Transcription

Chavannes, Alexandre César, Anthropologie ou Science générale de l'homme: Anthropologie, Tome II, [Lausanne], [1750]-[1788]

ANTHROPOLOGIE
proprement dite

Seconde Section

De l’homme consideré comme Etre
mixte, composé d’un corps et d’une ame;
de l’union de ces deux substances, et des
Loix de cette union, ou des faits gene=
raux qui y ont rapport et qui en de=
coulent; ce qui conduit a la theorie
la plus generale du Langage.

avis

On sera peut-etre surpris d’abord de ce
que je traite dans cette partie du Langa=
ge, puisque cet objet semble appartenir
a la Ve Partie de mon ouvrage appellée
Glossologie. Mais on cessera de l’etre si
l’on reflechit que dans celle ci, il ne s’agit
que du Langage articulé et ecrit tel
qu’il existe chès les divers peuples, au
lieu que dans la partie que j'offre
aujourdhui, il est question du Langa=
ge en general, du Langage d’action,
du Langage parlé consideré sous le
point de vue le plus abstrait, et le plus
general, et du Langage ecrit sous toutes sortes
de formes differentes, 2 mots biffure
1 mot biffure et surtout d’etablir soli=
dement l’existence d’un Langage na=
turel et primitif; autant d’objets qui
appartiennent manifestement a
la Science de l’homme ou a l’Anthro=
pologie proprement dite.

<2> ANTHROPOLOGIE
Seconde Section

De l'homme consideré comme Etre
mixte composé d'un corps et d'une ame
de l'union des deux Substances et des
faits generaux que presente cette
union.

CHAPITRE 1.
Des deux substances distinctes dans l’hom=
me, et de leur union en general.

DISTINCTION DES DEUX
SUBSTANCES.

L’attention que les hommes ont donné
aux diverses proprietés des choses, pour
les ranger sous certaines classes, a introduit
parmi eux la distinction des substances
marquée par des denominations speci=
fiques ou generiques. Dans certains
corps p. ex. ils ont observé la dureté,
la compaction, un degré superieur de
pesanteur specifique, la couleur jaune
l’eclat, la ductilité, la malleabilité, et
ils ont rapporté envisagé ces proprietés communes
et constantes, comme appartenant a une
substance qu’ils ont appellée or.

En comparant toutes les substances visi=
bles entr’elles, ils ont trouvé chès toutes,
l’etendue, la divisibilité, l’inertie jointe
a la mobilité &c. et ils ont rapporté de
même ces proprietés a une meme substan=
ce, qu’ils ont appellée corps , matiere .

Tournant ensuite leur attention sur eux
mêmes, et y observant la sensibilité, l’Intel=
ligence, l’activité spontanée, la liberté,
sans trouver aucune connexion de ces pro=
prietés <2v> avec celles de la matiere, ils ont jugé
avec bien de la raison que ces premieres de=
voient etre rapportées a une autre substan=
ce distincte de la 1 mot biffure et separee, qu’ils ont ap=
pellée ame, Esprit.

un examen même plus attentif leur
aiant decouvert entre ces proprietés une
opposition reelle, ils ont été generalement
amenés a cette consequence inevïtable,
que deux Etres dont les proprietés cons=
tantes et inseparables sont dans une
entiere opposition entr’elles ne sauroient en au=
cune maniere etre rapportés a une seule
et unique substance. S’il s’est trouvé
des gens assès peu sensés pour s’elever
contre cette conclusion, voici les raison=
nemens que la bonne Philosophie leur
a constamment opposés.

OPPOSITION DE L’ETENDUE ET DE LA
DIVISIBILITE AVEC LE SENTIMENT
ET LA PENSEE.

Tout ce qui est materiel est essentielle=
ment etendu  et divisible . or ce qui est
en nous le moi sentant et pensant,
est essentiellement unique et indivisi=
ble. Il ne peut donc appartenir a aucune
substance materielle; car celle ci pouvant
etre divisée, il s’ensuivroit qu’après la
division, le moi seroit aussi divisé, et par
consequent, que dans chaque homme, il
seroit multiple et resoluble en une mul=
titude de moi; ce qui est absurde.

La sensation et la pensée, modifications
du moi, sont aussi simples et indivisibles.
Cela est incontestable quant a la sensation,
et il ne l’est pas moins quant a la pensée.
Pour appercevoir un objet en total, il faut
que la perception soit indivisible comme
le sujet appercevant, car si on pouvoit y
distinguer des parties comme on en distin=
gue dans l’objet, il s’ensuivroit que la partie
A du sujet appercevroit seulement la partie
A de l’objet, la partie B n’appercevroit
<3> que la partie B &c. et aucune n’apperce=
vroit le tout. La partie qui verroit le som=
met d’un arbre ne seroit pas la même que
celle qui verroit les rameaux &c. autant
on pourroit distinguer de feuilles, au=
tant on distïngueroit de parties dans
le sujet et dans la perception. Cependant
le sujet n’a qu’une seule perception, qui
embrasse par un acte unique l’ensemble
de l’arbre, le sommet, les feuilles, les bran=
ches, le tronc &c. Comment supposer qu’il
y ait dans cet acte une multiplicité de
parties?

Je vois un corps, je demele sa figure et ses
couleurs, jentends les sons qu’il rend, je
flaire les exhalaisons qui en emanent, j'en
saisis avec le toucher le rude ou le poli.
Je puis rassembler ces dïverses sensations
pour en former une seule perception qui
me la represente en total. Aucun de mes
organes en particulier ne peut operer
cette reunion; et celle ci ne peut s'effectuer
qu'autant que ces diverses sensations seront
toutes rapportées a quelque chose de dis=
tinct des organes même, quelque substan=
ce qui leur serve de point de reunion. Ce
ne peut pas etre a autant de substances
distinctes qu'il y a d'organes de sensations,
car aucune de ces substances separées
et isolées ne sauroit operer la reunion;
il faut donc qu'elles se rapportent toutes
a une seule 1 mot biffure et même substance. Sup=
posés a present que ce soit une substance
materielle, elle sera dès la même resoluble
en parties, qui seront autant de substan=
ces distinctes. En ce cas, il faudra ou
que les 1 mot tache sensations se rapportent
l'une 1 mot biffure a l'une des substances, l'autre
a l'autre, ou quelles se rapportent toutes
a la fois a chacune de ces substances.

Dans la premiere supposition, toute reu
<3v> reunion est impossible; dans la seconde,
la reunion se trouveroit autant de fois
repetée qu'il y auroit de substances; cela
supposeroit mille perceptions composées
parfaitement semblables et tout autant
de moi pensans separés. Il est donc impos=
sible que la reunion se fasse ailleurs que
dans une substance indïvisible, simple
et absolument immaterielle.

Je puis appliquer le même raisonnement
a la comparaison des pensées composées
pour en saisir les rapports; elle ne peut se
faire que par un sujet et un acte indivisible.
comment juger que tel chene est plus
grand que tel arbrisseau, si 1 mot biffure
ces deux objets ne sont pas saisis en même
temps par le même sujet et le même acte.
1 mot biffure Cela peut s'etendre de meme a toutes les 1 mot biffure
operations de l'Intelligence qui supposent
toutes des reunions d'idees 1 mot biffure et des comparaisons.

La distinction des operations et facultés
n'est qu'une distinction idéale, qui ne
suppose jamais aucune distinction
reelle: c'est toujours un seul et même
Etre unique et indivisible qui sent, qui
pense, qui modifie dïversement le senti=
ment et la pensée. La pensée n'est jamais
qu'un acte simple ou on ne distinguera
jamais des parties des qualités. Tout
les autres actes de l'ame ne sauroient
exister hors de la pensée et sont indivisi=
bles comme elle. Enfin tout en moi,
mes affections, mes penchans, mes degouts
&c tout ce qui penetre en moi par mes
divers organes, ensemble, ou successivement,
tout est rapporté a moi comme a un
Etre unique, qui ne peut etre affecté de
toutes les impressions dïverses qu'avec
un sentiment profond d'identité, qui
me persuade que mon ame est une dans
ses affections, une dans sa pensée et
absolument etrangere a tout ce qui
est composé et divisible.

<4> OPPOSITION DU MOUVEMENT AVEC
LA PENSEE.

On supposera maintenant, si l’on veut,
que la pensée, sans etre inherente a la matiere,
est l’effet accidentel de certaines modifica=
tions qui surviennent par le mouvement,
a certaines parties de nôtre corps, placées
dans la substance medullaire du cer=
veau ou aboutissent les nerfs, qui portent
jusques la les ïmpressions des objets: on
supposera même que la pensée n’est
essentiellement autre chose que le simple
mouvement produit en dernier ressort
sur ces parties par l’impression propagée
jusques a elles, nous n’aurons pas de peine
a montrer la fausseté d’une telle supposi=
tion par les consequences c.a.d les faits
qui devroient resulter necessairement et
universellement dela, car si 1 mot biffure ces conse=
quences sont dementies formellement par
l’experience, il est manifeste que les sup=
positions d’ou elles derivent devront etre
decidement rejetées.

Quelles sont donc ces consequences?

1° Que nous ne pourions avoir aucune per=
ception que celles qui seroient le resultat
immediat de l’impression des objets exte=
rieurs sur les organes; impression qui pro=
pagée par les nerfs jusques a l’interieur
du cerveau y representeroit les objets
par une vraie image ou peinture natu=
relle, ce qui ne pourroit donner que des
idées toutes sensibles.

2° Qu’aucun objet ne pouvant etre present
a l’ame sans l’etre en même temps a mes
sens, pour former dans mon cerveau une
empreinte materielle, je ne saurois penser
a aucun objet absent, ni passé, ni avenir,
ni invisible.

3. Que n’eprouvant jamais que des empreintes
isolées, je ne saurois les 1 mot biffure rapprocher
les unir, les combiner, les decomposer et
qu’il ne sauroit y avoir lieu a aucune ana=
lyse, aucune abstraction, aucune generali=
sation, <4v> ni a aucune comparaison, ni juge=
ment ni raisonnement, ni prevoiance ni
prudence &c.

Quelles etranges consequences, toutes de=
menties par le fait et la conscience de ce
qui se passe en moi: quelle preuve plus de=
monstrative de la fausseté de lhypothese
d'ou elles derivent et de la verité d'un prin=
cipe immateriel?

Ce n'est pas tout; il s'ensuivroit 4° qu'on
ne pouroit plus distinguer l'impression de
l'objet sur l'organe, et la conscience que l'ame
a de cette impression, puisqu'elles ne seroient
qu'une seule et même chose;

5° que toutes nos perceptions etant le resul=
tat necessaire de causes physiques, aucune
ne pourroit dependre de nous ni de nôtre
attentïon, et que quand les objets seroient une
fois dessinés sur nôtre retine, nous serions
forcés de les voir tous a la fois avec la même
distinction.

6° que nos perceptions se succederoient dans
un ordre necessairement determiné par
les Loix du mouvement, en sorte qu'il ne
dependroit absolument point de nous de
les retenir, ou les eloigner ou les rappeller,
et que leur succession seroit assujetie a la
même Loi de continuité que suit le mou=
vement; qu'ainsi elles se succederoient con=
tinuellement dans une suite d'instans infi=
niment petits, sans que nous fussions les
Maïtres de nous en rendre aucune presente
pendant un temps assignable, et moins
encor d'en reunir deux a la fois pour les
comparer entr'elle.

Consequences dela fausseté la plus palpable,
et autant de preuves sans replique contre
le materialisme!

Supposés après cela tant qu'il vous plaira, des
particules subtiles dans un mouvement
continuel, quels effets en resulteront? des con=
cours, des accrochemens, des separations, des
impulsions, des repulsions, jamais un senti=
mens, jamais une pensée, jamais une volonté.
<5> Tout ainsi m'annonce que la pensée est la cause du
mouvement, rien ne me laisse soubsonner qu'elle
soit la même chose. ajoutes ici ce que
nous dirons sur
l'opinion de ceux qui
assujetissent la pen=
sée au mechanis=
me d'un systheme
de fibres Chap. II.
 

OPPOSITION DE L'INERTIE AVEC L'ACTI=
VITE.

La matiere est essentiellement sans action,
passive, et opposant par son inertie une
resistance a tout changement d'etat. Estelle
en repos, elle y restera eternellement, si au=
cune force ne la meut. une force externe
vient elle a la mouvoir, elle en suivra l'im=
pulsion, sans pouvoir la detruire ni la
modifier. L'ame de l'homme est essentielle=
ment active: douée d'une force qui lui est
propre, elle peut la deploier sur elle même,
sur son corps, sur les objets exterieurs. La
matiere ne peut jamais se dire a elle même
comme l'ame le peut, ma pensée est a moi,
ma volonté est a moi, ma force est a moi.
Ainsi l'Etre passif et inert ne sauroit sans contradic=
tion etre confondu avec l'Etre actif, qui
a conscience de son action, et qui est la
cause productrice du mouvement.

Un bruit frappe mon oreille pendant que
je suis en repos, tout se termine a une im=
pulsion de l'air sur l'organe auditif; cepen=
dant je me leve, je fuis, je varie ma direc=
tion a mon choix, je continue a courir ou
je m'arrete. Quelle est donc la Loi du mou=
vement a laquelle j'obeïs? bien loin dela,
je les viole toutes dans mes mouvemens, et
pourquoi, parce que je suis l'impulsion
invisible d'un Etre superieur au mouve=
ment, qui le produit, qui le crée.

Supposés a present que cette force interne
que j'attribue a mon ame ne soit qu'une force
etrangere, communiquée a certaines parti=
cules mues, selon certaines Loix mechani=
ques, et qui obeïssent necessairement a ces
Loix, quelles consequences verrons nous
partir encor de cette supposition? des conse=
quences encor toutes dementies par le fait.

<5v> Il s'ensuivroit que l'action humaïne ne
seroit que le resultat necessaire d'une im=
pression etrangere, une reaction du cerveau
sur les nerfs qui l'ont propagée jusques a lui,
et sur les organes qui l'ont transmise, le
pur effet physique d'un fluide poussé le
long des nerfs par une action compriman=
te; dès la même qu'il n'y auroit dans
l'homme aucun devellopement de forces
qui ne fut un effet proportionel a quelque
cause motrice exterieure, qui en deter=
mineroit absolument le degré et l'inten=
sité, selon les Loix ordinaires 1 mot biffure du mou=
vement; par consequent aucun qui eut
sa cause dans l'homme ni pour penser,
ni pour vouloir, ni pour agir, ni pour
executer un mouvement ni pour en sus=
pendre aucun; que dès la même il ne pour=
roit jamais avoir aucun intervalle
entre une impressïon reçue du dehors et
l'impulsion reactive qui devroit la suivre
immediatement; qu'enfin l'homme ne se=
roit qu'un pur automate dont les actions
apparentes ne seroient que les effets physi=
ques d'un fluide agité qui agite a son
tour quelques ressorts ou leviers: auto=
mate d'autant plus ïncomprehensible
que ses effets seroient en contradictïon ma=
nifeste avec toutes les Loix mechaniques
les plus constantes, puisque dans ce mecha=
nisme, de très foibles mobiles, une très lege=
re reaction, sur un fluide extremement sub=
til, et ce fluide a son tour agissant sur
des leviers très minces, tres courts, même
du 3e ordre, donneroient des forces immen=
ses, telles que celles qui se deploient chès
l'homme lorsqu'il marche chargé d'un
gros fardeau, selon ce qui a été dit Sect.
1. Chap II.
autant de consequences d'une faussete si
<6> palpable qu'elles servent suffisent a detruire pleinement la sup=
position, et demontrer la verité opposée,
qu'il y a dans l'homme un principe essen=
tiellement actif par lui même et incompati=
ble avec la matiere essentiellement passi=
ve  et inerte .

LHOMME ETRE MIXTE. SA NATURE
SPECIFIQUE.

S'il y a donc dans l'Anthropologie une 1 mot biffure
verite incontestable, c'est la distinction des deux
Substances
dans l'homme: elle est fondée
sur la connoissance de leurs proprietés,
et sur celle de leur opposition, qui ne leur
permet pas d'être associées dans le même
sujet. On peut donc distinguer dans l'hom=
me, le corps materiel, divisible et visible,
l'ame immaterielle indivisible et invisible,
parties essentiellement distinctes, mais
liées entr'elles de la maniere la plus intime
et soumises a certaines Loix d'union cons=
tantes et invariables.

L'ame humaine est donc un Etre immate=
riel, un Esprit, 1 mot biffure uni intimement a
un corps qui lui sert d'organe de sensibi=
lité et d'instrument d'activité.

Lhomme est donc un Etre mixte , composé
de deux Substances reunies en un seul tout
Individuel.

Des proprietés de ces deux substances, de
leur union, des Loix de cette union, en ce
qui est commun a tous les Individus, de=
pend la nature  propre ou specifique de
l'homme.

LE NATUREL DE L'INDIVIDU

Les modifications dont cette nature est
<6v> susceptible chès les divers Individus, selon les
accidens de leur constitution, et les circons=
tances particulieres de leur position, resulte
le naturel propre et distinctif de chacun d'eux.
La figure est ce qui distingue l'individu
au dehors et qui l'empeche d'etre pris pour
un autre; mais il y a aussi un naturel
interieur qui a son siege dans le corps et
dans l'ame: dans le corps c'est le naturel
physique ou le temperamment; dans l'ame
c'est le naturel intellectuel ou le tour d'Esprit
et le naturel moral ou ce qu'on appelle
le caractere.

Le physique  a la plus grande influence
sur l'Intellectuel et le moral; 1 mot biffure tous les
trois, une très grande correspondance
avec l'exterieur, ou la figure , et tout cela
depend de la grande influence reciproque
des deux substances, comme celle ci decou=
le de leur intime union.

UNION DES DEUX SUBSTANCES

Qui dit union , dit deux choses reellement
separées, mais seulement entr'elles, chacune
selon ses proprietés respectives, un rapport
d'influence et de dependance reciproque.
Deux corps sont unis, lorsque leur adhe=
rence reciproque est telle que l'un ne
peut etre mu sans l'autre. Deux Esprits
sont unis, lorsque leurs pensées et leurs
volontés sont en harmonie, et que des liens
sympathiques les invitent a un commerce
mutuel. Mais en quoi peut consister l'union
de deux substances distinctes? ce ne peut
etre que dans cette correspondance mutuelle
qui fait que les sentimens et les pensées de
l'Esprit dependent, selon certaines Loix,
de certains mouvemens du corps, pendant
que certains mouvemens du corps sont reci=
proquement sous la dependance et les ordres
de l'Esprit. C'est ce que nous devellopperons
dans le chapitre suivant.

<7> OBJECTIONS. HYPOTHESES.

Nous ne pouvons nous dispenser de repondre
ici a des objections elevées contre la distinction
et l'union des deux substances. Vos raisonne=
mens 1 mot biffure nous dit-on, 1 mot biffure pour prouver l'imma=
terialité de l'ame humaine, sont egalement
concluant pour celle de l'ame des betes, et vous
avés supposé en effet que chès tous les animaux,
la sensibilité et l'activité resident dans un
principe distinct dela matiere et du mouve=
ment  quoique l'Ecriture
Sainte enseigne clairement que l'ame dela bête
n'est autre chose que son Sang. 
Je 1 mot biffure Nous repondrons que sous le nom d'ame
il faut entendre ici simplement les Esprits ani=
maux qui sont extraits du sang, et non l'ame qui par elle même sent
et agit, l'ame vivante  qui
rend la bête sensible et digne des soins
de l'homme. 

Non, jamais je ne regarderai comme une
pure machine un Etre qui se meut comme
moi, qui a des sensations, des desirs, qui
cherche et choisit ce qui lui convient; je ne
contesterai point a l'elephant, au droma=
daire, au cheval, au singe, une force,
une pensée même, qui a chaque instant
produisent des actions sans le concours
d'aucune force ni pensee etrangere. En accordant
cela, je ne croirai point deroger a ce que
je connois de la superiorité de 2 mots biffure
mon espece. La question de ma preé=
minence n'est pas de savoir si la brute
a une ame immaterielle ou non, mais
si elle est tout ce que je suis, si elle peut
tout ce que je puis, si elle est en tout
mon egale, et si mes 1 mot biffure facultés, mes
destinées même, ne me placent pas dans
un ordre d'Etres bien superieur au sien,
malgré les ressemblances qui peuvent
exister entre nous.

<7v> PARALLELE GENE=
RAL DE L'HOMME
AVEC LA BRUTE
 

La brute  eprouve des douleurs et des plai=
sirs, des besoins et des affections, des percep=
tions même, qui se rapportent a son etat et
a son bien Etre; mais tout ce qui appartient
a l'Intellectuel et au moral fait le propre
de l'homme. Quel trait immense de superio=
rité sur la premiere! vous me dites que la
brute est susceptible des mêmes affections que
l'homme, joie, tristesse, amour, esperance
crainte, qu'elle offre les mêmes traits de sen=
sibilité; mais montrès moi hors de l'homme
un animal qui se rejouisse de la verité, qui
s'afflige du mensonge, qui cherisse la vertu,
qui s'indigne a la vue du crime, qui redoute
les remords et la honte, et a qui l'espoir
fournisse des consolations dans ses maux.

Rappellés si vous voulès encor, la tendre
sollecitude des meres pour les petits, l'affec=
tion des animaux domestiques pour leurs
Maitres, et ceux qui les nourrissent, leur
reconnoissance, leur fidelité; mais a quoi
se reduisent ces pretendues vertus? aux impulsions
de l'instinct, au sentiment de leurs besoins,
a la recherche des moiens d'y satisfaire,
a l'interet present du secours qu'ils atten=
dent de leurs bienfaiteurs. Prouvés moi
qu'il y a chès eux, une relle appreciation
des bienfaits, calculée moins surcequele
bienfaiteur a fait que sur ce qu'il a pu
et du ou voulu faire, moins sur les effets
que sur les motifs et les vues desinteressées
qui1 lettre biffure les ont accompagné; montrès
moi qu'on trouve chès eux ce que nous
appellons le moral de la fidelité, de la
reconnoissance, des sentimens inseparables
de l'estime et de l'attachement a ses Devoirs;
me demontrés moi tout cela, ou recon=
noissés qu'il est ici une region accessible a
l'homme seul, et qu'autant les apparences sont
au dessous dela realité, autant l'homme s'e=
leve au dessus de la brute, dans les cas même
ou ils semblent exterieurement ne faire que
la même chose.

<8> Rassemblés encor, si vous voules, mille faits
pour prouver que l'animal examine, deli=
bere, choisit, et agit en consequence. Je vous
accorde tout; mais je vous demande encor
sur quels objets tombe ce choix, cette liberte?
toujours sur des objets corporels, des choses
de premier besoin: briser ses chaines, s'echap=
per de sa prison, gagner le large, courrir
après sa proïe, fuir les approches du plus
fort, courir après le faible pour le devorer,
emploier la ruse et l'adresse pour l'atteindre,
faire hors des yeux du Maitre ce qui pour=
roit attirer le chatiment, le caresser pour en
obtenir du pain, choisir entre divers moiens
le plus sur et le plus court pour operer quel=
que effet; c'est a quoi se reduit tout ce qu'on
pourroit attribuer de liberté a la brute.

