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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 29 mai 1742
A Groningue ce 29 Mai 1742.
Il y a long tems, Mon cher Monsieur, que je voulois vous écrire. Mais un gros rhûme
que j’eus au mois d’Avril, & puis diverses distractions, sur tout pendant que la Cour a été ici,
enfin le defaut d’occasion quand j’aurois pû écrire; tout cela m’a fait tarder si long tems.
Je profite aujourdhui du couvert de Mr La Carriére, qui n’eut pas le tems de m’avertir il
y a cinq huit ou dix jours, quand il vous écrivit.
J’aurai bien tôt achevé la derniére révision de mon Ms. de Cumberland, dont je me suis
donné la peine, comme je vous le dis, pour une plus grande perfection de l’Ouvrage, & pour recopier
quelques pages ou demi-pages fort barbouillées, crainte que cela n’embarrassât les Imprimeurs. Il
s’agit maintenant de régler les conditions, pour dresser le Contract, qu’il est tems de faire, afin que
je puisse envoier mon Ms. dès que la révision sera entiérement faite.
J’ai été fort surpris de ce que vous me dites dans vôtre dern. Lettre du 3. Mai: Vous savez
que j’avois dit à Mr Smith, qu’il devoit vous donner dix florins pour la feuille &c. Non
seulement je l’ignore parfaitement, mais encore je suis assûré que vous ne m’avez jamais dit
cela, & que je ne vous ai p jamais prié de le dire à Mr Smith, qui lui-même ne m’en a
jamais parlé. Bien loin de là: je vous dis, dans le tems que j’eus promis à Mr Smith de lui
donner cette Copie, 1 mot biffure exclusivement à son Associé, de qui il pensoit alors à se separer, & sans qu’il
s’agît alors en aucune maniére de parler des conditions, ce qui a toûjours été renvoié jusqu’à
ce que j’eusse entiérement fini l’Ouvrage; m’étant souvenu d’une de vos Lettres, que j’avois mise
à part, du 15 Avril 1727. & que j’ai sous mes yeux, je vous dis, que vous m’aviez écrit ces
paroles dans un PS. de la Lettre: Le moins que vous devez demander, à mon avis, du Cumberl.
est 10 florins la feuille, en imprimant le Texte gros median & les Notes Garmond.
Et j’ajoûtai (vous pouvez le voir dans ma Lettre) Je le crois bien, que 10 florins c’est le
moins. Ainsi vous voiez bien que je n'étois nullement disposé à me contenter de ce que
vous-même jugiez le moins que je pusse demander. En me répondant à ma Lettre, vous ne fites que
m’expliquer, comme vous faites dans vôtre derniére, les mots de médian & Garmond. Je puis vous assû=
rer, que mon intention a toûjours été de demander douze florins. Cette Traduction, m’a coûté, à
proportion de sa grosseur, beaucoup plus de peine & de tems, qu’aucune autre que j’ai publiée, à cause
de la maniére dont l’Original est écrit. Le stile de l’Auteur est si négligé, si dur, si embrouillé,
qu’il a fallu se donner la torture, pour & revenir plusieurs fois à bien des endroits, pour exprimer
& tourner ses pensées d’une maniére intelligible aux Lecteurs François. La Traduction Angloise a
conservé la même inexactitude, & il y a un grand nombre de fautes, outre celles d’impression de l’Original,
qui gâtent le sens, que ni ce Traducteur, ni le Docteur Bentley, ni l’Auteur même n’avoient point appercuës,
ou au moins qui ne sont pas marquées dans la Collation que j’ai euë de l’Exemplaire qui est entre
les mains du petit fils de Cumberland, gendre du Docteur. Je me flatte que la mienne paroîtra
aussi claire & aussi travaillée, que l’Original est le plus souvent obscur & négligé.
Pour ce qui est des exemplaires, vous jugez bien qu’il m’en faut trente, la moitié reliez &
la moitié cousus, comme j’ai toûjours eû, hormis pour l’Hist. des anciens Traitez, où mêm j’aurois
demandé le même nombre, si j’avois prévû dès le commencement la maniére dont la Compagnie
lezina & chicana pour le prix. Mais il y a une autre chose, qu’il faut bien régler par le
Contract, pour que je ne sois pas exposé au retardement du paiement, comme je l’ai été à l’é=
gard de cette Compagnie. Je ne veux point avoir à faire à part à chacun des deux Associez, mais
il faut qu’un seul se charge, & cela le plus solvable, de me paier exactement au terme dont on sera
convenu. Le Manuscrit, écrit de la même forme que les Extraits que j’envoiois pour la Bibl.
