Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 19 août 1727

A Groningue ce 19 Août 1727.

J’avois appris, Monsieur, par une Lettre de Lausanne que je reçûs une
poste avant la vôtre, la triste nouvelle, que vous m’annoncez; de la mort de
Monsieur vôtre Cousin & Collégue. Je vous puis assûrer, que j’en fus
d’abord également surpris & affligé. Je connoissois tout le mérite de cet
illustre Défunt; & sa constitution vigoureuse me faisoit esperer que vôtre
Académie & vôtre Eglise auroit là pour long tems un Sujet, qui, marchant
sur vos traces, contribueroit beaucoup à répandre des lumières & inspirer
des sentimens, dont le bon effet ne se borneroit pas à vôtre païs. Ainsi par
cette seule raison, j’aurois regretté beaucoup un si excellent Homme, quand
même je n’aurois pas eû l’honneur de le connoître personnellement. Mais
les rélations étroites, qu’il avoit avec vous, & la vive douleur que ne peut
que vous avoir causée une telle perte, m’y font prendre encore plus
de part. Cependant, Monsieur, quelque rude que soit pour vous ce
coup, j’espére qu’après les prémiers mouvemens, inévitables, vous obtiendrez
de vous de le supporter d’autant plus patiemment, que la perte est
irréparable, & que tout ce qui regarde l’entretien du bon goût, & des
sentimens dignes de ceux de vôtre Ordre, roule maintenant sur vous seul.
Dieu veuille fortifier vôtre santé, s’il ne lui plaît pas de vous la redonner entiérement.
Au reste, on me mandoit, que l’Epouse de Mr vôtre Cousin étoit morte quelques
jours avant lui, cela auroit pû contribuer a le rendre malade, ou à aggraver
sa maladie. Je m’imagine, qu’il aura laissé famille de ses deux Femmes: je
souhaitte qu’il aît laissé quelque Fils, qui le fasse revivre un jour. A propos
de cela, je pense que vôtre unique est maintenant avancé d’une maniére
à vous donner beaucoup de plaisirs & de grandes espérances pour l’avenir.

Le jour, que je reçûs vôtre lettre, c’est-à-dire, Jeudi passé, le Maître de
poste aiant oublié de m’envoyer celle-là avec d’autres que j’y avois, elle
me fut renduë tard, & ainsi je ne pus communiquer de vive voix à Mr 
d’Aduard l’indication que vous m’y faites de Mr Eynard. C’est ce
Seigneur, entre nous (car il ne veut pas qu’on le sache) qui, avec quelques
personnes de la Cour de Frise, ménage l’affecte dont il s’agit. Je l’avois vû
le matin: mais il étoit déja retourné à sa Campagne, où il fait son séjour
ordinaire dans cette saison, ainsi je lui écrivis, & lui envoiant un extrait de
ce que vous me dites, je lui dis, que celui, dont vous me parliez, sembloit
<1v> être fait exprès pour le Poste en question, & je le priai de m’apprendre
au plûtôt si l’on agréoit le sujet proposé, & les conditions qu’on lui
feroit. Il me répondit Samedi d’une maniére à paroître bien aise,
mais il témoigna qu’il lui étoit impossible de donner une réponse si prômpte.
Il communiquera la chose en tems & lieu; & je crois qu’il pourra bien pour cela
seul aller exprès à la Cour, où il a été plusieurs fois pendant le Mariage
de la jeune Pincesse avec le Prince de Bade Durlach. 4 mots biffure
8 mots biffureA présent que les Nouveaux
Mariez sont partis, & que le Prince est rétabli d’une Fiévre qu’il avoit eue
pendant quelque tems, on pourra mieux trouver l’occasion d’agir. Je suis sûr,
que Mr d’Aduard ne la négligera pas; & qu’il me donnera avis de
tout, aussi tôt, qu’il pourra; & alors je vous le manderai incessam=
ment. J’aurois attendu cela pour vous écrire, sans le devoir indispensable
de vous témoigner la part que je prends à vôtre affliction, & à celle
de toute vôtre famille. Ma femme en fait de mêmes, & nous prions Dieu
qu’il vous conserve chérement, vous & tous ceux qui vous restent.

