Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Marseille, 13 mai 1744

de marseille ce 13e may 1744

je ne t'ay point écrit depuis que tu es heureux mon cher saconay
cela te paroitra bien singulier, mais en honneur je n'ay pas
reçu ta premiere lettre par laquelle tu m'en donnois avis et
quand a la seconde un petit voyage m'en a fait retarder la
rèponce jusques a prèsent. te voila donc mon cher amy dans
l'etat le plus heureux de la vie, qui est un mènage bien assorty
tu est fortuné de tout point, ta femme t'aime, elle entre dans
une maison ou tout respire l'ordre et la vertu, tu vis dans le paÿs
le plus heureux de l'univers, puisse tu avoir bientost des enfants
dignes de toy; l'éducation ne t'en sera pas penible, ils n'ont presque
dans ton paÿs que de bons exemples a imiter et de bons principes
a prendre, il en sera tout autrement pour les miens, la corruption
les environnera de partout, et la mollesse et l'indècence, et lesprit
d'indèpendance passès dans les moeurs et dans les usages, et dont les
familles les plus règlèes ne peuvent se garentir, etouffe dabord dans
notre jeunesse touts les principes du bien, et font germer toutes les
mauvaises inclinations, le retrecissement des ames et des esprits, suitte
de notre gouvernement, est encore une des pestes de la jeunesse
<1v> car de mème que les rossignols fils chantent comme les rossignols
pères, quand ils sont élevès dans les bois quoyque de leur nature
ils soyent propres a toute sorte de modulations, de mème, des pères
et des maitres avilis, retrécis, ne peuvent former que de pareils élèves
vous autres vous vous accoutumès a fixer le grand partout est ce
du coté politique, la justice, ce qui fait le bonheur des peuples, l'accroi=
ssement des villes, leur propreté la santé, 2 caractères biffure les forces de l'état,
sa considèration, ses alliès, ses intèrèts, tout est du ressort d'un rèpublicain
se tourne t'il vers le simple, accoutumé a prendre chaque chose dans son
principe, il suit partout cette méthode, il aprofondit et connoit l'agric=
ulture, il èpuise les arts, il raisonne l'histoire, tout cela est grand
tout cela étend l'ame, nous au contraire l'intèrest du courant enporte
tout le temps et ce courant n'est souvent rien, le tourbillon va si vite
que personne ny peut vivre que du jour a la journèe il faut pouvoir
parler de tout
vous disent communément des sots eh bourreau aprends
a te taire de tout, qu'arrive t'il de la, l'on ne scait rien et par une suitte
naturelle de lignorance on croit tout scavoir, aveuglement qui est le
plus prompt simptome du rètrècissement de lame, dès lors l'on nest plus
susceptible que de petitesses, il faut faire comme les autres, il faut laisser
le corps et courir après l'ombre, trop foibles pour nous 1 caractère biffure èlever au grand
nous sommes trop petits et trop vains pour nous attacher au simple
nous mèprisons, la noble et sage agriculture, nous èffleurons les arts
nous voulons des prècis de lhistoire comme des contes de nos maitres
d'hotel, que sommes nous au bout, de l'imagination et puis rien. cest
de ce colifichètisme contagieux que je voudrois garentir mes enfants
autant que de l'abrutissement, 1 mot biffure je sens qu'il faut pour
<2r> cela une èducation forte et male, dont l'ècucation domestique n'est
nullement susceptible surtout a un certain age, les anciens qui ont
traité cette matière se sont touts dèterminés pour l'èducation publique
mais cest la le difficile, les jésuites qui ont fait tomber toutes les universités
autrefois si recomandables, se sont conformès politiquement au gout
dominant, leurs collèges des provinces ne sont de nulle force, et celuy de
paris est une école de mondanités et de mauvaises moeurs, théatres, parures,
danses, musique, délassements si l'on veut des hommes faits, mais poison
de la jeunesse sont ce que l'on y cultive presque uniquement, l'université
de paris ou la sagesse s'ètoit conservèe tombe absolument, si j'ètois de
mème 1 mot biffure créance que toy, j'enverrois mes enfants a celle d'oxfort
depuis six ans jusques a 22 mais cela ne se peut, au fait je me
console en disant que dieu qui m'a placé icy, veut que je fasse de
mon mieux et se charge après du reste; tu ne seras pas faché de
me voir si raproché de ton leibnitz, je ne l'ay pas lu, mais je pense
quand au fonds, que faire comme l'homme pouvant tout, et se confier
a dieu comme l'homme ne pouvant rien est et doit ètre la baze de
toutes les maisons, et le principe fondamental de ceux qui en sont les chefs
tu ne me trouveras pas de ton avis sur la reserve de ton beau père, dailleurs
honnete homme, je ne connois de malheur que d'en avoir un le plus
bassement malhonnete homme du royaume et de l'europe. adieu
mon cher amy, ma femme et ma mère t'ècrivent ainsy je n'ay qu'a
t'embrasser ècrivant dailleurs a Me ta mère

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Marseille, 13 mai 1744, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/111/, version du 10.06.2013.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.