Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier et Henri Monod, Peterhof, 27 juin 1786

Peterhof le 27e Juin 1786.

A mes bons amis Monod et Polier en comunauté. Salut.

Cette note roûlera 1° sur les Personnes attachées à la méme vocation que
moi, 2° sur la nature de mes occupations 3° sur leur bon ou mauvais Succès
4° Sur ma situation présente et sur mes espérances pour l'avenir.

I De ceux qui sont attachés à la même vocation.

Le Gouverneur en chef home d'une naissance distinguée et décoré de plusieurs dignités
est un home de sens, dont la judiciaire est bonne. et qui Il est poli et
affâble plus qu'on ne l'est pour l'ordinaire ici, ou un inférieur est traité
par son Supérieur avec un tant soit peu plus d'égards qu'on ne traite
un Laquais. Mais ces bonnes qualités sont viciées par 3 2 mots biffure
3 qualités nationales entiérement opposées, l'Insouciance, l'Egoïsme et
la Foiblesse. Là ou l'Estime publique, le bien public, l'amour de
la Patrie, et les Sentimens d'humanité pour les l'home en tant qu'home,
sont des Etres de raison, il seroit difficile qu'on se fit des principes
imuables de conduite et qu'on s'expôsat à des désagrémens plutôt que
de s'en écarter, et Là ou la qualité d'home est estimée zéro; là
ou des homes inégaux en rang sont incomensurables et là ou l'on ne
connoit d'autres rapports que ceux de Supérieur et de Subalterne;
là ou tout home a passé sa jeunesse occupé à briguer
la faveur de ses chefs par des bassesses et en se tenant droit pendant plu=
sieurs heures debout dans une antichambre, et s'est accoutumé à
supporter patiement tous les caprices de ses chefs, là aussi mes bons amis, on ne doit
compter sur aucun des Sentimens connus ailleurs. 1-2 mots biffure Il est
tout naturel que ceux qui ont trainé leurs années de Sujettion
dans les humiliations, cherchent à s'en venger sur leurs inférieurs
lorsque c'est leur tour de comander. En un mot quiconque a un Chef
ici doit s'attendre à le trouver insouciant quant aux moyens d'arriver
au but proposé et indifférent pour ses subordonnés: un Etranger surtout
l'éprouvera plus qu'aucun autre, et cependant l'on ne peut rien faire, non
absolument rien, sans l'intervention de son chef qui ne manque pas
de recueillir tout le fruit des peines de ses inférieurs, et de sans daigner seule=
ment leur en faire compliment. Si j'avois jamais pû croire que
sous un Gouvernement absolu, il fut possible d'être courageux et intrépide
il y a longtems que j'en aurois été désabusé: Pourquoi en effet courir
les risques de déplaire, et donner prise à ses envieux ou ses ennemis
<1v> lorsque rien n'en dédomage? assentatio erga principem quemcunque
sine affectu peragitur
dit Tacite: on a tout à gagner en se taisant, et
en approuvant tout, et tout à risquer en faisant le contraire. 2 mots biffure risque tout en s'y prenant du
côté opposé
Une ame forte seroit la seule capable de braver ces
hazards, et de sacrifier s'il le falloit ses espérances de fortune à
ses devoirs, mais ou trouver des ames fortes parmi des homes
accoutumés à plier aveuglément dès leur jeunesse sous le joug, et
éblouïs par l effrayés à la vüe du Pouvoir arbitraire? Il est
donc impossible qu'un Chef puisse être ferme, et prèsque nécessaire
qu'il soit foible, quelques motifs qu'il eut daïlleurs pour faire preuve
de courage, et quelque importante que fut sa vocation. Je blâ=
2 caractères biffuresme à la vérité la foiblesse de mon chef, et j'en gémis en pensant
aux suites funestes qu'elle peut avoir, mais je ne sçaurrois cependant
lui en faire un crime, parce qu'il y a plus de la faute des Circonstances
que de la sienne. Tous les bateaux ne peuvent pas remonter contre
Un courrant impétueux.

Des 2 Sous-Gouverneurs, celui de l'ainé est un bon humain. A la vérité
il n'a pas eu ni une bonne éducation (ainsi que ses compatriotes) et est passa=
blement rogné du côté des connoissances acquises, mais il ne manque pas de
bon sens, et a les intentions droites, cependant vû ses distractions,
et son ignorance absoluë de tout ce qui concerne l'Education,
il n'étoit nullement fait pour remplir une telle place, et je
sçais bien que pour aucune chose au monde je ne voudrois pas
d'un Gr tel que lui pour mes enfans. Il avoit voulû, en conséquence de
son rang supérieur, me subordonner à son authorité: mais vous jugés
s'il avoit trouvé son home. Plutôt que de me soumettre àu Controlle de
pareïls ostrogoths j'aurois demandé mon congé sans hésiter mais heureusement
que les choses n'en sont pas venues à ce point. Aujourdhui nous vivons
en paix, et come dans le fonds c'est un bon humain, j'espêre que
cela sera de durée.

