,
Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 18 mai 1713
A Lausane ce 18 Mai 1713.
J’attendois, Monsieur, de jour à autre, une occasion que l’on me disoit fort
prochaine, pour vous donner de mes nouvelles, & vous en demander des vôtres, 1 mot biffure
en vous envoiant les Droits de l’Eglise Chrétienne; & vous renvoiant le sac qu’on
m’avoit prêté chez vous. Mais ce ne fut que dimanche dernier que je pûs remettre
le paquet à Mr Pluviane, Avocat de cette ville, qui arriva le lendemain
à Genéve, avec les Comtes d’Hohenlo, qui logent chez lui. J’espére qu’il n’aura
pas tardé à vous rendre ce paquet, & que vous aurez reçû de mes nouvelles à
peu près en même tems que j’en ai reçû des vôtres. J’ai été bien affligé
d’apprendre que vous avez eu une attaque de vôtre mal. Je le craignois, quand je
partis de Genéve. Dieu soit loué de ce que les suites n’en ont pas été longues ni
extrémement fâcheuses. Je souhaitte que le lait d’anesse, & l’air de la Campagne,
où sans doute vous irez bien tôt, si vous n’y êtes déja, vous fasse beaucoup
de bien. Je souhaitte aussi une bonne Santé à Madame, & à vôtre aimable
Enfant.
On nous a dit, que les Epreuves pour la Chaire de Philosophie ont été renvoyées;
je le crois, puis qu’elles devroient avoir commencé avant les Promotions, & que vous
ne m’en dites rien. Ce sont apparemment les Amis de Mr Cal. qui ont
procuré ce renvoi, pour lui donner plus de tems à se préparer.
Quoi que la recherche des Etymologies soit le païs des conjectures, je doute
que vôtre Professeur aux B-L. réüssisse mieux en cela, que ceux dont il rejette avec
dedain les explications. Il ne suffit pas ici d’avoir de la mémoire, & de
trouver quelque ressemblance entre les termes de différentes langues. De cette
maniére on tirera quidlibet ex quolibet, & on fera venir les mots de telle
langue qu’on voudra. Nous avons eu à Berlin, dans le Collége françois, un
homme, mort depuis peu, qui, entêté de la Science des Etymologies, en quoi consistoit
tout son savoir, prenoit des dictionnaires de Langues qu’il n’entendoit point,
& alloit chercher là-dedans des mots qui eussent quelque conformité avec ceux
dont il cherchoit l’étymologie; après quoi il bâtissoit là-dessus mille chiméres, sans
s’embarrasser d’examiner par l’histoire, si les Langues dont il s’agissoit venoient
l’une de l’autre ou médiatement ou immédiatement, & s’il avoit quelque liaison
<1v> entre la ressemblance des termes, & les choses mêmes qui auroient pû donner lieu à
la dérivation; ou qui, s’il alléguoit quelque raison, ne débitoit que des pauvretez.
Cet Auteur a publié là-dessus quelques dissertations, où il réfusoit Mr le Clerc avec
autant de dédain qu’a fait vôtre Professeur, & sans lui opposer de meilleures objections.
Mr Le Clerc y fait allusion dans un endroit de la Bibliothéque Choisie (dans
l’Extrait, à ce que je crois, d’un Livre du P. Bonjour) mais ce qu’il en dit, est tel,
qu’on ne peut deviner à qui il en veut, à moins que d’avoir vû les Dissertations de
ce bon homme, qui n’ont pas beaucoup couru le monde. Je les ai, & si vous
aviez envie de rire en les lisant, il ne tiendra qu’à vous.
Je ne manquerai pas de faire vos complimens à Mr de Croza, que je n’ai pas
vû depuis vôtre lettre reçuë. Mr Bergier est à Berne, fort goûté & fort bien venu
auprès des Seigneurs de cette Ville. On espére que les propositions qu’il a faites de
la part des Classes, & de la part de l’Académie, seront favorablement reçuës; le
Conseil a nommé une Commission pour les examiner. Il prêcha là il y a quinze
jours, sur Hebr. I, 3. Soûtenant toutes choses par sa parole puissante; & il fut fort
applaudi. Vous comprenez bien la raison du choix de ce Texte. J’avouë que je
n’approuve point cette politique, & que si j’avois été à sa place j’aurois pris un
texte de Morale, ou de toute autre matiére que celle-la. Les Ecclésiastiques, bien
loin de lui en vouloir plus de bien, regarderont cela comme une affectation, qui
leur paroîtra suspecte. Il vaudroit mieux aller son grand chemin; & il estseroit bon
que des gens, qui, comme lui, sont considerez à B. contribuassent à faire revenir les
esprits d’un préjugé où on les entretient, que les Sermons de Morale sont inutiles,
& une marque d’hétérodoxie.
J’ai eu, Monsieur, tout le soin possible, de ma Montre, comme d’une
chose qui me vient de vous. Je crains qu’elle n’aille pas bien. Je l’ai montée
régulierement toutes les 24 heures; elle a été discordante de nos Horloges, tantôt avançant,
tantôt reculant environ d’un quart d’heure; ce que j’ai aussi remarqué en la
comparant avec d’autres montres. Le lendemain que je fus arrivé ici, je voulus la faire
accorder avec nos Horloges, & en leur faisant faire le tour à l’éguille, il me sembla
qu’elle n’est pas également ferme partout, & qu’en certains endroits elle étoit plus
lâche, en sorte qu’elle alloit & venoit un peu. Je l’avois montée hier à l’heure ordinaire
à onze heures du matin, & j’ai été tout étonné ce matin qu’elle s’étoit arrêtée sur huit
heures, & cependant la fusée étoit toute dégarnie. Je ne crois pas ne l’avoir montée qu’à demi. Je l’observerai encore quelque
tems, & la comparerai autant que je pourrai avec quelque bon Cadran solaire; après quoi,
si elle n’est pas juste, je profiterai de la précaution que vous avez prise & dont
je vous suis infiniment obligé, aussi bien que du présent en lui-même, qui
m’est très utile, & qui indépendamment de cela seroit toûjours fort cher, à cause
de la main d’où il me vient.
<2r> Je vais commencer aujourdhui mes Leçons publiques. Je n’en ai point
fait encore, parce que nous avons eu des Assemblées Académiques, principa=
lement pour proceder à l’examen de plusieurs Etudians en Theologie
qui aspirent à l’imposition des mains. Je fais encore mille
voeux pour vôtre santé, & suis
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur en
Theologie & en Hist. Ecclesiastique
A Genéve