Mais cette liberté qui se reduit a plier sous
le joug ou a le rompre, ce choix qui ne s'exer=
ce que sur ce qui peut contenter les sens;
cette Intelligence qui ne saisit rien que ce
qui est materiel, cette volonté qui ne reçoit
d'impulsion que du besoin urgent, tout cela peut
il etre assimilé aux facultés que l'homme
exerce pour connoitre, pour examiner, pour
choisir ce qui est le plus utile a son ame,
a sa perfection, a ses progrès en lumieres
et en vertus, a son bonheur present et a venir?
1 ligne biffure
ses interets sensible, et actuels Qu'elle compa=
raison a faire entre la brute toute concen=
trée dans le materiel, et l'homme qui est
capable de valoriser d'apprecier les plus grands objets
et de leur sacrifier tous ses interets sensibles
et actuels; l'homme qui peut connoitre avec
certitude ce qui est vrai, le distinguer du
faux, abandonner une erreur seduisante
pour deffendre une verité qui deplait a
tous ses sens; l'homme qui peut se former
une idée de l'honnête, independant de l'utile
et de l'agreable, et prendre sa deffense au peril
meme de ses biens et de sa Vie; l'homme
<8v> observateur eclairé 2 mots biffure de tout
ce qui se presente dans cet univers, tenant un registre detaillé
des Etres qui composent la nature 1 mot tache de toutes
leurs productions et leurs effets, seul capable
d'en saisir les rapports, en c1 mot biffurealculer les quan=
tites, en deviner les causes; l'homme qui peut
faire des decouvertes, des inventions, des eta=
blissemens utiles et se soumettre a des Loix
qu'il sait s'imposer a lui même; l'homme
combinant le present avec le passé et l'avenir
pour en faire un ensemble, discutant sur
l'art d'eloigner d'avance les maux et de con=
server et rendre son espece heureuse, enfin s'elevant
des objets visibles a un Etre invisible, penetrant
par la pensée dans la profondeur de ses vües,
et s'elancant jusques dans l'eternité qui doit
en amener l'execution. Quel abysme immen=
se qui separe ici l'homme de la brute, et comment
se figurer qu'ils eussent la même dignité?
2 mots biffure 1 ligne biffure

Quelques person=
nes seront peut
etre scandalisées
que j'accorde aux
brutes une ame
immaterielle qui
devroit etre le par=
tage de lhomme seul.
C'est disent elles un
fait incontestable
que toutes
  les especes animales sont subordonnées a
l'homme qui exerce sur elles son domaine
et les fait servir a ses besoins. 1 mot biffure or comment
concilier cette dignité de Roi avec une egali=
te de nature, qui n'eut jamais permis que
l'homme put convertir ses egaux en escalves,
deploier sur eux le fouet, l'aiguillon, le frein
et le joug, les depouïller de leur travail et de
leur industrie, et les massacrer pour assou=
vir sa faim ou sa volupté. Ce domaine
de l'homme n'est 1 mot biffure il pas la preuve que l'homme
seul possede une ame immaterielle et
que la
brute n'est qu'un Etre absolument mechanique;
3 mots biffure 2 mots biffure considerant surtout que si l'ame de la brute est im=
materielle, elle est aussi necessairement im=
mortelle; 1 mot biffure 1 mot biffure a ce comte la que deviendra Donc
le privilege de l'immortalité dont l'homme aime
tant a se glorifier?
A ce deux difficultés que je reunis ici j'oppose
les reflexions suivantes.

<9> Il etoit dans le plan du createur de placer
sur la terre des Etres vivans et animés, avec
une ame immaterielle. Mais l'ame dela
brute n'étoit necessaire que pour en diriger
les mouvemens, et la rendre propre a veiller
a sa conservation et a celle de son espece.
Pour cela, il ne lui falloit qu'une ame
en tout livrée aux sens, et telle qu'elle put
suffire aux services qu'elle 1 mot biffure etoit desti=
nee a rendre, particulierement a l'homme.
Telle est la carriere de destination que
l'animal a du fournir, et une fois four=
nie, il a fait tout ce qu'il devoit faire, il
est devenu tout ce qu'il devoit devenir;
il ne lui reste ni perfectibilité a develloper,
ni immortalité a esperer, il n'en a ni le desir
ni la pensée. La même sagesse qui la tïré
du neant doit l'y faire rentrer. Le privi=
lege de l'immortalité est donc assuré a
l'homme seul, et ce privilege est attaché,
non a l'immaterialité seule de son ame,
mais plutot a sa dignité, a la noblesse de
ses facultés, a sa perfectibilité, a ses lumieres,
a ses vertus. L'homme est donc infiniment
au dessus des brutes et il est absurde de
conclure que si leur ame est immaterielle,
elles sont d'une condition egale a celle de
lhomme, et que celui ci ne peut sans in=
justice exercer d'empire sur elles. Qui
osera nier que les ames de toutes les especes
d'animaux peuvent etre immaterielles,
et neammoins diversifiées dans leur natu=
re et leur 1 mot biffure capacité, et que toutes peu=
vent etre a une distance immense de
celle de l'homme, comme celleci l'est par
rapport a d'autres Esprits immateriels, et
comme ceux ci le sont encore parrapport a
l'Esprit infini et tout parfait.

<9v> On a argumenté aussi contre l'immaterialité
de l'ame par les difficultés qu'on trouve a
expliquer dans cette hypothese, son origine
primitive, et la maniere dont les deux subs=
tances peuvent etre unies et influer recipro=
quement l'une sur l'autre. Mais une diffcul=
té qui tombe sur le comment et la maniere,
ne sauroit elle jamais ebranler une verité demon=
trée par les faits?

HYPOTHESES SUR
L'ORIGINE DES
AMES HUMAINES
 

Ceux qui ont tenté d'expliquer l'origine  des
ames
ont eté 1 mot biffure necessairement très partagés dans
leurs opinions. L'un a dit, quelles sont des
emanations de l'essence divine ou qu'elles
sont Dieu lui même consideré comme subs=
tance unique. L'autre a dit, que les ames
ont toutes été crées a la foïs 1 mot biffure, mais
qu'elles derivoient cependant l'une de l'autre
par une espece de production develloppement. Un troisieme
a dit qu'elles ont preexisté a leur corps
depuis la creation, mais toutes separées
et isolées. Suivant d'autres, les ames hu=
maines, depuis l'origine des choses, ont été
envellopées dans des germes préformés
avec une sorte de sentiment confus de leur
existence; Enfin d'autres pensent que Dïeu
crée les ames a mesure que les germes se
devellopent, pour les unir a eux, et leur
faire subir de concert un devellopement
successif. Mais quand nous ignorerions
quelle est la vraie de ces hypotheses, quand
3 mots biffure
1 mot biffure, cette difficulté devroit
elle nous faire abandonner 1 mot biffure une veri=
té qui repose sur des faits incontestables?
douterons nous de l'existence de nôtre
corps, parce que nous ne connoissons
pas quel est le germe primitif d'ou 1 mot biffure
resultée
nôtre organisation est sortie?

HYPOTHESES SUR
L'UNION ET L'IN=
FLUENCE RECIPRO=
QUE DES DEUX
SUBSTANCES.
 

comment donc dit on, une ame sans
extension
peut elle agir sur un corps dans
toute son etendue?
C'est par l'entremise
des Esprits anïmaux et des nerfs, sur les=
quels elle deploie un pouvoir immediat,
c'est voila tout ce que nous pouvons en dire.
<10> Mais cela suppose qu'elle occupe un lieu
quelle touche, quelle est touchée &c.
sans doute qu'elle est quelque part
dans le cerveau; mais elle occupe ce lieu
a la maniere des Esprits; 2 mots biffure;
le pouvoir qu'elle exerce ne suppose au=
cun contact materiel; elle reçoit les im=
pressions, elle commande aux nerfs et
aux muscles, mais nous ne saurions dire
comment; c'est un effet de l'union que
Dieu a etablïe entre les deux substances,
et qu'il connoit seul.

Mais quelle peutetre cette dependance reci=
proque entre deux substances dont l'une
ne peut par elle même agir sur l'autre?
pourroit elle avoir une cause en nous
mêmes? ou seroit elle assujetie aux Loix
physiques de cet Univers? Non sans
doute. L'union reciproque ne depend
ni de l'une ni de l'autre, ni de toutes les deux
puisque elles ne l'ont pas etablie, et 1 mot biffure 1 mot biffure
qu'il n'est pas 1 mot biffure en leur pouvoir de la conser=
ver. Elle n'a donc point sa cause en nous
mêmes; sa cause est donc hors de nous,
et ne peut etre que l'effet dela volonté du
createur tout puissant. Elle n'obeït point
non plus aux Loix generales du mouvement; et
2 lettres biffure mais elle est soumise1 lettre biffure a des certaines Loix 1 mot biffure
1 mot biffure nous les ignorons 3 mots biffure
1 ligne biffure

qui lui sont propres,
1 ligne biffure
2 mots biffure dont nous ne pouvons 1 mot biffure penetrer
ni les causes, ni le pourquoi, ni le comment.
on eu1 lettre biffuret mieux fait de s'en tenir la: mais
la curiosité humaine a voulu percer
ce voile qui nous cache les mysteres de
nôtre nature. L'un a dit que les mouve=
mens de nôtre corps avec leurs causes
etoient en nous mêmes, mais que les pensées
de nos ames etoient en Dieu, comme si Dieu
pensoit pour nous et que nous vissions
toutes choses enlui: il a ajouté même
que nous n'etions que causes occasionelles
<10v> de ce que nous faisons, et que Dieu est l'auteur
immediat de tout ce que nous semblons faire.

un autre a eu recours a une pretendue
harmonie preetablie ou le corps et l'ame
sont 1 mot biffure supposés semblables a deux
horloges separées que Dieu auroit faites
pour aller pendant un certain temps dans
une correspondance parfaite, sans qu'il
y eut aucune communication de l'une
a l'autre. L'ame enfante des pensees l'une
après l'autre en sorte que la suivante
a toujours la raison de son existence
dans les precedentes: le corps produit aussi
ses mouvemens dans un ordre physique=
ment determiné, et les mouvemens s'exe=
cutent a poïnt nommé pour que la pen=
sée soit accomplïe; tout se passe dans
le plus merveilleux accord. Un tel systhe=
me n'est pas moins absurde que le prece=
dens, et les consequences egalement effrai=
antes.

D'autres ont dit soutenu qu'il est absurde de remonter
ici a une volonté divine, arbitraire, pen=
dant qu'on peut tout expliquer par une
cause naturelle, la sensation, a laquelle est due l'union
des deux substances. 4 mots biffure
5 mots biffure Les sensations,
disent ils, celles ci annoncent a l'ame le rapport gene=
ral que les corps exterieurs ont avec un corps
intimement uni a elle, et les rapports parti=
culiers que ceuxla ont avec tel ou tel organe;
c'est d'après ces rapports que l'ame distingue
les sensations et qu'elle juge des objets; c'est
par ces sensations quelle entre en part
de tout ce qui interesse le corps en bien ou
en mal, quelle deploie son activité sur
ce corps et au dehors pour eviter ce qui
plait ou deplait a l'un et a l'autre, et cela
ne prouve t'il pas que c'est la sensation qui
fait le lien naturel des deux substamces
dans l'homme. Voila 2 mots biffure un
raisonnement 1 mot biffure subtil, mais on n'y
<11> trouve rien du tout de concluant; Autant
il est certain que la sensation est absolument
etrangere a la matiere et au mouvement,
autant il est certain, qu'il ne sauroit y avoir
de lien naturel entre la sensation et l'impres=
sion organique, que l'un ne peut etre la
cause efficiente et immediate de l'autre,
et que l'influence  reciproque ne peut
etre qu'une influence ordonnée par
le Createur
.

Quant aux difficultés qui se tirent du
sommeil, des maladies qui derangent les
operations de l'ame, des destinées que celle
ci suit en commun avec le corps &c. on
en trouvera la solution dans le chapitre
suivant, ou l'on exposera les faits gene=
raux relatifs a l'union des deux substan=
ces, que nous appellons les Loix gene=
rales de cette union.

<11v> CHAPITRE II.
Des faits generaux relatifs a l'union
des deux Substances dans l'homme, ou
des Loix generales de cette union.

LOIX GENERALES DE L'UNION DES
DEUX SUBSTANCES

On peut reduire a trois les Loix generales
de l'union des deux Substances
aux trois suivantes,, qui sont le
resultat incontestable de divers Phenome=
nes sensibles.

1e LOI. INFLUENCE DU CORPS SUR L'AME

Les Phenomenes qui 1 mot biffure demontrent cette Loi
se tirent dela sensation, de l'attention, de
la memoire, de l'imagination, du physique
des facultés de l'ame.

SENSATION.
Aux mêmes ebranlemens d'organes, frap=
pés de la même maniere, dans les mêmes cir=
constances, succedent comme suïtes ordï=
naires et constantes, (je ne dis pas comme
effets naturels) les mêmes sensations et per=
ceptions. s'il se trouve quelque difference
dans la force, la vivacité, la durée des sensa=
tions que l'ame reçoit de tel ou tel objet, par
l'entremise de tel ou tel organe, 1 mot biffure en suppo=
sant qu'elle ne vienne pas de l'objet, elle vient
derive de quelque changement survenu a l'organe,
ou de quelque disposition particuliere ou
il se trouvoit et qui n'existe plus a present.
Si la Sensation depend ainsi de l'organisa=
tion, il en doit etre demême de l'attention
dela memoire, de l'imagination, qui la
fixent et la retracent.

ATTENTION
Quand l'ame veut se rendre attentive, elle
sent qu'elle ne peut saisir l'objet sans le
concours d'une force qui a son siege dans le
cerveau, qui produit sur tous les nerfs
une tension, alaquelle, les nerfs dela vüe
<12> et de l'ouie participent d'une maniere plus
particuliere que tous les autres, quoique
plus ou moins selon les divers cas.

Si l'attention est continuée pendant un
certain temps, l'homme eprouve a la fïn
le sentiment incommode dela lassïtude
et de l'epuisement, qui ne peut venir que
de la fatigue que les nerfs ont eprouvée par
la tensïon.

S'il veut soulager cette fatigue sans discon=
tinuer l'action, il n'a qu'a changer l'objet
de son attention; le delassement qu'il
eprouve ne vient d'autre cause si ce n'est
que des nerfs auparavant mis en action
pour s'occuper de tel objet, se reposent,
pendant que d'autres non encor fatigués
sont appellés au concours pour l'attention
qu'il veut donner a tel autre objet.

Lhomme peut donner plus d'attention aux
objets, et se les representer plus nettement,
après que le corps a pris un repos moderé,
que lorsqu'il se trouve deja epuisé par
quelque fatigue; plus avant le repas, lors=
que les Esprits peuvent se porter abon=
damment au cerveau pour y soutenir
l'action des nerfs, que après le repas,
lorsqu'ils sont attirés a l'estomac pour
seconder la digestion.

Celuï qui a plus de vigueur dans le
genre nerveux peut soutenir plus long=
temps et plus fortement son attention que
celui qui a les nerfs foibles, relachés, ou
trop mobiles.

MEMOIRE. IMAGINATION.

Quand l'ame veut se rappeller ses idées, elle
ne peut faire cela sans l'attention et le con=
cours des nerfs. Si les Esprits animaux
coulent avec facilité et abondance, s'ils
trouvent par tout les passages libres, les
idées en proportion se reveillent en plus
<12v> grand nombre, et en plus grande varieté.
Et de la ces prodiges de memoire que l'histoire
a celebrés et dont on voit encore des exemples.

La memoire, l'imagination, ainsi que l'at=
tention, s'exercent avec plus d'aisance, de prom=
titude et de succès, quand le corps est bien
disposé, dans une assiete favorable, lors=
gue l'air est temperé, qu'on n'eprouve au=
cun malaise, que la tête est 1 mot biffure libre,
l'estomac point embarassé &c. En d'autres
circonstances ces mêmes facultés languissent.

Certains alimens, certaines boissons en
favorisent l'exercice, lorsqu'on en use avec
moderation; si l'on donne dans les excès, ces
facultés se derangent et se troublent. Des
exces habituels qui agissent violemment
sur les nerfs, qui les relachent, ou les tendent,
les durcissent, ou les picotent, les irrïtent,
affoiblissent peu a peu tous les ressorts de
l'ame, comme au contraire un certain
regime regulierement observé contribue
efficacement ou a les retablir ou a les for=
tifier.

Des accidens qui affectent fortement l'oeco=
nomie animale, une chute malheureuse,
une contusion a la tête, une frayeur,
peuvent quelque fois detruire chès l'hom=
me la memoire, l'imagination, et la plus gran=
de partie de l'activité de l'ame. La memoire
peut se perdre entierement a la suite d'une
maladie, et on a vu des gens oublier, en
pareil cas, tout ce qu'ils avoient appris,
faits, langues, et jusques a leur propre
nom.

On comprend que par de tels accidens il
peut survenir de grands derangemens
dans le cerveau, des obstructions dans
les petits vaisseaux, des obstacles, considera=
bles au cours des Esprits, comme il peut arri=
ver aussi, par quelque heureuse crise, que
les obstacles disparoissent, et que les idées
qui sembloient perdues se retrouvent comme
d'elles mêmes dès que le physique est revenu
a son etat naturel.

<13> On scait aussi ce que devient la memoire
chès la plupart des vieillards, et entr'autres,
ceux dont la mauvaise conduite ou un
excès de travail, ont amené l'epuisement,
et chès qui lEsprit se trouve appesanti en
proportion que le corps est usé.

L'experience ne nous permet donc pas de dou=
ter que, dans l'exercice des facultés de l'ame,
il n'y ait un concours des parties du cer=
veau. Tous les Philosophes en sont convenus,
mais quand ils ont voulu raisonner sur la
maniere dont ce concours s'execute, ils ont
beaucoup varié dans leurs conjectures
et produit peu de lumieres.

PHYSIQUE DES FACULTES DE L'AME.

Les anciens avoient imaginé certaines traces
ïmprimées
dans le cerveau qu'ils supposoient
se rouvrir pour le rappel des idées, queles
objets y avoient laissées comme en depot.
D'autres nous ont parlé d'images, de
craions legers dessïnés dans le cerveau,
et que l'ame peut, quand elle veut, se
representer successivement, a peu près
comme les figures se retracent dans une
lanterne magique.

A ces chimeres tenebreuses, des modernes
ont substitué une hypothese plus intelli=
gible. on a supposé que chaque impres=
sion faite sur nos organes, est propagée
par le moien des nerfs jusques a l'or=
gane unïversel; que la chaque ïm=
pression produit un ebranlement dans
telle ou telle fibre organique, correspon=
dante a cette ïmpression par sa constitu=
tion, par le ton sur lequel elle se trouve
montée, qui la rend propre a la recevoir
a peu près comme la corde d'un clavecin
fremit et resonne lorsqu'elle est ebranlée
par quelque son a l'unisson duquel elle se
trouve disposée par sa longueur, par
<13v> son diametre et son degré de tension.

On a supposé de plus que ces fibres orga=
niques sont comme autant de petites ma=
chïnes construites de maniere que leurs
parties constituantes recoivent de l'action
plus ou moins forte et continuée des objets
exterieurs sur les sens, certaines determina=
tions plus ou moins durables, qui leur
impriment une tendance plus ou moins de=
cidée a certains mouvemens propres a repro=
duire les mêmes perceptions que leurs ebran=
lemens primitifs avoient excitées dans l'ame
d'ou il doit resulter, que telles perceptions
aiant été originairement liées et fixées
a telles fibres, la disposition que celles ci en
ont contractée a s'ebranler d'une maniere
analogue a la premiere impression, doit
devenir la cause naturelle dela reproduc=
tion des memes perceptions et du rappel
des objets a l'Esprit de l'homme.

Cette espece de mechanisme ideal peut
s'executer lors même que l'ame demeure pas=
sive, par la seule disposition que les fibres ont
contractee a s'emouvoir et s'ebranler les unes
a la suite des autres, a peu près comme dans
un clavecin, une corde pincée communi=
que son ebranlement a d'autres qui se trou=
vent en rapport avec elle, et dans ce cas,
cette communication d'ebranlemens doit
toujours se faire dans un certain ordre, et
peut se faire, ou immediatement d'une fibre
a l'autre, ou mediatement par l'entremise
de fibres intermediaires, qui servent de liens
de correspondance; et comme ces liens
sont multipliés a l'infini, ils offrent un
moien très naturel d'expliquer, comment des
idées de tout genre, même les plus eloignées,
peuvent se lier, s'associer entr'elles, et se rap=
peller mutuellement, sans que l'ame ait be=
soin de faire pour cela aucun effort.

<14> Mais l'ame peut, quant elle veut, deploier une
activité qui lui est propre pour se retracer cer=
taines perceptions dans un certaïn ordre, et
c'est ce qu'elle fait en deploiant son pouvoir
immediatement sur le mechanisme ideal pour
donner lieu a l'ebranlement de certaines fibres,
qui, en vertu des Loix dela communication,
ebranlent d'autres fibres, et 3 mots biffure
dans une suite ou ordre determïné, qui
fait reparoitre la serie ordonnée des percep=
tions que l'ame cherchoit a se retracer.

On ajoute enfin que par l'exercice de ce pouvoir
l'ame peut donner a tous ces ebranlemens
a la fois un plus grand degré de force qu'ils
n'auroient eu, dans le cas ou elle fut demeu=
ree passive, capable de propager le mouve=
ment a un beaucoup plus grand nombre
de fibres, et dès la même de reveiller un beau=
coup plus grand nombre de perceptions a la
fois; degré de force qui pourra encor etre
augmenté par la reiteratïon frequente des
actes, et l'habitude de repeter souvent les
memes ebranlemens dans le même sens et
dans le même ordre.

Suivant cette hypothese, toute la chaine des
perceptions que nôtre ame peut se retracer, se
trouvera representée dans nôtre cerveau par
une chaine de fibres liées et entrelacées, le
long de laquelle le mouvement se propagera
dans un ordre d'autant plus regulier et
constant, que les parties constituantes des
fibres retiendront plus longtemps la tendance
qui leur aura été originairement imprimée
et de la durée de cette tendance, et de l'ordre
regulier du rappel, dependra la tenacité de
la memoire et la force de l'imagination.

Cette hypothese n'offre rien en elle même
qui ne puisse se concilier avec la verité de
l'immaterialité de l'ame, puisqu'on accorde
a celle ci l'activité propre, et le un pouvoir imme=
diat sur les fibres, pour les mouvoir et
ebranler.

<14v> Elle s'accorde avec ce que nous avons dit
dela dependance de l'exercice des facultés
de l'ame par rapport a l'action des nerfs, qui
propage jusques a elle les impressions et
concourt a les y fixer, retenïr, et rappeller
dans un certain ordre.