Le Sous-Gouv. du cadet a recû une Education beaucoup meilleure, et
à des connoissances acquises. Deja employé sous le Père il a eu le
tems d'acquerir que de l'expérience en matière d'Education, et son
sejour dans une Cour étrangère come Ministre, lui a fourni des
<2r> Lumières de plus d'une Espêce. Je le crois dans le fonds bon home, mais
après avoir passé 12 années à la cour, il seroit difficile qu'il n'en eut
pas retenu quelque chose il est haut et vain, désireux du pouvoir tout
en affectant le contraire et un peu trop politique à mon avis:
Il daïlleurs il ne me paroit pas avoir de bien grandes vues. C'est principalement
avec lui que j'ai eu tant de prises. Quoique allemand d'origine
il avoit si fort gouté la doctrine de la Subordination qu'il ne
pensoit à rien moins qu'à faire de moi un Maitre d'Ecriture
ou d'Arithmétique et à me diriger à sa fantaisie, et il a
fallu toute ma tenacité pour empêcher qu'il ne réussit.
début de la ligne biffure Nous vivons maintenant en bonne intelligence
mais je desire plus que cela dure que je n'y crois,. tant
l'Esprit de domination de l'home m'est bien connu, et tant je
sçais bien qu'il n'est pas dans mon caractêre de plier
devant ceux auxquels je ne reconnois pas le droit de l'éxiger.

Quant aux 8 Cavaliers ou menins je vis bien avec tous, par=
ticulièrement avec 4 d'entr'eux, un Russe, un Grec et 2 Alle=
mands. Je suis particulièrement lié avec ces derniers et
surtout avec le Baron de Boudberg l'un d'eux, home qui
n'est pas à sa place, et qu'on auquel on auroit du revêtir de donner celle
de Sous-Gouverneur si l'on n'avoit eu pour but d cherché que le
mérite. Le Baron de Lamsdorf l'autre allemand est aussi
un home très estimable, vivant à la cour malgré lui et
n'attendant que le moment de la quitter pour se retirer en Courlande au
sein de sa famille qui l'aime et qu'il préfère à tout le reste.
Mr Baldani né à Ianna en Thessalie est un aimable garçon
dont les vues sont droites, et dont les lumières variées. Il est studieux
sans être pedant et bon compagnon quand l'occasion le
demande. Compatriote d'Achille il aime à parler des
beaux siècles de sa patrie, et nous voyageons ensemble au
milieu de cette Terre si féconde en héros, et en grands personna=
ges. Mr Levaschef un Russe a voyagé, et ne manque
pas de connoissances nous nous somes connus à Gênes et à Florence
<2v> et dans ce pays avant qu'il fut placé. Il est bon enfant
Quant aux 4 autres, dont 2 sont gens de assez bonne société je suis
moins familier avec eux. Tels sont ceux qui doivent coopérer
à à ce grand ouvrage. Passons maintenant à mes occupa=
tions.

II

Je passe toutes les matinées depuis 7, 7½ ou 8 heures jusqu'à 10
avec l'ainé, et en outres le mardi et Jeudi 2 heures de l'Après dinée.
Je donne au cadet seul une heure ou plus chaque Mardi et Jeudi
matin, depuis 10 h et l'après dinée des 4 3 autres jours de
la semaine, faisant à peu près  2h. ou 2h½ chaque jour.
Enfin 4 jours de la Semaine j'ai les 2 frêres réunis depuis 10h
jusqu'à onze heures ou onze heures et demie. Nos occupations sont
la Géographie, un peu d'histoire, l'Arithmétique, et
le François. Je dicte à l'ainé des thémes historiques dont
la lecture puisse lui être utile nonseulement pour apprendre
le françois, mais encore pour acquérir de justes idées
sur les principaux Evênemens de l'histoire, je les lui comente et
explique, et je l'oblige ensuite à m'en rendre compte.
Au Cadet Je dictois au Cadet des thêmes géographiques
entre mêlés de traits historiques, mais come il étoit très peu
avancé dans la lecture, j'ai dû laisser pour quelque tems
les thêmes pour m'attacher à la lecture celle ci. Je repasse
avec tous les deux la Géographie pour la 2de fois. Quant à
l'Arithmétique j'ai mis l'ainé en état d'opérer avec
les 4 Règles sans aucune difficulté avec les entiers, et j'ai
comencé à lui montrer quelques figures géométriques. Le
Cadet n'a fait encore que la multiplication, et nous n'at=
tends pour passer à la division que le moment ou il
sçaurra courament son livret, cette difficulté étant la seule
qui nous empêche d'aller plus loin.

L'ai L'ainé lit passablement. Je lui ai fait lire une partie de
Millot, quelques morceaux de Plutarque rélatifs à
<3r> aux traits historiques dont je lui parlois, plusieurs passages
du Télémaque, quelques fables de la Fontaine, 1 mot biffure
1-2 mots biffure quelques scênes de comédie et de Tragédie
et les ouvrages de Campe. Le

Le reste de la journée est à ma disposition, à l'exception de
la ½ heure que je dois en passer chez le Gouverneur auquel
je dois rends compte de ce qui est arrivé, 2 mots biffure demie heure sou=
vent bien longue, et qui me donne fréquement de l'hu=
meur. Des lectures, des extraits, des préparations pour
les leçons absorbent en gde partie tout le reste de mon
tems, aussi je vous assure mes bons amis que je me
couche si fatigué que et souvent si découragé que sans
l'espérance de voir bientôt diminuer le nombre de mes
heures lorsque par la réunion des 2 frères, je n'y tiendrois
pas longtems, une telle vie étant celle d'un Galérien. Ces
occupations m'ont détourné de celles que je m'étois proposées
mais je n'espêre pas que ce soit pour bien longtems, et
j'attends avec une gde impatience l'instant ou l'Ins
cessant de me contraindre pour me mettre à la portée
des enfans, je 1 mot biffure j'aurai moins de peine, moins de
soucis, et plus de satisfaction.

