Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 30 novembre 1713

A Lausane ce 30 Novembre 1713.

Je voulois, Monsieur, vous écrire par le retour de Mr vôtre Cousin, & mais je
n’eus pas le tems de le faire, & depuis cela mille distractions m’ont obligé à renvoyer de
poste en poste. Je dois vous remercier d’abord de la Montre, que vous m’avez renvoyée,
ornée d’un beau cordon. Elle va assez bien à l’heure qu’il est; mais elle retardoit
d’abord: mais par le moien de la petite rouë d’argent, je l’ai mise à un point, que
l’aiant montée sur un Quadran solaire public, huit jours après elle s’est trouvée encore
d’accord avec ce Quadran, quoi qu’elle ne s’accordât pas aves les Horloges. Vous m’avez fait
plaisir de m’envoyer le billet de l’Horlogeur; car, quoi que je sûsse bien de quel sens il falloit
tourner la rouë, pour avancer ou reculer la montre, & je ne savois pas que peu de mouvement
fît beaucoup; & je croiois que les chiffres marqués sur la rouë devoient régler cela; au lieu que
je comprens maintenant qu’elles ne servent de rien.

Je vous remercie aussi de la Lettre de Mr Des Maizeaux, que vous m’avez envoyée. Il
me parle des Tables Chronol. nouvellement imprimées. Elles sont d’un Mr Marshall, à qui
l’Eveque de Worcester a fourni une addition de l’Etat de l’Eglise, tant Juive que Chrétienne,
depuis Adam jusqu’à la Ruïne de Jerusalem; car les Tables, au nombre de 4. ne vont
que jusqu’à J. Ch. J’ai demandé, si on ne continueroit pas jusqu’à nos jours. Celles qui sont
imprimées, le sont en Anglois, & en Latin: Mr DesMaizeaux me dit, qu’il m’envoira les
dern. par la premiére occasion. Il m’apprend que Bentley a fait rimprimer à Cambridge
ses Emendationes sur Ménandre; c’est-à-dire, qu’il léve le masque contre Mr Leclerc.
Mr Hudson en est au IX. L. des Antiq. Jud. de son Joseph. Il y a dix feuilles d’im=
primées, des Lettres de Mr Bayle, qui s’impriment à Rotterdam, en 2. voll.

Je n’ai pas encore vû la 2. partie du T. XXVI. de la Bibl. Choisie: mais j’ai
l’Horace même de Bentley, de l’Ed. d’Amst. qui coûte la moitié moins q celle d’Anglet. &
cependant, outre la beauté de l’édition, il y a un grand indice d’ajoûté, qui seul mériteroit qu’on
l’achetât. Il y a assûrément bien des corrections que l’on peut regarder comme démon=
trées: mais il y en a aussi de peu nécessaires, & qui viennent d’un excès de délicatesse.
C’est dommage que tant de Savoir & de pénétration se trouve joint avec tant de
fierté & de présomtion, & avec une trop grande démangeaison de corriger. Sur tout on ne
sauroit lui pardonner qu’il inséra quelquefois dans le Texte, des corrections qui ne sont
fondées sur aucun Ms. & qui ne sont rien moins que nécessaires.

J’ai aussi reçû un Livre Anglois Anonyme, A Discourse of free-thinking &c.
Il est de Mr Collins, qui me l’envoie. Vous jugez bien que les Ecclésiastiques d’Angleterre n’y
sont pas épargnez. On a publié 12. Réponses contre ce Livre; entre lesquelles il y en a une de
Bentley, & une de Whiston.

Vous aurez vû app apparemment l’Hist. du Conc. de Const. que j’attens encore.
Mr l’Enfant m’écrit, qu’il se dispose à donner l’histoire de ce qui s’est passé par rapport
à l’Etat Ecclésiastique depuis ce Concile jusqu’à celui de Bâle, & du Concile de Bâle même,
c.d. l’histoire de près de 25 ans. Il me prie de chercher dans ce païs toutes les piéces ou Mss.
ou imprimées, qui pourroient lui être de quelque usage; car le Concile de Bâle devroit être transferé
ou continué à Lausane. Si vous en savez quelcunes vous m’obligerez de me l’indiquer. Je
verrai s’il y auroit quelque chose ici dans les Archives; & auparavant même je consulterai Mr
Ruchat, qui y avoit fouillé, dans le dessein d’écrire l’Hist. Eccles. du Païs de Vaud.

