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        Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 15 avril 1738
	
	
		
A Groningue ce 15 Avril 1738.
	J’ai bien reçû en son tems, mon cher Monsieur, vôtre Lettre venuë avec le paquet envoié par
	Mr Humbert; & la derniére, arrivée Jeudi passé par la poste, avec celle de Mad. Boyer. Je vous aurois
	répondu Samedi, & envoié en même tems les additions, que vous m’avez demandées, pour la fin de la
	I. Partie de mon Ouvrage, & le commencement de la II. sans le un contretems, qui m’a mis pendant deux
	jours hors d’état de rien faire. Le même Jeudi, il y eut une Promotion de deux Docteurs en Droit,
	more majorum; & je fus, depuis dix heures du matin, jusqu’à neuf heures du soir, à cette
	cérémonie, & au repas qui la suivit. Il y avoit 18 ans, qu’on n’avoit vu ici rien de tel. Les
	Docteurs, dont l’un est Fils d’un Conseiller de la Ville, invitérent le Prince, qui assista & à la
	cérémonie & au repas. Qui plus est, la Princesse voulut être spectatrice de la reception publique, &
	vint pour cet effet à la Galerie, qui sépare le Choeur d’avec l’Eglise. Vous pouvez juger, quelle
	affluence de gens il y eût, & par conséquent quel tintarrame, & quel rompement de tête. Mais ce
	qui me fatigua encore plus, ce fut le repas, qui dura depuis deux heures & demie jusqu’à neuf;
	où par surcroit une mauvaise Musique, placée dans la Salle même du Festin, achevoit d’étourdir.
	J’admirai la bonté & la patience du Prince, & en même tems (cela soit dit entre nous)
	l’impolitesse, pour ne rien dire de pis, de nos Groninguois, à son égard. Je n’avois pas préparé le
	Prince & la Princesse à trouver beaucoup de plaisir dans cette occasion, lors que je les vis, il y a huit
	jours. La Princesse m’avoit fait dire ce jour-là, de venir à six heures, & je trouvai alors qu’on attendoit
	son retour de la promenade. Dès qu’elle me vit dans l’Antichambre du Prince, par où elle devoit
	passer, elle m’appella, & me dit de la suivre dans son Cabinet, après m’avoir témoigné le plaisir de me
	voir, engraissé, disoit-elle, depuis l’année passée, & d’un teint fleuri. Elle fut toûjours la plus gracieuse
	du monde; & après que j’eus été long tems seul avec elle, le Prince entra, débarrassé de quelques
	personnes qui l’avoient arrêté au retour de la promenade. Je fus ainsi plus d’une & heure & demi
	dans la Cabinet de la Princesse. Je dois les voir encore l’un & l’autre, & je crois que la Journée
	du Jeudi passé fournira bien de quoi rire. Je demanderai au Prince en particulier la permission de
	lui dédier mon Ouvrage; ce qui, come je vous l’ai dit, n’est que pour la forme, étant engagé à cela,
	& assûré que le Prince s’y attend. La Princesse, pendant que j’étois seul avec elle, me demanda où
	l’on en étoit pour l’impression.
	J’ai cherché, autant que j’ai pû, de quoi faire une conclusion à la I. Partie, sur ce que vous m’ap=
	prenez que la derniére page, qui commence une feuille, n’est remplie qu’un peu plus à demi. Cette
	conclusion, que j’envoie à Mr Smith, pourra, je crois, achever la page, & occuper quelques
	lignes du revers. Mais comme il restera encore deux pages, il m’est venu dans l’esprit de les
	remplir par un Carton, d'une F d’un Feuillet, où je me suis apperçû d’une bevuë grossiére, que j’avois
	fait, je ne sai comment, dans une Note, en confondant deux Auteurs citez au même endroit & qui m’avoit échappé dans la revision, où apparemment
	j’oubliai de consulter de nouveau Cluvier, que je critique-là mal à propos; ce que je faisois ordinairement,
	quand il s’agissoit de quelque chose de semblable. Pour ce qui est du commencement de la II. Partie, j’ai
	fait aussi un petit Exorde, qui suffira, à mon avis. Vous pouvez ajoûter au Titre jusqu’à Charlemagne;
	& en ce cas-là, au lieu de tout le reste, je crois qu’il vaudroit mieux mettre, tout le tems 1 mot biffure &c. depuis &c.
	J’avois effacé, jusqu’à Charlemagne, parce qu’il me sembloit, que le tître général qui précéde marquant les bornes de mon
	Ouvrage à Charlemagne, il étoit aisé de voir que tout le reste ne s’étendoit pas plus loin.