Mais en admettant cette hypothese quant
aux perceptions qui entrent dans l'ame par
le canal des sens, nous la regardons comme
absolument fausse, lorsqu'on l'applique aux
idées qui lui viennent par la sensation ïn=
terieure, lesquelles peuvent etre rappellées
sans l'entremise des organes sensibles com=
me elles lui sont venues sans eux. Car
quant même nous avons dit que l'ame ne
peut s'occuper de quelque objet sans qu'il
en resulte quelque modification dans le
corps, le cerveau &c il ne s'ensuit point dela
que toutes ses perceptions elementaires lui
viennent des sens, et qu'elle ne puisse avoir
par elle même le sentiment de son existence,
de son etat, de ses facultés, de ses forces 1 lettre biffure
de ses penchans
de ses desirs &c.
 
autant d'idées qui ne peuvent etre liées a
aucune fibre organique, dès la même
qu'elles ont doivent toutes leur premiere
origine, non aux impressions du dehors,
mais aux modifications de l'ame elle
meme.

opposer a cela que si un homme venoit
au monde privé de tous ses organes sensibles,
quoi qu'il eut une vraie ame distincte
du corps, il ne pourroit neammoins obtenir
aucune perceptïon, ni même la conscience
de son propre etat. C'est la avancer une
pure suppositïon, et qui ne sauroit se con=
cïlïer avec l'idée reconnue d'une substance
distincte du corps dont l'essence est de sentir
et d'agir, ne fut ce que sur elle même. Qui
est ce qui me prouvera qu'un homme né
depourvu des cinq sens seroit incapable
daucune perception d'existence, de plaisir,
de douleur, de volonté, de force, et autres
idees que l'ame peut acquerir parla
sensation interieure.

<15> Nous sommes bien plus eloignés de croire que
toutes les operations de l'ame ont pour cause
une modification anterieure organique,
qui amene le devellopement dela force,
car comment concilier cela avec l'idée d'une
activité propre a l'ame, qu'elle peut exercer
même sur tout le mechanisme ideal, dela
meme maniere, diton, que le musicien de=
ploie son talent sur le clavecin pouren tirer
des sons, sans dependre lui même de son ins=
trument qui ne peut resonner que par lui.

Mais nous ne saurions que nous recrier de
toutes nos puissances et deferer a tout
l'Univers Philosophe et chretien, 1 mot biffure cette propo=
sition qu'on n'a pas craint d'avancer, que
toutes les modifications actives de l'ame
ne sont que le resultat naturel et necessaire
de tout l'ensemble des determinations qu'une
infinite de fibres ont contractées et qu'on
peut des la, par le seul mechanisme ideal,
rendre raison de tous les penchans naturels
ou acquis, de tous les travers de l'Esprit et
du coeur, ainsi que dela difficulté qu'il y
a de les guerir &c. Que diroit on de plus
pour annoncer a tous les hommes qu'ils
ne sont que des machines, et qu'il n'y a plus
pour eux de responsabilité?

Non jamais on ne me persuadera que l'ame
recoive son action 2 mots biffure de l'instrument quelle est desti=
nee a mettre en jeu, et qu'il en soit d'elle
comme il en seroit d'un Musicien qui ne
pourroit deploier son talent sur le clavecin,
que lorsque celui ci auroit commancé
a faire resonner ses cordes 2 mots biffure
1 ligne biffure
pour attirer les doigts de celui la
vers la touche. une hypothese de
cette nature ne peut etre envisagée que
comme le Materialisme tout pur que
nous avons refute
Chap. 1. elle est
sujete aux mêmes
consequences par
dont
lesquelles nous en avons
demontré la faus=
seté et l'absurdité.
 

<15v> 2 LOI. INFLUENCE DE L'AME SUR LE CORPS

A certaines sensations et perceptions de l'ame
succedent ordinairement dans le corps certains
mouvemens spontanés determinés par l'activi=
té de l'ame deploiée sur les nerfs et les muscles,
ce qui arrive a chaque instant, et quelquefois
aussi des mouvemens independans dela vo=
lonté. Qui ne sait p. ex. que la plupart des
hommes ne peuvent se rappeller les mauvai=
ses qualités d'un aliment, les nausées qu'ils
ont eprouvées en prenant un purgatif,
sans que ce souvenir n'affecte pour un ins=
tant les organes du gout, n'y reveille des
sensations desagreables, même des nausées
reelles qui quelquefois provoquent le vo=
missement. N'y a t'il pas des personnes dont
l'imagination est si vive que le souvenir des
choses qu'elles n'ont fait que voir et enten=
dre, suffit pour mettre chès elles tout le
genre nerveux en commotion et les faire
passer par les plus violentes crises. Ainsi
on a vu une femme tomber en syncope
a la vue d'un dès a coudre qui lui rappelloit
apparemment les reproches 1 mot biffure qu'elle avoit eu a 1 mot biffure
essuier dela part dela maïtresse qui lui apprenoit
la couture. Ainsi j'ai vu une fille, a la
moindre emotion ou chagrin qu'elle
2 mots biffure eprouvoit, saisie par des mouvemens
convulsifs du genre le plus extraordinaire
et accompagnés de cris jusques 1 mot biffure
2 mots biffure aussi effraians qu'inouis, sans qu'elle
perdit cependant un seul instant l'usage
de sa memoire et de son jugement.

<16> 3e LOI. INFLUENCE RECIPROQUE ET
CONTINUELLE DES DEUX SUBSTANCES.
COMMUNAUTE DE SITUATIONS OU DE DESTI=
NEES ET DE PROGRES.

L'ame ne sauroit exercer aucune activité
sans que le corps n'y prenne quelque part, et
celui ci ne peut eprouver aucun changement
sans qu'il en resulte quelque modification
plus ou moins sensible dans l'ame. L'etat de
l'ame
correspond assès ordinairement a
celui du corps: Ce qui affecte l'un affecte
aussi l'autre. Ce qui contribue a la force
et au bien etre de l'un, a l'exercice facile
et regulier de ses fonctions, produit par
contre-coup d'heureux effets sur l'autre.

La fatigue, l'inquietude, la maladie
se partagent entreles deux. Il est des
maladies de l'ame qui exercent de très
funestes ïnfluences sur le corps, et la plu=
part decelles du corps atteignent l'ame
et 1 mot biffure nuisent a ses fonctïons: Cela vient
ou de ce qu'elles mettent sa sensibilité a
une trop forte epreuve, ou de ce que les orga=
nes se trouvant affoiblis, le cours des flui=
des ou trop 1 mot biffure rapide ou trop lent, les Esprits
animaux ne peuvent pas scauroient porter au siege
de l'ame des impressions bien reglées, ce
qui ne peut qu'influer sur l'ordre des sen=
sations et le devellopement dela pensée.

Ainsi que le corps passe successivement de
l'etat de foiblesse a celui de force, et augmen=
te graduellement en vigueur, jusques a
ce qu'il en ait atteint le plus haut degré,
apres quoi, il commance a decliner peu
a peu, de même l'ame foible au comman=
cement gagne insensiblement des forces
a mesure que le corps se fortifie; ses facultés
<16v> se devellopent 4 mots biffure
pendant que le corps se maintient dans sa vï=
gueur; après quoi le plus souvent elle perd
progressivement de son activité et 3 mots biffure de ses
1 mot biffure forces. Cependant ce declin est beaucoup
plus sensible chès les uns que chès les autres,
et ici il faut distinguer celui qui est la suite na=
turelle dela constitution de l'homme, et qui
n'est pas considerable, d'avec celui qui est
accidentel, precoce, anticipé, fruit des excès
de l'intemperance, ou du travail, ou d'une
mauvaise methode d'instruction, comme il
a été observé. 

Tout comme le corps de l'enfant acquiert,
par l'exercice et l'habitude de la force, de l'agi=
lité et de l'aisance dans ses mouvemens,
de même aussi et par les mêmes moiens, l'ame
acquiert plus de promtitude et de facilités
pour deploier son activité, reflechir et agir.
Dans l'enfance, elle ne peut pas etre servie assès
efficacement par le corps consideré comme
organe et instrument; l'enfant n'est pas en=
encor exercé a voir, a entendre, a parler, a
marcher, a agir; tout cela doit se perfectioner
par degrés, pour que l'ame se fortifie a me=
sure, et que ses facultés s'etendent par l'exer=
cice. Quoique l'ame soit deja l'Etre pensant
et actif; cependant ces facultés n'y existent
en quelque sorte qu'en germe; et il faut le
concours des objets et des circonstances pour
les develloper, et de la 1 mot biffure nait un Pheno=
mene qui sert de nouvelle preuve a l'influ=
ence reciproque des deux substances., 1 mot biffure

1 mot biffure LA DIVERSITE DES TALENS

Le devellopement des facultés de l'ame et
la facilité de ses operations dependent beau=
coup du nombre des organes que l'homme
exerce habituellement, de la maniere dont
ils sont exercés selon les divers objets et les
circonstances, et dès la même du genre
<17> d'education qu'il a reçue dans son enfance,
de son genre de vie et d'occupation, de son ha=
bitude de vivre seul ou en Societé, et autres
causes exterieures, qui peuvent apporter a
cet exercice un nombre infini de varietés,
d'ou naissent des influences diversifiées, dans
la même proportion, par rapport aux talens
et aux connoissances acquises. Dela pro=
viennent en plus grande partie ces differences
marquées qu'on observe entre les hommes.
Ceux qui apportent en naissant des organes
mieux constitués, qui en reçoivent des im=
pressions plus vives, plus durables, plus
variées, ceux qui ont contracté, par l'exer=
cice, par l'etude, par une education bien dirigée,
l'habitude d'en faire un usage regulier
et qui ont le bonheur de joindre a cela les
secours que 1 mot biffure peut fournir l'art ou les
circonstances exterieures, de telles person=
nes, comme l'experience le prouve, portent
beaucoup plus loin le talent  et font des progrès
beaucoup plus rapides en connoissances;
preuve sans replique dela communau=
té des destinées et de l'influence reciproque
des deux substances. 3 mots biffure
3 mots biffure Cette influence n'est pas
moins sensible dans les

ETATS SUCCESSIFS PAR OU L'HOMME
PASSE PENDANT LA VIE.

VEILLE.

Ainsi 1 mot biffure pendant la veille , le sang se porte au
cerveau dans une abondance suffisante
pour en entretenir la vigueur; les nerfs
y conduisent les Esprits animaux qui en
agitent les fibres, qui les tendent et les
disposent a recevoir les impressions des objets
exterieurs: de fortes ïmpressions passent
au siege de l'ame, l'ame s'apperçoit vive=
ment et distinctement des objets, elle deploie
son attention, sa memoire, toutes ses facul=
tes actives, elle commande a tout le
<17v> genre nerveux et musculaire pour
produire divers mouvemens. Pendant
tout ce temps, l'influence reciproque
de l'organisation et dela pensée, dela
vie animale et Intellectuelle, ne cesse de
se deploier.

DELIRE

Arrive til pendant la veille que les petits
tuiaux soient trop ouverts, que le Sang et
les Esprits animaux y coulent avec trop d'a=
bondance et de rapidité, que par la les im=
pressions soient trop promtes, trop passage=
res, et que les objets de ces impressions
soient tout a coup trop multipliés pour
que l'ame ait le temps de les saisir, dans
cet etat, celle ci juge au dela de ce quelle
voit, elle porte des jugemens bisarres
absurdes, insensés, dont la continuité
se nomme delire : situation accompa=
gnée d'une agitation violente qui don=
ne a tout l'ensemble du genre nerveux
et musculeux une force etonnante
pour quelques momens, après lesquels
succede le plus grand epuisement.

FOLIE

Le delïre peut n'avoir que des causes pas=
sageres, comme des maladies aigues et
violentes et dès la finir avec elles. Mais
il est des cas, des maladies, des accidens, des
frayeurs, des chagrins violens, qui produi=
sent un si grand bouleversement dans la
circulation du sang et le cours des
<18> Esprits, dans la tension et l'irritabilité des
nerfs et des fibres du cerveau, qu'il en resulte
un delire perpetuel, permanent, appellé
folie , qui devient le plus souvent absolu=
ment incurable.

COUP DE MARTEAU

S'il n'y a que quelques tuyaux bouchés,
ou trop ouverts, et que les Esprits se portent
avec trop d'impetuosité dans les uns seule=
ment et trop de lenteur dans les autres, l'equi=
libre etant rompu, quelques impressions
seront trop foibles, d'autres trop fortes et trop
vives; il resultera dela des idées mal
formées, indigestes, des jugemens precipités,
même bisarres et extravagans sur certains
objets, tandis que hors dela les jugemens
seront sains: on aura sur certains points
l'imagination frappée ou ce qu'on appelle
un coup de marteau, espece de folie
dont on ne voit que trop d'exemples.

Ceux chès qui le cours des Esprits est fort
abondant et coule par ïntermittences,
un peu au hazard, abondent aussi
en idées, en images, en saillies, avec une
sorte de fougue qui donne dans beau=
coup d'ecarts: on les appelle en termes
raddoucis, gens a ïmagination ardente
souvent ils sont a une très petite distance
dela folie, et 1 mot biffure plus difficilles a guerir
que les fols, parce qu'ils s'admirent eux
mêmes.

SOMMEIL

Pendant la veille, le fluide nerveux qui
coule continuellement du cerveau dans
les nerfs, se dissipe et se trouve a la fin en
trop petite quantité, ou trop delié et appau=
vri pour continuer a les mouvoir: les
fibres nerveuses n'etant plus penetrées comme
auparavant de ce fluide, elles se trouvent
<18v> parla dans un etat de relachement qui
les fait tomber les unes sur les autres, et
celles du cerveau, parce qu'elles sont beau=
coup plus molles, s'affaissent les premieres.
Dela resulte une langueur dans tous les
organes qui les force en quelque sorte a
l'inaction et au repos. De plus, après un
long exercice d'activité, le Sang s'accumule
dans les extremités des arteres qui se trou=
vent au cerveau, et y produit des engor=
gemens qui doivent comprimer de toutes
parts les nerfs a leur origine. Or de cette
compression doit resulter necessairement
un engourdissement tout semblable a
celui qui nait de l'usage ïmmoderé des
Esprits fermentés qui, par leur rarefaction,
causent aussi une grande compression
dans le cerveau. Des qu'il se trouve dans
une telle situation, les ïmpressions du dehors
cessent de passer jusques a l'ame, son atten=
tion et son activité cessent de s'exercer, la
suite des idées se trouble, la memoire se
perd: neammoins pendant que l'homme
continue a avoir conscience de lui même
et de son etat, jusques la il ne dort pas en=
cor, il ne fait que sommeiller.

Mais bientot les organes entrent dans une
entiere stupeur, les muscles cessent d'agir,
et de soutenir les parties du corps, ils 1 lettre biffure les laissent
tomber toutes dans un entier relachement;
ils contractent même une rïgidité, que
l'homme se trouveroit 1 mot biffure ïncapable de
vaincre, quand il pourroit dans ce moment
en avoir la volonté. Alors l'ame en vient
jusques a perdre la conscience d'elle même,
ou si elle en a encor quelque sentiment
leger et confus, elle n'en conserve aucun
souvenir d'un instant a l'autre. Ce qui
fait qu'elle perd entierement toute idée
dela succession du temps, qui n'est qu'un
<19> resultat de perceptions successives dont l'ame
se rappelle et qu'elle rapporte a elle même.

Ainsi pendant le sommeil, toutes les fonctions
animales sont interrompues
, l'homme ne
sent, ni n'entend, ni ne flaire, il ne voit
rien, lors même qu'il paroit avoir les
yeux ouverts, aucune impression n'arrive
jusques a l'ame; les Esprits animaux ne
coulant plus librement vers les organes,
tous les ressorts qui les font agir sont eux
sans mêmes sans action, et ils ne pourroient
etre ebranlés que par quelque impression
assès vive et assès forte pour rappeller
vers eux le cours des Esprits, et vaincre
subitement leur pesanteur et leur embaras, comme
cela arrive dans ces cas ou l'on reveille
un homme en sursaut, ce qui ne sau=
roit se faire sans porter quelque prejudi=
ce au bien etre du corps.

Mais pendant cet etat de sommeil profond,
toutes les fonctions naturelles s'exercent
egalement, sans aucune interruption, et
même avec plus de regularité que pendant
la veille; car elles ne sont point troublées,
comme pendant celle ci, par des mouve=
mens spontanés continuels qui tirent les
Esprits animaux des parties internes, pour
les porter avec abondance et impetuosité
aux extremités du corps, ce qui ne peut
que deranger sans cesse l'equilibre des
liqueurs. Pendant que l'homme dort
l'equilibre se retablit partout, le sang
coule dans tous les vaisseaux, avec uni=
formité, la digestion et les secretions s'exe=
cutent dela maniere la plus reguliere, et
fournissent une beaucoup plus grande
abondance de sucs nourriciers: ces sucs
tournent entierement au profit de la
machine animale pour en reparer les
pertes; les Esprits animaux se forment
<19v> et s'elaborent au plus haut point de leur per=
fection, sans que rien, pendant tout ce temps là,
se dissipe par l'exercice. Et dela aussi il arri=
ve naturellement que le fluide nerveux
reprend son cours et rameine l'homme
au reveil, après lequel il se sent disposé a
reprendre son action avec une force nou=
velle.

REVEIL, BAILLEMENT

Le Sommeil  cesse de deux manieres; 1°
par une impression sur quelqu'un des orga=
nes si forte qu'elle parvient jusques au cer=
veau; 2° quand les Esprits se trouvent assès
abondans pour penetrer les nerfs, les rem=
plir, et les tendre de maniere qu'ils trans=
mettent au cerveau les ebranlemens pro=
duits par les objets qui touchent le corps.
Après le reveil , on se sent plus agile, par=
ce que les esprits peuvent etre envoiés en
abondance dans les nerfs pour mouvoir
les muscles. Mais d'un autre côte, 2 mots biffure
parce que le fluide nerveux n'aiant
pas encor coulé dans les muscles et que
leurs fibres sont encor languissantes, on
est volontiers sujet au baillement, qui
sert a les distendre toutes, pour ouvrir le
passage au fluide et le forcer d'y entrer.
Le baillement  se forme en inspirant
doucement une grande quantité d'air qu'on
retient et qu'on rarefie quelque temps dans
les poumons, ce qui distend naturellement
tous les muscles; après quoi on le laisse echap=
per peu a peu. L'effet de cette operation est
de mouvoir, d'accellerer, et de distribuer les
fluides dans tous les vaisseaux, et de dis=
poser parla les nerfs et les muscles a
rentrer dans leur etat naturel pour re=
prendre leurs fonctions.

<20> SONGE

S'il arrive pendant le Sommeil que des Es=
prits qui sont dans le cerveau ebranlent
quelques fibres dela même maniere que si un
objet agissoit sur les organes des Sens, pour
lors il se forme des images, d'ou resulte ce
qu'on appelle songe . Toutes ces images corres=
pondent a des sensations qu'on a eprouvées
pendant la veille, mais elles sont sans liai=
son ni suite reguliere, et quand elles se com=
binent, elles n'offrent qu'une combinaïson qui
tient du delire: la raison en est toute simple;
les fibres qui ont été remuées en differens
temps, par differens objets, sont remuées tou=
tes a la fois par les Esprits animaux, et font
naitre un ensemble monstrueux d'images;
d'autres qui l'ont été ensemble durant la
veille, le sont dans le songe successivement;
les objets se decomposent ou se reunissent
a d'autres, avec qui ils n'ont aucun rapport,
et cela avec une diversité infinie qui ne pro=
duit qu'un cahos.

Ainsi l'ame en songe a des Sensations de
vision, d'ouie, de gout, de tact, et même
de joie et de tristesse, qui sont pour le fond
les mêmes qu'elle auroit eprouvées dans la
veille par des ïmpressions reelles dela part
des objets: la raison en est 1 mot biffure que les
Esprits se font chemin dans les mêmes con=
duits nerveux qui ont deja propagé ces
impressions jusques au cerveau: mais
comme ils s'y inscrivent sans aucun ordre,
il n'en peut resulter que des assembalges
de sensations confus et absurdes.

SOMNAMBULISME

Il arrive même pendant le sommeil, lorsque
les Esprits sont en abondance et fort agités, et
qu'ils se precipitent dans quelques uns des ca=
naux qui les conduisent aux divers membres
du corps, lorsqu'ils n'y trouvent point 1 mot biffure
il arrive, dis je, qu'ils coulent avec vehemence
dans les nerfs et les muscles qui repondent a
ces parties et y produisent parun mechanisme
<20v> naturel, des mouvemens d'ou resulte la mar=
che et l'action, ce qui, parle retour des Esprits
animaux au cerveau, rappelle a l'ame les
objets qui ont coutume de l'occuper et fait
faire les mêmes choses que l'homme faisoit
pendant la veille. Tel est le cas des somnam=
bules
  qui se levent tout endormis, marchent
et agissent comme s'ils etoient eveillés, cour=
rent les rues, se montrent aux fenetres, mon=
tent sur les toits et font mille operations ma=
nuelles avec la derniere precisïon. chès ces
personnes, les Esprits destinés a mouvoir les
membres exercent leur action sur ceux ci,
tandis qu'ils laissent dans l'inaction les
organes des sens. chès plusieurs ils se frayent
chemin dans les organes de l'instrument
vocal et les font parler distinctement;
ces articulations, parle simple mouve=
ment des nerfs rappellent certaines idées cor=
respondantes a l'ame, qui s'en occupe, et
continue a mouvoir les organes vocaux,
accoutumés a flechir pour exprimer ces
idées, et le tout sans que les sens ni les objets
exterieurs y aient aucune part.

Linfluence reciproque des deux substan=
ces est surtout frappante dans la diversi=
te du naturel physique exterieur et inte=
rieur: c'est cequenous montrerons dans
le chapitre suivant.

<21> CHAPITRE III
Du naturel physique exterieur et inte=
rieur, ou ce qu'on appelle le temperamment;
son ïnfluence sur le naturel Intellectuel
et moral; indices exterieurs qui annon=
cent les uns et les autres
.

CARACTERES DISTINCTIFS entre les
hommes
.

Quelque ressemblance qu'il y ait entre les
Individus de l'espece humaine parrap=
port au corps et a l'ame, il y a neammoins
entr'eux tous des caracteres distinctifs si
marqués, qu'il ne s'est jamais vu deux
hommes parfaitement semblables, ni
pour le naturel physique exterieur et ïn=
terieur, ni pour le naturel ïntellectuel et
moral, ou le tour d'Esprit et le caractere.

CARACTERES TIRES DE LA FIGURE.

Sous le nom de figure  on nous comprendons tout
l'ensemble des traits qu'on peut saisir dans
le physique exterieur de l'homme, les traits
du visage, l'air, le coup d'ouil, le teint, la
couleur, les contours de la tête, la dispo=
sition des organes et des membres, leur
agilité et leur force, la taille, l'enbonpoint
l'attitude, le maintien, les gestes, la demar=
che, le son même dela voix.

Tous Ces traits offrent chès tous les Indi=
vidus des varietés si frappantes qu'il est in=
finiment rare d'en trouver deux qu'on
ne puisse aisement distinguer a l'oeuil.
Ces differences ont sans doute une origine
primodiale
dans les modifications infini=
ment variées que le createur a voulu
mettre entre les germes preformés dont
les corps ne sont que le devellopement;
mais on peut les attribuer en grande partie
a des causes survenues et accidentelles qui
<21v> ont concouru a ce devellopement et entre'au=
tres celles qui ont pu influer sur le naturel
physique interieur
, ou le temperamment  
qui doit contribuer beaucoup aux varietés
de figure, comme aussi a celles du naturel Intel=
lectuel et moral; autant de sources de
caracteres distinctifs qu'il importe d'examiner
avec soin.

CARACTERES TIRES DU NATUREL PHYSI=
QUE INTERIEUR, OU DU TEMPERAMMENT.

