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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 22 janvier 1785
de paris le 22e 1 mot recouvrementjanvier 1785
ainsy va le temps mon cher et digne amy, et jamais n'a=
portera de changement à la tendre estime et amitié que je vous
ay toujours portée, quoyquil ait diablement travaillé sur
les organes et peutêtre aussy sur les facultés. que bien vous
conserve en joye et santé, vous et les votres, car selon le
moule de lhumanité présente et passée, il n'en scauroit guères
faire de meilleure.
votre commission pour le sr des franges a été bien et duement
faite, et la lettre, à luy remise en main propre, il a dit quil y
répondroit promptement.
je vous remercie de tout mon coeur de la peine que vous avés
prise de me détailler toute votre besogne et intérèst actuel, on
ne peut pas plus exactement; j'en connoissois la base, j'en vois
les détails comme rituel d'une sage république, et la seule qui
puisse l'être. si j'étois moins endurci aux inconvéniens et aux
mécomptes, peutêtre vous scaurois je mauvais gré de m'avoir
initié dans une carrière de tracas, pour y prendre intérèst;
mais ma méthode est sûre, si vous reussisés j'en auray joye,
sinon je n'en seray pas faché; j'auray pour lénitif quelque
frère ou cousin, et au pis aller, encor dirois je à Mr votre
gendre, quil n'est pas sage ny désirable de reussir si prompte=
ment à tout, et en masse; quil faut que la vie soit mèslée
<1v> de l'une et de l'autre fortune, pour nous faire le tempéremment;
qu'à parler et penser sagement et isolé des préjugés de notre
temps et de notre sphère, il est plus que personne dans le cas de dire comme
l'autre
non, que les dieux ne m'otent rien,
c'est tout ce que je leur demande.
et que puisqu'il faut grandire, quoyqu'on soit bien comme l'on
est, on peut recevoir avec patience les contretemps qui retar=
dent ces sortes de succès lâ. peutêtre cette morale seroit elle plus
difficile à faire entendre à la jeune dame, attendu que la pro=
motion raprocheroit, si je ne me trompe, le temps où ny corres
ny 1 mot écriture n'auroient rien à démèsler avec son époux. elle
n'est pas encore dans le cas de scavoir qu'un retour vaut
quelquefois bien mattues, et quil est des gens qui trouvent que
les plaisirs de l'absence varient et empèchent l'uniformité. en
tout mon cher ami vous suivés le précepte de l'Apôtre qui
recommande d'agir comme pouvant tout; et de se résigner comme
ne pouvant rien, ainsy je ne vous en parleray plus jusques à
pâques.
votre voisine, amie et parente me charge de vous dire à touts
bien des choses de sa part. je piste des procureurs; à cela près
juse des privilèges de l'age, et ne sors guères de mon manoir que
le matin pour empècher les jambes de se rouiller tout à fait.
adieu mon cher amy, mes Respects chex vous, et je vous embrasse
tendrement
Mirabeau
à monsieur
Monsieur de Saconai
à Berne en Suisse
Par Pontarlier