Je ne sai si vous savez, que le célebre Mr Thomasius, professeur à Hall,
est mort. Mr Heineccius, autre Professeur en droit, qui avoit été autrefois dans
cette Université, & qui a été quatre ans Professeur à Franeker, retourne en
Allemagne, pour être Professeur à Francfort sur l’Oder; vocation qu’il
avoit refusée par deux fois. Nôtre Université vient d’être augmentée de
deux nouveaux Professeurs, savoir, un troisiéme en Théologie, & un
troisiéme en Droit. Le prémier qui soit apparemment un Coccëjen (car il
a été recommandé par Mr Driessen) est un Mr Veget, Min. en
Zélande: l’autre, un Mr Rotgers, Professeur à Harderwic, & Groningois
d’origine; ce qui lui a procuré la vocation. On fait esperer, à la prochaine
Assemblée des Etats, un autre nouveau Professeur à la place de Mr
de Crousaz; c’est Mr Ode, professeur à Utrecht, qui a publié un
Ouvrage, dont Mr le Clerc a parlé dans sa Bibl. Cr. & M. Monsr
Lampe a quitté Utrecht pour Breme, sa Patrie.

Il y a 10 ou 12. feuilles d’imprimez du Commentaire de Mr Le Clerc
sur Job. Mais j’apprens que l’Auteur, sans avoit été malade, déchet de
jour en jour: sa voix est à demi éteinte. Il est fort fatigué du au
<2r> travail de son Histoire des Provinces Unies: & certainement il auroit dû depuis quelque
tems ménager ses forces, qui paroissent s’épuiser, par la maniére dont il écrit son
Journal, & à ce qu’on dit aussi, par sa conversation, où il repéte beaucoup.
On imprime un volume de Sermons de Mr Lenfant. Il y a aussi sous
presse un Tome de Sermons Posthumes de Tillotson, sur la Repentance & sur la
Foi, traduit par Mr de Beausobre le Fils. J’ai en main le copieManuscrit d’une Traduction
du VI & dernier Tome des Sermons, que ce Prélat avoit publiez lui-même.
C’est un Ami, qui ne veut pas être connu, qui a traduit ce Volume; & j’use
du plein pouvoir qu’on m’a donné d’y faire les changemens & corrections né=
cessaires. Le III Tome du Thesauris Juris paroît; & on souscrit pour un IV.
Le Projet de l’Edition des Œuvres de Cujas est tombé, faute d’un nombre suffisant
de Souscripteurs: on a rendu l’argent à ceux qui l’avoient donné. Le Tome XIII. de
la Biblioth. Germanique (que je n’ai pas encore vû) contient entr’aures une Diss. de
de M. de Beausobre sur la Statue de Panéade, où il ne ménage par plus les
Péres, que je fais dans mon Traité de la Morale des Péres, dont il y a cinq ou
six feuilles d’imprimées. On imprime à la Haie un Recueil des Scaligerana,
Perroniana,Thuana
&c. avec des Notes de M. Des Maizeaux; qui aussi traduit
en François l’Hist. Allemande du Japon, par Koempfer, sur la Traduction
Angloise de M. Schenczer. Il va donner aussi une nouvelle Edition de
Lettres de M. Bayle, avec des Notes; & il effacera presque toutes celles de
Marchand, qui étoient dans l’Edit. précédente. On vient d’imprimer à Amsterdam un 
Horace Latin-François; où la Traduction est en vers, & de divers Auteurs, comme
de M. de la Motte, Regnier, des Marais &c. L’Editeur, qui est Mr de la Martiniéres (Auteur du
Grand Dict. Geograph.) a traduit presque toutes les Satires, & les Epîtres; & mis au
devant un Discours de la façon. Avec tout cela, tout Horace ne s’y trouve point
traduit. On a achevé l’Edition des Memoires de l’Abbé Choisi, qui ont été imprimez
secrétement à Trevoux. Le libraire de Holl. croioit avoir une Manuscrit plus
complet, qu’on lui avoit promis: mais l’Ambassadeur de France a eu ordre de l’acheter,
pour le supprimer. Il y a une Préface, qu’on dit être de Camusat, où Mr le
Vassor
& Du Limiers sont fort maltraitez; sur tout le dernier.

Il faut finir, en vous renouvellant les vœux que nous faisons ma femme
& moi pour vôtre conservation & prospérité. Ma femme & moi présentons nos
respects à Madame Turretin. Je suis avec mes sentimens ordinaires &
les plus vifs & les plus respectueux, Monsieur, Vôtre très-humble
& très-obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin Professeur 
en Theologie & en Hist. Ecclésiastique

d'Amsterdam Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 19 août 1727, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 255-256. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1003/, version du 10.02.2024.
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