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Lettre à Henri Monod, [s.l.], 17 avril 1788
Le 17e Avril 1788 et partie seulement le 21.
Enfin je l'ai reçue il y a 2 jours cette lettre du 14e Mars que j'attendois inutilement
depuis tant de mois, et grâces au Ciel vous êtes rétabli et bien
portant: Nec Dies amicum est, nec mihi, te prius obire
meanem grande decus, columenque rerum. Ah te mea si partem
animae rapit maturior vis, quid moror altera, nec canes
aeque, nec superstes integer? ille dies utramque ducet rui=
nam. Telle est l'expression mon bon ami des sentimens qui
m'ont agité en lisant votre lettre. Il m'est impossible de
vous 1 mot recouvrement exprimer l'émotion qu'elle m'a causé, et dans ce moment mon
coeur se serre encore à la vue du danger que vous avés couru,
des inquiétudes que vous avés éprouvées et de la confiance
que vous aviés en votre ami: Ah oui je le suis, mais puissai
je n'être jamais dans le cas de vous en donner d'aussi tristes
preuves!
La peinture que vous me faites de votre Situation, la
description de votre genre de vie, le tableau de votre félicité,
domestique voilà ce qui a chassé ces idées lugubres. Je
me suis établi dans l'appartement que vous me reservés,
je cause avec vous près du feu, sous le noyer des Gonelles, ou
sur le banc de belle vue; nous parlons de ce que nous
avons vu et éprouvé depuis notre Séparation, et je
vous étonne souvent par des récits si opposés à ce qui
vous est connu que jesi vous ne connoissiés pas votre ami, vous
douteriés de la vérité de cses paroles. Combien oh! combien
nous aurons de choses à nous dire et à nous comuniquer!
mais combien de tems doit-il encore s'écouler jusqu'à ce
<1v> que cela se fasse? Sans doute voilà déjà 6 années d'écoulées
et après 6 autres je serai sur près de ma délivrance, cepen=
dant je vous l'avouerai ces 6 années ne me paroissent
pas avoir duré bien longtems, et je vous en dirai la raison:
c'est que des traverses de toute espèce ont empoisoné
5 d'entr'elles, aulieu que vos Souvenirs mon cher Monod
portent sur des jouïssances réelles, sur des plaisirs vrais
et entremêlés de peu de soucis et de peines; or celles ci font
des impressions plus durables et l'on oublie bien plus
facilement le plaisir que la douleur le chagrin. Depuis
5 années, je ne puis pas dire, en vérité d'avoir passé vu 3 jours sereins, excepté peut être
3 jours 1 mot biffure
pendant mon voyage de Moscou, et tel est du plus
au moins le cas de tous les étrangers qui ont apporté plus
de sensibilité que le pays n'en comporte, ou des principes
qui n'y peuvent pas prospérer. Quant à ce que Mr Mr Ador ne connoit nullement l'état
Ador a pu vous dire
de mes affaires: seulement il m'entendit parler il y a
3 ans de la détresse dans laquelle je m'étois trouvé, et 1 mot biffure come
j'en parlais avec chaleur, il ne lui fut pas difficile d'en
conclure que j'étois mécontent; mais je ne lui ai fait aucunes
confidences rélativement à cet objet. Je lui tiens un grand
compte de vous avoir fait une visitte, et m'impatiente de
pouvoir un peu causer avec lui de vous, et des votres.