Mais ai je, ou n'ai je pas eû des succès et qu'ai je à espérer la dessus?? C'est mon troisième
point. et qu'ai je à es

III

L'ainé a un caractére doux, de la sagacité, et un
bon coeur, mais il est à craindre qu'on ne lui donne trop
d'amour propre, et qu'on ne seconde ses dispositions à
l'Indolence, en l'aidant mal à propos. Il faut être extrême=
ment sur ses gardes avec lui pour résister à ses volontés,
car iIl a merveilleusement le talent de gâgner ceux
qui l'entourent, et il est souvent bien difficile de s'en se deffen=
dre de ses caresses. On pourroit tirer un grand parti de
<3v> son Emulation et, de ses talens en extirpant déracinant son
penchant à l'indolence, et l'obligeant à faire plus
souvent usage de sa judiciaire. Ce dernier point est
prèsque le seul sur lequel j'aïe à me plaindre
de lui, et surlequel nous soyons quelque fois en guerre,
car du reste je l'aime de tout mon coeur, et je
passe souvent des heures agréables avec lui dans sa
compagnie. De son côté il me témoigne beaucoup
d'attachement, et bien qu'une partie de ses caresses
soit sans doute duë à l'envie de captiver quelqu'un dont
il dépend et qui se montre souvent inéxorable, je crois
néanmoins qu'il y a de la réalité dans le reste, et ce qui
me le persuade que j'aie 1 mot biffure ce sont les propos qu'il tient
en mon absence, et qui ne me reviennent souvent que long=
tems après qu'il les a tenus. si je ne me 1 mot biffure pas
début de la ligne biffure Vous seriés surpris queand
je vous dirois rapporterois les discours de cet enfant d'y trouver
autant de bon sens. On se prévient, me dirés vous, en
faveur de cet age. D'accord, mais ce n'est point le cas lorsqu'il
s'agit de matières de raisonnement, et il est si difficile de
se tro se méprendre en obligeant un enfant à analyser
pièce à pièce la réponse qu'il a faitte: s'il a retenu au
hazard quelque réponse frappante sans l'avoir comprise,
il sera bien impossible qu'il rende compte des différentes
parties qui la composent; or j'ai fait souvent cette expé=
rience, et d'autant plus souvent, qu'ici j'ai voulu forcer
les retranchemens de sa paresse. fin de la ligne biffure

Sa mémoire est assez heureuse; mais peu éxercée et cepen=
dant il n'oublie guêres. Je me suis donc convaincû que
cet Enfant deviendroit un jour un excellent home, si
<4r> l'on travaïlloit sérieusement 1° à reprimer sa paresse
en l'accoutumant à réfléchir par lui même, à ne
se décider que d'après des preuves, et à se donner de la peine
et 2° si on 1 mot tache coutume lui faisoit sentir la nécessité
du Travail, et lui en faisoit prendre sérieusement l'habitude,
mais je crains beaucoup, et c'est en gémissant que
je vous le confie, je crains beaucoup, qu'avec tant de
qualités estimables et propres à faire le bonheur de la
Russie, ce jeune home ne devienne qu'un home médiocre;
or qui dit un 1 mot biffure Prince médiocre 1-2 mots biffure dit précisé=
ment tout ce que l'on peut dire de pire, puisque peu
importe qu'il ne soit pas l'auteur imédiat du mal
si lorsque ce mal arrive par la négligence, ou par sa
paresse, où par son Ignorance.