Le mot de Temperamment, qui signifie me=
lange, fut appliqué par les anciens au corps
humaïn, pour designer le mêlange propor=
tionel de quatre liqueurs elementaires qu'ils
y distinguoient, le sang, la bile, la melan=
cholie et la pituite, et selon qu'ils concevoient
qu'un de ces liquides predominoit chès un
homme sur les autres, avec un excès de pro=
portion, ils lui attribuoient un Temperam=
ment
sanguïn, ou bileux ou melancho=
lique ou phlegmatique.

Les modernes ont retenu l'usage de ces
divers mots, mais en y attachant des idées
un peu differentes, et conformes a leurs
principes de Physiologie.

<22> Par temperamment on entend le naturel
physique interieur de chaque homme consi=
deré comme resultant de la combinaison par=
ticuliere des elemens dont son corps est composé
des solides comme des fluides et de leur action
reciproque. La varieté des Temperammens
doit donc dependre de l'action reciproque des
solides sur les fluides et des fluides sur les
solides, et des la même dela diverse constitu=
tion elementaire des uns et des autres, et de
leur proportion entr'eux chès les differens sujets.

On sait que les parties solides elementaires
ou les fibres qui entrent dans la composition
des vaisseaux, sont plus ou moins tendues ou
relachées, dures, elastiques, ou molles, et que
dela doivent naitre de grandes varietés dans
l'action des solides sur les fluides, et le mou=
vement de ceux ci, tout comme le jet d'une
fleche varie beaucoup suivant que l'arc
est plus ou moins roïde et tendu. On sait
aussi que tous les divers petits canaux, chès les
divers Individus, sont plus ou moins ouverts
ou etroits, plus ou moins disposés a s'allonger
ou a se raccourcir, s'elargïr ou se resserrer,
et que de la depend le passage et le cours plus
ou moins libre, aisé et rapide des fluides
dans les solides, qui doit ainsi etre bien dif=
ferent chès ceux qui ont qui ont les vaisseaux
larges et ouverts, et ceux qui les ont etroits et
serrés, chès ceux dont les vaisseaux ont des
parois fermes, roides, elastiques, et ches ceux
ou celles ci sont molles, soupples, n'aiant
qu'un foible ressort.

Enfin il y a aussi une grande difference
dans les parties elementaires des fluides, ain=
si que dans leur qualité, et quantité, et des
diverses proportions de leur melange il doit
encor resulter des varietés a l'infini quant
a leur reaction sur les solides qu'ils sont des=
tinés a traverser et a nourrir et des la meme
quant a l'action reciproque des solides sur
<22v> les fluides, d'ou depend principalement la
constitution plus ou moins avantageuse
du corps humain.

De ces diverses causes combinées resultent
ches les divers Individus des Temperam=
mens variés a l'infini, et quoiqu'il soit im=
possible d'en faire une classification exac=
te, on peut cependant les rapporter a cer=
taines classes generales, separées par cer=
tains caracteres distinctifs, avec une deno=
mination propre a chacune, et ïci 1 mot biffure
on peut meme 1 mot biffure adopter la division et
la denomination des anciens avec un en
leger apportant quelque changement a l'explication qu'ils en
donnoient.

 

TEMPERAMMENT BON.

Si l'on suppose que chès un Individu, les
fibres ne sont ni trop tendues ni trop rela=
chées, que les vaisseaux sont d'une juste
ouverture, que les fluides sont de bonne
qualité, sans surabondance, dans un
melange bien proportioné, d'ou doivent
naitre naturellement une circulation
reguliere et une bonne digestion, on
appelle cette constitution un bon Tempe=
ramment accompagné d'une Santé 
aussi parfaite que le corps humain en
est susceptible.

SANGUIN.

Mais si l'on observe un peu trop de soupplesse
dans les vaisseaux, de facilité a s'elargir
pour donner passage aux fluides, d'ail=
leurs des organes digestifs en bon etat
qui forment un sang de bonne qualité,
neammoins en plus grande quantité
qu'il ne faudroit pour la santé parfaite,
ce temperamment, les plus rapproché du 
bon s'appellera sanguïn , caracterisé
simplement par l'abondance du sang.

<23> BILIEUX.

Si par contre on trouve que les fibres sont
fort tendues, roïdes, elastïques, d'un ressort
violent, et facilement irritable, les vaisseaux
resserrés, qui ne laissent qu'un passage etroit
et gené, et qu'a cause du frottement violent
des fluides contre les parois des solides,
les humeurs aieont de la disposition a s'en=
flammer, a se charger d'acretés, de sels,
de bile, en sorte que celle ci surabonde et
se trouve trop disposée a se repandre dans
la masse du sang a chaque fermentation,
qu'enfin le sang toujours vif et bouillant
circule avec une vehemence precipitée
qui s'annonce par un pouls fort, dur
promt et frequent, autant de causes d'ou
doivent naitre naturellement la mai=
greur et la secheresse, un teint brun et
jaunatre, dans ce cas, le temperamment
est appellé bilieux comme caracterisé
principalement par l'abondance et l'acre=
té de la bile.

MELANCHOLIQUE

Si l'on s'apperçoit que les fibres sontsont gros=
sieres, difficilles a ebranler, les vaisseaux
peu soupples, et en même temps trop peu
elastiques pour agir avec force sur les
fluides, ou pour se preter aisement a l
leur action, que les solïdes n'impriment
pas aux humeurs assès de mouvement
pour les resoudre et les attenuer, que
la partie rouge du sang soit en trop pe=
tite quantité par rapport au serum et
aux parties visqueuses, que les fonctions
naturelles languissent, et que la bile se
trouve grossiere, lente dans son degor=
gement, et sejourne trop longtemps dans
les intestins, avant que de s'evacuer; qu'en=
fin le sang chargé de parties glaireuses
glutineuses et terrestres, se trouve peu
<23v> propre a fournir des Esprits en quantité
suffisante et fort lent dans son mouvement;
dans ce cas, on attribuera a l'individu un
Temperamment melancholique  caracteri=
sé principalement par une bile epaisse
et noiratre qui accompagne les dejections.

PHLEGMATIQUE.

Observe t'on enfin que les fibres sont molles,
flasques, relachées, peu elastiques, les vais=
seaux très larges, le Sang chargé de serosité
et surtout d'humeurs crues, froides, pitui=
teuses, ou de cette matiere visqueuse qu'on
appelle phlegme , ce qui s'annonce par
la lenteur de la circulation, et par un
pouls petit et paresseux, d'ailleurs un corps
debile, pesant, chargé d'une graisse livide
et pâle, qui ne peut etre le fruit que d'une
digestion imparfaïte, ou d'un deffaut
d'action des solïdes, et de circulation des
fluides, dans les petits vaisseaux, dans
ce dernier cas, on appellera le Temperam=
ment phlegmatique, comme caracterisé
principalement par l'abondance du
Phlegme.

TEMPERAMMENT PREDOMINANT ET
PRIMITIF.

Cette dïvisïon generale ne sauroit gueres
admettre de subdivisions en classes inter=
mediaïres separées par des nuances bien
marquées carcomment determïner avec
precision toutes les combinaisons possi=
bles des solides et des fluides?

Les classes même que nous avons distin=
guées sous des caracteres qui semblent asses
precis, ne sont cependant pas tellement
<24> tellement separées dans la nature quele
même homme ne puisse reunir des carac=
teres rapportés a deux ou trois de ces classes
et participer ainsi a deux ou trois Tempe=
rammens a la fois. Et si ce n'est pas dans le
même temps, il peut du moins y participer
successivement, selon les changemens que
sa constitution physique peut eprouver
avec l'age; car tel homme sanguin dans
sa jeunesse, peut se rapprocher du temper=
ramment bilieux dans l'age viril, et du
melancholique dans sa vieillesse; c'est même
ce qui arrive assès ordinairement.

Il y a neammoins dans chaque homme
un Temperamment predominant qu'on
peut rapporter a une des classes plutot qu'a
l'autre, et qui même un fond permanent
du temperamment primitif qu'il a appor=
té en naissant. On peut envisager celuici
comme une sorte de levain qui s'est
repandu sur toute la masse, et quoiqu'il
se trouve melangé avec cequi est survenu,
l'homme ne laisse pas que de s'en ressentir
toujours. L'experience même prouve que
si l'on peut avec beaucoup d'efforts parvenir
a corriger son temperamment, il est com=
me impossible d'en detruire le fond
originaire
pour lui en substituer un
nouveau.

CAUSES DE LA DIVERSITE DES TEM=
PERAMMENS

On ne peut donc disconvenir que la diversité
des Temperammens ne depende en premiere
lieu d'une constitution primitive, procedant
<24v> ou de la nature du germe preformé, ou de
linfluence qu'ont pu avoir sur celui ci les
Parens lors de la conception, par une sorte de
transfusïon 4 mots biffure de leur temperamment, ou par
une suite de leur disposition actuelle a cette
epoque. Mais ïl n'en est pas moins vrai qu'elle
doit etre rapportée en grande partie a l'in=
fluence de diverses causes 1 mot biffure ou cir=
constances exterieures. dont La premiere
se trouve dans les alïmens et les boissons,
dont l'usage habituel peut extremement in=
fluer sur la qualité du chyle, et du sang
et des fluides, ainsi que sur les solides dont
ils doivent reparer les pertes. Des alimens
grossiers forment un chyle grossier; de trop
succulens produisent trop de sang et l'en=
flamment: par des excès habituels l'estomac
s'affoiblit, le chyle demeure imparfait,
vicié, le sang se charge d'acretés et d'hu=
meurs epaisses, et tout cela ne peut que
alterer la temperamment constitution,
comme il influe
sur les fonctions
naturelles
, la diges=
tion, les secretions
les evacuations,
la transpiration in=
sensible, d'ou nais=
sent tant de varietés
dans les temperam=
mens.
 
3 mots biffure
3 lignes biffure
2 mots biffure et a cela 1 mot biffure joignes
1 mot biffure encor celles qu'on doit rapporter aux influ=
ences du genre de vie et d'occupation plus
ou moins peinible ou plus ou moins seden=
taire. Il ne faut pas oublier celles du
climat et de l'air plus ou moins pur ou
actif; De la vient que ceux qui vivent dans
les climats froïds sont generalement plus
phlegmatiques, ceux qui vivent dans les
clïmats chauds sont plus bilieux, ceux
qui habitent les climats temperés sont
plus sanguins et plus favorisés pour
la bonté du temperamment et la santé.

<25> Il n'est rien aussi qui contribue autant a la di=
versité des Temperammens que l'education.
Chès les petits enfans les marques
du Temperamment qui doit predominer
un jour, sont encore tres equivoques parceque ce
sont les causes externes qui doivent le
develloper dans la suite. Leur temperam=
ment dependra en grande partie du plus
ou moins d'attention qu'on donnera a leur
nourriture, a leurs exercices &c comme
aussi des circonstances qui pourront don=
ner a leurs fibres plus de ressort et de jeu.
Les fibres une fois montées sur un certain
ton s'y soutiendront et donneront a la
constitution un naturel decidé, toutes
les fonctions prendront un pli habituel
qui fixera le Temperamment.

L'influence accidentelle des causes ex=
terieures est quelque fois telle qu'elle fait
naitre chès certaines personnes des revolu=
tions subites, des mouvemens tout a fait
etrangers au fond de leur temperamment.
Je ne veux point parler de ceux qui a force
de reflexion, ont pris asses d'empire sur
eux mêmes pour se rendre maitres de leur
temperamment et pour agir même precise=
ment contre son ïmpulsion. Il s'agit de
ceux en qui certaines causes exterieures
peuvent en suspendre les influences, et même
les rendre presque nulles, effacer jusques
aux traces de leur constitution primi=
tive. Ainsi par ex: ont voit des personnes
sur qui les variations de l'aïr sont si puis=
santes que leur temperamment semble
n'avoir aucun caractere decidé. Sans
doute que leurs vaisseaux pulmonaires et
leurs pores sont tellement ouverts que l'air
y entre avec la plus grande facilité et y
est même comme absorbé avec toutes ses
diverses parties humides ou seches, volati=
les, salines, qui agissant dès la avec plus
<25v> de force sur les parties solides pour les ebran=
ler de toutes sortes de façons irregulieres, pro=
duiront chès ces personnes une varieté si
bisarre dans leurs dispositions journalieres
dans leurs manieres de sentir et de voir, dans
leurs affections et leurs gouts, qu'on sera par
la comme sans cesse depaysé dans les ju=
gemens qu'on voudra porter sur leur na=
turel physique, et encor plus lorsqu'on
cherchera a demêler quel est leur tour d'Es=
prit et leur caractere. Tout chès eux de=
pend de l'affection actuelle de leurs nerfs,
et par la de la pesanteur de l'air et de son
degré de chaleur.

Arrive til aussi a un homme naturellement
lent et engourdi de faire usage de liqueurs
spiritueuses, il en resultera une fermen=
tation d'humeurs qui agitant violemment
les organes, produiront chès lui une viva=
cité forcée, qui le fera paroitre petulant
au point qu'il ne sera plus reconnoissable.

INFLUENCE DU TEMPERAMMENT SUR
LA FIGURE

On ne sauroit douter, 2 mots biffure après cequi a été dit,
que la diversité des Temperammens n'influe
puissamment sur la diversité des traits exte=
rieurs qui distinguent les Individus, et
que dès la une attention particuliere a ces
traits ne puisse fournir a un observateur
experimenté certains caracteres propres a
distinguer les divers Temperammens et les
mettre en etat de juger avec assès de vrai=
semblance, quel est le temperamment
qui predomine dans chaque Indïvidu.

Cette diagnostique  est essentielle a un
Medecin qui ne veut pas administrer ses
remedes a l'avanture, qui veut les accom=
moder, et en approprier les doses et les
melanges a la constitution physique de
ses malades, pour donner a chacun
ce qui peut le mieux lui convenir. Mais
<26> elle n'est pas moins necessaire a celui qui
par curiosité, par ïnteret, par gout, ou
par obligation de son etat, veut ou doit s'at=
tacher a connoitre les hommes et se for=
mer, par la connoissance de leur natu=
rel physique, quelque idée de leur natu=
rel Intellectuel ou moral; comme nous
allons le montrer.

INFLUENCE DU TEMPERAMMENT SUR
LE NATUREL INTELLECTUEL ET MORAL.
CARACTERES DISTINCTIFS PRIS DE CE
NATUREL QUI EN NAISSENT.

Par une suite des Loix de l'union, la diversi=
té des Temperammens doit influer consi=
derablement sur les ames parrapport
au tour d'Esprit et au caractere, la façon
de penser et les penchans.

Car quoique les impressions faites par les
mêmes objets, sur les mêmes organes, dans
les mêmes circonstances, doivent naturel=
lement produire chès les divers Individus
des impressions très ressemblantes entr'elles,
nous ne pouvons cependant douter que
la diversité de leur constitution physique
ne produise 2 lettres biffure dans ces impressïons et
dans les sensations qui en naissent, certaines
differences reelles, quant a leurs modifications,
leur degré de vivacité et de permanence,
et qu'il ne resulte dela une multitude
de varietés entre les hommes dans leur
maniere de voir les objets, dans les idees
qu'ils s'en forment, les jugemens qu'ils
en portent, l'estimation qu'ils font de
leur valeur quant a eux, et dès la même
dans les causes impulsives ou fïnales
qui les determinent pour ou contre,
dans leurs affections particulieres pour
certaines choses, et leurs aversions pour
d'autres, dans le devellopement de leur nature
pour les rechercher ou les fuir.

<26v> Les affections et les gouts se forment
de très bonne heure et ïls prennent leur
source dans les objets exterieurs qui ne
peuvent arriver jusques a leur ame que par
le canal des sens qui les leur presentent
sous les seuls rapports que ces objets ont
avec eux mêmes. Dela il arrive que l'ame
s'asservit peu a peu au corps pour n'ai=
mer ou ne haïr que ce qui convient a
celui ci ou ne lui convient pas. Pendant
tout ce temps, l'ame ne fait nul effort pour
vaincre cet asservissement et il se trouve
au bout qu'elle a acquis l'habitude d'etre
asservie, avant que d'avoir senti le poids
de ses chaines, et connu le pouvoir qu'elle
auroit pu deploier pour s'affranchir.

Lorsquelle vient a le connoitre, pour
l'ordinaire l'habitude est trop en racinée,
et elle est trop paresseuse ou endormie
pour s'efforcer dela vaincre; il lui en
couteroit trop pour resister au plaisir
present, et reprendre l'empire qu'elle s'est
laissée ravir. Telle est l'origine de tous
les ecarts de l'ame, et de tous les divers gouts
qui dominent les hommes; c'est donc
toujours dans le corps et le temperam=
ment qu'il faut en chercher la premiere
source, et il ne faut 1 mot biffure pas d'autre
preuve de sa grande influence sur
le naturel ïnterieur, ou le caractere
et les penchans.

DIVERSITE DES PENCHANS SELON LES
DIVERS TEMPERAMMENS.

On peut envisager en effet la diversité des
temperammens comme une des sources
principales
de la diversité des penchans,
des gouts, des passions, des habitudes, et
des la même des tours d'Esprit et des carac=
teres qu'on observe parmi les hommes et
dont l'influence sur leur conduite exteri=
eure est si ordinaire et si sensible.

<27> Ainsi les personnes d'un temperamment san=
guin, chès qui la santé est plus ferme, le sang
plus doux, et qui sont des la même flattées
plus agreablement que les autres par les
impressions des objets sensibles, ont plus de
gout et de penchant pour les plaisirs des sens,
les amusemens, les jeux, les ris, et des la même
plus d'eloignement pour le travail, les af=
faires, les tracasseries dela vie. Ce sont
ordinairement des bons enfans sans souci,
qui ne voient les choses que du beau côté
et aiment a jouir du present sans s'inqui=
eter pour l'avenir; d'ailleurs aussi tres sensi=
bles 2 mots biffure a la douleur, impatiens
dans les maux, peu fermes dans les dan=
gers, irresolus, legers, peu reflechis,
bons, genereux par temperamment,
mais sans prudence dans le choix des
objets de leur beneficence: leur penchant
dominant c'est la sensualité.

Ces 1 mot biffure personnes d'un temperamment
bilieux dont le Sang est bouillant, les
Esprits abondans et exhaltés, le cer=
veau sans cesse en agitation, continuel=
lement occupés d'un sentimens vif et pro=
fond de leur existence, ces personnes,
dis je, sont affectées moins vivement
des impressions du dehors, et leur activi=
té se reflechissant principalement sur
elles mêmes, elle se livrent beaucoup
plus aisement et plus fortement que les
autres aux attraits de l'amour propre.

Ce ressort toujours puissant et actif, les
agite continuellement; dans tout ce qu'elles
font, elles s'y appliquent avec force et
chaleur, les obstacles loin de les decou=
rager, ne font que les irriter et les exci=
ter a redoubler leurs efforts: rien ne les
rebute, et ne les arrete, elles renversent
<27v> tout ce qui se trouve en leur chemin, et
ne quittent jamais prïse qu'elles n'aient acti=
vé ce quelles avoient entrepris. Mais cet
amour propre, flatté le plus souvent par des
succès brillans, qui viennent a la suite d'une
imagination ardente et de passions impetu=
euses, les conduit naturellement a l'orgeuil,
a la fierté, au mepris des autres et surtout
a la passion de s'elever au dessus d'eux; leur
penchant dominant c'est l'ambition.

Les melancholiques sont moins sensibles
encor aux plaisirs des sens que les bilieux,
et ont plus d'eloignement encor que les
sanguins pour tout ce qui est peinible; leur
gout les porte naturellement a la solitude,
ou ils peuvent se concentrer tout a leur
aise dans la sphere etroite de leur activi=
té; ils n'aiment pas a s'occuper de grands
objets, mais plutot d'objets minutieux, qui
ont du rapport a eux mêmes, du menu
detail des moiens de pourvoir a leurs
besoins: leur penchant dominant, c'est
l'avarice.

Les phlegmatiques sont de tous les moins
sujets a se passioner, ils ont naturellement
peu de sensibilité et d'ïmagination, leur
Esprit est sans vivacité comme leur coeur
sans chaleur: toujours timides et craïn=
tifs, toujours dans une sorte de langueur,
ils preferent le repos et l'inaction a tout;
ils sont egalement incapables de grandes
vertus et de grands vices: leur penchant
domïnant c'est la paresse.

TRAITS EXTERIEURS SIGNES INDICA=
TIFS DE L'INTERIEUR.

Ce que nous avons dit suffit bïen pour
verifier ce fait constant, que la diversité
des Temperammens ïnflue considerablement
sur celle des tours d'Esprit, des caracteres

<28> des penchans, des habitudes. Il n'est pas
moins certain que la figure, ou les traits
exterieurs et apparens que nous avons in=
diqués plus haut, auxquels on pourroit joïn=
dre l'agitation des muscles, le battement
des arteres, peuvent fournir a des observa=
teurs experimentés des caracteres distinctifs
suffisans pour reconnoitre avec assès de
vraisemblance le Temperamment domi=
nant chès chaque Individu. Dela nous
concluons que les diverses modifications
exterieures du corps pouvant servir de
signes indicatifs de sa constitution physi=
que, ou du naturel physique ïnterieur,
elles peuvent des la même fournir des 1 mot biffure
caracteres indicatifs des modifications ou dispositions
interieures de l'ame
, de sa façon de voir,
de penser, de juger, d'apprecïer, ainsi
que des gouts et des affections qui en
naissent. C'est ce que nous allons devel=
loper dans le chapitre suivant.

<28v> CHAPITRE IV
De la correspondance de l'exterieur de
lhomme avec l'interieur, et ce qu'on peut
attendre des ïndications de la Physionomie

CORRESPONDANCE DE L'EXTERIEUR
A L'INTERIEUR.

5 lignes biffure

Nous Disons a present que les diverses modifi=
cations de l'ame produisent aussi des chan=
gemens plus ou moins considerables dans
l'oeconomie interne du corps; d'ou resultent
divers mouvemens et des varietés dans
les traits  exterieurs, qui peuvent servir
aussi de signes indicatifs de ces dïverses
modifications interieures.

CARACTERES EXTERIEURS INDICA=
TIFS DES MODIFICATIONS INTERIEURES.
MOUVEMENS. GESTES. DEMARCHE. MAINTIEN.

Ainsi le desir, le degout, l'aversïon, l'impa=
tience, l'acquiescement, le refus, s'expriment
assès ordinairement et naturellement par
des mouvemens de la tête, par des gestes ,
ou des mouvemens de bras, comme
aussi par des mouvemens des pieds et
la demarche  du corps entier. Il est mê=
me a remarquer que le degré de viva=
cité du mouvement repond assès a
celui du sentiment, du moins chès
ceux qui ne suivent que l'impulsion de
la nature, sans y meler l'artifice.

La passion dans son accès, l'ïnquietude
ou la tranquillité, l'empressement ou l'indif=
ference, souvent même le 1 mot biffure melange
ou le conflict de ces dispositions, se
<29> manifestent audehors d'une maniere très
sensible par le maintien  ou l'attitude,
dont les varietés repondent aussi aux di=
verses situations de l'ame, non seulement
aux passageres et momentanées, mais en=
cor aux permanentes et habituelles. Qui
pourroit ne pas reconnoitreau maintien
un caractere bas, ou un Esprit hautain,
un bon vivant, un insouciant, un pares=
seux, même un avare?

