par leur position
a s'unir entre elles par des traités pour former
une confederation  ou Societé generale dans
laquelle toutes trouvoient un interét com=
mun de deffense, de sureté et de prosperité,
en s'imposant des obligations reciproques
les unes envers les autres, et envers le corps
entier.
Cette association ne put sortir son effet que
par le moien d'assemblées generales composées
des representans de chaque souveraineté, avec
plein pouvoir de concerter entr'eux de la tout
ce qui pourroit etre le plus avantageux a la
cause commune. Le rendès-vous choisi
pour ces assemblées fut comme un centre de
reunion, un lien de correspondance, et le
fondement de la conservation de ce tout
politique. Telle fut celui des 12 Etats de
la Grece dont les deputés se rendoient deux
fois l'an aux Thermopyles pour y tenir
le conseil celebre des Amphyctions.
<25v> La force qui resulte d'une telle confedera=
tion est très grande lorsque les republiques
confederées opposent toutes a l'ennemi com=
mun le même zele patriotique, et lorsque la
jalousie ne se mêle pas a l'emulation qui
les porte a se distinguer, lorsque la plus puissante
n'a aucune prerogative dans les assemblées
sur la plus foible, et que tout entr'elles de=
meure dans l'egalité.
Il y aussi le grand inconvenient de la
lenteur dans les plans et dans l'execution;
a quoi se joint souvent le depit et l'impa=
tience des unes a l'egard des autres sans
parler de l'envie des plus foibles a l'egard
des plus puissantes qui peut facilement
amener une rupture.

DEMOCRATIE

S'il ne s'agissoit, en formant une republi=
que, que de prevenir les abus de l'inegalité
accidentelle des conditions et des fortunes
ou de maintenir parmi les hommes l'egali=
te et la liberté naturelle, autant que pos=
sible, il n'y auroit aucune forme prefe=
rable a la Democratie ou le pouvoir
souverain reside essentiellement dans
l'assemblée generale du peuple.
Une Democratie pourra même subsister
dans un etat de force et de prosperité
pendant qu'elle demeurera circonscrite
dans certaïnes bornes, pour l'etendue de
son sol et pour le nombre de ses membres,
pendant que les conditions seront reduites
a une certaine egalité comme les fortunes
a une honnete mediocrité, et que par la
tous les citoiens auront a peu près le mê=
me interet a la chose publique et respec
pendant que les Citoiens respecteront
teront les Loix et les moeurs, pendant que
et
que l'administration sera commise a des
magistrats eclairés, sages, rigoureuse=
ment adstreints a l'exercer selon les Loix, et
<26> que le peuple conservera toujours pour ces
magistrats le respect du a leur dignité, sans
pretendre les gener dans l'exercice de leur
autorité par des demarches turbulentes
qui n'aboutiroient qu'a lui oter son ressort
et son efficace.

INCONVENIENS DE LA DEMOCRATIE
DANS LES REPUBLIQUES PUISSANTES.

Dans les republiques ou il se trouve une
grande inegalité de fortunes, les riches cher=
chent a dominer sur les petits pauvres et ceux ci leur
portent envie; on perd aisement de vüe
l'interet public pour ne s'occuper que dinterets
particuliers: les assemblées deviennent tou=
tes orageuses, et les pauvres qui font le plus
grand nombre, n'aiant plus rien a perdre
ni a menager, sont toujours prets a favori=
ser par leurs suffrages des revolutions
dont ils esperent quelque changement pour
leur fortune. D'ailleurs un peuple sou=
verain, jaloux de ses droits, inquiet et def=
fians vis a vis de ses magistrats, n'est que
trop porté a abuser de son pouvoir pour
secouer le joug de l'autorité et de la Loi:
sous pretexte de s'opposer aux abus, il
se livre a toutes sortes de mouvemens
tumultueux; conduit par des dema=
gogues  ambitieux qui cherchent a s'em=
parer de l'autorité, il se partage en plus=
ieurs factions qui dechirent le sein de
l'Etat, et celui ci a la fin plongé dans
une deplorable anarchie, ne peut evi=
ter de passer sous le joug des nations voisi=
nes qui se prevalent des circonstances
pour l'asservir, ou de ploier sous l'autorité
sous le joug usurpee d'un petit nombre de person=
nes, qui en font une oligarchie, quel=
ques fois meme d'un seul qui la reduit
en tyrannie, ou, ce qui peut lui arriver
de plus heureux, de voir passer cette autorité
entre les mains d'un petit nombre de
<26v> familles privilegiées, ce qui produit l'Aristo=
cratie.
La Democratie, dans les petites Republi=
ques, n'a pas les mêmes inconvenïens. Elle
y produit des dissensions plutot que des
guerres civiles, et l'on y usurpe l'autorité
par la brigue plutot que par les armes.
Comme le parti qui succombe est bientot
sans ressources, le parti triomphant n'est
pas assès interessé a se prevaloir de sa
superiorité pour exercer le despotisme
sur l'autre: il cherche plutot a le gagner
par la douceur, en lui persuadant qu'on
ne pense point a changer la constitu=
tion ni a ravir au peuple sa souveraineté.

ARISTOCRATIE.

Toutes les Republiques qui se sont formées
des debris des monarchies ont comman=
cé par etre democratiques, et elles ont sub=
sisté sous cette forme, pendant qu'elles sont
restées bornées et pauvres. Mais toutes celles
qui sont devenu etendues, peuplées, riches,
puissantes, se sont changées en Aristocra=
ties ou assès promtement, a la suite de
quelque orage civil, ou insensiblement,
et selon le cours ordinaire des choses hu=
maines. Les assemblées generales deve=
nant trop nombreuses et tumultueuses, pro=
duisant inevitablement des troubles funes=
tes a la societé, on ne trouva aucun remede
a ce mal que l'etablissement de quelque corps
representatif
de la nation qui fut chargé de
veiller a ses interets et qui put y veiller avec autant de soin,
de zele, et plus d'efficace quelle eut pu le faire
elle même. Les places de ce corps echurent
naturellement aux personnes les plus inte=
ressées elles mêmes a veiller au bien public,
les plus distinguées par leur condition, leur
fortune, leur credit, leur influence, et
celles ci, selon la marche constante des cho=
ses humaines, profiterent du vent favo=
rable pour transmettre leurs emplois
<27> avec leur credit a leurs enfans, comme
ceux ci chercherent apres eux a les perpetuer dans
leurs familles.
Cette revolution dut trouver d'autant moins
d'obstacles dans les commancemens qu'elle
ne pouvoit tourner qu'au repos et a la tran=
quillité des Citoiens auparavant distraits
sans cesse de leurs occupations journalieres, et
exposés a des troubles civils auxquels il n'y
avoit aucun remede. L'etat dut naturel=
lement etre mieux gouverné, etant confié
a l'administration de personnes distinguées
par leur education, dont elle faisoit l'occu=
pation principale, que lorsqu'il etoit soumis
aux influences d'une multitude d'hommes
peu eclairés, la plupart sans education
du moins relativement a l'objet, et sans cesse
distraits des soins que celui ci exige par ceux
que la necessité les forcoit de donner aux
objets de premier besoin. On comprit
sans doute aussi que cette nouvelle forme
etoit beaucoup moins sujette que la Mo=
narchie a degenerer en Despotisme, par
ce que les Aristocrates sont toujours en
assès grand nombre pour se contenir les
uns les autres, pour s'opposer a tout acte
particulier de violence et de tyrannie, et
qu'ils sont eux mêmes trop interessés a gou=
verner les peuples avec moderation pour
les attacher les 1 mot biffure et pouvoir comter
sur leur fidelité a 1 mot biffure
un aux interets et a la deffense
de
l'Etat, dont
la prosperité fait la base de leur fortune
et de celle de leurs familles. Il y a plus:
quoique l'Aristocratie suppose par sa
nature la superiorité d'une classe de citoiens
et la dependance de l'autre, elle ne detruit
point cependant les prerogatives essentiel=
les de la liberté et de l'égalité. ni entre les
individus d'un meme ordre ni entre
les
ordres entr'eux
La tous les magistrats
sont egaux entr'eux comme le sont aussi
1 mot biffure entr'eux tous ceux qui ne partici=
pent <27v> pas a l'administration: la les magis=
trats, les citoiens et même les sujets sont
encor tous egaux entr'eux et vis a vis de la
Loi, qui est au dessus de tous, et ne connoit
aucune distinction de personnes. La le der=
nier sujet peut deffendre efficacement tous
ses droits contre le premier magistrat
et invoquer la protection des Loix contre
toute oppression, de quelque part qu'elle
vienne.
C'est aussi le gouvernement ou les hommes
jouissent de la plus grande liberté, j'entens
la liberte raisonnable et essentielle au bon=
heur. Dans les monarchies tout est sou=
mis a des volontés particulieres, le plus sou=
vent arbitraires, ou du monarque ou
de ses ministres; la liberté dont on se van=
te dans une Democratie n'est proprement
qu'une licence de tout dire et de tout oser,
mais qu'on paye souvent cher bien
cherement, lorsqu'un parti succombe
sous le parti opposé, ou qu'on se fait des
ennemis particuliers qui n'attendent que
l'occasion de signaler leur vengeance.
Dans une Aristocratie, le respect pour
les Loix et la circonspection dans les dis=
cours, suffisent pour mettre a l'abri de
toute crainte vis a vis de ses egaux et
même de ses superieurs.
Qu'on suppose enfin des Aristocrates assès
sages pour comprendre pour leur prosperité
ne peut etre que le resultat de celle des ci=
toiens et des sujets, que les ressources du
fisc ne peuvent se soutenir et augmenter
qu'en raison des fortunes et du bien etre
des particuliers, et qui imbus de ces prin=
cipes, n'exercent leur autorité qu'avec
moderation, avec simplicité et sans
appareil effraiant, temoignent en toute
occasion leur eloignement pour toute
<28> operation violente, arbitraire bannis=
sent jusques aux noms d'exactions, d'im=
pots, de taxes, de capidations, &c. et de tout
ce qui peut aliener les esprits et les coeurs
de ceux qu'ils gouvernent, j'ose assurer
qu'il n'est aucune forme de gouvernement
preferable a une telle aristocratie etablie
sous une telle forme
, et que c'est le seul
gouvernement qu'on puisse appeler
Paternel.

CE QUE DEMANDEROIT UN GOUVER=
NEMENT, POUR ETRE BIEN
ETABLI.

On a observé que les peuples ont tous été
du plus au moins agités par de longues
dissensions domestiques avant de pouvoir
fixer la forme de leur gouvernement.
L'autorité souveraine demeuroit longtemps
suspendue entre le Prince, les Grands, les
Divers ordres, et chacun faisoit ses efforts
pour s'en emparer: pendant ce temps la
les Loix ne pouvoient etre que l'ouvrage
de la passion du parti predominant, qui
usurpoit a la fin l'autorité et fixoit la
forme jusques alors indecise.
Après bien des debats plusieurs peuples
sont parvenus a etablir une forme mix=
te de Republique ou les pouvoir etoient
balances partagés et servoient a se balan=
cer les uns les autres; il y a eu diverses
formes plus ou moins heureuses, selon les
principes adoptés dans ce partage et
cette balance.
Le 1 mot biffure a appris Les plus grands politiques ont dit
que la forme la plus
avantageuses
est celle ou le pouvoir legis=
latif et celui de decider les affaires gene=
rales est laissé au corps de la nation, tandis
que le pouvoir executif est abandonné
a des Magistrats elus par les citoiens pour
les obliger a obeir aux Loix qu'ils ont fai=
tes eux mêmes, pendant et leur donner
leur conduite l'exemple de cette obeissance.
<28v> Mais ils ajoutent que, dans toute forme
mixte, le pouvoir executif doit etre divi=
sé, pour prevenir les usurpations sur le
pouvoir legislatif, et même qu'il doit etre
reparti en autant de branches que le gou=
vernement a d'objets differens a soigner.
Enfin pour eviter les inconvenïans qui
pourroient resulter de ce partage, il faut
qu'il soit reglé d'une maniere si exacte
qu'une magistrature ne fasse jamais
obstacle aux operations de l'autre, quoi=
que rien n'est plus dangereux dans un
Etat que des magistrats qui ont des pre=
tensions indecises, ou opposées, et qui ne
connoissent point ni l'etendue ni les bornes
de leur autorité et de leurs devoirs.
Pour etablir la barriere precise entre
le pouvoir legislatif et le pouvoir execu=
tif, il faut que les comices nationales
ne soient ni trop frequentes ni trop rares.
Si elles sont trop frequentes, le peuple
s'accoutumera a moins respecter ses ma=
gistrats, il se livrera a sa fougue, il se
rendra maitre de tout: si elles sont trop
rares, les magistrats profiteront des
longs intervalles pour usurper l'autori=
te sur le peuple, l'assemblée generale n'au=
ra plus assès de pouvoir pour regagner
le terrain, reprimer l'ambition, et bientot
la nation gemira sous le joug. D'ailleurs
l'autorité confiée aux magistrats ne sera
jamais dangereuse pendant qu'ils seront
tenus a en rendre comte, surtout si
leur magistrature n'est que passagere,
et ne leur donne aucun interet distinct
de ceux de la Republique.
Toute Republique est placée entre deux
ecueils: le despotisme et l'anarchie. Les
passions des magistrats conduisent a
l'un, celles des citoiens a l'autre; aucun
bon gouvernement que celui qui garan=
tit <29> des deux ecueils, ou les citoiens obeïs=
sent aux Magistrats et les magistrats
eux mêmes aux loix, ou les loix ont
pour deffenseurs
des Magistrats assès respectés pour
forcer le citoien a l'obeissance a ces
Loix
, mais pas assès puissans pour
oser eux mêmes en secouer le joug. Si
le citoien peut desobeir impunement
aux magistrats, il foulera bientot aux
pieds les Loix mêmes et de la naitra
l'anarchie. Si le citoie magistrat peut
faire ce qu'il veut, il aucun frein ne
contiendra ses passions: de la s'intro=
duira sourdement une anarchie
tyrannie d'autant plus dangereuse
qu'elle sera soutenue par l'ascendant
que donne la dignité et le pretexte
de maintenir les Loix.

<29v> CHAPITRE IV.
Des Loix positives proprement dites, et en
particulier des Loix penales.

LOIX POSITIVES PROPREMENT DITES

Apres avoir reglé la Subordination a une
autorité souveraine par des Loix politiques
sur les peuples ont compris qu'il n'etoit pas
moins essentiel au maintien d'une societé
reguliere, qu'il y eut des Loix positives
proprement dites (par opposition aux poli=
tiques) emanées de cette même autorité,
sanctionées par elle, et commises a sa vi=
gilance, pour contenir les mechans pour pre=
venir les desordres, maintenir les moeurs
en même temps que l'ordre public et la
tranquillité, pour assurer a chacun la paisible jouissance pour
chacun
de ses droits et en general, pour
obvier a tous les inconveniens qui resul=
toient dans les communautés impar=
faites de la trop grande liberté laissée
aux particuliers, entr'autres celle de se
faire justice a eux mêmes.
Dela vient que toutes les Loix societés
regulieres eurent non seulement des Loix
politiques, mais encor des Loix penales,
des Loix de police, des Loix civiles, toutes
reputées necessaires a leur conservation
et au bonheur public.

OBSERVATIONS GENERALES SUR
CES LOIX.

1o Observons d'abord qu'elles se sont assès
generalement accordées sur les Loix ou
elles pouvoient prendre la Loi naturelle
pour baze, ou qui avoient pour objet des
interets communs a toutes les nations. Celles
sur lesquelles elles ont ete paru le plus partagées
ont été les Loix civiles destinées a deter=
miner d'une maniere precise, dans les di=
vers cas, les droits et les obligations des
particuliers entr'eux, pour mettre fin
<30> aux differens qui peuvent s'elever a ce sujet
et assurer a chacun le sien: car quoi que ces
Loix ne doivent etre qu'un devellopement
par voie de consequence de la Loi naturelle
appliquée aux divers cas particuliers,
cependant comme elles ont necessairement dut quant
aux objets, et surtout au mode et a la
forme, 1 mot biffure qui sont succeptibles d'avoir
favoriser 2 mots biffures
, etre accommodées
aux temps, aux lieux, aux portions aux
diverses circonstances des peuples, aux 1 mot biffure
genres de proprietés, aux divers usages
depuis longtemps introduits, autant de
choses qui ont pu extremement varier
d'une nation a l'autre, et eprouver même
dans chacune des changemens succes=
sifs, il est impossible qu'il n'y ait pas
eu dans ces Loix une très grande diversi=
té, telle que nous la voions en effet dans les
divers codes  civils que nous offrent les
diverses societés. C'est ainsi par ex: que
les nations agricoles ont eu des Loix que
les autres ont même ignorés, comme
les nations commercantes en ont qui ne
sont du tout point connues des nations
anciennement agricoles. Quelle difference dans les Loix
qui reglent les heritages, la maniere de
recueillir les successions, la forme des
ventes &c. et autres objets, dont il importe
que les formalités soient exactement
fixées et determinées.
2o Les Loix qui composent les divers codes
n'ont nulle part été etablies toutes a la fois.
Dans les commancemens, elles furent en
petit nombre, par ce qu'une societé nais=
sante, qui n'a pas fait encor de bien
grands progrés vers la civilisation, n'a
pas besoin de beaucoup de Loix, et qu'elle
s'en tient assès volontiers a ses usages non-=
ecrits plutot que d'adopter legerement de
nouvelles institutions. C'est la multiplica=
tion des desordres et des conflicts qui ont
<30v> a necessité celle des Loix; a mesure que de
nouveaux besoins succedoient ou s'ajoutoient
aux precedens, de nouvelles Loix se trouvoient
necessaires: chaque evenement imprevu
qu'il importoit de prevenir pour la suite, ou
de mettre en regle a l'avance, invitoit natu=
rellement a proposer quelque Loi nouvelle,
qui put etre appliquée a propos lorsque le
cas viendroit a se representer.
3o Les interets des hommes aiant toujours
été, comme toutes les choses humaines, sujets
a mille revolutions; les mêmes Loix, d'utiles
qu'elles etoient a un peuple, ont pu dans la
suite, lui devenir inutiles, ou meme quelque fois nuisi=
bles, et des la même, il n'a pu qu'etre essentiel
au bonheur des nations, de les modifier, de
les changer et même souvent de les abolir
entierement, pour faire place a d'autres
plus convenables a leur situation actuelle.
4o Il est arrivé aussi plus d'une fois que le
corps entier des Loix chès une nation ait
ete supprimé, pour faire place au code
du peuple vainqueur, qui a voullu y
soumettre le peuple vaincu, ou a celui
de quelque despote qui s'est proposé par
une nouvelle legislation, de changer la
face entiere de l'Etat. Une telle revolution
ne peut se faire sans de grands inconve=
niens. Des Loix bonnes par rapport a un
peuple pour qui elles ont été faites, peuvent
devenir très nuisible, a la nation pour un autre a qui
elles n'avoient point ete faites on peut les imposer. Toute legis=
lation quelquonque doit etre appropriée
a la situation et aux besoins de chaque la
nation, et telle même que la nation celle ci soit
capable de la recevoir au moment ou l'on
la lui donne. Si on anticipe sur le temps
de sa maturité, temps qui est le seul ou une
nation soit susceptible de bonnes Loix, le
meilleur code en apparence donné avant
ce temps la, peut lui faire beaucoup plus
<31> de mal que de bïen, parceque cette nation
n'est pas encor en etat de sentir la bonté
de ces nouvelles Loix et de s'y soumettre volon=
tairement et par gout.
5. De tout cela on peut comprendre, quelle
incertitude et quelle confusion ont du s'in=
troduire dans les Codes de Jurisprudence des
nations, qui partout ont eprouvé tant de
revolutions successives. Il n'en faut excepter que
les Orientaux et le peuple Chinois, qui
ont toujours montré tant d'attachement
a tout ce qui est ancien en fait d'opi=
nions, de moeurs et de Loix.
6 On voit aussi pourquoi les progrès de
l'art de la Legislation  ont toujours été si
lents. C'est qu'il suppose un nombre pro=
digieux de Connoissances sur la nature de
l'homme, sur ses rapports, sur les differences
nationales et les causes qui les produisent
sur l'etat actuel des peuples relativement
a la civïlisation, et autre connoissances semblables qui
doivent servir de fondemens a l'edifice
des Loix, mais qui n'ont pu etre acquises
que par une suite d'observations multi=
pliées et une très longue experience.
7o Du reste, il n'est pas difficille de saisir
quils sont les caracteres essentiels que doi=
vent avoir toutes les Loix positives pour
repondre a la fin de toute societé, et aux
voeux communs de ses membres. Ce sont
la justice et l'impartialité telles que deman=
de l'egalité naturelle. Qu'il y ait des riches
et des pauvres, des grands et des petits, des
magistrats et des sujets, les particuliers
n'en seront pas moins attachés a l'interet
commun, s'ils voient que les Loix sont les
mêmes pour tous, et qu'il n'y a pas dans
lEtat deux poids et deux mesures, lorsqu'il
s'agit d'en faïre l'application aux personnes.
Une partie de la Société peut elle soubsconner
<31v> qu'il y a une acception en faveur de l'autre
partie, que ses interets sont sacrifiés aux in=
terets de celleci, dèslors les premiers se regar=
dent comme opprimés par les derniers, ils
n'eprouvent que deffiance et que haine
pour leurs oppresseurs, et pour les chefs
dela societé, et il ne faut plus conmter pour
amis de l'Etat des hommes qui gemissent
ainsi sous le joug d'une injustice autorisée
par une Legislation ou administration
partiale .

LOIX PENALES

Les premieres Loix positives dont l'indis=
pensable necessité se fit sentir, furent les
Loix reprimantes, ou penales, autrement
appellées criminelles , destinées a reprimer
et punir les desordres et les excès capables
de troubler l'ordre public et la tranquillité
des Citoiens, qui est le premier but de la
societé politique. L'institution de celleci
ne pouvoit par elle même etouffer cette
inclination que les hommes ont naturelle=
ment pour l'independance, et pour secouer
le joug de toute autorité qui les gene. Detout
temps il s'est trouvé aussi des caracteres
vicieux et mechans, enclins de a troubler
le repos et les jouissances des autres par
la violence, la ruse, et toutes sortes de
procedés injustes. L'experience fit bientot
comprendre que le maïntien et le bonheur
de la Societé dependoit d'une force repri=
mante qui, par des Loix sanctionées , des
menaces, des chatïmens exemplaires, put
intimider les mechans, balancenter la fougue
de leurs passions et les eloignenter du crime
par l'epouvante et la terreur Dela on
sentit la necessité de l'etablissement de
Loix penales  destinées a interdire les desor=
dres et les crimes sous des peines propor=
tionées a leurs exces.
<32> L'objet de ces Loix furent les crimes
qui supposoient la violence exterieure
et ouverte, qui etoient les plus frequens
chès des peuples 2 mots biffures a chaque
ou qui portoient
une atteinte dire=
cte a l'ordre public,
tels que
 le meurtre et les meurtrissures, le viol,
le rapt, l'adultere, le vol, &c. ainsi que
ceux qui portoient une atteinte directe
a la sureté et a l'ordre public, tels que
le
parjure, le faux temoignage, la calom=
nie, le vol, le larcin, la fausse mesure, la fausse balan=
ce, la falsification des actes publics,
la contrefaction du Sceau du Prince,
la fausse monnoye, la trahison d'Etat.
&c.

LOI DU TALION

La plus ancienne de toutes les Loix pena=
les paroit avoir été la Loi du Talion ,
qui ordonnoit de faire souffrir au coupa=
ble, le même traitement qu'il avoit exer=
cé sur l'innocent, ou qu'il lui auroit atti=
dela part du Juge par son accusa=
tion, si elle se fut trouvé vraie. Car les
Elle existoit dans le Code des Hebreux .
les legislateurs Grecs
et Romains la suivirent, et d'eux elle a
passé a quelqu quelques peuples chès qui elle est
encor en usage: Mais comme cette Loi
etoit le plus souvent etoit exposée aux plus de
grands inconveniens dans l'excecution,
et que quelques fois elle etoit même im=
pratticable, on chercha a substituer
a son prescrit divers chatimens qui pus=
sent tenir lieu de compensation ou de
reparation pour l'offense, ou pour le delit
dont la Loi prononcoit la punition.
<32v> Nous en trouvons des exemples 

SEVERITE DES ANCIENNES LOIX PENALES ET LES
LOIX SEVERES

Les anciennes Loix penales substituées a la Loi du
Talion furent extremement severes. Chès
les Egyptiens et chès les Hebreux, tous les
grands crimes etoient punis de mort et même
d'un genre de mort très rigoureux .
Les Loix de Dracon a Athenes furent des
Loix de sang. La Loi des XII Tables chès les
Romains presentoit des dispositions très
cruelles. Rien de plus 1 mot biffure Chès les an=
ciens Gaulois que le supplice du feu etoit
tres frequent. Rien n'annoncoit 1 mot biffure dans les anciens
Codes Criminels, cette justice exacte associee
avec l'humanité qui et la delicatesse scrupu=
leuse, qui doivent accompagner des ope=
rations judicielles, pour mettre a couvert
l'innocence, et proteger l'honneur, la liberté
et la sureté de l'homme. chose etrange!
nulle proportion entre la rigueur des
chatimens et l'atrocité des delits: chose
plus etrange encor! Les Loix penales ne deter=
minoient pas toujours le genre et le degré
du supplice dont chaque crime devoit etre
puni; elles abandonnoient cela a la disposition
des Juges. Dans certains lieux les pa=
rens pouvoient etre temoins dans les affaires
criminelles. L'an 560 Clotaire fit une Loi
par laquelle un accusé ne pourroit etre
condamné sans etre ouï; cette loi supposoit
un usage anterieur
contraire.
 
Quelle jurispru=
dence encor que celle de la Caroline?
Combien d'imperfections dans tous les codes.
Aujourdhui on voudroit presque par 1 mot biffurebannir la
aux supplices rigueur, substituer aux supplices des peines longues
mais facilement et en meme temps supportables pour des
<33> ames viles: mais seront elles suffisantes pour
effraier et contenir les scelerats? n'est il
pas a craindre qu'elles n'en augmentent
le nombre et que la douceur ne tourne
en piege a toute la Societé?
code

LOIX CONTRE L'HOMICIDE

L'homicide commis de dessein premedité,
de guet a pens fut generalement regar=
dé comme digne de mort. Il le fut puni
puni du dernier supplice par sentence
de Juge
; chès les Hebreux , chès les Atheniens,
chès les Romains qui le croiroit? . Cependant 2 mots biffures
Chès les Atheniens on laïssoit au cou=
pable la liberté de se sauver avant que le
juge prononcat la sentence; et si le coupable
prenoit la fuite, on se contentoit de confis=
quer ses biens et de mettre sa tête a prix;
pendant un temps les Romains dispense=
rent du supplice les homicides elevés en dig=
nité; mais la Loi Cornelia abolit cette
dïstinction odieuse, et sevit même contre
ceux qui avoient montré des intentions
manifestes de meurtre.
On est surpris que chès des peuples aussi
civilisés, il n'y eut aucun officier public
chargé par l'Etat de poursuivre le meur=
trier, que ce soin fut abandonné aux
parens du mort, et qu'il fut même deffen=
du de remettre l'accusé entre leurs
mains; d'ou il resultoit que depuis le procès
commancé par les parens, et avant qu'il
fut assès instruit pour que les Juges
pussent prononcer, il ne tenoit qu'au
coupable de se derober au supplice en
prenant la fuite, ou même de desarmer
<33v> la justice, en appaisant les parens a
force d'argent pour les engager a retirer
leurs poursuites. Dans cet usage qui
paroit si peu favorable a la sureté pu=
blique, il pouvoit y avoir un assès bon
but qui etoit de prevenir des inimitiés de
familles qui pouvoient aussi avoir les
suites les plus facheuses pour le repos
public de la societe: c'est du moins une raison de
cette espece pour laquelle, selon les an=
ciennes Loix, les delits injurieux pou=
voient tous s'assoupir par des arrange=
mens particuliers en dommages et re=
parations.
Ches les Francs et les Germains, l'homicide
pouvoit se soustraire a la peine en payant
aux parens du deffunt une composition
qui etoit proprement l'estimation du dom=
mage causé a la famille par sa mort:
quand il le meurtrier n'avoit pas dequoi payer
Ses parens devoient suppleer a ce qui
lui manquoit. Il en est a peu près de
même chès les hordes Sauvages ou
la reparation de l'homicide ne consiste
qu'en des presens faits aux parens du
deffunt pour appaiser leur ressentiment.
Quant au meurtrier involontaire,
les Loix avoient pourvu aux moïens
de le derober a la vengeance des parens
du deffunt. Tel fut le privilege d'asyle 
accordé attaché a certains lieux, pour
mettre les meurtriers involontaires a
couvert de toute poursuite, en atten=
dant qu'il constat de leur innocen=
ce; cette sage institution fut adop=
tée par Moyse .
D'ailleurs les anciens Legislateurs n'a=
voient rien negligé pour inspirer aux
peuples l'horreur du sang humain.
<34> Dela vient que les homicides  même invo=
lontaires etoient tenus pour souillés; ils ne
pouvoient rentrer dans la societé qu'apres
s'etre purifiés par diverses ceremonies reli=
gieuses .
Chès les Romains, ils en etoient quittes pour
immoler un belier par forme d'expîation.
On ne trouve gueres d'anciennes Loix con=
tre 1 mot biffure le Suïcide : il n'y a rien d'exprès
la dessus dans le code Hebreu, ni dans
les Loix des Grecs et des Romains: on ne
pouvoit prononcer de punition contre
un mort; il n'y avoit point de plaignant
a qui il fallut faire justice: ce qu'on
a fait dèslors a été plutot une Loi de
police pour prevenir les desordres, et
inspirer aux vivans de l'horreur pour
un acte aussi atroce.

CONTRE LE RAPT, LE VIOL, L'ADULTERE.

Parmi les crimes destructeurs du bon
ordre et de la tranquillité publique, on
a placé après l'homicide, ceux qui sup=
posent une autre genre d'attentat sur
la personne et en même temps sur l'hon=
neur, tels que le rapt, le viol, et
celui qui qui suppose porte une
atteinte directe a la foi conjugale,
qu'on appelle l'adultere.
<34v> CONTRE LE RAPT, LE VIOL, L'ADULTERE
Le rapt  proprement dit qui se commet
par violence, a été mis au rang de chès les
anciens peuples au rang des grands cri=
mes . comme etant la
sources de plus de deplorables 2 mots biffures
Malgré l'enlevement des Sabines Les Ro=
mains le condamnerent par la Loi Julia,
mais seulement sous la peine de l'interdic=
tion de l'eau et du feu. Les empereurs
augmenterent la rigueur de la punitïon,
et Justinien condanna les ravisseurs
a la mort.
Le viol  qui ne differe du rapt que par
des circonstances incidentelles a été traité
de la même maniere.
L'adultere  a été regardé chès les anciens
peuples comme un crime atroce .
Ches les Hebreux, on lapidoit les deux cou=
pables .
Ailleurs on leur crevoit les yeux.
La peine de l'adultere chès les Romains
fut d'abord assès arbitraire: elle ne
fut determinée que par la publication
de la Loi Julïa: les enfans d'Auguste
subirent les premiers la peine de mort
qu'elle prononce. Sous l'Empereur
Theodose, les femmes convaincues
d'adultere etoient abandonnées aux
outrages de la brutalité. Les anciens
saxons les condannoient au feu, et leurs
complices etoient pendus sur leurs bu=
chers. A la Chine, elles sont livrées aux
Elephans qui les foulent a leurs pieds.
chès les Musulmans elles sont lapidées.
Les Europeens se sont beaucoup rela=
chés de la rigueur des anciennes Loix
penales sur cet objet, mais ne peut
on pas dire, qu'ils sont allés a cet egard
<35> beaucoup trop loin, et qu'ici la douceur
des peines peut servir d'encouragement
au crime.

CONTRE LE VOL OU LARCIN.

Le vol  a été aussi regardé chès les anciens
peuples comme un crime attentatoire a la sureté pu=
blique. et un crime des plus dangereux
Il fut puni chès les Hebreux non pas
du dernier supplice, 1 mot biffure
par la restitution 
du quadruple, Ex: XXII 1.4. pour certains
objets et du double pour d'autres 
les voleurs chès les Egyptiens etoient en si
grand nombre qu'on fut obligé de composer en quelque sorte regler
composer en quelque sorte par quelque Loi le metier de ceux qui vou=
loient etre voleurs avec eux pour qu'on put retirer
quelque chose des effets volés au profit
de ceux a qui ils avoient été derobes .
L'usage de derober introduit chès les Lacedemoniens
etoit une affaire de politique en faît
d'education, car quand les enfans se
laissoitent surprendre dans le vol, on les
punissoit très rudement: donc la 1 mot biffure
meme des le vol commis par les esclaves etoit toujours très ri=
goureusement puni.
Les Romains distinguoient le vol ma=
nifeste , quand le voleur etoit surpris
avec la chose volée, et le vol non mani=
feste, quand il n'etoit decouvert qu'apres.
La Loi des XII Tables ordonnoit que le
voleur manifeste fut battu de verges
et de plus reduit en servitude s'il etoit pubere.
Le voleur non manifeste n'etoit condanné
qu'au payement du double de la chose volee.
<35v> Quand la Loi Porcia eut aboli l'usage
de battre de verges les cïtoiens et de les re=
duire en servitude, le voleur manifeste
fut condanné au quadruble, L'Esclave
qui avoit volé etoit precipité de la roche
Tarpeienne.
Les Europeens ont poussé fort loin la
severité des Loix contre le vol, car on
punit du dernier supplice non seulement
le vol des grands chemins, mais encor
le vol d'efraction, le vol domestique,
& le larcin  ou il y a recidive.
Bien des gens croient qu'il n'y pas de
proportion entre la peine de mort et le cri=
me. La question est trop compliquée et
delicate pour la resoudre ici.

CONTRE LA CALOMNIE ET LE FAUX
TEMOIGNAGE.

Il y a eu aussi chès les anciens peuples
des Loix penales contre ceux qui attaquent la
reputation d'autrui par la calomnie  ou
de faux allegués, et surtout par le faux temoignage ,
qui n'est que la calomnie accompagnée
de parjure devant les Tribunaux. Chès
les Hebreux ont faisoit valoir contr'eux la
Loi du Talion  La Loi des XII Tables prononcoit
la même peine contre les calomnia=
teurs. Suivant la Loi Remmïa, ils etoient
marqués sur le frond d'un fer chaud
portant la lettre K. Depuis Constantin,
ils furent condannés a des peines arbitrai=
res selon la gravité du fait et les circons=
tances. Dans quelques endroits on en est
venu a leur percer la Langue.

<36v>  CHAPITRE V
Des Loix de police
 

LOIX DE POLICE

Aux Loix penales qui decernoient les peines
a infliger aux crimes commis, il etoit tres
essentiel de joindre encor des Loix de police  desti=
nees a les prevenir; Loix pour assurer le
sort de chaque particulier quant a sa vie,
sa personne, son etat, sa fortune, ses ressour=
ces, en sorte qu'il put conter sur son lot sans
etre exposé aux effets du caprice ou dela
violence: Loix pour etablir et mainte=
nir un ordre public qui put eloigner
les abus dans leur principe, constater
les principaux actes de la vie civile, et assu=
rer le cours des Tribunaux destinés a
terminer les differens et mettre en regle
les interets des particuliers: Loix pour
maintenir les bonnes moeurs, mettre les
hommes a couvert des seductions et des
pieges
donner surtout a la Religion
toute l'efficace qu'elle peut avoir sur les
hommes pour les contenir dans le
devoir.

LOIX DE SURETE POUR LES PERSONNES

Les premieres Loïx de police ont été celles
qui se sont occupé de la sureté des person=
nes, pour les mettre a couvert de toute
atteïnte, et dans leur habitation et
ailleurs, en voiage, sur les grandes rou=
tes, par terre, par eau, &c. pour preve=
nir les entreprises injustes et violen=
tes des assassins, des voleurs, des pira=
tes. De toutes sortes de gens mal inten=
tionés, comme aussi pour eloigner
autant que possible, les causes ou les
accidens qui pourroient mettre la vie
<37> des particuliers en peril, telles que la
la peste , la famine , la guerre les ïnonda=
tions , les incendies  &c.

LOIX DE SURETE POUR LE SORT ET
L'ETAT DES PARTICULIERS.

D'autres Loix de police non moins essentiel=
les furent destinées a assurer le sort des
particuliers, en fixant leur etat, et leur
otant toute defiance et inquietude sur
les ressources que cet etat pouvoit leur
offrir quant a leur subsistance et leur
bien etre.

LOI CONCERNANT LE MARIAGE.

Le premier objet de l'attention des Legis=
lateurs a cet egard fut le mariage ,
les formes qui devoient l'accompagner
et en fixer les engagemens, et par la assurer
le sort et l'etat des enfans 1 mot biffure qui
en pourroient naitre.
Pendant que le commerce des deux sexes
ne fut que l'effet passager d'un appetit
brutal, et que les femmes passoient suc=
cessivement entre les bras de tous ceux qui
avoient la force de les enlever, ou l'a=
dresse de les seduire, des enfans prove=
nant de ces unions vagues ne pou=
voient jamais savoir qui etoit leur
Pere, et ne connoissoient que leur Mere,
qui le plus souvent les abandonnoit
même cruellement dès leur tendre en=
fance; d'ou il arrivoit qu'ils etoient la
plupart exposés a perir, ou si leur
temperamment etoit assès fort pour
resister aux causes de detruction, qu'ils
restoient sans aucune education,
a peu près comme des brutes.
<37v> Instruits de tout cela par une triste expe=
rience, les Legislateurs qui presiderent a la
premiere formation des societés, n'eurent
rien plus a coeur que 1 mot biffure de mettre fin
au commerce vague des deux sexes et
de l'assujetir a un certain ordre par des
formalités publiques, et même de faire
intervenir l'autorité de la Loi pour le
convertir en societé conjugale permanente
qui en procurant aux enfans une edu=
cation assortie a la dignite de l'espece, put
leur assurer un etat a l'abri d'incerti=
tude avec une perspective de ressour=
ces 1 mot biffure 1 mot biffure pour l'avenir.
Les premieres Loix de police furent donc
destinées a rendre respectables et sacrés les
liens de l'union conjugale, et lui donner
une stabilité qui la rendit perpetuelle;
d'ou vient que les premieres Loix penales
furent aussi celles qui fulminoient des
peines contre ceux qui viendroient a y
porter quelque atteinte. Ce ne fut pas
seulement chès les Hebreux que l'on
temoigna ce respect pour les Loix de l'Hy=
men  . Ce fut aussi chès
les Egyptiens  ,
chès les Grecs, chès les Romains, chès les
barbares peuples meme du Nord, chès les Chinois;
il ne faut pas meme en excepter la nations
plupart des nations sauvages qui mal=
gré leur brutalité, ne meconnoissent
point 2 mots biffures les obligations
attachées a cet etat.

