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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 06 septembre 1712
A Lausanne ce 6 Septembre 1712.
Je vous renvoie, Monsieur, la lettre de Mr l’Abbé Bignon, où j’ai vû avec plaisir la
justice qu’il rend & à vous, & à Mr vôtre Cousin. Je ne croîois pas qu’il se mêlât de prêcher, & je m’i=
magine que cela lui arrive rarement; mais je ne doute pas qu’il ne s’en aquitte aussi bien qu’on le peut
dans sa Communion. La Harangue Inaugurale de Mr Bernard, selon ce que vous m’en dites, aura été
mieux goûtée, que la prémiére qu’il fit lors qu’il fût établi simplement Lecteur en Pphie; car j’ai ouï
dire que c’étoit peu de chose. On ne me donne pas non plus une grande idée de son Traité de la Repent.
tardive. Son Livre pour prouver, Que la Rel. Chrét. est souverainement aimable sera peut-être
meilleur, parce que la Dispute qu’il eut avec Mr Bayle l’engagea à méditer profondément ce sujet.
Je suis fâché, comme vous, qu’il ne aît entiérement discontinué la Républ. des lettres. N’avez-vous
pas eu occasion de voir à Genéve le nouveau Journal de Mr Masson le Cadet?
Mr de la Motte m’écrit que Waesberge, qui lui avoit promis d’imprimer le Recueil de vos Dis=
sertations, change d’avis: mais que peut-être se ravisera-t-il, lors que vous les aurez envoiées; & qu’en
tout cas on espére de trouver un autre Libraire. Mr Almeloveen est mort. Les
Poësies de Mr Rousseau paroissent, en 2. voll. plus gros que le seul de l’Edition de Soleure; &
Gacon, qui jouë cette piéce à l’Auteur, y a joint un 3. Tome, intitulé, AntiRousseau, à la
fin duquel est la Faetum de Mr Saurin. J’ai reçû l’Anacréon de ce Gacon. Les
vers de la Traduction sont beaux, & infiniment plus naturels que ceux de Longepierre:
mais la longue Préface, qu’il y a au devant, & l’Hist. d’Anacréon, sont pleines d’une infinité
de traits mordans; il attaque brusquement tout le monde à droite & à gauche, sur tout
Mr de Fontenelle, qu’il appelle Briguenelle, & Mr l’Abbé Regnier, Rignomare; &
Made Polier Dacier, Euphrosine &c. Mais peut-être avez-vous déja vû tout cela.
Mr Saurin, de la Haie, a fait imprimer un 2. tome de Sermons, non sans avoir essuié bien
des difficultez de la part des Examinateurs; 1 mot biffure le Libraire lui donne un ducat par feuille,
& a fait graver son portrait à la tête. Le même Saurin fait une Hist. de la Bible, pour
accompagner de belles figures, que Picard, Graveur de Paris, prosélyte, a dessinées. On
rimprime, sur la copie de Paris, un livre, intitulé les Hommes; & qui est dans le goût de la
Bruyére. L'Hist. du Concile de Constance par Mr Lenfant, est actuellement sous la
presse. Mr Coste est à Hanover, & apparemment viendra bientôt en ce païs. La 2e
Ed. de Pufendorf est enfin achevée. Voilà, Mr tout ce que je sai de nouveau.
J’y joindrai ce que Mr Baux vient de m’écrire au sujet de vôtre Diss. de Christo audiendo, que
je lui avois envoiée: «J’y ai trouvé le caractére qui est propre à Mr Turretin; netteté, solidité,
pureté de stile, & choix de raisons. Il trouvera fort peu de contredisans, tant par la
force dont il a manié son sujet, que par la persuasion dont tous les Théologiens sont
prévenus, qu’ils n’écoutent que J. Ch. Souvenez vous de Mr Repey (C’est un
Min. de Berlin) qui n’a jamais mis de différence entre la parole de Dieu & ses Ser=
mons; Dormir à ses Sermons, c’étoit dormir à l’ouïe de la parole de Dieu: ne se rendre
pas à ses raisons, c’étoit resister au St Esprit: Jusques-là qu’il disoit un jour en propres
termes, & avec une certitude de foi qui me ravissoit en admiration, qu’il falloit être
fou, extravagant, & impie, pour ne pas reconoître dans l’Oraison Dominicale autant
de preuves de la Divinité de J. Ch. qu’il y a de demandes. Et une autre fois qu’il faisoit
le Catéchisme à des Enfans, il leur démontroit invinciblement la Trinité, par la construction
du verbe Barah au sing. avec le mot Elohim au pluriel. Il prétend pourtant, comme
tous les autres, qu’il n’a jamais écouté que J. Ch. Haec eadem exspectes à summo
<1v> minimoque Poëta.» J’ai copié, Mr ce petit conte, pour vous réjouïr. Je suis bien
aise que vôtre santé soit un peu meilleure. Quoi que la mienne se soit rétablie considéra=
blement, cependant la racine du mal subsiste encore, & je crois bien que, comme Mr Chenaud
me l’avoit dit, il faudra en venir à quelque apéritif, comme l’acier, pour déboucher ces
obstructions qui se sont apparemment formées dans mon estomach, & qui se faisant toûjours sentir
peu ou prou, sauf de tems en tems plus fortes. Quand vous verrez Mr Chenaud, je vous
prie de lui dire qu’à sa commodité il se souvienne de ce qu’il m’a promis, présentement
que les chaleurs sont apparemment passées, & permettent de faire quelques remédes; car je
n’ai point envie de laisser enraciner mon mal, s’il se peut. Il me tarde
bien que Mr vôtre Cousin vienne ici, pour avoir l’honneur de le connoître de
près. Au reste, sauriez-vous me dire, quelles étoient les deux Dignitez, considérables
dont Mr Burnet dit que Tillotson étoit revêtu avant son élévation à l’Archeveché.
Il les appelle Great Prefeiments, il parle de sa Cathédrale. Il me semble avoir lû quel=
quepart qu’on le qualifioit Doien de Canterbory St Paul & Clerc du cabinet du Roi; car je ne crois pas qu’il aît été Evêque.
Je ne sai pas non plus ce qu’il étoit avant cela dans la Société de l’Hôtel de Lincoln, & dans
la Parroisse de St Lawrence-Jewry, entre lesquelles il partagea ses fonctions pendant plusieurs
années; ni que où étoit le Bénéfice qu’il est avoit eu d’abord à la Campagne, d’où il fut
rappellé au bout d’un an par la Société de Lincoln. Il auroit été à souhaitter que
Mr Burnet eût marqué tout cela à la marge en un mot, puis qu’il faisoit imprimer
son Oraison funébre.
J’oubliois de vous dire, ce que vous serez bien aise d’apprendre si vous ne le savez
pas, que Mr Le Clerc est rétabli, & qu’il se porte bien, selon ce qu’on me
mande du 15 du mois passé. Je suis toûjours, Monsieur, Vôtre très humble
& très-obéïssant serviteur
Barbeyrac