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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 22 mars 1734
A Groningue ce 22 Mars 1734.
Je vous écrivis, Monsieur, par la poste passée. Vôtre Lettre du 5 Mars, que je reçus
hier, m’oblige à vous écrire encore par celle-ci. J’y vois la confirmation de ce que
Mr Micheli m’avoit mandé, & que j’avois de la peine à croire. Je lui répondis aussi
tôt, comme il est vrai, que je n’avois ni envoié, ni donné copie à personne, de la seule
Copie de ma Consultation, qui me reste, & qui n’est jamais sortie de chez moi. Je ne me
souviens point du tout que Mr Vernet eût seulement témoigné quelque envie de copier cette
Lettre, quand je la lui communiquai. Je savois bien au moins, que je ne le lui aurois jamais permis
qu’à condition de ne la montrer à d’autres, qu’à vous; comme il le reconnoît lui-même. Vous
savez, que, quand je vous parlai de toute cette affaire, je le fis en confidence, & en vous
témoignant combien je serois fâché de nuire à une personne, à qui je n’avois pû rendre
service comme elle le souhaittoit. Quoi qu’elle n’eût point exigé de moi le silence, 1-2 mots biffure
la nature même de la chose le demandoit. J’ai toûjours une répugnance invincible à
rien faire, au préjudice d’un Consultant, qui puisse me faire soupçonner de l’avoir trahi. C’est
bien assez de l’avoir condamné: je ne saurois me résoudre à fournir moi-même des armes
contre lui, en consentant à la publication d’une pièce, où il y a bien des choses, tirées de ses
Lettres, qu’il n’auroit eû garde de me dire, s’il n’eût espéré que mon sentiment lui seroit
favorable. Il ne s’agit point d’ailleurs de l’intérêt de ma Patrie, ou du Gouvernement
sous lequel je vis; auquel cas la question changeroit de face. Ainsi, Monsieur, ne trouvez pas
mauvais, que je vous refuse le consentement, que vous me demandez. En toute autre chose,
il n’y a rien où je ne me fisse un très-grand plaisir de satisfaire vos désirs. & je
suis bien fâché de ne pouvoir le faire présentement. Je souhaitte d’ailleurs, autant que qui
que ce soit, le bien de vôtre République: mais je ne crois pas pouvoir y contribuer par une
telle voie; de laquelle d’ailleurs je ne me flatte pas qu’on puisse tirer un grand avantage.
Mrs du Conseil font trop de cas d’une Lettre, où, en même tems que je disois sincérement
ce que je pensois, je tâchois de faire ouvrir les yeux, s’il étoit possible, à un homme que
je voiois dans une prévention également contraire à l’intérêt de sa Patrie, & à son propre
intérêt: mais, quoi que j’eusse fort souhaitté d’y réussir, c’étoit sans vouloir me faire aucun
mérite de cela auprès de vôtre Magistrat, à qui je comptois que la chose ne seroit jamais
connuë; & je ne m’attendois nullement qu’elle pût l’être. On aura d’ailleurs, assez, sans moi,
de quoi dissiper les mauvaises impressions que peut avoir faites la Consultation contraire des
Avocats de Paris; & ceux qu’elle pourroit frapper, ne se laisseront pas desabuser par
mon suffrage unique, opposé au grand nombre de ceux que Mr Micheli a trouvé moien
de mettre dans son parti. 3 mots biffure Les gens, qui ne savent pas ou ne veulent pas
examiner les raisons, ne pèsent pas les suffrages, mais les emportent. Au lieu que ceux qui
jugent & peuvent juger comme il faut, trouvent les raisons bonnes, de quelque part qu’elles
viennent. Je vous prie donc, Monsieur, de faire en sorte, s’il se peut, que ma Lettre ne
coure point, & qu’elle rentre dans les cachettes où je la croiois.
Je n’en dirai pas davantage. Je ne veux pas laisser passer cette poste, & il me
<1v> reste à peine assez de tems pour répondre aus autres Articles de vôtre Lettre.
Je vous rends graces d’avance de l’exemplaire de vôtre Abrégé d’Histoire Ecclésiastique,
que vous avez remis à Mr Pels. Je le lui ferai demander à Amsterdam, au cas qu’il tardât à
l’envoier, ou qu’il n’en trouvât pas l’occasion. Car il me tarde beaucoup de voir un Ouvrage
si long tems attendu. Cela me fournira matière à un Extrait, dans la Bibl. Raisonnée.
Je suis surpris, que vous n’aiyez aucunes nouvelles de l’exemplaire de mon Pufendorf: mais
peut-être en aurez-vous, quand vous recevrez cette Lettre; car j’apprends aujourdhui, que
Mr Barrillot, qui s’en étoit chargé, partit de Paris le 15 de ce mois, pour s’en
retourner chez lui.
Je souhaite que vos troubles finissent bien tôt, & je l’espère. Je saluë Madame
Turrettin, & Mr vôtre Fils, & suis toûjours avec tout l’attachement & la sincérité possible
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur,
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Turretin Professeur en
Theologie & en Hist. Ecclésiastique
A Genéve