Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Sauveboeuf, 28 juin 1746

de saulveboeuf ce 28e juin 1746

tu as raison mon cher saconay, de penser que personne ne
prend plus de part a ta joye et a tes chagrins que moy qui
suis ton meilleur amy; mais dailleurs l'èvènement qui cause
aujourd'huy ta joye est selon mon coeur; la naissance d'un fils
est naturellement la plus grande bénédiction qui nous puisse ar=
river; mais nous avons tellement corrompu la nature qu'on
est aujourd'huy regardé comme extraordinaire quand on desire
des enfants, a moins que ce ne soit par ce caractère de vanité
qu'on apéle ambition; mais un homme modèré ne scauroit suivre
les mouvements de la nature sur cela, qu'on ne l'accuse d'agir
par instinct; dans un siècle, ou l'on ne connoit guéres de modération
que cette autre extrémité qui tend au bouleversement de la vie
civile, en sacrifiant touts devoirs a sona nonchalance soux prètexte
de liberté. quand a moy je prends un milieu a cet ègard. quoyque
attaché a ma famille, comme a l'objet successif des travaux de mes
pères, 1 mot biffure et dont l'honneur et les avantages me sont confiès
comme un dèpost, je ne fonde cepandant pas sur mes enfants de
<1v> ces espèrances chimériques qui partent du rdéréglement de
l'imagination et non de la bonté du coeur; mais content de me
laisser aller au penchant de la nature, heureux si j'eusse pu ne la
pas pervertir, je regarde mes enfants comme mon sang, comme
mon bien le plus inaliènable, comme mes meilleurs arcboutans,
et si je veux m'elever par des pensèes plus dignes encore de
mon ètre, je les regarde comme un prèsent de la divinité si
spécialement promis et si clairement au juste pour sa recompense
je ne suis pas ce juste la, mais de mème que cest le dieu
misèricordieux qui donne, de mème que ce sera le dieu tout
puissant qui nous demandera conte du mauvais usage de
ce qu'il nous a donné. dailleurs de tant de façons de l'offenscer
il ne punit guères temporellement et sur leur notre postérité que
la fraude et l'injustice, aussy voyons nous communèment les
enfants de ces sortes de gens devenir leur propre supplice quand
ils font tant que d'en avoir. mais vous mon cher saconay digne
fils de si dignes parents, vous serès aussy bon père, et aussy
satisfait de vos enfants que vos parents l'ont èté de vous; je
vous félicite donc avec toute la joye et la sincérité possible de
la naissance de votre fils, élevés le comme vous l'avès été sans
singularité, dans les principes de religion et d'honneur, parlès
luy des vertus de son grand père, il en fera de mème dans son
temps a ses enfants, rendès le digne de tout, et ne désirès rien
<2r> rien pour luy que cela. ma mère et ma femme me chargent
de vous fèliciter de bien bon coeur, si j'osois j'écrirois a cette occasion
a Me votre mère, mais faites luy accepter mon compliment
très humble et l'assurance de mon respect. jespère que celuy cy sera
le prèlude de plusieurs autres, car il en faut plusieurs. adieu mon
cher saconay; vous avès raison de penser que votre joye fait la mienne
les belles ames ne sont jamais si tendres que dans la prosperité. puis=
siès vous, vous souvenir toujours de moy de la sorte.

Mirabeau

mes respects et compliments très humbles a toutes vos dames.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Sauveboeuf, 28 juin 1746, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/124/, version du 12.06.2013.
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