Transcription

Clavel de Brenles [-Chavannes], Etiennette, Lettre à Samuel Clavel de Brenles, Lausanne, 24 décembre 1776

L'epidemie phisionomique a gagné, mon cher Samuel.
Depuis que j'ai feuilleté le livre de Mr Lav. et que j'ai
commencé a examiner des profils j'y trouve beaucoup plus
de choses que je ne croiois, avant cela je regardois les
visages par le coté qu'ils me presentoient le plus ordinaire=
ment et je ne cherchois la phisionomie que dans les yeux
et dans la bouche; très fachée a present de n'avoir jamais
apris a manier le craion j'ai pris mes ciseaux avec
lesquels je fais tous les jours quelque nouvelle phisionomie
connue, quand il m'arive d'etre dans une journée, au lieu
de jouer au loup, je m'amuse a decouper dans ma tete
des visages et je les execute le lendemain, c'est du moins
ainsi que j'en ai fait un dont chacun a reconnu les
traits
et la coeffure quoi que ma poupée fut d'ailleurs contre toutes
les regles de l'art, flatée de ce succès j'ai continué
et je me suis perfectionnée en etudiant la nature.
Je t'envoie la decoupure de ton Papa dont je n'ai pas
le merite puis que je n'ai fait que la calquer sur le
dessin de Mr Piot, tu as les yeux plus fins que moi
et la main plus sure et tu poura perfectioner la lévre
sur le dessin de Mr Lavater, tu en poura faire quelques
silhouettes qui feront plaisir a tes oncles j'y joins quelques
autres decoupures placées dans l'ordre de leur datte
par ou tu jugera de mes progrés la tienne par ou j'ai 
commencé est aussi la moins reconnoissable, tu prendra
le plus grand soin de la jeune figure qui est mon
petit chef doeuvre, et tu ne manquera pas de me 
les renvoier parce que tu recevra par la premiere
occasion des ombres qui vaudront mieux pour toi que
des decoupures, si Mr Lav. ne dedaignoit pas de porter son 
Jugement sur ces petits profils tu le lui demanderoit avant
de lui montrer les dessins que je te prie de lui offrir
de ma part et tu me rendroit compte fidelement de ses images sur dles uns
et dles autres. Il recevra de Md de Corcelles un paquet de
silhouettes avec des questions sur son art dont elle est enchantée
<1v> et qu'elle a beaucoup etudié en cultivant celui de la
peinture. On dit que le jeune Mr de Bottens a un instrument
avec quoi on réduira ces profils tu me fera grand plaisir 
de me rendre aussi exactement que tu pourra ce qu'il aura
dit sur chacun. Ce sont les profils que tu m'as envoié qui
ont commencé a me racomoder avec ce genre quelque
interessée que je sois a ne pas l'aimer parce que j'imagine
le mien fort deplaisant, tu ne saurois concevoir le plaisir
que tu m'as fait en me mettant ainsi un peu dans la
société des aimables personnes avec qui tu vis; J'ai deviné
tout de suitte que l'une etoit la femme de Mr Lav. et je
me suis fort attachée a ces deux dames et a leurs maris
dis moi si Md Pf. n'est pas blonde et si l'on n'est pas
bien heureux de vivre dans une maison aussi bien ordonnée
que la sienne, si tu m'avois laissé un peu appercevoir de ses
sourcils et de ses cils je t'en dirois surement bien davantage
pour Md Lav. c'est une brune avec de beaux yeux et de
grands sourcils bien faits, vous allés bien rire a mes depens
si je me suis trompée, le profil de Mr Pf. confirme bien tout
ce que tu m'en as dit, que serois-ce si je voiois encore ses
yeux et Tout l'ensemble de sa phisionomie.

Tu ne m'as pas surpris en me parlant de G.  comme tu fais
on m'en avoit deja donné la meme idée; peut etre, la
paresse d'esprit et l'envie de primer lui on fait rechercher
la mauvaise compagnie plutot que la bonne, et que c'est
avec celle là qu'il a pris cette habitude de conversation
triviale si differente de ces charmans ouvrages qu'il
compose lors qu'il est seul avec la nature, informe
toi je t'en conjure et tache d'aprendre les causes
de cette disparate dont je suis fort curieuse.