Le Caractère du cadet est absolument différent de celui
de l'ainé. Avec un coeur excellent, beaucoup de
générosité, il a une Impétuosité dont rien n'approche.
Il a dela facilité lorsqu'il s'applique, de l'intelligence,
et une rectitude singulière dans la judiciaire, mais sa
vivacité est telle que je ne l'ai pas vû encore une minute
en repos, et qu'il ne m'a pas été possible de fixer pour
5 minutes son attention 1 mot biffure il est en outre opiniâtre
come une mûle, et très colérique: en un mot il a toutes
les bonnes et les mauvaises qualités des gens vifs et passion=
nés. Vous croirés sans peine qu'un Caractêre de
cette trempe est fait pour éxercer la patience de se
maitres: cest en effet le cas. fin de la ligne biffure
début de la ligne biffure Il n'y a pas de semaine ou plusieurs fois je
ne sois dans le cas de faire cette pénible expérience, je dis
<4v> peinible par l'emprise qu'il faut conserver sur tous
les mouvemens, et sur a force d'expérience je dévine
pour ainsi dire ses accès d'opiniatreté et d'obstination, ce
qui me donne le moyen ou de les prévenir quand cela se
peut, ou de m'y préparer, mais il faut être décidé
à l'instant, car ce jeune Enfant lui même l'étant
et ne cherchant pas à obtenir sa volonté par des sollici=
tations ou des caresses de la même espêce manière que son frère,
on seroit perdu en hésitant. Il m'est arrivé d'avoir attendu
¾ d'heure et souvent plus avant qu'il voulut en démordre.
de son et faire et suivre mes ordres Fureur, cris, pleurs
&c. tout étoit employé. Dans ces cas je prenois
un livre, je lisois ou faisois semblant de lire, je ne témoignois
rien 1 mot biffure au petit bon home, et j'attendois d'un air
tranquille la fin du tapage. Puisque toujours cette
manière de faire m'a réussi
J'ai traité ses pardons
come des bibus : Je n'ai pas besoin de vos pardons, vous êtes
un enfant qui ne peut m'offenser, mais il faut m'obéïr:
quand vous l'aurés fait je verrai ce qui me reste à
faire
. Puisque toujours cette manière de faire m'a
réussi, et j'ai lieu de croire que si les Sous Gouv. et d'autres
en eussent fait de même le Petit home auroit été vite
corrigé, mais le moyen qu'il n'essayat pas d'y revenir
lorsque d'autres cédoient à tous ses desirs, et le tenoient
quitte de l'en leurs ordres au moyen d'un simple je
vous demande pardon? le moyen qu'il connut la
nécessité de l'obéïssance lorsqu'au lieu de lui faire sentir
cette nécessité par quelques privations ou par d'autres peines,
<5r> on renvoyoit toujours à une fois suivante! Ces Mes=
sieurs ont éprouvé eux mêmes les 1ers l'insuffisance de leurs
mesures, car lorsque dans sa colère lorsqu'en dépit de la connois=
sance du coeur humain ils ont essayé de calmer
sa colère au milieu de son accès par des éxhortations, ils
n'ont fait que l'imiter davantage, et ils ont essuyé
le double affront d'être désobéïs, et de recevoir des bour=
rades . Certainement c'eut été le cas de punir
l'Enfant, et de le punir d'une manière assez sensible
pour qu'il n'y revint pas, mais on n'a pas ôsé le faire
parce qu'on prétend que cela seroit mal pris... mal pris!
l'entendés vous mes bons amis... et ce sont ceux qui sont
chargés d'une telle éducation qui parlent ainsi! Et il
celuiux là seuls qui ont le droit d'approcher le Supérieur
n'ôsent pas le faire pour demander ses ordres! Ah! mes
amis que les Souverains sont malheureux de ne voir
jamais que par les yeux des autres! En 2-3 caractères biffure attendant
je me suis expliqué, et come il se pourroit que je
reçûsse aussi une bourrade si l'Enfant en prend l'habi=
tude, j'ai déclaré fin de la ligne biffure 1 mot biffure au Père et à la mère
que je la rendrois soudain, et ce qui vous montrera combien ils aiment vraiment leurs enfans 1-2 mots biffure
2-3 mots biffure
nonseulement ils l'ont approuvé, mais ils m'ont
même prié de le faire. Je suis égâlement convaincû
que notre gde Dame l'approuveroit 1 mot biffure malgré l'Idée ou elle
est qu'il ne faut jamais recourir aux voyes de
rigueur, idée qui 1 mot biffure n'est qu'un corollaire de 1 mot biffure ses
principes d'administration, je sçais qu'elle souffre la contra=
diction, je connois des homes qui ont disputé contr'elle
pied à pied, 1 mot biffure, et qui l'ont faitte revenir de son opinion
<5v> pour suivre la leur, ses intentions sont droites et bienfai=
