Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 04 novembre 1743

de Mirabeau ce 4e 9bre 1743

tu ne dois non plus douter de mon amitié pour toy mon cher frèdèric
que du jour qui t'èclaire, il n'est pas question de cela maintenant; tes
lettres sentent l'agitation mais elle est heureuse, le temps s'aproche ou il
faut qu'elle devienne raisonable, le langage que je te tiens n'est point un
langage de noces et je serois honteux si ce n'etoit entre nous; jetois de
glace pour ma femme quand je l'ay èpousèe et comme je ne me sentois
pas aussy de rèpugnance, et que je n'ètois pas assés jeune pour me faire
sur cela des chimères j'en remerciay la fortune, je ne scay pourtant si jeus
raison, jouir de ce que l'on adore est une extrème volupté reste a scavoir
si c'est un bien; la jouissance èteint l'amour et allume 1 mot biffure l'amitié
et l'habitude, si cet effet est promptement fait en toy tu es trop heureux,
ma femme que son amour excessif pour moy a rendu d'une grande docilité
dut beaucoup a cette derniére qualité, si j'avois été aveugle sur son conte
elle vaudroit beaucoup moins, et si j'avois èté passioné comm'elle, nous
aurions èté dès pères de famille d'une pauvre espèce, 18 heures au lit au
lieu qu'elle est coiffèe et vétue a 8 heures du matin, tout nous auroit
porté vers la mollesse car tu scais qu'en france, la simplicité la vertu et
la diligence, rendent un homme singulier; je n'ay point a te prècher
ces trois points comme la base des familles et de notre bonheur, ils se
trouvent chex toy, dans toy, et méme assès a la mode parmy tes comp=
atriotes, mais pour les observer de façon a ne mettre aucun refroidissement
chex toy, observe les des 3 caractères biffure le premier jour. dès le premier jour ma
femme eut mon argent, l'état de mon linge et habits, je ne voulus
plus me parer, et je luy parlay de mes affaires aussy confidemment
<1v> que dans dix ans. ne prends point de ta femme une autre idèe que
celle que mèrite tout son sexe, du coté de la capacité; grand dans les
petites choses et petit dans les grandes
cest la l'opinion qu'il en faut
avoir sans la leur laisser connoitre, il faut dans l'intérieur s'asservir
a leur règime les plus grands hommes ont fait gloire d'obeir a leurs
femmes dans la maison, mais leur coup d'oeil ne doit pas s'etendre au dela
du vestibule, il faut sur cela les accoutumer a la modestie, bonne tète
tant qu'il vous plaira, un homme qui dans les affaires publiques prend
conseil de sa femme, est une femme luy méme, choisissès un amy, fort
de jugement et lent a la décision, cest la votre conseil, cest l'antipode
de votre femme, il est pourtant des choses sèrieuses dans lesquelles elles
doivent entrer comme èducation des enfants, leur établissement, transplantation
de domicille &c mais en les accoutumant a la modestie, vous les ferès a
étre toujours de votre avis, un homme sage est bien accrédité chex luy
il ny a point d'empire plus fort que celuy la. mènage tes caresses dans
le commencement et fais toy violence sur cela, le tempéramment m'a
fait manquer a cette règle triviale, je me suis ènervé le corps et l'esprit
et sans l'extrème empire que j'ay acquis sur ma femme et les discours
sans dessein de la plus imprudente de toutes les mères; j'aurois eu peine
a enrayer, une jeune femme s'habitue a vous caresser, le votre corps
sy fait aussy et tout va mal; surtout ne te laisse point entamer du
coté de la jalousie, cest la plus cruelle des inventions de l'enfer et la plus
active qu'une jalousie femelle, modestie et soumission sont ses seules barrieres
et de ton cote, empire et inflexibilité, tu serois effrayé de ma dureté sur cet
article qui me reussit. si tu as des opinions particuliéres en fait de religion
n'en communique rien a ta femme, ce sexe est fait pour suivre le torrent
et le moins que lon peut exciter sa curiosité soit en bien soit en mal est
le mieux. si je n'ècrivois a saconay je luy recommanderois d'accoutumer sa
femme a regarder sa mère comme une autre divinité, il y a une raison
<2r> phisique pour que les jeunes gens soient sages et s'elevent de façon a nous
faire plaisir dans une maison ou les anciens sont respectès, l'imparenté s'est
si fort ètablie en france, que les peres se sèparent de leurs enfants dèsqu'ils
peuvent parler, ètablis ils logent a part, ce gout de liberté détruit les
maisons, renverse l'ordre naturel, et fait le malheur des particuliers. mais
je prèche, j'ay hazardé bien des choses cher amy, mais cest que je taime
comme moy méme et je ne t'ay rien dit que je n'aye pratiqué, ou eu
regret de ne l'avoir pas fait. tu as tort de te craindre pour ce nouvel
etat pour lequel tu as été fait, et que ferois je donc moy. tu me
demandes un secret pour attendre 2 mois et demy, diogène te l'aprendra
mieux que moy qui n'en uses plus. je t'envoye le morceau que je t'ay
promis mr l'hymen a refroidy mon imagination il en soufre. adieu
mon cher frèderic mes respects a Madame ta mère et a Melles tes soeurs
ma mère te fera son compliment dans son temps, tu ne scaurois avoir
autant de bonheur que je t'en souhaite

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 04 novembre 1743, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/105/, version du 10.06.2013.
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