2 lignes biffures
LE CELIBAT

C'est dela que prirent naissance les di=
verses Loix qui eurent pour but de
prevenir les progrés du celibat, soute=
nus même par des Loix penales con=
tre les Celibataires, telles que celles qui
invalidoient leur temoignage, et même
<38> même leur decernoient des peines pecu=
niaires: auxquelles il faut joïndre les
Loix favorables aux gens mariés et
a ceux qui avoient le plus d'enfans, pour
etre preferès aux autres dans la collation
des emplois, comme cela 1 mot biffure été fut etabli
chès les Romains sous Auguste.

LOIX PLUS PARTICULIERES CONCERNANT
LE LIEN CONJUGAL.

Un lien aussi important que celui du ma=
riage demandoit des reglemens pour pre=
venir les abus qui pouvoient s'y glisser;
et le rendre plus avantageux au bon=
heur des socïetés.

L'AUTORITE DU MARI.

Une de ces premieres Loix particulieres
concernoit 2 mots biffures l'autorité du mari sur
la Femme comme quant a l'autorité
comme etant la consequence naturelle
de sa superiorité en forces, et en lumie=
res, et en influence sur la prosperité
de la famille: ce qui a été 1 mot biffure recon=
nu chès les Hebreux comme de Droit
divin .

LES DEGRES DE CONSANGUINEITE.

Une autre Loi 1 mot biffure fut destinée
a apprendre aux hommes qu'elles sont a determiner
les degrés  de consanguineité  qui pou=
voient repandre une sorte de tache sur
l'union conjugale et la rendre irreguliere
et illegitime. Ainsi chès les peuples
policés, le mariage fut deffendu non
seulement entre frere et soeur, maîs
encor entre les Germains de sang et meme
des consanguins plus eloignés; a plus forte
raison entre les Peres et les filles, les
meres et les fils, les oncles et les nieces,
<38v> les tantes et les neveux; selon que tout
cela fut determiné exactement dans
les divers codes, Hebreu en particulier dans le
comme il a ete 1 mot biffure dans celui des au=
tres nations code Hebreu .
On a sans doute trouvé contre toute bïen=
seance que ceux qui etoient appellés a
demeurer dans la même maison et a se
voir tous les jours, comme les freres et les
soeurs, et dans les anciens temps, les ger=
maïns, pussent vivre entr'eux familie=
rement, et sans aucune gene, et chercher
a se corrompre les uns les autres, pour se=
livrer a tous leurs appetits charnels,
et beaucoup plus encor contre la bien=
seance et le voeu de la nature, que ceux
qui avoient vocation de veiller a l'edu=
cation et aux bonnes moeurs des jeunes
gens commis a leurs soins, entrassent
avec ceux qu'ils devoient diriger et ele=
ver, dans une familiarité absolument
incompatible avec les sentimens de res=
pect et de soumission dus de la part
de ceuxci et d'ou dependoit entierement
le succès de leur education.
A cette raison tirée de la nature a pu se
joindre une raison politique dont la
sagesse est frappante: c'est qu'il falloit pre=
venir les alliances concentrées dans
chaque famille, qui par la auroit
pu devenir dans l'Etat un corps sepa=
ré et isolé; d'ou seroit resulté entre les
familles un principe de desunion et de
rivalité très dangereux a la societé;
au lieu que la necessité de s'allier entre
les familles force les Citoiens a s'unir
quoique separés
par le sang, a s'unir

entr'eux d'interet et de fortune, et en mul=
tipliant et diversifiant ces liens enlever 1 mot biffure
les germes de discorde que pouvoit seroient
devenus si prejudiciables au repos de l'Etat,
et a la prosperite publique.

<39> LE DIVORCE.

Les Loix des anciens peuples ont bien
prononcé sur la perpetuité de l'union
conjugale: mais quelques unes eton=
nent par la facilité qu'elles semblent
avoir donné pour la dissoudre. Ainsi
chès les Hebreux il etoit permis au mari
de repudier  sa femme de sa pure autorité,
lorsqu'il croioit en avoir quelque raïson
legitime, sans autre formalité qu'un
ecrit appellé Lettre de divorce .
Ce pouvoir n'etoit point reciproque de la
part de la femme. Mais il le fut, et avec
raison, chès les Grecs, et a leur exemple,
les Romains, par la Loi des XII Tables,
accorderent aussi aux femmes le Droit
de repudier leur mari.
Le Legislateur des chretiens semble avoir
interdit le Divorce dans tous les cas
si ce n'est pour cause d'adultere 
et les catholiques ne l'accordent pour
aucun cas, par la raison qu'ils regar=
dent le mariage comme un sacrement. Nous
Nous apprenons Cependant de St. Justïn
que sous Marc Aurele une femme re=
pudia hautement son mari. Il a été 1 mot biffure
meme Le divorce a ete en usage dans les Gaules, depuis l'etablissement
de la monarchie Françoise; et nous
croïons que les Protestans sont fondés
a l'acorder pour des raisons dont
la force peut etre equivalente a celle
de l'adultere, et qu'en cela ils ne con=
treviennent point a La Loi Evan=
gelique.

<39v> LE CONCUBINAGE

L'on a toujours supposé qu'un mari ne
doit avoir qu'une femme, et une femme
un seul mari. 
mais on est etonné de voir qu'on n'ait rien
attaché de deshonorant aux commerces
illegitimes  et que
le concubinage  ait été permis dans tout
l'orient, ches chès les Patriarches, chès
les Hebreux, ches les Grecs chès les Perses,
les Indiens, les Chinois. Il fut autorisé
aussi chès les Grecs et toleré du moins chès les
Romains. Jules Cesar Sous Jules Cesar,
il fut permis a chacun de prendre autant
de femmes qu'il voudroit. Dans la suite,
il ne fut permis d'avoir qu'une concubine
a la fois, et quand on la choisissoit parmi
les Esclaves, elle devenoit lïbre. Ce fut l'Em=
pereur Leon qui le premier deffendit le
concubinage: mais les Lombards et les
Germains continuerent pendant bïen
longtemps encor a avoir des concubines.
Seulement par l'ancien Droit, il fut deffen=
du d'avoir le moïndre commerce avec des
filles quî par leur fortune ou par leur rang
avoient droit d'aspirer a la qualité d'Epouse.
Combien de temps n'a t'il pas fallu, malgré
les Loix de l'Evangile, pour faire compren=
dre aux Chretiens les abus et les suites fa=
cheuses du concubinage, et les engager
a l'interdïre; et encor a quoi se reduisent
les peïnes infligées a ceux qui violent les
Loix emanées a ce sujet.? Elles ne seront
bientot plus que de vaïnes formalités
penales, qui ne mettront plus aucun
frein au debordement.

<40> L'EDUCATION

Rien encor de plus sensé que diverses Loix
de police etablies chès les divers peuples
relativement aux enfans issus de maria=
ges legitimes pour pourvoir a leur educa=
tion, ou par une institution publique et
nationale, ou par une vigilance severe
sur la conduite des Parens dans leur insti=
tution privée et domestique, enfin pour
conserver la vie et la santé a ces nouveaux
citoiens, et les attacher a la Patrie comme
a leur Mere commune: ce qui est le
seul et veritable moyen de donner au
corps politique de la consistence et de la
force, en assurant la prosperité gene=
rale des familles.

LES CONVENTIONS MATRIMONIALES

Le bonheur des mariages demandoit aus=
si que d'anciens usages fussent convertïs
en Loix parrapport aux Conventions matri=
moniales. Il n'en Dans les temps anciens
la coutume et la Loi vouloient que l'Epoux
achetoit en quelque sorte son Epouse par
des services rendus, ou par des presens faits
a ses Parens, ou par un Douaire  ou Don 
qu'il lui faisoit 2 mots biffures puisse pour et en l'epousant, dont elle pouvoit disposer
a son gré. Cela se prattiquoit ainsi
dans tout l'orient du temps des Patriar=
ches , dans tout l'orient, chès les anciens ha=
bitans de l'Inde, de la Grece, de l'Espagne,
des Gaules, de la Germanie; et il se prat=
tique encor aujourdhui chès les Chinois,
les Tartares, les Turcs, les Grecs mo=
dernes, les Maures, et même chès les
hordes sauvages.
<40v> On voit cependant que chès les anciens
Grecs, les presens de l'Epoux ne dispensoient
pas le Pere de l'Epouse de donner a celle ci
une certaine portion de biens, qui formoient
sa dote  sous le nom de μειλια douceur,
ou de φερνη cad  apportée dans la maison du
mari, d'ou vient qu'on appelloit αντιφερνη
ce que le mari don=
noit en retour de
la dote, et παραφερνη
ce que la
femme apportoit
outre sa dote, en
mobilier &c. et
que nous appellons
dela, les biens pa=
raphernaux.
 
Les Romains recevoient aussi des Dotes de
leurs femmes, et l'Empereur Majorien decla=
ra même nuls les mariages contractés sans
dot cela.
Ches les Europeens la dote n'est pas de l'essence
du mariage, mais elle en est le plus souvent la
cause: Le mari en a l'usufruit pendant
le mariage, mais s'il n'est suivi daucune
posterité, elle retourne aux parens de
lEpouse.

L'ORDRE ET LE PARTAGE DES SUCCESSIONS

Rien n'etoit plus necessaire pour assurer le
sort des enfans que des Loix de police pour
regler l'ordre et le partage des successions  .
Partout les Loix civiles ont assuré aux
Parens le droit de faire la disposition de
leurs biens entre leurs enfans, comme ils
le jugeoient a propos .
Cette liberté etoit bien
necessaire pour contenir les enfans dans
le respect, ainsi que pour encourager
l'industrie et le travail des Parens. on
la trouvé Dans la plupart des pays de lEurope
on a trouvé cette liberte trop etendue, et exposant trop le sort
des enfans aux effets de l'injustice et du
caprice. C'est pourquoi les Loix ont attri=
bué aux enfans une Legittime ou por=
tion <41> de biens qu'ils peuvent legitimement
reclamer, et de laquelle ils ne peuvent etre
privés, lorsqu'ils n'ont pas merité d'etre
exheredés par leurs Parens.
Hors dela, et dans tous les cas ou 1 mot biffureil n'y avoit
aucune disposition paternelle, les enfans
legitimes furent toujours declarés ha=
biles a partager l'heredité  par egales por=
tions: c'etoit même l'usage ancien de
faire des lots  qu'on tiroit au sort. Les
enfans illegitimes conçus en concu=
binage, autrement appelés Batards
ne pouvoient rien demander de Droit, mais
l'usage etoit que les legitimes leur fissent
quelque part de l'heredité, selon leur
bon plaisir.
Les prerogatïves de l'ainesse  ne regar=
doient que la superiorité en fait d'in=
fluence domestique ,
mais nullement la succession
aux biens.
C'est l'introduction
de la noblesse et du
gouvernement fe=
odal, qui a amené
la Loi injuste du
majorat, qui attri=
bue a l'ainé la
succession a tous
les fonds patri=
moniaux.
 

<41v> LOIX DE SURETE POUR LES RESSOUR=
CES QUE FOURNIT A CHACUN L'AGRI=
CULTURE, L'INDUSTRIE, LE COMMERCE.

Le sort de chaque particulïer depend de la
paisible jouissance non seulement de son
patrimoïne, mais encor de tous les avantages
qu'il peut se procurer par son travail en
fait de culture, ou d'industrie, ou par son ac=
tivité dans les affaires de commerce,
et en tout ce qui peut pour avancer sa fortune
et 1 mot biffure par la concourir a la prosperité publique.
Dela vient que tous les Legislateurs ont
aussi etabli des Loix de police, destinées
a maintenir chacun dans la douce
assurance de pouvoir jouir tranquille=
ment de toutes les ressources qu'il aura
pu mettre a sa portée pour son entretien
et son bien etre, et pour celui de ses enfans
et de ses descendans. Ces Loix ont varié
selon le genie des peuples, la nature des
lieux qu'ils habitoient, et les circonstan=
ces ou ils se trouvoient; mais on en
trouve partout, chès les Hebreux, chès
les Grecs, chès les Romains, et chès toutes
les nations civilisées connues de nos
jours. Partout il y a eu des Loix
de police pour les arts mechaniques,
pour les professions, pour le commerce, et
des Officiers  etablis pour veiller sur ces
objets, reprimer et prevenir les abus,
maintenir l'ordre et la bonne foi: Dans
tous les quartiers de Jerusalem il y
avoit deux prefets  ou Intendans  de
police. Les Atheniens eurent aussi
leurs magistrats de marché . A
Rome ce fut l'affaire du Preteur: ensui=
te sous Auguste, du Prefet de la ville
auxquels les Preteurs furent subor=
donnés.

<42> LOIX DE SURETE POUR L'ORDRE PUBLIC.

Pour La sureté dans les affaires, de la vie
pour etre a couvert de la fraude, demandoit
necessairement un ordre public, des moiens
et des arrangemens connus, pour constater
et regler les principaux actes de la vie civi=
le, pour afin que rien d'important ne se fit d'une
maniere irreguliere, ou a la sourdine,
et comme a la derobée, au profit des plus
fïns et au detriment des plus simples. Tel
fut aussi l'objet dont les premiers Legis=
lateurs s'occuperent comme essentiel a
toute societé reguliere, et qu'on retrouve
aussi chès tous les peuples policés. Toutes
les affaires importantes, telles que la propri=
eté, les mariages, l'etat des personnes, les succes=
sions, la specification des biens, tous les con=
trats, engagemens reciproques, ventes et
acquisitions, tous les jugemens criminels
et civils, et autres objets desquels dependent
la sureté et la confiance, ont ete 1 mot biffure ete accompa=
gnees dans tous les temps, d'un degré de publicité
qui en constatat l'authencité et en assu=
rat l'execution. Dela on a senti la necessi=
té indispensable de regler par certaines
Loix de police 1o les formules qui devoient
etre emploiées pour dresser chacun de ces
actes, afin d'eviter toute obscurité et chi=
cane; 2o les personnes publiques qui devoient
seules etre autorisées a les rediger 3o les
depots publics ou les actes registres , ou
ces actes devoient etre consignés, pour
<42v> pour qu'on put y recourir dans le
besoin. Ce sont de ces Loix qu'on de tels etablissemens se re trou=
ve encor dans le vent dans tous les Codes de police des
nations, et même des anciennes. Il est
vrai qu'avant l'usage de l'Ecriture, les
actes civils se passoient verbalement .
La forme usitée pour les constater etoit
de les passer transiger en public et devant des te=
moins . Pendant bien
longtemps ce fut toujours la deposition
des temoins qui faisoit foi de leur rea=
lité. Il est encor des peuples qui ne passent
pas autrement leurs contrats. Chès d'autres
pour constater les emprunts on emploie
certains morceaux de bois entaillés dif=
feremment; on les coupe en deux; le
creancier en garde une moitié, le debiteur
retient l'autre: quand la dette est acquittée
chacun remet le morceau qu'il avoit
par devers lui. De pareils moiens pou=
voient sufffire, lorsque les contrats n'avoient
que fort peu de clauses. Mais tout cela
etoient devint entierement insuffisant dès que les conven=
tions ne purent etre conservées dans leur
integrité sans etre mises par ecrit,
et que leur effet dut s'etendre au dela
des termes de la vie humaine, et passer
a des generations suivantes.
on doit rapporter ici enfin l'introduction du
serment  religieux pour donner une nou=
velle force aux contracts, et pour terminer
plus aisement les differens qui demandent
une deposition de temoins; usage qui remon=
te a la plus haute antiquité, 1 mot biffure.
Le cas que les peuples en ont fait se prouve
par la solemnité des ceremonies dont etoit
accompagnée la prestation du Serment, tels
que les sacrifices, l'usage ou etoient ceux qui le
pretoient de se faire chacun une incision, et de
reunir le sang qui en couloit dans un com=
mun vase; lhorreur quon temoignoit pour

les parjures et les
chatimens qui leur
etoient infligés.

<43> AUTRES LOIX PAR RAPPORT AUX
TRIBUNAUX

un autre objet non moins essentïel dela
Police fut l'etablissement des moiens ou
arrangemens necessaires pour appliquer
les Loix aux faits, exercer la punition en=
vers les coupables, et terminer les differens
qui pouvoient survenir entre les particu=
liers. Dans les societés domestiques les
Pères de famille etoient les Juges crimi=
nels et civils, par rapport a leurs enfans et
leurs domestiques. Mais dans une com=
munauté composée de plusieurs famil=
les, les contestations qui s'elevoient entre
celles ci, ne pouvoient etre decidées et ter=
minées que par un arbitre  commun
auquel elles etoient de part et d'autre
etrangeres: mais cet arbitre n'etoit pas
toujours assès bïen instruit pour juger
avec equité: on ne pouvoit pas toujours
conter sur son impartialité, et quand il
avoit prononcé, il dependoit toujours des
parties de recuser le jugement: il n'exis=
toit aucune autorité pour le faire respec=
ter, pas plus qu'il n'en existoit pour pu=
nir les crimes.
Des qu'on voulut donner aux Societés
une forme reguliere, on sentit bien que,
pour assurer le repos des particuliers et
et la tranquillité generale, il falloit quel=
que chose de plus que la voie d'arbi=
trage. qu'on ne pouvoit se passer d'une
personne, ou plutot d'un corps de person=
nes en office, dont la capacité fut recon=
nue, et obligées de prendre pour base de
leurs jugemens certaines Loix d'une jus=
tice avouée, et reconnue chargées d'ap=
pliquer ces Loix aux faits sans acception
de personnes, et pourvues d'une autorité
suffisante pour faire executer leurs ju=
gemens; on comprit que ces mêmes
personnes, ou d'autres formant un
<43v> un corps a part, devoient aussi etre
chargées de l'application des Loix penales
pour 1 mot biffure tenir les 1 mot biffure ou de lexercice,de Loix
de police destinée a 1 mot biffure contenter les crimes, joi=
gnant a leurs jugement prononcés une autorité
emanée du pouvoir supreme, qui est
comme la source d'ou doivent decou=
ler tous les pouvoirs dans la une Societé
politique ce sont reguliere.
Pendant que les societés furent peu nom=
breuses, le Chef, le Souverain le Mo=
narque, pouvoit s'acquiter lui même
et par lui même de ces fonctions ïmpor=
tantes.. Mais dès que les peuples devin=
rent plus nombreux, le Souverain ne put
se dispenser de s'associer, et même plutot
d'etablir en sa place et pour agir en
son nom, des corps composes de personnes exper=
rimentées, d'une probité reconnue en
leur confiant une partie de son 1 mot biffure pouvoir
et les autorisant a pour exercer de sa part
toutes ces diverses sanctionsla justice criminelle 1 mot biffure et la  poli=
ce. Quelle fut la premiere origïne des sous les noms de
Juges , des ou Magistrats  criminels et
civils, des Magistrats de police, dont
le corps fut est appellé Tribunal  ou
conseil, differemment denominé
selon les objets de son pouvoir. C'est
ainsi qu'ils furent etablis chès les He=
breux .
<44> En instituant les Tribunaux on regla
aussi leur constitution, leur pouvoir,
leur maniere de proceder, les formes a
suivre pour les parties dans la conduite
de leur cause, et les formes auxquelles
les Juges durent s'assujetir dans la ma=
niere de preparer et d'asseoir leur juge=
ment; autant de Loix qui prescrivoient
les devoirs des Juges, des plaideurs , et des
Avocats , dans les lieux ou il etoit permis
d'y avoir recours; ce qui n'a pas été permis
chès toutes les nations ni dans tous les
temps.
Dans les temps anciens, la Justice se rendit
publiquement et même aux portes des
villes .
Les formalités etoient en
petit nombre, tout se decidoit par l'ap=
pel et l'interrogatoire des temoins et sur
leur deposition. Cette maniere sommai=
re se prattique encor en certains pays.
A la deposition verbale, on substitua dans
la suite l'Ecriture; toutes les operatïons
des Tribunaux, des parties, des avocats
furent redigées par ecrit et par la on obtint
plus de lumieres, plus de facilité a saisïr
les causes, prevenir les difficultés et
eviter les bevües dans les jugemens.

LOIX DE POLICE POUR LES BONNES
MOEURS.

Il etoit aussi bien necessaire de faire des
Loix destinées a tirer parti de ce que la
societé peut offrir de moiens pour le main=
tien des bonnes moeurs c.a.d. pour eloigner
ce qui pourroit les corrompre, et former
les coeurs a la vertu en leur inspirant
des sentimens de bienveillance et de paix
par la empecher
que le principe de
la vertu ne s'eteigne
dans les coeurs.
 
Ainsi on pourvut au repos des familles par
des Loix qui fixoient des limites a la puissance
<44v> paternelle pour quelle ne put degenerer
en oppression; on satisfit a ce qu'exigeoit
l'humanité envers les esclaves, en prevenant
la rigueur et la cruauté de leurs Maitres;
clard a la faineantise, la vie vagabon=
de, la mendicite, on opposa des reglemens
pour obliger chacun au travail, et chès
la plupart des peuples, chaque particulier
fut adstreint a venir tous les ans decla=
rer au Gouverneur de la province son
nom, sa profession, les ressources qu'il avoit
pour sa subsistance et celle de sa famille,
on prit d'ailleurs des arrangemens pour
pourvoir a l'entretien des veritables pau=
vres et empecher les prevenir les exces crimes
qui pouvoient naitre des horreurs de
l'indigence et dela misere.
on doit rapporter ici les Loix destinées
a preu opposer une barriere aux excès
de la profusion, du luxe, du jeu, de la
debauche, du libertinage, et de tout ce qui
tient a la corruption des moeurs.
Il y en eut même des Loix de polices pour
maintenir les liens civils sociaux de l'honneteté,
de la politesse, des bienseances, et des
honneurs egards dus a l'age, a la dignïté, a
la condition et au sexe.
on en fit même sur la maniere de rendre
aux morts les Devoirs de la sepulture  et
d'honorer leur memoire. Ces Loix furent
très detaillées chès les Egyptiens et religieu=
sement observées. Dans la Grece, Cecrops
prit soin d'instituer les ceremonies fune=
bres.
<45> on n'a pas elle meme oublié ce qui regarde
le Deuil : mais rien de plus varié chès
les divers peuples. Les Chinois portent le
deuil en blanc, les Turcs en bleu ou en
violet, les Egyptiens en jaune, les Ethy=
opiens en gris. Dans toute l'Europe c'est
en noir. Dans l'orient c'etoit une mar=
que d'affliction que de se couper les che=
veux. A Rome c'etoit le contraïre. On
annoncoit aussi le deuil par l'etoffe
et la forme grossiere des vetemens.
On revetoit des sacs, ou cilices.
 

LOIX DE POLICE POUR LA RELIGION.

Tous les peuples penetrés de l'idée d'un
Etre supreme ont tous cherché a se le ren=
dre propice, par un culte et et principalement 1 mot biffure par des actes
de culte public. Ce Culte, anterieur a
toutes les societés politiques, a été envi=
sagé par les premiers Legislateurs com=
me un moien des plus efficaces pour con=
tenir les peuples dans le Devoir, et affer=
mir parmi eux le bon ordre. Mais en
même temps, ils ont compris combien il
seroit dangereux de laisser a chaque
particulier la liberté de se choisir au
son gré de son imagination, son objet
et sa maniere de culte, et en consequen=
ce, ils se sont occupés a regler par des
Loix la forme du culte public, les
divers hommages qui seroient tout les particu=
liers offerts 1 mot biffure en commun a la Divi=
nite, pour se la rendre propice, ainsi que
<45v> toutes les formalités ou circonstances
qui pourroient se rapporter a cet un objet si
important. au bonheur des societés C'est
ce qui fit que dans l'origine des Societes
politiques, et même bïen longtemps après,
le sacerdoce  fut reuni avec le Sceptre 
dans la personne des Rois  .
Mais lorsque dans la suite,
ceux ci furent trop occupés des fonctions de leur
Royauté, celles de la religion et du
culte furent commises a un ordre de
personnes separé, appellées Pretres  ou
Ministres de la Religion. On prit soin
aussi de leur concilier la plus haute con=
sideration, puisqu'ils furent chargés par
preference de l'administration de la justi=
ce, qu'ils devinrent arbitres des affaires les
plus importantes et juges de tous les de=
lits: usage conservé encor chès quelques
nations, mais sagement reformé chès
d'autres, puisqu'il donnoit a un seul or=
dre de personnes un ascendant trop
marqué pour ne pas devenir abusif
et dangereux a l'autorité supreme.

<46> CHAPITRE VI
Loix civiles.

LOI DE PROPRIETE.
LOIX CIVILES.

Lorsque les hommes etoient encor dans
l'etat de communauté imparfaite, ils ont
pu se former une idee très claire du
Droit de proprieté. Ainsi cette idée aiant
preexisté a la formation des societés
regulieres, la premiere de toutes les Loix
positïves, comme la plus essentielle, a
du avoir naturellement pour objet, la distinction du
mien et du tien, et qui fixe et assure a
chacun le sien. Droit de proprieté Mais
cette Loi generale eut été insuffïsante
au repos des societés, sï elle n'eut été
devellopée, eclaircie, reglée dans son
application, par dïverses Loix particulie=
res et de detail, destinées a assurer a
chacun ces divers droits avec leur exer=
cice paisible et determiner dans chaque
cas, ce que les hommes se doïvent les uns
aux autres, et par quels principes doi=
vent etre terminés les differens qui peu=
vent s'élever ent'reux. Ce sont toutes
ces Loix qu'on appelle Loix civiles
dont l'ensemble chès chaque nation,
forme ce qu'on appelle son code civil.

LE CODE CIVIL DOIT PRESQUE EN
ENTIER SA NAISSANCE A L'AGRI=
CULTURE.

Le Code Civil se reduit presque a rien
pour les peuples sauvages il est a du natu=
rellement etre très peu etendu pour les
peuples nomades, chès qui la propriété
ne s'etend na que très peu d'objets, et qui n'ont
pas besoin de beaucoup de formalités
pour faire conster de leur Droit, pour
assurer leurs conventions, et terminer
leurs differens. Mais il aura été
<46v> beaucoup plus etendu et plus compliqué
pour les peuples cultivateurs qui ont beau=
coup plus d'objets divers de proprieté, et
la plupart de ces Loix seront auront ete relatives a
l'Agriculture 3 mots biffures et a ses dependan=
ces, et elles repondant par leur nombre et
leur multiplication aux progrès que cet
art aura pu faire chès les divers peuples.
La culture de la terre demande de grands
travaux et l'emploi d'un grand nombre de
moiens industrieux qui ont donné nais=
sance a un grand nombre d'arts, lesquels
ont influé beaucoup sur les succès de
l'agriculture comme celle ci a son tour
a influé sur leurs progres la perfection de ces arts. Les arts as=
socïés a l'agriculture ont produit le commer=
ce, le commerce, les richesses, et celles ci a
leur tour ont encor ajouté a la perfection des
arts et de l'agriculture. Tout ainsi dans
les societés agricoles a conconru a multi=
plier et diversifier les interets respectifs des
particuliers, et dans la même proportion,
les objets de contestations et de disputes.
Le maintien de l'union sociale deman=
doit donc necessairement des Loix sur tous
ces objets pour prevenir ou terminer les
differens et proteger le foible contre les usur=
pations du fort; il falloit cela pour sup=
pleer a l'autorité dela Loi naturelle, et
mettre en regle un très grand nombre de
cas, ou l'application de cette Loi se trouvoit
très difficille et ne pouvoit même que devenir en=
tierement arbitraire, s'il n'y avoit pas quel=
que institution positive qui la determinat
avec precision. Point de Loi naturelle
plus generalement reconnue que celle ci
par ex. chacun a le Droit de disposer de
ce qui est a lui: mais appliqués cette Loi
<47> aux Peres de famille, il en resultera qu'ils
peuvent priver leurs enfans de tout pa=
trimoine, ou donner tout aux uns exclu=
sivement aux autres; barbarie atroce!
d'ou resulteroient les inconveniens les
plus affreux pour la societé: on avoit
donc besoin d'une Loi civile qui prevint
l'extension abusive de la Loi generale
de proprieté: telle a été la Loi de la legi=
time.
Joignés a cela que les affaires humaines
ne peuvent se regler sans certaines for=
mes qui n'ont pu etre fixées et determinées
que par des Loix positives, et d'ailleurs variables
selon les temps et les Lieux.

PREMIERE LOI CIVILE. LE PARTAGE
DES TERRES.

Puisque c'est l'agriculture qui a donné
naissance aux divers Codes civils des societés
politiques, il s'ensuit que la premiere de
toutes les Loix civiles a du avoir pour
objet le partage des terres entre les mem=
bres d'une societé cantonnée dans un
district. pour la cultiver Chès une peu=
plade errante, la communauté entiere
s'empare d'un terrein, l'abandonne,
le reprend successivement, selon les cir=
constances, et elle en est censée pro=
prietaire pendant qu'elle l'occupe: D'ail=
leurs tout le terrein restant en com=
mun aux particuliers pour en jouir
tel qu'il est, il ne se fait aucun par=
tage qui parce qu'il ne seroit d'aucune utilité ni
pour la communauté, nï pour les particuliers.
Mais chès une Societé cantonnée dans
un district pour le cultiver, le partage
est inevitable: il faut que celui qui seme
le grain soit sur de le recueillir pour
<47v> soi, sans quoi il ne le semeroit pas,
parce qu'il ne prendroit pas la peine de
le semer pour les autres. or cette certitu=
de n'a pu resulter que d'une Loi 1 mot biffure
qui a assurant a chaque Individu la pro=
prieté entiere et exclusive de ce qu'il
a occupé le premier pour en faire l'ob=
jet de sa culture, ou qui a assigné a
chacun une certaine quantité de
terrein determinée pour le cultiver devenir
comme sa propriété, et a pris en conse=
quence les mesures necessaires pour
que chaque proprietaire put jouir en
paix du fruit de son travail. Dela
vient que chès tous les peuples cultiva=
teurs, entr'autres les Romains, les pre=
mieres de toutes les Loix furent les Loix
agraires , concernant la proprieté
fonciere, le partage et la distrïbution
des terres, et la maniere de les posseder.
pour en jouir a l'exclusion des autres

SECONDE LOI CIVILE. LE BORNAGE

Aiant reglé le partage des terres et la
propriété fonciere, les premiers Legisla=
teurs aviserent aux precautions pour
reprimer et prevenir les usurpations et
tous les sujets de conteste entre les pro=
prietaires. De la loi du bornage  qui
ordonnoit que l'etendue des terreins
echus a chaque particulier fut exactement
determinée et fixée par des bornes 
ou des marques solides et durables, a=
lors soutenue par de diverses Loix penales
rigoureuses contre ceux qui entrepren=
droient d'enlever clandestinement les
bornes des heritages .

<48>  TROISIEME LOI. LA SUCCESSION AGRAI=
RE.

Les travaux qu'exige l'Agriculture
furent regardés de tout temps comme
un titre legitime non seulement de propri=
eté pendant sa vie, mais encor du Droit
d'en disposer de son vivant et 1 mot biffure du fond
et d'en transmettre la proprieté a d'autres
personnes 1 mot biffure et la faire parvenir
après sa mort a ceux qu'il le proprietai=
re pourroit desïgner comme ses suc=
cesseurs. ou qui Un objet de cette impor=
tance donna naturellement naissan=
ce a ces Loix civiles destinées a regler
la maniere dont un domaine après
la mort du proprietaire, seroit assigné
ou partagé, soit dans le cas ou il au=
roit manifesté particulierement sa vo=
lonté a ce sujet, soit dans le cas ou il
ne l'auroit point enoncée, soit qu'il
laissa des enfans après lui, soit qu'il
mourut sans posterité. C'est dela
que nâcquirent toutes originairement
les diverses Loix civiles concernant les
Testamens  ou dispositions de derniere
volonté, et la maniere de les faire pour
en assurer l'effet, comme aussi les dis
successions ab intestat , et de ceux qui
meurent sans enfans.

<48v> LES AUTRES LOIX CIVILES NE SONT QUE
DES DEPENDANCES DE CES TROIS PREMI=
ERES.

De ces trois premieres Loix liées a l'agricul=
ture et ses dependances, sont decoulées comme
consequences plus ou moins eloignées, les di=
verses Loix des codes civils. Pour en bien
saisir les premieres origines et l'esprit, rien
ne seroit plus necessaire qu'une connoissance
historique detaillée des premiers etablisse=
mens de l'agriculture, des arts qui sont nés
avec elle, et des plus anciennes Loix, qui
ne furent que des applications immedia=
tes de ces premieres Loix fondamentales que
nous avons enoncées: mais nous ne trou=
vons ici qu'un vaste champ a conjec=
tures sans aucune base etablïe sur des
faits, sans doute que les plus anciennes
<49> Loix civiles furent en petit nombre; ce
nombre augmenta a mesure qu'il se pre=
senta des cas nouveaux. Dans la suite des
temps, il fallut encor etendre ces Loix
ou même les reformer, a mesure que
l'agriculture fit des progrès, que les
objets d'industrie se multiplierent, que
le commerce s'etendit, qu'on fit de nou=
velles recherches, de nouveaux etablis=
semens, et qu'enfin l'abondance ame=
na tout l'attirail du faste et du luxe.
Les Loix nouvelles durent surtout se
multiplier depuis la decouverte et
lemploi des metaux qui enfanta tant
de nouveautés dans les arts, et surtout
lors de leur introduction comme mon=
noie dans le commerce, puisque c'est
du maniment et du mouvement de
l'argent que sont resultés les contrats ,
les acquisitions, les stipulations
en fait de ferme, de pret, et toutes
les obligations pecuniaires qui ont
donné tant de ressort a l'activité
humaine.
Alors les Loïx civiles concernant la
proprieté des fonds reçurent des ex=
tensions qui les rendirent applicables
a tous les divers objets de proprietés,
maïsons, bestiaux, utensiles, effets
mobilïaires, objets d'industrie, de com=
merce, de circulation, marchandises,
monnoies, a tous les actes divers resultant de
la circulation, affaire d'emprunt, d'hy=
potheques, de cautionnemens , &c. et
dela cette foule de Loix civiles qui ont rapport
a ces objets a ces objets et a ces aides, et qui
donnerent aussi naissance a toutes les Loix
de police etablies pour les constater et
les regler.
<49v> Surquoi on comprend encor que Aussi
souvent que les guerres ont fait chan=
ger de face aux Etats, que les Conquetes
y ont etabli de nouveaux arts, de nou=
velles moeurs, aussi souvent que la forme
politique a pu etre alterée chès telle ou
telle nation, aussi souvent le code civil a du
eprouver divers changemens dans les
details. Ainsi par ex: l'ancien Droit
Romain permettoit au creancier, en cas
de deffaut de payement, de s'adresser direc=
tement a la caution, et lorsqu'il y avoit
plusieurs cautions, de les attaquer l'une
ou l'autre, comme etant toutes oblïgées
solidairement. Adrien accorda aux
cautions le benefice d'obliger le crean=
cier a divïser son action, et chaque cau=
tion pouvoit s'acquiter en payant sa
part de la somme principale a la charge
du debiteur. Depuis Justinien, les cau=
tions cesserent d'etre obligées au paye=
ment faite par le creancier des biens du
debiteur. Suivant nos coutumes, la cau=
tion ne peut etre attaquée avant le de=
biteur, qu'autant qu'elle a contracté
l'engagement a la solidarité.
Parrapport au debiteur insolvable, chès
les Juifs, le creancier pouvoit le faire
incarcerer, et même le vendre pour escla=
ve lui, sa femme et ses enfans: A Rome,
les creanciers pouvoient le charger de
chaines et même le mettre en pieces pour
se partager ses membres: dans la suite,
tout se reduisit a la contrainte par
corps, ce qui revenoit a ce que nous
appellons le capiatis.
<50> C'est ainsi que l'experience aiant montré
les inconveniens attachés a diverses Loix
civiles, on les a supprimées, ou changées
successivement, maïs les auteurs anciens
n'ont rien du 2 mots biffures ni des nous ont donné peu de lumieres sur
les causes et les epoques de ces change=
mens, par ce qu'ils ecrivoient dans des
temps posterieurs, et lorsque les Codes
avoient deja pris une forme plus per=
manente.

GRA
GRANDE INFLUENCE DE L'AGRI=
CULTURE SUR LES AFFAIRES HU=
MAINES.

Après ce qui a été dit on ne peut douter de
la grande influence de l'agriculture sur
la Legislation
, et sur le maïntien des
socïetés civiles
. On ne sauroit douter
non plus de l'attentïon particuliere que
les premiers Legislateurs ont donné a
cet objet important. Temoin ces pre=
cautions qu'ils avoient prises pour la
conservation des animaux necessaires
au labour, jusques la qu'il etoit deffen=
du par les anciennes Loix d'en tuer au=
cun, et c'est ce qui, sans doute avoit
rendu le respe Boeuf si respectable
chès les Egyptiens. Temoins ces au=
tres Loix uniquement destinées a favo=
riser les progres de l'Agriculture, telles
que la deffense de posseder des terres
labourables audela d'une certaine
quantité, de vendre et aliener l'heri=
tage de ses Peres, de donner pour hy=
potheque des terres en labour, la
deffense de faire arreter et aprehender
le laboureur, de saisir sa charue,
ses instrumens &c.
<50v> Toutes les ressources que la nature peut
offrir par elle meme n'ont jamais pu suffire pour nour=
rir un certain nombre d'hommes ras=
semblés dans un même canton. Il n'y
a jamais eu que l'Agriculture qui ait
pu permettre aux hommes de se for=
ixer en corps nombreux de Societés regu=
lieres, de se rassembler dans de grandes
villes, de former de grands Etats; c'est
a elle seule qu'il dut faut attribuer
l'existence des empires puissans et flo=
rissans de Babylone, de l'Assyrie, de
l'Egypte, dela Chine &c et dèsla la même
les progrès que les hommes ont pu faire
dans les arts et les sciences qui ne sont
dus qu'aux etablissemens civils et poli=
tiques.

LES LOIX POSITIVES DES SOCIETES POLI=
TIQUES N'ONT CEPENDANT PAS DETRUIT
LE POUVOIR DES AUTRES LOIX.