La frayeur en particulier se marque
par un tremblement, une contenance  in=
certaïne; souvent une sueur froide, qui
provient de cequeles nerfs violemment
affectés, en agissant sur les vaisseaux,
les compriment et font retrograder les flui=
des, ce qui les faits ressortir abondamment
par les pores, al'issue desquels ils se forment
en petites goutes, qui sont froides, parce
que l'air les condense, et les et les refroidit plus
promtement que si le fluïde etoit sorti,
comme a l'ordïnaire, par la simple trans=
piration.

VISAGE

Mais les modifications de l'ame ne se mon=
trent nulle part plus a decouvert que
que sur le visage  ou la face , cette ïnteres=
sante partie de l'homme, ou se peignent
si vivement ses passions, ses sentimens,
ses pensées, ainsi que son tour d'Esprit
et son caractere domïnant. Il ne faut
pas en etre surpris. Les sens qui se trouvent
placés dans cette partie ou au voisinage,
ne peuvent exercer leurs fonctions sans une
grande affluence d'Esprits; 1 mot biffure il arrive
necessairement, dans toutes les agitations
<29v> qui surviennent au corps a la suite des
modifications de l'ame, que ces Esprits
accourent au visage en plus grande
quantité que par tout ailleurs, et y
font des impressions d'autant plus sen=
sibles qu'ils sont habitués a s'y porter,
dès que les sens sont frappés, avec la
plus grande promtitude.

Les diverses passions doivent même pro=
duire dans le cours des Esprits qu'elles envoient
au visage, diverses determinations qui,
dans un instant, y produisent des mouve=
mens 1 mot biffure 1 mot biffure de contraction et de dilata=
tion, dont les varietés, correspondantes
aux diverses affections de l'ame, 1 mot biffure
fournirssent des caracteres assès decisifs
et surs pour qu'on puisse les reconnoitre
et les distinguer.

Il est même a observer que pendant que
dans les autres parties du corps, la peau
est bien separée de la chair, sur le visa=
ge elles se trouvent tellement unies que
la peau y devient comme transparente,
et par la propre a recevoir toutes les im=
pressions des diverses couleurs qui sont
excitées par le mouvement plus ou moins
violent que les fluides recoivent des
diverses agitations de l'ame, et dès la
même, a nous manifester celles ci par
des traits sensibles pour tous ceux qui
ont le coup d'oeuil exercé a les distin=
guer, en les rapportant a leurs diverses
1 mot biffure causes interieures. Tel est le fonde=
ment en particulier des jugemens qu'on
porte sur les indications de la rougeur,
de la couleur jaune, et des alterations
subites qui surviennent au teint et
au coloris du visage.

<30> Quand l'ame n'eprouve que des emotions
douces, sa tranquillité s'annonce sans equi=
voque sur le visage; tout y est calme et
en repos: on n'appercoit aucune altera=
tion dans les traits, ni même dans le teïnt
et les couleurs. L'ame se trouvet'elle agi=
tée, les esprits entrent ils en fermentation,
aussi tot la face humaine s'agite, tout
s'y met en action: on y voit naitre le
sourire ou le froncement , la paleur ou
la rougeur; chaque mouvement de l'ame
y est exprimé par un deplacement des
parties, une contraction ou dilatation des
muscles. Ce sont des mouvemens de
sourcils qui s'elevent ou s'abaissent, des
nictitations  de paupieres plus ou moins
frequentes et precipitées, divers froncemens
ou rugosités du front, des alterations
dans le nez et les narines, surtout des
changemens qui surviennent a la bou=
che et aux levres, dont celle la par ses
contours, et par ses differentes ouvertu=
res, cellesci par leurs diverses inflexions,
et leurs nuances de rougeur, toutes en=
semble par leur mobilité et leur flexi=
bilité semblent annoncer d'une mani=
ere plus expressive encor les mouvemens
secrets 1 mot biffure dont l'ame est actuellement
agitée, surtout lorsque l'organe de la
voïx et de la parole concourt encor,
par son 1 mot biffure energie, pour en rendre
l'expression plus vive et plus animée.

LE REGARD.

Il est vrai que chès la plupart des hom=
mes l'ame se devoile principalement
dans les yeux, le regard  et le coup d'oeuil,
ou se peignent avec tant de verité toutes
ses affections permanentes ainsi que ses
modifications passageres, et qui produi=
<30v> produisent une impression si vive et si
promte sur le Spectateur attentif. Qui
peut meconnoitre en effet a tel coup d'oeuil
plus ou moins fixe, ferme, rude, precipité
ou raddouci et gracieux, ou langoureux,
ou dedaigneux &c le trait caracteristi=
que de tel mouvement de l'ame, de tel sen=
timent, de telle pensée qui l'occupe. Les
yeux sont comme le miroir ou elle
vient se reflechir toute entiere; la on
lit les retours de l'amour tendre, et les
horreurs de l'indignation et du courroux,
aucune expression plus eloquente et
plus plus promtement entendu; on
a beau même vouloir cacher
une passion, elle est dans l'oeuil com=
me elle est dans le coeur.

Ajoutons encor que des accès reiterés et
habïtuels d'une passion determinent le
cours et l'affluence des Esprits vers tel en=
droit du visage, enflamment, dilatent,
impriment une sorte de mouvement con=
vulsif a telle partie, et y laissent des traces
qui se font appercevoir, lors même que
les accès sont passés, et qui deviennent
permanentes. Ainsi des frequens trans=
ports de colere, qui produisent en telle
partie tel mouvement, telle alteration,
il resulte une permanence habituelle
de ces symtomes, qui annoncent a cha=
cun l'homme colerique, et avertissent
de le fuir; on reconnoit aïnsi l'yvro=
gne, lors même qu'il n'a pas bu, et le
debauché, quand même on ignore le
detail de ses allures secrettes.

Il est des gens qui 2 mots biffure portent
la penetration plus loïn a cetegard que
les autres, et jusques a demeler les passions
les plus raffinées, celles qui s'annoncent le
moins sensiblement par les ïndications exte=
exterieures, <31> et lors même que le sujet qui en
est atteint, cherche le plus a les cacher et
ales combattre.

ALTERACTIONS SURVENUES A LA
CORRESPONDANCE.

La correspondance de l'exterieure a l'inte=
rieur devoit etre originairement beaucoup
plus soutenue chès l'homme, lorsque sui=
vant en tout les impulsions de la nature,
il ignoroit encor l'art d'en dissimuler ou
d'en feindre les mouvemens. Maïs depuis
l'introduction de cette foule d'institutions
sociales, de distinctions de rangs et de
conflicts d'ïnterets, depuis que les occupa=
tions attachées aux diverses vocations,
et que les manoeuvres artificielles genées
et souvent forcées, se sont multipliées
parmi les hommes, ils se sont vus comme
contraints de substituer aux expressions
suggerées par la nature, divers mouve=
mens etrangers, habituels et factices,
qui, chès chaque individu, indiquent au=
jourdhui plutot ses occupations ou ses
gouts contractés par l'habitude, qu'ils
ne font connoitre les sentimens ou les
pensées dont il est actuellement ou habituellement penetré.

Ainsi depuis les changemens survenus par=
mi les peuples civilisés, la correspondan=
ce a certainement eprouvé de très grandes
alterations, et on ne peut plus comter sur
elle comme sur un moien bien assuré de
connoitre parles indices exterieurs ce
qui se passe dans l'interieur des autres
hommes, et de se former une idée juste
des diverses indications de leur ame et
surtout de leur caractere.

Il est même a observer que ces 1 mot biffure allures
du corps accidentelles, factices et habitu=
elles, quoique très differentes de celles que
la nature seule produit, ne laissent pas
<31v> d'etre encor assès difficilles a distinguer de
celles ci par la même que l'etude assidue
que les hommes font de l'art leur ote
cette delicatesse de tact que la nature
seule peut donner a ceux qui en suivent
ordinairement les impressions.

On ne peut cependant disconvenir qu'il
n'existe encor chès les hommes, même civi=
lisés, une certaine correspondance natu=
relle de l'exterieur a l'interieur et qu'autant
il est possible a l'observateur experimenté
d'en demeler les Loix, autant aussi il lui
est possible, par une observation attenti=
ve de l'exterieur de chaque homme de
penetrer jusques a un certain point dans
1 mot biffure son interieur, pour connoitre la
sensation actuelle ou habituelle de son
ame, son tour d'Esprit et son caractere
moral.

PHYSIONOMIQUE.

C'est ce grand art dont les anciens ont recon=
nu la possibilité et recherché les regles.
Ils l'appelloient Physionomique , comme
ils appelloient Physionomie tous les carac=
teres exterieurs que la nature peut fournir
pour juger de l'homme; c'est par abus
que nous avons restraint ce mot aux
traits qu'offre le visage.

Des modernes ont rappellé a la vie une
science morte depuis longtemps: leurs
contemporains se sont beaucoup recrié
sur leur audace temeraire. Nous lais=
sons aux generations futures le soin
de les juger.

En attendant, disons pour leur justifica=
tion que les Physionomistes ne doivent pas
etre confondus avec ceux qui, sous les traits
du visage ou de la maïn, vous disent ce
<32> qu'on appelle  la bonne aventure, tout ce
qui vous arrivera soit de bïen soit de mal;
car les premiers ne se vantent pas d'autre
chose si ce n'est de decouvrïr, sur les ïndica=
tions exterieurs, ce qui appartient a la per=
sonne même, son tour dEsprit, son caractere,
sa passion dominante, et d'annoncer, qu'en
la supposant placée un jour en telle ou telle
circonstance, elle se trouvera vraisembla=
blement en telle ou telle disposition, quelle
se previendra en faveur de tel objet ou
contre lui, et qu'elle se conduira de telle ou
maniere, le tout par une suite naturelle de
ce qu'elle est, et qu'elle continuera d'etre
pendant qu'elle vivra.

Je ne vois rien dans cette pretension qu'on
puisse appeller chimerique et absurde.
Quand nous voions un Jardinier entendu
dans son art, connoitre, au premier coup
d'oeuil, la qualité bonne ou mauvaise
des fruits, des plantes, des arbres, quand
nous voions un chasseur juger très bien,
sur la seule inspection de la mine et de
l'allure d'un chien, s'il est propre a sa des=
tination ou s'il a quelque deffaut, ne
paroitroit il pas bien etrange que la
nature, qui a été si liberale de ses dons
envers nous, ne nous eut fourni aucune
indication exterieure pour juger, jusques
a un certain degré de vraisemblance, des
bonnes ou mauvaises qualités de nos sem=
blables, et de ce que nous pouvons en at=
tendre ou en bien ou en mal.

A la bonne heure encor nous refuser cette
ressource, si elle avoit pris soin de nous
fournir quelque autre moien facile et
suffisant pour connoitre les bonnes ou
mauvaises dispositions de ceux avec
qui nous sommes appelles a vivre en Socie=
té. Mais nous n'en avons aucun de ce
genre. Nous ne pouvons gueres les connoitre
<32v> par leurs actions, dont nous ne sommes
que rarement temoins, dont nous sommes
peu en etat de juger sainement et qui de=
pendent beaucoup des circonstances, etdont le Systhe=
me varie comme les changemens qui sur=
viennent a leur situation et leur fortune.

Nous pouvons encor moins les connoitre
par leurs discours qui sont assès generale=
ment du plus au moins etudiés et artifi=
ciaux. Pour contempler ses semblables,
l'homme a besoin d'un miroir a l'abri de
toutes les alterations que le besoin, la vanite,
l'interet pourroient tenter d'y apporter et
telest celui de la Physionomie pour ceux
qui s'en sont fait une etude; car dans
ce miroir, ils peuvent, disent ils, demeler
jusques aux efforts q2 lettres biffureue l'homme fait
pour se cacher, sans etre exposés a con=
fondre ce qui est l'effet d'une cause etran=
gere, passagere, avec ce qui constitue le
fond de son naturel. Autant donc il est
essentiel pour lui l'homme de pouvoir s'assurer par
quelque moien des dispositions de ses sembla=
bles a son egard, et par la se preserver des
atteintes souvent cruelles de leurs passions
folles et mechantes, autant peut il se flatter
que la nature, qui lui a fourni les autres
moiens necessaires a sa deffense et a sa su=
reté, ne lui aura pas refusé celui qui seul
peut le mettre en etat de prevenir de loin,
et d'avance, les dangers qui pourroient le
menacer. 5 mots biffure
2 lignes biffure

Nous voions que les enfans eux mêmes, par une
sorte d'instinct, ne manquent jamais, lorsqu'ils
voient de nouveaux visages de les fixer
attentivement comme pour les etudier, et
demeler sur la physionomie, 2 mots biffure
si elle annonce quelque chose de sinistre
<33> ou de favorable pour eux. Il n'est pas
jusques aux animaux 3 mots biffure
qui ne portent leurs regards ïncessamment
sur la physionomie de ceux qu'ils appro=
chent pour decouvrir, s'ils ont quelque
chose a craindre ou a esperer de leur part.

Et l'homme, qui a l'instinct joint encor
la reflexion et l'experience, seroit 1 mot biffure il le seul
2 mots biffure incapable de juger d'après les
indications exterieures, des dispositions
interieures de ceux qui l'environnent
et dont il est pour lui d'une si grande ïm=
portance de prevenir les attaques et
les coups portés au depourvu.

Il est sans doute des causes accidentelles,
et passageres qui ne permettent pas toujours
a la disposition habituelle de se produire
a l'exterieur par ses symtomes ordinaires;
telles sont la maladie, les accès de passions
violentes, des gouts bisarres et capricieux,
qui donnent a l'homme un air forcé ou
etranger a son caractere propre. Mais
dans ces cas la même, il n'est pas si difficille
de demeler cet air forcé, et de retrouver les
traces du vrai naturel; car il n'est presque
pas possible que des alterations produites
par de telles causes, ne s'assortissent jus=
ques a un certain point au sujet, ou
du moins, qu'elles le changent si comple=
tement, que le temperament et le fond du caractere
dominant disparoissent absolument.

Ces causes meme s'annoncent toujours par
certains signes, et on peut les comparer a
l'embonpoint ou la maïgreur au travers
desquels le temperamment perce toujours:
et on pourroit dire encor qu'il en est du
naturel comme d'un vernis qui atta=
che aux couleurs qu'on y applique une
nuance qui ne permet pas d'en ignorer
le veritable fond.

<33v> Du reste nous nous garderons bien d'entrer ici
dans aucun detail sur les regles de la Phy=
sionomique: nous avons voulu montrer
seulement que ce n'est pas une chimere,
que l'art repose sur des principes, entr'autre a 1 mot biffure
la connoissance des traits exterieurs 1 mot biffure qui
2 mots biffure peuvent servir de signes indicatifs des modifi=
cations interieures; de l'âme; connoissance
qui n'est nullement au dessus de la pene=
tration humaine, soutenue de l'experience
1 mot biffure et dont certains hommes, placés
sur un grand theatre, et appellés sans
cesse a observer leurs semblables,
ont donné des preuves bien plus
frappantes, que tous ceux qui ont
ecrit sur la Physionomique.

<34> Chapitre V.
Correspondance de l'interieur de l'homme
a son exterieur; des divers signes exterieurs
du sentiment et de la pensée, des premiers
principes du Langage, et du Langage
d'action.

CORRESPONDANCE DE L'INTERIEUR
A L'EXTERIEUR.

Les modifications exterieures du corps
etant soumises aux influences de l'ame
il en a du resulter une correspondance
de l'interieur de l'homme a son exterieur.

Sa qualité d'Etre Intelligent qui l'appel=
lent a profiter de tous les secours qui peu=
vent aider a sa memoire et a sa conception,
celle d'Etre sociable qui l'invitent a lier
commerce de sentiment et de pensée avec
ses semblables, demandoient egalement
qu'il donnat tous ses soins a l'emploi de
certains signes pris dans la nature même
des choses, mais develloppés et etendus
par son Intelligence industrieuse, qui
liés etroitement avec ses divers sentimens
et ses dïverses pensées, lui servissent de
moiens pour les rassembler, les combiner
les arranger avec ordre dans son Esprit,
et par la se mettre en etat de les exprimer
1 mot biffure et manifester aux autres avec
distinction et exactitude.

SIGNES

Sous le mot de signes  on a compris tout ce en
general qui peut servir a rappeller l'idée
de quelque autre chose differente de lui.

<34v> On a beaucoup parlé des signes relative=
ment au temps, et on les a distingués en
commemoratifs, demonstratifs, prognos=
tics. Relativement aux objets on les a dis=
tingué en naturels et accidentels. On a
appellé signes naturels, certaines qualités,
dependances ou effets physiques d'un objet
qui servent a le rappeller par eux mêmes:
ainsi la fumée est le signe naturel du
feu, la respiration, la battement, les signes
de la vie &c. A ceux la on a opposé les signes
accidentels qui ne tirent leur force signi=
fiante que d'une associatïon introduite
par l'institution humaïne entre certaines
idées ou entre certains objets en vertu de
laquelle l'un a été destiné et etabli pour
rappeller l'autre; ainsi le sceptre est devenu
le signe de la puissance roiale tandis qu'il est des
peuples ou ce signe
est une corde de
chanvre.

Mais ces signes ont été le plus souvent
institués en vertu de quelque liaison, affi=
nité, analogie, que les hommes ont obser=
vé ou cru appercevoir, entre les choses, et
dans ce cas on les a appellés signes d'ins=
titution naturels: ainsi une carte geo=
graphique est un signe d'institution na=
turel d'un pays. Souvent Quand 1 mot biffure l'institution
a été le fruit de la volonté arbitraire
des hommes et de la convention, dans ce
cas, on les a appellés signes d'institution
arbitraires
 .

LANGAGE

Ce n'est pas assès pour les besoins de l'hom=
me qu'il existe certains signes naturels
ou accidentels qui lui rappellent les objets
en gros et en masse, sans aider au devellop=
ment de la pensée, ni lui offrir aucune
ressource de communication avec ses sem=
blables. Il lui faut des signes qui le
mettent en etat de se retracer tout le
<35> detail de ses sentimens et de ses perceptions,
et de les peïndre fidelement aux autres, mais
surtout qui soient a tout instant a ses ordres,
et qui puissent aisement et promtement
etre 1 mot biffure compris. C'est a l'ensemble de ces signes
qu'on a donné le nom de Langage  a pren=
dre ce mot dans le sens le plus 2 mots biffure
1 mot biffure
general. Les signes de tout Langage
doivent 1 mot biffure donc etre tous des signes
d'institution; mais ces signes doivent ils
etre tous arbitraires ou naturels? c'est
ce qu'il importe d'examiner.

LANGAGE D'INSTINCT.

Les animaux qui vivent en troupes ont tous
des signes reciproquement bïen entendus,
pour s'avertir mutuellement de leurs besoins,
de leurs craintes, de leurs desirs, et des choses
qui peuvent interesser au moment même
la conservation de leur Individu, ou celle
De leur espece. Ce sont ou des signes muets ,
des mouvemens du corps et des membres,
surtout de la tête, des coups d'oeuil diver=
sifiés 1 mot biffure, ou des signes sonores ,
des bruits ou sons confus, non articulés
des cris, et souvent même un chant plus
ou moins melodieux. Ce moïen de commu=
nication entr'eux est un vrai Langage,
mais les signes n'en sont point arbitraires;
c'est la nature qui les fournit, comme au=
tant de signes qui ont une correspondance
naturelle avec ce qu'ils doivent signifier
et que cette correspondance rend egalement
intelligible a tous. C'est l'instinct seul
qui leur fait trouver ces signes et leur
montre a les emploier sans aucun art.

Mais ce langage d'instinct varie chès les
animaux. Selon la conformation de leurs or=
ganes, et plus il y a de difference dans cette
conformation entre les especes, plus celles ci
<35v> ont peine a s'entendre reciproquement; il n'y
a proprement que ceux de la même espece qui
puissent entretenir 1 mot biffure toute la commu=
nication qui est necessaire a la satisfaction
reciproque de leurs besoins et de leurs desirs.

Les betes domestiques ont même un Lan=
gage plus ou moins intelligible pour l'hom=
me et ceux qui sont occupés habituellement
a les gouverner, l'entendent et l'apprecient
avec assès de justesse.

LANGAGE NATUREL CHES LES HOMMES.

Les hommes eux mêmes, par une suite de
la correspondance naturelle de l'1 mot biffure l'exterieur a
l'inl'exterieur, ont aussi un langage naturel
dont nous avons marqué les actes chap
IV auxquels nous joignons encor ici des
accens confus ou grossierement articulés,
qui sont pour eux une expression naturelle
des divers mouvemens qui les agitent, comme
cela se demontre par l'usage des Interjections
qui en ont pris naissance. Cette espece
de Langage naturel vocal est assès sensible
chès les enfans, les sourds et muets de nais=
sance, et on la decouvert aussi chès des
hommes que le hazard avoit fait naitre
au milieu des forets.

RIRE ET PLEURS.

N'oublions pas ici le rire  et les pleurs, effets
naturels de deux sentimens opposés, la joie et
la tristesse, qui sont comme l'appanage alter=
natif de l'homme depuis le berceau jusques
au tombeau: signes exterieurs beaucoup
plus marqués dans son espece que dans
aucune autre, et qui semblent meme lui appar=
tenir en propre.

Nous avons deja montré comment une affec=
tion douloureuse de l'ame produit naturelle=
ment les pleurs ou larmes. Les pleurs doïvent
<36> donc etre envisagees comme des signes natu=
rels de la douleur ïnterieure, lorsqu'il n'y a point
d'artifice de la part de l'homme, car on com=
prend qu'a force d'habitude, on peut parvenir
a operer volontairement cette compressïon
qui fait couler des larmes, lors même qu'on
n'a interieurement aucun sujet de pleurer.

1 mot biffure

Les accès d'une joie vive, des actions plaisantes,
des paroles facetieuses, tout ce qui offre quelque
chose de ridicule , qui amuse en flattant
l'amour propre de celui qui se plait a s'en moc=
quer , tout cela occasione une affluence
d'Esprit animaux vers le visage qui en met
toutes les parties en actïon, et produit ce con=
cours de symtomes exterieurs que nous ap=
pellons le rire. Dans l'accès du rire, les yeux
se ferment a demi, ils deviennent brillans
et quelques fois humides jusques aux larmes;
le nez se fronce, les levres se retirent, les
dents se decouvrent, les joues s'enflent, tandis
que leur milieu se creuse, la bouche ouver=
te laisse entrevoir la langue qui tremousse;
il en sort un son eclatant et entrecoupé;
un certaïn eclat agreable se repand sur
le visage qui en prend de la rougeur.

Pendant cela, les muscles intercostaux et par=
ticulierement le diaphragme, s'agitent si im=
petueusement et par des secousses si promtement
redoublées qu'on en perd souvent l'haleine avec l'usage
de la parole; a quoi se joint quelque fois 1 mot biffure une
douleur si pressante dans les flancs qu'on
diroit qu'ils vont s'ouvrir &c. Le rire est le
signe naturel de la joie, tant que l'homme
n'emploie aucun art pour imiter les effets de
la nature; car a force d'artifice et d'habitude
l'homme parvient a deploier au dehors tout le
mechanisme du rire, sans avoir aucun sujet
interieur de joie: Combien de gens dont le
rire est manifestement forcé, chès qui c'est
<36v> cest un espece de tic ou qui rient sans cesse et
surtout, ce qui les rend fort deplaisans.

