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Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 17 février 1711
A Lausanne ce 17 fevrier 1711.
Monsieur,
Je reçus, il y a une quinzaine de jours, par la Galiotte, vos Harangues, que j’avois
pris la liberté de vous demander. Je vous suis bien obligé de ce beau présent. Je
n’aurois pas tant tardé à vous en remercier, si je n’avois craint de vous incommoder, dans
l’état où je voiois que vous étiez, par la nécessité où vous vous étiez trouvé d’emprunter
une main étrangére pour m’écrire. Quoi que, dans vôtre derniére lettre, vous ne me parliez
pas de la situation présente de vôtre santé, je conclus que vous vous portez mieux; de
ce que vous m’avez fait la grace de m’écrire vous même, & je souhaite de tout mon
coeur que vous ne soyiez plus désormais sujet à de si fréquentes incommoditez. J’ai lû
quelques unes de vos Harangues, avec le même plaisir & le même profit que j’avois trouvé
dans celles que j’avois déja eu occasion de voir: le même goût & le même esprit y
regne, & si vous n’avez voulu y mettre ni Erudition, ni Eloquence, l’une & l’autre
ne laissent pas de s’y trouver, d’une maniére à faire juger que chez vous elles
coulent de source, & sans que vous vous en aperceviez. Il ne m’appartient pas de
faire aucune remarque sur des piéces si achevées en leur genre. Ce n’est pas
que, s’il s’en étoit présenté, je n’eusse eu la hardiesse de vous proposer mes
difficultez. On ne sauroit, à mon avis, mieux témoigner, à quelcun, la haute idée
qu’on a de la bonté de son esprit & de son coeur, qu’en le croiant disposé à
écouter favorablement les reflexions d’autrui sur ses propres Ouvrages, de quelque
part qu’elles viennent. Au reste, vous ne trouverez pas mauvais, que je vous dise,
que ceux qui firent le paquet qu’on m’envoia de vôtre part ont oublié apparemment
d’y joindre la Harangue des Jeux Séculaires, dont j’ai vû autrefois l’Extrait dans les
Journaux.
Par ce que je vous ai dit, vous jugez bien, Monsieur, que je vous ai toute l’obli=
gation du monde de la bonté que vous avez euë de me faire part de que vos Remarques
sur les vers que je me hazardai de mettre dans un des Sermons de Tillotson. Je vous
aurois encore plus d’obligation, si vôtre santé & des occupations plus importantes
<1v> vous avoient permis de lire, avec un esprit critique, cette Traduction du IV. Tome, &
la Préface qui la précéde. Il y a, par exemple, dans celle-ci, pag. LV. à la
fin de paragraphe l’Article, un endroit où le sens est entiérement corrompu;
je ne sai si la faute en doit être attribuée aux Imprimeurs, ou si moi-même
étant pressé je sautai quelques mots; mais, quoi qu’il en soit, voici ce que
j’ai voulu dire dans les trois derniéres lignes: entre les principes qui ménent à la
sédition, & ceux qui font de tous les Sujets autant d’Esclaves: tout ce qu’il
dit, ne tend qu’à inspirer &c. Je n’avois point pris garde à cela, en relisant ma
Préface, depuis que je ne l’ai reçuë imprimée, quoi que je l’eusse envoiée à l’Imprimeur depuis
le commencement de l’année passée, & qu’ainsi, comme jusqu’ici je n’ai point gardé
de copie de mes Mss. je ne l’eusse pas luë depuis long tems. Tant il est vrai qu’un
Auteur passe quelquefois, sans s’en apercevoir, sur les fautes les plus grossiéres de
son Manuscrit! Pour revenir aux Vers du 11. Sermon de ce IV. volume, je ne
sai comment je m’avisai de les faire. J’étois alors à la Campagne, & ils me vinrent
dans l’esprit en me promenant. Je n’en étois pas content moi-même, quoi que je n’en
