Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 10 octobre 1733

A Groningue ce 10 Octobre 1733

Il y a bien du tems, Monsieur, que je n’ai reçu de vos nouvelles. Il me tarde fort d’en
apprendre, & de savoir l’état de vôtre santé. Je sûs, au mois de Juillet, que Mr vôtre
Fils, & Mr Vernet, étant de retour à Genève, vous trouvèrent incommodé. Comme cela vous
est assez ordinaire, j’espère que cela n’aura pas eû des suites plus fâcheuses, que par le
passé; & que le plaisir que vous aurez eû de revoir des personnes, dont l’absence vous tenoit
un peu en inquiétude, aura contribué à vous procurer une meilleure Santé. Enfin mon
Pufendorf est achevé. J’ai donné ordre qu’on vous en envoiât un exemplaire par la
prémiére occasion; & peut-être que Mr Barrillot, qui est encore en Hollande, me la fournira.
J’y ai fait joindre un exemplaire de mon Portrait à part, quoi qu’il se trouve dans le Livre
même: je me flatte, que vous ne serez pas fâché de le mettre dans quelque coin de vôtre
Cabinet, comme une marque de l’amitié dont vous m’honorez. Ce n’est pas de mon pur mouvement,
que j’ai engagé le Libraire à faire graver ce Portrait. Je puis vous assûrer, que, depuis que
je suis dans ce païs, j’ai long tems résisté aux sollicitations: mais enfin, il y a cinq ans qu’étant
à Amsterdam, le Libraire me pressa tant, & me fit tant presser par quelques amis, que je
fus comme forcé de lui accorder ce qu’il demandoit. Il ne débite pas encore cette nouvelle
Edition dans nos Provinces, parce qu’il s’est engagé d’en envoier auparavant cinq cens exem=
plaires à un Libraire de Paris, avec qui il s’est accommodé de ce nombre, pour empêcher
qu’on ne contrefît encore son Edition, comme on y étoit tout préparé, & c’est Mr Barrillot, qui
a ménagé l’accord. J’ai donné ordre aussi qu’on envoiât un exemplaire à Mr de Crou=
saz. Le dernier Extrait de son Livre, paroît dans le nouveau Tome de la Bibl. Raisonnée ;
j’en ai aussi donné un de la nouvelle Edition de 1 mot biffure mon Pufendorf; & un autre de l’Hist. de
S.t Domigue, par le P. de Charlevoix. Dans le Tome suivant, il y en aura d’une nouvelle Edition
de Longin, publiée à Amsterdam sur celle d’Angleterre; de la nouvelle Edition de Mariana, avec
la continuation du P. Miniana; d’une Apologie de Machiavel, par Mr Christius, Professeur à
Leipsig; & d’un misérable Livre de Rousset, intitulé, Les intérêts des présens des Puissances de
l’Europe
. J’ai donné de ce dernier Ouvrage l’idée, qu’il mérite, & j’en ai plûtôt dit trop peu
que trop. La magnifique Edition de l’Historia Thuani, faite en Angleterre, en
sept volumes in folio, paroîtra bien tôt. Le Libraire en passant à Amsterdam, depuis peu, pour
aller à Paris, en a laissé un exemplaire aux Wetsteins, où il ne manque que l’Epître
Dédicatoire au Roi d’Angleterre
, & quelque peu de feuilles 1 mot biffure des Préfaces. Je pourrai en donner
quelques Articles dans la Bibl. Raisonnée. Il paroître bien tôt une belle Edition de
l’Itinerarum Antonini, avec des Notes Variorum, par Mr Wesseling, Professeur à Franeker, très-=
savant homme & de très bon goût. Il y joindra non seulement l’Itinerarum Hierosolymitanum, qui est
dans l’Edition de Surita, mais encore Hieroclis Synecdemus, tiré, à ce que je crois, de la collection de
Schelstrate. Il ne manque plus que des deux pièces à imprimer. Nôtre Mr Driessen fait toûjours la
guerre aux Théologiens, & est repoussé vigoureusement: on ne lui épargne pas les injures, quoi qu’on
le traite de fol & de visionnaire. Ce qu’il a fait contre Mr Wetstein est pitoiable: il ne veut point
d’autre règle de Critique, que l’analogie de la Foi, & le goût d’une personne éluë. Vous savez que Mr
Wetstein est Professeur, à la place de Mr Le Clerc; quoi que, par considération pour son Prédecesseur, on
ne lui donne pas encore le tître, & qu’il fasse ses leçons dans sa Chambre. Je ne crois pas qu’il réponde
<1v> à Mr Driessen. Au moins il m’envoia, il y a quelque tems, pour lui remettre, sa Dissertation De
Variis lectionibus
N. T. que vous avez sans doute vuë, & qu’il soûtint à Bâle en 1714. d’où il paroît
que, dans les Prolegomena, il ne peut avoir eû dessein de détruire l’intégrité de l’Ecriture Sainte;
& c’est apparemment ce qu’il a voulu faire entendre à son Aggresseur. Mais il aura beau faire. Cet
homme ne sait ce que c’est que Critique. Mr Veenema le lui a reproché avec raison, aussi
bien que son ignorance profonde en matière d’Hist. Ecclésiastique.

Je saluë Madame Turrettin, Mr vôtre Fils, & Mr Vernet. Je fais toûjours des
vœux pour vôtre conservation, & pour un meilleur état de vôtre santé; comme étant avec
mes sentimens ordinaires, Monsieur, Vôtre très-humble & très-obeïssant serviteur

Barbeyrac.


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Professeur
en Theologie & en Hist. Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 10 octobre 1733, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 282. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1019/, version du 10.02.2024.
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