santes, et je ne puis me persuader que si le Gouv.
Gouverneur lui représentoit avec force l'Etat des choses,
elle ne s'écartat pas pour un moment de son Systême;
peutêtre faudroit-il y revenir 2 quelques fois, et tant mieux,
peutêtre suffiroit-il d'une seule pour la convaincre,
mais il qui peut lui représenter celà que le Gouverneur,
et qui peut contester avec elle que sinon le chef de l'Education?
Si jamais j'étois questionné là dessus je ma réponse
seroit est prette, je la donnerois sans crainte, et
lors même qu'elle ne seroit pas approuvée, je crois
du moins qu'on me sçauroit quelque gré de l'intention.
En attendant, vû la position ou je me trouve, il ne me
reste d'autre parti à prendre pour me justifier et
d'avoir aucune part à des mesures que je désapprouve
que celui d'expôser avec clarté quelques uns des principaux
faits, et de représenter par écrit au Gouverneur les
conséquences vraiment fâcheuses d'une condescendance
sans bornes rélativement à l'Instruction, jointe à la nécessité
indispensable d'y remédier au plutôt en prenant des
mesures plus vigoureuses. J'adresserai cette note, pour
ce qui
au Gouverneur avec tous les ménagemens compatibles
avec la vérité et mon devoir, et de manière à n'être point
accusé de me mêler de ce qui n'est pas de mon ressort: Pro=
duit-elle quelque bon effet? tant mieux: n'en produit-elle
aucun? j'aurai toujours fait mon devoir, et je serai
j'aurai
il me restera une preuve écritte dela manière
dont je l'ai fait qui me justifiera en tems et lieu si come
je le crains 2 caractères biffure on ne recourroit à aucunes mesures assez
<6r> efficaces pour dompter l'opiniatreté et la Pétulance de
cet Enfant lorsqu'il est facile de le faire. En vérité
il seroit triste que celà arrivat, car sans compter
que les talens et l'aptitude de cet enfant 1 mot biffure lui devien=
droient inutiles, s'il demeuroit opiniatre et emporté il 1-2 mots biffure pourroit en résulter de grands
maux dans la suite lorsque les flateurs et les pervers l'en=
toureront les enfans, et empesteront l'air qu'ils respirent
de par leur soufle empoisonné. Malgré ces grands déffauts
cet Enfant mérite pourtant qu'on l'aime. Les mouvemens
honnêtes et généreux lui échapent à chaque instant. at-il
offensé quelqu'un? Vite il se cramponne à lui, l'embrasse,
le serre, l'étreint, lui donne tout cel qu'il a. Livré à
ses jeux avec fureur, il ne perd pas un instant de vuë la
justice, mais aussi il et come il n'est pas injuste avec ses
camarades, il 1 mot biffure s'irrite aussitôt et recourt à son poignet
s'ils le sont à son égard. Lorsqu'il 2 caractères biffure n'a pas des accès d'opiniatre=
té on peut en tirer parti, pourvû qu'on n'en éxige
pas plus de 5 minutes d'attention de suitte, il est même alors très
expéditif. En un mot je crois pouvoir vous assurer que
cet Enfant renferme le Germe d'un grand home, et mais
c'est une grande question que celle de son développement: Plaise
au Ciel qu'elle se fasse suivant mes desirs! Quoique
je me montre inéxorable lorsquil a tort, et ne lui passe ja=
mais rien, il ne m'en veut pourtant pas du mal, et
sauf quand je viens pour les leçons dont il ne se soucie guêres, il me voit venir
avec plaisir, court à moi, se cramponne à mes jambes
et me caresse à sa manière qui est très républicaine. Les
2 frères sont inséparables, et s'aiment tendrement, malgré
les petites altercations de leur age. Je ne suis jamais plus content
<6v> qu'en les voyant s'embrasser: Ah! puissent-ils toujours
s'aimer! Si les Princes peuvent avoir des amis, ce n'est guères
que lorsqu'ils sont frères et contemporains, et amis d'enfance,
et j'aime à penser que cela pourra avoir lieu ici. Tous
les deux connoissent leur différente destinée, non pas distinctement, mais confusé=
ment,. et Il est bon que le cadet sçache qu'il n'a rien à pré=
tendre 1-2 mots biffure qu'après son ainé, et que celui ci ne voye
dans son frère qu'un ami et jamais un rival. Dans toutes
mes conversations avec eux je cherche à fortifier leurs senti=
mens d'amitié, par des éxemples, et par tout ce qui peut fraper,
à leur âge, et come il y a certains gestes appropriés à certains
discours et qui les rendent plus expressifs, je me saisis
de leurs 2 mains que je serre ensemble dans la mienne, après
quoi je continuë mon discours
. J'ai toujours remarqué que
cette opération les rendoit plus attentifs.