Quelques grands qu'aient été les avantages
que l'espece humaine a retiré des Loix
positives des societés politiques, cellesci
n'ont point detruit les Loix qui 1 mot biffure
existeroient avant elles, et dont l'usage demeu=
roit encor necessaire pour amener les
peuples au bien: Les Legislateurs eux
mêmes n'ont pu 2 mots biffures se dispenser de tirer par=
ti de la Loi naturelle, de la Loi d'usage,
de la Loi d'opinion entr'autres de l'amour
de la gloire et de la crainte de l'opprobre qui
ont été dans tous les temps le plus puissant
ressort des actions humaines.
Les Loix positives n'ont point pensé a pres=
crire les vertus sociales ni a leur donner
des recompenses: elles ont gardé le silence
sur plusieurs vices, qui n'etoient pas même
susceptibles de punition publique; mais
<51> ils Les Legislateurs se sont reposés sur les Loix naturelles,
la Loi d'usage, la Loi d'opinion et d'honneur
pour suppleer a ce deffaut. des Loix
On a supposé que certains sentimens, certains
procedés, ne pouvoient manquer de concilier
une estime et une consideration generales,
et que l'ambition d'obtenir cette estime etoit
un ressort assès puissant pour suppleer
a celui des recompenses que les Loix n'eus=
sent pu que très difficillement assigner.
On a supposé de même que certaines ac=
tions honteuses, contraires au bon ordre,
seroient partout hautement blamées
et encouragées et condanées par les les jugemens du public,
et que la frayeur d'encourir ces juge=
mens seroit un frein assès puissant pour
suppleer a des chatimens ou des mena=
ces 3 mots biffures par que la Loi quel n'eut pu
que difficillement appliquer.
Telle est encor le regne des Loix anterieu=
res aux Loix positives qu'il n'est aucune
action vertueuse prattiquée dans une
societé, qui ne trouve dans l'approbation
publique une recompense d'autant plus
flatteuse et efficace que la Loi n'y a au=
cune part; aucune action indigne,
qui ne soit rigoureusement punie par
la honte, le mepris, et qui ne trouve
dans l'indignation publique un jugement
tout autrement redoutable et effraiant
même pour les ames les plus viles, que
ne le seroit une sentence, revetue de toutes
les formes judiciaires. d'un Tribunal

<51v> CHAPITRE VII.
De la puissance relative des Etats, et du
droit des gens qui doit regler leur con=
duite entr'eux.

Apres avoir presenté le tableau general
de la transformation des communautés
en societes regulieres par le moien du
gouvernement et des Loix necessaires au
maintien de l'ordre public, nous croions
devoir dïre aussi quelque chose sur ce
que l'experience a appris touchant la
puissance relative des Etats, et la condui=
te qu'ils doivent tenir entr'eux pour assu=
rer leur repos et leur bonheur.

CAUSES PHYSIQUES ET MORALES D'OU
DEPEND LA PUISSANCE RELATIVE
D'UN ETAT. A sa situ

Io LA SITUATION LOCALE
relativement au climat, a la position
près ou loin des côtes de la mer, ou des
lacs, des fleuves, des canaux, ou enfon=
cés plus ou moins avant dans l'interieur
des terres, dans le voisinage des forets, des
montagnes &c.

IIo LA JUSTE ETENDUE DU TERRI=
TOIRE OU DOMAINE,
assès grand pour nourrir une popula=
tion considerable, mais pas plus etendu
qu'il ne convient a cette population, non
surchargé de terres incultes ou inculti=
vables, d'une telle enceinte que la nation
n'y soit pas trop dispersée, pour que cela
mette obstacle a la reunion de ses forces,
et a l'activité du gouvernement dans ses
operations politiques ou militaires. La
puissance d'un Etat depend beaucoup
a cet egard du rapport dela vitesse avec
laquelle on peut executer contre lui quel=
que entreprise, et de la promtitude qu'il
peut deploier pour rendre cette entreprise vaine.
<52> Car puisque la puissance qui attaque peut
paroitre d'abord partout, il faut aussi que
l'Etat qui se deffend puisse promtement se
montrer en forces partout, et par conse=
quent que l'etendue de l'etat soit dans une
juste proportion avec cette celerité neces=
saire pour la deffense.

III. UN SOL FERTILE ET FER=
TILISE,
et dès la même des bras pour le cultiver,
mais en mêmes temps l'industrie et le commerce
necessaires pour en faire valoir les pro=
ductions: abondance de subsistances, de
fourrages, de matieres premieres; a côté
de cela des arts, des fabriques, des manu=
factures, du commerce, qui soutiennent
la culture, augmentent la population
et par les exportations, augmentent la
masse des richesses nationales. V. Sect. II.

IV. Une juste proportion entre les de=
penses et les richesses nationales et l'eloigne=
ment d'un luxe ruineux.
L'inegalité des fortunes n'est point funes=
te a une nation pendant que l'opinion
ne permet pas au Citoien opulent d'em=
ploier la sienne au luxe; mais sitot qu'il
peut n'etre plus opulent que pour soi et
pour satisfaire sa vanité, alors la prosperi=
té de l'Etat commance a decliner: on
voit augmenter le nombre des miserables,
des gens qui ne tiennent plus a la patrie,
et les riches eux mêmes s'apauvrissent,
parce que l'accroissement de leurs riches=
ses ne suit jamais la proportion des pro=
grès du luxe; par la la masse generale
des richesses diminue, la nation entière s'ache=
mine vers la ruine ou plutot y court
a grands pas.

<52v> V. un gouvernement sage et moderé.
un etat est puissant plutot par la manie=
re dont il est gouverné que par le nombre
de ses provinces et de ses ressortissans. Un
Etat ou les peuples a l'abri des vexations,
jouissant de leur proprieté comme de leur
liberté, tïennent a leur pays natal comme
a leur veritable patrie, dans le sein de laquelle
ils se felicitent d'etre nés et de vivre, un
tel Etat, quelque circonscrit qu'il soit,
est reellement plus puissant qu'un grand
Etat, un Etat florissant par ses richesses
et son etendue, si dans ce dernier, les peu=
ples asservis n'ont aucun interêt com=
mun avec leurs Maitres, et se regardeant
comme sans Patrie, n'ont ni zele ni ener=
gie pour soutenir la chose publique.

VI L'ORDRE PUBLIC.
Pour qu'un peuple soit respectable a
ses voisins, cheri de ses alliés, redoutable
a ses ennemis, il est rien de plus essentiel
que l'ordre public, et voici les traits qui
l'annoncent; des Loix justes et impartiales,
des magistrats puissans, mais esclaves
des Loix: des citoiens libres, mais persuadés
qu'il n'y a plus de vraie liberté la ou
les Loix ne sont plus respectées; des moeurs,
des vertus civiles, militaires, une disci=
pline rigoureuse dans la guerre.

VII UN CARACTERE DE CONSTANCE
Dans les principes de la politique, dans les
usages et les Loix, et l'habitude de n'y rien
changer sans des raisons de la plus grande
necessité. D'ailleurs cecï ne doit point etre
poussé a l'extreme car le systheme des Loix
doit se regler sur les circonstances: le pre=
mier <53> Legislateur n'a pu tout prevoir: ce
qui etoit bon dans un temps peut cesser de
l'etre dans un autre; on peut recevoir des
lumieres et des usages nouveaux des
autres peuples: a mesure que les vües s'e=
tendent, on doit reformer ce qui est vi=
cieux et y substituer du meilleur. Mais
en tout ceci, il faut la plus grande pru=
dence: les changemens continuels et sans
necessité, amenés comme par boutades,
n'annoncent que foïblesse dans l'Etat,
et font perdre le respect pour le gou=
vernement et au dedans et au dehors,
ce qui est l'avantcoureur certaïn de sa
ruine.

VIII Un respect inviolable pour la justice.
L'Injustice n'a jamais pu servir de base
et de lien a une societé. Un Etat formé
sous un pacte si etrange, craint et haï
de tous les autres, aura tout a redouter
de ses voisins; le temps seul suffira pour
develloper les germes de destruction cachés
dans le fond originaire de sa constitution.
Un Etat est il connu pour ne suivre
d'autre Loi que celle de la Justice, tous
les Etats voisins prennent interet a sa
conservation, et il porte dans son sein
la premiere des ressources necessaires
pour le soutenir. La, a l'ombre de la sure=
té et de la paix, fleurissent l'agriculture,
les arts, le commerce, les lumieres, les moeurs,
qui en eloignent l'oisiveté, la debauche,
le luxe, la misere, et tout y concourt au
bïen public. Heureux les peuples qui ont
su saisir cette grande verité politique,
que la justice eleve une nation, tandis
que le vice est l'opprobre des peuples?

<53v> IX une conduite politique envers les au=
tres Etats toujours conforme au Droit
des gens.

Les Societés quoiqu'independantes ont
neammoins des obligations reciproques
reglées par le Droit naturel, ensuite, par
des usages introduits; et qui deviennent
entr'elles un Droit commun qu'on peut
appeller Droit des gens , comme devant
servir de regle aux nations dans leur
conduite politique les unes a l'egard des
autres.
A ce Droit elles ont suppléé encor par des enga=
gemens ou traités formellement stipulés
par ou le Droit des gens a acquis une
precision et une publicité, qui l'a fait ap=
peller Droit public.
Ce Droit est certaïnement très variable,
parceque les peuples traitent entr'eux
suivant leurs interets respectïfs, qui va=
rient eux mêmes a la suite des evenemens,
des diverses impulsïons que recoit chaque
nation ou du dehors ou du dedans, et
de toutes les causes qui peuvent influer
sur la maniere devoir et d'apprecïer
les objets et les interets.
Lorsque plusieurs peuples entrent sont entrés en traité
sur des interets communs, il n'y a point
de lien assès fort ni de 1 mot biffure
pour les contraindre a respecter toujours ces traités
et a sacrifier a l'avantage commun
a tous, leurs interets particuliers a cha=
cun. Bientot succeda la violation,
la mesintelligence, et l'association
s'evanouit.
Il en est de même de tous les traités de
paix: le peuple qui n'a pu se refuser
aux conditions offertes, se croit toujours
en Droit de les violer, des qu'il se sent supe=
rieur en forces.
<54> on a cherché a prevenir ces violations
par des garanties , ou l'intervention de
nations puissantes appellées par les trai=
tés même a contraindre les parties con=
tractantes a les observer. L'experience
a appris que ce moien n'est gueres
efficace, et qu'il devient souvent dange=
reux, parce qu'il fournit aux puissances
garantes des pretextes d'usurpation
sur les puissances 1 mot biffure qui se sont sou=
mises a leur garantie.
Ainsi le Droit public demeure fort incer=
tain, et sans appui suffisant pour le
faire respecter par les nations qui trou=
vent leur interet a le violer.
Malgre tout cela on peut assurer qu'il n'est
rien qui rende un Etat plus respectable et
dèsla même plus puissant, que sa fidelité constan=
ce a observer exactement le Droit des
gens, le Droit public, et tout ce qu'on
appelle traités.

LA PUISSANCE D'UN ETAT DEPEND TOUJOURS
DE SON RAPPORT AVEC LES ETATS
VOISINS,
selon qu'ils sont plus ou moins grands
riches et puissans, et qu'ils ont plus ou
moins d'interet de favoriser sa puissance
ou de la contenir. Ainsi sa force reelle
peut quelquefois augmenter, pendant
que la force relative diminue par les pro=
grès superieurs de ses voisins. Plus il est
petit, et plus sa dependance a l'egard de
ceux ci est grande, parceque, sans s'affoi=
blir lui même, il devient plus foible par
comparaison aux autres qui acquierent
<54v> des forces nouvelles. Malheur a celui
qui se trouve environné d'Etats qui jour=
nellement se fortifient; sa force compara=
tive va toujours en declinant. A la fin,
il ne poura echapper a la conquete, a
moins que sa petitesse même ne le derobe
a l'avidité des regards.

<55> CHAPITRE VIII
Les Consequences qui ont suivi la forma=
tion des Societés regulieres parrapport a la
Culture et aux progrés des arts, des sciences
et de la Philosophie

NAISSANCE DES ARTS ET DES SCIENCES

Les observations, les recherches et les decou=
vertes n'ont pu se faire que successivement,
ni se conserver parmi les hommes qu'au=
tant qu'il s'est ouvert des voies de communi=
cation sures et faciles qui les ont fait pas=
ser d'une nation aux autres et d'une gene=
ration aux suivantes. Pendant que les
hommes vecurent errans, isolés, en famil=
les dispersées, occupés entierement de leurs
premiers besoins, ces decouvertes ne purent
etre que très rares, et celles qu'ils pouvoient
faire par cas fortuit, devoient toujours
demeurer ensevelïes dans quelque coin
obscur.. D'ailleurs qu'auroit on pu en en atten=
dre en fait d'objets d'un ordre superieur
a ceux dans lesquels leur activité etoit
concentrée, et dont la contemplation deman=
doit du loisir et une meditation soutenue?
Depuis même que les familles eurent
commancé a se reunir en petites commu=
nautés imparfaites, les hommes ne purent
s'occuper encor que d'une culture grossie=
re, jointe a quelques prattiques de pre=
miere necessité: rien ne pouvoit encor
les interesser que cela: ou auroient ils
pris le desir et même l'idée d'une sphe=
re plus relevée d'objets?
Ce n'a été que lorsque une agriculture
perfectionée, mere de toute abondance,
leur a permïs de se rapprocher en nombre
dans des bourgs et des villes pour former
des societés regulieres, depuis que le loisir
et l'aïsance ont procuré a certaines per=
sonnes le temps et les moîens de satisfaire
une curiosité naturelle 1 mot biffure et un
<55v> et une inclination a 1 mot biffure chercher ou imagïner
et executer quelque chose de nouveau et d'u=
tile a l'espèce humaine. Ce n'a été proprement
que lors des lors que lhom les hommes sortis d'une
grossïere enfance, ont commancé a s'occup=
per serieusement et avec succès de tous les
objets ïnteressans qui pouvoient exercer
leur Intelligence industrieuse, et etendre
les progrès des arts et des Sciences utiles a
l'humanité. Partout 1 mot biffureles ou se fit
sentir l'abondance, on vit des hommes sor=
tir du cercle etroit d'ou l'espece avoit été au=
paravant concentrée, pour observer et
prendre en note tout ce qui existoit ou se
passoit autour d'eux, tout ce qui pouvoit
offrir quelque nouvelle ressource ou pour
leurs besoins ou pour leur bien etre. On
vit même s'elever des genïes heureux qui
frappés des inconveniens attachés aux
anciennes prattiques, s'etudierent a perfec=
tioner ce qui n'avoit été jusques alors que
grossierement ebauché, qui imaginerent
des procedés plus faciles et plus surs pour
executer les dïverses operations de la vie hu=
maine, d'une mani avec ordre et regularité,
et d'une maniere a en assurer le succés qui
enfin parvinrent a ouvrir aux hommes
de nouvelles carrieres d'industrie et de con=
noissances propres a etendre la perfection
de leurs facultés et augmenter le bonheur
public et celui des particuliers. Tel fut le noble
aiguillon qui 1 mot biffure ceux qui les premiers
1 mot biffure
cette

LEURS PROGRES

Il seroit bien satisfaïsant pour nous de
connoitre avec precïsion la marche que
les differens peuples ont suivie, et les moiens
qu'ils ont successivement emploiés pour
etendre leurs progrés dans les arts et les scien=
ces: mais le deffaut a cet egard de l'his=
toire et des monumens parrapport aux
<56> details, nous renvoïe a des generalités
qui sont d'ailleurs hors de Doute.
Dans chaque nation, les arts et les sciences
sont nés originairement du besoin: leurs
objets se sont developpés dans le même or=
dre que les besoins se sont succedés: les
premiers arts qui ont été cultivés ont été ceux
dont les hommes ont senti le plutot la
necessité: d'apres ce principe nous developperons dans le
chapitre suivant l'ordre general de leur introduc=
tion.
La lumiere des arts et des sciences n'eclaïra
jamais toutes les nations a la fois; elle n'a
penetré ches elles que successivement: il
est même encor des nations ou jamais
elle n'a pu percer. Après s'etre elevée
ches quelques unes a un haut degré de
splendeur, elle ne s'y est pas maintenue
bien longtemps; on l'a vu s'y affoiblir,
chès quelques unes plus lentement, chès
d'autres plus rapidement. Cette
Cette lumiere, une fois eteinte dans une
contrée ne s'y est pas rallumée pas si tot; il faut a fallu
pour cela bien des Siecles, des moiens peu
communs, des revolutions extraordinaires,
et rarement l'a t'on vu reparoitre avec
eclat dans des pays qui l'avoient vu briller autre=
fois.
Introduite chès une nation, elle y a brillé
asses promtement, du plus grand eclat parce=
que tout etoit disposé pour la recevoir.
Mais des circonstances facheuses sur=
venues dèslors, entr'autres le joug du des=
potisme, de la superstition, aiant fait
perdre aux esprïts leur premiere trem=
pe, la lumiere n'a plus eu le même
accès auprès d'eux; on l'a vu decliner
et disparoitre de chès cette nation, tandis
que d'autres se sont empressées a l'appeller
parmi elles, et a l'aide des circonstances
et de quelques genies heureux, en ont
maintenu l'eclat.

<56v> CAUSES NATURELLES DE CES PROGRES

Les progrès des arts et sciences chès une
nation ou dans un siecle, peuvent etre attri=
bués a certaïnes causes naturelles d'une in=
fluence generale et sensible.

1o L'opulence.

Ils suivirent partout assès constamment
la proportion de l'opulence qui donne le
loisir necessaire pour la meditation et l'etu=
de, qui en fournit et en facilite les moiens
qui faisant naitre de nouveaux besoins,
de nouveaux gouts, excïte l'empressement
et l'activité en fait de recherches et de decou=
vertes, pour se procurer les objets propres
a les satisfaire.

2o La multiplicatïon des objets de proprie=
té et de cupidité.

Des la même ces progres s'etendirent dans
la même proportion que se multiplierent
les divers objets de proprieté et de cupidité
qui propres a introduire et entretenir chès
un peuple les nouveaux besoins et les
nouveaux gouts, qui lindustrie mettent
en action lintelligence industrieuse
pour etre satisfait.

3. La multiplication des liens de societé
et des voies de communicatïon
.

Les progrès dans les arts et les sciences
durent aussi naturellement s'acroitre a
mesure que la societé: vit naitre dans
son seïn de nouveaux liens, de nouvelles
relations, de nouvelles institutions, qui
en rapprochant de plus en plus les hom=
mes, ouvrirent de nouvelles voies pour
la communication mutuelle des obser=
vations, des experiences, des decouvertes
dont les effets ne sont sensibles et interes=
sans, qu'autant que cette comunication
est libre et facile.

<57> 4 Une sage politique.

Rien n'a plus influencé sur les mêmes progrés
qu'une sage politique, des Loix justes
et impartiales qui en garantissant a
chacun sa sureté, sa proprieté, sa
liberté, laissent a celui qui s'occupe des
arts et des sciences, la tranquillité et le
loisir qui lui sont necessaires, ainsi que
cette elevation d'ame, cette force d'esprit,
qui n'est point connue de celui qui
gemit sous les fers du despote, et qu'une
crainte continuelle abbat et consterne.

5 La liberté civile.

En effet Le Despotisme qui veut tout sou=
mettre a une seule volonté arbitraire
et violente, a toujours produit chès les
hommes une pusillanimité habituelle
qui enchaine les talens, avilit les ames
et leur ote jusques au desir et a l'idée
de se perfectioner et d'etendre leurs con=
noissances. Sous un Despote, les subal=
ternes n'aspirent qu'a reduire les peuples
en servitude, et n'ont dès la aucun plus
grand interet que de les maintenir dans
l'avilissement de l'ignorance, de la bar=
barïe, en etouffant chès eux tous les ger=
mes de l'industrie et de la curiosité. Il
en est tout autrement dans un Etat ou
les sujets Les ressortissans
jouissent de la
liberte civile, et
  n'ont point d'opression a craindre;
la les ames peuvent se livrer sans gene
a l'impulsion de la nature et du bon sens, les talens
peuvent se develloper dans tous les genres,
la curiosité peut s'exercer sur toutes sor=
tes d'objets et penetrer dans tous les recoins
du Sanctuaire des sciences.
Les monarchies puissantes qui renfer=
ment de grandes Cités sont surtout
favorables aux progrés des arts d'agre=
mens et de luxe, et des arts liberaux,
parceque dans ces Etats, il y a beaucoup
plus de grand en de de riches a qui il faut
<57v> fournir des objets de cupidité, plus de
gens titrés et oisifs qu'il faut amuser,
plus de grands auxquels il faut faire
sa cour en recherchant leurs suffrages.
Quant Il n'en est pas de même quant aux autres arts de premiere
et seconde necessité, il n'en est pas de même
et surtout parrapport aux Sciences
proprement dites; il semble que celles ci
aient eu generalement plus de succes dans
les Republiques ou il y a plus de lïberté
de penser, et ou les ressorts de l'Intelligen=
ce semblent generalement plus actifs.
Cela a été surtout sensible dans certaines
Republiques, ïndependantes, mais liées
entr'elles par la politique, lorsqu'elles se
trouvoient assès voïsines pour eprouver
les effets d'une emulation reciproque.
Nous en avons un exemple bïen re=
marquable chès les Grecs; c'est peut etre
cette emulation qui les a rendu si supe=
rieurs a tous les peuples en fait de savoir
et de gout.

CAUSES DE LA DIVERSITE DES PRO=
GRES RELATIVEMENT AUX DIVERS
ARTS OU SCIENCES.

Les progres ont été comparativement
plus ou moins grands dans les divers arts
ou sciences, selon les besoïns plus ou moins
pressans qu'on a eu de faire en chaque
genre des recherches, les moiens plus ou
moïns promts et faciles qu'on a eu pour
faire arrïver a des decouvertes, mais
surtout pour reconnoitre de bonne heu=
re les erreurs ou meprises dans lesquelles
on etoit tombé, afin de les reformer sans
delai: car ce qui influe le plus sur le
succès des etudes en tout genre, c'est la
promtitude avec laquelle on s'appercoit
de ses erreurs et on en revient; et c'est la
la vraie et principale raison pour laquelle
<58> certains arts ont été promtement perfec=
tionés, pendant que certaines sciences
ont été cultivées presque ïnutilement
pendant plusieurs siecles.
Rien n'est n'a été plus constant que la mar=
che de l'Esprit humain: plus les besoins
ont été pressans, plus il a deploié d'acti=
vité pour se rendre attentif aux objets,
pour les observer avec soin pour en
etudier les rapports entr'eux et avec lui
même; plus il s'est empressé a recueillir
ses observations a les verifier par des ex=
periences, a en tirer des resultats, a faire
par lui même des essais dïvers pour par=
venir a quelque decouverte, quelque
invention utïle. Mais Dès que l'expe=
rience a pu venir a son secours avec
ses lumieres, elle a pu d'abord confir=
mé et mis le sceau a ses jugemens et
a ses operations, et la verité s'est mon=
trée dans tout son jour; ou elle lui
a pleinement devoilé son erreur, et
la forcé bièntot après de a se tracer une
autre route qui la conduit a quelque
chose de plus sur. Ainsi par ex: des que la population eut
fait sentir aux hommes la necessité de
suppleer a l'insuffisance des productions
spontanées de la terre, on chercha les moiens
d'ajouter a sa fecondite naturelle, on fit des con=
jectures, des suppositions qui conduisirent
aux tentatives: les unes furent verifiées
par les succès, d'autres furent 1 mot biffure
demontrées fausses: il fallut en faire
de nouvelles qui amenerent d'autres
essais: peu a peu on s'instruisit par
ses fautes même, et on arriva aux
Vraies methodes qu'on cherchoit.
L'agriculture fit sentir le besoin de con=
noitre exactement la succession des
temps saisons, la division du temps,
et dès la le cours des Astres: on se hata
de faire des hypotheses sur les mouvemens
<58v> des cieux: on s'appercut que ces hypotheses
ne s'accordoient point avec la marche des
saisons; l'experience corrigea les erreurs et
a force de meprises redressées, on parvint en=
fïn a la verité, et l'Astronomie se perfection=
na avec le calendrier. Il en fut ainsi de
toutes les sciences prattiques ou tout pou=
voit etre soumis a l'experience.
Les progres, il est vrai, furent plus lents dans quelques
unes par la tenacité de certains prejugés.
Tel fut par ex: l'art militaire qui resta
pendant bien des siecles si imparfait parce
qu'on crut que le nombre et le courage des
soldats decidoient seuls des combats, on
ne soubsconnoit pas meme que le succès pou=
voit dependre de l'ordre et de la disciplïne
des armées: on ne pouvoit meme ici etre instruit
par ses fautes, parce qu'on ne s'en apper=
cevoit pas: on ne cessoit d'y retomber.
J'en dis autant de la politique. Les Socie=
tés n'avoient pour Loix que des usages; on
crut ces usages suffisans et on fut long=
temps sans sentir la necessité d'une Legisla=
tion positïve: on voioit les desordres mais
on ne soubsconnoit pas qu'ils venoient des
usages même auxquels on n'osoit toucher,
les remedes qu'on apportoit aux maux
n'étoient que des palliatifs qui ordinaire=
ment enfantoient de nouveaux abus.
En general plus il a été difficille en cha=
que genre de reconnoitre les meprises, plus
on s'est egaré: une erreur admîse comme
verité est devenue le germe d'une foule
d'autres meprises que l'experience n'a ja=
mais pu ne pouvoit redresser. De la le long regne
dela superstition. La craïnte enfanta
plusieurs Dieux; le culte de l'un nacquit
de celui de l'autre: le même principe
multiplia sans fin les erreurs qui se
<59> preterent mutuellement leur appui et
accrediterent toutes les opinions dont
on se servit pour affermir cette creance.
On commanca par l'analogue lerreur et l'analo=
gie conduisit d'absurdités en absurdi=
tes, tout comme lorsque l'on comman=
ce par la verité, l'analogie nous con=
duit a la chaine qui le lie les verites entrelles, et nous les
fait demeler rapidement les unes
a la suïte des autres.
L'education Intellectuelle des enfans
qui n'a été et n'est encor aujourdhui
qu'un tissu d'absurdités, repose sur un
seul principe dont personne ne veut en=
cor reconnoitre la fausse, c'est que les
enffans n'ont aucune faculté que la
memoire, que c'est elle seule qu'il faut
exercer en attendant qu'ils aient acquis
le jugement, qu'on doit borner ses soins
a leur faire apprendre par coeur des
mots et des phrases quils ne compren=
nent point et qu'ïls ne sauroient com=
prendre. Mais que pourrois je
dire ici de plus que ce que j'ai deja
dit ci devant, et meme asses au long.?

<60>  CHAPITRE IX
Ordre successif de la naissance et des pro=
grés des arts et des sciences chès les divers
peuples
: de l'Arithmetique en particulïer.

SUCCESSION DES ARTS

Le plus ancien de tous les arts a été l'A=
griculture. Elle ne devint même un
art proprement dit qu'a la suite de diver=
ses observations sur la nature, sur ses produc=
tions principales, sur les divers sols convena=
bles a chacune, sur les methodes les plus faci=
les pour tirer de la terre le meilleur pro=
duit et pour la quantité et pour la qualité. Rien
n'empeche cependant qu'on n'assigne les
premiers commancemens de cet art aux
premiers procedés de culture grossiere et
imparfaite dont les hommes s'aviserent
avant que l'experience eut pu encor les
instruïre.
Avec l'agriculture s'introduisirent tous
les arts de premiere necessité et avant
tous, les arts mechaniques necessaires
pour en faciliter les operations et sup=
pleer aux bras du laboureur dans
certains procedés qui demandent de la
force et de l'adresse; 1 mot biffure arts qui furent
bientot suivis de tous ceux qui ont rap=
port aux premiers besoins des hom=
mes et a leur reunion en societé.
Vinrent ensuite les arts de Seconde
necessité, les arts d'agrement et de luxe
qui supposoient une culture perfection=
nee, et une multiplication de ressour=
ces: car ces arts, chès les communautés
imparfaites, ne purent avoir que des
commancemens bien grossiers et ils
ne purent meme s'elever a un certain degré de
perfectïon que chès des societés civilisées
et nombreuses, qui seules pouvoient procurer aux
hommes le loisir et les secours necessaires
pour les cultiver.
<60v> Les Beaux arts ne purent paroitre
avec quelque eclat quâ la suite de tous
les autres, mais ils durent aussi naturelle=
ment preceder le regne des sciences et de
la Philosophie. Ce que nous avons dit
sur tous ces objets dans la IIe Section
suffit pour rendre cette marche sensi=
ble.
Tous ces arts, je le rapelle, peuvent avoir eu de foibles
1 mot biffure et grossiers commancemens par 1 mot biffure
les hommes dans le temps qu'ils ne 1 mot biffure
encor que des Societes imparfaites, 1 mot biffure 1 mot biffure
1 mot biffure 1 mot biffure pu s'elever a une certaine perfection
que depuis que 1 mot biffure
celle ci se sont transformées
en Societes regulieres; et c'est la la raison
pourquoi nous avons 2 mots biffures

devoir presenter leurs origines 1 mot biffure dans la
1 mot biffure,et avoit 2 mots biffures aussi pas la meme 1 mot biffure la
raison que 2 mots biffures de la 1 mot biffure
le commerce, de la navigation, de la
guerre, qui ont aussi precedé dans leurs

premiers commancemens l'existence
des soins politiques.
Mais on
ne peut pas dire la même chose
des Sciences et de la Philosophie: leur

Quoique les arts
n'aient pu selever
a un certain degre
de perfection que
dans les Societes re=
gulieres, cependant
comme ils ont eu
leurs premieres ori=
gines dans ces temps
ou les hommes ne
formoient que des
Societes imparfaites
nous avons cru
devoir parler dans
leurs origin nôtre
IIe Section de tout
ce qui regarde leurs
origines leurs pro=
gres et leurs desti=
nees successives
ainsi que de divers
autres objets lies
connexes tels que
la propriété
le commerce, la navi=
gation, la guerre, &c.
dont les premiers
commancemens
ont precedé lexisten=
ce des corps politi=
ques.
Maïs cette obser
marche n'a pu
etre etendue aux
Sciences et a la Phi=
losohie, parceque
leur
 
introduction et surtout leur devellopement
doïvent etre entierement rapportés aux
temps qui ont suivi la formatïon des
Societés regulïeres, qui seules ont pu
fournir aux hommes le loïsïr et les
secours necessaires pour s'en occuper
avec succès: c'est pour cela que nous
n'avons du en parler que dans cette
section, comme une suite et une conse=
quence des institutions civiles 1 mot biffure dont
nous venons de montrer les origines
et les progrès.

<61> SCIENCES LES PLUS ANCIENNES.
LES MATHEMATIQUES

Il faut cepen=
dant convenir
  qu'entre les Sciences proprement dites, il en
est cependant dont les premiers elemens
ont du etre liés avec les arts de premie=
re necessité, et les premiers etablissemens
des Societés cantonnées pour s'occuper
de la culture. Telles sont les Mathema=
tiques  qui a mesure qu'elles se sont devel=
lopees et perfectïonées, ont été aussi d'un si
grand secours pour la navigation et
pour l'art militaire. Ainsi on est
fondé a presumer que l'arithmetique,
la Geometrie, la Mechanique, et
l'Astronomie, liées entr'elles par des rap=
ports si intimes, ont une origine très
ancienne, qui remonte jusques a la
premiere fondation des Societés. Sans
doute qu'elles auront d'abord été bor=
nées a un petit nombre de notions ele=
mentaires, inseparables des prattiques
les plus simples des arts: mais la mul=
tiplicatïon et la complication des pro=
cedés industrieux, jointes aux efforts du
genie, auront amené des progrés
proportionels a l'interet Sensible que
ces Sciences offroient aux humaïns.

ARITH
ARITHMETIQUE SIMPLE.

Dès qu'on fut appelés a comter a
mesurer, a peser, et qu'on fut dans
le cas de distinguer l'entier du tiers
et de faire des transports ou echanges
de proprieté, on fut appellé invité aux oper=
rations sïmples sur les nombres par voie
d'addition et de soustraction. Autant
il est certain qu'on
Ainsi l'origine de
l'Arithmetique se perd dans l'antiquité
la plus reculée, et fut la premiere Science
des nations echappées de la barbarie,
fut celle des nombres.
<61v> Il est vrai que les peuplades qui ne se sont
adonnées ni a l'agriculture, ni a l'astronomie,
ni aux arts, ni au commerce, ont fait très
peu de progrès dans cette Science, parce qu'elles
n'avoient neurent que très peu d'occasions d'en faire
usage. Dela cette ignorance dans l'art de
nombrer que les anciens auteurs ont repro=
chée aux Lacedemoniens et aux peuples
de l'Albanie, et celle qu'on observe encor
aujourd'hui chès les hordes errantes et
sauvages. Veut on, chès cellesci, designer
un nombre considerable, on montre une
poignée de cheveux, ou l'on fait un geste
pour donner a entendre qu'on ne sauroit
la le determiner. On parle de certains peu=
ples qui n'ont aucun terme, pour expri=
mer les nombres composés de plus de 3
unités: mais cela ne prouve point qu'ils
soient hors d'etat de comter au dela de
trois, parce qu'ils peuvent exprïmer des
nombres superieurs par des associations
diversement combinées des mots qui
repondent a 1. 2. 3. en disant deux et
deux, deux, deux et un &c.

ARITHMETIQUE COMPOSEE OU
ART DU CALCUL.

Quant aux operations plus complïquées
de l'art du calcul, elles n'ont pu s'intro=
duire que ches les nations a portée d'en
connoitre la necessité et les usages, je veux
dïre les nations agricoles, qui ont du
s'occuper d'Astronomie, de Geometrie, de
Mechanique, comme essentielles a la per=
fection de l'Agriculture, et ïnseparables
du calcul
les nations adonnées a la 1 mot biffure
fin mot biffureau commerce, a la navigation,
les grands Etats ou l'administration se
trouvoit chargée d'un fort grand detail de
finances, et demandoit même des methodes
abregées et perfectionées pour executer
a tout instant des operations compliquées
sur les nombres et les reductions. De la
<62> vint que l'Arithmetique  composée fit des
progres si rapides et si etendus chès les
anciens peuples civilïsés, les Egyptiens
grands cultivateurs et Geometres, les Ba=
byloniens celebres par leurs progrès dans
l'Astronomie, et surtout les Phoeniciens
fameux par leur navigation et leur fac=
torerie et auxquels toute l'antiquité a
attribué les plus belles inventions en fait
de calculs.
Les anciens Grecs furent très ignorans en
Arithmetique jusques au temps de Thales
qui dans ses voiages l'apprit des Pretres
de Memphis il et qui transmit sa table de multi=
plication a Pytagore qui la perfectiona;
Mais leque ils ne purent s'elever jusques
au calcul des progressions qu'avec le secours
d'Euclide et d'Archimede. Et par combien
de gradations n'a telle pas du passer chès
les Grecs, les Romains, les Arabes, les Euro=
peens, pour arriver au point de perfection
ou elle est portée de nos jours.

PREMIERES ORIGINES DES OPERA=
TIONS. NUMERATION.

Pour connoitre les premieres origines de
cette science, nous devons remonter a ces pre=
miers elemens qui ont du se presenter a
l'Esprit des hommes, des qu'ils voulurent faire
usage des nombres pour les premiers be=
soins de la vie.
La premiere operation a été sans doute la
numeration , qui consiste a former des
assemblages d'unités distincts dans la pensée
et a leur donner des noms.
chaque objet reveille chès l'homme l'idée
d'unité; chaque assemblage d'objets distincts don=
ne lidée de nombre, et ce multiple d'unités
ne peut etre presenté distinctement a l'Esprit
qu'a la faveur d'un mot abstrait; signe
d'une notion abstraite
applicable a toutes
<62v> sortes d'objets dont l'homme peut concevoir
un assemblage. Le besoin d'une pareille con=
ception est si frequent et si indispensable qu'on
ne sauroit douter que les hommes n'aïent
eu dans tous les temps et dans tous les lieux
des idées dïstinctes des nombres et des signes
pour les exprimer. Il est comme impossible
qu'ils n'aient pas toujours apperçu les rap=
ports de conformité qui se trouvoient entre
les doits de chacune de leurs mains, entre
leurs doigts et leurs orteils, entre le nombre
de leurs doigts et les divers assemblages d'ob=
jets qui se presentoient a eux. Ainsi les
sauvages de l'Amerique septantrïonale
qui regardent nos chiffres comme des carac=
teres magiques, ont cependant des idées très
distïnctes des nombres, donc 2 mots biffures
et des signes pour les exprimer, et savent
bien 1 mot biffure exprimer les operations numerales dont
ils ont besoin.
de tout temps les l'homme ont a été appellé
a la numeration ou a determiner le nombre
des objets semblables qu'il avoit sous les
yeux. Quand l'assemblage etoit considera=
ble, ses sens ne lui presentoient qu'une idée
confuse de multitude: Cette multitude
ne pouvoit etre determinée qu'en passant
ces objets en revue, et appellant a son se=
cours la memoire pour en tenir registre
a mesure. Mais pour cela, il falloit ai=
der a la memoire par quelque signe sen=
sible, ou quelque instrument commode
pour annoter les objets a mesure qu'ils se
presentoient aux yeux.
Le premier instrument arithmetique
auquel l'homme a eu recours, comme
a une Table numeraire dressée par la na=
ture elle même, de l'usage le plus universel,
le plus facile et le plus promt, ca été incon=
testablement les cinq doigts  de chaque
maïn
. Car l'homme aiant recours au
geste pour comter, n'emploiat naturellement
<63> qu'une main pour comter les unités jus=
ques a cinq, et des qu'il fut appellé a
passer ce nombre, ïl emploia naturelle=
ment l'autre maïn pour marquer un second
quïne, puïs un 3e, et a tenïr ainsi
note des quines a mesure qu'ils passoient.
Nous voions aussi par un passage de
Plutarque (in Isid.) que chès les anciens
Pelages, la numeration avoit d'abord été
quinaire; d'ou vient que l'acte de la
numeration avoit été appellé chès eu
πεμπταζειν, quiner, comter par
cinq.
Dans la suïte on trouva plus commode
d'emploier les 10 doigts des deux mains,
pour comter les unités par 10, en recou=
rant a quelque autre expedient pour te=
nir note des dixaines et dès lors la
numeration devint décimale . Cette
numeration, connue de la plupart des
hordes sauvages, a été adoptée chès toutes
les nations polïcées, qui de la ont dans
tous leurs calculs, n'abandonnent jamais
le nombre decimal comme etant celui
que la nature a fourni primitivement
a tous les hommes par le moien des
10 doigts.
Dans les cas ou il s'agissoit d'une mul=
titude d'objets, les hommes parvenus au
bout de l'echelle decimale, l'auront natu=
rellement recommancée, et ils auront
mïs en oeuvre quelque expedient pour
annoter le nombre de foïs qu'ils avoient été
oblïgés de la recommancer pour epuiser
l'objet de leur numeration, en tenant
comte aussi de l'excedent qui pouvoit
rester, lorsque le total ne faisoit pas
un nombre exact de dixaines.
Jusques a 10 repetitions, ils pouvoient
encor emploier les doigts pour tenir comtes
<63v> des dixaines, et encor falloit il pour cela
la reunion de deux personnes pour com=
ter l'un les unités, l'autre les dixaines: et
dans les cas ou la multitude s'etendoït
plus loïn, la numeration devenoit impra=
ticable par le secours seul de la memoire.

