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Lettre à Jean-Baptiste d'Odet [copie], Berne, 18 novembre 1800
Réfutation du mémoire de l'Evêque de
Lausanne envoÿé au pouvoir Exécutif.
Monseigneur!
Le mémoire ecris en votre Nom, et muni de votre signature
etoit trop long pour que l'on pu en faire lecture en seance.
il a donc été mis en circulation parmi les membres du
Conseil Exécutif. Ainsi, Votre Grandeur ne doit pas être
surprise, si la réponse êprouve des rétards, elle eut été
plus prompte, si le Rédacteur du volumineux mémoire
avoit eu le bon Esprit de reservér ses raisonnemens, et
son erudition theologique pour quelque meilleure occasion.
A mon avis, c'etoit manquér de tact, et se montrér
etrangér aux affaires, que d'addressér a notre gouvernement
un semblable écrit. il falloit se fondér sur nos opinions
politiques, il falloit en faire une application simple
et courte, et l'on se perd en dissertations scientifiques,
qui asseurément ne fairont pas fortune.
Me permettez vous, Monseigneur, de relevér quelques
autres fautes du mémoire? je serai court, et je me
rapellerai, qu'il ne faut jamais abusér de la bonté.
D'abord l'article intêrminable sur les tribunaux Ecclesiastiques
n'est en derniere analyse, qu'une pure déclamation, on
n'articule rien: on ne conclut a rien: on crie beaucoup a
<1v> l'anéantissement de l'authorité Episcopale, parcequ'il fut
enjoint aux tribunaux civils de connoitre des causes matrimoniales,
et cependant l'on convient, que tout ce qui a rapport a la société
dans le mariage est tellement du ressort du gouvernement, que
l'Eglise n'ÿ a rien a voir. Pourquoi donc se rependre en de si
longues plaintes, si l'Etat révendique ce qui est a lui? a-t-on
peut-être ordonné aux authorités civiles de reglér ce qui regarde
le sacrement, ses effets, son administration etc. Non sans
doute, et si cela avoit eu lieu, il falloit articulér, et ne pas
restér dans le vague, comme l'on a fait.
Je veus bien, que la lettre du ministre de la justice fournisse
matières aux personnes ombrageuses, qui s'attachent aux mots, et
laissent allér les choses: mais si les exprêssions de cette
fameuse circulaire n'etoient pas calculée sur elles, l'ensemble
est-il répréhensible. Je dois le dire, l'interprêtation, que
le Rédacteur du mémoire en a donné m'a paru souverainement
injuste, et j'ajouterai, que j'aurois honte d'en être l'Autheur.
Que de noirs soupsons? que de jugemens teméraires? mais paix
avec cet homme égaré sans doute par le scrupule, et qui se trouve
ici en si mauvaise compagnie. Votre secretaire , Monseigneur,
n'etoit pas sans doute de son avis, puisque dans le P.S.
ajouté a la lettre, que votre grandeur vient d'écrire a
mon Beaufrêre , il ne s'arrette qu'a ces mots: aux Prêtres
de leur Religion. Ce P.S. est toutefois redigé en votre
<2r> Nom, mais le defaut de signature m'autorise je pense a le
mettre sur le compte de l'Ecrivain.
Ce qu'on dit du placetum est bien loing de la verité. Le
placetum date du moment ou Constantin se fit chretien. les
actes du Concile de Nicée et les suivans presentés a la sanction
civile des Empereurs, et signés par eux, la presence des
juges aux sÿnodes prouve de reste cet allegué. Le Rédacteur
du mémoire l'ignoroit sans doute, car je ne suis pas assez
soupsoneux pour lui supposér de la meauvaise foi. Quant a
son raisonnement fondé sur la conduite des Apotres, je trouve,
qu'il ne fait pas honeur a sa logique: car le cas est entiérement
different. Les Apotres ne faisoient ni imprimér ni distribuér
publiquement leurs écrits, et les princes n'etoient pas jaloux
d'ÿ apposer leur visa. Ce n'est pas, que je prêtende m'établir
ici l'apologiste du placetum, surtout dans nos principes
politiques, mais je trouve meauvais, que l'on compromette mon
Evêque, en lui faisant dire de semblables choses.
Le premier article renferme encore bien des choses dignes
de blame par l'ambiguité avec laquelle on parle de la
nature des peines Ecclesiastiques, ici elles sont purement
spirituelles, autre part elles sont au moins spirituelles
ce qui fait soupsonnér quelqu'arriêre pensée dans l'Esprit
du Rédacteur.