Raisonn. contient 710. pages; savoir pour le Corps de l’Ouvrage 560. pour les Notes, qui sont
à part, 132. & pour la Vie de l’Auteur, où j’ai mis par ci par là des Notes, 18. pages. Vous
pourrez bien tôt juger par là à peu pres combien cela fera de feuilles imprimées.
Mr Cornabé, en m’envoiant le dernier paquet, avec vôtre Lettre, me dit que Mr
<1v> Smith, aiant quitté le commerce, l’a substitué, conjointement avec vous, pour me fournir désormais
les Livres dont je pourrai avoir besoin, & il témoïgne fort souhaitter que je me serve de lui. Vous
ne m’en dites rien. Cependant puis que vous m’en parlez d’ailleurs comme un fort honnête homme,
je veux bien me servir de lui, à condition qu’il me donnera les Livres aux prix que feroit un
Libraire dont le commerce est déja bien établi. Dans ce prémier envoi, il a mis le mois de Mars
du Journal des Sav. 1741. au lieu de celui de 1742. Et dans un autre de ceux qu’il avoit fait
pour le compte de la Veuve, il m’envoia pour le seconde fois le mois de Novembre 1741. de
la Nouvelle Bibliothéque, comme je m’en suis apperçû depuis peu. Je renverrai ces deux Mois par
la prémiére occasion; & il m’envoiera lui-même dans la prémiére 3 caractères biffure le mois de Mars 1742
du Journal des Savans, pour avec lequel il a confondu celui de 1741. Voici quelques Livres, qui
pourront fournir matiére à un envoi:* les Acta Eruditorum de l’année 1741. & le quatriéme
Tome des Nova Supplementa, s’il a paru: Le Vassor, Défense de l’Hist. du Concile de Trente &c.
Ce dernier Livre me fait souvenir de la dern. partie de la Bibl. Raisonnée, où l’on a affecté
de décrier l’Ouvrage & l’Auteur. Cet Extrait est pitoiable d’ailleurs; & si l’on excepte les Articles de Mrs
Vernet, La Chapelle, & Wetstein, les autres me paroissent aussi mauvais, & pour le goût & pour le
stile, que ceux de la II. p. du Tom. XXVII. Je fus bien surpris de ce que vous m’appreniez, que Mr
de la Chapelle avoit fourni à Wetstein l’Extrait de Middleton. Mais vous aurez pû voir depuis
dans le mois d’Avril de la N. Bibliothéque p. 556. l’Avertissement qu’il a fait inserer, pour
déclarer qu’il n’aura désormais aucune part à la B. Raisonn., avis, qu’il donne, dit-il, parce
qu’il est le seul des anciens Auteurs de la B. Rais. qui aît été pleinement connu du Public.
Mr Burnand n’a pas encore recû réponse de Mr le Comte de Bunau, qui doit aussi lui
renvoier la Préface traduite. Il compte de retourner en Suisse au mois de Septembre, & il aura
chez lui plus de tems pour travailler à la suite de sa Traduction, dont il 1 mot biffure aura bien tôt achevé le
I. Tome. Mr de Bunau, dans une de ses Lettres précédentes, lui disoit, qu’après les IV. Tomes, dont le
dernier doit être imprimé à l’heure qu’il est, il comptoit de pouvoir tous les deux ans en donner
un nouveau, jusqu’à la fin de tout l’Ouvrage, qu’il se propose de conduire jusqu’à aujourdhui.
Quand Mr Bunau aura reçû la Préface, il pourra l’envoier à Amst. avec les feuilles de son
Ms. que j’aurai revuës & corrigées.
J’avois ouï dire ce que vous me marquez des prétentions de Mr de Joncourt à la place
de feu Mr S' Gravesande: mais ce que vous m’apprenez de la haine de celui-ci pour Mr
Saurin, m’étoit inconnu, & ne fait pas honneur à la mémoire d’un Philosophe. Il se croioit
sans doute entraîné à cet excès par l’enchainûre inévitable des causes, & la nécessité des Actions
Humaines. Je ne sai si la protection de Mr d’Opbdam servira beaucoup à Mr de J. J’ai
ouï dire, que ce Seigneur n’a pas grand crédit dans l’Assemblée des Curateurs.