LANGAGE D'ACTION.

Le Langage naturel, ou l'ensemble des signes
muets et sonores fournis aux hommes par la
nature elle même, pour servir d'expression aux
diverses modifications de leur ame, une fois
devenu Langage d'institution, d'une valeur
determinée et connue, par l'usage familier des
mêmes actes a titre de signes reçus pour la com=
munication mutuelle, ce Langage a été appellé
Langage d'action.

NATUREL DANS SON ORIGINE.

Pendant que chès les anïmaux le Langage
d'instinct
a pu etre borné a un petit nombre d'ex=
pressions, pour l'être Intelligent et social ne pou=
voit se passer d'un Langage plus etendu, et il a
du trouver en soi des signes plus nombreux et
plus variés pour exprimer tous les divers be=
soins ou sentimens qui l'occupent. Nous avons
vu toutes les ressources que lui offrent les
signes muets, en si grand nombre et si diversi=
fiés qu'ils peuvent annoncer au spectateur
attentif toutes les dïverses affections ou situations
de son ame. A cela il peut joint encor des signes
sonores
, ou par une simple emission de la voix,
ou en accompagnant celle ci de quelque articu=
lation grossiere, et ces signes peuvent de même
annoncer les sensations agreables ou desagrea=
bles qu'il eprouve. Il est vrai que ces signes
vocaux n'en font connoitre ni la cause, ni l'ob=
jet, ni le degré, ils ne servent qu'a reveiller l'at=
tention de ses semblables, et les inciter a diriger
leurs regards sur ses gestes et ses mouvemens,
comme etant des signes plus propres a expliquer
d'une maniere nette, ce qui n'etoit d'abord annon=
cé que confusement par les accens de la voix.

<37> DEVENU LANGAGE D'INSTITUTION

1 mot biffure Les actes du Langage naturel ne
sont autre chose dans leur origine que des
effets naturels de causes données; ils ne de=
viennent des signes proprement dits que lors=
que par une repetition frequente, l'imagina=
tion, soutenue de l'attention et de la memoire,
a lié tellement les idées de ces actes avec les
perceptions qui les ont causées que les unes
servent a rappeller 1 mot biffure les autres
promtement et sans equivoque. Car supposès que les hommes n'eussent pas
pris la peine d'observer ces actes qui viennent
a lui suite du besoin ou du desir, relativement
a tel objet, et qu'ils ne les eussent pas pris en
note pour se les rappeller comme autant de
signes, ils n'auroient 1 mot biffure gueres pu reconnoitre
avec precision le même besoin et le même desir chès les au=
tres, bien que ceux ci l'eussent exprimé de la
meme maniere, et ils n'auroient pas pensé a
reiterer ces mêmes signes a dessein et a pro=
pos pour se faire entendre de leurs semblables
et lier commerce avec eux. Tout se fut reduit
comme pour chès les animaux, au seul Langa=
ge d'Instinct.

Ainsi le Langage d'action, quoique natu=
rel dans ses elemens, n'a pu se former et etre
introduit parmi les hommes, sans le secours
de l'observation, dela memoire, et d'une ac=
tivité mise en jeu par la necessité d'emploier
certains signes convenables pour operer la
communication reciproque, et dès la même
on peut dire avec verité qu'il est devenu Langage d'institution.

1 mot biffure S'il fut resté renfermé absolument dans
les signes elementaires donnés par la nature,
il n'eut été qu'un Langage purement naturel.
Mais il a pu se devellopper et s'etendre par
l'industrie. Des signes elementaires, l'homme
a pu former d'autres signes, je ne dirai pas
arbitraïres, choisis au hazard, car de tels signes
n'auroient jamais pu former un Langage in=
intelligible, <37v> mais des signes artificiels ,
composés des naturels primitifs combinés
1 mot biffure et institués avec un tel art, que leur
intelligence fut preparée et amenée comme
d'elle même, par l'usage et la connoissance
de la valeur de leurs elemens.

LANGAGE ARTIFICIEL

Le Langage de l'homme fut donc tiré de la
nature par l'art qui en forma et diversifia
les combinaisons, mais en suivant toujours
une certaine marche unïforme appellée
Loi d'analogie, en vertu de laquelle les signes
successivement introduits dans le Langage
artificiel
n'ont été que des resultats de signes
naturels
que l'homme a scu diversement mo=
difier et combïner pour en tirer d'autres signes
plus nombreux et plus variés, mais toujours
composés de maniere que leur valeur fut
toujours saisie et comprise par celle l'in=
telligence de celle de leurs elemens pri=
mitifs.

C'est par une suite de son attachement a cette
Loi que l'homme, lorsqu'il a voulu exprimer
des idées qui ne differoient les unes des autres
que par des accessoires, il a toujours été conduit
naturellement a l'usage de quelque signe com=
mun pour toutes repondant a ce qu'elles avoient
de commun, mais modifié aussi diversement
pour chacune d'elles, en sorte que les nuances
diverses d'expression repondissent a leurs
dïversités accessoires.

Tel est le fondement de la distinction du Lan=
gage naturel, 2 mots biffure et du Lan=
gage artificiel tiré de la nature par le
secours de l'art, selon la Loi d'analogie .

AVANTAGES ET INCONVENIENS DU
LANGAGE NATUREL.

La pensée de l'homme peut etre conçue
comme un Tableau ideal, composé de
plusieurs idées simultanées, toutes presentes
a la fois a son Esprit. Chès celui qui est re=
duit a ce Langage purement naturel, l'action
qui sert d'expression a sa pensée, doit etre
<38> composée d'autant de signes simultanés
qu'il en faut pour rendre les idées simulta=
nées dont la pensée est formée. Du moment
que les signes deviennent successifs, emploiés
dans un certain ordre pour exprimer les di=
verses parties de la pensée l'une après l'autre,
dès lors le Langage devient artificiel, sou=
mis a certaines regles d'art qui doivent etre
connues de celui qui emploie les signes et
de celui qui s'y rend attentif.

Il peut y avoir eu des hommes reduits au
seul Langage purement naturel et qui se
soient fait une habitude de saisir d'un
coup d'oeuil chaque peïnture avec tous
ses traits, et qui même ont eu rarement
besoin de la faire repeter pour en bïen
saisir tout l'ensemble.

J'ai vu moi même
une famille de
sourds et muets
qui se communiquent
leurs pensees par
des gestes composés
dont les divers actes
etoient tous simul=
tanés et annoncoient

au meme instant
l'expression d'un Ta=
bleau ideal dans
son entier, quoi
qu'il fut asses com=
pliqué.
 

Un Langage de ce genre a des avantages
sensibles sur d'autres. Il peint avec plus d'ener=
gie les sentimens vifs de l'ame: ses signes
ont chacun par eux mêmes une valeur plus
determinée; il repond beaucoup mieux a
l'unité et a la rapidité prodigieuse de la
pensée; il ne ralentit point la marche de
l'Esprit qui peut exprimer les objets avec
la même rapidcelerité qu'il peut les parcourir,
rien n'y sent la peine et l'effort. Dans nôtre
Langage parlé rien ne peut etre presenté et
saisi que partie après partie; nous nous
trainons lentement et avec peine d'idée en
idée, ce qui retarde 1 mot biffure nôtre 1 mot biffure
marche, et ne nous permet de penser que
successivement, comme nous parlons.

Mais d'un autre côté, un Langage borné a
a un petit nombre de signes naturels, n'a ja=
mais pu suffire qu'a des hommes bornés a
un petit nombre 2 mots biffure d'objets; tels
1 ligne biffure
3 mots biffure
il presente aussi
dans l'usage une foule d'inconveniens.

<38v> Chaque Tableau d'expression n'est qu'un
ensemble de traits ou tout est confondu.
L'homme qui parle distingue bïen les
traits, mais celui a qui il parle ne le peut
pas toujours au premier coup d'oeuil; alors
il faut que le premier repete son Tableau et le plus sou=
vent cette repetition ne produit son effet
qu'autant quelle se fait avec succession
et lenteur, pour que le second puisse sai=
sïr les traits un a un; car tel est l'homme
que dès que les choses commancent a se
compliquer, il ne sauroit les voir d'une
maniere claire et nette sans les observer
l'une après l'autre.

Lors même que la pensée et l'expression de=
meurent indivisible pour celui qui parle,
il ne se peut gueres que son action ne se
decompose très souvent pour celui qui
observe, parce que l'observation ne peut
que difficillement etre aussi promte que
l'expression, et cette decomposition obser=
vée par le premier, l'invite naturellement,
pour se rendre plus intelligible, a decom=
poser lui même son expression et sa pen=
sée pour la presenter par parties et su=
cessivement.

NECESSITE DU LANGAGE ARTIFICIEL.

S'il y a donc eu des hommes reduits primiti=
vement au Langage naturel, le besoin
les aura bientot forcés a decomposer 1 mot biffure
leur expression, et instruits par l'observa=
tion et l'experience, ils auront peu a peu
appris dans quel ordre ils devoient faire suc=
ceder leurs signes pour rendre leurs Tableaux
intelligibles, et dès la la marche qu'ils de=
voient suivre pour donner a la pensée
elle même une forme resoluble, qui
seule pouvoit la rendre propre a etre com=
muniquée avec exactitude et precision.

Ainsi soumis a une marche reguliere,
le Langage d'action, devint un Langage
<39> artificiel, etudié, appris. Les nouvelles com=
binaisons d'idées produisirent de nouvelles
combinaisons de signes, qui devinrent tou=
jours plus nombreux et variés, a mesure
que le besoin le demandoit pour analyser
regulierement la pensée. Ainsi le Langage
d'action artificiel, avec une marche plus lente, devint
toujours plus propre a anoncer avec netteté
toutes les parties des objets compliqués, et
c'est lui seul qui a pu mettre les hommes
en etat d'exercer la vraie methode analy=
tique qui consiste a presenter toutes les
diverses parties de la pensée dans un ordre
regulier et le plus convenable pour la
rendre pleïnement intelligible. A mesure
que les hommes s'etudierent a s'avancer
dans la route que la nature leur avoit
tracée, en executant avec regle ce qu'ils
faisoient primitivement sans regle, a
proportion qu'ils s'attacherent a saisir
et a suivre le fil de l'analogie, princi=
pe originaire de tout langage, a propor=
tion aussi leur Langage d'action fit des pro=
gres en perfection.

PERFECTION DU LANGAGE D'ACTION.
PANTOMIME

De ce qui a été dit, il suit

1. qu'il peut y a un langage d'action
anterieur
au Langage parlé et ecrit.

2. que parmi les peuples sauvages ce
langage est beaucoup plus cultivé et
mieux entendu qu'il ne l'est parmi les
peuples civilisés qui en ont negligés
l'usage.

3. Qu'un peuple absolument destitué
de langage parlé et ecrit, pourroit entre=
tenir une communication de sentimens
et de pensees assès etendue, et suffisante
meme aux permiers besoins.

<39v> 4. Qu'un peuple entier de sourds et de
muets pourroit avoir un Langage qui
s'exprimeroit a la vüe par les articulations
des doits, les gestes de la main, et les mou=
vemens du corps, de la tête et des yeux.

5. Qu'il pourroit même s'etablir chès un
peuple sourd, muet et aveugle, un lan=
gage de contact, tout pareil a celui
que les muets du serrail emploient de
nuit pour se raconter les uns aux au=
tres les historiettes du jour.

6. Que le langage d'action artificiel
peut etre porté a un très haut degre d'eten=
due et de perfection par les hommes qui
s'etudient a l'enrichir.

C'est ce dont les anciens nous ont fourni
une preuve sans replique dans l'art si
vanté et prattiqué parmi eux sous le nom
de Pantomime , par lequel des acteurs de
Theatre representoient les effets des passions,
des evenemens, des drames entiers, uni=
quement par des mouvemens, des gestes,
des regards &c.

Tout cet art se reduisoit a tirer d'un petit
nombre de signes naturels, entendus de
tout le monde, des signes diversifiés dans
leurs combinaisons, sans cesser pour cela
d'etre intelligibles, selon la Loi d'analogie,
a tous les spectateurs attentifs. Les acteurs
les plus habiles etoient ceux qui suivoient
l'analogie avec le plus d'Intelligence et
d'art, pour se faire entendre sans equi=
voque et avec facilité.

Chès les Romains les premiers qui s'illus=
trerent dans l'art du pantomime furent des
<40> avanturiers sortis du fond de l'Etrurie appellés
dela Histrions; gens fort en vogue et en cre=
dit a Rome, qui, du temps d'Auguste porte=
rent leur art, sous le nom de Danso Italique,
a un tel degré de perfection qu'ils en devin=
rent si 1 mot biffure proteges, et en meme temps si 1 mot biffure insolens
qu'ils ne purent etre chassés de Rome que sous
l'empire de Trajan.

Une La preuve 4 mots biffure du même fait a été mise
sous nos yeux
2 mots biffure dans cet art methodique
et admirable par lequel on est parvenu 2 mots biffure
temps a instruire les sourds et muets de nais=
sance, sans autre secours que celui des signes
donnés par la nature, mais modifiés et com=
binés avec une telle precision, que leur usage
peut suffire a ces Etres infortunés pour
rendre leur pensée très intelligible. C'est ainsi
que M. l'Abbé de l'Epee, avec une marche
vraiment grammaticale, est venu a bout
d'instruire de pareils eleves dans les diverses
parties des connoissances humaines, de leur
apprendre la valeur de tous les signes ecrits,
et de les mettre en etat decrire et de composer eux mêmes
en diverses Langues et meme de recevoir des Themes
a la dictée executé par le seul secours unique
des signes que le Langage d'action peut
fournir. Sa methode a même été conside=
rablement perfectionée 1 mot biffure par un de ses eleves M.
l'Abbé Sicard, ainsi qu'il paroit par ses
memoires publiés a Bordeaux en cette
année
1790.

IMITATION DE LA NATURE. PRINCIPE
DE TOUT LANGAGE.

Le même Principe qui a reglé la marche des
hommes dans la formation du Lan=
gage d'actïon, a decidé celle qu'ils ont
du suivre dans la formation de tout autre
Langage
qu'ils ont pu adopter.

<40v> Dans tous ce que l'homme fait avec art
il n'a qu'une maniere de proceder, une seule methode, c'est l'imitation . (2 mots biffure
2 mots biffure).
Tel est le principe generateur
de tous les arts
. Tout langage quel qu'il
soit, a donc été pris originairement de la
nature par l'imitation; il a du son devellope=
ment et ses progrès a la Loi d'analogïe et
a l'analyse de la pensée.

L'homme s'est constamment etudié a peindre.
Avoit il a peïndre sur le champ quelque objet
visible, etendu, mobile, avec ses qualités,
ses rapports, il n'eut d'abord d'autres ressources que
des mouvemens, des gestes imitatifs et pitto=
resques. S'agissoit il d'objets remarquables
par quelque bruit, il chercha a imiter ces
bruits par certains sons ou cris non arti=
culés, ou articulés d'une maniere grossiere.
Tout cela n'etoit encor que du Langage
d'action
.

Mais a ces moiens d'imitation insuffisans,
il s'efforca de suppleer par quelque expe=
dient d'une application plus etendue; et son
industrie se depoia sur l'instrument vocal
1 mot biffure 2 mots biffure pour en tirer des sons articulés;
et il s'attacha a cette ressource de preferen=
ce comme etant de l'usage le plus etendu,
et dont il pouvoit le plus facilement se servir
a chaque instant, sans autre peine que celle de
modifier le mouvement naturel de la respira=
tion et de former quelques inflexions variées
dans les divers organes de la bouche, qui ne
lui coutoient ni perte de temps ni effort. C'est
dela qu'il tira des sons elementaires qu'il
s'etudïa a combiner ensuite, suivant la Loi d'a=
nalogie, pour en former un Langage
parlé
dont la formation fut bientot suivie
de celle du Langage ecrit. Avant que d'ex=
poser les faits relatifs a cet objet, il importe
d'analyser le merveilleux instrument que
l'homme a su si ingenieusement mettre en execution.

<41> CHAPITRE VI.
De l'instrument vocal et de la voix de
parole
.

SON. CRI. VOIX.

Le son qui sort de la bouche humaine,
et fait impression sur l'organe de l'ouie,
est produit par l'effet de l'agitation de l'air exterieur
mis en mouvement par celui qui sortant de
l'interieur de la poitrine, se trouve gené
et resserré a son issue.

L'air expiré en effet ne devient sonore que
lorsqu'après avoir parcouru le canal ïn=
terieur, depuis sa sortie des poumons jus=
ques a l'ouverture de la glotte, il est con=
traint de s'echapper precipitamment par
celle ci, et qu'en même temps, il ebranle et
fait fremir les parties solides qu'il trou=
ve a l'issue de ce canal .
Quand l'air sonore, en s'echappant, s'exhale
brusquement et par un effort vigoureux,
mais non soutenu, ce son est appelé cri .
S'il sort avec une sorte de tranquillité
et de permanence uniforme, il ne pro=
duit que la voix .

INSTRUMENT VOCAL.

La voix est susceptible de deux modifica=
tions distinctes, la parole et le chant,
et l'assemblage des organes que l'homme
a en son pouvoir pour rendre des sons,
ou faire entendre sa voix de parole ou de
chant, se nomme l'Instrument vocal.

<41v> VOIX DE PAROLE.

Si l'air sonore au sortir de la glotte n'avoit
plus aucune modification a subir, l'homme
seroit dans le cas des muets qui ont une voix
et ne parlent point. Mais l'air sonore intro=
duit dans la capacité de la bouche, y recoit
diverses modifications dependantes de la
volonté de l'homme, selon qu'il juge a propos
de laisser sortir cet air en plus grande ou
plus petite quantité, par une plus ou moins
grande ouverture de la bouche, et de lui im=
primer diverses formes moulées sur les di=
vers organes qui se trouvent dans celle ci.

Telle est la source ou l'homme puise tous
les Elemens dont il a besoin pour faire
entendre sa voix de parole qui n'est autre
chose que le resultat des diverses manieres
dont l'air sonore est menagé, conduit,
reflechi, ou battu par les divers organes
qu'il rencontre dans son chemin jusques
a sa sortie de l'instrument vocal.

D'ou il paroit que celui ci reunit dans
sa construction les proprietés des instrumens
musicaux
qu'on appelle a vent  et a
touches, et que par la la voix de parole
se trouve en etat de rendre tantot des
sons simples, et tantot des sons articulés
qui sont les seuls elemens du Langage.

SONS SIMPLES. VOIELLES.

Quand l'homme n'emploie l'instrument
vocal
que comme un simple instrument
a vent, en modifiant l'air sonore unique=
ment par le plus ou moins de force ou d'explosion qu'il lui
1 mot biffure imprime a la sortie du canal ïnterieur, et
le plus ou moins de longueur qu'il donne
au canal exterieur qui s'etend dela jus=
ques a la sortie de la bouche, ou le plus ou
moins d'ouverture qu'il lui laïsse pour
s'echapper d'entre ses levres au dehors, sans
que les parties solides exercent au passage
<42> aucune impression particuliere sur ce son
pendant qu'il se fait entendre, dans ce cas,
cette modification de la voix se nomme son
simple
, parce qu'elle n'est qu'un simple air
sonore, et voielle , parce qu'elle n'est que l'emis=
sion de la voix, sans aucun melange.

SONS ARTICULES OU CONSONNES.

L'homme peut aussi faire usage de l'ins=
trument comme d'un instrument a touches
qui a quelque analogie avec l'orgue: car
la bouche en forme la caïsse, les parois de la
bouche et les organes qu'elle renferme en sont
les touches: ses tuyaux sont dans le gosier
et les narines; la poitrine fait la fonction
de soufflet qui pousse l'air dans le canal inte=
rieur, pendant que celui ci fait la fonction
de porte-vent, pour fournir l'air qui doit
devenir sonore, et donner a la voix son
intensité.

Quand l'homme se sert ainsi de l'instrument
vocal
comme d'un instrument a touches
qui exercent sur l'air sonore differentes
reactions pour le diviser, l'intercepter, le
briser, le battre, le reflechir, lui imprimer
differentes formes, alors chaque modifica=
tion de la voix, se nomme voix articulée
ou articulation , parce qu'elle ne peut etre pro=
duite que par le mouvement articulé de
quelque organe, et consonne  parce qu'elle
ne peut etre articulée separement du son
simple quelle modifie.

CAUSES DE L'EMISSION DE LA VOIX.

Les Phenomenes de l'emission  de la voix
n'ont pas les mêmes causes que l'expiration
ordinaire de l'air. Celle ci est l'effet de cer=
tains muscles qui jouent mechaniquement,
<42v> independamment de la volonté; mais celle la
demandant une expiration d'air beaucoup
plus abondante et plus forte que l'ordinaire,
il faut, pour la produire, que les organes soient
mus avec certains efforts spontanés et par
l'emploi de certains muscles et de la puis=
sance exercée sur les Esprits animaux pour
faire jouer des ressorts. Ces ressorts sont
deux nerfs sortans de la moëlle de l'epine,
et tenant par leurs extremités aux diaphrag=
me, semblables a deux cordons que l'homme
tire a discretion pour soulever ce muscle
et relever la poitrine, afin quelle prenne
par l'inspiration une plus grande quantité
d'air. L'effort une fois fait et l'effet passé,
les côtes en sabaissant forcent par leur
pression le Diaphragme a s'abaisser aussi;
la poitrine par la s'affaisse avec d'autant
plus de precipitation qu'elle avoit été sou=
levée avec plus d'effort, et l'aïr en consequen=
ce s'echappe avec beaucoup plus de force que
par la respiration ordinaire. Cette precipi=
tation est même augmentée soit parce que l'air
inspiré en plus grande abondance dans
la poitrine, y prend plus de chaleur et se
trouve par la disposé a une plus grande dila=
tation pour presser sa sortie, soit parce que
les visceres du bas ventre, plus comprimés
par le diaphragme, font un plus grand
effort musculaire pour agir de concert
avec lui sur la poitrine. Ainsi c'est par
l'abondance et la precipitation  avec laquelle
l'air s'echappe de la glotte qui le rend sono=
re, et c'est des efforts et effets alternatifs
reiterés a volonté que dependent les tons
et la succession des sons tant dans la
voix de parole que dans celle de chant.

<43> CORRESPONDANCE DE L'ORGANE DE L'OUIE
AVEC L'INSTRUMENT VOCAL.

