,
Brouillon de lettre à Johann Kaspar Lavater, [Lausanne], [05 juillet 1768]
Monsieur
Vous serés peu surpris de recevoir cette lettre
d'une femme inconnue lors que vous saurés
que cette femme vous connoit beaucoup, qu'elle
elle est la femme d'un de vos meilleurs amis
de qui elle partage tous les sentimens et
quelle vous a les plus grandes obligations.
J'ai lu il y a deux ans votre songe en françois
et il fit sur moi l'impression la plus
forte et la plus profonde, je ne suis pas
un Ange et je ne parle pas comme
un Ange mais il faut qu'a mon tour
je vous dise a vous meme Viens et vois
ce que tu as fait! Je fremissois en lisant
et en pensant aux suites que pouvoient
avoir eu des actions qui m'avoient
paru jusqu'alors de la plus minime
consequence et je puis vous assurer Monsieur
que depuis ce tems la j'ai eté autant
que je l'ai pu d'une grande circonspection
dans tout ce que j'ai a dire ou a faire;
si vous m'avés évité des peines vous m'avés
aussi procuré des plaisirs, lors qu'il m'est
arivé de faire quelque petite bonne action
qui a eu des suites heureuse j'ai eu soin
<1v> de me dire avec la plus vive satisfaction
viens et vois ce que tu as fait! dans ce
moment heureux j'envisagerois comme un crime
la plus une legere negligence relativement au plus
petit bien que je vois a faire et on ne
sauroit trop fortifier ches soi une pareille
disposition. J'ai le malheur de ne savoir pas
l'Allemand Md Blaquieres fille de Mr de
Rapin Thoyras a traduit quelques strophes
de votre Ode sur la vie a venir et a eu
la bonté de me les donner j'ai voulu essaier
d'en mettre une en vers et je vois que je
suis restée meme au dessous de la traduction
en prose. Que vous etes heureux Monsieur
d'avoir pour unique passion celle de faire du
bien et de pouvoir a tous momens la satis=
faire! Vous possedés bien des choses que je
vous envie mais il n'y en a qu'une seule dont je
voudrois vous priver et ce n'est surement
pas la plus considerable cependant elle
le seroit beaucoup pour moi, cette chose me
presenteroit a tous momens trois idées
qui ne seroient jamais separées celles de
Mr Lavater de mon Mari et de l'amitié
qui les unit, vous comprenés Monsieur que
c'est le portrait de mon mari l'ouvrage de
votre amitié que je convoite, on dit qu'il est
<2r> tres bon, cette envie de femme me fait
rougir elle est d'une injustice afreuse,
aussi l'ai-je combatue pendant deux ou trois
ans mais enfin l'absence de mon mari
depuis un mois la rend si forte que
je viens vous l'avouer si j'osois vous dire d'en
faire une copie mais cela ne se fait pas si facilement et ce seroit y emploier
des momens trop precieux je ne vois qu'in=
justice et indiscretion dans tout mon procedé
et il faut que ce soit ainsi que je me
presente pour la premiere fois a Mr
Lavater! Soufrés cependant Monsieur que
sans vous avoir jamais vu et par les
sentimens jusqu'à la fin de la ligne biffure distingués que j'ai pour vous
début de la ligne biffure je puisse me dire' honorer
votre bonne du titre de votre amie
de B.