	Vous avez bien fait, de ne pas suivre le changement que Mr W. avoit voulu faire à ma
	version d’un endroit de la Lettre d’Agrippa, dont je n’ai pas encore la feuille imprimée. Cela auroit
	changé le sens, qui est bien celui de la Version Latine des Editions précedentes; mais Mr Hudson a traduit,
	comme j’ai mis, & je crois que cela convient mieux à ce qui précéde. Mr W. a cru, comme je me l’imagine,
	que la construction du verbe αφηρηγται demandoit qu’on traduisît ainsi qu’il prétend. Mais la
	construction, selon le sens de Mr Hudson, se trouve dans de bons Auteurs, comme il paroît par les dic=
	tionnaires même. Cela me fait souvenir d’une Note, dont vous m’aviez parlé, & où vous avez
	retranché & ajoûté quelque chose, sur l’indication du même Mr W. C’est à la pag. 461. not. 1. où il
	<1v> s’agit de la Ville de Scodra. Vous avez ajoûté: Elle a un Evêque – sous celui de Durazzo. Je ne
	vois pas de quoi cela sort là. Il n’y avoit point d’Evêques dans le tems dont il s’agit; & partout ailleurs je
	ne me suis pas mis, & je n’ai pas dû me mettre en peine d’indiquer, s’il y avoit, ou non, un Evêché
	dans quelque Ville; à moins que la nature du sujet ne le demandât. De plus, ce qui a été ajoûté sur la
	fin de la Note, mais à la marge on lit Codropolis, comme on lisoit dans le Texte Grec de l’Edit.
	de l’Ed. d’Henri Etienne, me fait tomber en contradiction. J’ai dit un peu plus haut, que dans le
	Texte d’Appien il y a Σκοδραν... au moins dans l’Edition de Tollius dont je me sers &c. Cela suppose que
	je n’ai pas sous ma main l’Edition d’Henri Etienne; & voilà que trois lignes après je dis
	positivement, qu’on lit Σκοδραν dans cette Edition. Il faudra bien, que j’en avertisse dans
	l’Errata; sans dire néanmoins qui a fait cette addition.
	J’ai été bien aise d’apprendre ce que vous me disiez des Magistrats d’Amsterdam, au sujet
	des Ministres qui ont prêché contr’eux, à l’occastion du Jubilé des Comédiens. J’eus occasion
	de divertir le Prince & la Princesse, en leur racontant cela. Le Prince ne savoit pas, que j’eusse
	fait une Harangue sur cette matiére.
	Mr La Carriére ne savoit pas, que son Beau-frére fût intéressé à la banqueroute de
	Vernezobre. Mr Le Maître ne lui en avoit rien dit. Au reste, comme j’avois un compte à
	arrêter avec La Carriére, il m’a paié le dernier argent, que Made Boyer me marque avoir
	remis à Mr Le Maître, quoi que celui-ci ne lui en aît pas encore donné avis. Je vous prie,
	quand vous verrez Made Boyer, de la bien remercier de ma part, de ses soins & de son
	exactitude ordinaires.
	Je sai bon gré à Mr d’Orville, d’avoir témoigné à Trotz, qu’il n’approuvoit pas son
	procédé à mon égard. Je n’ai nullement douté, que vous n’approuvassiez le parti que j’ai
	d’abord résolu de prendre là-dessus. Je suis de plus en plus éloigné de m’engager
	dans aucune querelle.
	Je suis surpris, que Mr Smith témoigne n’être pas fort disposé à mettre le Portrait du
	Prince au devant de mon Epître Dédicatoire. Le moins qu’on pût faire, ce seroit de
	faire graver les armes du Prince. Mais le Portrait de la Princesse aiant été mis au devant
	du Tr. du Jeu, je crois qu’il ne trouveroit pas bon, que je fisse une telle distinction.
	J’espére que vous ferez entendre raison à qui il appartiendra, sur un article comme celui-là,
	où les Libraires n’ont rien à perdre. Et il faudroit que je fusse averti à tems, pour pouvoir
	faire demander au Prince quelque Original, qu’on pût suivre. La Cour ne restera guéres
	ici, à ce qu’on croit, que cette semaine. Elle retournera à Leewarde, & de là ira bien
	tôt à Breda, où la Princesse se plaît beaucoup.