SIGNES MOBILES.

Les anciens peuples eurent recours, comme
font encor les peuples sauvages, a certains
signes ou symboles mobiles et momenta=
nés, destinés a representer a la memoire les
nombres de dixaines ecoulées. A chaque
fois qu'ils recommancoient la numeration
decimale, ils marquoïent la dixaine com=
tée par un signe: cela les conduisit natu=
rellement a exprïmer chaque dixaine
de dixaines, ou centaine, par un seul
signe, et ils en firent de même pour
la centa dixaine de centaines, ou
mille. &c. Cette methode toute simple les
mit bientot en etat de faire exactement
les numerations les plus considerables, puis=
qu'îl suffisoit, pour evïter la confusion, d'em=
ploier des signes de couleurs differentes
pour designer les unités simples, les uni=
tés de dixaines, &c. ou de les placer les uns
a l'egard des autres dans un ordre qui
en determina sans equivoque la valeur
relative.
Les Grecs et les Romains emploierent a cet
usage des petits Cailloux appellés ψηδο
calculus: d'ou vinrent les mots ψηφιζεω
calculis computare, calculer, et ψηφμος
le calcul . Aux cailloux, les Ro=
mains substituerent dans la suite des morceaux d'y=
voire artistement travaillés .
Sous Charles VII, au XIV siecle,
on ïmagïna les Gietons, gettoïrs,
Jettons qu'on emploia pour les comtes
de finances, pendant 1 mot biffure et qui n'ont
pas eu pendant longtemps d'autre usage
<64> car ce n'est que depuis un siecle seule=
ment qu'ils ont été convertis en marques
pour les comtes de jeu.

L'ADDITION

L'invention de ces signes mobiles pour
la numeration conduisit naturellement
a l'operation toute simple de l'addition .
Tout se reduisit a les rapprocher les uns
des autres dans un certaïn ordre pour
qu'on eut tout a la fois sous les yeux
les unités, les dixaines, les centaines &c
après quoi on prenoit les sommes de
chacune a part, qu'on exprimoit cha=
cune par un symbole, et ces sommes
partiales donnoient la somme totale
exprimée en unités, dixaines, &c. Par
cette methode on faisoit par parties
ce qu'on n'auroit pu faire tout a la fois,
qui est ce en quoï consiste essentielle=
ment l'addition.

LA MULTIPLICATION.

L'addïtion conduisit bientot a la mul=
tiplication , qui n'est autre chose que l'ad=
dition d'un nombre a lui même repetée
autant de fois qu'un autre nombre donné
contient d'unités. Cette repetition exercée
sur un nombre un peu considerable de=
venant embarassante, pour la faciliter,
on conçut bientot l'idée de l'executer
separément sur les parties de ce nombre
divisé en unités, dixaines &c. Mais cette
multiplication par parties ne put faire meme
se faire avec quelque facilité, qu'en con=
tractant l'habitude de former de memoi=
re les produits de tous les nombres renfermés
dans l'échelle decimale. Pour seconder
<64v> ce travail, on dressa la table attribuée
a Pytagore, appellée chès nous le Livret
qui met tous ces produits sous les yeux.

LA SOUSTRACTION.

La soustraction  ne fut qu'une methode
de decomposer par parties un nombre
formé par l'addïtion de deux, en em=
ploiant la connoissance donnée de l'un
pour determiner l'autre.

LA DIVISION.

La division  ne fut que la decomposition
d'un nombre produit de deux nombres mul=
tipliés l'un par l'autre, en se servant dela
connoissance donnée de l'un de ces nombres
pour determiner celui qui indique
combien de foïs il est contenu dans le
produit. Cette operatïon offrant un
peu plus de difficultés que les precedentes
aura été introduite un peu plus tard.

ORDRE SUIVI DANS LES OPERATIONS.

Dans toutes ces operations, on a comman=
a les exercer sur les unités avant les
dixaines, sur les dixaines &c. en se confor=
mant a l'ordre de numeration ancien
qui paroit le plus naturel, puisqu'il va
du simple au composé. Il est etonnant
que les Latins et les Europens qui sui=
vent l'ancien ordre dans les operatïons,
aient pris l'ordre ïnverse dans la numé=
ration, dont ils commencent l'énoncé par
le nombre le plus considerable.

<65> DENOMINATION DES NOMBRES

Les anciens n'eurent pas des noms particu=
liers pour desïgner les nombres au dessus
des 10 unités; car ils disoient 2. 3. dixai=
nes. 2. 3 dixaines de dixaines. L'emba=
ras de cette numeration fit naitre l'idée
de donner des noms particuliers a chaque
dixaine, a chaque dixaïne de dixaines
&c on emploia les noms repondans a
vingt, trente, cent, mille &c.

SIGNES PERMANENS DES NOMBRES

La numeration avec les signes mobiles
pouvoit suffire lorsqu'il ne s'agissoit que
d'operations passageres mais ils devenoïent
insuffisans lorsqu'il s'agissoit de : falloit represen=
ter a l'oeuil une suite d'operations, en conser=
ver la memoire, en exprimer le resul=
tat d'une maniere fixe et invariable. Il
falloit pour cela des caracteres durables
permanens, qui pussent etre soumïs a un
examen reflechi. De tels caracteres fu=
rent introduits chès certains peuples, a=
vant même qu'ils eussent l'usage de l'Ecri=
ture Alphabetique. Les Peruviens em=
ploioïent des Quipos, especes de franges
composées de fils ou de cordelettes de diffe=
rentes couleurs, et chargées d'un certain
nombre de noeuds, qui exprimoient les
unités, les dixaines &c et leur tenoient
lieu de registres Arithemique Arith=
metique; le même expedient fut en u=
sage chès les anciens Chinois: il est con=
nu aussi chès les negres de la côte de
Juida.

FIGURES

Sur de très anciens obelïsques Egyptiens,
on trouve des traces, les unes perpendi=
culaires, les autres horizontales placées
au dessus des premieres qui etoient
<65v> destinées a marquer le poids de l'or et l'ar=
gent, les nombres d'armes, de chevaux &c
que chaque nation devoit payer en tribut
aux Egyptiens. On y voit aussi une figure 
en forme de rateau dont les dents per=
pendiculaires, toujours au nombre de
neuf, sont assemblés sous une ou plusieurs
lignes horizontales tracées au dessus.
Cetoit la une vraie table arithmetique;
les 9 perpendiculaires representoient 9
unités: ce qui suppose que leur calcul
Egyptien etoit novenaire, a moins qu'on
n'eussent une marque, jusques ici incon=
nue, semblable au zero, pour compter
l'echelle decimale: Les lignes transver=
sales servoient a determiner par leur
nombre, si les perpendiculaires devoient
etre prises, pour des unités, ou pour des dixai=
nes &c.
Les Mexicaïns emploioient pour exprimoient lesurs nom=
bres par des figures symboliques.

CARACTERES ALPHABETIQUES.

Les Hebreux et les Grecs emploïerent pour
signes numeriques les caracteres alpha=
betiques. Leurs Les 22 caracteres
Hebreux servirent d'expression aux
nombres 1.-9 10-90. 1000-400.
Les cinq Lettres finales exprimerent 500-900.
on placa des points au dessus des Lettres
pour exprimer les mille, ou on se servit
pour cela de caracteres associés dont
le plus considerable etoit a la droite.
Les Grecs eurent aussi 27 Caracteres
Litteraux pour comter jusques a 900;
ils exprimerent les mille par des traces
placées sous les lettres ou par des caracteres
composés. Ils emploierent aussi des Lettres
quarrées 1.2. TI.2. [Symbole delta] 3. H. 100 X 1000
M. 100000; auxquels ils joignirent aussi des
lignes comme πI. 6. πII. 7.

<66> CHIFFRES ROMAINS

Aux caracteres Alphabetiques, les Ro=
mains et avant eux les osques, les Etrusques,
substituerent ces caracteres que nous ap=
pellons Chiffres Romains, et qui n'ont
rien dans leur valeur et leur disposition
de commun avec les premiers. On y entre=
voit un rapport a la methode de comter
sur les doigts, et dèsla a l'Ecriture figu=
rée prïmitive. Ainsi
I. II. III. IIII sont l'image de un,
deux, trois, quatre doigts levés.
V represente la figure du pouce et du
petit doigt levé cad . des cinq doigts
levés ensemble.
X. est composé de deux V dont l'un
est renversé et appointé a l'autre; il doit
dèsla exprimer le nombre 10 .
L. semble etre l'image du pouce et de
l'index de la main gauche situés a
angle droit.
C. peut etre une figure formée par ces
mêmes doigts courbés en rond.
D. paroit etre l'index de la main droite
courbé et reuni au pouce tenu droit
(I) pourroit etre le composé de deux
figures executées, comme la precedente,
de la droite et de la gauche, en joignant
les deux pouces. Ce geste aura été
figuré par [symbole] qui aura été chan=
ge en [signe infini] et M. Je ne saurois nier
cependant que C et M. ne puissent
etre les Lettres initiales de centum
et de mille, mais si cela est, pourquoi
500 seroit il exprimé par D.?
<66v> Les Chiffres Romains ont une progres=
sion quinaire, car a chaque cinq se
trouve une figure particuliere V et X
qui se compose dans XV. XX. XXV.
et a chacune de ces figures on ajoute
les unites VI. VII. VIII. VIIII. car IX est
d'origine plus recente: on l'emploie par
abreviation. Ainsi il est faux que le
Chiffre Romain soit venu de l'Egyptien
figuré aussi par des lïgnes, car celui ci etoit
novenaire ou decimal.

CHIFFRES ARABES

Jusques au XIII Siecle, les Europeens
n'eurent pour signes numeraux que les
caracteres Alphabetiques et les chiffres Ro=
maïns, nï d'autres moiens de numeration
que la juxtaposition et la compositïon
de ces signes. Alphonse, Roi de Castille
fut le premier qui introduisit parmi
eux l'usage des chiffres que les Arabes
avoient apportés en Espagne. La progres=
sion de valeur dans ces chiffres, qui va
de droite a gauche, annonce une origi=
ne orientale, comme le nom même
qui vient de l'Indïen Sipher, nume=
ration, même mot que Saphar, en Hebreu
comter. Le rapport de nos chiffres actu=
els avec les chiffres Arabes 1 2 3
4 7 est sensible si l'on redresse ceux-=
ci. De part et d'autres on trouve dans les 3
premiers la figure d'un, deux et troïs
doits verticaux ou horizontaux, unis
par des liaisons arrondies et chargés de
queues superflues; 4 a pu etre for=
mé de 4 qui pre=
sent quatre lignes,
pour 4 doigts
 ; Le chiffre 9 est
le même; le Point Arabe fait la fonc=
tion du zero.
<67> Nos chiffres, viennent donc des Maures
issus des Arabes, mais ceuxci les tenoient
des Indiens, puisqu'ils les appellent
eux mêmes chiffres des Indes, qu'ils ont
une grande affinité avec les chiffres
Indiens, et qu'ils subsistent encor aux
Indes ches les Telongouts: ils furent
sans doute une portion de la Science des
Brachmanes et de leur Ecriture ideale.

AVANTAGES DE CES CHIFFRES.

Le premier avantage de cette numera=
tion c'est l'emploi d'un caractere en lui meme sans
valeur, d'un point ou zero, pour decu=
pler la valeur du caractere nume=
ral qui le precede. Cet artifice n'a
cependant pas ete ignoré des anciens
Grecs, comme on peut l'inferer des
mots κατι, κοντα, qui se trouvent dans
εικατι et τριακοντα, εκατον, car ces mots
signifient point (de κεντεω piquer.) et voici
la raison de leur usage.. La premiere dixaine
exprimée par le geste des deux mains fut desi=
gnée par le mot δεκα (de δεικω montrer)
comme qui diroit, la montre des doigts tous
ensemble. Pour prendre en note les dixaines
suivantes on eut recours aux points. La 2o
dixaine fut marquée dabord par un seul point
et appellée a cause de cela εισκατι ou
εικατι; mais l'usage s'etant introduit de
la marquer par deux points, on ne changea
pas son ancienne denomination! La
troisieme dixaine fut marquée par trois
points et appellée τριακοντα et ainsi des
suivantes.
Les Latins suivirent la même methode. Ils appelle=
rent le point genti, genta: la 1e dixaine
fut decem, la 2 dixaine duigenti, puis
bisgenti, vigenti, dou vingt, la 3e trigenta, dou
trigente, contr. trente.
<67v> ainsi on peut dire que les Grecs et les Romains
surent emploier les points pour decupler les
valeurs dans leur Table Arithmetique: mais
cela ne pouvoit les conduire a de grands
progrés, par ce qu'ils etoient privés de l'autre
avantage des chiffres Arabes, qui est de
faire dependre la valeur de chaque signe
numeral, de leur position entr'eux par
colonnes, et avec 9 figures, en y joignant
le 0, executer des presenter tout ce qui
est necessaire pour faire des calculs im=
menses.

PERFECTION DE L'ARITHMETIQUE ACTUELLE

L'arithmetique des anciens ne put jamais
selever au degré de perfection ou les mo=
dernes l'ont portée, soit parce ce que ceux
ci ont etendu par leurs recherches et leurs
decouvertes, ont etendu les besoins du cal=
cul beaucoup plus loin, soit parce qu'ils
se sont beaucoup plus appliqués aux
principes de la theorie qui ouvrent un
champ tout autrement vaste aux ope=
rations prattiques, soit parce que 1 mot biffure
l'usage des chïffres arabes leur a fourni
une methode aussi simple qu'ïngenieu
d'etablir leur numeration et d'execu=
ter rapidement leurs operations, sans sortir jamais
de la progression decimale. Comment
les anciens, avec leurs caracteres au=
roient ils pu executer des operations
même sïmples, sur des nombres autreme=
ment composés, des extractions de raci=
nes, des regles de 1 mot biffure, 1 mot biffure
des calculs de progressions, des tables
de Logarithmes, de Sinus &c. et au=
tres operations prattiques admirables, qui ne sont
plus que comme des jeux pour les
scavans de nos jours.

<68> CE QU'ON DOIT A L'ALGEBRE

Il est vrai que les progrés de cette Science
du calcul sont particulierement dus 1 mot biffurea
l'invention aux efforts de genie qui ont amené l'usa
ge de l'Algebre , qui 1 mot biffure autre chose qu'une cette methode ingenieuse
methode qui facilite le calcul en abre=
geant l'expression par des symboles abstraits
sur lesquels l'Esprit humain peut actuel=
lement exercer les operations tout comme
s'ils obtenoient actuellement presentoient quelque chose
de numeriquement determiné, et pour
ces operations parvenir enfin a certains des resul=
tats qui conduisent a offrent la determination
de certaines quantités jusques alors in=
connues, par la connoissance de celles
qui etoient auparavant données ou
determinées exprimees dans l'énoncé.
Ce sont les Arabes qui l'ont apportée en
Europe, mais ils la tenoient eux mêmes
des Indiens, et son premier nom fut
al gial wal mulkabalak.
Vers le milieu du IV Siecle Diophantes
en publia les premiers elemens qui fu=
rent eclaircis par la celebre Hypathie,
fille du Geometre Theon, qui etoit
Professeuse a Alexandrie.
Sur la fin du VIII Siecle Mohamed
ben Musah Arabe resolut les proble=
mes du Second ordre.
Au XII Siecle Leonard Fibonaci
de Pise publia les principes de cette
Arithmetique specieuse qu'il avoit
<68v> aprisese des Arabes a Burgir en afrique.
L'an 1494, Lucas de Burgos les eten=
dit plus loin et en 1590 Francois Viete
de Fontenay les develloppa avec beau=
coup de clarté.
Mais deslors la Science s'est elevée a
un très haut degré de perfection, d'eten=
due, de profondeur, et d'utilité pour
la prattique, graces aux soins des hom=
mes illustres qui ont paru dans ces der=
niers temps, Wallis, Descartes, Neuton,
Leibnits, Bernoulli, Euler &c.

<69> CHAPITRE X
Dela Geometrie et dela Mechanique

ORIGINES DE LA GEOMETRIE.

Divers besoins, et entr'autres celui du par=
tage des terres, donnerent naissance
a la Geometrie  mot qui signifie mesure
de la terre. Les hommes des temps primi=
tifs ne furent Geometres qu'autant que
l'exigeoit le besoin, qui fut toujours la
mesure des progrés dans les sciences:
il fallut bien des siecles 1 mot biffure pour s'elever au
dessus des prattiques qui furent les
premiers debuts.

LONGIMETRIE

La premiere partie de la Geometrie, ap=
pellée Longimetrie, qui s'occupe de la
mesure des longueurs par des lignes
droites, dut etre connue dès les premiers
temps. Des qu'il s'agit de determiner l'eten=
due des terreins, de donner a des habita=
tions une forme, des dimensions et une
distribution convenables, il fallut
appliquer partout les mesures, pour
donner a tous les materiaux, toutes les
pieces, des longueurs, largeurs et hau=
teurs proportionelles a l'ensemble, et
a l'usage auquel il etoit destiné..

ORIGINES DES MESURES LINEAIRES

Tous les ouvrages de l'homme se rappor=
tant a lui, il etoit naturel que ses mesures
lineaires fussent prires surla longueur
ordinaire du corps humain ou de quel=
qu'une de ses parties; d'autant plus qu'il
lui falloit des mesures qui fussent tou=
jours a sa portée et d'un usage facile.
<69v> Par la l'homme est devenu comme l'echelle
de tout ce qui l'environne et qui peut etre soumis
a son examen et son calcul.
Ainsi il a prïs pour mesures
la largeur de son doigt, de son pouce;
la largeur de ses quatre doigts  serrés, qui
a donné le palme  mineur;
la distance comprise entre l'extremité du
pouce et celle du petit doigt, en les eten=
dant tous deux, ce qui a donné le palme
majeur:
La longueur du bras depuis le coude
jusques a l'extremité du 3e doigt: ce qui
a donné la Coudée , mesure qui est peut
etre la plus ancienne de toutes;
la distance de l'extremité du 3e doigt
de la main droite a celle du 3e doigt
de la main gauche, en etendant les deux
bras, autant que possible, ce qui a don=
l'orgye  ou la toise .
Pour prendre en particulier la mesure
des objets couchés sur le terreïn, il a em=
ploié quelques fois la largeur, et le plus
souvent la longueur de son pied, et
il a trouvé dans celle ci un rapport
a 12 pouces .
Aiant observé que la hauteur de sa taille
etoit equivalente a la mesure de l'or=
gye ou toise, et celle ci l'une et 1 mot biffure l'autre a la longueur
du pied, repetées sïx fois, ou environ,
il a tiré dela une division de la
toise en 6 pieds.
La repetition dela mesure dela toise
lui a fourni celle de la perche.
<70> Aiant epuisé les mesures que son corps
pouvoit lui fournir dans l'etat d'ïmmo=
bilité, il en a cherché dans son etat de
mouvement, qu'il a emploié pour eva=
luer les distances. De la est née la
mesure 1 mot biffure appellée pas , d'ou
on a pris les mesures itineraires
appellées mille, les diverses Lieues 
qui se comtent par mille pas, par. ex
la nôtre qui est de 3000 pas. Celle
d'Allemagne de 6000. &c. Les Gen
orientaux eurent le stade  de qui
etoit de 125 pas qu'un 1 mot biffure Athlete
pouvoit parcourir en courrant
sans s'arreter. Les Egyptiens ont
eu le Schene, les Persans, le Para=
sange, les Russes ont le Werste &c.

APPLICATION DE CES MESURES

Pour appliquer emploier ces mesures a la
determination des longueurs quel=
quonques, on n'a eu autre chose a
faire qu'a appliquer sur chaque lon=
gueur une 1 mot biffure de ces mesures
<70v> autant de fois qu'il le pouvoit le permettre
et evaluer soumettre cette repetition
a la numeration pour determiner au
juste combien la longueur contenoit de
fois la mesure, sans oublier le restat
appreciable par quelque autre, mesure
d'un rapport connu avec la premiere.
Mais toutes ces mesures etant prises sur
sur le corps humain et ses diverses parties, elles
devoitent autant varier que la taille et les
dimensions de la figure des hommes dans
les divers lïeux et peut etre les divers temps.
Ainsi il ne pour exprimer faire en sorte
que les mêmes mots exprimassent par=
tout les mêmes choses, on a eu besoin de
recourir a quelque objet moins suscepti=
ble de variations que le doigt ou le pouce
pour servir de base a l'echelle des mesu=
res. En orient on reduisit le doigt a la
longueur de 6 grains d'orge placés late=
ralement ou 8 grains de ris. En Europe
on a reduit le pouce a 12 lignes:
mais a t'on jusques ici determiné precise=
ment ce qu'est une ligne? ou est l'objet
invariablement uniforme qui a
fixé cette premiere mesure de laquelle
dependent toutes les autres.
L'embaras de la
trouver sur la terre
a fait penser aux
Geometres moder=
nes a la chercher
dans le Ciel. c.d.
dans la f une frac=
tion assignée en
nombre de l'etendue
dun degré de meri=
dien.
 

ORIGINES DE LA PLANIMETRIE ET DE
L'ARPENTAGE.

La Planimetrie  qui s'occupe de la mesure
des surfaces tira sa premiere origine
du besoïn de partager les terres, de fixer
l'etendue des domaines, et les marquer
par des bornes. Ces bornes etant sujettes
a etre enlevées par des ïnondations, des
bouleversemens ou des fraudes, on ne
pouvoit se passer de quelque moien pour
les reconnoitre et les retablir, et il n'en
<71> existoit point d'autre que l'arpentage 
qu'il falloit retirer en pareil cas, et
même dans tous ceux ou il fall les suc=
cessions demandoient de nouveaux
partages entre les heritiers. Ainsi l'ar=
pentage ou la planimetrie que dont
le nom presente la même idée que celui
de Geometrie aura été une des premieres
branches de celle ci, reduite en art, et elle
se sera même perfectionée assés vite a
cause du grand besoin qu'on en avoit.

DIFFICULTES DE CET ART.

Il n'en est pas moins vrai que cet art
demande des operations tout autrement
compliquées que celles de la Longimetrie.
On ne peut emploier une surface pour
mesurer une autre surface aussi faci=
lement qu'une longueur pour mesurer
une autre longueur, par superposition
immediate. Les surfaces d'ailleurs peu=
vent varier quant a la figure cad .
pour le nombre et l'ouverture des angles 
quoiqu'elles soient reellement egales
en etendue, et cela seul rend la mesure
par superposition absolument im=
pratticable. Les rapports des surfaces
quant a l'etendue ne peuvent donc etre
determinés que mentalement ou par
des consequences tirées de leurs dïmen=
sions lineaires et des rapports des di=
verses figures entr'elles: lesquelles con=
sequences derivent de certains princi=
pes dont la de vraie theorie, resul=
tant des notions et des essences des fi=
gures; mais dont la connoissance
<71v> n'est point si profonde qu'elle n'ait pu
etre a la portée des hommes des temps
primitifs, dès que le besoin leur a fait sen=
tir la necessité de s'en occuper.

MARCHE QUON Y A SUIVIE.

On aura commancé par la theorie des
figures rectilignes et les plus simples au=
ront ete considerées les premïeres. Ainsi
le quarré parfait qui a les côtés egaux
et les angles droits, aura fixé le premier
l'attentïon, et on aura compris qu'une
telle figure correspondant en longueur
et en largeur aux mesures lïneaires
devoit etre choisie de preference pour
mesurer les grandes surfaces quarées 
ou les quarrés longs, rectangulaïres.
Mais ïci la methode de superposition eut
été trop embarassante: ïl ne fut pas di=
ficille de voir qu'il etoit beaucoup plus
simple de se borner aux mesures line=
aires pour determiner la longueur et
la largeur dela grande surface, et
qu'en multipliant les nombres trouvés
sur les deux côtés du rectangle l'un par
l'autre, on auroit la somme de tous les
petits quarés contenus dans l'aire de
cette surface, exprïmés aussi en toises,
pïeds, pouces, &c.
Avant que d'applïquer la mesure du
petit quaré aux autres figures quadrila=
teres non rectangles ou ce qu'on appelle
parallellogrammes , on aura saisi ce
principe si fecond en Geometrie, qu'un
parallellogramme quelqu'onque est
egal a un rectangle de même base et
de même hauteur, et que pour mesurer
le premier il n'y a qu'a en faire la reduc=
tion au dernier, et mesurer celuï ci
comme il a été dit.
<72> Pour etendre la mesure aux autres
figures rectilignes on aura facilement
compris qu'en tirant une ligne diago=
nale  dans un quaré ou dans un rectan=
gle, elle partage celui ci en deux trian=
gles egaux entr'eux dont chacun est la
moïtié du quadrilatere, et qu'aïnsi pour
mesurer le triangle, il n'y a qu'a mesurer
le quadrilatere en multipliant la base
par la hauteur, et prendre la moitie
de ce produit; qu'on peut par consequent
toujours trouver l'aire d'un triangle
quelquonque en multipliant sa hau=
teur parla moitié de sa base, ou sa
base parla moitié de sa hauteur.
Cela aura ouvert lavoie pour mesurer
toutes sortes de fïgures quadri rectili=
gnes, polygones  irregulieres dont
les côtés et les angles sont inegaux, car
en tirant des diägonales on peut tou=
jours les reduire en triangles, dont chacun
peut etre mesuré comme il a été dit,
et ainsi reduit en petits quarés, et leur dont la som=
me donnera l'aire de la figure en entier,
exprimée en nombre repondant a
celui de ces mesures trouvées.
Quand aux figures terminées par
des courbes on les red pour les mesurer
on les reduisit, autant qu'il fut possible,
a des rectilignes formés de petites cor=
des, rapprochées dela courbure, et on
evalua l'espace entre les cordes et la
courbe par approximation. C'est tout
ce que surent faire les anciens.

<72v> TRIGONOMETRIE

A mesure que les occasions se presenterent
de determiner des longueurs, des hauteurs,
de mesurer des surfaces, on se trouva
arretés par divers obstacles, et entr'autres,
parce qu'on ne pouvoit applïquer immedi=
atement les mesures, les objets se trouvant
hors de portée, inaccessibles ou trop longs.
Cela fit chercher des moiens plus commodes
d'un usage plus promt, et applicable a
tous les cas ou les donnés requis pour=
roient se presenter. On comprit que
dans les figures l'ouverture des angles
pouroit servir, etant connue, a
l'estimation des côtès qui ne pouroient
etre immediatement mesurés. C'est ce
qui amena la theorie des angles, la
methode d'en prendre les ouvertures et
deles evaluer parle moien du cercle,
divisé en 360 degrés, dont le nombre
compris entre les jambes de l'angle de=
voit en determiner la valeur compara=
tive avec dau parrapport aux autres.
Dela vient nacquit toute cette partie dela Geo=
metrie qu'ait theoretique et prattique
qui traite des angles droits, aigus  et
obtus , de la maniere de les decrïre et les
mesurer, des proprïetés des figures tri=
angulaires et polygones relativement
a leurs angles, des figures semblabes
et deleurs rapports, des proprïetés du
cercle &c. et surtout des methodes pour
determiner les triangles par la con=
noissance de leurs angles avec un
des côtes, ou par la connoissance de
deux cotés et un angle; ce qui forme
<73> cette partie qu'on a appellée Trigono=
metrie  rectiligne et curvilignes qui a été d'un si grand
secours dans toutes les parties de la Geo=
metrie prattique, dans la planimetrie
dans l'Astronomie, et qui fournit tous
les jours les plus grandes lumieres dans
les arts. Quoique ces ïdées soient d'une
abstraction sublïme, elles ont cependant
été saisies d'assès bonne heure par
les anciens.

ORIGINES DE LA STEREOMETRIE

De toutes les parties de la Geometrie, la
Stereometrie , ou la mesure des Solides,
aura été connue la derniere. Cependant
on aura pu en prendre quelque notion
avec l'usage des poids et des balances qui
est très ancien. Les poids des corps sont
en raison de leurs masses, et lorsqu'ils
sont de même matiere, le rapport de
leur volume  determine celui de leur
pesanteur. Il a fallu determïner les
rapports des volumes, pour faire des
poids doubles, triples, ou moitié, tiers &c.
de celui qu'on prenoit pour mesure.
De toutes les figures solides, le cube 
fut le premier qui attïra l'attention, et
on prit pour commune mesure un cube
d'un certaïn metal dont le côté etoit
d'une longueur determinée, avec un
poids determiné. S'agissoit ïl de peser
<73v> une denree, on mettoit d'abord dans un
des bassins de la balance 1.2.3.4 &c
de ces cubes jusques a ce qu'on obtïnt
l'equilibre: mais on s'appercut qu'il seroit
plus commode d'avoir des poids d'une
seule piece qui fussent doubles, triples
et pour cela on ne fit que doubler, tripler
&c. la hauteur en laissant la même base
et cela conduisit a la connoissance et
a la mesure des parrallellepipedes,
dont la solidite devoit etre la produit
de la base par la hauteur en prenant
pour mesure la dïmension du petit
cube. on parvint ensuite a decouvrir
que la pyramide  etoit le tiers d'un
parrellepepide ou prisme de même
base et de même hauteur, et cela
donna le moien de mesurer exactement
la solidité de la pyramide. Quelques
idées prises par approximation de la
mesure du cercle, conduisirent a la
mesure du cilindre  consideré com=
me un parallellepipede d'une multi=
tude infinie de côtés, et celle ci condui=
sit a a la mesure de la sphere..
du cone du cone tronqué: ce qui
mit enfin sur la voie de mesurer
des solides de toutes sortes de figures
irregulieres.

<74> PROGRES DE LA GEOMETRIE

L'agriculture, l'Astronomie et la naviga=
tion ont beaucoup influé sur les pro=
grés que divers peuples ont fait dans
l'etude de la Geometrie.
Les Egyptiens dèsla plus haute antiqui=
té connurent l'arpentage
, et les rapports des dimensïons
representées par des lignes, puisqu'ils
firent usage du nivellement , et dela
stereometrie pour executer cette mul=
titude de canaux qui devoient porter
l'eau du Nil fort au loïn pour arro=
ser des terres, qui sans cela seroient
demeurées incultes.
Les Babyloniens de temps ïmmemo=
rial adonnés a l'astronomie, ont du
connoitre aussi la Geometrie dont
celle la ne peut se passer.
Des navigateurs tels que les Phoenï=
ciens n'auroient pu sans la mechani=
que et la Geometrie construire des vais=
seaux susceptibles d'une charge très
considerable, et dont la constructïon
et la manoeuvre ne pouvoient point
etre l'effet d'une simple routine gros=
siere, telle qu'on l'observe chès des
nations barbares.
Les Grecs s'occuperent aussi beaucoup
dela Geometrie et s'attribu se glori=
fierent même d'en etre les ïnventeurs;
ils attribuoient l'idée du Triangle a
Euphorbus: dela regle et du niveau
a Theodore de Samos, du compas 
a un neveu de Dedale, comme si
de telles notions elementaires et si in=
dispensables aux besoins dela vie hu=
maïne; n'avoient pas pu et du venir
naturellement a l'esprit des peuples
beaucoup plus anciens. Il faut convenir
<74v> cependant que les Grecs cultiverent la
Geometrie avec un grand succès. Thales
y fit de très grands progrès: Platon ne
vouloit admettre dans son auditoire au=
cun disciple qui ne fut initié dans la
Geometrie. Euclide resuma très ha=
bilement les ecrits de ses devanciers
dans ses Elemens dont on ne peut assès
admirer la composition. Il fut Ses
successeurs qui Appollonius, Diocles,
Erastothene, marcherent sur ses traces,
batirent sur ses principes, pousserent
la Science encor plus loin: mais aucun
n'acquit tant de gloïre que le fameux
Archïmede pourqui le savoir Geome=
trique devint le germe des plus belles
inventions. Cent ans après l'ere Chret.
Menelaus enseigna la Trigonome=
trie, et au II. Siecle, Serenus expliqua
les sections coniques  que Apollonius
n'avoit fait qu'ebaucher.
Cette Science peu cultivée chès les Ro=
mains et ensuite negligée par les Euro=
pens, traitée d'une maniere peu lumi=
neuse par les scholastiques, fut repri=
se avec chaleur et succès dans le XV
siecle par Purbach, Muller, Tar=
talia, Commandïn; au XVI, par
Jost Byrge auteur du compas
de proportion et premier inventeur
des Logarythmes; au XVII, par
Messer, Kepler, descartes, Wallis,
qui ont ete suivis des celebres au=
teurs du calcul infinitesimal  Leib=
nits, Neuton, et les Bernoulli, Euler, qui,
par leur son application a la Geometrie,
ont porté la plus grande lumiere
<75> surla theorie des courbes, et la
maniere de les calculer, dont on a
tiré un si grand parti dans les mecha=
niques, l'Hydraulique , la prospection Ballistique ,
LAstronomie &c.

<75v> ORIGINES DE LA MECHANIQUE.

L'art de suppleer aux forces de l'homme ou
des animaux, par des instrumens, des outils,
des forces etrangeres destinées a facïliter et
abreger les travaux; la mechanique  pratti=
que, a du etre d'origine aussi ancienne que
les arts de premiere necessïté. que l'agricul=
ture, l'architecture que l'Arith la Geome=
trie Dès la plus haute antiquité on a
pu se faire une idée des machines toutes
simples, qui ne supposent d'autre connois=
sance que celle de la Loi de l'equilibre   des
poids . Un homme portant sur les epau=
les un soliveau  se sera apperçu qu'il
le portoit beaucoup plus commodement
lorsqu'il prenoit son point d'appui a la
moitié de sa longueur, parceque dans cette
position, la charge se maintenoit d'elle me=
me, et sans effort de sa part, dans la direc=
tion horizontale. Il n'en fallut pas d'avan=
tage pour conduïre a cette regle generale,
qu'un corps d'une epaïsseur unïforme
demeuroit en repos ou en equilibre, lors=
qu'il etoit appuié sur quelque point fïxe
au milieu de sa longueur, et que dans
toute autre positïon, l'equilïbre cessoit.
la partie la plus longue descendant vers
la terre, et forcant la plus courte a
monter vers le ciel. On observa aussi, dans
le cas de l'equilibre, que s'il on ajoutoit
quelque nouvelle charge a l'un des côtés
du solïveau, il en resultoit egalement
une cessation de repos et un effet tout
pareil au precedent. Il n'en fallut
pas davantage pour faire naïtre l'idée
de la machine la plus simple et la plus
utile, destinée a comparer les poids entr'eux,
je veux dire, la Balance  sïmple.

<76> LA BALANCE SIMPLE.

Dans sa premïere origine, ce ne fut vrai=
semblablement qu'un simple fleau,
suspendu librement par le milieu, aux
extremités duquel on attachoit d'un côté,
la marchandise, dont on vouloit deter=
miner, la pesanteur et de l'autre, le
poids determiné qui devoït faire connoi=
tre la pesanteur de celle la par son equilibre avec
elle. Les poids furent d'abord de
pierre  mais dans la suite
on trouva plus expedient d'en fabriquer
de metal fondu ou forgé auquel
on pouvoit sans peine et très exactement
donner la forme et le volume qu'on
jugeoit a propos.
Pour rendre l'usage de cette balance
beaucoup plus commode et plus exact,
on suspendit au fleau deux bassins 
aisés a charger: on donna au fleau
un axe supporté par une chasse ,
pour diminuer le frottement et facili=
ter le mouvement: le fleau fut sur=
monté d'une aiguille pour indiquer
le moindre deplacement.

LA ROMAINE

Les embaras dela balance simple lors=
qu'il s'agissoit de peser des marchandi=
ses de grand poids firent bientot pen=
ser a une machïne plus commode
ou un seul petit poids pouvoit suf=
fire pour determiner tous les grands.
Lidée put en etre fournie parla même
<76v> observatïon sur le soliveau qui fit
connoitre clairement que plus un corps
grave est eloigné du point d'appui, plus
il a de pesanteur, et qu'ainsi deux
corps très ïnegaux en masse et en poids,
qui se trouvent aux deux extremités
d'un fleau soutenu d'un petit point d'appui,
peuvent se trouver rester en parfait equi=
libre, si le plus petit se trouve est placé a une
distance du point d'appui qui seul
d'autant plus grande que la surpasse
la distance ou se trouve l'autre que
le poids
autant que celui ci le sur=
passe par sa pesanteur. Il ne fallut
que cette idée pour conduire a lïnven=
tion de cette Balance appellée Ro=
maine parceque nos aieux grossiers
ne la connurent que lorsque les Ro=
maïns leur en decouvrirent l'usage.
La marchandise y est suspendue
a une petite distance du poïnt d'ap=
pui ou de l'axe autour duquel tour=
ne la verge  laquelle de l'autre côté
contient 10. 20. 50 fois la distan=
ce premiere; le poids d'une livre
applïqué a la dïvision 10. 20.
50. fait equilibre a 10. 20. 50
livres, et en decouvre l'apesanteur.

LE LEVIER.

Lidée du soliveau, ou de la Romaine Balance
fut aisement transportée a une machi=
ne semblable pour le fond, mais differen=
te pour l'usage destinée non a peser, mais
a suppléer a la force du bras pour re=
muer des corps graves, les deplacer, aranger.
<77> En etablissant un point d'appui a
une petite distance dela masse, sur le=
quel on posoit un soliveau (une per=
che, une barre, une verge) qui s'en=
gageoit sous le masse corps grave, pendant que
le bras de l'homme appliqué a l'autre
extremité la plus éloignée dü point
d'appui, le mettoit en mouvement,
on apperçut que la force de celuici
etoit tellement secondée par cette
machïne, qu'il pouvoit sans beau=
coup d'effort soulever le corps gra=
ve et le deplacer, et qu'il pourroit
l'emploier dans toutes sortes de cas
pour vaïncre toutes sortes de resis=
tance. Cette machine relativement
a son usage fut appellée levïer ,
et chès les Romain vectis , et chès
les Grecs, μοκιλον. on la trouvé
en usage chès tous les peuples,
sans excepter les plus ignorant et
les plus grossiers: c'est un des plus grands se=
cours pour rapprocher et emploier
les materieux de construction qui
sont pour l'ordinaire si lourds
que sans l'aide du levier de cette machine on ne sau=
roit les mouvoir.

