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Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 14 janvier 1744
de Mirabeau ce 14e janvier 1744
jamais tu ne me témoignas tant damitié mon cher saconay qu'en
me donnant une 1 mot biffure favorable audiance dans un temps ou tu es
aussy occupé, ma lettre te trouvera dans les délices, je te contois marié
du jour des rois, ma femme que quelqu'une de tes lettres qu'elle a
attrapé avoient détraqué et rendu triste, me fit souvenir de toy ce
jour la, je luy dis que tu ètois plus a plaindre qu'a envier, je ne le
pensois cepandant pas, je t'ay dit mon cher amy tout ce que je pouvois
te dire sur cet article, ton amour est pur il est permis et ordonné
mème, que tes plaisirs puissent durer jusques a ta fin, rapèle toy
toujours cepandant ce que je t'ay écrit dans mes dernières lettres, soyons
amoureux au lit, mais doux et respectables dans le domestique, au lit point
d'excès, d'immodesties, de confidences au dessus de la portée de cet enfant,
au dehors pet dans le domestique, point de coucheries trop longues,
point de gateries, de complaisances etudièes pour des parures des
fantaisies &c, toujours du sèrieux doux toujours de la vertu les
moeurs de ton paÿs en sont aussy près que les notres en sont loin
jyray prendre des leçons chex toy et je t'en donne, pardon: je ne connois
pas ses entours mais il est impossible qu'un beau père et une belle mère
<1v> soyent raisonnables ainsy je puis tabler sur cela; il est impossible
que chretien soufre plus que ce que j'ay soufert de ce coté la, sans ce qui
m'est destiné pour l'avenir, mais jay toujours èté inflexible sur un
point, cest sur la dissipation et les sottises qu'on apèle monde, dont
ils vouloient autant infatuer ma femme qu'ils le sont eux mèmes
tu n'as pas cet éceuil a craindre, mais il en est de tant d'autre
espèce, ton beau père devant surtout t'apuyer cela luy donnera
une sorte d'empire sur toy, les gens qui aiment le gouvernement
voudroient tout gouverner, hors il ne convient pas que l'on te maitrise
dans ton domestique, va prendre ses conseils chex luy pour ta conduitte
envers l'ètat, et ne luy parle que bien peu d'autre chose, mais mon cher
amy, tnotre mèrite est le meilleur apuy, de la protection sans ou avec
peu de mérite, vous fait flageoler a tout vent, du mèrite sans protection
vous aprend a vous en passer hors il faut étudier et aimer la retraite
mon cher amy pour acquérir du mérite; venès moy baiser mon gendre
me disoit on, sur ce je rèpondis en baisant la main Madame je n'ay
jamais baisé ma mère conduitte en ce genre dans les premiers
temps; l'on m'auroit battu depuis sans cette prècaution que la nature
seule me fit prendre, pensons toujours au temps a venir et agissons en
conséquence; tu me parles des enfants mon cher amy tu scais que c'ètoit
mon foible, mais nous en parlerons dans leur temps. je deviens ridicule
<2r> a force de m'alambiquer le cerveau pour te prècher, mais cest mon
amitié pour toy qui me fait èpoumonner, et jay èprouvé que dans
ce genre l'expèrience met le plus sot homme en ètat de faire faire de
très bonnes observations au plus habile qui n'a pas encore sauté le
baton; il faut cepandant me bonrner 1 mot biffure lis mes trois dernieres
lettres et celle cy, et tyu y trouveras tout a peuprès ce que j'ay pu
réflèchir sur cet article. jay besoin plus que personne mon cher amy de
me détourner par l'ètude de la morale des idèes affligeantes qui m'assaillent
tu scais depuis longtemps que nous sommes un peuple de fous, personne
ny fait attention aux malheurs de la patrie, je ne parle pas de ceux
qui fparoissent au dehors, mais ceux de l'intèrieur sont a un point
dèsolant. tu scais que les impots exorbitants que dont louis 14 avoit èté
obligé de charger son peuple après luy ont subsisté après luy, 2 caractères biffure
1 mot biffure l'on les avoit mème insensiblement doublé par des crues
annuelles et soux main, sans que personne fut en droit de reprèsenter
pour la patrie, il y en a mème eu de nouvel ètablissement comme
insinuations controlles &c couteux a l'excès et dèsolants encore plus
par les persècutions et la mauvaise foy des sangsues employèes a les
lever, il faut maintenant indèpendamment des milices nombreuses
qui ont dèvasté les campagnes trouver de nouveaux fonds pour une guerre
destructive, et effroyable en consommation eu ègard a la friponnerie
qui s'ètant ètablie dans touts les ordres de l'ètat fait que les sous ordres
dissipent les finances trompent et servent mal, ce sont toujours nouveaux
èdits, mouvement dans les monnoye dont nous sommes menacès enfin
le feu aux 4 coins et au milieu, d'un autre coté le commerce tombé
les danrèes que les guerres passèes faisoient valoir et que celle cy a anéanty
a cause de la mauvaise foy de ceux qui font les fournitures, tout cela mettra
l'état aux abois, sans qu'on puisse espèrer du mieux pour l'avenir. l'idée
de la diffèrence de notre sort a celuy de nos grands pères, la certitude
que la mème différence se trouvera au moins de moy a mes petits fils
m'attriste quelquefois a un excès que je n'oserois t'avouer. je ne scay
<2v> si tu ne me verras pas un jour transporter une partie de ma fortune
dans le canton de fribourg, comme celuy des catholiques le plus voisin
de toy, dou comme les biens calvinistes n'en ont pas moins la rozée du
ciel, je pourrois m'ètendre dans ton voisinage, ne crois pas que ce soit la
une idée en lair, la liberté est le plus grand bien de la vie, touts les
hommes en conviennent, mande moy toujours a ton loisir qu'elles sont
les loix de ton paÿs pour les successions, je scay qu'elles en sont les moeurs
et cela ne m'eloigne pas. adieu mon cher amy quand nous aurons nouvelle
de ton mariage, ma mère et moy nous écrirons a ta respectable mere
mes respects a elle a Mesdemoiselles tes soeurs et mes compliments a
mrs de chandieu et de chabot