Voilà mes bon amis! quels sont Ces 2 Enfans interessans.
Puissent les vôtres avoir apporté en naissant leur santé,
leur phisionomie douce et noble, leur coeur et leurs
bonnes dispositions! Je n'ai souhaité encore à personne des
enfans pareïls à ceux des Rois, mais en vérité si j'en avois
jamais qui ressemblassent à ceux ci, je me croirois le plus
heureux des homes, car que ne 1 mot biffure feroit pas l'Edu=
cation publique de deux particuliers pareïls, qui 2 caractères biffure tout
princes qu'ils sont, ont encore tant de côtés aimables?

Mais ce seroit n'avoir rempli qu'une partie de ma tache
si je ne disois pas aussi quelque chose de leurs parens. Il est
impossible d'en agir mieux que la Grande Dame en agit
avec ces deux Enfans. Elle a une manière toute particulière
de leur témoigner son mécontentement, même sans leur
<7r> parler, et ils sont tellement pénétrés du respect, de l'obéïssance
et de l'attachement qui lui sont dûs à tant de titres, qu'il suffit
de leur prononcer son nom pour les mettre mal à leur aise s'ils ne
se conduisent pas convenablement. Elle les aime tendrement,
les accueille avec une bonté toute particulière, et leur tient,
les discours les plus propres à leur inspirer des Sentimens
de modération, de décence, de Justice, et d'honnêteté. L'ainé
est celui que'elle préfêre, mais ses bontés ne les distinguent
cependant guêres en public, tant elle possède le talent des
nuances et des gradations dans les procédés. Son Systême
porte en gde partie sur cette idée dont le pour et le contre à été tant discuté de nos jours,
que l'on peut tout enseigner aux enfans en les menant
par une gradation insensible depuis leurs jouets jusqu'à l'Ins=
truction, et que la rigueur n'est jamais nécessaire. Il y a
beaucoup de vrai dans ce principe, mais je ne pense pas
qu'il suffise seul pour une bonne Education et je me défie
des Principes uniques depuis que j'ai vu tant d'Exceptions
qui pourroient elles mêmes être classifiées come consé=
quences de différens principes. Disputer sur ces objets en
these générale c'est ne rien faire, mais je suis assuré
qu'il
on le feroit avec succès en alléguant des Exemples;
or coment la grande Dame peut-Elle savoir s'il s'en est présenté lorsqu'on
ne le lui a pas dit dutout, ou lorsqu'on l'a fait d'une manière
incertaine? 2 caractères biffure J'aime à me persuader au moins qu'il
en résulteroit des mesures différentes, et je le penserai jusqu'à
la preuve du contraire. J'aurais tort aussi si je passois
sous Silence la manière gracieuse dont la Gde Dame elle en agit
avec tous ceux qui sont auprès de avec tous mes Collêgues. En
mon particulier elle m'a fait l'honeur de me dire les choses
les plus flatteuses, au point même qu'en les répétant on me
<7v> prendroit pour un Gascon. Hier encore, come j'etois auprès de
l'ainé, Elle arriva à l'improviste et passa près d'un quart
d'heure avec lui et moi. Après m'avoir prié de ne point me
déranger et m'avoir demandé si j'étois assis (je pense afin de me
faire rasseoir si je l'avois été) elle me dit, vous vous y prenés si
bien
; vous leur dictés des traits si bien choisis, vous lui dites
de si bonnes choses
... Mon plus grand desir, répondis je a
été de mériter la Confiance dont V. M. a bien voulu m'honorer,
le témoignage qu'Elle veut bien m'en donner est un nouvel
Encouragement pour moi
... Sunt verba, dirés vous peut=
être... Eh bien soit, mais sans parler du plaisir insépara=
ble de se voir traiter en home de mérite par une personne de
ce Rang, il est bon que cela arrive devant les Eleves, et surtout il est
bon que cela arrive au vû et scû des autres lorsqu'on l'on ne s'en
énorgueillit pas au point de leur faire envie, cela remet un honête home au niveau des
Gens à prétention, et le venge des outrages de la fortune; en
celà
Ici p. Ex. cela empêche que je ne sorte toute l'amer=
tume
n'éprouve tous les désagrémens attachés au rang inférieur
dont je suis revêtu et arrête les Insolens qui voudroient se
prévaloir de la Supériorité du leur. Ne dussai-je donc en
retirer que ces avantages, ils en seroient dêja suffisans,. puis=
qu'ils me

Ce que j'ai dit de la Gde Dame je puis le dire avec autant de
raison des Père et Mère de mes Eleves qui n'ont guêres été plus
économes de Complimens. 2 fois la semaine au moins j'ai donné leçon
à leurs Enfans, en leur présence, assis, et tout aussi comodément
que s'ils n'y eussent pas été. Mes procédés étant toujours les
mêmes et m'étant proposé l'éxemple du Tribun Drusus, il
est impossible que je sois jamais pris au dépourvû 1-2 mots biffure
début de la ligne biffure
, et qu'on me
<8r> trouve un seul instant hors de la route que je me suis
tracée; il doit donc m'être indifférent que l'on vienne ou ne vienne
pas. On ne peut pas aimer ses enfans plus véritablement que
ne font ces Parens 1-2 mots biffure: Tous les deux n'aspirent qu'à en faire
d'honnêtes gens. et Leur amitié se manifeste toujours accom=
pagnée de tout ce qui peut imprimer dans de jeunes coeurs
le desir de faire le bien. Le Père leur a déclaré plusieurs fois
en ma présence à ses enfans, que s'ils ne fin de la ligne biffure
leur application dignes du nom d'honnêtes gens
s'appliquoient
pas il préféroit qu'ils ne fussent pas au monde. La Mère
de son côté leur a adressée souvent les éxhortations les plus
touchantes, et je doute qu'aucune Mère ait jamais parlé
à ses Enfans et à leurs préposés avec plus de bon Sens et 1 mot biffure
de sagesse que celle ci. Il n'y a pas longtems entr'autres que
j'aurois voulu écrire mot à mot ceux de tout ce qu'elle disoit. Je
ne pus m'empêcher d'en témoigner toute ma surprise et
je suis assuré qu'il vous en arriveroit autant qu'à moi, tant
nous somes peu accoutumés à voir les personnes de ce rang
traiter avec le reste de l'humanité come avec des Etres de la
même espêce qu'eux. Les Parens ont au reste peu d'influence
directe et ne sont guêres consultés dans les mesures employées.

IV.

Enfin mes bons amis j'en viens à ma position présente, et
à mes Espérances pour l'avenïr.