<77v> AUTRES MACHINES

Lidée dela balance conduisit a l'inven=
tion de la poulie  simple, qui n'est
qu'une balance tournante, a laquelle s'appli=
quent de part et d'autres des poids, ou
d'un côté un poids, de l'autre une force
pour faire equilibre a celuila, avec un surcroit
qui suffise pourle
mouvoir
 , et quand
on veut le mouvoir cet usage qui
demande que la figure d'une roue
dont la circonference est canellée 
pour qu'on puisse y appliquer une
corde, et en tirant celle ci, la faire
mouvoir cellela en rond autour de son
axe, et regler a son gré ce qui determine la direction
et la vitesse du mouvement impri=
mé au poids L'idée du levier produisit la pou=
lïe mobile ou la force peut faire
equilibre a un poids double, par=
ce quelle se trouve a une distance du
point d'appui double de la dïstance
du poïds.
Le levïer a fourni de même lidée
du cabestan qui n'est autre chose
qu'un levier applique a une roue,
pour qu'il puisse tourner sur lui
meme et a l'aide dune corde
qui s'envelloppe,
  continuer plus longtemps
le develloppement de sa force. on
l'appelle aussi tour, vindas .
<78> Lidée du levier se retrouve encor
dans le plan  inclïné  fait pour
soulever avec aisance des corps
pesans.
La force du levier et du plan ïn=
clïné reparoissent dans le coin 
destiné a separer des corps adhe=
rens, ou les fendre en le faisant
entrer de force pour en separer les
fibres.
Il en est de même de la vis  qui
sert a les serrer, presser: le plus
souvent elle est jointe avec le tour
et offre une machine composée.

MACHINES COMPOSEES

Des machines precedentes appellées
simples, associées et combinées pour
concourir au même effet, nacquî=
rent les machines composees

le chariot dont nous avons
parlé qui est un composé de leviers
et de tours

<78v> le mouffle qui rassemble plusieurs
poulies simples et mobiles;

le cric composé de roues et de d'une mani=
velle, qui fait la fonction de levier
et de tours correspondant de l'un a
l'autre, qui augmentent si prodigieusement
la grue la force;

le cric  composé
de tours ou deroues
dentelées corres=
pondant de lune a
lautre, et dune mani=
velle qui fait la fonc=
tion de levier, ce qui
augmente si prodi=
gieusement la force.
 

La grue qui reunit les forces du
levier, de la poulie et du tour, mer=
veilleusement combinés pour mouvoir
le pressoir les plus grands poids et
les elever a toutes sortes de hauteurs:
elle est ainsi appellee parce quelle ressemble pour la
figure a l'oiseau grue.

le pressoir qui offre les forces combi=
nées de la vis et du tour et du levier
pour produire une pression dont
le degre est immense.

PROGRES DE LA MECHANIQUE

Ainsi la mechanique prattïque fut
connue et cultivée des anciens peuples
peuples policés: ils ne purent s'en passer
pour batir destours et des villes, pour
niveler des terreins, creuser des canaux,
elever des pyramides, tailler et transpor=
ter des obelisques, et exercer leurs divers
arts. Elle fut prattiquée chès les In=
diens, chès les Chinois de temps immemorial,
comme elle l'a été chès les Peruvïens
et les Mexicains, et elle l'est même
jusques a un certain point, chès les
nations sauvages.
<79> chès la plupart des peuples anciens,
elle ne setendit gueres audela d'une
routine grossiere; les procedés raison=
nés et compliqués qui supposent une
theorie savante et le secours dela
Geometrie et du calcul, ne furent
gueres connus que des peuples très
civilises. Les Grecs y firent de très
grands progrès dont ils furent rede=
vables principalement a Archime=
de, auteur d'une multitude de ma=
chines, entr'autres de la vis sans fin,
d'une sphere qui imitoit les corps ce=
lestes, des ballistes qui arreterent
les Romaïns pendant 9 ans devant
Syracuse.
Les Romains furent aussi grands
amateurs et cultivateurs dela
mechanique
<79v> Mais les modernes surce point ont sur=
passé de beaucoup les anciens, parce
qu'ils ont poussé extremement loin la
theorie dont ils ont fixé les principes
parleurs recherches savantes sur les
calculs des forces, et les Loix de la
composition et dela decomposition du
mouvement.

<80> CHAPITRE XI
Des origines et des progres de l'Astro=
nomïe
.

CE QUE FUT L'ASTRONOMIE AN=
CIENNE

Le recit que Moise nous a laissé du
Deluge semble supposer qu'il y eut dans
l'ancien monde une methode de diviser
le temps, et des connoissances Astrono=
miques, qui ont pu, par le canal de Noé,
etre transmises a ses descendans après
le Deluge. Mais on a toutlieu de pre=
sumer que cette Astronomie antidilu=
vienne n'a pu s'elever a un bienhaut
degré de perfêction pendant l'espace de
18 siecles, et ou que les registres d'observa=
tions faites dresses pour la conserver n'ont
été transmis que bien très imparfaite=
ment aux habitans du nouveau
monde: ce qui aura mis ceux ci dans
la necessité d'etudier cette Science, tout
de nouveau et d'en reprendre les Ele=
mens tout de nouveau.
Les Colonies parties de l'Orient une
fois tombées dans la barbarie, comme
il a ete dit sect. 1. eurent bien du che=
min a faire pour arriver a l'art de
diviser le temps, et de connoitre le cours
des Astres.
Mais la necessité de cette connoissance
se fit bientot sentir chès les peuplades
bergeres, appellées a changer de station,
pour régler leur marche et leurs cam=
pemens, selon les saisons, et surtout
ches les peuplades cantonées et agrico=
les, pour regler leurs operations de cul=
ture, marquer les temps propres a chaque
ouvrage, pour mettre de lordre dans
le detail des fonctions ou affaires dela
<80v> vie sociale, qui appelle les individus a rem=
plir a certains temps ou heures fixes certains
devoirs civils, domestiques ou religieux.
on comprit qu'on ne pourroit esperer la
mesure exacte du temps que d'une atten=
tion soutenue 1 mot biffure aux mouvemens
des corps celestes, dont l'uniformité et la regu=
larité s'annoncent bientot a tousceux
qui s'occupent a observer lebrillant spec=
tacle des cieux.
Sans doute que la garde des troupeaux,
et les premieres operations de la culture
qui retenoient le berger et le cultivateur
dans les champs le jour et la nuit, leur four=
nirent naturellement des occasions sans
cesse reiterées de jouir de ce ravissant
spectacle: mais cette curiosité se fut
bientot rallentie si elle n'eut été soutenue
parle sentiment du besoin qu'ils avoient
de s'ïnstruire dela marche reguliere et
periodique des astres, pour fixer les epo=
ques du retour de chaque saison, et se
procurer des divïsions exactes du temps.
si necessaires pour regler leurs operations
rurales, domestiques et civiles.
Ainsi le besoin amena les premieres
decouvertes bornées a une connoissance
des cieux, singulierement des revolutions
du Soleil  et de la Lune , suffïsante pour
la division du temps marquée dans
un calendrier  vulgaire, qui devoit servir
a regler les operations necessaires de la
vie humaine. Mais dans la suite, le loi=
sïr né de l'âbondance, une noble curio=
sité soutenue de l'emulation, exciterent
les hommes a des observations plus assi=
dues, plus exactes, mieux rapprochées
et comparées, qui durent necessairement
amener de nouvelles decouvertes plus
approfondies et plus variées.

<81> PROGRES DE L'ASTRONOMIE CHES
LES DIVERS PEUPLES

Les contrées ou cette Science dut faire les
progrès les plus rapides furent celles qui
se trouverent favorïsées d'une position
heureuse, d'un air pur et temperé, de
la sureté, de l'abondance, du loïsïr et
dela lïberté. Tel fut le cas des Babylo=
nïens placés au milieu d'une plaine ïm=
mense, ou la vue n'y etoit bornée par au=
cun obstacle, et pourvus d'un observatoi=
re très elevé. Il en fut de même des an=
ciens Chaldeens, que leur genre devie
invitoit aussi a tout ïnstant au spec=
tacle des cieux, et qui furent même de
bonne heure excités a observer le cours
des Astres et leurs differens aspects, parle
profit qui leur revenoit de l'astrologie 
judiciaïre et des horoscopes  par lesquels
ils pretendoïent tirer de l'inspection des as=
tres et deleurs ïnfluences, la connoissan=
ce des evenemens, art qui, malgré sa
futilité, prit tant de faveur chès les
Orientaux, d'ou il se repandit dans la
suite par tout le globe, au grand detri=
ment de l'espece humaïne.
Les mêmes causes contribuerent a faire
fleurir l'Astronomie  chès les Egyptiens,
favorisés d'ailleurs plus que tous les au=
tres, par l'avantage de leur position
plus rapprochée de l'Equateur, ou ils
pouvoient decouvrir un plus grand
nombre d'etoiles , et ou les revolutions
des corps celestes se montroient a eux
sous un aspect moins oblique que
dans la Chaldée. de la vient sans doute
que les Egyptiens et les Chaldeens semblent
s'etre disputé la gloire de son l'invention, de
cette Science puisque ceuxci la rappor=
toient a Zoroastre Roi des Bactrïens,
<81v> qui vivoit 500 ans avant le siege de
Troie, tandis que ceux la en faisoient
honneur a leur Thaut appellé Hermes
Trismegiste. Mais pourquoi cette Science l'Astronomie
n'auroit elle pas peu naitre chès l'un com=
me chès l'autre de ces peuples? et pourquoi
comment se persuader qu'une Science
fondée sur une longue suite d'observa=
tions, ait été le fruit de linvention d'un
seul homme? Peutetre même sa nais=
sance a telle été anterieure chès les
Indiens.
Des Egyptiens elle passa aux Grecs par
le canal moien de Thales de Milet qui
l'avoit appris des Pretres de Memphis en=
viron 600 ans avant J.C. Il passe pour le pre=
mier qui ait predit
les eclipses et fixé
les poïnts des Solsti=
ces; son disciple Ana=
ximandre decouvrit
encor que le Soleil
est un globe de feu
beaucoup plus grand
que la terre, et prit
une idée de la Sphere
et des cartes geogra=
phiques. Pytagore
eut vers le même temps
soubsonna le mou=
vement de rotation
de la terre de la terre
autour du Soleil
et d'elle même et
parla le premier de
la division de lannee
en 365 jours et quel=
ques heures.
  Après lui
s'illustra Hipparque, auteur d'un ca=
talogue des etoiles fixes; mais nul
n'egalat Ptolomée qui au II Siecle
de l'Ere C. s'immortalisa par son fa=
meux Almageste, ce monument pre=
cieux de l'Astronomie ancienne.
Pendant plusieurs siecles l'Astrono=
mie demeura entre les mains des
Arabes, pendant comme seuls depositaires
des Sciences, quils ont transmises
aux Eurropeens
Vers l'an 1230 Frederic II. fit tradui=
re l'Almageste, et lEurope comman=
ca a prendre quelque idée d'Astronomie
graces aux soins de plusieurs hommes
savans, entrautres
<82> Sacrobosco,
Alphonse X,
Trapesunce,
Purbach,
jusques a ce qu'enfin au XV siecle
Copernïc develloppa et demontra le
vrai systheme des cieux.
Au XVII, les savantes observatïons
de Ticho Brahe amenerent la con=
noissance des Loix Astronomiques
publiées par Kepler, ensuite
par Flamsteed
et les profondes explications de Neu=
ton
auxquels il faut joindre les travaux
de ceux qui ont etendu le champ de
l'Astronomie parle perfectionnement
du Telescope, tels que Galileo
Huygens, Cassini, la Lande, Herschel,

<82v> MARCHE PROGRESSIVE DES HOMMES
DANS LA MESURE DU TEMPS

PREMIERE MESURE, LE JOUR.

Par ou les hommes ont ils commancé
pour etablir la mesure de la durée
au du temps, au moien du mouve=
ment des astres.
La premiere mesure introduite, com=
me la plus generalement repandue facile a saisir, a
été celle du jour , cad . le temps dela
revolution apparente du Soleil, depuis
un lever jusques au lever suivant.
Les sauvages eux mêmes comtent par
Soleils, et ils regardent lïntervale en=
tre le lever et le coucher comme la
moitié de cette revolution , dont la nuit
fait l'autre moitïé.
Ches les nations policées on a distingué
le jour naturel pendant lequel le Soleil est sur
l'horizon, et le jour artificiel, qui comprend le
jour et la nuit  νυκτημερον. Les nations ont
marqué differemment le commancement de ce jour
les unes au lever, les autres au coucher du
Soleil, d'autres a midy.
La seconde mesure du temps autre suite par que les
mi les hommes ont adoptee a ete le mois  reglé parle
mouvement periodique  de la Lune, qu'ils
ont pu aisement evaluer par les jours
qu'elle emploie pour faire sa revolution,
savoir 29 1/2 jours, au bout desquels elle
reparoit constamment après avoïr dis=
paru. Cette nouvelle apparition de la Lune
fut un objet particulier d'attention pour tous
les anciens peuples civilises; on la celebra comme
une fête, on en tint un registre exact, et
<83> presque partout on donna le meme nom a la Lune, et a cette
mesure du temps marquée parson retour
periodique. Tous les peuples sauvages
regardent aussi la nouvelle Lune comme
le Phenomene le plus interessant de la nature,
comme une espece de resurection de cet As=
tre: a son apparition, ils etendent les mains
vers le ciel, et poussent des cris d'allegresse.
C'est aussi pour eux la principale mesure
du temps: plusieurs tribus ne comtent les
temps ecoulés que par Lunes. Il en fut
de même des anciens peuples non encor
civilisés: partout les neomenies  furent
celebrées par des rejouissances et emploiées
comme division du temps: quelques
uns ne connurent même aucune autre
supputation, entrautres les Tartares peuples Nomades.

LA SEMAINE

La mesure du temps par 7 jours, appellee
septimana, semaine, a été adoptée de
temps immemorial, et generalement repan=
due chès les anciens peuples d'orient et même
chès les plus anciens habitans de l'Italie
de la Germanie, des Gaules. Il est cependant
très surprenant qu'elle n'ait pas été con=
nue des anciens Grecs qui divisoient leur
mois de 30 jours en 3 decades de 10 jours
chacune, auxquelles ils avoient donné les
noms de mois commancant, moïs du mi=
lieu, mois finissant.
Nous ne nions point que cet usage presque
universel de diviser le temps par semaines
<83v> ait pu etre une suite de la tradditïon con=
cernant les jours emploiés a la creation,
qui, transmise par Noë, a pu se repandre
2 mots biffures et se conserver chès tous les peuples,
même ceux qui sont tombés dans la
barbarïe. Mais quand nous supposerions
que cette traddition, ainsi qu'une foule d'au=
tres, eut été entierement effacée de la me=
moïre des hommes, il ne seroit pas diffïcille
de comprendre, qu'ils ont pu trouver d'eux
memes un fondement de divisïon par se=
maines en se rendant attentifs aux divers
aspects ou phases  que la Lune leur
offroit dans le cours de sa revolution. Car
puisque elle se montroit a eux a quatre
termes equidistans, sous 4 aspects diffe=
rens, nouvelle lune, premier quartier
pleïne lune, second quartier, ils auront
envisagé ces aspects comme une divïsion
naturelle du mois en 4 parties, dont
chacune dut naturellement, chès des
hommes peu accoutumés a un calcul
exact, etre evaluée a la somme de 7 jours.
Sans doute que l'impossibilité d'accorder
la mesure de 4 semaines avec le temps
de la revolution lunaire, se fit bïentot
sentir, mais la division par 7 jours
une fois admise, ne laissa pas que de
subsister, comme etant en elle même uti=
le, commode, et propre a servïr de regle
a diverses operations dela vie humaine,
entr'autres a celle de l'emploi d'un jour
sur 7 au culte religïeux, lequel
emploi a été connu de nombre de peu=
ples sortis dela barbarie. et qui pou=
voient avoir autrement perdu le souve=
nir de la traddition antidiluvienne
Ce qui semble confirmer ce que nous
avons dit sur le peu d'exactitude des plus an=
ciens <84> peuples dans l'estimation des mesu=
res du temps, c'est que dans les premiers
temps, on avoit evalué la revolution
du mois lunaire au nombre entïer
de 30 jours, et qu'il s'ecoula du temps
avant qu'on passa pensa a corriger
cette meprise. Faut-il etre surpris
si l'on reduisit, pendant un certain
temps, le 1/4 du mois a l'espace de 7 jours.

SAISONS. ANNEES.

Mais des mesures du temps si peu pro=
pres a marquer les retours des produc=
tions et des travaux de culture, nepur=
rent contenter des nations bergeres et
agricoles: il falloit chercher des divi=
sions du temps a de plus grands inter=
valles, et telles qu'elles pussent convenir
a leurs besoins.
On en vint d'abord a la distïnction
des saisons qui tinrent lieu de ce
que nous appellons années: ces sai=
sons furent marquées par des retours varietes
de temperature, de productions, d'oiseaux
d'apparitïon d'etoiles. dela vient que les
ches les anciens Grecs, il est 1 mot biffure on parloit d'années de
3. de 4. de 6 moïs. Les negres de Gambie
comtent pour leurs années par des pluies
periodiques qui tombent dans leur
climat.
On prit ensuite l'idée d'une revolution
qui comprenoit toutes les saisons , qui
ramenoit a leurs yeux periodiquement, la même tem=
perature, les mêmes productions,
les memes oiseaux,
les memes appari=
tions d'etoiles, et
  et cette revolution devint
une mesure très rapprochée de celle
que nous appelons année . Car les
habitans de l'Amerique Septentrionale
s'accordent bien avec nous, en quoiqu'ils ne comtent
leurs années que par neiges . il en est
de meme des negres de Gambie qui

comtent les leurs par des
pluies periodiques qui
tombent dans leur climat.
 

<84v> ANNEE LUNAIRE

Mais on cherchoit toujours quelque
mesure plus fixe et plus sensible dans les
cieux. On observa que le retour periodi=
que des saïsons s'accomplissoit environ
dans le même temps que la Lune emploi=
oit a faire 12 revolutions: d'après cette
idée, on fit de celles ci une année lu=
naire, evaluée sur le pied de 12 mois,
chacun de 30 jours, ce qui lui donna
360 jours. Mais des observations
plus exactes, des deffauts apperçus dans
l'evaluation, inviterent a redresser
celleci, en assignant a chaque mois
29 1/2 jours, et parla l'année lunaire
fut reduite a la determïnation exacte
de 354 jours. Pourqu'elle se trouvat
reduite a son vrai periode, on eut recours
a l'expedient bïen simple d'etablir 6
mois de 30 jours et 6 mois de 29.
Cette année Lunaire devint d'un usa=
ge general chès les anciens peuples et
qui s'est conservé chès les Tartares, les
Arabes et autres peuples nomades qui
voiagent d'ordinaire de nuit, au clair
dela Lune, et dont les besoins n'ont pas
demandé d'autre divisïon du temps.
on le retrouve aussi chès les hordes
sauvages, qui sont sans cesse en course
et qui rendent leur culte principal
a la Lune.
Cette determination de l'année ne pouvant
s'accorder avec le retour periodique des
saisons qui au bout de 17 ans lu=
naires <85> se trouve entierement renversé,
il fallut a la fin en venir que a quel=
que expedient pour ou correction pour
faire renconter l'un avec l'autre.
Les sauvages de l'Amerique Septentrio=
nale ont eu assès de genie pour ïma=
giner l'expedient de comter après 30
lunaisons, une surnumeraire qu'ils
appellent Lune perdue: après laquele
ils recommancent leur comte. Les peu=
ples nomades emploient aussi pour
cela les ïntercalations . Les anciens
peuples, entr'autres les Grecs, firent la
même chose: mais il leur fallut encor
bien du temps pour etablir un calen=
drïer un peu exact. Rien ne fut
fixe dans leurs intercalations jusques
a Methon qui le premier etablit
l'Enneadecateride ou periode de 19
ans, auquel il ïntercala 7 mois en=
tiers pour former un cycle  ou le
Soleil et la Lune recommancent en=
semble leurs cours, a la difference pres
de 2 heures 1' et 20 '', mais cette
intercalation supposoit la connois=
sance du mouvement periodique
annuel du Soleil.

ANNEE SOLAIRE

On ne peut douter que les anciens peu=
ples civilisés n'aient observé de très bon=
ne heure le cours apparent du Soleil
autour de la terre pendant lespace
d'une année. Les approches et les
<85v> eloignemens de cet astre, l'accroissent etment et
le decroissement regulier des jours dans
les mêmes saisons, les differentes
grandeurs des ombres meridïennes, qui
tous les jours annoncent differentes hau=
teurs du soleil, tout cela leur aura fait
comprendre que cet astre a un mouve=
ment periodïque dont la connoissance
ne peut qu'etre dela derniere importance.
Voiant aussi que le Soleil changeoit cha=
que jour le point de son lever et de son
coucher sur l'horizon, ils auront obser=
vé, et surtout vers le temps des equïno=
xes , le lieu du lever relativement a
un certain fixe poïnt fixe, un rocher,
un arbre, et environ 6 moïs après,
ils auront vu le Soleil revenir a ce mê=
me point. Tout cela aura bïen suffi
pour leur persuader que le soleil avoit
une revolution, et en même temps que cette revolutïon
excedoit de quelques jours les 12 revo=
lutïons lunaires; après quoi ils n'auront
pu que sentir la necessité de determi=
ner avec exactitude cet excedent, qui
devoit donner le vrai temps periodique
de l'année Solaire, et son rapport exact
avec l'annee Lunaire.

MOIENS EMPLOIES POUR LA DETER=
MINER. GNOMONS.

Le premier moien emploié pour determi=
ner l'année Solaïre aura été l'observatïon
des ombres meridiennes pour tous les
jours de l'année, et on aura comté le
nombre des jours ecoulés entre deux
jours ou les ombres s'etoïent trouvées
<86> parfaitement egales, car ce nombre
devoit donner la moitié du temps perio=
dique du Soleïl. Les objets dont l'ombre 
projetée fut ainsi observée, furent
appellés chès les Grecs Gnomons :
On emploïa d'abord des gnomons natu=
rels, comme des montagnes, des ar=
bres; ensuite des gnomons artifi=
ciels qui ont ete les premiers instrumens
Astronomiques en usage chès les an=
ciens peuples comme ils l'ont été chès
les Chinoïs, les Mexicains. Ce fut la
premiere destïnation des obelisques 
Egyptiens dressés avec tant d'appa=
reil.

ETOILES FIXES

L'autre moien pour determiner l'année
Solaïre aura été pris 1 mot biffure de l'observatïon
des etoiles fixes. Les hommes n'auront
pas manqué d'observer de bonne heure
dans le ciel une multitude d'astres fïxes
et ïmmobiles qui conservent toujours
la même position entr'eux et par rapport
a la terre, sans que rïen annonce chès
eux un mouvement qui leur soit propre:
Ce sont ces astres qu'on a appellés Etoiles
fixes. Mais ils n'auront pas si tot soubçon=
né le parti qu'ils pourroient tïrer de ces
Etoiles et de la determïnation deleur posi=
tion respective, pour s'eclairer surla
marche du Soleil, de la Lune et des as=
tres appellés Planetes  qui ont un mou=
vement propre et changent continuelle=
ment de position dans les cieux.
<86v> Peu a peu avec les observations ils seront
venus a s'assurer que ces etoiles fixes sui=
voient un certain ordre dans leur appa=
rition un peu avant le lever du
Soleïl, ou un peu après son coucher,
et que cet ordre etoit sensiblement
uniforme, attendu que le retour dela
même etoile vers le Soleil, a son lever,
ou a son coucher, ramenoit constamant
la même saison. Ils auront bien com=
pris aussi que cette marche apparente
des astres n'etoit que l'effet du mouvement
du Soleil dont la dïrection est opposée
au mouvement diurne qui semble
entrainer chaque jour tout le firma=
ment. Dèsla on aura pensé chercher
dans le Ciel un point fixe auquel on
put rapporter le mouvement du Soleil,
dèsle moment de son depart de ce point
jusques a son retour a ce point, et par
la on sera arrivé a un moïen de deter=
mïner exactement la route qu'il suit,
et le temps qu'il emploie a la parcourir.
Pour cet effet on aura determïné les
Etoiles que le Soleil effacoit chaque
moïs du côté de son couchant, et
celles qui se degageoitent successivement
de ses rayons, pour se montrer ïmmedia=
tement avant sonlever, et par une
connoissance exacte de toutes les Etoiles,
sous lequelles le Soleil passe ainsi succes=
sivement, depuis qu'il est parti d'une
premiere étoile prise a volonté, jusques
a ce qu'il y revienne, on sera parvenu
enfïn a determiner avec precision le
chemïn qu'il decrit dans le ciel. les
<87> les limites qui bornent sa course annu=
elle, et le temps qu'il emploie a la 1 mot biffure finir.
Mais faute d'instrumens propres
a mesurer le temps avec la derniere
precïsïon, cette connoissance sera demeu=
ree encor longtemps ïmparfaïte.

DETERMINATIONS DU TEMS DE L'AN=
NEE SOLAIRE.

L'habitude des mois de 30 jours et la
commodité d'une année civile divisée
en 12 mois de 30 jours chacun, furent
sans doute cause que lorsqu'on comman=
ca a determiner l'année Solaire, on se
contenta d'ajouter a l'année Lunaire
six jours seulement, pour en faire une
année de 360 jours: ce qui etoit encor
l'année des Orientaux au temps de
Moyse  et qui
subsista même encor longtemps après.
Avec ce calendrier, les saïsons se trou=
voient en ordre inverse au bout d'envi=
ron 34 ans, et pour retablir le concours,
on faïsoit des additions ou des suppres=
sions d'un certain nombre de moïs ou de
jours, selon le besoïn, ainsi qu'il a tou=
jours fallu le faire lorsqu'on a voulu
reformer le Calendrier.
Mais les observations astronomiques
apprïrent enfin qu'a l'année lunaire de
354 jours; il falloit ajouter onze jours
entïers pour avoir la vraie année So=
laïre evaluée a 365 jours. Les Baby=
loniens, qui avoient les premiers trouvé
le moien de mesurer exactement les diver=
ses parties du jour, furent, dit on, les pre=
miers qui entreprirent de mesurer exacte=
ment la revolution annuelle du Soleil, et
<87v> deja sous le regne de Nabonassar, ils
etablirent une année de 365 jours,
que les Perses adopterent ensuite depuis
le regne de Cyrus. Selon Herodote,
les Egyptiens comprirent très ancien=
nement qu'il falloit ajouter 5 jours
a leur année de 360 jours, et ce fut
d'eux, par le canal de Thales, que les
Grecs recurent cette determinatïon
plus exacte de l'annee Solaïre. Pour
faire accorder celle ci avec les 12 revo=
lutïons lunaires, ils ajouteront par in=
tercalation, tous les 3 ans, un 13 mois
lunaire qui fut appellé: Embolisme .
Cependant les astronomes Chaldeens
s'appercurent les premiers et même d'as=
sès bonne heure qu'a l'année de 365
jours il falloit ajouter cinq heures
et 48 mïnutes, et dès la même inter=
caler au bout de 4 années un jour
entier dont l'année se trouvoit recu=
lée. D'ou naquirent ces années que
l'on avoit appellées Bissextiles

Les Egyptiens ne furent instruits de
ce changement sur ce point que vers le temps ou
Platon et Eudoxe voïagerent chès
eux, et ce fut dès lors aussi que cette
connoissance parvint aussi aux Grecs
qui la transmïrent aux Romains chès
qui l'usage de cette intercalatïon s'intro=
duisit, et donna naissance a ces annees
qui ont été appellees bissextiles parce que Cesar aiant
fixé l'intercalation
au jour qui precede
le 24 Fevrier, qui
chès les Romains etoit
le six des calendes de
Mars, ce 24 Fevrier
se comtoit deux fois
cette année, et on
disoit, bis sexto
calendas martii
; d'ou
2 mots biffures vint que le jour
intercalaire fut appellé
bissextilis, et ce nom
fut aussi attribué a
l'année ou il etoit in=
seré.

<88> Mais la perfectïon des instrumens Astro=
nomiques a amené des determinations
plus exactes et l'année aiant été evaluée
a 365 jours 5' 49'' on a trouvé, lors
de la reforme du calendrier sous Gregoire
XIII, que pour tenir comte des 44 mïnutes
surmeraires que donne l'annee bissextile,
1 mot biffure il etoit indispensable de retrancher
pendant l'espace de 400 ans 3 bissexti=
les.

CYCLES.

Combïen de siecles Enfin a force d'observatïons 1 mot biffure
pas fallu et de decouvertes successives
en Astronomie 1 mot biffure na til pas fallu la
decouverte du
on est parvenu a determiner les vrai Cycle des années lu=
naires et solaires et a 1 mot biffure calen=
drier regulier dans apres lequel les deux
astres recommancent dans le même
temps leur course et representent la
meme suite d'aspects et d'eclypses qu'ils
avoient presentées auparavant. Tel fut
Tel est ce Cycle lunaire, appellé au=
trement periode Methonienne, au
bout de laquelle 19 années Solaïres
se trouvent equivalentes a 19 an=
nées lunaires et 7 moïs intercalaî=
res, après lesquelles les pleïnes et les nou=
velles Lunes retombent au même
jour de l'année. La nature de cet
ouvrage ne nous permet pas de
plus grands details qui demanderoient
une etude Astronomique approfon
et chronologique approfondies.

<88v> DENOMINATIONS

Le commancement de l'année n'a pas
ete fixé a la même epoque chès les divers
peuples. Les chaldeens commancoient
leur année a la nouvelle Lune qui
suit ïmmediatement l'equinoxe du
Printemps. Chès les Egyptiens, l'année
commancoit a l'equinoxe d'auton=
ne. Les Hebreux avoient distinguoient
une année civile qui commancoit
au Printemps, au mois Nisan
et une année sacrée qui comman=
coit vers l'Autonne, au mois Tïsri.
La plus ancienne année Attique
commancoit au plus long jour
de l'annee, ou au Solstice  d'Eté.
Ches les Hebreux on avoit des se=
maïnes d'annees, dont chacune
contenoit 7 ans.
Les Grecs comterent par Olympia=
des qui comprenoient 4 chacune
4 ans, intervalle qui etoit deter=
miné par le retour des jeux Olym=
piques
Les Romains avoient adopté aussi l'usage
de comter par Lustres , ceremonies publi=
ques qui se celebroïent tous les 5 ans
par diverses ceremonies, entr'autres des
purifications, appellées Lustrations.
Les modernes comtent par Siecles .
<89> Les premieres denominations des mois
furent celles de premier, de second &c.
Les Hebreux adopterent certains noms
relatifs aux productions de la terre ou
aux circonstances: l'explicatïon en est
asses diffïcille.
Les Grecs ne donnerent a leurs mois que
des noms relatifs aux principales fètes
qui s'y celebroient en l'honneur de leurs grandes
divinités.
Les Romains retinrent les anciens noms
de 4 mois September &c. et ils donnerent aux
autres des noms relatifs a leurs divinités
ou personages illustres
a d'autres objets.
Des Nations moins civilïsees Europeenes donnerent
a chaque mois un nom relatif a l'espece
de travaux rustiques ou de productions
dela terre, qui lui est propre: tels sont
encor plusieurs noms de moïs chès les
Allemands, heumonath, Weïnmonath,
herbstm, et tous les noms de mois chès
les Bataves, et aujourdhui chès les Francois.
Ches les sauvages même chaque mois
porte le nom expressif ou de sa tempera=
ture ou des objets interessans que la 1 mot biffure
nature leur offre.
Les jours de la Semaine ont été d'abord
distingués par les denominations de pre=
mier, second &c.
Les Hebreux ne connurent dautre deno=
mination .
<89v> Les Grecs avoient aussi emploie la meme
methode pour nommer les jours de cha=
cune de leurs decades.
La nomenclature des 7 Planetes parut
dans la suite convenir aux 7 jours d'au=
tant plus que selon les reveries de l'Astrolo=
gie judiciaire, on supposoit que les mêmes
Divinités qui presidoient au cours des 7
Planetes etoient chargées aussi du soin de
presider alternativement aux 7 jours de
la semaine. Dela les Latins les appellerent
dies Solis, Luna, Martis, Mercurii, Jovis,
Veneris, Saturni: d'ou en substituant
au premier le dim jour du Seigneur, nous
avont fait Dimanche, Lundy, Mardy,
Mecredy, Jeudi, Vendredy, Samedy. Les
Germains en ont pris sontag, montag,
samstag, et les Bataves Zondag
Maandag, Saturtag.

DIVISION DU TEMS DIURNE

S'il etoit essentiel aux besoins de la vïe humaine
de tenir comte du temps qui s'ecoule par
intervalles considerables, il ne l'etoit pas
moins de comter avec precision tous les mo=
mens  qui s'ecoulent dans une revolution di=
urne, et de diviser ainsi le temps en parties
aussi petites que possible.
<90> Il est des nations grossieres qui ne connois=
sent encor aucun moien artificiel de par=
tager le jour en un certain nombre de por=
tions exactement egales entr'elles. Elles
sont reduites a certains moiens naturels
qui ne leur donnent aucune divïsion pre=
cise. Ainsi les Islandois se reglent surles
marées, les Chingulois sur une fleur qui
s'ouvre regulierement chaque jour 7 heu=
res avant la nuit. A Madagascar, on
divise le jour naturel parla projection
des ombres. Nos montagnards divisent
asses bïen le jour par la simple inspectïon
des hauteurs du Soleil, et la nuit par
celle des etoiles. Les sauvages excellent
en ce point.
Du temps des Patriarches, les divers mo=
mens de la journée n'étoient distingués
chès les Orientaux que pardes denomïna=
tions vagues, sur le soir, vers le matin,
au lever ou au coucher du Soleil, vers le
midy du jour .
Bientot on chercha des expediens pour
obtenir des divisions plus precises et re=
duites a de plus petites parties; les premiers
furent les Cadrans et les Clepsydres.

LES CADRANS.

on chercha pensa d'abord a determiner sur quel=
que plan la grandeur des ombres solaires
dans les dïverses parties du jour, car en
marquant les differens points dela hauteur
du Soleil depuis son lever jusques a son
coucher, elles ces ombres octroient une dïvi=
sion du jour naturel, en tel nombre de
parties qu'on jugeoit a propos de distin=
guer. C'est ce qu'on a appelle le Cadran .
<90v> Mais ce Cadran etoit inutile pour la nuit.
Peut etre cherchat on aussï a diviser celle ci
par quelque instrument pour prendre les
diverses hauteurs des etoiles? Maïs ces instrumens
etoient trops grossiers pour premettre quelque
division exacte. pour l'exactitude, il eut
meme fallu autantdailleurs il eut
fallu diviser tous les
jour naturels
dans le même nom=
bre de parties, et
pour cela on auroit
eu besoin d'autant
  de plans dïvisés quil
y a de jours distincts dans l'année: car
a cause de la vicissitude continuelle d'ac=
croissement et de decroissement des jours
et des nuits, les portions ou heures devenoient
ïnegales d'un jour a l'autre, les heures du
jour changeoient continuellement de rap=
port avec les heures de la nuit: enfin les
divisions faites dans un lieu ne pouvoient
point souffrir de rapprochement ou de
comparaison avec les divisions etablies
dans un autre lïeu. De quelle utilité
pouvoient etre ces cadrans avant qu'on
sut tirer une meridienne , et prendre l'ele=
vation du pole, pour donner au gnomon
l'inclinaison qu'il doit avoir? Combien
ne falloit il pas de connoissances astro=
nomiques pour construire un Cadran
solaire ou la marche de l'ombre autour
d'un gnomon, marque sur un plan
divisé, la marche exacte du soleïl pour
tous les jours de l'année, et la division
de cette marche en parties constamment ega=
les.
C'est neammoins ce que les Chaldeens con=
nurent d'assès bonne heure, puisqu'ils en
transmirent la connoissance aux Hebreux
avant l'Ere de Nabonassar .
Les Grecs ont attribué l'ïnvention du ca=
dran parmi eux a Anaximene Lace=
demonien qui vivoit 547 ans avant J. C.
<91> Les Romains ignorans completement
l'usage du Calendrier Cadran, jusques
au temps de Valerius Messala qui en
apporta un de Sicile, mais dont il connois=
soit si peu la construction qu'il eu la sïm=
plicité dele poser sur la place publique
dans l'idée qu'il seroit d'une grande utili=
té aux Cytoiens de Rome.
Il faut cependant convenïr que la Gno=
monique des anciens fut bien inferieure
a celle des modernes qui par les soins de
Stadius, Clavius, la Hïre, &c a été
portée a une haute perfection, surtout
depuis qu'on a appris a tracer les Meri=
diens avec tant d'exactitude.

LES CLEPSYDRES

On sentit toujours la necessité d'un moien
pour tenir comte dela somme de tous les
momens qui se succedent dans un jour ar=
tificiel, en partageant cette somme en un
certain nombre de parties separées par des
intervalles equidistans; divisïon du temps
qu'on a appellée artificielle, la seule qui
a pu donner des heures egales entr'elles pour
le jour et pour la nuit, et egales pour
tous les jours 1 mot biffure de l'année. qui sont 1 mot biffure
a peu près egaux entr'eux
<91v> Les premiers ïntrumens emploïés a cet
usage furent les Clepsydres  qui mar=
quoient la mesure et la division du temps
par l'ecoulement de l'eau d'un vase qui
devoit se faire par ïntervalles egaux.
Les Egyptiens passent pour en avoir été
les premiers ïnventeurs et l'avoir meme emploié
pour diviser le Zodiaque en 12 parties
egales. On dit que les Chinois en ont fait
usage pour supputer les intervalles qui
s'ecouloient entre le passage d'une etoïle
parle merïdien, et le coucher ou le lever
du Soleil, et la grandeur des jours.
Mais, comme selon les Loix de l'Hydrau=
lique , l'ecoulement des eaux d'un vase
rempli ne sauroit etre un 1 mot biffure et
etre assujeti a aucune division exac=
te de temps, cet ïnstrument n'â pu qu'e=
tre toujours très defectueux; 1 mot biffure lorsque
a l'eau on a voulu substituer du
fïn sable, ca été la même chose.

