Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Sauveboeuf, 30 janvier 1745

de saulveboeuf ce 30 janvier 1745

je te fais mon compliment bien sincère mon cher amy sur l'heur=
euse delivrance de ta femme et la naissance de ton enfant, qui t'au=
roit dit l'annèe passèe dans ce temps cy quand tu languissois auprès
de ta maitresse, dans un an d'icy tu luy auras fait un enfant, t'au=
roit fait bien aise, eh bien mon cher amy, remets toy a ce temps
pour te 1 mot biffure réveiller de la lassitude s'il en est, pour etre ravy
comme le mérite ton bonheur, pourquoy sommes nous naturellement
si industrieux a nous rendre malheureux et si peu a nous rendre
heureux, quoyqu'il en soit que cet enfant puisse un jour fermer les
yeux a ta mère qu'il puisse après tavoir donné des petits fils et
arriére petits fils, recevoir ta bènèdiction et la faire passer a sa
postérité, qu'il marche dans la voye du seigneur depuis lenfance jusques
a son dernier jour, et que son dernier instant soit aussy seraein que
celuy d'un beau jour, tel doit etre notre but mon cher amy en mettant
nos enfants au monde et en les y armant des secours de lèducation
mais sur ce je pourrois recevoir tes leçons et non t'en faire, qu'il
te suffise, que je souhaite a ton enfant tout ce que je souhaite aux
miens, ainsy qua toy ce que je voudrois pour moy mème, ne parlons
plus de travail &c, javoue que cela paroit bien rude, et que mème
sans amour on a besoin pour tenir a ce spectacle de scavoir que
<1v> cest un mal général, naturel, et qui fait la bénédiction du mariage
pour y tenir; encore mon épreuve a moy ne dura t'elle que deux
heures et la tienne a eté bien longue, je te loue d'avoir tenu 1 mot biffure sur
toy ta chère femme, je payay d'un bel habit celuy qui rendit ce
service a la mienne, mais passons je te parle icy de douleurs que
ta femme se met deja depuis plusieurs jours en devoir de mériter
et quelle a consèquemment oublié, heureux peuple, vous consultès
l'inclination, du moins dans quelques uns de vos mariages, votre vertu
vous attire la faveur du ciel et vous mèritès d'etre le seul heureux
au milieu des malheurs de tout genre qui accablent le reste de
leurope, vous ne scavès ce que cest que corvèes, milices, classes,
gardes cotes, &c vous ne voyès point trainer vos compatriotes en
prison comme collecteurs d'impots qu'ils ne scauroient retirer mème en
enlevant le chaudron, l'habit, et la couverture du misèrable, vous
ne voyès point marcher des milices les fers aux pieds et aux mains
en un mot des malheureux de tant despèce qu'on a peine a le
croire mème en le voyant; jouissès de votre bonheur et tachès de
fermer l'entrèe a la cupidité. je ne puis te répeter mon cher amy dans
le mèmoire que tu me demandes que ce que je t'ay dèja demandé
je voudrois d'icy a deux ans, un homme doux et patient pour mettre
auprès de mes enfants, s'il pouvoit etre scavant ce ne seroit que
mieux, rares sont les hommes vertueux sans connoissances, sinon
qu'il ait au moins une éducation qui ne le fasse trouver dèplacé
<2r> nulle part, qu'il ait de la religion et soit dans la communion
romaine, qu'il soit discret et froit, homme d'authorite, nulle vanité et ayant de
l'élévation dans l'ame, jauray dailleurs les rèpètiteurs et maitres
nécessaires, et jay un homme sur qui ne connoitra que luy, pour
suivre les enfants dans leurs courses et promenades d'enfance et
soulager le gouverneur, je donneray comme de droit ma table, ou
celle de mes enfants si le gouvèrn je ne juge pas a propos de les faire
manger avec moy du reste je laisse la carte blanche pour le prix
et les conditions

voila mon cher amy, ce que je vous ay dèja ècrit et ce que je puis
vous mander encore, quand je vous ay prié de chercher cet homme
ce n'est pas que je conte que cela se puisse trouver aisèment, mais
en s'informant en plusieurs endroits le bonheur peut nous en
vouloir, adieu mon cher amy, vous ne scauriès etre plus heureux
que je vous le desire vous et les votres cette annèe et toujours
mille respects a vos dames, celles dicy, vous font mille compliments
a touts et moy je t'embrasse mon cher amy

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Sauveboeuf, 30 janvier 1745, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/117/, version du 06.06.2013.
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