Je viens à la proposition que vous me faites de la part du Libraire De hont. Je pourrois bien
lui fournir quelques Extraits, sans m’engager à aucun tems, quand j’aurois en propre quelques
Livres imprimez en Angleterre, soit Anglois, ou Grecs, ou Latins, que je voulusse lire, & mettre
alors ma lecture à profit pour en donner quelque Extrait. Je dis, de Livres, que dont je voulusse faire
la dépense, ou que j’eusse en présent. Car c’étoit sur ce piè-là, & non autrement, que je travaillois
à la Bibl. Raisonnée. Dès que je me mis à fournir réguliérement des Extraits, je déclarai cela à
Smith; & il n’y a dans tout le Journal que deux Extraits de Livres que je n’aie pas dans mon Cabinet, savoir, celui
de l’Evêque de Winchester sur la Ste Céne; & l’Extrait du 1. Tome des Intérêts présens
des Puissances, de Rousset. Je reconnus bien tôt l’inconvénient qu’il y avoit, en ce que je n’avois
pas toûjours sous ma main les Livres, dont j’avois fait des Extraits, pour pouvoir, quand je
voudrois, conferer mes Piéces avec les Originaux.
C’est une chose étrange, que Waesberge n’aît pas pû encore trouver quelques momens,
pour vous remettre le compte que vous lui avez demandé de ma part depuis si long tems.
* Un Livre imprimé à Leide en 1739. intitulé: J. Fred. Gronovii de Gothorum sede
ordinaria, & L. Th. Gronov. Animadversiones in Vibium Sequestrem & Strabonem. J’ai vû ce
Livre sur les Catalogues de Waesberge & d’autres. *
<2r> J’avois bien pris garde, par le 1 mot dommagerqué sur le compte de ceux que je reçus
que les Oratores Graeci de H. Etienne n’avoient 1 mot dommageé que 2 ff 10 V & je trouvai le Livre
à fort bon marché. Comme il est pur Grec, & qu’il n’y a que 3 Harangues dont la Traduction
soit à la fin du Volume, il n’y a guéres que des Savans, ou des gens à grandes Bibliothéques, qui
recherchent ces sortes d’Editions.
Vous me parliez de M. de la Riviére, comme étant fort malade, & en grand danger de
la vie. Comme il s’est passé depuis plus de trois semaines, je m’imagine qu’il se trouve en
meilleur état à l’heure qu’il est. Je le souhaitte de tout mon Coeur, & qu’il recouvre une
santé passable; car, de la maniére que son Corps est harassé depuis long tems, il n’y a peut-=
être pas grande espérance qu’il se rétablisse entiérement.
Je souhaitte que l’intemperie de la saison, si opiniâtre, n’aît pas incommodé vos yeux. Nous
nous portons bien ici, graces à Dieu. Mon Gendre a été ici presque tout le mois d'Ae Mars &
d’Avril; & il espére désormais de pouvoir y venir faire de plus longues Stations. Il a
trouvé moien de changer sa garnison d’Embden pour celle de Lieroort, Fort qui est à
une promenade de Liere, & d’où il peut venir ici sans passer la mer. On envoioit ordi=
nairement dans ce Fort, tour-à-tour, trois Compagnies de la Garnison d’Embden, & c’étoit
le tour, de cette année, du Régiment de Groningue. Mais le Conseil d’Etat a ordonné, qu’au
lieu de suivre cet ordre, on prît douze hommes de chaque Compagnie de toute la Garnison,
& trois Capitaines, tirez au sort de tous les Régimens. Mon Gendre alors s’est offert, sans
tirer au Sort, & il n’a pas eû de la peine à l’obtenir. Le séjour de Lieroort est beaucoup plus
agréable dans cette saison, & le voisinage de Liereort, où il a beaucoup de connoissances, le
dédommage d’ailleurs; outre qu’il n’a pas à faire, comme à Embden, à un Commandeur
rebarbatif, qui est fort difficile à accorder quelque congé, & n’en veut donner à la fois qu’
à trois Capitaines, au lieu qu’à Lieroort, de trois, il y en n’y en reste ordinairement
qu’un. Il peut de là aller quelquefois à Aurich, où est la Cour d’Oostfrise. Il a vû depuis
peu à Liere la Princesse, avec qui il dîna, & qui l’invita beaucoup à venir à Aurich.
1 mot biffure S’il étoit ici, comme il pourra peut-être y venir faire un tour, après que les Campemens
seront finis (auxquels néanmoins la Garnison de son Fort n’a pas été obligée) il me
chargeroit de vous remercier de vôtre souvenir, & de vous souhaitter une bonne santé, comme
fait sa Femme présente. Je suis toûjours, Mon cher Monsieur, Tout à vous
Barbeyrac