<2r> Il est assez comun ici, que de voir les étrangers s'entretenir
du pays &c. c'est même un Sujet ordinaire de conversations,
1 mot recouvrement auquel on est du plus au moins forcé d'ye prendre quelque part,
et come le plus grand nombre a des griefs à rapporter,
le genre de ces sortes d'Entretiens est prèsque toujours saty=
rique. J'ai évité neanmoins dès mon arrivée d'y prendre une part
active, et si je le fais ce n'est qu'en un petit nombre
d'occasions, et ou lorsque je suis avec quelques personnes
sures. Je me suis 1 mot biffure maudit il est vrai, non pas une,
mais mille fois, d'avoir pris la résolution de vivre dans
passer dans le Nord les 12 ou 14 plus belles années de
ma vie; cependant cela n'a point influé sur mes
occupations, et lors même que j'avois les sujets de plainte
les mieux fondés, lorsque j'étois obligé de manger une
croute de pain pour mon diné faute de pouvoir le
payer, lorsque je prenois la montre que vous m'avés donée
pour l'envoyer au Lombard: lorsque je buvois à longs
traits la coupe des humiliations, j'étois à mes affaires
avec autant de zèle et d'application que si j'eusse
eu le coeur content 1 mot biffure et la tête libre. jusqu'à la fin de la ligne biffure Je hais le clabaudage,
pays il 1 mot biffure malheur ni 1 mot biffure
les comérages et tout ce qui y ressemble: et jamais
(autant qu'il me semble du moins) je ne fronde le pays
ses usages ou ses moeurs en présence des habitans; et cela
est si vrai que je suis peut être l'un des étrangers les
<2v> plus généralement aimés; mais il est des momens où
la 1 mot biffure patience échape, et c'est alors que je vous écris je me soulage alors avec
des lamentations et que je et que
un petit nombre d'Individus sur lesquels je peux compter, et
en épanchant mon coeur au sein du vôtre. Avec une sensibili=
té extrême j'ai pourtant assez de force encore pour penser, écrire travailler agir
de sang 1 mot biffure froid; or si ma conduite ne porte point l'empreinte
souffre pas de cette sensibilité excessive, ai je réelle=
ment quelques reproches à me faire? Je vous ouvre mon
coeur Monod, a fin que vous y lisiés l'es impressions qu'il
ressent dans différentes circonstances, et quand je me suis
satisfait, le fardeau est deja prèsqu'entièrement enlevé.
Voilà mon cher ami! ce que je voulois vous dire sur ce point, afin
que de vous rassurer sur ma conduite en vous convainquant
que je ne suis ni un atrabilaire, ni un Frondeur im=
prudent. Je dirai plus j'ai lieu de me louer beaucoup et
du Pays et de ses habitans: ce n'est pas leur faute et la
mienne, si les moeurs, et les usages ne conviennent pas mieux
à mes principes, à mon caractère, et à l'éducation que j'ai
recue; aussi tout en étant persuadé que de tous les pays du
monde celui où je vis étoit le moins assorti à ma personne, constitution physique et morale je conserve de la
depuis le début de la ligne biffure
reconnoissance pour l'accueil qu'on m'y a fait, et il ne
me sera point indifférent, même après l'avoir quitté.
Je vous rends bien des grâces pour le zèle que vous avés mis à l'affaire
de Mr Dum... Quoique je lui pardonne volontiers, je n'ai
point été fâché qu'il ait sçu que j ses menées ne m'avoient
<3r> pas échapé. Sa défaite me donneroit seule de violens soupçons,
quand je n'aurois pas des preuves indubitables de la verité, et s'il
étoit possible d'être vraiment humilié pour avoir été la
dupe de son bon coeur dans la position où je me suis vu à son
égard, je le serois; car il m'a joué. 2 mots biffure Il étoit
poussé par des personnes qui cherchent à environner.....