LES HORLOGES

Enfin on est parvenu a concevoir un
mechanïsme composé de differentes pie=
ces a rouages dentelés, et engrenés les
uns dans les autres, pour etre mües
toutes ensemble d'un mouvement regu=
lier et egal a lui même, produit par
l'impulsion d'un premier mobile d'une
actïon toujours uniforme, et maïnte=
tenu <92> dans cette uniformite par un
moderateur ; ce qui communique
un mouvement continuel et regulïer
a un signe mobile ou aiguille tour=
nante qui marque sur un plan divi=
en parties egales, toutes les parties
du temps qui s'ecoulerent, a intervalles
equidistans, dans l'espace d'un jour
et tient par la sert de mesure et de
note pour toutes celles qui se sont
ecoulées. Telle est la mechanique
qu'on a appellée horologe .
Le premier mobile qui y fut appliqué
fut une eau courante, et cet horologe
a eau fut ïnventé, diton, par Ctesi=
bius vers l'an 613 de Rome.
Bientot après on y substitua des poids.
Trimalcion avoit un horologe a
poids dans sa sâle a manger.
Mais la barbarie plongea tellement
tous les arts dans l'oubli que l'horo=
loge que le Pape Paul 1. envoia a
Pepin le bref vers l'an 750 fut regar=
dée comme une merveïlle. Cinquante
ans après le calife Aaron Raschild
en envoia une pareille a Charlemagne
qui fut imitée et perfectionée en Italie
l'an 840 par Pacifique Archeveque
de Verone.
Vers le commancement du XIV siecle, on
vit a Londres pourla premiere fois un
horologe et bientot après parut celle
<92v> de Jaques de Dondis né à Padoue, qui
marquoit les heures et les signes du
Zodiaque. Au milieu du siecle, on vit
paroitre des horologes a contrepoids et
a sonneries . Une des plus fameuses fut
celle de Courtray que Phillipe le hardy
fit transporter a Dijon en 1363. Charles
V. en 1520 1370 appella Henry de Vich
pour faire l'horloge du Palais Royal,
le premier qu'on ait vu a Paris. Vers le
milieu du XVI siecle, l'on vit paroitre
les horologes de Strasbourg et de Lyon,
de Berne.
Les grosses horologes placées sur les tours
firent naitre l'idée d'en construire de
plus petites pour les appartemens: on
y appliqua les poids et contrepoids:
on fit des modifications au mechanisme
des rouages pour les rendre plus simple,
aux poids on substitua le plus souvent
le ressort qui donnoit a la machine
plus d'elegance et moins de volume.
L'art de l'horlogerie reçut un grand
degré de perfection lorsqu'en 1647,
Huygens fit aux horologes l'applica=
tion du pendule , qui en est le meilleur
regulateur : et ce fut dès lors que les
horologes furent appellees des pendules.

<93> LES MONTRES

La perfection de l'horologerïe en
gros conduisit a l'idée des horologes
portatives que nous appellons des montres,
on commanca a en fabriquer en Alle=
magne au temps de Charle quint. Les
premieres furent fabriquées en 1500
par Pierre Hele de Nuremberg, et
dela transportëes ailleurs, on les appella
oeufs de Nuremberg, parce qu'elles et=
oient d'une figure ovale. Versce temps
la, Purbach a Vienne en autriche se
servoit, diton, d'une montre a minutes
et a secondes, pour ses observations astro=
nomiques. Les montres ne furent por=
tées en Angleterre que vers l'an 1577.
Deslors on a beaucoup perfectioné
l'art des montres, par de nouvelles divi=
sions en minutes, secondes &c dïvers
mechanismes composés, entr'autres ceux
qu'on a appellés a repetition et a equation.
Ces premieres montres a repetition furent
faites en Angleterre en 1676 par Bar=
lov. Charles II en envoia une a
Louis XIV.

<93v> HEURES

Le mot heure que les anciens prirent dans
un sens vague fut appliqué a la fin a
la division du jour naturel en 12 por=
tions 1 mot biffure. Cette division fut sans doute
fournie par celle du Zodiaque partagée
en 12 signes. On assigna aussi douze
portions pourla nuit. Le jour artificiel
fut ainsi partagé en 24 portions qu'on ap=
pella heures, et on en attribua pour
toute l'année 12 aujour, et 12 ala
nuit. La maniere de les comter a varié.
Dans quelque pays on a comté par
24 heures; dans la plupart c'est par
12. Ches les uns on commance a
comter depuis le matin , chès les autres
depuis le soir , chès la plupart c'est de=
puis le midy.

LE SUPPUT DES TEMS.

on doit dïre a la louange des anciens qu'a=
vec peu de secours, ils sont allés fort loin
dans l'art de 1 mot biffure comter le temps et d'en tenir
comte note. Les peuples qui n'ont pas eu l'usage
de l'Ecriture, y ont suppléé pardes pratti=
ques. On emploïoit des noeuds de corde
dont chaque jour on denouoit un, ou
chaque jour on faisoit a des cordelettes
un nouveau noeud; comme faisoient
les Peruviens avec leur Quipos, et com=
me font les naturels de la Guiane.
<94> Les Romains eux mêmes marquoïent
le nombre des années pardes cloux dont
on enfoncoit un annuellement dans la
muraille du Temple de Minerve.

LES CONSTELLATIONS

Independamment du besoin que les hommes
ont eu de connoitre les cieux pour mesurer
le temps, ils ont compris tout le parti qu'ils
pouvoient tirer des etoiles fixes pour d'au=
tres usages, et de bonne heure ils se sont etudiés
a les distinguer et les reconnoitre au moien
d'une division de la voute Celeste en diffe=
rantes portions determinées par des diffe=
rences prises ou des amas de ces etoïles plus
ou moins nombreux, deleur plus ou moins
d'eclat, et surtout deleur position respectïve
des uns a l'egard des autres: ce qui a con=
duit a des denominations particulieres a
chacun de ces amas, et même a quelques
unes des etoiles dont ceux ci sont composés.
Telles a ont été la ces manieres des constellations
qui dont la connoissance remonte jusques aux premiers ages par=
mi les peuples civilisés. Job parle du cha=
riot, de l'orion, dela pousimiere IX 9 des
chambres secrettes du midy, et même du
Zodiaque .
Ces constellations auront été denominées
remarquées et denominées les unes après
les autres. Les premieres qui auront attiré l'at=
tentïon des orientaux auront été les plus
voisines du pole septentrional, qu'ils pou=
voient observer a toutes les heures de la
nuit. Celle qui les aura d'abord le plus
frappé, c'est le grand chariot, ou grande
<94v> ourse, composée de 7 etoiles dont l'eclat
et la disposition ont fait impression sur
les peuples même les plus Sauvages.La petite ourse
a ete sans doute
la seconde qui a
fixe les yeux par
sa ressemblance
singuliere avec
la precedente.
  La
troisieme aura été le Bouvier ou brille
l'etoile nommée Arcturus, dont la scintil=
lation vive se degage de la lumiere encor
assès forte des crepuscules; ce qui fait
qu'on l'apperçoit la premiere après le
coucher du soleil. Entre les Etoiles
meridionales, les plus frappantes sont
ceux qui composent l'orion, et le grand
chien, dont Syrius surpasse en eclat
toutes les Etoiles fïxes.
on n'aura pas observé si tot les constellatïons
peu eloignées de la route du Soleil appellée
l'Eclïptique , parceque le voisinage de cet
astre les fait dïsparoitre aux yeux pendant
un temps considerable. Neammoins on
n'aura pas tardé a sentïr la necessité de re=
connoitre et de nominer ces amas d'Etoiles
sous lesquelles le Soleil semble passer succes=
sivement dans son cours annuel, des qu'on
se sera occupé,de ce dernier, et cela se sera trouvé
d'autant plus aisé a executer que la mar=
che du soleil d'occident en orïent pouvoit
aïder a determïner celle des Planetes qui
qui marchent a coté dans le même sens,
comme aussi celle des Planetes attentivement
observée pouvoit aider a determiner plus
exactement la route du Soleil, et toutes
les deux concourir pour determiner tou=
tes les constellations  qui se trouvent sur
cette voie.
Ainsï on aura distingué et nommé
d'abord celle du Taureau a cause des
Hyades qui forment un espece de V
surla tête, et des Pleïades ramassées au
nombre de 6 surson epaule: car celles
ci avoient frappé les Peruviens et même
des peuples sauvages.
<95> Il en aura été de même du Scorpïon
parcequ'il renferme une etoile des plus
remarquables, et que les autres sont dis=
posées assès singulierement autour d'elle.
Ainsi plusieurs constellations auront
pu frapper plusieurs peuples dont au=
cun ne peut dïre les avoir appercu le
premier et ensuite fait appercevoir
aux autres.

ORIGINES DU ZODIAQUE.

Cet espace des cïeux sous lequel se trou=
vent un certain nombre de constellations
voisïnes du Soleil, et ou s'effectuent les mou=
vemens periodiques des Planetes, puisqu'il
comprend toutes les inclinaisons deleurs
orbites parrapport au plan de l'Ecliptique
ou le soleil a son mouvement apparent,
cet espace, considéré comme une bande
large entre les deux extremites de l'Eclipti=
que, a été appellé Zodiaque; nom qui a
pu etre composé de δισκος disque, et
de ζωον animal, qui et semble relatif
a ces divers animaux dont les noms
ont été donnés aux constellations et en=
suite aux 12 signes ou celles ci se trou=
vent placées.
chès les Chaldeens, les Egyptiens, deja
du temps des Patriarches, on avoit une
année de 360 jours divisée en 12 mois
de 30 jours chacun; il ne faut pas aller
chercher ailleurs la premiere origïne
d'un Zodiaque partagé en 360 degrés,
rapportés a 12 signes egaux, composés
chacun de 30 degrés: des objets qui
ont des rapports si marqués, auront
eu une origïne simultanée ou a
peu près. Je crois qu'on aura pris de la
aussi la division Geometrique du cercle.
<95v> Mais comment sera t'on venu a bout de par=
tager renfermer chaque constellation
dans les 30 degrés precis qui composent cha=
que signe, pour faire ainsi un partage
exact du Zodiaque? Les Egyptiens dit on
se servirent de deux vases l'un rempli d'eau
et l'autre vuide, disposés de maniere que l'eau
du premïer put s'ecouler par une ouvertu=
re dans le 2e au moment ou on le voudroit.
Lorsqu'une etoile determinée parles obser=
vateurs vint a s'elever sur l'horison, on
laissa couler l'eau pendant les 24 heures
jusques au moment ou l'on vit la même
etoile reparoitre le landemaïn, et l'on crut
que cette quantité d'eau ecoulée pourroit
donner un moien facïle de partager la
revolution diurne en 12 parties egales.
Pour cet effet on prit la 12o partie de cette
eau, on prepara deux vases dans le gout
des precedens, mais qui ne pouvoient conte=
nir exactement que cette 12o partie et on
crut que la durée de l'ecoulement de celle ci
devoit fournir exactement le temps qu'une
etoile levée sur l'horïson mettroit a par=
courir la 12 partie du Zodiaque. On fit
les mêmes dispositions pour determiner
les partïes suivantes, et on continua
jusques a ce que les 12 signes fussent
bien exactement separés et la divisïon
parfaite. Mais qui ne voit que l'ecoule=
ment des eaux dans ces diverses operations,
ne pouvoit etre uniforme; d'autant plus que la supposition
de l'uniformité
etoit contraire
aux Loix fonda=
mentales de l'Hy=
draulique, et pou=
voit dautant
moins etre admise
 
que les cercles horaires coupent partout
l'ecliptïque en portions inegales.
Ainsi la divisïon du Zodiaque n'a jamais
pu etre executée avec quelque precision que
lorsqu'on est parvenu a une connoissance
exacte du mouvement annuel du Soleil
<96> et dela vraie position oblique de lEcliptique,
ce qui supposoit une longue suite d'observa=
tions delicates et une Geometrïe profonde.
Ce n'est pas ici le lieu de la develloper les
methodes par lesquelles on y est parvenu.

LES PLANETES

La vue Ces astres qui changent sans cesse
de position et parcourrent successivement
diverses constellations, je veux dire, les Plane=
tes, n'auront pu echapper aux observations
des anciens. Les premieres observées auront
été celles dont l'eclat et l'ïnegalité des mouve=
mens sont le plus sensibles.
Telle fut d'abord Venus qui a attiré les
regards des peuples les moins eclairés. Il est
etonnant que que les Grecs, voïant cet as=
tre paroitre tantot avant le lever, tantot
après le coucher du Soleil, en aient supposé
deux distincts, qu'ils appelloient l'un
εωσδορως l'etoile de l'aurore, l'autre
εσπερως l'astre du soir; ils furent dans
cette erreur jusques a Parmenide.
Mars aura pu etre placé le second au
rang des Planetes parce que lorsqu'il est
Perigee , il peut le disputer pour l'eclat a
Venus même, et qu'il offre quelque chose
de très frappant dans ses mouvemens tan=
tot directs et tantot retrogrades.
Mercure aura été reconnu plus tard
parce que c'est la plus petite des Planetes,
et que ce n'est que dans le temps assès court
de sa plus grande elongation, qu'on a
pu l'observer. Il a été connu cependant
parles des anciens Babyloniens et Egyptiens
parce qu'etant placés dans une Sphere
moïns oblique que nous, ils ont eu plus de
<96v> facilité pourle saisir dans le temps qu'il se
degage des raions du Soleil.
Quant a Jupiter, qui emploie environ
une année a parcourir un signe, il aura
fallu une suite assès longue d'observations
pour s'assurer qu'il est une Planete.
Il aura fallu encor plus de temps pour recon=
noitre Saturne dont la revolution est d'en=
viron 30 ans.
Les hommes auront en même temps compris
que le mouvement de ces Planetes etoit perio=
dique, ils auront determiné ce temps aussi
exactement que de grossiers instrumens pou=
voient le permettre; ils auront bien vu que
ces astres ne s'ecartoient jamais de l'equateur
au dela d'un certain point soit au nord
soit au midy, et ne sortoient point de cet
espace appellé le Zodiaque, et les observa=
tions qu'ils auront faites a cet egard auront
beaucoup contribué a determiner exacte=
ment la position de l'Ecliptique qui
marque la route du Soleil.
Les Egyptiens etoient deja parvenus a cons=
truire des Tables Astronomiques ou ils mar=
quoient assès exactement les revolutions des
planetes, leurs positions stationaires, leurs
mouvemens directs et retrogrades : divers
monumens attestent les connoissances
des anciens peuples en ce genre; et c'est aussi
une preuve de l'ancïenneté de l'arrange=
ment des constellations, car ce n'est que par
l'observatïon des rapports successifs des plane=
tes avec les constellations qu'on est parvenu
a determiner les mouvemens de ces astres.

<97> LES ECLIPSES

Les Chaldeens et les Egyptiens furent
de bonne heure assès instruits des mouve=
mens relatifs du Soleil et dela lune
pour determiner et predire exactement
les Eclipses de Lune. Ils apprirent ce
secret a Thales de Milet 600 avant
lEre C. qui le communiqua aux Grecs.
Mais il a fallu des observations beau=
coup plus longues et une connoissance
beaucoup plus approfondie en Astro=
nomie pour etablir la theorie des Eclip=
ses de Soleil. Les Chaldeens n'oserent
jamais les predïre. Les Egyptiens en
vinrent a bout et communiquerent
aussi leur secret aux Philosophes
Grecs.

DEFFAUTS DE L'ASTRONOMIE DES AN=
CIENS.

L'Astronomie des anciens dut etre necessai=
rement peu exacte pour les observations par=
ce qu'ils etoïent depourvus de bons instru=
mens pour prendre les angles. de machines
pour diviser et pour aider a la vüe, de ma=
chines pour diviser exactement le temps,
ce qui est si essentiel dans la mesure des
mouvemens, qu'enfin ils ignoroient l'Al=
gebre. Les Logarithmes, d'un si grand usage
<97v> pour abreger les calculs, et quils ne connois=
soient pas même les chiffres Arabes sans les=
quels on ne sauroit faire des calculs un peu
compliqués. Il n'est donc pas surprenant que
les modernes, munis de tous ces secours, qui
ont pu tirer parti des observations que les
anciens leur ont transmises, qui ont con=
couru en beaucoup plus grand nombre et
ont été beaucoup plus tant favorisés du côté dela
correspondance, aient pu faire beaucoup
plus d'observations, des observations plus exac=
tes, plus diversifiées, qui les ont conduit et soient parvenus a
des resultats, tout autrement precis et con=
cordans, qui ont porté la scïence Astrono=
mique a un tres haut degré de perfection pour
la prattique, et ensuite pour la theorie.

ORIGINES ET PROGRES DE LA THEORIE
ASTRONOMIQUE.

La Theorie des Phenomenes celestes n'a
pas echappé aux anciens. Les Egyptiens,
et d'après eux, Pytagore, Methon, Aristar=
que, avoient enseigné que la terre est ronde,
quil y a des antipodes, que tous les Astres
ont une figure spheriques, que les Planetes
ont des phases, des eclipses, que la terre
et les Planetes tournent autour du Soleil
et en meme temps sur elles mêmes; Il seroit
en effet etonnant que cette derniere idée
eut echappé a des gens qui savoient très
bien que Mercure et Venus tournent au=
tour du Soleil, comme la lune tourne
autour de la terre. Leurs conjectures sont
allees jusques a dïre que la terre a la for=
me d'un Spheroide applati, que la Lune
est habitable, qu'elle est la cause occa=
sionelle du flux et du reflux de la mer,
que les cometes sont des Planetes dont la
revolution se fait dans des orbes excen=
triques a la terre, pour laquelle ces astres
<98> ne deviennent visibles que lorsqu'ils par=
courent la partie inferieure de leur or=
bite.
Mais ces idées ne furent jamais ches eux que con=
jecturales, saisies par l'imagination a la
derobée ou après avoir parcouru toutes
les autres suppositions possibles, sans
qu'elles fussent liées a aucun principe
fixe et certain, ni qu'il leur fut possible
de rendre raison deleurs assertions.
De la vint que le savant Ptolomée,
au II siecle, crut devoir enfaire abstrac=
tion, comme s'il les eut tenu pour entie=
rement chimeriques, et que dans son fa=
meux Almageste, il a supposé, a l'exem=
ple des anciens, que tous les mouvemens
apparens etoient autant de mouvemens
reels.
Des que les modernes ont cru pouvoir subs=
tituer la demonstration a la conjecture,
ils se sont occupés a combattre Ptolomée
pour substituer etablir le Systheme qui avoit
deja été proposé autrefois comme le plus
raisonnable: Copernic né a Thorn
en 1473, exposa avec une pleine evi=
dence ce Systheme Planetaire dont
le Soleil occupe le centre et autour du=
quel se font toutes les revolutions, et
ce Systheme, quelques modifications
que le savant Ticho Brahé Danois
né en 1546 pretendit y apporter,
est demeuré le seul generalement adopte
et pris pour base de toute vraie As=
tronomie.
D'après les observations de Ticho Brahe,
Kepler demontra né en 1571,
demontra que les orbites des Planetes
autour du soleil sont elliptiques que
aiant pour le Soleil pour un des
foyers, que chaque planete dans son
<98v> orbite, se meut avec plus ou moins de vi=
tesse selon qu'elle est plus prés ou plus
loin du Soleil, que les aires des espa=
ces parcourus sont proportionelles
au temps.
Flamsted ajouta cette Loi importante
que les quarres des temps periodiques de
la revolution des planetes sont comme
les cubes des distances des planetes
aux centres de leurs orbites.
Ces Loix qui reglent les mouvemens
planetaires ont ete soumises parle
grand Neuton a une theorie des plus
profondes sur les forces centrales.

<99> LIAISON DE L'ASTRONOMIE AVEC
L'OPTIQUE

Les progres de l'Astronomie moderne sont
dus en grande partie a ceux que l'Opti=
que  a fait dans les derniers temps.
L'Optique considerée comme Science dela
lumiere et des couleurs, et en ce sens
appartenant a la Physique, avoit
deja fortement occupé les anciens Philo=
sophes Grecs, entr'autres Pytagore, Platon,
Aristote: il est vrai que toute leur scien=
ce sur ce point se reduisit a de pures
et steriles frivolités.
Les Arabes cultiverent cette Science
avec beaucoup plus de genïe et de succés,
et firent même des recherches profondes
sur les refractions, les reflections,
ce qu'on l'arc en ciel &c. et autres objets
appartenant a la dioptrique  et la
catoptrique .
La theorie de la lumiere, et des cou=
leurs  ne fut jamais exposée avec clarté
et solidité jusques a Neuton qui
le premier a prouvé par des experiences
au dessus de toute exception que la lumi=
ere est une emanation qui du corps lu=
miereux se repand spheriquement en
rayons divergens, et dont les rayons
differemment colorés, et differemment
refrangibles , produisent tous les pheno=
menes des couleurs dont les objets se
parent a nos yeux.
<99v> La theorie des miroirs a reflexïon n'a
pas été ignorée des anciens. Archimede
au siege de Syracuse fit usage d'un mi=
roir caustique d'acier poli, pour bruler
la flotte de Marcellus; Procule en fit
de même au siege de Constantinopole,
pour mettre le feu aux vaisseaux du
Barbare Vitellius: maïs on ne connoit
pas la vraie construction de ces miroirs
anciens. Les
Les miroirs ardens actuels sont attribués
a l'invention de Roger Bacon
Tschirnauser en decouvrit la vraie
courbe en 1682.
Dans ce siecle ils ont été beaucoup perfec=
tionés.
Quant aux verres lenticulaires, lunettes
microscopes et surtout les telescopes qui
ont été d'un si grand secours dans l'As=
tronomie, tout cela est d'invention mo=
derne .

<100> INFLUENCES DE L'ASTRONOMIE SUR
LA NAVIGATION.

En parlant de la navigation et deses
progrès. Sect. II. ch. nous n'avons
pu nous dispenser de dire la tout ce
qu'elle a tiré de secours de l'Astrono=
mie, et ce qu'elle a eu de commun avec
celleci; desla nous n'avons rien a ajou=
ter ici, si ce n'est que l'influence de
l'Astronomie surla navigation a
dependu aussi aussï de celle qu'elles
a ete eu sur la Geographie, comme
il paroitra parle chap. suivant.

<100v> CHAPITRE XII
Dela Geographie

COMMANCEMENS GROSSIERS DE LA
GEOGRAPHIE.

Les peuplades errantes ne purent se passer
de certaines prattiques grossieres pour recon=
noitre les positions respectives des lieux et
leurs distances entr'eux, et savoir reprendre
les mêmes routes par lesquelles elles avoient
deja passé. Les peuplades cantonnées se
trouvant separées les unes des autres par
mille obstacles, ne pouvant que très diffïcil=
lement s'ouvrir des routes de communica=
tion entr'elles, vecurent longtemps isolées,
sans s'ecarter de leur sol pour aller visi=
ter d'autres contrées. Mais a mesure que
la multi population fit des progrés, que
par de nouveaux etablissemens, les com=
munautés se rapprocherent d'avantage,
que les Societés devïnrent plus nombreuses
et plus policées celles ci sentirent toujours
plus la necessité de se communiquer entre
elles, et chercherent a se procurer pour
cela des facilités. Dans cette vüe on
entreprit des voïages comme nous l'a=
vons dit Sect. II et la crainte de
s'egarer dans des traversées, ou l'on ne trou=
voit encor aucun chemin frayé, suggera
aux premiers voiageurs, divers expediens
pour diriger leur route, aller vers tel ou
tel coté, et retrouver au besoin le lïeu de
leur depart, expediens a peu près du
même genre que ceux qui sont en usage
chès les peuples sauvages.
On observa tout ce qui dans chaque district
pouvoit frapper la vüe et aider a la dis=
tinguer de tout autre, comme les montagnes,
<101> Les rochers, les precipices , les forets, les
collines, les vallées , les rivieres , les Lacs,
les maraïs, les deserts  arides.
On emploia certaïnes marques naturelles,
ou on en imagina d'artificielles, pour re=
connoitre les endroits pratticables et com=
modes par ou on pouvoit se frayer la
la plus route la plus droite: on dressoit
pour cela des morceaux de pierre de dis=
tance en distance, on plantoit des pi=
quets, on faisoit des marques sur l'e=
corce des arbres.
A ces signaux insuffisans pour donner
une idée claire de la position respective
des lieux placés a une grande distance
les uns des autres, on aura suppléé par
des observations sur le cours du Soleil re=
lativement a la direction des routes 1 mot biffure
sur la position des lieux relativement
aux cours du Soleil et
aux quatre points cardinaux .
On fit aussi usage de quelque grande
mesure: on observa le nombre des
jours qu'on avoit emploié pour se
transporter par la marche d'un lieu
a un autre. cette mesure usitée chès
les Orientaux
c'est encor chès certains peuples.
Pour fixer les distances des lieux eloi=
gnés, et des divers points du globe on
n'aura eu pendant longtemps que de
pareilles mesures grossieres et ïnexactes.

GROSSIERES CARTES

C'est cependant au moïen de ces prattiques
que les Sauvages sont parvenus a dresser
des cartes assès exactes des pays que ceux quils
frequentent. Pendant le cours de leurs voi=
ages, ils emploient pour se dirïger le 1 mot biffure
<101v> le Soleil pendant le jour, et durant la
nuit, l'etoile polaire. Ils ne connoissent
de mesures itineraïres que le comte des
journées de marche, qu'ils subdivisent en
fractions. Cependant les habitans de
l'Amerique Septentrionale savent dessi=
ner sur le champ, avec un morceau de
charbon, sur l'ecorce interieure d'un melese,
flexible comme du papïer, des esquisses de
cartes TopoGeographiques, grossierement fai=
tes, mais qui ne sont gueres moins propres
a donner des idées d'un pays que des cartes 
habilement dessinées. Ils en tracent sur
des ecorces separées, ou sur des peaux qui
sont plus exactes encor, pour etre conser=
vées au depot public.

PROGRES DE LA GEOGRAPHIE ET DE
L'ART DE DRESSER DES CARTES.

Dès que la communication commanca
a s'ouvrir entre les peuples par l'etablis=
sement des grandes routes, par les voia=
ges, par les entreprises de commerce ou
de conquête, dès que les grands Etats com=
mancerent a se former, les decouvertes
nouvelles ou perfectionées contribuerent
beaucoup aux progrés de la Geographie:
On sentit toujours plus combien la con=
noissance de la position respective des
lieux entr'eux, et relativement aux prin=
cipaux points du ciel ou de l'horizon, etoit
necessaire pour se diriger dans des voia=
ges de long cours, au travers des forets,
des deserts plaines &c., et qu'on ne pouvoit
même pour cela se passer de dessins ou
ou tout cela fut representé, avec les routes
qu'on etoit appellé a parcourir. A me=
sure que les observations des voiageurs se
<102> multiplierent, on travailla ces dessïns
avec plus de reflexïon et d'exactitude, et
on y emploia des matieres aussi solides
que faciles a transporter partout, telles
que les peaux, les parchemins. Telles
furent les premieres cartes Geogra=
phiques chès les peuples policés; Elles n'ont cependant
obtenu la netteté
et la perfection quelles
ont aujourdhui que
depuis lintroduction
de la gravure en
bois et surtout de
la gravure en cui=
vre.
 

CAUSES DE CES PROGRES.

Les progrès de la Geographïe doivent
etre attribués aux voiages en general,
mais en particulïer aux guerres qui
ont mis les Generaux dans la necessité
de s'instruire des differens districts et de
leurs particularités, pour regler la dessus leurs
marches, leurs campemens, assurer le
succès deleurs expeditions, ou pourvoir
a leur retraite en cas de dïsgrace.
Cette connoissance a été necessaïre a la
politique pour se mettre en etat de
bien gouverner les peuples, de veiller a
leurs besoïns et a leurs ressources, en par=
ticulïer dans les cas ou, suivant l'usage
ancien, les enfans d'un Monarque etoient
appellés a partager ses Etats, pour faire
ce partage avec egalité; car pour cela
il falloit s'instruire exactement du nom=
bre, de l'etendue de la situation, de la
qualité du sol des diverses contrées, de
leur produit, ainsi que de leurs separa=
tïons et leurs lïmites.
Les entreprises maritimes de divers peu=
ples les ont mis aussi dans la necessité
d'acquerir de bonne heure la connoissan=
ce de la situation des divers climats, de
la distance et la position des lieux,
des productions des divers pays, des
<102v> endroits ou l'on devoit aborder, des
routes qu'on devoit tenir, et du temps
que demandoit le trajet.
La navigation, a son tour a fourni
les connoissances les plus importantes
en Geographie, qui ont mis les hommes
en etat de rapprocher les diverses parties
du globe les unes des autres, de marquer
la situation et la distance des lieux par
leurs rapports avec les cieux, avec la position
des astres, et d'etablir les principes gene=
raux de la Sphere.
Enfin la plupart des decouvertes et des
operatïons de l'Astronomïe ont tourné
au profit de la Geographie et en ont
avancé les progrés.

GEOGRAPHIE DES ANCIENS

La Geographie fut cultivée de très bonne
heure par les anciens peuples civilises.
Moyse nous en donne des echantillons
remarquables dans la description du jar=
dïn d'Eden dans celles des voiages des Pa=
triarches, qui supposent nombre d'obser=
vations faites sur les pays alors connus
et leurs distances. Les Egyptiens eurent
une topographie exacte deleur Empïre .
Sesostrïs, dit on, fit tra=
cer une grande carte des pays qu'il avoit conquis.
Qui pouvoit douter des connoissances
Geographiques des Tyriens qui avoient
penetré jusques a l'ocean atlantique,
et des Carthaginois qui s'etoient plus aven=
cés encor, et surtout, si ce qu'on dit du
periple de Hannon est vrai. Ce que
Socrate dit a Alcibiade, montre moi
sur cette carte l'Attique, et tes possessions
,
ne suppose t il pas que les Grecs avoient
<103> deja alors des cartes asses etendues.? Com=
ment Alexandre auroit il pu faire des cour=
ses si etonnantes, s'il on n'eut eu avant lui
des connoissances tres avancées sur les
lïeux qu'il a parcouru, et comment ses
courses même n'auroient elles pas contri=
bué a perfectioner ces connoissances?
Aussi, dit on, qu'il consacra a Jupiter
Ammon des tables d'or ou etoit tracé
tout le Theatre de ses marches et de
ses conquêtes.
Qui peut douter des connoissances Geo=
graphiques des Romaïns dont l'empi=
re a été si vaste, qui firent construire
tant de grandes routes ou toutes les
distances etoient marquées par des
mïlliaires? Combien ces connoissances
ne durent elles pas s'acroitre par les con=
quetes et les commentaires de Cesar,
et par les soins de Zenodoxe, Théo=
dore et Polyclete qui furent char=
gés sous son Consulat, de dresser les
Cartes de l'empire les plus exactes?
Quels ne furent pas les progres dans Parmi les savans Geographes anciens
cette Science de on peut nommer Thales qui represen=
ta sur une Table d'airain la terre
et la mer; Anaximandre qui
les figura sous la
forme d'un globe.
  dans la suite, de Strabon
qui vivoit sous Auguste, de Ptolomée contem=
porain de Marc Aurele, de Ethieus
qui composa son itinéraire sous
le regne d'Antonin, de l'auteur de
la table de Theodose appellée
Table de Peutïnger, le nom d'un
Cytoien d'Augsbourg chès qui elle
s'est trouvée.

<103v> SON IMPERFECTION

Mais les anciens ne connurent et ne trace=
rent sur leurs cartes qu'un espace contenant
environ les 2/3 de l'Europe, le 1/3 de l'Afrique
et le 1/4 de l'Asïe cad . la partie du globe ren=
fermée sous la zone temperée Septentrionale; ils
ne parlerent des regions comprises sous la
temperee meridionale que par conjectures .
ils regarderent
les zones glaciales et la torride comme ïnha=
bitables; ils ne connurent ni le continent de
l'Amerique, ni les regions hyperboréenes,
ni les terres australes, ni la Chine, ni le
Japon ni les Indes: et dans l'ocean, ils ne
connurent que l'ocean Atlantique et
les mers de la Lybie occidentale. Et quant
aux contrées qui leur furent connues par
les relations des voiageurs, ils ne pouvoient
juger de leur position et de leurs distances res=
pectives que dune maniere assès vague, fau=
te d'instrumens et de lumieres necessaires pour
evaluer exactement les longitudes et les
latitudes de chaque lieu. Quelles determi=
nations attendre de gens qui se mocquoient
encor de ceux qui osoient soubsconner
la sphericité de la terre? Aussi ignoroient
ils la principale partie de l'art de dresser
des cartes, je veux parler de la projection
resultant de cette Sphericité. On ne doit
pas etre surpris de cette imperfection de leur
Geographie, puisque la perfection de celle
ci depend principalement de celle de la Geo=
metrie et de l'Astronomie, a laquelle on
n'est parvenu que peu a peu et assès
tard; graces on doit meme observer que c'est aux efforts qu'on a fait pour
avancer dans la Geographie, qu'on regar=
doit comme une Science de premier besoin,
qu'on doit en grande partie les progres que
les hommes ont fait dans l'Astronomie.

<104v>  CHAPITRE XIII
Dela Medecine

MEDECINE CONSIDEREE COMME
SCIENCE

Lidee de recourir a des remedes  est aussi
ancienne que les maladies et les accidens
auxquels les hommes ont eté exposés dans tous
les temps: ainsi on peut mettre la Medecine 
usuelle au rang des besoins de premiere neces=
sité, qui interessent de plus près la conserva=
tion et la vie. Nous n'en avons cependant pas
parlé lorsqu'il s'agissoit de ceux ci, parce
que la position des premiers hommes ne
leur permit pas de s'occuper d'abord avec
soin d'un art qui demande une longue suite
d'observations et d'experiences, qui n'a pu
etre dans son origine que très grossier, qui
n'est devenu art qu'avec les progrés vers
la civilisation, et enfin jusques a ce qu'enfin il s'est transformé
en veritable Science qui comprend la
Medecine proprement dite, la Chirurgie
et la Pharmacïe, branches de l'art de gue=
rir qui n'etoient pas originairement sepa=
rees netoient pas separees comme elles le sont aujourdhui.

SES PREMIERES ORIGINES.

La Medecine doit ses premieres origines a
l'observation et l'experience. Les premiers hom=
mes tiroient leur subsistance des plantes, des
racines, des legumes, des fruits &c dont
ils se nourissoient, avant que d'en bïen con=
noitre les qualités salutaires ou nuisibles.
Dans le grand nombre de ces productions
il s'en sera trouvé quelques unes dont ils
auront ressenti des effets très remarquables
par une influence sensible en bien ou
en mal sur leur santé. L'attention qu'ils
<105> y auront donnée a differentes reprises leur
aura fait naitre l'idée d'en eprouver separe=
ment la vertu pour mieux s'assurer de leurs
effets propres, et la reiteration des mêmes ob=
servations et experiences amenant toujours
les mêmes resultats, les aura a la fin conduit
a la connoissance de certaines proprietés
particulieres a certaines productions de la
nature, qui rendent celles ci capables de pro=
duire a peu près surement tel ou tel effet sur
le corps humain, en telle ou telle situation ou
ou circonstance. Ainsi la Medecine sera
née de la Dieaitetique    ou des observations jour=
nalieres que les hommes, soigneux de leur
conservation, auront faites sur les alimens
nuisibles ou convenables. bienfaisans ou
pernicieux.

Mais les hommes auront connu les propri=
etés des medicamens longtemps avant que
de savoir les appliquer a propos et d'avoir
aucun principe sur l'espece qui convient
a chaque maladie, et ni sur la maniere de les
preparer et administrer a propos. Les Sia=
mois et d'autres peuples emploient leurs
medicamens comme au hasard, sans s'atta=
cher a l'examen des Symptomes    ni a aucun
principe de theorie. Les sauvages connois=
sent beaucoup de simples medecinaux; ils
savent très bien les preparer en lotions et
en decoctions: ils font aussi usage des
etuves, des sudorifiques; il n'ignorent pas
même la scarification , qu'ils executent avec
un caïllou aiguisé en très fine poïnte. Mais
tous ces remedes parmi eux sont adminis=
trés a l'aveugle et sans aucune distinction
de cas. Telle fut la medecine dans ses
commancemens fut ches les anciens peuples.

<105v> SES PROGRES

Mais chès les peuples un peu civilisés, on cher=
cha a tirer de l'observation et de l'experience
des lumieres plus exactes et plus sures sur
l'application des remedes, diversifiée selon les
dïverses maladies, pour en assurer le succès.
On essaia telle ou telle production dans des
momens ou la nature defaillante a besoin
d'etre secourue: ce remede amena quel=
que crise  salutaire: on en reitera l'expe=
rience et le succés fut le même: par la on
parvint a s'assurer de l'emploi qui devoit
en etre fait. Ainsi seront nées les premieres
prattiques de Medecine reçues et approuvees
comme des regles a suivre dans la cure  des
maladies.
Celui qui avoit fait sur lui même ou sur
quelque autre, en tel ou tel cas de maladie bïen
observée, l'experience de tel ou tel remede
qui avoit reussi, communiquoit sa decouver=
te a ses parens, a ses amis, a ses voisins, lors=
qu'ils paroissoient se trouver dans un cas
tout semblable. Les Peres avoient soïn de trans=
mettre a leurs enfans ce qu'ils avoient observé,
experimenté ou appris de l'experience des au=
tres. Telle etoit l'usage des Peruviens.
Dans certains pays, la police avoit pris
des mesures pour que chaque citoien put
profiter des decouvertes faites par les par=
ticuliers: on devoit exposer les malades aux
yeux du public affin que les passans instruits
par leur experience ou par celle d'autrui,
pussent aider de leurs conseils ceux qui
souffroitent: il n'etoit même permis a personne
de passer auprès d'eux sans s'informer de
leur maladie. Ceux qui devoient leur gue=
rison a la medecine etoient aussi obligés
de mettre par ecrit la methode qu'on
avoit suivie dans leur traitement, et leurs
<106> memoires etoient deposés dans des archives
publiques ou chacun pouvoit aller libre=
ment les consulter.
Jusques la toute la Medecine se reduisoit
a des recettes , et chacun pouvoit prattiquer
ce qu'il en savoit pour lui ou pour les autres.
A force d'experiences, on parvint peu a peu
dans chaque contrée a connoitre les maladies
auxquelles ses habitans pouvoient etre ex=
posés, et certains remedes que la nature leur
offroit pour les guerir, leurs proprietés etant
suffïsamment constatées par les succés.
Les hommes en effet placés sous differens
Climats, ont du naturellement etre exposés
a diverses maladies, et dès la même aussi
decouvrir des medicamens doués de
diverses proprietés: dela une grande diver=
sité dans les observations et les experiences
et sur ainsi que dans la methode curative
et la medecine naturelle en usage chès
les divers peuples.
Mais la Medecine ne put faire quelques pro=
grès un peu considerables que lorsque les
peuples commancerent a se communiquer
leurs methodes ou leurs prattiques parti=
culieres sous la forme de recettes. A mesure
que ces recettes se multiplierent on sentit
la necessite de les rapprocher, les comparer,
pour en extraire des resultats, et afin d'evi=
ter la confusïon, de reduire ceux 1 mot biffure ci dans
un ordre lié et suivi. Ce fut alors qu'on
commanca a classifier les maladies par
leurs Symtomes, et les remedes par leur
composition et leurs proprietés; on prit
en note les specifiques propres aux diverses
maladies, et on determina la qualité et la
preparation des remedes qu'on devoit em=
ploier dans chaque cas. Alors l'art fut
ramené a des principes, la medecine four=
nit <106v> assès de materiaux pour en former une
Science, comme la prattique assès d'occupa=
tions pour en faire un etat dans la So=
cieté.