<1v> J’envoyai Mardi en Holl. par la poste ma Réponse à Mr De Joncourt. Si
vous avez lû son Livre, vous comprendrez aisément, qu’il ne m’a pas été difficile de le mener battant.
Je me suis engagé, je ne sai comment, à lui répondre un peu au long. J’avois un peu de loisir,
quand j’ai reçû son livre, & quoi que je le trouvâsse pitoyable, je crus d’abord que, puis qu’il
affectoit de m’attaquer avec un air de hauteur, il étoit bon de le mortifier un peu & de le
relancer vigoureusement. Cependant je ne voulois d’abord que le faire en pré en forme de
Préface à la nouv. Edit. de mon Noodt. Mais, quand j’ai été une fois embarqué, j’ai
vû qu’il falloit prendre un autre tour, & j’ai fait un Discours à part sur la Nature du
Sort
, où j’ai fait entrer bien des reflexions qui ne seront peut-être pas desagréables aux
Lecteurs. De sorte que ce Discours, avec la traduction de celui de Gronovius sur la Loi
Royale
, grossira le volume pour le moins du double. Mais j’ai fait ma bonne déclaration
de ne plus rien écrire contre Mr D. J. quoi qu’il puisse faire; comme j’en ai agi aussi
avec un autre Adversaire à peu près de ce caractére, je veux dire avec Mr Du Tremblay,
dans une prémiére & derniére Replique, que Mr l’Abbé Bignon m’a promis de faire
inserer dans un des Journaux de Paris. Je serai obligé bien tôt de faire aussi rimprimer
l’Abrégé de Pufendorf.

Avez-vous le nouveau Journal literaire, imprimé à la Haie? On me mande qu’on
ne croit pas qu’il continuë long tems; non plus que celui de Mr Masson. Vous avez
entendu parler de la maniére dont on s’est déchainé en Holl. contre le dernier, sur son explication
du Ps. CX. L’ordre du Synode, tenu à Breda le 7. Sept. pose, Que si l’Auteur
eût été membre du Synode ou des Eglises, on auroit procédé contre lui avec toute la plus
severe rigueur de la Discipl. Eccl. Elle a crû pourtant (la Compagnie) que puis que
le Livre étoit écrit en nôtre langue, le zéle qu’elle doit avoir pour l’orthodoxie & pour le
maintien de la Relig. Chrêt. l’obligeoit de desavouer entiérement la dite Explication, & de
déclarer qu’elle la regarde comme impie, & tout-à-fait contraire à la Revelation & aux
déclarations expresses de J. Ch. & de ses Apôtres.

La nouv. Edition du Comment. Philosophique faite à Rotterdam, est augmentée d’un
autre petit Livre de Mr Bayle, Ce que c’est que la France toute Catholique sous le régne de
Louïs le Grand
. On imprime en Holl. le Spectateur Anglois francois, traduit de l’Anglois, dont
il y a déja 5 ou 6. voll. qui se publient par feuilles toutes les semaines. On a imprimé un
petit livre de Mr Deslandes de l’Académie des Sciences, Reflexions sur les Grands Hommes
qui sont morts en plaisantant
. Le Livre est fort Libertin, aussi bien que son Auteur.

Au reste, Monsieur, n’y a-t’il pas encore moien de vaincre vôtre délicatesse sur
l’impression de quelques-uns des Ouvrages, que vous avez sur le métier depuis long tems? Je suis sûr que,
si vous aviez quelque chose de prêt, & que vous l’envoiassiez à Mr de la Motte, il ne
manqueroit pas de trouver des Libraires. Il faut qu’il aît le Ms. en main, pour bien prendre
ses mesures. Et vous seriez sûr d’avoir là un bon Correcteur?

J’ai été surpris de l’ardeur qu’on a témoigné pour ma Trad. de Grotius, & du
promt effet des promesses de Mr l’Abbé Le Grand. Mais aurez, je crois, trouvé impraticable la
proposition d’envoier mes Corpus à Paris. Je crois que je ferai entendre raison là-dessus. La
poste va partir. Je suis, Monsieur, à mon ordinaire, après vous avoir souhaitté
une bonne santé, & à toute la famille, Vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur

Barbeyrac

J’écris à Mr vôtre Cousin, pour le
feliciter.

Quand vous écrirez à Mrs Rillet & de la Rive, aiez la bonté de leur
faire mes complimens.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur & Prof.
en Théologie & en Hist. Ecclésiastique
À Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 30 novembre 1713, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 152-153. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/873/, version du 10.02.2024.
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