Observons ici la correspondance admirable de
l'organe de l'ouie
et de l'instrument vocal. Les
mêmes nerfs qui repondent aux oreilles ont des
rameaux qui vont au larynx, a la langue, aux
levres et autres parties qui servent a modifier la
voix. Dela le même ebranlement des nerfs de
l'oreille par lequel le cerveau est affecté d'un son
vocal, fait que les Esprits coulent de la dans
les nerfs de toutes les parties de l'instrument
pour en disposer tous les muscles d'une maniere
correspondantes a l'impression que ce son vo=
cal a faite, et le mettre en etat d'en former
un tout semblable: cette constitution organi=
que, commune aux especes animales, leur
est d'une très grande utilité, car le cri d'une
bête venant a ebranler le cerveau d'une autre
bête de son espece, il arrive de la que celle ci
est non seulement invitée a se transporter vers
celle qui a fait le cri, mais encor qu'elle est
1 mot biffure disposée naturellement a lui repondre par
un cri tout semblable, qui entendu de l'autre,
l'invite aussi a se diriger vers elle, en sorte
qu'elles se rapprochent 1 mot biffure 2 mots biffure l'une de l'autre
plus promtement pour s'unir, s'entresecourir, se liguer contre
l'espece ennemie, &c. Telle est aussi la source
des plaisirs les plus vifs que goutent les
animaux en qui la nature a placé quel=
que instinct social, et la raison pour laquelle
les oiseaux s'excitent mutuellement a chan=
ter, même entre des especes differentes; voila
pourquoi les linottes avec le temps apprenent le chant
des rossignols, ou a imiter ceux de la seri=
nette, et que certaïns animaux parvien=
nent même a articuler certains mots qu'on
leur a souvent repetés. Tel est l'admira=
ble mechanisme, joint au gout general
2 mots biffure pour l'imitation, qui a tant
facilité aux hommes l'introduction du
<43v> du Langage, comme il l'est aussi la vraie
cause pour laquelle les enfans apprennent
si aisément a parler, tandis que les sourds de
naissance demeurent toute leur vie mu=
ets, parce que le deffaut d'ouie il les met dans
l'impuissance de faire les ïnflexions que
demande la parole. Voions maintenant
quels sont les organes qui concourent a
l'emission et la formation de la voix.

TRACHEE ARTERE

L'air expiré passe d'abord dans la Trachee
artere
  tenant liee d'un côté aux poumons, de l'au=
tre au Larinx et a l'os de la Langue. Ce canal
tient de sa constitution une telle flexibilité
qu'il se raccourcit ou s'allonge, s'eleve ou
s'abaisse, en même temps que la poitrine; mais
cela n'empeche pas qu'il n'ait assès de consistance
pour supporter le poids du Larynx, et resister
a la force avec laquelle l'air echappé des
poumons frappe contre ses parois, dans
l'emission de la voix, soit de parole, soit de
chant.

LARYNX. GLOTTE. EPIGLOTTE.

Le Larynx  est un canal cylindrique ad=
mirablement composé de cartilages unis par
des ligamens, des muscles, des membranes,
mais qui est beaucoup plus court que la tra=
chée-artere, dont il forme comme le cou=
vercle ou la tête a son extremité superieure.

Le principal de ses cartilages est situé au
devant du col, ou il se presente sous une for=
me ressemblante a celle d'un ecu, ou bouche
quaré, d'ou vient qu'il est appellé scutiforme 
autrement le noeud de la gorge et vulgairement
la pomme d'Adam, parce qu'il est plus sensi=
ble chès les hommes que chès les femmes.

<44> Son ouverture superieure en forme ovale
ou fente, aboutissant a l'esophage, située
dans l'arriere bouche, derriere la baze de
la langue, a cause de cette situation, est
appellée glotte .

Elle sert de passage a l'air inspiré et expiré,
et elle reçoit egalement l'air qui vient par les
narines et celui qui entre dans la bouche.
Mais  rien
ne peut y etre admis que cet element et pour
en deffendre l'entrée a toute autre matiere, le
Sage auteur de la nature la surmontée
d'une espece de pontlevis ou de soupape qui
sert a l'ouvrir et la fermer, appellée pour
cela epiglotte cad. couvercle de la glotte.

Le Larynx est appuié et comme suspendu
sur divers ligamens ou attaches entre
lesquels il peut soutenir un certaïn balan=
cement. A son extremité superieure, il
s'appuie sur un os en forme d'arc dont
le milieu est tourné en devant, et les cornes
en arrieres, ce qui le fait ressembler a un
V, d'ou vient qu'on la appellé Hyoide .
Cet os tient par des ligamens très forts a la
racine de la langue, a la machoire infe=
rieure, au sternum, par ou il peut se preter
a tous les mouvemens du gosier.

LEVRES DE LA GLOTTE.

Il y a des muscles dilatateurs et constricteurs
a la disposition de l'homme pour allonger ou
raccourcir, elargir ou retrecir l'ouverture de
la glotte. Les ligamens ou filets tendineux
qui la terminent horizontalement du côté
interieur du Larynx, lorsqu'ils sont dans leur
etat de relaxation, forment deux arcs d'ovale
<44v> a son ouverture: mais ces filets peuvent
se contracter en laissant entr'eux moins
d'espace, et même se reduire par la contrac=
tion a deux lignes droites, qui se joignent
dans toute leur etendue de maniere a fermer
entierement le passage a l'air, comme cela
arrive quand on retient son haleine. C'est
ce qu'on appelle les levres de la glotte, qu'on
peut comparer a deux rubans formés de
fibres tendineuses très elastiques , suscepti=
bles de vibration  et de fremissement, comme
les cordes d'un clavecin lorsqu'on les pinces,
ou les parois d'un verre sur les bords duquel
on passe les doigts: d'ou vient qu'on les a
appellées cordes vocales, et qu'on peut encor
envisager l'instrument vocal comme un
instrument a cordes.

CANAL INTERIEUR ET EXTERIEUR.
ORAL ET NAZAL.

On appelle canal interieur  celui qui 1 mot biffure
s'etend des poumons jusques aux levres de la
glotte. Il ne doit point etre consideré comme
une flute ou instrument a hanche ou
haut bois, qui  rend lui seul des sons, mais
plutot comme un tuyau qui rassemble tout l'air sor=
ti des poumons en une seule masse, qui ne
peut en sortir sans etre violemment compri=
mée a son issue, et y acquerir un très grand
degré de vitesse, par la raison que l'ouverture
de la glotte est fort etroite en comparaison
du diametre du tuyau. 3 mots biffure
5 lignes biffure

1 mot biffure Pendant que
l'air coule dans ce
canal, son cours
est assès uniforme
et ce n'est qu'au sortir
  1 mot biffure de la glotte, qu'il commance a devenir
un son, avec differens tons, selon ses divers
degrés de vitesse et l'ouverture plus ou moins
grande des levres au travers desquelles il passe
<45> pour entrer dans le canal appellé exte=
rieur  qui s'etend depuis la glotte jusques
a l'extremité des levres de la bouche, et
des narines: ce canal se subdivise en
deux canaux distincts, mais qui concou=
rent a la formation de la voix, l'un
oral, qui va aboutir aux levres de la
bouche, l'autre nazal qui a son issue par
les narines.

CAUSES COMBINEES DU SON VOCAL.

Le Son vocal depend de 4 causes qui
concourent par des effets simultanés.

1. Le resserement de l'air expiré au pas=
sage des levres de la glotte, qui ne lui permet
pas de s'echapper sans bruit, comme il ar=
rive au vent resserré dans un defilé, d'ou
il est forcé de s'echapper par quelque fente
etroite.

2. L'action de l'air comprimé et poussé avec
force sur les fibres tendineuses et elastiques
des Levres de la glotte
, auxquelles il don=
ne en passant une espece de secousse qui
leur imprime un mouvement de vibration
et de fremissement, lequel reagit a son
tour sur l'aïr a mesure qu'il passe: d'ou
resulte ce qu'on appelle la resonance.

En effet l'air expiré fait sur les levres
de la glotte a peu près ce qu'il fait sur
les levres de la bouche dans le siflement 
ou le son est formé par les vibrations
des parties des Levres alors extremement
agitées par le passage precipité de l'air
qui les fait fremir. De la vient aussi
que dans un gros rhume , on pert la
voix principalement parce que le mou=
vement de fremissement des Levres de la
glotte se trouve embarassé.

3. Le fremissement communiqué par
cette même action de l'air a toutes les par
=
ties de la glotte, le tremoussement de tous
<45v> de tous ses muscles et leur choc avec l'os
Hyoïde; cause dont l'influence est prouvée
par ces especes de toux convulsives  ou l'air
pompé violemment de dehors en dedans,
jette au passage un son extremement aigu
qui ne peut etre produit que par une repercus=
sïon de la glotte ebranlée avec tous ses
alentours, et qui repond par un retentis=
sement dont l'eclas se fait entendre fort
au loin.

4. Enfin la repercussion generale que l'air
eprouve dans le canal exterieur
toujours
proportionnelle a la force avec laquelle il
s'est echappé de l'interieur. En effet toutes
les parties solides, et même les sinuosités
de la caisse de l'instrument vocal, peu=
vent etre regardées comme autant d'or=
ganes de repercussion, qui produisent
chacun a sa maniere, des resonances
particulieres
 , mais qui se mêlent et se con=
fondent en une seule generale et com=
mune: C'est même de leur melange, lors=
qu'elles se trouvent dans une juste propor=
tion entr'elles, que nait l'harmonie incom=
parable qui caracterise la voix humaine.

CAUSES COMBINEES DES DIVERS TONS
GRAVES OU AIGUS.

Le son vocal est susceptible de diverses
modifications. La premiere c'est l'eleva=
tion ou l'abaissement qui le rendent
plus ou moins aigu ou grave: c'est ce
qu'on appelle le ton. 

<46> Dans tous les instrumens, ceux qui remuent
plus d'air, qui le remuent plus lentement
et par des ondulations moins frequentes,
font les tons bas  ou graves ; ceux qui
remuent moins d'air, qui le remuent plus
vite, par des ondulations plus frequentes,
donnent les tons hauts  ou aigus . Une
corde grosse, longue, moins tendue, une
longue flute, une cloche plus profonde
et plus large, donnent des sons plus gra=
ves qu'une corde d'un moindre diametre
plus courte, plus tendue, qu'une flute
moins longue, une cloche de moindre
dïmension.

Tout cela peut etre appliqué a l'instrument
vocal. Le ton plus ou moins grave ou
aigu dependra du plus ou moins de preci=
pitation avec laquelle l'air s'echappera
par l'ouverture de la glotte, selon que les
levres 1 mot biffure en s'ecartant ou s'approchant
lui laisseront plus ou moins de passage;
car plus l'ouverture sera grande, plus
il y aura d'air remué moïns il y aura
de vitesse et plus aussi le ton sera grave;
il deviendra plus aigu a proportion
du contraire.

Mais le ton dependra encor plus de
la longueur du tuiau exterieur que l'air sono=
re aura a parcourir. Car il est au pou=
voir de l'homme de donner a ce canal
plus ou moins de longueur, pour que
l'explosion du son se fasse plus loïn ou
plus près de son orifice exterieur, et de la
doit resulter un effet semblable a celui
d'un instrument a vent composé de tuiaux
de differentes longueurs, ou a celui de la
flute, ou les tons plus ou moins elevés,
repondent aux divers trous par ou l'air
s'echappe.

Or ce mechanisme s'execute chès l'homme
de la maniere la plus naturelle et la plus
simple. Veut il former un ton grave
<46v> 4 mots biffure qui demande une plus grande masse d'aïr?
pour la fournir 4 mots biffure
1 ligne biffure
1 mot biffure:
des mouvemens
musculaires spon=
tanés dilatent le
canal interieur,
qui des la même se
racourcit:
  mais au moien de ce raccour=
cissement, le Larinx et la glotte descendent
leur distance a l'egard des levres de la bouche
et de l'orifice du Nez, devient plus grande;
les levres de la bouche le canal exterieur
se trouve dès la même allongé et les levres
6 mots biffure et il en doit resul=
ter necessairement un le ton grave.

Veut il former un ton aigu; parce
qu'il faut emploier moins d'air, le canal
interieur se retrecit, et dès la même s'al=
longe; par la la glotte remonte, la flute voca=
le se raccourcit, les levres de la bouche
prenent une plus grande ouverture
et de la doit resulter
autant de causes qui 2 mots biffure necessairement le
former un ton aigu.

Ainsi tout Tout ici depend de la descente et de
la montée du Larynx, et c'est la la raison
pourquoi dans tous les tremblemens du
chant, on voit le noeud de la gorge 
hausser et baisser sans cesse alterna=
tivement.

A ces causes qui produisent la diversité des
tons
dans l'instrument vocal consideré com=
me instrument a vent, s'associent celles qui
la produisent, en le considerant comme
un instrument a cordes, et dont l'action se
trouve en parfaite concordance avec celles
des premieres pour executer en même temps
le même effet. Car quand les levres de la
glotte s'eloignent pour former par la un
ton grave, leurs filets tendineux s'allon=
gent et deviennent moins tendus, comme
leurs tremblemens plus lents et plus rares,
ce qui concourt avec la cause precedente
pour former le ton grave. Dans le cas
<47> opposé, les filets tendineux se contractent,
les oscillations se multiplient, et le ton
en devient aigu. D'ailleurs, pour former
le ton aigu, il faut que le Larynx s'eleve,
et en s'elevant, il tend les cartilages aux=
quels sont adherentes les extremités des fi=
bres elastiques qui composent les levres de
la glotte, et cette tension se communique
necessairement a celles ci; qui par la font
des vibrations plus frequentes, d'ou resul=
te le ton aigu. Le contraire arrive lors=
qu'on fait descendre le Larynx pour for=
mer le ton grave, et l'instrument a cordes
se trouve ainsi toujours d'accord avec l'instru=
ment a vent. C'est ainsi qu'encor que dans
l'instrument vocal, les degrés de tension
determinent l'elevation et l'abaissement du
son.

CAUSES DE L'INTENSITE DE LA VITESSE
DES SONS VOCAUX.

L'intensité  c'est la force du son, qu'on
appelle aussi le volume de la voix. Le
ton peut etre rester le même, et l'intensité
du son varier selon qu'on y emploie plus
ou moins d'air, ou qu'on fait resonner
avec plus ou moins de force les cordes
vocales et les organes de la voix.

Pour conserver le même ton, l'homme
ne fait que conserver la même vitesse
a l'air qui s'echappe par les levres de la glotte, mais
s'il veut le renforcer, il faut qu'il dilate
la glotte autant qu'il le peut, pour lais=
ser passer une plus grande quantité d'air
a la fois, d'ou nait une plus grande re=
sonance.

Quant a la vitesse  ou prestesse  cad
le degre de lenteur ou de rapidité avec
laquelle les sons se succedent, cette modi=
fication depend du plus ou moins de
<47v> precipitation avec laquelle l'air sono=
re est expulsé de la bouche, ou du plus ou
moins grand nombre d'expirations dis=
tinctes, qui se succedent dans un temps
donné pour former des sons separés.

MECHANISME MERVEILLEUX DE LA
VOIX HUMAINE.

Tel est le mechanisme merveilleux par
lequel nous pouvons donner a nôtre voix
toutes les modifications convenable a nos
vües, l'elever, l'abbaisser, la fortifier, l'addou=
cir, l'accelerer, la retarder. Tout cela depend
surtout de la maniere dont nous mena=
geons l'air au passage de la glotte. Modi=
fions nous diversement le canal interieur pour
2 mots biffure le raccourcir ou l'allonger, il en nait des
sons graves, ou aigus; laissons nous
echapper l'air en plus ou moins grande
masse, la voix en est plus forte ou plus
douce; mettons nous plus ou moins de
precipitation dans la succession des sons,
elle devient plus rapide ou ou plus lente.

Ainsi la voix se prete avec precision
a tous nos besoins, suivant que nous
voulons parler haut ou bas, avec ai=
greur ou douceur, de loin ou de près,
sommes nous agités de mouvemens
violens, les sons se succedent avec rapi=
dité: notre ame reprend elle son calme
la marche des sons est plus lente.

C'est du melange diversifié des sons hauts
ou bas, forts ou doux, vifs ou tendres,
secs ou moelleux, passionés ou tranquilles
rapides ou lents, que l'orateur forme sa
declamation, le Poëte ses mesures et sa
pompe, le Musicien son chant et la magie
enchanteresse de son art, qui depend d'une
suite de tons habilement variés et soumis
a des intervalles reglés.

<48> DEFFAUTS DE LA VOIX.

La voix s'appelle fausse quand elle est dis=
cordante, ce qui arrive lorsqu'il y a inega=
lité de tension ou d'affluence des Esprits
entre les deux Levres de la glotte, ou dans
chaque Levre, entre les fibres tendineuses,
tout comme dans un Luth, une corde est
fausse, lorsqu'elle est inegale a elle même
dans la tension ou grosseur de ses parties,
ou qu'elle est mal accordée avec celles
qui doivent etre a l'unisson.

La voix cesse aussi d'etre harmonieuse et
devient desagreable quand les resonan=
ces particulieres des divers organes ces=
sent d'etre dans une juste proportion,
que l'une est trop forte, l'autre trop foible,
qu'une autre se trouve interceptée par
le derangement de la partie dont elle
depend.

Dans le rhume de cerveau p. ex. la
voix devient sourde, obscure, parceque
la resonance est troublée, et que la vibratïon
et le fremissement de quelque partie, qui
devoit sonner, se trouvent embarassés,
et ne donnent aucun son net. Dans
l'enrouement, ainsi appellé parce qu'il
a quelque ressemblance au bruit d'une
roue mal graissée, l'alteration de la voix
est causée par la trop grande humidité
et le froncement des Levres de la glotte et
de la tunique interieure; ce qui la rend la
voix basse et rude.

Ce qu'on appelle parler ou chanter du Nez
est un defaut qui vient precisement d'une
cause contraire a celle que presente l'ex=
pression c.ad de ce que le tuyau du Nez Nazal
oppose obstacle au passage de l'air, et qu'on
ne parle et ne chante que du conduit oral,
ou que le son sortant en entier de celui ci
<48v> n'est point melé au son sortant par le tuiau
1 mot biffure du Nez dont la concavité contribue beaucoup
plus que celle de la bouche a l'agrement
de la voix, comme chacun peut l'observer
en chantant la bouche fermée, car pour lors
la voix n'a rien de desagreable, tandis que
si l'on chante en se fermant le nez pour ne
laisser sortir le son que par la bouche, la
voix devient très desagreable et semblable
a celle du canard. Suivant cela, jamais
on ne parleroit plus du Nez que quand on
n'en auroit du tout point, et jamais la voix
ne sauroit etre plus deplaisante par le def=
faut de melange d'oscillation des deux
tuyaux que les François savent si bien
menager pour donner a leur langue plus de
melodie.

Quand la voix est creuse, sepulchrale, com=
me si elle sortoit d'un creux ou d'un masque,
ce deffaut vient de ce que le palais est trop
caverneux, de ce que la cavité de la bouche
et celle des narines n'en font qu'une seule;
et que la voix s'engouffre dans ce grand
vuide: c'est ou un vice de conformation
ou une suite de maladie qui a desseché
ou corrodé les os.

La voix se trouve chès les uns habituellement
trop basse, chès d'autres, trop haute; cela de=
pend du plus ou moins d'ouverture qu'ils ont
coutume de donner aux Levres de la glotte,
du plus ou moins de longueur qu'ils donnent
habituellement au canal exterieur. Les
femmes aiant moins d'ouverture de glotte
et moins de profondeur dans le canal de
la bouche, ont la voïx naturellement plus
haute, et sont plus propres a chanter le dessus;
par la raison contraire les hommes ont
plus de disposition naturelle pour la
basse.

<49> CHAPITRE VII.
De la formation des voielles et des consonnes

FORMATION DES DIVERSES VOIELLES.

La simple emission de la voix ne rend qu'un
son vague et inderterminé. Ce son ne devient
voielle proprement dite que lors qu'autant qu'il recoit
une certaine determination de ton dans
son passage par la bouche, et a son issue des
levres. Ainsi si l'on ouvre la bouche au=
tant qu'on peut l'ouvrir, en dïmïnuant
par la la longueur du canal exterieur ou de
la flute vocale, autant qu'il est possible
on produit le ton de la voix le plus elevé
qui est la voielle A. Si l'on ouvre un
peu moïns la bouche en avancant la
machoire d'embas, pour la rapprocher
un peu de celle d'en haut, on formera
un canal un peu plus long, et on pro=
duira un son un peu moins elevé, qui
est la voielle E ou ê. et ainsi de suite.

Si l'on fait attention a la diversité des
tons, dont la voix est susceptible 2 mots biffure
selon les degradations que peut
recevoir un tuyau flexible, depuis sa
plus grande longueur jusques a son etat
le plus raccourci, sous ce point de vüe,
il pourra y avoir autant de voielles dis=
tinctes qu'une ligne donnée pourra
admettre de divisions. Ainsi tout comme
sur une corde tendue et sonore on peut,
par le moien des touches former autant
de tons divers qu'on peut y placer de dis=
tinctions de points, de même dans l'echelle 
de la voix, ou le dïapason , on pourroit dis=
tinguer une infinité de tons qui seroient
autant de voielles, et qui pourroient toutes
etre admises dans l'usage des differens peu=
ples, selon la maniere propre a chacun
de marquer la difference des tons.

<49v> Mais toutes les degradations de ton nuan=
cées qui ont pu s'introduire dans le dia=
pason des differens peuples, peuvent com=
me ceux d'une flute, etre renfermées dans
une octave composée de 7 tons fondamen=
taux, et etre dès la même rapportées a 7 1 mot biffure
1 ligne biffure

voielles fondamentales, dont toutes les au=
tres ne seroient jamais que des nuances
intermediaires. Elles repondent aux sons
exprimés par les caracteres suivans,
A ou a. AE ou, ae, ou ê. E, ou é.
I ou,  i. O ou, o. U ou, u. OU, ou ou.

FORMATION DES CONSONNES.

La voix de parole a du etre modifiée non
seulement par des voïelles, mais encor par
des articulations ou consonnes, dont l'as=
sociation avec les voielles put fournir
les diverses combinaisons vocales promtes
a peindre ou rappeller les idées ou les
objets. Pour determiner les diverses formes
articulées
que la voix prend dans la caisse
de l'instrument vocal, il faut examiner les
diverses impressions qu'elle recoit des dïvers
organes qu'elle trouve sur son chemin,
et en particulier de la Langue.

ORGANE D'ARTICULATION.

Echappé des levres de la glotte, l'air sonore
rencontre d'abord la cloison  ou le voïle 
du Palais, toile musculeuse qui s'ouvre
et se ferme pour le passage de l'air, comme
pour celui des alïmens. Cette cloison for=
me sur la racine de la Langue une arca=
de
, du milieu de laquelle descend la Luette 
substance de forme cylindrique, spongieuse
qui suit tous les mouvemens du voile 1 mot biffure
1 ligne biffure
et qui est
comme une cloche suspendue, destinée
<50> a briser l'air a la sortie de la glotte, afin
qu'il se distribue plus uniformement dans
toute la capacité de la bouche, et qu'il puis=
se plus aisement etre modifié.

Près de la se trouvent deux grande ou=
verture appellées Nazales  parce qu'elles
communiquent au Nez, d'ou nait le
canal exterieur appelé Nazal par le=
quel l'air est poussé du fond de la gorge
a l'extremité des narines; ce qui fait que
cet organe a sa voielle propre appellée
nazale, prononcée an, in, on, mais qui
n'est qu'une modification des voielles ordi=
naires 1 mot biffure sur lesquelles le canal nazal deploie
son influence d'une autre maniere plus
forte et plus sensible.

