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Lettre à Frédéric de Sacconay, Sauveboeuf, 14 août 1745
de saulveboeuf ce 14e aoust 1745
vous scavès mon cher saconay que je ne vous gêne point sur la
distance de vos lettres, toujours charmé quand je puis causer
avec vous, quand a moy une habitude contractèe mème avec gens
qui m'intèrèssent infiniment moins moy que toy fait que je reponds
aux lettres peu après les avoir reçues, cepandant je ne me
serois point tant haté de rèpondre a la tienne du 2e de ce mois
si n'avoit èté la nouvelle que tu me donnes, que le petit ouvrage
intitulé voyage de provence et de languedoc va paroitre a genéve
après 5 ans de repos qu'avoit eu ce pauvre manuscrit nous ne
pouvions nous attendre a le voir paroitre en hollande, et dèfiguré
dieu scait comment, comme ce morceau avoit beaucoup de rèputation
cette furtive et misèrable èdition se répandit très rapidement en france
nous étions ensemble le franc et moy, le mois d'avril dernier, lorsque
il luy en arriva un exemplaire, dieu scait ce qu'il devint en voyant
ce pauvre ouvrage devancé par la plus puante des préfaces
dèfiguré ridiculement dans le texte et enrichy de notes detestables
et capables de luy faire un grand tort, et de donner prise a ses envieuses
vermine, qui poursuivra toujours les talents supérieurs; pour
te donner quelques exemples de ce genre d'assasinat en voicy deux
<1v> l'article d'avignon dans la 1ere partie article d'une plaisanterie suivie
finit par ces trois vers; et qu'un bon ordre de police
mit touts les conteurs ennuyeux
dans les prisons du st office
a ce mot le notateur, dit, cest le 4 caractères biffure dètestable tribunal de l'inquisition
que les françois sont heureux de ne le pas connoitre, juge si cest la
le ton d'un honnete homme et mème d'un homme qui a des mènagements
a garder, cepandant comme tout magistrat qui a de la science et des
sentiments, obligé par ètat a s'oposer aux entreprises continuelles
de la hyérarchie ecclèssiastique, est regardé par les partisans de la
cour de rome comme un séditieux a cet egard, il peut se trouver
des sots et des mèchants qui attribuent de pareils sentiments au principal
autheur de ce morceau et qui pensent y retrouver ses idées; voila pour
le malin, voicy pour le plat; en parlant d'ollioules ce fut la
comme cent plumes l'ont ècrit
que la pènitente aux stigmates
régala les nonains beates
des beaux miracles qu'elle aprit,
dans ce mètier qui fut son maitre
point n'importe de le connoitre
l'ingénieux èditeur a substitué a l'avant dernier vers celuy cy de ce
nattier qui fut son maitre et pour donner l'intelligence du mot de
nattier il en fait dans une longue notte un dérivé du mot de natte
qui servoit de couche aux pènitents &c... cette èdition est farcie de
sottises de cette espèce, vous jugès qu'elle ne mit pas de bonne humeur
mon amy, pour moy que le mènage a accoutumé a prendre le mal
en patience et souvent en riant, je calmay sa fureur, et le détermina
a en donner promptement une èdition a paris et une a toulouse
ou il détruisit cette malheureuse rapsodie, il le fit très promptement
et les libraires de france nous ont sacrifié la plupart des exemplaires
qu'ils en avoient; je vous prie donc mon cher amy, sil en est
temps encore, de prevenir le libraire de genève, et de scavoir si cest
sur l'èdition de hollande ou sur celle de france qu'il prètend faire la sienne
si c'etoit sur la pre empeschès l'en pour son propre avantage et
aussitost que vous me l'aurès mandé je luy en feray tenir un exemplaire
<2r> de toulouse, et vous nous rendrès un grand service. pour passer tout
de suitte ce qui regarde la littèrature je dois rèpondre a ce que tu me
demandes a cet ègard; mon art de la guerre est finy il y a tantost deux
ans mais je le retouche toujours depuis et y fais de très grands changem=
ents, je donne a cela et a la lecture tout le temps que me laissent