	Je fis remettre au Prince l’exemplaire du Livre de Mr de Crousaz contre Pope, par
	mon Gendre, qui étoit allé à Lewarden au mois de Fevrier. Il lui dit de me remercier. Pour
	ce qui est de la Lettre de Mr de Crousaz, que je lui avois envoiée à Breda, il dit, qu’elle
	s’étoit égarée, sans qu’il l’eût luë, & qu’il ne l’avoit pû retrouver, mais qu’il ne
	laisseroit pas de répondre à Mr de Crousaz. Ici il m’a bien parlé du Livre, mais sans
	aucune mention de la réponse, qu’il n’avoit pas, je crois, grande envie de faire. La
	Princesse me parut assez prévenuë en faveur de Pope; je ne m’en étonne pas, ce Poëte fait
	grand bruit en Angleterre. Elle convint pourtant avec moi, qu’un Poëte ne devoit
	pas traiter des matiéres aussi sérieuses, en s’abandonnant à son imagination, d’une
	maniére à donner de mauvaises impressions aux Lecteurs, qui ne savent pas discerner
	le vrai d’avec le faux. Je donnerai un Article sur ce Livre dans la Bibl. Rais. où je
	ferai simplement la fonction d’Historien; laissant aux Leibnitziens à voir s’ils reconnoissent les
	conséquences de leur Systême, que Pope semble avoir adopté, ou s’ils peuvent montrer
	qu’elles n’en suivent pas nécessairement. La maniére du reste dont le Livre l’Examen
	<2r> est écrit, montre assez, que, si Mr de Crousaz conserve encore beaucoup de
	vivacité, son Esprit baisse néanmoins, & son stile devient plus mauvais, & plus
	1 mot biffure sa composition moins dégagée.
	J’ai trouvé dans le dernier paquet de Mr Smith, le Livre de Mr de
	Bochat, avec sa Lettre. Je n’ai point encore lû ce Livre, intitulé Ouvrages pour & contre
	les Services Militaires Etrangers &c. Il me l’a envoié en feuille, parce, dit-il, que
	l’Ouvrage ne faisoit que de sortir de dessous la presse. Il auroit pû au moins le
	faire coudre. Je ne sai pourquoi on l’a divisé en 3. Tomes, dont aucun à part ne
	peut souffrir la reliûre, & qui tous ensemble ne feront pas un gros volume. Le long
	Mémoire, inséré dans la Bibl. Germanique, s’y trouve, avec la Lettre du Journal
	Littéraire, qui y avoit donné occasion. Mr de Bochat me dit, que, comme je donne,
	s’il ne se trompe, les Extraits des Livres de Droit qui se trouvent dans la
	Bibl. Rais. en cas qu’elle daigne faire mention de ces Piéces, il seroit bien
	heureux pour lui de tomber en des mains aussi indulgentes, que la bienveillance
	dont je l’honore, lui fait esperer que les miennes le seroient; Que cependant il n’a garde
	de penser, que je la portasse juqu’à ne pas relever ce qui me paroîtroit ne pouvoir
	être menagé sans préjudice du Vrai &c. Pour moi, je me contenterai de rapporter en
	gros les principes & les raisons de part & d’autre. Au reste, il semble croire, que je ne
	donne que des Extraits de Droit, & que je les donne tous. Ainsi on mettra sur mon
	compte l’Extrait que Mr de la Chap. a fait des Quaest. Jur. Public. de Mr de
	Bynkershoek; quoi que ceux qui connoissent mes maniéres & mon stile, puissent
	très-aisément voir 1 mot biffure que cet Extrait n’est pas plus de moi, qu’un autre qu’il
	y a dans un des premiers Volumes, sur l’Edition du petit Pufendorf de Mr Otto,
	dont je ne sai qui étoit l’Auteur. Au reste, Mr de Bochat m’apprend, que
	Mr Bourguet va entrer en lice avec Mr de Crousaz, en prenant la défence de
	Mr Leibnitz contre l’idée que Mr de Crousaz a donnée de son Systême de
	l’Harmonie préétablie, dans l’Examen du Poëme de Pope. Je ne m’en
	étonne pas. Mr Bourguet est fort entêté des idées de Mr Leibnitz, & en
	général fort dans le goût des Systêmes d’une Métaphysique creuse, & de
	toute autre sorte; comme il paroît par ses Explications de l’Alphabet & des
	Monumens Etrusques.
	Il est bien tems de finir cette longue Lettre, pour l' envoier le paquet
	à la poste. Je suis toûjours, mon cher Monsieur,
Tout à vous
Barbeyrac