MEDECINS. CHARLATANS.

Enfin Ainsi la medecine devint une profession:
Dans chaque pays il y eut des personnes qui
firent de cet art une etude, et se chargerent
du soin de le mettre en prattique a l'egard des
malades qui les appelloient a leur secours.
Il y manqua pas eut aussi asses de gens ignorans et de
mauvaise foi qui, abusant de la credulïté,
se vantoient de guerir toutes les maladies,
par des operations magiques, des charmes,
des amulettes &c. Les Chaldeens, les Egyptiens,
les Hebreux eurent des charlatans  de cette
espece: il en fut de même des Grecs et des
Romains qui n'en manquerent dans au=
cun genre.
Mais ces nations eurent aussi ne furent pas depourvues de veritables
Medecins. Les Mages chès les Chaldeens
furent très versés dans la Medecine. Les
assyriens, les Phoeniciens, et les Hebreux
eurent aussi de vrais medecins experts. 
Les Egyptiens habitans un pays mal saïn
et chès qui les maladies etoient très frequentes,
s'adonnerent beaucoup a la medecine. Ils
crurent même qu'il etoit necessaire d'avoir
des Medecins separés pour chaque espece
de maladies, et tous ensemble formoient
un corps sacré dans l'Etat.

<107> IMPERFECTION DE LA MEDECINE
CHES LES ANCIENS.

La medecïne chès les anciens fut neam=
moins fort circonstrite. Celle qui a pour
objet la guerison des maladies internes, pro=
venant du derangement des humeurs ou
des nerfs, fut a peïne connue des Orientaux,
qui les regardoient comme une punitïon
des Dieux, et qui croioient que pour en obtenir
la guerison il falloit s'adresser a ceux ci ou a
leurs Pretres.
Dans l'opinïon ou l'on etoit que toutes les au=
tres maladies provenoient de crudités intes=
tinales, on n'emploioit que les remedes qui
agissent sur les premieres voies, les bois=
sons purgatives , les evacuans : les vomi=
tifs  et les lavemens etoient regardés comme
des remedes de precaution.. on se servoit
aussï de calmans, surtout d'opium, mais
on mettoit au premier rang l'huile d'aman=
des douces, et le Nepenthe vanté par
Homere, qui etoit analogue a l'opium.
Pour la preparation, on ne connoissoit que
la simple expression des sucs, l'infusion ,
la trituration , la decoction. a l'aide du
feu.
C'est a peu près a quoi se reduisit la profon=
de Science d'un Esculape mis au rang des
Dieux, d'un Hypocrate qui vivoit 460
ans avant J. C. d'un Galien, qui a dit
d'ailleurs de si belles choses sur le corps
humain, d'un Asclepiade, d'un Andro=
maque, d'un Cornelius Celse.
La medecine dès lors pendant longtemps
negligée et obscurcïe par un nuage de
prejugés et de barbarie, fut retirée des
tenebres environ le IX siecle, par les soins
<107v> des Arabes parmi lesquels s'illustrerent
Johannah, Rhases, Avicenus, Aver=
roes &c. C'est a eux qu'on doit les premieres
descriptions de plusieurs maladies entr'au=
tres, de la petite verole  et la rougeole , ainsi
que l'usage medicinal des sucres , de la
manne, des tamarins, de la casse, de
la rhubarbe, du sené, &c. Comme aussi
les confections, les sirops, les juleps, les
conserves, et l'usage de l'alkermes.
La Medecine etoit tombée dans la plus
grande decadence dans toute l'Europe
jusques au siecle de l'imprimerie qui fit
connoitre la medecine Grecque et les ecrits
d'Hypocrate. Ce fut dèslors quelle com=
manca a renaitre, et elle fit en Europe
de très grands progrés lorsqu'on eut assès
de bon sens pour associer a cet art l'etu=
de de l'Anatomie qui a servi de base a
une theorie lumineuse, et l'analyse
chymique des matieres medicales qui
ont a repandu tant de jour sur leurs pro=
prietés et ont a appris a pourvoir la Phar=
macie de nombre de medicamens, de
compositions et de preparations que les
anciens avoient ignoré. La theo decou=
verte d'Harvey sur la circulation du sang
fut encor un coup de lumiere repandu sur
l'œconomïe animale, les fonctions natu=
relles et les sources des maladies. Les
recherches laborieuses des Sanctorius,
des Van Helmont &c ont fourni en=
suite les plus belles ouvertures, qui ont
amené enfin la Medecïne au point d'eclat
brillance splendeur ou elle est parvenue
dans ce siecle par les soins des Boerhave,
des Gaubius, des Van Swieten, des Mor=
gagni, des Tissot &c.

<108> ORIGINES DE LA CHIRURGIE

La Chirurgie  aura été la premiere bran=
che de la Medecine reduite en art comme
etant du besoin le plus urgent pour re=
medier aux frequens accidens auxquels
les hommes sont exposés, entr'autres dans
les batteries et les combats. Lorsqu'il
falloit panser une playe, mettre un
appareil sur une contusion, remettre un
os demis, reduire une fractionure, des maux
de cette nature espece demandoient une experience
particuliere et une adresse de main qui
ne pouvoit s'acquerir que par un long exer=
cice, et il etoit absolument necessaire que
certaines personnes s'attachassent de bonne
heure a un objet de cette importance, pour
en faire profession, et se trouver toujours pre=
tes a porter du secours ou le besoin etoit
pressant. Ainsi les premiers qui furent
qualifiés chès les anciens du titre de Mede=
cins furent des Chirurgiens qui soignoient
les maux exterieurs. Cet art fut tres
cultivé chès les Hebreux .

<108v> IMPERFECTION DE CET ART CHES LES
ANCIENS

Les premiers operateurs n'eurent pour guide
qu'une routine grossiere. Avant qu'on sut tra=
vailler les metaux assès delicatement pour
les emploier en Chirurgie, on fut reduit a
des instrumens très defectueux, des os poin=
tus, des cailloux tranchans . On
n'etoit gueres plus avancé dans cet art que
ne le sont les peuples Sauvages. La princi=
pale operation, la phlebotomie , ou section
de la veine, fut bïen longtemps ïnconnue.
Les indications de la nature pour l'usage des pur=
gatifs sont tout autrement sensibles que
pour celui de la Saignée : il a fallu bien
des raisonnemens avant que d'hazarder
cette operation, et inspirer a quelque patient
le courage de se laisser ouvrir la veine. La
saïgnée a cependant été recommandée
par Hypocrate et Galien.
Les bandages , ligatures, pour arreter le sang,
deffendre les parties offensées des ïnjures de
l'air, consolider les chaïrs, furent connus
de très bonne heure. Dans le pansement on
aura peu a peu ajouté les sucs de quelques sim=
ples, herbes ou racines pïlées, broiées, macerées
dans l'eau et ou dans le vin, entr'autres les racines
ameres, dont la vertu stiptique  sert a arreter
la suppuration , et procure plus promtement
la reunion des chairs, quoique souvent
au detriment du patient. On emploia au
même usage, le bois, l'ecorce de certains
arbres, l'huile, la resine, le baume, la graisse .
On con=
nut aussi la succion  des plaies, l'art de les
bassïner avce de l'eau tiede, et meme l'usage
du verd de gris, pour deterger et dessecher
<109> les ulceres, consumer les chairs fongueuses
et superflues. On en vint jusques aux com=
positions des topiques, et de ce que nous
appellons emplatres  avec des onguens.
En general on faisoit grand cas des Sim=
ples comme font encor les Sauvages qui
n'emploient que cela pour la guerison des
blessures, des fractures, et sont même assès
habiles pour tirer par leur moien et sans
incision, les eclats de bois, de fer &c. qui
sont restés dans les blessures:
Mais combien de tem siecles se sont ecou=
lés avant qu'on ait pu et seu faire des
operations delicates, qui supposent ledes
instrumens très parfaits, la plus grande
habileté de la main et une science pro=
fonde et exacte de la structure du corps
humain dans toutes ses parties.
Un des premiers objets de la Chirurgie
a été l'accouchement. Anciennement les
femmes s'accouchoient elles mêmes, com=
me le font les femmes sauvages, et
quelques unes dans nos campagnes. Mais
il se sera trouvé des cas malheureux ou
les femmes en couche auront secouru
eu un besoin indispensable du secours
de quelque main etrangere; ce secours
leur aura été fourni par d'autres fem=
mes d'experience: les meres auront assisté
<109v> leurs filles dans ce moment critique: on
aura eu recours aux amies, aux voisines
&c. Mais des reflexions sur divers acci=
dens auront fait sentir la necessité de
quelque methode et peu a peu l'art de
l'accouchement sera devenu une pro=
fession .

LA BOTANIQUE

La vertu des Simples en Medecine et en
chirurgie fut connue des anciens .
Les Egyptiens con=
nurent bien les aromates dont ils fai=
soient grand usage pour les embaumemens .
Salomon avoit composé des Livres fort
etendus sur la botanique .
Les Orientaux s'etoient beaucoup appliqué
a connoitre la vertu des plantes .
Les Grecs firent aussi un cas infini de cette
Science.
Les Romains ne la negligerent pas non
plus
Elle fut toujours en grande faveur chès
les Arabes, comme elle l'est chès les Indiens
et les Chinois.
<110> Les Europeens avoient perdu cette Science
de vue. Lorsqu'on la vit en quelque sorte
renaitre par les soins de Leonard Fuchs de
Tubinguen en 1565.
C'est la botanique  qui a fait connoitre
la matiere medicale propre a chaque
pays: mais depuis que le commerce
entre les nations a fleuri, elle s'est
prodigieusement etendue et elle a em=
brasse les productions vegetales de tous
les Climats

LA PHARMACIE LA CHYMIE.

La nature presente aux hommes les reme=
des: il faut que l'art s'occupe de leur pre=
paration, de leur melange et de leur doze.
C'est l'objet de la Pharmacie  qui en
devellopant leurs diverses qualités, sou=
vent meme en devellopant ce qu'ils pourroient
avoir de nuisible, leur donne des propri=
etés curatives qu'ils n'auroient point
sans elle. Les remedes simples, tels que
la nature les presente, peuvent bien etre
salutaires, mais le plus souvent, ils ne
<110v> suffisent pas pour la guerison: pour celle ci
il faut un melange de plusieurs, une
composition, une preparation faite avec
art. Les productions vegetales, minerales,
animales, sont les materiaux de la Pharmacie;
l'art apprend a les approprier aux usages de
la medecine, et cet art demande un grand
exercice de la Chymie .
Dans les temps anciens on ne connoissoit que
les preparations indiquées ci devant, et cela
pouvoit suffire pendant qu'on etoit borné a
l'usage des simples, et qu'on ne soubsonnoit pas
même le parti qu'on pouvoit tirer des mineraux
qu'on ne savoit pas même extraire, dis=
tiller, et moins encor analyser &c. Toute
la Pharmacie quï tient a la Chymie peut
etre envisagée comme une Science moderne,
qui doit sa naissance aux Arabes chès qui
la Chymie prit naissance dans les der=
niers siecles. S'il y a eu chès les anciens
quelques procedés Chymiques, ce n'a été
que des procedés grossiers, decouverts par
quelque heureux hazard, sans aucune
espece de Theorie. En Europe, la chymie
raisonnée n'a été connue que depuis les
temps de Bamer, Bohmius, Becker,
qui vivoient au siecle precedent, mais
qui ont ete bien surpassés par les Chymistes
de ce siecle, les Boerhave, les Stahl &c.

<111> L'ANATOMIE

Les anciens purent acquerir quelque
legere connoissance de la structure interieure
du corps humain, soit a la suite de quelques
accidens qui purent en decouvrir quelques
parties, soit par les dissections des animaux
dont les parties essentielles a la vie animale
ne pouvoient qu'interesser leur attention par
l'analogie qu'ils devoient naturellement leur
supposer avec celles du corps humain. Mais
leurs connoissances en ce genre furent certai=
nemens très bornées, sans excepter même
les Egyptiens, quoi qu'ils fussent les seuls qui
fissent l'ouverture des cadavres pour les em=
baumer, car l'operation même ne pouvoit
leur donner aucune idée de la construction
de ce merveilleux mechanisme. C'est la Chi=
rurgie et la Medecine seules qui ont pu faire sentir la necessité
de l'Anatomie . Hypocrate paroit avoir été
bien instruit dans l'osteologie , Pausanias
rapporte qu'il fit un squelette d'airain qu'il
dedia a Apollon de Delphes. Aristote a
fait preuve de ses connoissances en ce genre
par les descriptions qu'il a laissées des parties
solides du corps des animaux. La coutu=
me de bruler les cadavres retardoit beaucoup
les progrès de cette Science. Galien fut
reduit a anatomiser des Singes. Les
medecins de Rome ne pouvoient obtenir
des cadavres sans violer la sainteté des
tombeaux et s'attirer la haine publique.
<111v> Enfin on peut dire que l'Anatomie a été
dans l'enfance jusques au XVI siecle ou elle
fut comme introduite en Europe par
Jean Concorrigio de Milan et Andre
Vesal de Bruxelles
elle fut poussee plus loins au Siecle
precedent
mais elle est arrivée dans celui ci a un
point de perfection qu'on neut jamais
ose esperer, par les soins infatigables et
le profond savoir des Grew des Verney
des Albinus, des Vinlow des Wallen

<112> CHAPITRE XIV

Des Sciences speculatives, de leurs destinées
successives, de la lenteur de leurs progrés.

SCIENCES SPECULATIVES.

Jusques ici nous avons parlé des Sciences
usuelles qui ont du leur naissance et leurs
progrès aux besoins des hommes et a leur
application constante a observer les faits qui
pouvoitent les interesser pour en tenir note, et
en tirer des resultats au profit de l'espece
humaine. Il s'agit a present des Sciences
speculatives qui ne sont pas liées aux pre=
miers besoins, et qui paroissent n'avoir été
introduites qu'apres que les hommes sont
venus a bout de pourvoir a ceux la, et de
se procurer du loisir et des secours pour
amuser leur curiosité et même pour soccuper
de meditations serieuses propres a perfectio=
ner leur Intelligence et a bien regler leurs
sentimens et leurs moeurs. Telles sont les
Sciences qui ont occupé les grands hommes
des temps anciens et modernes, Socrate
Platon, Aristote, Varron, Ciceron, Bacon
Descartes, Leibnitz &c.

DEFFAUTS DES ANCIENS QUANT A
CES SCIENCES.

On peut reprocher a la plupart de ceux qui
qui se sont occupés de ces objets, de n'avoir
pas apporté a leur etude ce zele et cette l'espece de
exactitude methode qui eutrent été si necessaires
pour y reussir, et de n'avoir pas suivi la
marche tracée par la nature qui ne con=
noit d'autre voix pour arriver a la decou=
verte du vrai que l'observation et l'experien=
ce.
<112v> Qu'ont fait les anciens en matiere de specu=
lation? ils ont beaucoup raisonné, beau=
coup conjecturé, beaucoup donné a l'opi=
nion, et l'opinion une fois admise, ceux
qui l'ont trouvé toute etablie, ont cru n'a=
voir autre chose a faire qu'a recevoir sans
examen tout ce qui avoit été admis par
leurs devanciers, et le transmettre en suite
a leurs successeurs, pour le propager par
la traddition et l'instruction d'une genera=
tion a l'autre. Ils furent d'autant plus aveuglés que
rien ne s'offroit a eux pour les mettre sur la
voïe de decouvrir leur erreur, pas même
aucun motif pressant d'interet qui leur
fit sentir la necessité de soumettre leurs opi=
nions a un examen severe. Il se trom=
poit en theorie, on le soubson=
noit peut etre;
  a la bonne heure mais
les besoins etoient satisfaits, mais on jouis=
soit de l'aisance, mais tout alloit egale=
ment son train; ainsi les Siecles s'ecouloient,
et personne ne songeoit a elever des dou=
tes sur ce qui etoit generalement adopté.
Pendant que les hommes s'occuperent
des sciences usuelles, ils y donnerent tous
leurs soins, ils ne cesserent de reiterer les obser=
vations et les experiences pour acquerir des
connoissances exactes et sures: lorsqu'il leur
arrivoit de se tromper, ils etoient bientot aver=
tis de leur erreur par de mauvais succés,
qui les amenoient a d'autres essais, jusques
a ce qu'ils fussent sur la bonne route qui
devoit les conduire au but.
Il n'en fut pas ainsi des Sciences dont ils ne
saisissoient pas bien la liaison avec les besoins,
et le bonheur bien etre de l'1 mot biffureespece humaine,
ils embrassoient avec securité les opinions
reçues, sans se donner la peine de les exa=
miner, et ils restoient sans même s'en douter ainsi
<113> très longtemps en proie a l'erreur, parce que
l'experïence ne venoit pas a leur secours pour
les redresser, ou ne les instruisoit que rarement
et fort a la longue, et qu'ils n'avoient au=
cun moien pour leur ouvrir les yeux sur
des opinions prejuges que l'autorité et le temps leur
avoient rendu respectables.

CE QUE FUT L'ANCIENNE PHILOSO=
PHIE.

Qu'etoit la Philosophie des Europeens avant
Descartes? un cahos de mots obscurs, d'idées
incoherentes ou qui ne retracoient rien de net, d'opinions
conjecturales, admises et transmises d'a=
près l'autorité des Docteurs. D'ou leur
venoit elle? Des Scholastiques qui tous sem=
bloient avoir conjuré contre la lumiere.
Quelle etoit la source d'ou ceux ci avoient
puisé leur tenebreuse Doctrine? c'etoit des
ecrits des Philosophes Grecs, entr'autres Aris=
tote, mais qu'ils avoient mal compris, chès
qui d'ou ils avoient pris le mal plutot que le
bien, s'attachant a leurs chimeres abstrai=
tes plutot qu'aux observations ïmportantes
qu'on y trouve qui y sont repandues, ou ces derniers avoient ils
pris puise leur Sagesse? chès les Egyptiens, chès les
Chaldeens, chès les Persans, chès les Indiens.
Et ceux ci enfin d'ou avoient ils tiré leur
Science dans son origine? Avoient ils donc
exactement suivi la route a laquelle la
nature invite les hommes, lorsque, sans
2 mots biffures n'aiant point eu de devanciers qui leur aient
transmïs leurs opinions, ils cherchent a s'ele=
ver par la decouverte du vrai d'eux memes de connois=
sances en connoissances par la decouver=
te du vrai?
  S'etoient ils donc
fait une Loi constante d'observer les faits,
de les rapprocher, de les comparer, pour en
tirer par l'induction des resultats et des prin=
cipes. Ne diroit on pas au contraire
<113v> que Ces anciens Philosophes Orientaux, trop
impatiens pour observer la nature dans ses
details, trop paresseux pour recueillir des
observations, et y joindre des experiences 1 mot biffure
. trop orgueilleux pour avouer leur
ignorance, et suspendre leur jugement,
au lieu d'etudier la nature, de l'interroger
avec patience, pour la connoitre telle qu'elle
est, voulurent la devïner de pleïn saut,
soumettre tout dès l'entrée a des principes
generaux que leur imagination ardente
avoit créé de son chef, et par eux decider
en Maitres de tout ce que l'univers offroit a
leurs regards, quoiqu'ils n'en decouvrissent
le Tableau que comme dans une espece
de songe, qui n'offroit rien de reel.
Ainsi les anciens Philosophes jugerent
des choses avant que de les connoitre, 1 mot biffure avant que
d'avoir aucune de ces preuves sans lesquelles
il ne peut exister aucune verité certaine;
ils admirent comme de verités pures des opinions,
des chimeres phantastiques, des abstractions
creuses tirées de leur propre cerveau. Les
grands mots de principes des choses, d'elemens,
de matiere, de forme, et autres termes abs=
traits de ce genre, leur tinrent lieu de con=
noissance et de solution. Aussi credules
qu'ignorans, ils s'amusoient a rendre rai=
son de tout et même de faits qui n'ont ja=
mais existé que dans l'imagination hu=
maine. Leur Science consistoit a se propo=
ser des questions a resoudre, sans avoir
seulement examiné si la solution en etoit
possible, et sans cesse occupés de choses in=
connues, tous leurs jugemens ne pouvoient
etre que des opinions, ou fausses ou ïnintel=
ligibles, habillées d'une maniere bisarre
et qui des qu'on se donnoit la peine de les rapproche,
pouvoient etre reduites meme a un cercle tres circons=
crit.
<114> Sil s'elevoit quelque genie heureux qui
entrevit 1 mot biffure quelques raisons de verité, il n'osoit
pas même proposer ses appercus au prejudi=
ce des opinions anciennes: il etoit reduit
a donner a celles ci quelque nouvelle forme
qui pouvoit paroitre ingenïeuse.
Ainsi les prejugés se transmettoient d'une
generation a l'autre, sans qu'on pensat
a autre chose qu'a les embellir de nouvelles
chimeres 1 mot biffure ou d'expressions 3 mots biffures aussi pompeuses et
1 mot biffureque obscures.
1 mot biffure Il y eut parmi les Grecs, un temps ou l'on s'etudiat a raison=
ner avec 1 mot biffure; mais la discussion ne
s'etendoit pas gueres au dela des objets 2 mots biffures
de politique et de Legislatïon ou de com=
merce et de beaux arts. Quand il falloit
s'occuper du monde, des corps 1 mot biffure ou des Esprits,
on regardoit comme dangereux de toucher
aux opinions recues; on se bornoit tou=
jours a les revetir d'une de quelque forme nouvelle
sans toucher du tout au fond. Ainsï les
erreurs subsistoient, et le chaos ne pou=
voit se debrouiller.
Peu a peu on se fit gloire de se contredire
avec hauteur; l'esprit d'orgueil et d'ente=
tement vint se joindre a l'ignorance et on
vit naitre l'esprit de dispute: alors les Sectes
se diviserent, elles chercherent a detruire
mutuellement leur credit: quelques unes
même s'attacherent a montrer la fausseté
de tous les Systhemes des autres, et etablit
un doute universel sur tous les objets de
Science. Tel fut ce genre de dispute
qu'il ne pouvoit en resulter ni la destruction
d'aucun prejugé, ni l'etablissement d'aucune
verité, ni aucune marche de raisonnement
solide et pure pour la recherche du vrai. Pour bien
raisonner, il eut fallu saisir les rapports
<114v> des idees, determiner ces idées avec precision
les analyser, develloper leur generation, les
reprendre dès leurs premiers elemens et re=
fondre toustes celles qui avoient été formées
sans consulter l'observation et l'experience.
Cela fut regardé comme imprattiquable,
et meme absurde.
On chercha, il est vrai, a mettre quelque or=
dre dans les idées et les connoissances humaines;
on distribua les Etres en diverses classes, selon
les differences ou ressemblances qu'on pouvoit
saisir entr'eux, et a mesure que le Langage se
perfectionoit, on inventa autant de termes
generaux que le besoïn, les circonstances, les
conjectures faisoient supposer de classes: on
put exprimer tout par divisions, et subdivi=
sions. Mais toute cette nomenclature reposoit
sur l'ignorance et les prejugés, et ne servoit
qu'a jetter reellement plus de confusion et de
troubles dans les le cercle des connoissances humaines.
Aristote et ses partisans, imaginerent de
nouvelles distributions sous le nom de Catego=
ries, et parce qu'ils crurent qu'elles repandroient
plus de jour sur la classification des Etres, ils
s'imaginerent que cela les avoit conduit a
la connoissance même de leur nature et de
leurs proprietés reelles: ils crurent que l'ordre
mis dans leurs conceptions suffisoit pour
leur representer l'ordre même que les choses
avoient entr'elles dans la nature; ce qui et c'etoit
1 mot biffure la la plus grossiere des erreurs.
Parce que les Geometres s'occupent uniquement
d'idées abstraites dont l'essence ideale est deter=
minee par la definition même, et des rapports
qui resultent de ces idées immediatement, ou
mediatement par voie de demonstration, et
qu'en suivant cette methode, ils n'avancent
rien qui ne soit porte au plus haut degre certain et incontestable.
<115> Les Philosophes se sont figurés que pour
arriver au même point, ils n'avoient qu'a prendre
les Geometres pour guides, et donnant com=
me eux des definitions exactes des choses dont
ils vouloient parler, suivre la même metho=
de pour demontrer tout ce qu'ils avoient a
en dïre. Mais c'est en quoi ils se sont aussi trompés
bien grossierement, puisque en Geometrie
les choses ne sont essentiellement que ce qu'on
exprïme par la definition meme, tandis qu'en Phy=
sique, les definitions n'expriment jamais
que nôtre maniere de concevoir les objets et
non point ce qu'ils sont en eux mêmes: En
vain donc les Philosophes Geometres ont
raisonné methodïquement, ils n'ont pas
plus connu le vrai des choses que les
anciens; qui ne raisonnoient pas: ils
n'ont fait aussi que classer les objets selon
leurs opinions, et ils ont cru les connoitre,
sans les avoir etudiés sans avoir pris
pour les connoitre les Lecons qui auroit pu leur
donner une obser=
vation attendue
et exacte.

QUAND EST CE QUE LA PHILOSOPHIE
A COMMANCE A SE DEBROUILLER

Ainsi pendant des Siecles la Philosophie
occupa sans fruit des hommes qui ne savoient
encor ce que c'est que d'etudier et d'interroger la
nature. Tout demeura vain et illusoire
jusques au temps ou les Philosophes ont sen=
ti la necessité de renoncer aux opinions pour
s'instruire par eux mêmes par l'observation,
l'experience, la recherche et le rapproche=
ment des faits, qui seuls peuvent donner
ces resultats d'ou depend la vraie connois=
sance des choses. Imbus enfin de ce grand
principe, qu'on ne doit jamais porter aucun
jugement que sur les choses qu'on peut
connoitre par les sens exterieurs, ou par le
<115v> sentiment interieur, ou sur le rapport
d'autrui
, en suivant la voie de l'induction
et de l'analogie; ils ne se sont plus fait aucu=
ne peine de reconnoitre que leurs connois=
sances sont necessairement bornées, et
d'avouer leur ignorance sur tous les ob=
jets sur lesquels l'observation et l'experience
n'ont pu avoir de prise ni fournir des
lumieres sures.
A qui devons nous donc cette Philoso=
phie Sage qui ne comte parmi ses principes
que ce qui est le resultat de preuves in
sensibles et incontestables? C'est uniquement a l'Esprit
d'observation qui s'est etendu sur tous les
genres et principalement sur l'etude de la
nature. On a observé tous les corps, on
les a examiné dans toutes les positions
et circonstances, on a emploié tous les
agens naturels pour leur faire subir tou=
tes sortes de changemens, on en a fait
l'analyse avec le secours de la chymie,
on a multiplié et diversifié les opera=
tions et les experiences: 1 mot biffure de plus les objets qu'on
n'appercevoit pas autrefois sont devenus sensïbles
par les a l'aide des instrumens; les voiages ont gros=
si le nombre des observateurs et multi=
plié celui des objets visibles apparus; enfin l'imprime=
rie, et les Academies, ont servi a cons=
tater, publier et conserver les decouver=
tes; Ainsi on a franchi tous les obstacles.
L'art de penser 1 mot biffure faites plus 2 mots biffures
on a mis en oeuvre tous les moiens
toutes les ressources, et l'art de penser
a fait les plus grands progres, dans
toutes les branches des connoissances
humaines.

<116> OBSERVATIONS SUR LES OPINIONS DES
ANCIENS

Quelque erronnées qu'aient pu etre la plupart
des opinions des anciens, elles ne l'ont pas
été toutes, et il nous importe de savoir en
quoi ils ont rencontré juste, quelque route
qu'ils aient suivie pour y parvenir.
Il nous est même utile de connoitre les er=
reurs dans lesquelles ils sont tombés comme
il l'est a un pilote d'etudier l'histoire des
naufrarges pour apprendre a les eviter.
Les anciens se sont egarés parce qu'ils
ont été marche les premiers; nous nous egarerions
aujourdhui comme eux si nous etions dans
le même cas: ainsi nous serions exposés a rai=
sonner mal, si nous ne savions comment
on a raïsonné avant nous: nous repete=
rions en serïons a repeter toujours les memes absurdités, sans soubs=
onner même nôtre erreur.
Rien surtout de plus important que de
connoitre les plus anciennes opinions, dont
l'origine remonte aux premieres idées des
hommes, et nous aide a retrouver le fil
de celles ci, dont la connoissance est 1 mot biffure
interessante dans l'histoire de lEsprit humain
<116v> Dans celle des origines et de la formation
du Langage, et dans tous les objets qui sont
du ressort de l'Anthropologie.
Il faut convenir aussi que cela est tres dif=
ficille, parceque les premieres pensées des
hommes ont du etre alterées en bien des ma=
nieres, pendant qu'elles furent confiées a
la traddition et avant qu'on put les trans=
mettre par l'Ecriture qui seule peut donner
au Langage de la precision, et aux idées
une consistence, qui les mette a l'abri des
alterations. La Poësie qui fut la premie=
re depositaire des opïnions y repandit
naturellement l'exageré, le merveilleux
et la fiction. L'ecriture Hyeroglyphique
ne put exprimer qu'imparfaitement les
idees non sensibles: son langage allegori=
que fut un tissu de signes enigmatiques
dont la valeur changeoit d'une gene=
ratïon a l'autre selon les divers sens qu'y
donnoient les Interpretes, et ainsi la Doc=
trine changeoit, sans qu'on s'en appercut,
parce que les signes demeuroient les mêmes.
Ces changemens devenoient beaucoup plus
considerables et plus promts lorsque les emi=
grations et les revolutions mêlant les na=
tions, confondoient en une masse leurs
doctrines diverses et rendoient le cahos
plus monstrueux.
Il peut doit y avoir eu, aussi sans doute des opinions com=
munes a la plupart des peuples, sans même
qu'ils se les soient communiquées les uns
aux autres. Les hommes s'etant trouvé
placés a peu près dans les mêmes circons=
tances quant a lessentiel, avec les memes besoïns, et environ=
nés des mêmes objets propres a les satisfaire,
<117> et a peu près tous egalement destitués
d'experience, lorsqu'ils formerent les premieres
Societés, leur maniere de sentir, de voïr,
de penser et de juger, dut etre, a nombre
d'egards, assès uniforme, et les conduisi na=
turellement a se former a peu près les memes meme
idees des choses, a adopter les mêmes opi=
nions, et dès la a deploier a peu près de la
même maniere leur activité pour mettre
a profit les ressources que la nature offre
partout a l'espece humaïne.
Mais il n'en est pas moins vrai que ce fond pri=
mitif commun a du recevoir dans les diver=
ses Societés des modifications très variées,
selon la diversité des circonstances de leur
position, de leurs besoins et de leurs gouts
survenus et successivement multipliés;
car tout cela a du apporter une grande
varieté dans leurs procedés, leurs observa=
tions, leurs connoissances, leurs opinions
et dès la même leurs usages et leurs moeurs;
autant d'objets dailleurs assujetis a l'influence de
diverses causes, qui ont pu varier a l'infini
chès les divers peuples.
Cependant Ainsi encor ces varietés, auront 2 mot biffures dependant
aussi de causes naturelles, et auront
du suivre certaines Loïx d'analogie: une
opinion aura du en enfanter une 2o celle
ci une 3; et elles se seront propagées chès
les diverses nations par une serie naturelle,
mais qu'il est impossible aujourdhui de suivre
dans tout son detail, puisqu'on ne peut se re=
presenter toutes les circonstances par lesquelles
les diverses nations ont passe successive=
ment des leur premiere origine.
<117v> Chaque nation societé aura eu dès son origine
un corps d'opinions ou une Doctrine repan=
due et enseignée par les Peres de famille,
ou les chefs de la nation, qui se faisoient
une gloire de transmettre a leurs descendans,
a leurs concitoïens, a leurs peuples, les ins=
tructions qu'ils tenoient deleurs ayeux.
Mais dès que le culte et l'instruction furent
commis a un ordre de personnes appellées
Pretres, que le Sacerdoce même devint le patri=
moine exclusif de quelques familles, ce qui
en fit un corps separé qui avoit ses interets
particuliers, dès lors ces Docteurs publics
commancerent a envellopper la Doctrine
commune de certains decrets ou mysteres
dont ils se reserverent la pleïne connoissan=
ce a eux seuls, comme un moyen des plus
assurés d'etendre leur autorité sur les
Esprits. Cette autorité parvint a son
comble lorsque l'usage de l'Ecriture Al=
phabetique fit perdre entierement aux
peuples l'intelligence dela Hieroglyphique
qui resta aux Pretres seuls. Alors l'ignorance
leur fit croire que ces caracteres sacrés
renfermoient toutes les connoissances que
leurs ayeux avoient voulu transmettre
a leurs descendans, et dès la même tout ce
qu'il etoit possible de savoir. Alors les Pre=
tres pour se concilier leur respect, n'eurent
autre chose a faire qu'a affecter du mys=
tere touchant ce qu'ils se vantoient de savoir
et de reserver l'initiation a ceux dont
la discretion etoit a l'epreuve.
<118> Dans ces temps malheureux d'ignorance et
de Tyrannie exercée sur les Esprits, il etoit
impossible que les Sciences fissent aucun pro=
gres.
Dailleurs les professions etoient hereditaires
l'etude des Sciences devint aussi le patrimoine
exclusif de quelques familles, qui dès la n'avoient
que peu d'interet a les perfectioner, puisqu'il
leur suffisoit de passer pour mieux instrui=
tes que les autres, et cela n'etoit pas difficille.
Pour que les Sciences pussent fleurir, il
falloit necessairement que leur etude recou=
vra une entiere liberté. C'est ce qui arriva
chès les Grecs lesdes qu'elles colonies qui les leur
apporterent, les
furent communiquéesnt indistinc=
tement a tous les ordres et a toutes les fa=
milles. Après l'expulsion de leurs Tyrans,
les Citoiens devenus egaux et libres, s'occu=
perent a l'envi de ce qui pouvoit en eten=
dre le regne, et c'est a leur gouvernement
democratique populaire que nous sommes redevables
de toutes les belles connoissances de ces peu=
ples qui ont passé jusques a nous.
Ce qui a surtout beaucoup retardé les progrés des
Sciences, c'est qu'on a été longtemps avant
que de recueillir des idées plus longtemps encor
avant que de mettre les recueils en ordre sur
quelque plan regulier; les premieres collec=
tions qu'on entreprit ne furent meme que des cahos
informes, entierement de=
pourvus de metho=
de.
  Dailleurs on ne s'attachoit point a la
precision, a la justesse, on ne cherchoit qu'a
remuer les sens et l'imagination; on donnoit
toute son attention aux mots
tout fut
exprimé avec mesure et chant, et tout
restoit soumis a l'empire de la Poësie, de
la Musique et de l'Eloquence. Peu a peu il devint
<118v> plus difficile d'être Poete, et dès lors l'ambition
de l'etre se rallentit; on commança a parler
sans s'assujetir a la mesure, a la cadence et
au chant: on distingua l'art d'ecrire en vers
et l'art decrire en prose. Ce qu'on gagna par la de
facilité pour l'expression donna plus de temps
pour s'occuper des choses même: on comman=
ca a distinguer, distribuer, classifier les ob=
jets: mais on ne travailla jamais sur au=
cun plan reflechi, 1 mot biffure et dela nacquirent tant de
disputes sur les objets des diverses Sciences,
qui furent bien longtemps avant que de
prendre la une forme. de Systheme. Enfin les Combien de Siecles
ecoulés avant que les

connoissances humaines fussent distri=
buées en divers corps de Sciences: nous ne
repéterons pas ce que nous en avons deja
dit dans nôtre essai sur l'education In=
tellectuelle.
Ainsi la lenteur des progrès dans les Sciences
est venue doit etre attribué aux causes sui=
vantes: 1o qu'on a voulu expliquer les choses
avant que de les observer
2o qu'on a ignoré
que l'observation et l'analogie determinent
l'entendue
et la portee de nôtre conception,
et qu'on a voulu juger de ce qui etoit hors
de portée.
3o qu'on s'en est tenu aux opinions
reçues
sans se mettre en peine d'autre chose
que de les soutenir par des 1 mot biffure hypo=
theses vagues, souvent inintelligibles. 4o
qu'on a abandonné la culture des Sciences
aux Pretres
qui les ont obscurcies par mille
superstitions. 5 qu'on a travaillé sur les
Sciences sans aucun plan reflechi, ni
pour
l'ensemble de toutes; ni même pour l'ensem=
ble de chacune d'elles en particulier.
Ce n'a été que des lors=
qu'on a travaillé
a detruire ces cau=
ses par une mar=
che toute opposée
a l'ancienne, que
les Sciences ont
commancé a
fleurir, et qu'on
a faire des pro=
gres rapides. 

<119> CHAPITRE XV
Ordre successif dans lequel les Sciences
se sont introduites.

CELLES QUI SE RAPPORTENT A LA
PAROLE.

Les premiers efforts de la speculation sem=
blent avoir été dirigés sur les beaux arts
qui tenoient le plus a coeur aux hommes,
l'art de parler, la Poësie, l'Eloquence. Les
premieres Sciences cultivées furent la
Grammaire, l'art Poetique, la Rhetorique
l'art critique des auteurs en vers et en
prose. Dès les premiers anciens temps on eut l'am=
bition de parler et ecrire correctement,
d'y joindre la Poesie et l'Eloquence pour
captiver l'admiration, et l'art de bien en=
tendre les Poetes et les Orateurs pour ren=
dre son suffrage plus imposant.
On fit aussi beaucoup de quelques reflexions sur
l'origine des mots, et ce qui est du ressort
de l'Etymologie, mais beaucoup plus encor
sur la Grammaire et la Rhetorique qui
a pour objet l'ornement et les graces du
discours. On sait combien ces objets tin
tinrent a coeur aux Orientaux: nos Livres
saints en fournissent les exemples les
plus sensibles. Qui ignore combien les
Grecs et surtout les Atheniens furent deli=
cats sur l'expression? Le peuple même
se piquoit d'assaisonner des discours du
sel Attique, et Theophraste, après 40
ans de sejour a Athenes, fut reconnu
pour etranger par une vendeuse d'her=
bes.
<119v> Pendant que les Romains ne respirerent
que combats, la Grammaire et la Rhetori=
que leur tinrent fort peu au coeur ainsi
que les autres arts liberaux. Mais après
leurs triomphes belliqueux sur les Grecs, ils
prirent le gout de ceux ci pour la belle Litte=
rature: ils se firent une gloire de rappeller
des Grammairiens qu'ils avoient aupara=
vant chassés. Le premier qui leur donna
le gout de la Grammaire fut Crates Mal=
lotes, envoié au Senat par le Roi Attalus
entre la 2o et la 3o guerre Punique. des
cette epoque Rome vit dans son sein des
Heros Lettrés qui temperoient leur fierté
belliqueuse par cette amenïté qu'inspirent
les Muses et par laquelle ils gagnoient
les coeurs des peuples vaïncus.
L'usage qu'on fit dans tous les temps de l'Elo=
quence et surtout dans les assemblées publi=
ques, l'admiration qu'on temoigna aux grands
Orateurs. Tout cela fit penser de bonne
heure a la Rhetorique dont les preceptes
doivent diriger l'Eloquence.
Les Grecs qui se distinguerent par la
foule de leurs orateurs eurent aussi de
bonne heure leurs Rheteurs, entrautres Hermogene,
Longin.
<120> Vers le temps des Gracques l'Eloquence
prit faveur a Rome. Des lors elle fut
languissante jusques a Ciceron. Pen=
dant que les Romains eurent des Ora=
teurs. Ils ne manquerent pas non plus
de Rheteurs. Tels furent Ciceron
lui meme, Quintilien
Il semble que l'Eloquence fut enseve=
lie avec l'Empire pour ne reparoitre
que XV siecle après, mais dans un
genre très different de celui des anciens,
je veux dire la chaire et le Bareau. Aux
Demosthenes et aux Ciceron, ont
succedé les Bossuets, les Flechiers,
les Patrus, les Cochins &c.

