,
Brouillon de lettre à Johann Kaspar Lavater, [Lausanne], [05 juillet 1777]
Monsieur
Je suis bien sensiblement touchée de la continu=
ation des maux de Md Lav vous ne doutes pas
de la part sincere que j'y prens et des voeux
que je fais pour l'affermissement de sa santé.
La lettre que vous avés reçu de moi Mr etant deja
pour la votre une reponse anticipée a la votre qui vous fait
connoitre exactement ma façon de penser puis=
que je l'avois destinée autant pour vous que pour
mon fils je me contente de vous soufrés que je vous y y renvoie sans
vous fatiguer par la repetition de ce qu'elle contient.
Je me contenterai de repondre ci après a l'un des
articles qui est sans doute l'essentiel de votre lettre
et que j'etois bien eloignée de prevoir
Permettes moi cependant Monsieur de m'entretenir
quelques momens avec vous sur un sujet
aussi interessant pour moi que la situation
actuelle de mon fils. Il est donc bien decidé que
toute sa jeunesse passera sans qu'il se soit
mis en etat de faire ce cours d'etude suivi
et reglé que l'on exige d'un homme qui se
destine a une vocation au dessus des professions
mecaniques et je n'en suis pas surprise, j'esperois
mais foiblement qu'un long repos pourroit lui
rendre cette force de tete inalterable qui s'est
soutenue chès son Pere jusques dans les derniers
instants de sa vie, et que cette difference en=
tre lui et son pere qui ne venoit que de l'education pouvoit disparoitre peu après.
je vois qu'il est toujours dans l'incapacité de s'apliquer
longtems sur un objet lors qu'il n'est pas aidé par l'ima=
gination <1v> ou par la passion et puis que je
me rencontre a cet egard avec vous et Mr
Pfeninguer j'ose avouer contre toutes les idées
reçues que je ne vois pas qu'il y ait un
si grand mal a cela et que je m'en console=
rai aisement. Depuis le moment que j'ai
pris le parti de l'envoier auprès de vous
Monsieur c'est dans l'intention de substituer
l'education de l'exemple a celle de l'etude
et l'Université ou l'on aprens par habitude, la
religion l'ordre la justice le courage la bienfai=
sance m'a paru bien preferable a celles ou
la pedanterie exerce son empire, si Monsieur
de Brenles a eté dans une Université s'il s'est
beaucoup appliqué aux differentes etudes de
Droit c'est parce que dans sa jeunesse il
se destinoit a etre Professeur c'est parce
qu'il faut connoitre lors qu'on se destine a
enseigner la façon dont s'y prennent ceux
qui enseignent c'est parce que lors que l'on
enseigne une science il faut en connoitre
par ordre tous les principes c'est parce que
lors que l'on veut pretend a etre etabli instituteur de
la jeunesse il faut etre en etat de faire
un etalage de son savoir, mais je puis vous assurer
Monsieur que pendant tout le tems que j'ai
vecu avec Mr de Brenles je n'ai jamais vu
que ce savoir lui fut presque d'aucune utilité pour
la pratique, la connoissances des loix de son
<2r> pais (dont toute femme qui a sa maison
a diriger doit s'instruire) celle des livres a
consulter c'est tout ce qu'il lui en falloit;
lors qu'il devoit etre arbitre dans une cause;
si les principes du droit naturel suffisoient pour
en juger, il ne manquoit jamais de me l'exposer,
et quoi que je n'en aie jamais fait aucune etude,
j'avois le bonheur de me rencontrer toujours
dans ses idées. s'il etoit question de suivre la
chicane dans ses detours alors la haine
qu'il lui portoit et son ardent amour pour
la justice lui faisoit surmonter avec le
plaisir le plus vif tous les obstacles. et
dans les cas difficiles il consultoit ses livres
et y puisoit des secours. Non Monsieur ce n'est
pas le savoir seul qui a mis Mr de Brenles
en etat de fournir sur le declin de sa
vie cette belle cariere qui a repandu tant
de satisfaction sur ses derniers jours
ce sont ses grands talens ce sont sur tout
ses vertus, sa candeur sa franchise son ameneté
cette modestie qu'il savoit joindre a l'ascendant
que lui donnoit naturellement sa superiorité
voila ce qui le faisoit cherir si generalement
ce qui la mis en etat de faire tant de sortes
de biens. Mettes vous a ma place Monsieur
veuve de Mr de Brenles et soeur de Mr Chavannes
j'ai deux fils qui se trouvent avoir chacun des dispo=
sitions ressemblantes a celles de ces deux hommes
<2v> n'est il pas bien naturel que je fasse des
voeux ardens pour qu'ils se mettent en etat
de remplir leur place dans l'etat eclesiastique et dans l'etat civil et de jouir de la meme
espece de bonheur celle d'etre recherchés et cheris
de se rendre utile a tout ce qui les environne
et d'avoir pour amis tous les individus de leur patrie
la gloire et la fortune ne sont rien ce me semble
en comparaison de ce bonheur la et par
raport a cette derniere j'avoue que je suis afligée
de voir ches mon fils deux passions aussi contra=
dictoires que celles de la paresse et de l'ambition.