de leurs créatures 1 mot biffure ces personnes n'ont et qui n'ayant jamais pu
me gâgner, et que je me suis 1 mot biffure éloigné d'elles, elles auroient
bien dumoins voulu me faire sauter, et la chose n'eut pas été bien
difficile 1° parceque je n'étois pas encore ancré 2° parceque
j'étois mécontent 3° parcequ'ils eut été facile de en me poussant
à bout de me faire prendre un parti extrême, 4° parcequ'ayant
un Substitut tout trouvé ma place ne démission eut été aussitôt
acceptée que donnée. La vanité du personnage, un
Sermon mal adroit sur l'Egoïsme et qui fut critiqué 1 mot biffure rudement
par un très grand Seigneur qu'on avoit chargé d'y assister, 1 mot biffure et quelques autres choses
1 mot biffure détruisirent ses espérances et celles de ses patrons, qui s'imaginent
sans doute encore que j'ignore leurs intrigues. J'eusse été fâché alors
d'être supplanté avant d'être parfaitement connu; aujour=
d'hui ce seroit peu de chose; car j'ai fait mes preuves
et l'on ne peut anéantir mon ouvrage. Le portrait
que vous me faites de ce Mr est assez juste. Il a certaine=
ment beaucoup de talens et de connoissances, mais sa
vanité qui alimentée par les exclamations des femelettes de la Congré=
gation reformée 5 mots biffure l'a expôsé
ici au ridicule. La fille d'un riche négotiant qu'il
avoit cru conquerir par ses phrases harmonieuses s'est
moquée de lui après l'avoir trainé à son char pendant quelques
mois de suite, et aulieu d'en prendre son parti en home sage,
<3v> il en a témoigné un ressentiment qui n'a pas fait en sa
faveur. Au demeurant il eut très mal compté en voulant
prendre ma place, elle est fort audessous, pour les agrémens
et le gain de celle qu'il 1 mot recouvrement accomplit actuellement. Ce que
je vous marque ici, mon cher Monod, est au reste de vous à
moi, car j'oublie l'home, et lui pardonne.
Votre idée de faire de moi un grand Père en me mariant
à 42 ans m'a paru bien plaisante, et j'ai bien ri de
1 mot recouvrement la Sunamite qui me rajeunira. Soit. vivons
dans l'espérance.
J'ai lu avec délices votre Sortie vigoureuse en faveur de
l'Ile fameuse où la Liberté a élevé son trône: puisse
t-il demeurer inébranlable, et puisse la 1 mot biffure Liberté
expulsée de tout le Continent par les Rois et, les Aristocra=
tes, et les Démagogues s'y maintenir à l'abri des
révolutions, pour consoler l'espèce humaine, et 1 mot biffure
lui montranter ses droits! Je suis convaincu qu'Athè=
nes n'est plus rien aujourd'hui; mais je m'imagine
qu'elle pourroit redevenir une Cité remarquable 1 mot recouvrement sous
la protection d'un gouvernement européen, et je desire=
rois du moins marcher en sureté et sans craindre
le glaive d'un Bacha, au milieu des monumens des qui la décorèrent jadis. Je me rapelle encore
1 mot biffure
les Emotions que j'éprouvai en arrivant à Rome,
à Naples, en Sicile, et je juge de celles ci par
celles là.
<4r> Le voyageur vous remettra quelques papiers que je
vous prie de conserver. Je n'ai pu y joindre ce que je
vous avois promis, savoir les Extraits des Thèmes, parce que
le Copiste n'a pas eu le loisir de les copier, mais je l'exé=
cuterai moi même pendant l'Eté, et vous recevrés le
tout par la 1ère occasion sûre: c'est ce dernier envoi
pour lequel dont je vous prierai d'avoir tout le soin; car ce que
vous verrés maintenant signifie peu de chose.
Je suis arrivé à li en dictant ces Thèmes à l'Epoque de
la Destruction de l'Empire d'Occident. Les Emigrations des
Barbares du Nord et de l'orient m'ont donné beaucoup
de peine, mais grâces à quelques bons livres allemands,
et à Gibbon, je m'en suis tiré de manière à donner
à mes Eleves quelques idées justes sur cette Période embrouil=
lée et dont il qu'il importe cependant de bien conoitre.
Dans ce moment je suis occupé à leur de la Période
qui s'est écoulée entre la Destruction de l'Empire d'Occident
et l'avénement de Charlemagne. Je m'arrêterai peu
jusqu'aux Croisades. et Dans 5 ou 6 mois je compte
avoir achevé ce Cours, et pourlors j'en reprendrai les
Divisions principales pour afin de bien connoitre les Détails.
En Arithmétique nous avons fait les 4 opérations, tant
sur les entiers que les décimales et les Fractions, et nous
allons comencer les proportions. Nous ne somes pas encore bien
loin en Géométrie: apr mais j'y consacre l'Eté, afin de
pouvoir pendant l'hyver, traiter la Géo Sphère, et donner
<4v> expliquer quelques principes de la Physique. Je me suis occupé d'Extraits
rélatifs à la Géométrie, et à l'Arithmétique, et suis retourné
à l'école pour conduire plus surement les autres, mais grâces
au Ciel je n'en ai plus pour bien longtems.
