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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 16 juin 1715
A Lausanne ce 16 Juin 1715.
Je suis fâché d’apprendre, Monsieur, que vous avez eu une fâcheuse attaque
de vôtre mal ordinaire; Dieu veuille le diminuer & le rendre moins fréquent,
s’il ne juge pas à propos de vous en délivrer entiérement.
Je vous suis bien obligé de ce que vous vous étes donnés tant de mouvement
pour faire en sorte que ma Harangue fût imprimée à Genéve. Je n’ai rien à y
changer, que je sâche, car je n’en ai point de copie; & le brouillon, que je
pourrois trouver encore, est fort différent, & ne contient pas tout. A l’égard
du Titre, je crois qu’on peut le laisser tel que je vous l’ai marqué par ma
précédente. Il faudra ajoûter au commencement de la Harangue les tîtres de Magnifique
& très-honoré &c. comme dans la prémiére; excepté qu’il faut effacer Sérenis=
sime Prince, Illustre Comte &c. parce que ces Auditeurs-là n’étoient plus ici cette
année. Le jour des Promotions de cette année a été le 8. de Mai. Voilà
tout ce que j’ai à dire aux Imprimeurs. Je compte que le tout ne fera
que trois feuilles; n’y aiant ni Préface, ni Epître dédicatoire. Au reste, Monsieur,
je suis confus de la peine que vous voulez bien vous donner de 1 mot biffure voir la derniére
épreuve. Si vôtre santé vous le permet, cela sera cause que l’impression sera plûtôt
finie. Je suis sûr, que vous remarquerez tout plus exactement que je ne saurois faire.
Vous aurez la bonté de dire aux Imprimeurs, que les Notes, qui sont à la marge
intérieure de mon Ms. doivent être mises au bas des pages; & celles qui sont
à la marge extérieure, marqués par des lettres, doivent y demeurer.
Je suis fâché que les idées de Mr de Chapeau Rouge, au sujet
du grand principe établi dans mon discours, ne s’accordent pas avec les miennes.
Jusqu’ici j’ai regardé ce principe comme au dessus de toute attaque; & je
l’ai trouvé propre à de fournir une décision aisée de bien des questions, sur
lesquelles on brouille tout, faute de le poser. C’est Mr Noodt, qui m’en
a donné les ouvertures dans ses Discours sur le Pouv. des souv. & sur la lib. de Consc;
& j’ai tâché de le développer & de l’appuier de nouvelles reflexions dans le
mien. Quand celui-ci sera imprimé, j’en ferai présenter un exempl. à Mr
de Chapeau Rouge; & si, après l’avoir lû attentivement, il ne veut bien jetter sur
le papier les reflexions qu’il aura faites sur mes raisons, je les verrai avec
plaisir; prêt à changer de sentiment, si on me convainc d’erreur; sinon,
j’en conlurai que mon principe est bien solide, puis qu’un si judicieux
& si pénérant esprit n’aura pas trouvé de quoi l’ébranler suffisamment.
<1v> Je vous rens graces, Monsieur, des nouveautes literaires que vous me marquez
dans vos deux derniéres lettres. Si vos libraires de Genéve étoient bien fournis, ils auraient
eu ces livres pour la plûpart il y a long tems. Je n’ai que cinq volumes de la
Bibliothc. Graeca de Fabricius; je sai qu’il en a paru un 6. que l’on m’envoie
de Hollande; mais je n’ai pas encore entendu parler du 7.e. Je ne sai s’il finira le
Recueil; j’en doute pourtant, parce que l’Auteur, changeant son prémier plan,
s’est mis à parler des Auteurs Ecclésiastiques. J’attens aussi de Francfort la
Biblioth. antiquaria. J’ai aussi les Oraisons de Cellarius: mais je n’ai pas encore
entendu parler de ses Lettres. Si elles ne consistent pas en purs complimens ou affaires
particuliéres; il y aura de bonnes choses. J’ai aussi la Bibl. lat. & le suplément.
Vouz aurez raison d’estimer ce Mr Fabricius. Il y a peu d’Auteurs en Allem. qui
aient autant de jugement que lui; & il y a peu de gens, qui aient une si vaste lecture.
Il n’a pas encore cinquante ans. Il 1 mot biffure a dess sous la presse depuis deux ou trois
ans un Sextus Empiricus: je ne le vois pourtant pas encore dans le Catalogue de la
foire de Francfort. Mais j’y ai vû, parmi les livres futuris nundinis prodituri
vos Harangues qui doivent être jointes en un volume. Je ne crois pas que vous
aiyez part à cette édition; cela devroit vous engager à en donner vous-même
une revuë & augmentée.
Mr Humbert m’apportera apparemment une bonne partie des
feuilles du V. Tome de Tillotson, qui devoit commencer d’être imprimé au mois
d’Avril. Je n’ai point de nouvelles de Hollande depuis ce tems-là.
Je n’ai pas vû la Vie de Mr Bayle. Les Libraires avoient promis, dans leur
Gazette, de la donner à part in 12°. Mais j’ai la Vie Angloise in 8°
qui fut publiée il y a quelques années. On m’a assûré qu’elle avoit été traduite
sur un Ms. de Mr desMaizeaux. Mais Mr des Maizeauz se
dispose à en donner lui-même une fort ample. On peut être assûré qu’il
furetera par tout pour déterrer des particularites. Son zéle pour la mémoire
de Mr Bayle, est fort vif. Pour Mr de la Monnoie, il ne peut être
guéres bien instruit.
Le Public perd en la mort du P. l’Amy, & de Mr Périzonius: mais
par la mort du dernier, Mr le Clerc a un ennemi de moins. Mr Périzonius, pour=
tant, malgré ses défauts, étoit un très-habile homme, & un judicieux Critique.
Je ne sai si on a rimprimé les deux prémiers volumes de la Reform. d’Anglet.
de feu Mr Burnet, en même tems que le nouveau. C’est un livre que je tâcherai d’avoir.
Les Gazettes nous ont annoncé aussi une Histoire des affaires d’Anglet. depuis le Roi Guillaume
jusqu’à la mort d’Anne; comme aiant été trouvée achevée dans le Cabinet de ce
digne Prélat. Cela sera curieux.
Je vous souhaite une bonne santé, & suis, Monsieur, à mon ordinaire
Vôtre très-humble
& très-obéïssant
serviteur
Barbeyrac
J’ai remis les exempl. de vos derniéres Théses à ceux
pour qui ils étoient. Ils vous remercient tous, & m’ont
chargé de vous faire leurs complimens.
A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur & Profess:
en Theologie & en Hist. Ecclésiastique
A Genéve