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Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 06 janvier 1742
A Groningue ce 6 Janvier 1742
Je fais pour vous, mon cher Monsieur, bien des voeux, à l’occasion de la nouvelle
année où nous venons d’entrer. Je souhaitte que vous y jouïssiez d’une bonne
santé, & de tout ce que vous pouvez desirer d’ailleurs.
Je vois par ce que vous me dites dans vôtre derniére Lettre, & par ce que la Veuve Smith
m’a fait écrire elle-même, en m’envoiant le prémier paquet, qu’elle est résoluë à quitter le
commerce au bout de quelque tems. Quand elle l’auroit continué, elle n’auroit pas sans
doute osé imprimer le nouveau Journal, projetté par son défunt Mari; vû la dépendance
où vous m’apprenez qu’elle se trouve de son Pére & de son Frére. Ainsi le champ
est ouvert à un autre Libraire, si les Journalistes s’accordent à vouloir travailler pour
P. Mortier qui s’offre à l’entreprendre, & que vous jugez propre à cela. Je consentirai
pour ma part, & vous me saurez à dire si Mrs de la Chapelle & Chais sont
de même avis. Un de mes Collégues, Mr Eck, Beau-frére de Mr Drakenborch, me disoit
l’autre jour, qu’il avoit appris que la Bibl. Raisonnée devoit recommencer sous un
autre titre, & me demandoit si cela étoit vrai. Je lui répondis, que cela pourroit être,
mais que je ne le savois pas pour certain.
A l’égard du Cumberland, dont je viens d’achever entiérement la revision, vous pouvez
bien croire que je ne m’en déferai pas qu’à bonnes enseignes. Il n’est pas juste que
les démêlez de feu Mr Smith avec son beaufrére tournent à mon préjudice. C’est bien
assez que cela m’aît attiré les brutalitez de Westein. J’ai bien cru, qu’il s’en repentiroit,
& plus encore depuis la mort de son beaufrére, puis que, s’il l’eût prévuë, il auroit
pû esperer de se raccommoder avec moi.
Mr Burnand n’a encore jetté les yeux sur aucun Libraire, pour l’impression de sa
Traduction; il veut avant cela achever le prémier Tome, afin qu’alors un Libraire puisse
voir, s’il voudra l’imprimer, pendant qu’il travailleroit de suite aux autres Tomes. Sur ce que
je lui ai dit, il n’en ira pas chercher d’autre que celui que vous me marquez qui seroit
disposé à entreprendre cette impression. A l’égard des conditions, il ne sait pas lui-même
ce qu’il peut demander, n’aiant aucune connoissance de ces sortes de marché. Je lui ai
dit, que je vous prierois de me marquer ce que vous croiez qu’il pourroit obtenir; &
je vous prie de le faire. Vous jugez bien que je ne me serai pas engagé pour rien
à prendre la peine de revoir son Manuscrit pour le stile. En me demandant de lui faire
ce plaisir, il témoigna qu’il ne souhaittoit de tirer bon parti du Libraire, que pour avoir
plus de quoi me recompenser de mes peines, de sur ce qu’on lui donneroit.
Il y a trois semaines, qu Mr Gerdes, un de nos Professeurs en Théologie, m’écrivit un
billet, pour une commission dont il étoit chargé, & m’envoia en même tems la Lettre où elle
étoit contenuë. Cette Lettre étoit écrite de Bâle, par un Mr Iselins, Docteur en Droit (appa=
remment de la parenté du feu Professeur de ce nom.) Il y dit, qu’un certain Libraire, qui pense à
rimprimer Pufendorf en Latin, lui avoit écrit pour le prier de jusqu'à la fin de la ligne biffure
donner ses soins à cette Edition; que n’aiant pas loisir de s’engager dans ce travail, il lui avoit
conseillé de faire traduire en Latin mes Notes, pour les y joindre; & que le Libraire avoit d’abord
pris ce parti; que cependant ils avoient jugé à propos, avant toutes choses, de me demander
<1v> mon consentement, & de me prier en même tems, si j’avois quelques Additions à faire, de
vouloir bien les leur communiquer. Mr Gerdes, en m’envoiant cette Lettre un jour de poste,
me pria de lui dire en peu de mots ce que je pouvois répondre là-dessus, par ce qu’il vouloit
lui-même répondre par cette poste à Mr Iselins. Je lui marquaï, par un billet, que
je ne pouvois pas empêcher qu’on entreprit de traduire mes Notes; que l’on prît bien
garde au moins que celui qui s’en chargeroit entendît assez 1 mot biffure le François, aussi bien
que le Latin; parce que j’avois éprouvé que mes Notes sur l’Abrégé de Pufendorf avoient
été misérablement traduites, quoi que ce fût par un Professeur de Giessen: mais que
pour ce qui étoit de communiquer des Additions, je ne pouvois pas le faire, sans
préjudice de mon Libraire, qui pouvoit avoir occasion de donner une nouvelle
Edition de mon Pufendorf. Cela me fait souvenir, que, depuis long tems, on m’a
demandé de divers endroits si je ne donnerois pas une nouvelle Edition de mon Grotius, &
que, même dans la crainte de la voir paroître tout d’un coup, il y avoit des gens qui n’osoient
acheter la prémiére. Peut-être que si cette Copie étoit en d’autres mains, que celles de
Kuyper, il y auroit eû déja lieu à la revision de cette Traduction.
Je finis ici. Le grand froid m’empêche d’écrire plus long tems, & il faut que
j’envoie ma Lettre à Mr La Carriére, sous couvert de qui vous je vous écris. Aiez la
bonté de me donner de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez. Je suis toûjours
Mon cher Monsieur
Tout à vous
Barbeyrac