Mon genre de vie est toujours le même. Après avoir fini
mes leçons, je me promène quand il fait beau, vient
ensuite le diné, puis il convient de faire quelque chose
pour soi, et de cette manière il est difficile d'aller dans
le monde. daïlleurs et puis qu'irois je faire? On y joue et je
ne joue pas; on Je ne suis plus en age de danser, et
après une demie heure ou une heure, on ne trouve plus
à causer! daïlleurs vous n'imaginés pas ce que c'est que
d'être habillé et gené depuis 7 heures du matin, et combien
on se trouve heureux de se mettre à l'aise se mettre à
l'aise en rentrant chez soi; aussi à l'exception de quelques
grandes maisons où je vai de tems en tems pour faire une
apparition, je me suis restreint aux personnes qui
permettent que j'aïlle chez elle en frack et même
en bottes. L'Etude est le seul remède à opposer ici
à la Stupeur qui dégrade insensiblement les ames
au bout de quelques années: C'est elle qui rétablit l'énergie;
c'est elle qui fait oublier les traverses; c'est elle qui
enseigne à mépriser les petitesses, les tracasseries, &c.
c'est elle qui console, et quand je ne l'aurois pas aimée
j'aurois cherché en arrivant, j'aurois recouru à elle come
à un Remède infaïllible. La place que j'occupe
<5r> le recquiert peut être plus qu'aucune autre. En effet, mon cher Monod,
elle n'est rien moins que solide, puisque puisque les intrigues qui m'ont
épargné jusqu'ici peuvent se tourner contre moi, et qu'il seroit bien
étonnant d'avoir échapé à la méchanceté, ou à l'envie ou 12
3 mots biffure ans de suite; or dois-je tellement me reposer
sur la fortune, qu'elle que ma destinée dépende d'elle?
C'est bien celà qui seroit une Imprudence impardonable.
Je veux au contraire, queloiqu'il puisse en arriver, conserver une
Existence indépendante de ses caprices, et cette éxistence je
ne peux l'acquérir qu'en augmentant mes connoissances, en
résistant à la Stupeur et au mauvais éxemple, 1 mot biffure et en
me rendant exemple digne de ma
propre estime et de celles des autres.
Ce n'est que par ce moyen mon Etre
cher Monod que Il faut
soi, et puis ce qu'il plaira à la
fortune d'ordonner de plus: voilà mon
Systême; or c'est en vain qu'on voudra être soi, si en se négli=
geant, on a perdu les moyens d'acquérir une éxistence indépendante
des revers de la fortune, et il n'y a point de pays où il faille
moins être à la merci de cette inconstante que celui ci. On peut
me priver de ma place d'ici dans cet instant sans que je sois
malheureux pour tout celà: partout je trouverai des ressources, et
ce que j'ai appris est un trésor que personne ne peut m'ôter
qu'avec la vie: Voilà de quoi je suis fier quand je compte
avec moi même, et voilà ce qui me donne la hardiesse de parler
en Spartiate aux Puissans de la terre. Avés vous entendu parler
d'un nouvel ouvrage fort estimé, intitulé: Considérations sur l'Esprit et les
moeurs: avés vous lu l'ouvrage de Neker sur les opinions religieuses? Que ces
François sont petits avec leurs dénonciations perpétuelles, et leurs éternels grands mots!
Serguéï est ici très oisif à l'éxemple des
sergens ses pareils: il est pourtant probable qu'on
le tirera de là. Quant à Dmitri, il est parti pour
l'armée come 1er Major, et le voilà dans le courrant.
Adieu mon bon ami, je vous embrasse. Mes
Respects à Mr votre Pere, et rapellés moi à tous les membres
de votre famille, entr'autres à Me votre Epouse et à Mlle
votre Soeur. Amitiés à Mayor.
A Monsieur
Monsieur Monod Docteur
ès Droits, Assesseur baïllival &c.
à Morges Canton de Berne
en Suisse