Quant à l'Estime et à la considération je jouïs de toute celle
dont on peut jouïr dans un pays ou il faut des rangs
pour être un home. En attendant Les attentions des Parens pour
moi m'ont valu en attendant quelques égards de plus ainsi que
je vous l'ai deja marqué, et je crois en devoir la continuation à
l'attention que j'ai de ne jamais paroitre que lorsque la
necessité ou les convenances le recquièrent; de cette manière je
ne fais ombrage à personne, et je ne fatigue pas par ma
présence. Le Gouverneur a aussi pour moi de Stériles attentions
autant du moins qu'un Supérieur peut en avoir ici pour celui
<8v> qui lui est subordonné. Je ne compte pas sur sa recomandation pour
faire mon chemin et cependant on ne le fait jamais sans être
recomandé par son Chef, mais il faudroit pour celà faire ma
cour, rester une ou 2 heures droit come une hallebarde dans l'ap=
partement, faire le complaisant &c. toutes choses indignes d'un
home qui le sent, et indignes de la Vocation que j'ai. L'utilité
dont je suis et le Zêle qu'on me connoit engagent à me ménager
et mais on se gardera bien de me mettre à mon aise, on
craindroit qu'un moment d'humeur ne me fit prendre un
parti décisif, et l'on ne me remplaceroit peutêtre pas à si bon
marché. Le besoin que l'on a des étrangers fait qu'on les
prévient au comencement d'une manière tout à fait particulière,
en sçachant qu'ils éxigent des égards on leur en témoigne, mais
dans le même tems on s'étudie à mettre à profit leur zêle
et leurs talens, et à les amuser par de beaux propos et par de belles
promesses. On se sert 1 mot biffure de toutes les phrases usitées chez eux
pour persuader leur témoigner de la reconnoissance et on leur parle le
langage de la Délicatesse. de Les Etrangers de leur côté y répondent suivant
les us de leur pays et
croyant que ce langage a la même
signification que chez eux, et ignorant encore qu'il n'en a aucune
y répondent sérieusement, et sont dupes. Voilà l'histoire
de tous ceux qui ont à faire aux natifs du pays.

Rien n'est plus chétif que ma position actuelle. à la
campagne je ne suis pas le maitre de disposer d'une baga=
telle sans en avoir sollicité une permission. Veux je aller
en ville? Il faut solliciter un Equipage: ai je envie de
manger dans ma chambre? il faut veiller le moment
d'en faire la demande. Me survient-il quelqu'un? Je
n'ôse lui offrir à un mauvais diné dans la crainte même
de ne pouvoir l'obtenir. Partout en un mot je trouve des
obstacles, et pas la plus petite compensation pour les peines
que je me donne: de quel droit me plaindrois je pourtant
lorsque tandis qu'aucun home ayant mon rang n'est traité
<9r> à l'égal de moi? Jessayerois envain de me faire comprendre.
Je ne suis que major et Leibnitz même n'eut-il eû que ce rang subal=
terne, un russe lui auroit ri au nez s'il avoit prétendu aux
seuls égards que tout honnête home obtient de la part de ses sembla=
bles aïlleurs. Ce n'est point come Précepteur que j'éxiste, car
je serois bien plus mal, je suis Major donnant des leçons; or il
y a peut être 600 majors, et l'on auroit bien à faire à me
traiter différement qu'on ne les traite. Que vous importent
les rangs dirés vous? Rien sans doute lorsque j'aurai une
fois quitté le pays, mais tant que celà n'est pas fait j'y suis, je suis
dans le cas d'essuyer journellement des mortifications, sans
compter que les récompenses et les appointemens étant
éxactement comptés, non d'après la nature des occupations,
mais d'après les rangs, on pourroit périr de misère là ou
je suis si l'on n'avançoit qu'à son tour. Je peux
vivre maintenant sans m'endetter et 1 mot biffure épargner peutêtre
annuellement 3 ou 400 roubles, les années ou je n'aurai aucunes
dépenses extraordinaires à faire, Voilà le plus clair de ma
fortune, et jugés maintenant ce qu'elle me coûte. Quant
aux récompenses je n'y compte nullement, parceque ce n'est
pas le style mais ceux de mes Collêgues qui les solliciteront les obtien=
dront sans peine... En un mot je m'estimerais en conscience
très heureux si après avoir porté 12 ans le bât pour tous les
autres j'avois au bout 8 à 10000 roubles (de 30 à 40000 £ de france)
mais cette espérance je ne l'ai pas, et il faudroit de si grands
hazards pour la réaliser que je ne puis guêres la compter
pour quelque chose. Ou est-il donc celui d'entre vous
mes bons amis qui voulaitdroit de ma'une place fin de la ligne biffure
1-2 mots biffure où l'on voit le bien sans pouvoir le procurer, où l'on a
journellement des crêve coeurs et des sujets de peine, où l'on ne
<9v> jouït pas même des plus innocens plaisirs, où l'on est perpé=
tuellement détourné, où l'on vit avec des homes étrangers à tous
ces sentimens qui faisoient nos délices 1-2 mots biffure qui aggrandissent notre
Etre, annoblissent notre ame et nous rendent plus parfaits, où
l'on est expôsé à des mortifications insupportables et inconnues
partout aïlleurs, et où en jouïssant avec peine du
nécessaire on n'a pas même l'Espoir d'améliorer saon situ=
ation sort? Ah! si j'avois pû prévoir que l'honeur
d'être Précepteur de 2 Princes destinés au trône me couteroit aussi
cher,... mais le sort en est jetté, et il est trop
tard pour s'en répentir. Vous me connoissés assez mes
bons amis pour être convaincû que l'idée d'être ravalé au
point de n'être qu'un pur instrument dans les mains d'autrui;
n'a jamais pû passer dans ma tête, et que sa 1ère apparition
a dû y produire des tempêtes. Je vous avouerai aussi
qu'elle m'a rendu et me rend vraiment malheureux.
et que la Philosophie m'est d'une petite utilité pour
le supporter tout celà. Je vois avec effroy les années
s'écouler sans que j'aye pû me faire connoitre. 2-3 caractères biffure
Je me trouve dans une carrière bornée limitée, subordonné, véxé,
contrarié, et sans espoir dy acquérir faire quelque
chose pour ma réputation ou ma fortune. Chaque
jour je rougis à mes yeux du des suites qu'entraine le rôle subalterne
auque dont je suis chargé, et loin de pouvoir m'y faire,
ainsi que le Coursier fougueux je ronge mon frein
sans oser et sans pouvoir rompre mes fers. Sans pouvoir
les rompre!.. ah je les romprois sans doute si je n'étois dans
ce monde que pour moi, mais coment abandonner à
d'autres ces Enfans que j'aime, et coment annoncer
<10r> à mes parens un changement qui me feroit passer à leurs
yeux pour extravagant et feroit peut être le malheur de leurs
jours? coment me justifier non pas auprès de vous mones
amis, mais auprès du public sans me compromettre ou sans
en compromettre d'autres? Cependant je l'hazarderois je
vous jure, sans la seconde de ces considérations, et je quiterois
avec joye un pays, où l'on ne peut acquérir ni amis, ni
Protecteurs, ni honneur, ni fortune, et ou l'on ne goute
aucuns vrais plaisirs, et où tout ce qui environne l'home
ardent et généreux tend à l'engourdir et à l'enchainer;
car enfin je ne me sens fait ni pour ramper, ni pour
croupir, ni pour être nul, et il y a quelque chose
audedans de moi qui me dit que je ne suis pas à ma place.

