,
Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 14 septembre 1741-15 septembre 1741
A Groningue ce 14 Sept. 1741.
Je profite, mon cher Monsieur, de l’occasion de Mr La Carriére, pour répondre à
vôtre derniére Lettre, & j’écris en même tems à Mr Smith. J’ai appris par l’un &
l’autre la maniére dont les choses se sont passées dans l’auction, par rapport au
Cumberland, & à la Bibl. Raisonnée. Il faut que Wetstein aît eû des gens
appostez pour offrir quelque chose, & enchérir, sur une Copie imaginaire; ou que
ceux qui l’ont fait d’eux-mêmes aient été bien imprudens. Car comment pouvoient-ils
se flatter de tirer quelque profit de leur achat sans mon consentement? Pour ce qui est
de la Bibl. Raisonnée, Wetstein y perdra plus qu’il n’a gagné de l’autre côté. Car je
crois presqu’impossible qu’il trouve des gens qui puissent continuer ce Journal. Le nombre
de ceux qui sont capables d’un tel travail, ne paroît pas fort grand. Vous verrez ce
que je dis à Mr Smith sur le nouveau Journal qu’il médite. La Bibl. Raisonnée
étant finie pour Mr Smith, à la Partie qui est sous presse, il lui restera apparemment quelques Extraits
de ceux que j’avois envoiez; & j’en garde cinq autres, que j’avois preparez, dont je lui
indique le sujet. Voilà qui me donnera du tems, pour pousser sans interruption la
revision de Cumberland, dont il y a plus de la moitié de faite.
Je savois que Mr de Beausobre devoit être dans vos quartiers. Mr Maillard, beau-=
frére de Mr Rossal, m’avoit dit, qu’il étoit venu un jour à Delft avec Ses papiers
De Hondt & Neaulme, & y avoit apporté les papiers, pour les 1 mot biffure donner à examiner, & convenir
du prix. Je vois, par ce que vous m’apprenez, qu’il ne sait guéres ce qu’il fait, ni
ce qu’il doit faire.
J’ai vû ici effectivement, comme vous le dites, un petit Synode. Outre Mr
Maillard, & deux Ministres natifs de Groningue, Estor & Laval, il y a eû Mr Dumont, & son fils,
Mr de Superville, & deux autres nouvellement reçus, dont l’un, je crois, s’appelle Faure;
Mr La Brune, qui vous connoît beaucoup; & Mr Certon, Min. de Dordrecht. Mrs
Dumont & Superville ne furent ici qu’un jour, qui étoit un Samedi: je fus presque tout le
jour avec eux; car ils vinrent le matin chez moi; Mr Dumont y vint seul l’après-midi,
& resta assez long tems. Comme il me vit habillé, & que je lui dis que j’irois sur
le soir lui souhaitter un bon voiage à son logis, il me pria d’y venir souper, & je
l’acceptai sans façon; bien fâché de ce qu’ils ne vouloient pas rester au moins un
jour de plus, pour que je pusse les avoir chez moi à souper. Ils me dirent que Mr
Chais n’étoit point venu au Synode, où il n’y avoit eû que quelque Ancien de
La Haie. Le Frére de Mr Fontaine est aussi venu, & est encore ici.
J’ai reçû enfin de Mr Dorville les 21 Cartes de la Ville de Paris, qui sont fort
grandes & très-belles. Je les ferai relier. J’espére que Waesberge m’envoiera
le Tome de Sigonius, qu’il doit avoir trouvé à me fournir par la vente de Mrs W. & Smith.
Ce que Kuyper dit dans l’Auction, d’une prétenduë proposition que feu
De Coup m’avoit faite de traduire Cumberland, est, je crois, une pure invention.
Je n’ai aucune idée de cela; & je ne sai quand De Coup auroit pû m’en parler.
2 mots biffure Lors que je fus chez vous en 1728. il étoit dèja long temsdéjaconnu par les
Gazettes, que Wetstein ou Smith avoient fait annoncer leur dessein, & s’étoient même
accommodez là-dessus avec d’autres Libraires de La Haïe, qui prétendoient les avoir prévenus.
<1v> Je ne sai si ces Provinces pensent à entrer en guerre, comme vous le croiez.
Il me semble au contraire qu’elles paroissent vouloir demeurer neutres.
Ce 15 Septembre.
Comme j’étois dans l’incertitude, si Mr La Carriére partiroit aujourdhui, ou
demain, pour ne pas manquer l’occasion, j’avois écrit ceci hier, avant que de
recevoir une Lettre impertinente, qui me vint par la poste, de l’Associé &
Beau-frére de Mr Smith. Tout y montre un homme, qui ne se posséde pas. Et en
même tems qu’il me cajole par des louanges, pour m’engager à continuer sa
Bibl. Raisonnée, il lâche bien des traits malins contre moi, & contre vous; car
je ne m’étonne pas de la fureur où il témoigne être contre son beaufrére. Il
commence par des fanfaronades, disant qu’il a réussi à souhait, pour le Cumberland,
& pour la Bibl. R. mais en sorte qu’on sent bien combien il est embarrassé du
mauvais achat qu’il a fait du Journal, & de ce qu’il ne voit pas moien
de pouvoir le continuer. Il finit par des menaces, & on diroit qu’il veut me
contraindre à lui accorder sa demande, par la nécessité où il se verra de mettre en
grand jour la conduite de son Beau-frére, & d’exciter une flamme qui
seroit difficile à éteindre. Préparez-vous à recevoir de lui une visite, où, en
vous demandant s’il se trouve chez vous quelque provision de Copie de mes
Extraits, il va se déchaîner contre vous. Je ne vous en dirai pas d’avantage. Cela
n’est pas nécessaire, & je suis si indigné d’un tel procedé, que je ne saurois me
résoudre à relire cette insolente Lettre. Mais je vais vous copier ici mot-à-=
mot la courte réponse que j’ai déja écrite, & qui partira demain par la poste.
"J’ai reçu vôtre Lettre du 12 de ce mois. Je n’ai garde de me
commettre, en y répondant comme elle le mériteroit. Tout y respire
une colére prodigieuse, dont vous êtes transporté. Il suffit de vous dire
tranquillement, que vous n’avez plus rien à attendre de moi, & que
je ne veux avoir rien à démêler avec vous. Je suis &c"
Portez-vous bien, mon cher Monsieur. Je suis toûjours, Tout à vous
Barbeyrac