Mais je ne dois pas perdre de vue une observation, qui
m'occupoit d'abord. Que diroient les curés du Diocese
<2v> si dans un tres long mémoire, ou l'on relêve jusqu'a des tords,
que le gouvernement n'a jamais eu, ou qui n'existent plus
aujourdhui, ils n'ÿ trouvoient rien en leur faveur, tandis qu'ils
ont peut être plus a plaindre, que tout autre? Que diroient-=
ils, s'ils n'ÿ voÿoient qu'une attention particuliere d'insister
sur leur inferiorité, et souvent..... ah! sans doute, qu'ils
n'accuseroient pas Votre Grandeur d'Egoisme, mais peut-=
être ne se défenderoient-ils pas de l'idée, que certaines
personnes, qui vous approchent sont un peu jalouses d'une
authorité, qu'elles exercent en votre Nom.
je viens a l'article des couvents, vraiment le Rédacteur
a donné ici libre carriére a son imagination, Dommage, que
l'imagination s'écarte si souvent du sentier de la verité.
il devoit au moins nous faire grace des Bouchérs, des
Boulangérs, et compagnie, et se rappellér, qu'il n'étoit
pas de la Dignité d'un Evêque d'entrér ici dans de
semblables détails. Sa theorie des Conseils Evangéliques
est en partie arbitraire, car l'on ne trouvera pas dans
l'Evangile, que le Sauveur ait conseillé en general le
renoncement aux plaisirs, aux biens, et aux honeurs de la
terre. Et puis lorsque pour relevér l'Etat Réligieux on
s'étudie a la confondre avec le christianisme tellement,
qu'il en fasse partie intêgrante, qu'il en soit même la
perfection; n'a-t-on pas trahi ouvertement la verité?
il s'ensuivroit de la qu'avant l'Etablissement des couvens
<3r> il n'ÿ avoit point de parfais chretiens, et qu'il
n'en peut point existér hors des monastêres... Est ce
méprise du Rédacteur, ou est ce ici un procedé de
Rethorique, je n'entreprend point de le decidér, mais ce
qui m'a surpris, et peiné en même tems, c'est qu'il a osé
prendre sur lui d'annoncér toutes ses idées, au nombre
desquelles il en est de fort extravagantes, comme des
principes indubitables de tous les Catholiques de
l'univers.
Tout est aussi Réligion a ses ÿeux, l'Essentiel, l'accidentel
tout se trouve confondu dans une meme masse. on
pardonneroit cela a un homme du vulgaire, mais non
pas au un Theologien, qui parle au nom d'un Evêque,
et même au nom de toute l'Eglise. Certes je ne lui
demanderai pas une définition, car celle, qu'il a pensé
donnér de la Discipline Ecclesiastique est si lumineuse,
que l'on est pas curieux d'en voir, quelqu'autre de sa
fabrique. Cependant je m'attendois a trouvér quelque
distinction entre la Religion, et ce qui n'en est que
l'accêssoire, et je ne devois pas croire d'etre trompé
dans mon attente.
Une derniere chose, que je relêverai, c'est le ton
indécent de la conclusion: l'on n'avoit beaucoup parlé
de l'anéantissement de l'Authorité Episcopale et
Evangélique comme si cette authorité etoit de nature
<3v> a etre anéantie, comme s'il dépendoit des puissances du jour
de détruire l'oeuvre de jesuschrist, et de renversér les
promêsses, qu'il a faites a son Eglise! et l'on finit par suppliér
le gouvernement de nous rendre Notre Religion. Les Peres
de l'Eglise demandoient la tolérance aux Princes, ils ne
leur demandoient pas une Réligion, qu'ils n'avoient pas recu
d'eux, et qu'ils auroient voulu leur donnér; Que doivent
pensér nos adversaires en nous voÿants ainsi mandiér notre
Religion a leur porte. pour moi je ne leur ferai jamais
ce plaisir.
voila, Monseigneur, quelques unes de mes reflêxions. je
les aurois comprimées dans mon Ame; mais je scais, que
vous avez eu de la répugnance a signér un ecrit, que vous
trouviez défectueux, mais l'on vous a sollicité, prêssé.
ceux qui vous ont fait violence sont plus coupables sans
doute, que nous, qui nous sommes bornés a vous consulter
encore, avant de laissér allér dans le public un mémoire
que vous aviez pensé retenir. Cependant on nous a fait
un grande crime de ce qui etoit pensé pour le bien, mais
nous aussi nous pouvons dire, que nous avons rempli dans
cette rencontre Notre Conscience. Aureste, Monseigneur
veuillez vous rappeller, que j'insistai depuis longtems auprês
de vous pour esperér une reunion entre les Préposés de
notre Eglise dans le dessein, qu'ils s'entendissent a
<4r> prendre d'un commun accord les mésures necessitées par les
circonstances. l'on nous accusera donc pas de manquér de
zêle: on pourra dire, que ma maniere de voir n'est pas celle
de tout le monde. cela ne me faira point de peîne: car a
défaut de principes l'Expérience prouvera, que tel se
trompe souvent, qui se croit infaillible, et qui craindroit
de laisser changér un jota a ses incorrigibles productions.
Pardonnez, Monseigneur, la longueur de cette lettre, et
veuillez croire, qu'avec toute ma franchise, je ne m'ecarterai
jamais des devoirs, qui m'attachent a mon Evêque.
Berne ce 18. Novembre
1800.
de votre Grandeur
Le tres humble, et tres
obeissant serviteur. Greg: Girard Clier
P.S. En relisant ma lettre, j'ÿ vois, que j'ai mis plus de
chaleur, que je devois, je compte cependant sur mon
pardon en faveur des intentions, qui m'animent: je blame
hautement le Rédacteur du mémoire, je ne le hais pas,
jamais la haine n'approcha de mon coeur.