visse pas tous les défauts; & je fus tenté de les supprimer, d’autant plus que, dans nos
Sermons François, on n’a pas accoûtumé de faire entrer des vers, moins encore des vers
tirez d’une Piéce de Théatre. Les Vers de Mlle de la Suze me vinrent bien dans
l’esprit, mais je ne me souvins pas de ceux que vous me marquez, qui approchent fort
des vers Anglois; & d’ailleurs l’Auteur, pag. 42. en répondant à l’objection, repéte les
propres termes du Poëte Anglois. Si jamais on rimprime ce Volume, je mettrai, du
moins dans la Note, les vers de Me de la Suze. A l’égard de l’hiatus du dernier
vers, a sû y semer, j’avois envoié à un Ami, qui prend soin de la correction de mes
petits Ouvrages, deux ou trois autres maniéres d’exprimer cela, dont il ne me souvient
plus, afin qu’il choisît la meilleure; mais apparemment il trouva qu’il valloit encore
mieux laisser la prémiére faute. Je ne m’étois du tout point avisé de celle que vous
me suggerez, & qui seule remédie à l’hiatus, qu’elle vient y semer; & je ne manque=
rai pas d’en profiter, aussi bien que du l’on nous charge, & du vains, fiers, orgueil=
leux: à quoi je n’avois du tout point pris garde. Le mot d’Apôtre, m’avoit paru,
comme à vous, assez mal placé, & je voiois bien qu’il n’étoit pas dans l’Original;
mais je ne pus jamais rien trouver à y substituer, & il n’est guéres possible de
changer le vers à la rime duquel il répond. Encore un coup, Monsieur, je vous
suis fort obligé de vos remarques. Toutes les fois que vous aurez occasion d’en faire
sur les autres Ouvrages, plus importans, que j’ai publiez, aiez la bonté de ne pas les laisser
échapper, & de me les communiquer généreusement.
Je viens d’achever la composition de mon Oraison Inaugurale. Vous jugez
bien que je n’ai pas eu à en aller chercher le sujet bien loin, sur tout
<2r> s’agissant d’une fondation: De Juris & Historiarum utilitate, ac utriusque
Disciplinae amica conjunctione. On a écrit à Mr le Baillif, qui est encore
à Berne, & s’il répond qu d’une maniére à ne pas faire esperer son retour de
quelque tems, on ne l’attendra pas pour me présenter, & je commencerai
bien tôt mes fonctions, qui ne sont pas même encore réglées. Ma femme
vous assûre, Monsieur, de ses respects. Je suis toûjours avec reconnoissance
Monsieur
Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur
Barbeyrac
J’ai reçû, depuis quelques jours, une lettre
de Mr Chauvin, qui me charge de vous saluer
de sa part. Il me marque, qu’il semble que l’on veuille
mettre sur un bon pié la Société Roiale des Sciences; mais je
doute fort que cela aît des suites, vû la disposition du Gouvernement,
& tant qu’il n’y aura que Mrs Leibnitz, Jablonsky, & deux ou trois
autres, qui auront part aux émolumens. Quoi qu’il en soit, au commencement de cette
année, & depuis la disgrace du G. Chambellan (à qui par parenthése on n’a fait
que ce qu’il avoit lui-même fait à l’égard de bien d’autres, sur tout de Mr Danckel=
man), Mr Printz, Min. d’Etat a été déclaré Protecteur de la Société, & il a
assisté à une Assemblée générale des Membr qui la composent. Elle est divisée en quatre
Classes, dont la 1e est celle des Physiciens, Medecins, & Chymistes; & chacune s’assem=
blera une fois le mois. La classe, dont je viens de parler, & qui est celle où entre Mr
Chauvin, a un Brevet qui lui attribue le droit d’examiner tous les Livres de Philosophie,
d’Anatomie &c. qui se publieront dans les Etats du Roi.
A Monsieur
Monsieur Turrettin, Pasteur et Professeur en
Theologie et en Antiquitez Ecclésiastiques
A Genéve