Voilà mes bons amis mon histoire sur la
quelle vous pourrés demander des comentaires,
mais gardés la pour vous, sans en faire
part à d'autres.

PS) Aujourdhui jour de l'avénement au trône (l'une des plus grandes
fêtes) je viens de faire l' une expérience dont je vous ai parlé qui me
montre toujours mieux ce que je dois attendre. Les 2 Sous-Gouver=
neurs ont été avancés, et l'un a recu un ordre qui ne se donne
(suivant l'institution) qu'au mérite; or vous remarquerés que l'un
d'eux a deja reçu 2 graces de cette espêce, et que l'autre en a
reçu 3; or celui ci est précisément le borné: quant à moi qui porte
le bât, on me fait des complimens, et du reste on me laisse croupir dans mon
rang de major tandis que mes cadets sont avancés come Lt Colonels: Je
m'ene moquerois de tous ces avancemens si je n'avois pas le malheur d'avoir un
rang, et si je n'étois pas expôsé à me voir passer 1-2 mots biffure une foulle de
gens sur le dos. mais j'ai bien résolu de n'en pas avoir le démenti. La
raison pr laquelle on n'a rien fait pour moi, ainsi que je l'ai appris, est qu'étant
le dernier de tous les Cavaliers on n'auroit pû m'avancer sans le faire aussi pour eux
<10v> ainsi vous voyés qu'avec tout 1 mot biffure ce que je peux valloir, et quoique
mes fonctions soyent si différentes des leurs, je ne passerai jamais qu'après eux:
Eh! bien mones chers amis appelés vous cela fortune ou Duperie? Et croyés
vous qu'un home qui a tant soit peu d'honneur doive souffrir patiement
des mortifications dont les conséquences sont aussi fatales à toutes ses espérances
raisonnables de fortune? Rappelés vous mes bons amis ce que je vous disois
au sujet des rangs, on n'est jamais payé ici ou récompensé qu'à pa rai=
son de celui qu'on a, et j'ai beau être le Précepteur des Princes et
passer pour un home de mérite, si je reste dans mon rang je ne serai
jamais récompensé que come un simple major d'armée, c.a.d. que
j'aurai bien de la peine à vivre. Mais j'ai résolu d'en dire
mon avis à tems, et de n'être pas dupe jusqu'au bout. At-on
vraiment besoin de moi? on m'avancera: ne m'avance-t-on pas?
Cela en sera un avertissement de chercher à me pourvoir aïlleurs, car
il faut profiter de ses bonnes années pour travaïller à sa
fortune. et c'est être dupe de se tuer de peine pour ne
rien faire. Ce pays n'étant pas ma patrie rien
ne m'oblige à me sacrifier pour le servir, et rien ne m'oblige à supporter les humilia=
tions auxquelles j'y suis expôsé par une simple conséquence de l'Etat
des choses, et rien ne m'oblige à user mon corps et mon ame
afin que d'autres soyent récompensés tandisque je n'aurai rien.

Je pense très sérieusement à me tirer de là. et si vous pouvés m'aider faites
le.

Note

  Public

Cette transcription a été établie dans le cadre du projet La Harpe et la Russie (1783-1795).

Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier et Henri Monod, Peterhof, 27 juin 1786, cote ACV René Monod 500. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1027/, version du 08.05.2017.
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