si l'une est insurmontable il faut necessairement
etouffer l'autre sans quoi l'on ne sera jamais
que malheureux; Vous me parlés de Md Necker
et j'ai toujours evité avec le plus grand soin
de la nommer dans mes lettres, je puis bien
vous dire Monsieur que si son elevation m'a
fait le plus grand plaisir je n'ai jamais mis
un moment en ligne de compte l'utilité dont
elle pouvoit etre a mes enfans. S'ils sont
sages rien ne leur manque pour etre heureux
dans leur pais sans son secours et s'ils
ne le sont pas ces secours meme ne pouront
leur etre que funestes. Lors que j'ai placé mon
fils auprès de vous Monsieur mon but a été
n'a pas ete de lui donner les moiens de faire fortune mais
de lui epargner ces malheurs et ces chagrins
afreux qui ont accable la jeunesse de son pere
et qui des le milieu de sa course en ont avancé
le terme sans retour, mais de le faire entrer sans
<3r> peine et sans efforts a l'aide de vos leçons
et de votre exemple dans cette noble cariere qu'ile
avoit commencé trop tard pour son bonheur son pere a rempli et
et celui de son pais
je veux la lui faire commencer plus tot. pour cela cependant il n'y a rien de pressé il faut attendre plus de maturité ce n'est je
point que pour celaveuille ne veux le gener en
aucune façon dans ses etudes je souhaite
qu'il depende par raport a cela de son
gout et des circonstances comme les siennes
et les miennes ne me permettent pas en
aucun tems de m'etendre pour la depense
au dela des bornes que je me suis prescrites
avec Mr Pfeninguer, mon fils peut s'aranger
en consequence je fais deja pour me mettre
en etat de fournir a cette depense la et
aux precedentes des efforts qui me mettent
dans un etat de malaise fort desagre
que je supporte parce qu'il ne doit pas
durer long tems et si je m'impatiente du
retour du cadet c'est egalement pour le
plaisir de le voir et pour celui d'etre un
peu plus au large je ne voudrois pas faire
partager a mes enfans la misere ou je me
suis mise pour eux. Mr Pfeninguer que j'avois
deja mis au fait de cela peut savoir aussi
si vos loix sont les meme que les notres qu'une
mere tutrice a un plein droit sur les revenus
<3v> de la maison mais ne peut en aucune façon
disposer des fonds, et si elle le fait, elle s'expose
a l'humiliation d'etre depossedée de sa tuttelle
par la chambre des orphelins, je pense monsieur
que vous ne voudriés pas me l'attirer et que
vous serés content de moi autant que mon fils
doit l'etre lors que je fais pour lui, meme
au dela de ce qui est moralement possible
Je suis toujours disposée a continuer la meme depense que je fais pour
autant du temps qui
Si j'avois a disposer de 5 a 6000 francs de rente
je vous assure Monsieur que je me ferois un
vrai plaisir de satisfaire le gout de mon jeune
homme il est facheux que ce soit une science qui
ne convienne qu'a de grands seigneurs par la
depense qu'elle ocasione
Vous devés etre Monsieur bien fatigué d'une lettre
aussi longue je l'abregerai en vous assurant
du devouement et de la consideration avec
laquelle j'ai l'honneur detre.
* Et si vous aimes mon fils si vous souhaités qu'il
fasse des progrès dans la phisionomique je me
flate que vous aurés la bonté de permetre qu'il
profite des secours que vous avés emploiés vous
meme et je le recommende a vos bontes a cet
egard comme a tous les autres