Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, [s.l.], 18 janvier 1793

Le 18 Janvier 1793

Cher et bon ami!

Votre Lettre de 9bre m'est parvenue en son tems mais au milieu du
plaisir que j'ai éprouvé à sa lecture, je ne vous cacherai pas que
la première pâge m'a vivement affecté. 2 mots biffure àA ce qu'il
paroit on àa travaillé à nous brouiller, en calomniant auprès de vous,
mes Sentimens et ma Conduite
. Ignorant ce qui peut vous avoir été
dit ou écrit, et ne pouvant me faire d'autre reprôche que celui d'avoir
obligé en ma vie plusieurs Ingrats j'attendrai que vous m'ayez fait part
des Faits ou Dire d'après lesquels vous me jugés. Faites me les parvenir par
le Canal du Châtelain de l'Ile, dont le frère voudra bien me les envoyer depuis l'Angleterre.
Si vous desirés savoir la Vérité, vous l'apprendrés; mais si vous préférés que je garde
le Silence, j'y suis aussi tout dispôsé; car pourvû que je paroisse toujours le même à
vos yeux, et que vôtre amitié n'ait pas varié à mon égard peu m'importe le reste!

Vous devez sentir, mon bon ami, que je dois juger mieux ici de ce qui me convient en étant 1 mot biffure ici, que ceux
qui sont à 600 lieues. Ne pouvant être que fort peu répandu, il est juste que je fasse un
Choix, et vous conviendrés avec moi, qu'il doit avoir pour bâse la Sureté et la facilité
du Comerce. Les Ecôles que j'ai faites par trop de facilité, de condescendance &c. m'ont appris
à éviter les Médisans, les Envieux, les Intrigans, et tous les homes à double face. Plus que
vous ne pouvés le croire, j'ai été liant et souple; mais c'est l'expérience qui m'a
rendu plus difficile et plus défiant. J'ai rendu service à plusieurs Compatriotes, lors=
que je l'ai pu, tant par mes recomandations que de ma bourse: quelques uns même
me doivent leur fortune, et il n'y a que la Calomnie la plus 1 mots biffure qui puisse
m'accuser du contraire. Prenés garde qu'on ne vous trompe: Monod, vous me
connoissez; vous faut-il quelque chose de plus? Certainement je suis toujours le même.

La Place pour laquelle je vous écrivois, est occupée par Mlle Fasnacht, à qui Mlle vôtre
Cousine l'a procurée. Je vous remercie beaucoup des peines que vous voulez bien vous
donner rélativement à nos affaires avec De Morsier. Dès que vous aurés conclu quelque chose
faites moi le plaisir de me le demander, afin que je puisse de tout de suite m'acquiter.
J'espêre, que contre un intérêt légitime, il voudra bien permettre des remboursemens
partiels, que mes Revenus actuels ne me permettant pas de rembourser tout à la fois les
200 Louis. Vous me demandés coment je m'arrange pour mon argent! mon
bon ami! je n'ai pas cet embarras. Mes appointemens joints à la petite pension
de ma feme, consistant en 600 R. suffisent à me faire vivre décement, sans qu'au bout de l'année
il me reste audelà de 100 R. Quoique Millionaire le Père mon beaupère tient à son
Coffre fort, et la Dot qu'il donne à ses fils ou filles ne consiste qu'en 15000 R. dont 5000
pour le Trousseau &c. et 10000 en Argent qu'on peut laisser chez lui ou retirer à volonté.
Lorsque l'horizon ne sera plus aussi orageux, je chercherai à placer ce Capital en fonds
de terre pour la Sureté de ma feme, et peut être que je pourrai y joindre
un autre Capital, après avoir terminé mes travaux, à moins qu'il ne m'arrive
ce qu'Anaxagore éprouva de la part de Périclès. L'idée que vous m'avez
fournie sur le placement de mon argent futur, m'a fort amusé, mais il est difficile
qu'elle se réalise 1 mot biffure rélativement à moi. Quant à l'Epoque de mon retour, il me
seroit impossible de la fixer puis qu'elle dépend de futurs Contin=
gens, et surtout de la manière dont j'aurai été traité: il n'est pour=
tant guêres probâble qu'elle soit plus éloignée que 3 ans, et certai=
nement cette Période sera la plus longue de ma vie, à en juger par
l'impatience qui me saisit toutes les fois que j'y pense. Je connois Mr
J. je l'ai même invité à venir me voir, mais ses occupations, les miennes
et d'autres motifs que je soupçonne vâguement, ont jusqu'ici été des obstâcles
à notre fréquentation. Chacun en dit du Bien, et je ne puis que jo me joindre
à la voix publique. Mes occupations sont très accumulées dans ce moment
parceque je dois recombiner, ce que j'avois précédement combiné d'une manière
différente. Mes Plans ont été traversés si inopinément, qu'il ne m'est plus
<1v> possible d'espêrer la même réussite, ce qui
m'affecte plus que de raison. L'ouvrâge que
j'avois entrepris sur le Droit naturel
en a reçu une nouvelle interruption et
peutêtre ne l'achêverai-je qu'après
avoir obtenu l'otium cum dignitate,
peutêtre que j'attendrai raram tempo=
rum felicitatem, ubi sentire quae
velis, et quae sentias dicere licet.

En attendant je puis vous dire avec vérité
que l'Ainé me procure souvent de l'affec
la Satisfaction. 1 mot biffure Il a beaucoup
de Sens, de la Sagacité, une judiciai=
re saine, et l'Ame honnête. Tout
ce qui étoit en mon pouvoir, je l'ai fait
pour qu'un jour il n'oublie pas ce
qu'il doit à ses semblâbles, et je suis
assuré que s'il l'oublioit, ce ne pour=
roit être qu'après avoir perdu tout
Souvenir de moi. Encore peu de
mois, et je devrai l'abandonner
à sa propre expérience: puisse t-=
il ne pas succomber! c'est ce
que je souhaite 1 mot biffure et ce que
je n'ôse pourtant espérer. Quoiqu'il
en soit, mon Ami, j'aurai rempli
ma tâche, en home d'honeur, sans
<2r> que mes Principes ayent plié fléchi
devant les Conjonctures, sans que
mon Courâge ait été atterré par la
Tempête. Un jour je pourrai dire:
Et moi aussi j'ôsai me conduire
en home libre, 3 mots biffure grande
1 mot biffure
et moi aussi je marchai
à la Vérité, malgré les Clameurs de
la Méchanceté et de l'Envie.

Je vis très heureux avec ma feme
qui se fait une vraye fête de
connoitre mon ami, sa Compagne
et tous les Siens. Vous comprenés
aureste que ce ne sera point à
Morges, à moins de Circontances
très improbâbles, mais dans le
voisinâge. Il me faudra aumoins
une bonne année de repos, pour me
remettre: qu'entreprendrai-je en=
suite? Vraiment c'est là ce que
j'ignore: Seulement il me seroit
difficile d'être inactif au milieu
de tant de mouvemens. J'ai
reçu d'agréables nouvelles de mon Cousin.
Le Marin et moi avons fait la paix: il se
marie avec la fille d'un Amiral. Mes
respects à votre Parenté, surtout à Me votre
Epouse, j'embrasse vos deux Enfans, ma feme
se joint à moi, et je vous serre dans mes
bras. Adieu. Votre Ami Del'Harpe.

J'ai vu hier Mlle votre Cousine bien portante.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Monod Docteur ès droits
et Assesseur baillival
à Morges Canton de Berne
En Suisse 


Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, [s.l.], 18 janvier 1793, cote BCUL IS 1918/H33, 138. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1119/, version du 20.05.2019.
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