J'espere, mon cher ami, qu'une autre fois tu m'envoiera
un compte moins considerable, et beaucoup plus exact
que celui que j'ai reçu; ne manque jamais de dater
exactement a mesure chaque petite partie de ta depense
il est tres essentiel de s'acoutumer a cet ordre là qui
coute fort peu; quoi que j'aie eté tres frappée de ce
<2r> que tu as detourné a d'autres usages sans m'en rien dire
l'argent que j'avois envoié en partie pour paier ta pension,
je ne saurois critiquer les articles les plus considerables de
ton compte qui sont les voiages, tu les as fait en si bonne
compagnie que je les mets au rang des depenses necessaires;
il y a seulement un louis ou deux de depenses mauvaises
ou inutile qu'il faudra reformer dans la suite si tu est sage
et si tu veux me faire plaisir, je veux dire ce qui concerne
les pipes, le tabac, les libraires et les estampes de mauvais
gout, (pour celles qui sont bonnes elles sont si cheres et cela
mene si loin qu'il faut bien se garder de donner dans cette
fantaisie quand on n'est pas riche); je crois fort inutile
de répeter ce que je t'ai deja dit sur cette degoutante
habitude du tabac que je déteste, et pour les boutiques de
librairies, si elles ne sont pas mieux fournies a Zurich qu'a
Lausanne, elles le feront consumer en inutilités, pour ne
rien dire de plus, le tems le plus precieux de ta vie,
pendant que tes talens et ton gout pour les arts peuvent
te procurer les delassemens les plus agreables après tes
occupations essentielles. Mon frere a emprunté pour moi
25 Louis que j'envoierai demain par le coche si je ne
les joins pas a cette lettre; j'aurai l'honneur d'en ecrire
un mot à Mr Pfeninguer qui en retiendra 15 pour six
mois de ta pension, il emploiera les 10 autres a paier
tout ce que tu dois et te remettre le reste, tu m'envoiera
du tout un compte detaillé. Par le compte que j'ai
fait de l'année il se trouve que je suis a la recule
de 1600 francs tant par cet emprunt que par les capitaux
que j'ai reçu; quelques depenses de cette année qui ne revien=
dront pas me rassurent un peu, et me font esperer que
j'aprocherai davantage les années suivantes de nouer les
deux bouts, dans ce cas cette breche pouroit encore se
réparer avec le temps, mais si cela alloit toujours du
meme train les choses iroient bien mal, et nous
mangerions en herbe ce qui doit servir a la subsistance
de cette femme et de ces jeunes enfans que Mr Lavater
doit venir voir un jour; je fais de mon coté tout ce
<2v> que je puis pour empecher cette ruine, mais il faut
aussi a present m'aider du tien en retranchant
toute inutilité; la leçon d'armes p. ex. peut se
réformer, tu dois etre expert en cet art, et si
tu donne a copier ta musique tu as grand tort
il faut la copier toi même; on trouve toujours assés
de tems pour tout lors que l'on sait faire un
juste melange de ses occupations. Le bon Dieu
veuille te benir mon tres cher fils je t'embrasse
bien tendrement

Lausanne 24 xbre 1776.

Les dessins que je voulois t'envoier non plus que
les ombres ne sont pas encore prets ainsi
je me contenterai de renfermer le groupe de
25 louis dans la lettre de Mr Pfeninguer

tu as mille amitiés de tes oncles.

Note

  Public

Transcription réalisée dans le cadre de l'étude de B. Lovis, "La réception de Lavater à Lausanne à travers la correspondance d'Etiennette et Samuel Clavel de Brenles", xviii.ch, n° 11, 2020, p. 86-105.

Etendue
intégrale
Citer comme
Clavel de Brenles [-Chavannes], Etiennette, Lettre à Samuel Clavel de Brenles, Lausanne, 24 décembre 1776, cote ACV PP 1055/6. Selon la transcription établie par Béatrice Lovis pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1204/, version du 11.11.2020.
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