mes affaires, mes nombreuses correspondances, et les attentions de societé
et de mènage, moyennant quoy je fais peu ou point de morceaux detaches
que tu me demandes, 5 ou 6 depuis ceux que tu as composent le tout, je
t'ay dèja mandé que je n'avois pu me dispenser ainsy que plusieurs
autres qui valent mieux que moy, d'en livrer quelques uns aux nouveaux
autheurs du mercure, tu verras dans un labaiser que tu as, une ode
dans un autre, qui commence ciel de ma cendre rallumèe une ode
intitulée ode a la vezére une a ma femme une enfin dont le
premier vers est venès nimphes meonides, voila tout ce qui est
de moy dans ce rapsodique journal et que je n'ay 1 mot biffure refuser au
petit la bruère et a son patron
tu t'èmerveilles d'un procès mon cher amy, j'en ay gagné cet èté deux
en provence, jy en ay deux autres pendants, trois au parlement de
bordeaux, un a brives en 1ere instance, et un au parlement de paris
et si suis je connu pour l'homme de france le moins plaideur, et que
seroit ce donc si tu devois succèder a une belle mère qui commence
tout et ne finit rien, je luy connois 80 instances a un seul tribunal
en attendant je méne tout cela de ma chaise, et tu peux voir sur la
carte que les lieux que je te nomme ne sont pas voisins, je fais plus
je suis tranquille et gay ayant de plus que toy un ménage fort
difficile a harmoniser et des aff biens èpars s'il en fut jamais jusqu’à la fin de la ligne dommage
busé de la manie de vivre despèrance je jouis de chaqjusqu’à la fin de la ligne dommage
de chaque moment ou je n'ay pas mal aux dents, et jejusqu’à la fin de la ligne dommage
dans mon cabinet sortant de me facher sur lescalier. jay depuis un
an des ouvriers qui me ruinent et m'ennuyent, car l'industrie de ce paÿs
cy est fort ennuyeuse, mais au moins rien ne sy fait de par le roy, cest a
dire de par l'injustice; le bien va lentement mais il arrive enfin et
l'on ne travaille que pour cela chose encore qui n'est point dans les
affaires publiques; en un mot je me suis fait une belle cage de
cabinet, terrasse, serre, voliere, force fleurs que je rassemble sans
<2v> distinction, seulement pour en avoir en toutes saisons des vases et carafes
garnies dans mon cabinet, cela joint aux autres attributs de cette maison
et de ce paÿs dont autrefois je te fis le dènombrement, fait en bloc que
je ne vois jamais finir un jour sans songer avec joye au lendemain
ce n'est pas que je ne scache bien m'en tirer quand je le devray et pourray
mais en attendant je ne vis point sans sentir le prix d'etre presque seul
en repos dans ces temps d'agitation; jay presque dèrobè le bel attribut
de dieu dans le prophète omnia a te expectant ut des illis escam
escam in tempore; je ne dis point cela au sujet de tout le peuple que
j'alimente, tant en haut qu'en bas, mais en entrant dans mon musee
la petite chatte que jy nourris pour garde cote, contre les descentes
des rats, me demande sa pature, mes deux tourterelles ses bonnes amies
me font a peu près le méme accueil, mes oiseaux sont a coté, je sors
sur ma terrasse ou mes gros pigeons patus, viennent manger entre
mes jambes et la volaille attend en bas les miettes qui tombent de la
table, ce sont de ces bonheurs que tout le monde peut se faire et que
personne ne se fait.
continuès mon cher amy a sentir votre bonheur, et a oposer aux malheurs
la rèsignation au grand ordre, aidès moy a suivre ce sistème comme vous
m'avès aidé a le penser, que pouvons nous imaginer de plus heureux qu'un
homme a qui tout prospère selon ses souhaits, si ce n'est celuy qui
souhaite selon que tout prospère; jay souhaité une fille du moment
que je l'ay eue, elle est vrayment belle, et sa mère sen portoit six jours
après comme de rien. adieu mon très cher amy, pardon de mon long
verbiage, tu as mille compliments d'icy, et j'offre autant de respects
a tes dames.