<120v> CELLES QUI SE RAPPORTENT A LA
PENSEE.

PHILOSOPHIE

La science des choses fut appellée d'abord
sagesse , σοφια .
Ceux qui se vantoient dela posseder furent
appelles les Sages;
nom qui fut aussi prodigué que celui de
Bel Esprit l'est de nos jours.
Pytagore fut le premier qui y substitua
les noms plus modestes de Philosophie 
et de Philosophes cad. amis de la Sa=
gesse.
Le nom de Sagesse ou de Philosophie fut
donné d'abord a la science morale, et en=
suite etendu a tous les arts qui exercoient
le genie ou dont la societé retiroit quel=
que avantage; après cela on la confondit
avec l'erudition cad , la reunion de tou=
tes les connoissances du siecle ou l'on vi=
voit. Enfin sous le nom de Philoso=
phie on a compris la Physique, la
Logique, la Metaphysique, la Mora=
le.
Les Grecs furent très adonnés a la Philo=
sophie. Platon disciple du sage Socrate fut le premier qui au
V siecle avant J. C. entrepris un corps complet: il s'en faut
bien cependant qu'il ait atteint a ce
degré de plenitude, d'ordre et de clarte
qu'on admire encor dans les ecrits d'Aris=
tote qui en a embrassé toutes les branches.
 Il vivoit au V siecle
avant J. C.

Les Romains ne connurent la Philoso=
phie, qu'après la conquete dela Mace=
doine. Nous pouvons juger par les ecrits
<121> de Ciceron, de Seneque &c. des progres qu'ils
y ont fait. dans cette

LA MORALE

Pendant que les hommes vecurent isolés,
ou en communauté imparfaïte, ils n'eu=
rent d'autre guide que le sens moral et
quelques maximes communes. Les
Societés une fois formées aiant mult=
iplié et diversifié les affaires, et les rela=
tions, il fallut multiplier les maximes,
les reduire a des regles, enoncer
chaque Loi naturelle avec chaque
Devoir quelle prescrit, indiquer
les caracteres des vertus recomman=
dées et des vices proscrits, et pour y re=
pandre du jour sur tout cela, le rap=
porter tout cela a des principes, develloper ces
principes selon une certaine methode
en forme de Systheme, et ainsi nac=
quit la science morale , qui au dic=
tamen confus du Sens moral ajoute
des notions et des principes fixes, lumineux
et surs pour apprendre a l'homme ce
quil doit dans chaque cas determiné
faire ou ne pas faire pour s'acquiter
de son Devoir.
 
<121v> La morale doit ses premieres notions dis=
tinctes, jentens chez les peuples qui ne furent
pas eclaires par les lumieres de lancienne trad=
dition ou dela revelation, a Confucius Philo=
sophe Chinois, et Esope ce celebre et excellent
auteur Grec, qui vivoient l'un et lautre
600 environ avant J. C.

<122> LA PHYSIQUE

A force de raisonner sur les objets rela=
tifs au gout et aux moeurs, on comprit
qu'on pouvoit raisonner aussi sur les choses
naturelles, ramener les effets a des causes,
et etablir des principes pour expliquer les
Phenomenes. Ainsi nacquit la Physi=
que . Cette Science ne fut pas ignorée
des Brachmanes Indiens. Les Mages
Persans et les Pretres Egyptiens en firent
leur principal objet d'etude et se glorifioient même
d'y exceller. Chès les Grecs, Thales en
sentit et en fit connoitre tout l'interet.
Dela elle passa dans les Echoles de Py=
tagore, de Platon, d'Aristote. Les Scholastiques disci=
ples de ce dernier, instruïts dans les ecrits
les Scholastiques, la repandirent en Ita=
lie et peu a peu en divers lïeux de l'Eu=
rope.
Mais cette Science ne fit pendant long=
temps que peu de progrès parce qu'on ne=
gligea l'observation et l'experience, et
qu'on voulut raisonner a priori. La ou
ou il ne falloit raisonner qu'a posterio=
ri, poser des principes abstraits, la
ou l'on ne doit admettre pour principes
que les resultats des faits. Les sages de
l'Antiquité s'occuperent delicieusement
a raisonner sur la nature sans la con=
noitre, tandis que les Sages modernes
se delectent a la contempler telle qu'elle
est, et se font une Loi de ne point rai=
sonner sur ce qu'ils n'ont pas encor
observé ni eprouvé. Ainsi on a aban=
donné <122v> la voie la voie des sectateurs d'A=
ristote, on n'a eu aucune confiance même
en Descartes et Gassendi, et on a marché
aussi sur les pas des Galilée et Toricelli
en Italie, de Bacon, Boyle, Neuton
Desaguillers en Angleterre, de Huygens,
Meuventd, sGravesande, Muschenbrock
en Hollande, de Mersenne, Mariotte,
Amontons, de La Hire, Nollet &c en
France.

<125> LA LOGIQUE

Ce ne fut qu'assés tard que les hommes s'a=
viserent de raisonner sur le raisonnement
même, et de penetrer dans l'interieur de
l'ame pour en connoitre les facultés, et sui=
vre les operations, et ensuite determiner
les regles qu'elle doit suivre pour en bien
regler la marche. Telle fut l'origine de
la Logique . Zenon d'Elée, disciple de
Parmenide, passe pour le premier qui
en ait devellopé les principes 450
ans avant J. C. Mais les Peripateti=
ciens et les Stoiciens qui la cultiverent,
en multiplierent les regles a l'infini et
firent de cette Science un fatras de sub=
tilités. Les Grecs dans ce temps la etoient
devenus grands parleurs et ne se plai=
soient qu'a disputer. Ce gout donna
lieu aux Dialecticiens de reflechir beau=
coup sur les sources d'ou l'on pouvoit pui=
ser des discours abondans pour et con=
tre: et des lors la Logique confondue
avec la Dialectïque  parut n'avoir d'au=
tre but que de mettre les disciples en etat
de parler facilement et longtemps sur
toutes sortes de sujets. Aristote s'em=
ploia a ramener cette Science a son
vrai but, il lui donna un air plus
exact, mais pour l'avoir chargée de
mots barbares et obscurs, ses disciples
ne l'aiant point compris, en firent un
cahos qui sembloit n'etre destiné qu'a
pervertir le jugement des hommes et
les sortir du chemin dela verité, obscur=
cir <125v> tous les sujets et eteindre la lumiere.
Des genies 1 mot biffure heureux, revoltés par les
tenebres de cette Philosophie, s'efforce=
rent a rendre aux hommes la lumiere
dont ils avoient si longtemps ete privés. Ils etudierent
l'homme, ils suivirent l'analyse de
ses facultés et de ses operations, ils
appellerent a leur secours les faits
l'observation, l'experience, ils trouve=
rent les vraies regles qui 4 mots biffures puisées dans la nature
2 mots biffures pour diriger
l'Esprit humain. Des=
cartes fraya la route a Mallebran=
che, Arnaud, De Crousaz, &c.
Le jour le plus pur parut avec
l'Entendement humain de Locke
qui a donné naissance aux ouvra=
ges excellens de Vatz, de Condillac
de Bonnet &c.

<126> LA METAPHYSIQUE

Aristote aiant proposé divers princi=
pes applicables egalement aux corps
et aux Esprits, qui ne pouvoient appar=
tenir ni a la Physique ni a la Logique,
ses Sectateurs en firent une Science
a part a laquelle ils donnerent le
nom de Metaphysique . Cette Science
fut enseignée avec beaucoup d'appa=
rat dans les Echoles, et aujourdhui elle est distribuée en
diverses parties appellées Ontologie 
ou Philosophie premiere, Pneuma=
tologie , Theologie , auxquels quel=
ques uns ont joint la Cosmologie  qui
nest proprement quune Physique
generale.

<126v> LE DROIT.

Les societés une fois formées furent sou=
mises a des Loix ecrites: mais pendant
longtemps on ne pensa point a les rediger
en code.. A l'aide de la Philosophie, on
parvint a se faire un Systheme de Loix
avouées par la raison, qu'on appella Droit
naturel
, et un Systheme de Loix ecrites
qu'on a appellé Droit civil. Le premier plus fameux Code
Systhematique de Loix a été vraisembla=
blement celui de Justinien qui au VI
siecle, fit rassembler en un corps les Loix
Romaines: Ce qui donna naissance a
4 ouvrages distincts.
1o Les Instituts qui comprennent les Loix
en abregé, telles qu'elles furent publiées
a l'usage des novices l'an 533 par les
soins des Jurisc. Tribonien, Theophile,
et Dorothée.
2o Les Digestes ou Pandectes qui com=
prennent toutes les Loix du droit Ro=
main, rassemblées et publiées la même
année par Tribonien, et XVI Juriscon=
sultes.
3o Le Code qui avoit deja paru l'an
529 redigé aussi par Tribonien et
d'autres, renfermant les meilleures
constitutions depuis Adrien jusques
a Justinien.
4o Les Novelles ou nouvelles constitu=
tions des Empereurs, ainsi appellées par=
ce qu'elles etoient posterieures aux Loix
qu'ils avoient publiées.
Tout cela forme le Droit civil Romain
appellé simplement Droit civil, comme
par excellences parce qu'il a servi de base
aux divers codes des autres nations.
<127> Il sest introduit dans le Christianisme
un nouveau Droit qui soumet les ac=
tions des Cytoiens aux Loix de l'Eglise:
il est compris dans le Droit canon cad 
la collection de regles tirées de l'Etendue S
des Conciles, des constitutions des Papes,
des decisions des Peres et de la traddition.
Cette Collection fut faite en 1151 par
S. Gratian Benedictïn, Pendant
longtemps son autorité s'est mainte=
nue en même proportion que
aveccelle de
l'Eglise; mais depuis la reformation
l'un et l'autre ont recu de bien grands
echecs.
 

L'ERUDITION

L'Erudition qui consiste dans la Science
des decouvertes et des ecrits qui ont
paru successivement, n'a pu s'etendre
qu'avec le cours des Siecles. Les anciens
furent necessairement bornés a cet
egard. Les Grecs ne faisoient cas
que de leur histoire et deleur Langue.
Les Romains ne furent d'abord que
Orateurs et Politiques. Ce ne fut que
dans des temps posterieurs qu'on vit
paroitre un petit nombre d'erudits tels
que Varron, Pline le Naturaliste
<127v>
P Pendant que lOccident etoit plongé
dans la barbarie qui alla toujours
en augmentant jusques a la fin du
XV siecle, l'Orient se soutenoit en=
cor, mais tout s'y bornoit a une
erudition Grecque.
Pendant Tandis qu'on ne pouvoit put rien apprendre
sans faire de longs et peinibles voïages,
qu'on manqua de livres, qu'on ne put
1 mot biffure ecrire que lentement et peinible=
ment, ni obtenir des copies que très
difficillement et a grands frais, L'eru=
dition  ne pouvoit put generalement faire
que peu de progrés. L'imprimerie
donna le jour a une foule d'ouvra=
ges d'erudition, de florileges, de
Poly anthea, de poly histors, de
2 mots biffures cornucopia &c.
dont le de Thesaurus, qui n'offrent
que des fatras de materiaux ras=
sembles sans choix et sans gout.
La vraie erudition, ne date
gueres que dela fïn du siecle der=
nier, et mais elle a fait des progrés
presque inconcevables, qui seront
suivis sans doute d'autres plus eton=
nans encor, si les malheurs des temps
ny mettent de grands pas obstacle.
 

<128> CHAPITRE XVI
Conclusion

RESULTATS GENERAUX

Dans tout ce que nous avons dit sur l'Ethno=
logie nous avons toujours supposé qu'il faut
distinguer 1o les nations qui sont toujours
restées civilisées en Orient, ou dans la
mere-patrie, ou dans les contrees voisines
ou les colonies ont trouvé les circonstances
les plus favorables a leur etablissement:
2o les peuplades qui dispersées dans des pays
lointains, tomberent même en assés peu de
temps dans un etat de grossiereté et de bar=
barie, dont elles ne purent sortirent qu'a la
longue, a mesure que les circonstances pu=
rent donner lieu au devellopement de leur
industrie pour se procurer des ressources, et
leur permirent de se reunir d'abord en
communautés imparfaites pour ensuite s'ele=
ver ensuite graduellement a l'Etat de societé regu=
liere.
Il resulte aussi que ces nations n'ont pu
etre civilisées qu'au bout d'un certain
temps plus ou moins long selon que les cir=
constances: car il a fallu d'abord qu'elles
aient cherché a tirer parti de leur position
et de leurs avantages naturels, 2 mots biffures
1 mot biffure pour pourvoir a leurs besoins
de premiere necessité; après quoi, pour faire
des progrés ulterieurs vers la civilisation
elles ont du etre mues par l'ambition de
joindre au necessaire l'utile et l'agreable:
ce qui seul, en multipliant pour elles les
objets de cupidité, pouvoit reveiller de plus
en plus leur industrie et leur activite
<128v> pour s'appliquer aux arts d'agrement et de luxe,
et au commerce, qui seul peut faire abonder
les richesses.. Leurs progrés vers la civilisation
n'ont pu même devenir un peu considerables
que, lorsque leurs connoissances s'etant etendues
a mesure qu'elles devellopoient leur industrie,
ces connoissances ont fait naitre a leur tour
de nouveaux gouts qui sont devenus eux
mêmes autant de besoins et autant de ressorts
pour exciter de plus en plus les talens et l'ar=
deur de faire des progrès dans les arts et les
sciences. Enfin même il etoit même necessaire
que ces Societés aiant fixé chès elles l'abondan=
ce. Il se trouva des personnes asses privilegiees par
les avantages de leur position pour se
livrer a une etude assidue de la nature,
3 mots biffures et s'elever a des ob=
jets d'une classe superieure, des objets de
gout et de theorie, et des Sciences propres
a perfectioner l'Esprit humain.
c'est aussi une chose incontestable qu'elles L'experience, enfin dac=
corder cela avec
ce que dicte
le
bon sens
a
prouvé aussi
que les societés
n'ont pu atteïndre a un certain degré de
civïlisation que lorsque les conflits et les
chocs de volontés, ennemis de toute jouissance
ou occupation tranquille, les ont comme
forcées a se soumettre a une constitution
civile reguliere, a des Loix et a un gouver=
nement respecté sagement etablis. Ici l'experience se trouve
d'accord avec ce que dicte le bon sens. Les
nations qui ont fait les progrés les plus ra
=
pides vers la civilisation ont toujours ete
celle qui ont été soumises a une constitu
=
tion politique sagement entendue
et 1 mot biffure

<129> Il est vrai que certaines nations ont pu
se former en Societe reguliere, quoique
fort eloignées encor de ce degré de civilisation
qui suppose une politique raffinée, la cultu=
re perfectionée des Sciences et des arts li=
beraux. Ainsi chès les Orientaux, tout
etoit
quoique soumis a une constitution reguliere,tout fut mediocre, jusques a l'exercice des
arts, et la preuve en est qu'ils manquoient
de la plupart des commodités de la vie qu'on
regarde aujourdhui comme des plus essen=
tielles. Qu'etoit pour la plupart d'entr'elles
la navigation et le commerce, la structure
et la manoeuvre des vaisseaux? Combien de
choses qui manquoient a l'art militaire,
a la politique, sur laquelle ils etoient
si peu avancés qu'ils ne pensoient pas
seulement a s'observer mutuellement,
ou a lier correspondance? Qu'etoient
les Loix? defectueuses, obscures, informes.
qu'etoit la Morale? aucune idée devel=
lopée, aucun fondement distinct, au=
cun droit de la nature et des gens rame=
a des principes fixes et generalement
adoptés. La plupart n'eurent qu'assès
tard l'usage de l'Ecriture Alphabetique,
qui suppose un genie exercé deja par
divers autres arts; et quel retard cela seul
ne dut il pas mettre a leur civilisation.?
Sur quoi il est a propos d'observer que le
silence de l'histoire sur les premiers ages
de certaines nations ne prouve point que
c'ait été pour elles un temps de barbarie,
mais seulement qu'elles n'eurent que tard
l'usage de l'Ecriture; ce qui a fait que les
historiens posterieurs n'ont pu nous
donner aucune relation digne de foi,
ni rien de circonstancié.
<129v> Nous voions dailleurs aussi par l'Ethnologie
que les nations qui se sont graduellement
civilisées sont toutes parties a peu près du
meme point, ont visé a peu près au même
but, ont deploié a peu près les memes ressour=
ces, et ont suivi en gros la même route,
quoique d'un pas fort inegal. Partout
on commanca par des arts grossiers, une
agriculture imparfaite, quelques observations
simples et communes, certains usages qui
tenoient lieu de Loix. Des que les moiens de
subsistance furent assurés, on prit gout
aux commodités, aux agremens, aux ob=
jets de cupidité: de nouveaux besoins, nac=
quirent qui donnerent lïeu a des recherches,
et etendirent les idées: suivit le regne
des beaux arts; on raisonna sur les objets
de gout: le raisonnement ensuite s'etendit
sur les objets d'abstraction ideaux: on s'eleva a la
speculation. Les Philosophes pouvoient
et voulurent faire la lecon a tous
on porta les prïn=
cipes de la theorie,

les efforts se diri=
gerent vers la
Science profonde;
les Philosophes
firent bruit, ils
passerent pour
des oracles et se
glorifierent d'etre
les Precepteurs du
genre humain.
  Telle
fut est l'histoire des progrés de la civilisation
chès toutes les nations policées.
Cependant chès plusieurs la plupart il
y a eu un cercle de lumiere et d'ignorance
dont les peuples, a la suite des siecles ont
parcouru les divers points, une sorte même
d'oscillation entre la barbarie et la civili
=
sation qui a duré assès longtemps jusques
a que des circonstances heureuses les ont
amené a une sorte d'aplomb qu'elles n'ont
même gardé qu'imparfaitement.

Tout ce que nous avons dit de l'origine, du
devellopement, des progrès des connoissan=
ces de l'espece humaine et de la marche pro=
gressive que les nations ont suivie pour s'elever
<130> de l'etat de barbarie a celui de civilisation
paroit d'autant plus vraisemblable qu'il offre
une analogie des plus marquees avec la mar=
che que chaque Individu est naturellement
disposé a suivre dans le cours successif de ses proce=
dés, et suivroit même necessairement, s'il
etoit abandonné a la seule impulsion de
la nature, dans ou elevé d'une maniere
a ce que celle ci ne fut jamais contrariée
dans le devellopement de ses facultés et
de ses operations, pour etendre et perfectioner
son Intelligence. En faut il d'avantage
pour 1 mot biffure prouver combien l'Ethnologie
peut repandre de jour sur la connois=
sance de l'homme, et en particulier
sur les origines du Langage humaïn,
qui n'a pu se former et s'etendre que dans
la même proportion que les connoissances
humaines se sont etendues et devellopées,
puisque les hommes n'ont jamais pu in=
troduire l'usage d'un seul mot sans en
avoir senti auparavant le besoin pour
exprimer telle ou telle idée qui n'eut pu
etre enoncée sans equivoque par quel=
que autre mot deja usité.

<130v> CE QU'ON DOIT PENSER DES OPINIONS
AVANCEES SUR LA NATURE DE L'HOM=
ME PRIMITIF

Les uns se sont plu a nous representer l'inte=
grité des moeurs, l'innocence et le bonheur des
societés primitives ou tous les hommes vi=
voient heureux et contens: telle a été l'idée
des Poëtes, lorsqu'ils nous ont peint l'age
d'or. D'autres au contraire nous ont repre=
sente l'homme dans l'etat primitif comme un
Etre Stupide, sauvage, en guerre perpetuelle avec
ses semblables, inferieur a la plupart des au=
tres especes, et plus malheureux qu'elles toutes.
J'observe que ces deux hypotheses, si elles
n'etoient pas exagerées, pourroient se concilier
pour toutes les deux avec nos principes, en admettant que les
hommes qui eurent le bonheur de rester
en Orient, jouirent d'un sort plus tranquille
et plus fortuné, sont a l'abri tandis que les colo=
nies qui se repandirent au loin tombe=
rent dans une grossiere barbarie, et de=
vinrent ce que sont encor les hordes que
nous appellons Sauvages, dont les connois=
sances et l'industrie sont bornées aux objets
sensibles, et qui ne peuvent gueres s'elever
a ceux qui demandent de la reflexion et
un raisonnement suivi.
Mais je ne croïs point que ces hommes
degenerés soient jamais devenus ce qu'on ap=
pelle stupides inferieurs aux brutes,
puisqu'ils ont su, dans leur etat de denu=
ment et de misere, pourvoir a leurs besoins,
et soumettre les autres especes a leur pou=
voir. Ils n'ont pas même été longtemps sans
usage deleur raison pour compa=
rer les objets physiques, en connoitre les
rapports entr'eux et avec eux mêmes,
<131> leurs usages, leurs inconveniens, la manie=
re de les combiner et d'en tirer parti: Peu
a peu ils se sont elevés a l'exercice des
arts, et par l'observation et l'experience,
en y joignant l'analogie et l'induction,
ils sont parvenus a ce point de connois=
sance et d'industrie qui constitue ce
qu'on appelle la civilisation.

CE QUE FUT L'EDUCATION MORA=
LE CHES LES ANCIENS PEUPLES

Pendant que les hommes primitifs furent
tout entiers occupés des besoins de premiere
necessité, ils connurent très peu ce qu'on
appelle maximes ou principes de mor=
ale. Leurs actions furent dirigées par
l'instinct, je n'entens pas seulement l'instinct
physique, mais encor l'instinct moral, un
certain sentiment confus d'honneteté
ou bienseance, d'ou pouvoient naitre cer=
tains usages, ou manieres d'agir, recues
et adoptées comme etant preferables aux
opposées; ou ce qu'on appelle des moeurs.
Ce ne fut que lors de la reunion des familles
en communautés, transformées peu a peu
en Societés regulieres, qu'on prit des idées
de Loi, d'obligation, de devoir, et qu'on
en vint a des maximes distinctement
et methodiquement enoncées pour servir
<131v> a linstruction, et alors on commanca a
s'occuper de l'education morale des enfans.
Dans les temps primitifs 1 mot biffure anciens l'education
fut aussi simple que peu dispendieuse;
on accoutumoit les enfans dès l'age le plus
tendre a une vie sobre et peinible, a souf=
frir le chaud, le froid, a marcher dans des
endroits rudes, escarpés: on les exerceoit a
de petits combats entr'eux et a endurer pa=
tiemment les coups qu'ils se portoient: on
cherchoit a les endurcir de toutes manie=
res au travail, a la fatigue, a la course;
on les emploioit a la chasse, a la pêche, a
la garde des bestiaux, aux divers tra=
vaux dont les Parens eux mêmes etoient
1 mot biffure occupés. Telle est l'education
chès les Sauvages; telle elle etoit chès les
anciens Germaïns.
Les Peres etoient les seuls Precepteurs de
leurs enfans, et tout l'art consistoit
a inspirer a ceux ci, pour eux, et pour
toutes les personnes agées, une deference
aveugle, et des la même a les accoutumer
a suivre en tout les maximes reçues et les
usages etablis. Dans les villes, on les
obligeoit de se trouver dans les places
publiques ou se tenoient les assemblées, pour
apprendre des hommes avancés en age
a connoitre leurs Devoirs et a servir la
Patrie: lorsqu'ils absentoient, ils en etoient
repris par les vieillards. Tel a été l'usage
chès tous les peuples qui n'ont point été
asservis aux Tyrans. Chès toutes les
nations Indiennes, les discours des an=
ciens sont encor regardés comme des
oracles. 1 mot biffure
<133> L'usage des echoles publiques n'a pu s'in=
troduire que chès des nations policées. Il y
en avoit chés les Hebreux: les Persans en
faisoient un objet capital du gouverne=
ment. Chès les Grecs, les Echoles etoient
comme des Universités ou l'on enseigneoit de
tout. Chès les Romains on n'y recevoit
que des lecons de patriotisme. 1 mot biffure
Dans les premiers siecles de l'Eglise, les Echo=
les des chretiens n'eurent d'autre objet que
l'explication de l'Ecriture, temoin celle
d'Alexandrie. Des lors tout fut conver=
ti en instructions monachales, tous les
colleges furent dressés sur un plan mo=
nacal, et ils nont presque point changé
dès lors; on enseigne encor a peu pres
comme on enseignoit il y a mille
ans.

USAGES ANCIENS

Aux moeurs, il faut joïndre certains
usages sur lesquels les anciens peuples
semblent s'etre generalement accordés.
comme font encor les sauvages Ainsi
de temps immemorial, l'usage a voulu
qu'on put distinguer les deux sexes par
la forme de leurs vetemens:
que les femmes ne parussent en public
qu'en equipage modeste, couvertes
d'un voile: qu'elle eussent un apparte=
ment separé, qu'elles ne mangeassent
point avec les etrangers &c.
<133v> Partout on a adopté certaines marques
de decoration exterieure pour distinguer
les personnes respectables par leur age,
leur rang ou leur dignité.
Partout on a été en usage de se saluer
en s'abordant avec quelque propos obli=
geant, de se quitter avec quelque voeu
differemment exprimé, pour le matin, pour le soir,
en accompagnant cela de quelque geste
expressif, du corps, de la tête, de la main
&c.
La civilité demandoit aussi qu'on salua
chacun par son nom propre, et non
par un titre banal, fastueux et vain.
On se piquoit de faire acueil aux voisins
aux concitoiens, de les recevoir chès soi
avec honneteté, de leur temoigner des
egards &c.
Les anciens se distinguoient surtout
par l'usage general de l'hospitalite en=
vers les etrangers;
Une regle remarquable de cette civilite
etoit de ne pas montrer trop tot sa curio=
sité pour s'informer du sujet et des mo=
tifs qui les amenoient.
<134> Partout on celebroit des fetes et des
festins solennels dans certaines occasions
marquees, et sur lesquelles on fut gene=
ralement assès d'accord.
un
un acte de civilité, lorsqu'on vouloit ho=
norer quelquun dans un festin etoit de
lui servir la portion la plus considerable
et de lui verser toujours a boire a pleins
bords
Chès les nations policées on chercha a
reunir dans les festins tous les plaisirs a la
fois, conversation enjouée, lecture de
Poesie, concert, spectacles de danses &c.
<134v> Ches tous les peuples, il y eut des usages
etablis pour rendre aux morts les devoirs
de la Sepulture. On fut fort exact
pour les enterrer: on regardoit comme
une malediction que les corps de ses parens
et de ses amis fussent exposés a devenir
la proie des bêtes: rien n'etoit jugé plus
consolant que de reposer dans le tombeau
de ses Peres:
On embaumoit les personnes de condition
chès les Egyptiens et les Hebreux.
La brutalité des barbares qui après le com=
bat, deterroient les cadavres pour les in=
sulter et les piller, introduisit parmi les
anciens l'usage de les bruler. Les Grecs
avoient deja cet usage avant la guerre
de Troye.. Depuis Sylla, qui ordonna
qu'on mit son corps sur un bucher, jus=
ques au temps de Theodose, les Romains
ont toujours brulé leurs morts. Dèslors
l'usage de les enterrer s'est repandu
dans tout l'Empire et toute l'Europe
chretienne le suit, en y joignant
diverses ceremonies d'obseques.

<135> TABLE
TROISIEME SECTION

Chapitre premier

Etat naturel et primitif de lhomme
Transformation des peuplades en Societés
regulieres
. p. 1.

Etat naturel et primitif de l'homme 1.

L'etat de nature chès plusieurs peuples a
duré fort longtemps; il subsiste encor chès
quelques uns 2. 3

Comment s'est introduit l'Etat civil 3.

Causes diverses de cette introduction; mul=
tiplication des droits 4.

Multiplication des gouts et des besoins
factices 4. 5

Abus de l'inegalité des fortunes et des
conditions 5

Necessité d'une forme de Societe reguliere 5. 6

Necessité de la Subordination 67. 8.

Avantages inestimables de l'Etat civil 8-13.

Dans les anciens temps il y eux des Societes
regulieres, mais non de grands Etats 13-15.

Chap. II.

Des Loix positives diverses, et premierement
des Loix politiques 16

Loix positives diverses 16

Le Souverain pouvoir - il reunit le pou=
voir Legislatif et executif - le gouvernement 17

Loix politiques ou fondamentales de l'Etat 18.

Monarchie - Republique 18

Monarchie absolue - despotisme - Demo=
cratie pure - Formes intermediaïres 19. 20

Aristocratie - Oligarchie 20. 21

Ce que demande le plus grand bien d'un
etat 21. 22

Qu'appelle t'on gouvernement libre 21. 24
 

<135v> Causes diverses qui modifient les gouverne=
mens, - causes de leur ruine 24. 26

Chap. III

Idées sur l'introduction des diverses formes
de gouvernement
. 27

Le plus ancien Gouvernement a été la
Monarchie - qui a pu s'introduire tout
naturellement 27. 28

Il pourroit cependant y avoir eu anciennement
d'autres formes 28 29

Les premieres Monarchies ne furent point abso=
lues, mais limitées par des assemblées nationa=
les. 29. 31

Les premieres Societés civiles formees sur le mo=
dele des Societés nationales des anciennes com=
munautes imparfaites 31. 32

Dans ces petits Etats le pouvoir des Rois fut très
borné, ainsi que leurs revenus 32 33

Dans les grands Empires meme, ce pouvoir ne
fut pas d'abord si grand 33

Causes qui ont concouru a le limiter 34

Causes qui ont concouru a l'etendre peu
a peu. 35 36

Ordre de Succession 36-38

Les progres de la puissance monarchique
ont été plus rapides chès les nations policees,
et la politique a consommé le despotisme 38. 39

Idée d'un grand Empire ou le despotisme
est etabli 40

C'est le luxe qui a amené le Despotisme a son
comble 40-42

Horreur d'un tel etat 42

La monarchie absolue ne produit pas tou=
jours le Despotisme 43 44

Inconveniens qui sont resultés de l'afoiblisse=
ment du pouvoir Monarchique - Gouver=
nement feodal 44. 45

<136> Le Despotisme des Monarchies a produit les
Republiques 45. 46

Avantages du gouvernement republicain:
- inconveniens 46. 47

Confederations des Republiques 47. 48

Democratie 48. 49

Inconveniens de la Democratie dans les Repu=
bliques puissantes 49. 50

Aristocratie 50-53

Ce que demandoient un gouvernement pour
etre bien etabli 53-55

Chapitre IV

Des Loix positives proprement dites, et en
particulier des Loix penales.

Loix positives proprement dites 56

observation generales sur les Loix positives 56-60

Loix penales 60. 61

Loi du Talion 61. 62

Loi contre l'homicide
Severité des anciennes Loix penales 62. 63

Loix contre lhomicide 63-65

- contre le rapt, le viol, l'adultere 65-67

- contre le vol ou larcin 67. 68

- la calomnie et le faux temoignage 68. 69

Chapitre V.

Des Loix de police 70

Loix de police 70

Loix de sureté pour les personnes 70. 71

Loix de sureté pour le sort et l'etat des par=
ticuliers 71

Loix concernant le Mariage - le Celibat 71-73

Loix plus particulieres concernant le lien
conjugal - l'autorite du mari - les de=
grés de consanguineite le concubinage
- le divorce - le concubinage - leduca=
tion. 73-77

Les conventions matrimoniales - lordre et
le partage des successions 77-79

<136v> Loix de sureté pour les ressources que four=
nit a chacun l'agriculture, l'industrie, le com=
merce 80. 81

Loix de sureté pour l'ordre public 81. 82

Autres Loix par rapport aux Tribunaux 83. 84

Loix de police pour les bonnes moeurs 85-87.

Loix de police pour la Religion 87. 88

Chapitre VI.

Loix Civiles 89

Loix de propriete - Loix civiles 89

Le Code civil doit presque en entier sa nais=
sance a l'Agriculture 89-91

Premiere Loi civile; le partage des terres: 2o Loi, le
Bornage - 3o Loi, la succession agraire 91-94.

Les autres Loix civiles ne sont qu'une depen=
dance de ces 3 premieres 94-97.

Grande influence de l'agriculture sur les
affaires humaines 97. 98

Les Loix positives des Societes politiques
n'ont cependant pas detruit le pouvoir des
autres Loix 98. 99

Chapitre VII

De la puissance relative des Etats et du Droit
des gens qui doit regler leur conduite en=
tr'eux.
100

Causes physiques et morales d'ou depend la
puissance relative d'un Etat 1o la situation
locale; 2o la juste etendue du territoire ou
domaine, 3o un Sol fertile et fertilise; 4o une
juste proportion entre les depenses et les ri=
chesses nationales, et l'eloignement d'un
luxe ruineux. 5o un gouvernement sage
et moderé 6o l'ordre public 7. un caracte=
re de constance; 8 un respect inviolable
pour la justice 100-103.

<137> 9 une conduite politique envers les autres Etats
toujours conforme au droit des gens 104. 105

La puissance d'un Etat depend toujours de son
rapport avec les Etats voisins 105. 106.

Chapitre VIII.

Les consequences qui ont suivi la formation
des Societés regulieres par rapport a la culture
et aux progres des arts, des Sciences et de la
Philosophie.
107.

Naissance des arts et des Sciences 107. 108

Leurs progres 108. 109

Causes naturelles de ces progres 110-112

Causes de la diversité des progres relativement
aux divers arts ou Sciences 112-115.

Chapitre IX.

Ordre successif de la naissance et des progres
des arts et des Sciences chès les divers peuples
-
de l'Arithmetique en particulier 117

Succession des arts 117. 118

Sciences les plus anciennes, les Mathematiques 119.

L'arithmetique simple - composee ou l'art du
calcul 119-121

Premieres origines des operations - numera=
tion - instrument decimal - signes mobiles 121-125

Addition, multiplication, soustraction, division:
ordre suivi dans les operations 125-126

Denominations des nombres - signes perma=
nens. - figures - signes alphabetiques -
Romains. 127-130

Chiffres Arabes, avantages de ces chiffres 130-132

Perfection de l'Arithmetique actuelle 132.

Ce qu'on doit a l'Algebre 133. 134.

Chapitre X.

De la Geometrie et de la Mechanique

origines de la Geometrie 135

Longimetrie 135

origines des mesures lineaires; - application
de ces mesures 135-138

origines de la Planimetrie et de l'arpentage -
difficultes de cet art, marche qu'on y a suivie 138-141

<137v> Trigonometrie 142. 143

origines de la Stereometrie 143. 144

Progrés de la Geometrie 145-147.

origines de la Mechanique 148

La balance simple - la Romaine - le levier, -autres
machines - machines composées 149-154

Progres de la Mechanique 154-156

Chap. XI.

Des origines et des progrés de l'Astronomie

Ce que fut l'Astronomie ancienne 157. 158

Progres de l'Astronomie ches les divers peuples 159-161

Marche progressive des hommes dans la mesure des
temps: premiere mesure, le jour - la semaine
- saisons - annee - annee lunaire - solaire 161-168

Moiens emploiés pour determiner l'annee Solaire -
Gnomons - etoiles fixes - determinations du
temps de la revolution - cycles 168-173

Denominations des mesures 174-176

Division du temps diurne - les cadrans -
les clepsydres - les horloges, et montres 176-183.

Heures 184

Le Supput des temps 184-185

Les constellations 185-187

Origines du Zodiaque 187-189

Les Planetes 189. 190

Les Eclipses 191

Deffauts de l'Astronomie des anciens 191. 192

Origines et progres de la theorie Astronomique 192-194

Liaison de l'Astronomie avec l'optique 195 196

Influence de l'Astronomie sur la navigation 197

Chapitre XII

De la Geographie

Commancement grossiers de la Geographie -
grossieres cartes 198-200

Progres de la Geographie et de l'art de dresser des
cartes - causes de ces progres 200-202

Geographie des anciens - son imperfection 202-204

<138> Chapitre XIII.

De la Medecine

la Medecine consideree comme Science 206

Ses premieres origines - ses progres 206-210

Medecins - Charlatans 210

Imperfection de la Medecine chès les anciens 211-213

Origines de la Chirurgie 213

Imperfection de cet art chès les anciens 214-216

la Botanique 216. 217

la Pharmacie, la Chymie 217. 218

l'Anatomie 219. 220

Chapitre XIV

Des Sciences sepculatives, de leurs destinées suc=
cessives, de la lenteur de leurs progrès

Sciences speculatives - deffaut des anciens
quant a ces Sciences 221-223.

Ce que fut l'ancienne Philosophie 223-227

Quand la Philosophie a commancé a se de=
brouiller 227-228

Observations sur les opinions des anciens 229-234.

Chapitre XV.

Ordre successif dans lequel les Sciences se sont
introduites

Celles qui se rapportent a la parole, Gram=
maire, Rhetorique antique 235-237

Celles qui se rapportent a la pensee, Philosophie 238. 239

La Morale 239 240

La Physique 241-246

La Logique 247-248

La Metaphysique 249

Le Droit 250. 251

L'Erudition &c 251. 252

Chapite XVI

Conclusion

Resultats generaux 253-257

Ce qu'on doit penser des opinions avancees sur
la nature de lhomme primitif 258. 259

Ce que fut l'education morale ches les anciens
peuples 259-261

usages anciens 261

Etendue
intégrale
Citer comme
Chavannes, Alexandre César, Anthropologie ou Science générale de l'homme: Ethnologie, Tome III, [Lausanne], [1750]-[1788], cote BCUL A 909/1/2/3. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1283/, version du 02.11.2022.
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