L'air sonore aiant passé sous l'arcade  et
frappé contre la Luette, il donne ensuite
contre la voute du Palais semée de rugo=
sités naturelles, qui secondées par sa for=
me concave, servent a le rassembler et
le reflechir, tandis que les dents superieu=
res qui terminent la voute, empechent
qu'il ne s'echappe trop promtement de la
bouche, et par leur dureté et le concours
du coup de langue, en augmentent les
vibrations et la force; influence necessaire,
et dont le deffaut est une des causes pour
lesquelles les enfans ne peuvent rien
articuler notamment jusques a ce que les premieres
dents aient percé et qu'on n'entend
qu'avec peine ceux
qui ont perdu les
dents anterieures.
 

Enfin l'air sonore rencontre les Levres 
qui sont l'issue de l'instrument vocal, et
dont les ïnflexions sont cause principale
pour certaines articulations, et cause con=
jointe avec les dents et la langue, pour en
former d'autres, en même temps quelles
contribuent a l'agrement et a l'impression
<50v> du discours, par la beauté de leur coloris,
et les graces que la nature a repandues sur
leurs mouvemens.

LANGUE.

Au milieu de la bouche se meut librement
la Langue aussi admirable par sa compo=
sition de fibres charnues et les muscles di=
vers dont elle est munie, que par sa flexi=
bilité et la varieté prodigieuse de ses mou=
vemens et de ses usages pour la parole.

Placée au milieu du passage de la voix
elle est regardée avec raison, comme un
agent general de la parole, sans le secours
duquel aucun des organes ne sauroit
accomplir sa fonction. L'experience a
prouvé, il est vrai, que celui des levres et
celui du gosier, situés aux deux extre=
mités de l'instrument vocal, peuvent,
lorsque la langue est coupée, effectuer, jus=
ques a un certain point, leurs articulations
propres; mais l'imperfection même qui les
accompagne dans ce cas, montre que cet
organe concourt aussi pour sa part a leur
formation. Quant aux autres sons qui
s'articulent du palais ou des dents, sans le
concours de la Langue, leur prononciation
est tout aussi impossible que celle des con=
sonnes linguales; d'ou vient encor que les
petits enfans ne peuvent rien articuler parce que pendant
tout le temps que
leur Langue est trop humide, molasse
et peu propre aux inflexions.

Ainsi on peut dire avec verité que c'est la
Langue qui jouele rolle principal dans
le discours, qui articule les sons, qui entre=
mêle les consonnes aux voielles, qui forme
les syllabes; et voila pourquoi on a donné
ala collection des mots le nom de Langage.

<51> La proprieté que la Langue a de se rap=
rocher du Palais ou de s'en eloigner en
fait encor un organe subsidïaire pour
augmenter ou diminuer la distance du
fond interieur de la caisse par rapport
au superieur: ce qui donne a l'air sonore
dïfferentes modifications par lesquelles
tantot il se repand plus ou moins libre=
ment dans le palais, tantot il se trouve
resserré entre deux fonds qui lui laissent
a peine un passage. De la la voix devient
alternativement douce et lente, impe=
tueuse et rapide, rude, siflante, lors=
qu'elle s'echappe des Levres de la bouche,
qui la modifient encor a son issue,
avant qu'elle se perde dans les airs.

Enfin l'etonnante flexibïlité de la Langue
qui la rend susceptible d'une infinité de
formes differentes par lesquelles elle
s'allonge, se raccourcit, se dilate, se
retrecit, se reploie en divers sens, pro=
duit une multitude d'influences diffe=
rentes, pour donner toutes sortes de mo=
difications a la voix. Tous ces mou=
vemens infiniment variés, comme
ceux des Levres, s'executent par une
multitude de muscles divers qui
jouent aux ordres de l'ame.

CAUSES DES DIFFERENCES ET DES
VICES D'ARTICULATION.

La facilité que certaines personnes ont
de prononcer certaines articulations, et la
difficulté quelles eprouvent a en prononcer
d'autres, vient en general de ce que les mus=
cles de certains organes sont disposés con=
venablement pour executer les mouvemens
qui leur sont propres, tandis que les muscles
d'autres organes ne le sont pas. Ainsi les
enfans prononcent bien B. P. M. N. D. T.
avant que de prononcer L. R. ou il faut
replier la Langue, ce qu'ils ne sauroient
faire encor.

<51v> De la 1 mot biffure procede aussi cette diversité prodi=
gieuse qu'on observe dans la maniere d'ar=
ticuler, qui ne peut etre attribuée qu'a la di=
versité de construction des organes, et sur=
tout a la difference de structure, de longueur,
d'epaisseur de la Langue, comme aussi aux
diverses conformations, dimensions, con=
tours, sinuosités de toutes les parties de la
bouche.

La voix peut même etre très belle, et cepen=
dant mal articulée par le deffaut de cer=
tains organes difficilles a mouvoir, ou
qui ne peuvent s'accorder exactement avec
les autres pour concourir a un effet com=
mun.

Les vices d'articulation proviennent de certains deffauts
generaux
dans l'instrument vocal ou de
deffauts particuliers a certains organes.
Il y a des vices qui sont particuliers a la
Langue qui est trop longue ou qui se
trouve alterée, sans avoir perdu la liber=
té de ses mouvemens. Cette alteration
n'ote pas l'usage de la partie, mais elle le
rend plus peinible et moins distinct, com=
me il arrive a ceux qui y ont quelque
ulcere. D'autres viennent de ce que la
luette est trop grosse, trop allongee,
de certaines irregularïtés dans les fosses
nazales, d'un bec de lievre, des dents
surnumeraires, ou mal placées ou en=
levées sur le devant de la bouche, ou
trop avancees.

Le begayement  consiste a hesiter, s'arre=
ter en parlant, par la difficulté de pronon=
cer certains sons, ou a precipiter ses mots
sans les articuler distinctement. Cela
peut venir de ce que les ligamens de la lan=
gue sont trop courts, ou trop resserrés,
trop peu flexibles, ou de quelque vice ge=
neral dans le genre musculaïre. Le def=
faut de ceux qui mangent leurs mots
ou parlent comme s'ils avoient la bouche
pleine, vient d'une langue trop gonflée
trop humide, ou d'un relachement dans
les muscles de cet organe.

<52> DISTINCTION DES CONSONNES.

Les consonnes, appellées aussi intona=
tions parce que leur execution est ïndepen=
dante du ton, qui ne s'y fait remarquer
que a raison de leur association avec la
voïelle, ne sont que des formes diverses
imprimées
a la voix, comme effets des
inflexions des divers organes, qu'elle
rencontre sur son chemin.

Chacune de ces formes simples et primi=
tives depend donc de la constitution de
l'organe qui la produït ou des organes
qui concourent pour la produire, cad
pour modïfier l'air de telle maniere
qu'il en resulte precisement telle sensation
pour l'oreille. Chaque organe en effet
a son inflexion propre: aucun ne peut
en produire une autre que celle qui est
une suite necessaire de sa structure. A
t'on les levres jointes sans que les dents le
soient, les levres ne peuvent se separer
l'une de l'autre sans prononcer B. ou P.

Ainsi chaque articulation entendue
annonce distinctement que l'air sonore
a été affecté par tel organe, et non par
tel autre, ou affecté par tel organe dont l'action
a été la cause principale et la plus decisive
pour produire cette articulation.

Ainsi encor le nombre des articulations
simples
et primitives doit correspondre
precisement a celui des diverses touches
de l'instrument vocal, qui produisent sur
l'air sonore un effet distinct et sensible,
qu'on ne sauroit confondre avec au=
cun autre, soit que l'organe agisse
seul, soit qu'il agisse comme agent
principal avec le concours de quelque
autre. Ce nombre ne sauroit etre plus
grand, puisqu'il comprend tous les di=
vers effets que le mechanisme de lins=
trument peut produire par une suite
naturelle de sa construction. Or
ce nombre est peu considerable.

<52v> DIVERSES TOU
Les diverses touches distinctes sont 1°
les Levres, 2° le Nez; 3° les Dents; 4° la
Langue, 5° le Gozier, 6° le Palais. Il
n'y a donc que 6 formes articulées
simples
et primitives, la labiale , la Nazale,
la dentale , la linguale, la gutturale  et
la sifflante  ou le Palais joue le principal
rolle. Mais a chaque touche repond
une forte et une foible, ce qui donne 12
articulations primitives, auxquelles quel=
ques auteurs ont ajouté 2 chuintantes 
mais qui ne sont
dans le fond que
des gutturales;
  ce qui en fait monter le nombre a 14
dont voici le Tableau.

Consonnes foibles fortes
Labiales B P
Nazales M N
Dentales D T
Linguales L. R.
Gutturales G dur gh.       C. K.
Sifflantes Z. S
Chuintantes        J. je G mol Ch.

On a distingué aussi les muettes, dont
l'articulation est instantanée, telles que
les Labiales, les dentales, et les gutturales,
et les liquides  qui etant coulées ou soufflées
ont quelque permanence et peuvent etre
continuées un peu plus longtemps, par
une espece de voix sourde confusement
articulée: telles que sont les nazales,
les linguales, sifflantes et les chuin=
tantes.

<53> CHAPITRE VIII.
Dela voix de chant et de l'accent

VOIX DE CHANT.

Ce qu'on appelle chant  ne donne que de
l'air sonore modifié par divers tons, mais
avec une modulation melodieuse, plus
variée, plus etendue, plus reglée dans ses
intervalles que celle de la voix de parole.

Ses Loix données par la nature, partent
d'un principe fondamental appellé Loi
des corps sonores
.

La voïx de chant peut accompagner la voix
de parole , mais elle en est tout a fait distincte;
le ton musical n'est point le même que le
ton vocal, et l'organe du chant n'est point
le même que celui de la parole. Lorsque
nous reconnoissons sans peine un homme
a sa voix de parole, nous ne pouvons le re=
connoitre a sa voix de chant, si nous ne
l'avons jamais entendu chanter. Tel
dont la parole est d'un son rude et deplai=
sant a un chant doux et agreable. Le
meilleur orateur peut n'avoir a offrir
qu'un chant faux et discordant.

DIFFERENCES ESSENTIELLES ENTRE LE
CHANT. ET LA PAROLE.

Le chant ne rend qu'un air sonore, qui
doit sortit a plein canal de la bouche
et ne souffre que des voielles simples et
franches; car des qu'il y a articulation,
c'est l'effet dela voix de parole melée a celle
de chant.

Le chant exige un passage très distinct
et marqué d'un ton a l'autre, qui n'est pas
a beaucoup pres aussi sensible dans la voix
de parole.

Dans celle ci, le Larynx demeure comme
assis et en repos sur ses attaches, tandis
que pour le chant, cet organe est mis
<53v> dans un mouvement de vibration et de
balancement continuel de du haut en bas
et du bas en haut; ce qui produit une sorte
d'ondulation cadencee, roulée et soute=
nue sur le même ton en sorte que le son
demeure egal a lui même, pendant tout
le temps qu'il dure, ce qui n'arrive pas
dans la voix de parole ou le même son
hausse et baisse d'une maniere sensible.

Dela vient que lorsque les vibrations du
Larynx et les mouvemens d'ondulation
se succedent avec trop de lenteur et par
des separations trop marquées, le ton
cesse d'etre soutenu, la voix devient trem=
blotante ou chevrotante comme cela
arrive aux vieillards. L'agrement du
chant demande que ces ondulations se
succedent avec une rapidité qui les rende
presque imperceptibles a peu près comme
les vibrations des ailes des oiseaux, lors=
quils planent dans les airs.

Mais rien ne contribue autant a l'effet du
chant que la rapidité avec laquelle se suc=
cedent les contractions et les dilatations des
rubans tendineux des Levres de la glotte,
desquelles depend surtout le ton musi=
cal, a peu près comme si c'etoit un
violon; car ici l'air fait l'office d'archet,
les poumons qui poussent l'air en plus ou
moins grande quantité ou vitesse, sont
comme la main qui manie l'archet, et
dela dose de cette force motrice resulte
l'intensité du son ou le volume de la
voix.

D'ou il resulte que si l'on faisoit un ins=
trument a fines cordes qui ne seroient agi=
tées que par l'air, ce seroit de tous le plus
rapproché de l'organe du chant et de la
melodie de la voix humaine. On en a
deja fait l'essai, et avec succes.

<54> ACCENT.

Il est une modification du son vocal qui
tient le milieu entre la parole et le
chant, et les accompagne l'un et l'autre,
sans etre aucun des deux. Ce sont les ac=
cents c.a.d. des affections qui surviennent
a la voix, lorsque l'ame se trouve saisie
de quelque emotion en parlant ou en
chantant, et qui par la devïennent l'ex=
pression naturelle de cette emotion. Si
cette emotion est violente, l'accent se con=
vertit a peu près en chant; d'ou vient 1 mot biffure
qu'il est le compagnon presque inseparable de la
musique, et que le bon gout des accens
entre pour beaucoup dans la composition
et l'execution musicale, surtout dans le
recitatif et les airs passionés. Il faut con=
venir cependant qu'un acteur pourroit
negliger l'expression de l'accent sans
manquer a l'essentiel de l'execution, mais
pour lors celle ci demeure froide et sans ame.

Suivant les anciens, l'accent appar=
tient proprement ala parole ou a la de=
clamation: accentus est etiam in dicen=
do cantus obscurior
 . De
la est venue le mot même accentus
i-e ad cantum, prope cantum, quelque
chose de voisïn du chant, associé a
la parole.

Tandis que la parole peint les objets,
l'accent peint la maniere dont celui qui
parle en est affecté et voudroit affecter
les autres. Vocis mutationes totidem
sunt quot animorum
.

Les accens annoncent le sentiment inte=
rieur qui l'agite a ceux qui l'ecoutent, com=
me la disposition des traits de son visage
l'annoncent a ceux qui le regardent. Ils
sont au discours ce que le coup d'archet
et l'expression sont a la musique; ils lui
<54v> donnent la vie et le bon gout; ils en marquent
l'esprit et en sont comme l'ame; d'ou vient
que les 2 mots biffure Orientaux les ont appellésent gout, saveur,
et les Grecs, Esprit.

ACCENTUATION

Le bon effet du discours depend essentielle=
ment d'une alternative continuelle d'elevation
et de depression dans le ton de la voix. 1 mot biffure Elle
qui est indispensable pour menager l'organe de celui qui parle
lequel seroit trop eprouvé par un ton tou=
jours soutenu; soit elle ne l'est pas moins pour eviter la monoto=
nie toujours ennuieuse et fatiguante pour
celui qui ecoute. D'ailleurs la varieté des
tons
est a peu près aussi necessaire au Lan=
gage parlé, pour etre entendu, que la
varieté des gestes l'est au Langage d'action.

Rien de plus difficille que de comprendre ce
quon nous dit sur le même ton, même dans
une Langue qui nous est très familiere et
dela vient que moins une Langue nous est
connue, plus on est obligé de varier les
tons, pour distinguer les sons d'une manie=
re plus sensible, et pour animer le discours,
en nous transportant en quelque sorte,
par cette varieté d'accens, dans la situa=
tion d'ame actuelle de celui qui nous
parle.

Il n'est pas moins necessaire d'apporter la
meme varieté dans la quantité des sons
qui depend dela lenteur ou dela rapidité
avec laquelle ils se succedent ou de l'alter=
native des longues et des breves dont
la durée est comme 2. a 1. Il faut cela
aussi pour faciliter le jeu de la poitrine,
soulager celui qui parle, et prevenir
l'ennui et la fatigue de celui qui ecoute.

De ce melange ou varieté des tons et des
quantités depend l'accentuatïon qui deman=
de que la voix allonge ou raccourcisse,
eleve ou abaisse les sons, et que ces nuan=
ces de ton et de vitesse soient distribuées
<55> selon que l'exige l'expression des sen=
timens dont on est affecté, et qu'on
veut exciter chès les autres dans le dessein
de leur plaire et de les emouvoir.

On comprend que l'accentuation tombe propre=
ment sur les voielles, et que les consonnes n'en
recoivent d'autres 1 mot biffure varietés, si ce n'est que
l'accent demande quelque fois qu'elles soient
fortement appuiées.

L'Accentuation peut etre notée dans l'Ecriture
par certains signes qu'on a appellés aussi
accens.

MODIFICATIONS DE LA VOIX.

De tout ce qui a été dit il suit que dans la
voix humaine, on peut distinguer les modi=
fications suivantes communes a la pa=
role et au chant.

1° le son vocal simple.
2° le volume de la voix c.ad l'intensité
ou la force du son qui depend dela quan=
tité d'air sonore et de la resonance.
3° la quantité cad. la lenteur ou la
rapidité qui accompagne la succession
des sons.
4° le ton oule degré d'elevation et d'abais=
sement de chaque son qui depend de
la montée et de la descente du Larinx, et
de l'ouverture qu'on donne au canal exte=
rieur.

Ces modifications sont très distinctes par
leurs effets. De la 2e provient dans le
discours le fort  et le doux , et dans le
chant, forte e piano . De la 3e decoule
dans le discours la lenteur et la vitesse,
dans le chant, adagio ed allegro . C'est
la 4e qui produit dans le discours le grave
et l'aigu, dans le chant, basso e soprano.
De la 3e derive dans le discours le rithme 
oratoire, le nombre, ou les proportions que
les parties du mouvement vocal doivent
avoir les unes avec les autres mesurées nu=
meriquement; a quoi il faut joindre une
sorte de cadence , et les intervalles de repos.

Dans le chant, c'est le rithme musical
<55v> qui determine le mouvement et la mesure
avec la cadence. Les anciennes danses des
Grecs etoient appellées rithmiques, parce qu'elles
s'accordoient exactement avec le rithme
musical; ce que nous appellons aujourdhui
danser en cadence.

Dela 2e et de la 4e derivent les caracteres dis=
tinctifs des diverses voix que nous appellons
forte et douce, haute et basse.

Enfin 5e l'accent qui est le resultat des
modifications precedentes.

Aucune de ces modifications ne doit etre
confondue avec le chant, puisquelles accom=
pagnent aussi le discours, et que dans l'un
comme dans l'autre, on peut en assigner les
varietés.

DECLAMATION.

La declamation  n'est autre chose que le
discours prononcé avec une sorte de mo=
dulation resultant de la varieté qu'on
met dans les degrés d'ïnstensité, de vitesse,
dans les nuances de ton et d'accent, qui
doivent accompagner chaque son, selon
la place qu'il occupe, ainsi que des repos
par lesquels les sons doivent etre separés,
pour reprendre haleine, et le tout dans
la vue 1 mot biffure de donner au discours une
certaine harmonie qui augmente l'in=
teret et en assure l'effet.

La declamation chès les anciens etoit beau=
coup plus modulée que la nôtre, et avoit
beaucoup d'affinité avec ce que nous appellons
le recitatif : on pouvoit même la noter com=
me nous notons la musique. Les modernes
l'ont ramenée a la nature, et en ont etabli
la perfection dans la simplicité et la noblesse
reunies, avec une modulation variée
sans approcher du chant, et eloignee
<56> de toute affection qui tient a la singu=
larité ou qui sort du naturel de celui qui
parle.

PROSODIE.

Il y a une accentuation, et des la même
une declamation, particuliere et propre
a chaque personne, qui depend de sa
constitution organique, de son naturel
interieur et exterieur, et de la correspon=
dance de l'un a l'autre.

Maïs il en est une qui appartient a la
Langue et qui a ses regles: l'art qui les
enseigne se nomme Prosodie . Il y a
une Prosodie Grammaticale pour le
discours ordinaire, une oratoire, pour
le discours etudié et declamé, une Poetique
propre a la Poësie versifiée. C'est celle
qu'on entend communement lorsqu'on
parle de Prosodie.

L'accentuation propre a chaque Langue
determine la melodie plus ou moins
variée et chantante que chaque na=
tïon apporte au discours, qui fait
qu'une nation parle avec plus ou
moins de cantilation, plus ou moins
de douceur, de grace et d'interet, &c.

<56v> CHAPITRE IX
De l'origine et de la formation du Langage
parlé et premierement des mots primitifs
et radicaux
.

LANGAGE PARLE.

D'ou vient que ceux des animaux qui ont
a peu près les mêmes organes vocaux que
l'homme, qui peuvent pousser des cris,
quelques uns chanter avec melodïe, d'autres
meme apprendre a articuler quelques sons,
d'ou vient qu'ils ne peuvent 1 mot biffure parler com=
me lui? C'est que, quoique les operations
physiques de la parole appartiennent a la
vie animale, 3 lignes biffure
quoique les brutes
1 mot biffure pourroient
par l'imitation et
l'habitude, parve=
nir a repeter me=
chaniquement di=
vers sons, aucun
Etre animé ne peut
1 mot biffure parler, ou
former un discours
1 mot biffure
de mots suivis, qu'il
emploie comme si=
gnes de ses pensees,
quil comprenne
et fasse comprendre,
sans le secours d'une
faculté appartenant
a la vie d'Intelligen=
ce qui dirige les
operations Physi=
ques du Langage
et l'emploi, conve=
nable des signes;
telle est la preroga=
tïve exclusive de
lhomme,
  qui seule a pu lui apprendre que le même
instrument dont il se servoit pour jetter
des cris, et exprimer ses sensations, par
des sont inarticulés, etoit aussi suscepti=
ble de modifications articulées, propres
a peïndre les objets de sa pensée. Voions
donc comment il a su tirer parti de cet
instrument pour se former des combinai=
sons de sons articulés propres a l'expression
de la pensée, les multiplier et les varier
suivant ses besoïns, et ce qu'il avoit a com=
muniquer a ses semblables.

TIRE DE LA NATURE.

Dès que les hommes eurent acquis une cer=
taïne 2 mots biffure provision d'idées, et senti la necessité
de les fixer, pour les rappeller au besoin et
se les communiquer mutuellement avec fa=
cilité et promtitude, ils comprirent bientot la
necessité de suppleer au Langage d'actïon
par quelque Langage plus varié et plus eten=
du, tel que celui que pouvoit lui offrir
l'usage de l'instrument vocal dirigé par
leur Intelligence ïndustrieuse.

Mais cette Industrie s'est elle donc deploiée
au hazard: ou cette foule de signes articu=
lés qui composent leur Langage, n'atelle été
que le fruit tout pur de leur Imagination,
ou d'une instruction arbitraire et conventionelle.

<57> Non, c'est la nature elle même qui a decidé
toutes les formes elementaires vocales
et qui a determiné leurs rapports avec les
pensees ou les objets.

LA NATURE A DECIDE TOUTES LES FOR=
MES ELEMENTAIRES VOCALES ET LES
MOTS PRIMITIFS.

Les parties de l'instrument vocal donnent
chacune l'inflexion  determinée par sa consti=
tution organique, et dès que l'homme met en
jeu un organe, il ne peut faire entendre d'au=
tre son que celui que cet organe doit natu=
rellement produire. Dela vient que l'oreille
faite pour discerner les sons, sait d'abord
les rapporter chacun a l'organe d'ou il est
parti, et demeler avec facilité les sons qui
ne sont que des varietés de la même forme ,
d'avec les sons qui sont reellement differens
comme provenant de divers organes: et
c'est par la que l'homme a bientot su ran=
ger toutes les inflexions vocales 2 mots biffure
chacune sous la classe appartenant
a l'organe qui les avoit produites.

Ces diverses formes, ou inflexions simples
et primitives, dont les organes vocaux sont
susceptibles, sont en très petit nombre. Cha=
cune a été le premier germe d'un certain
nombre de sons primitifs qui n'a jamais
pu etre fort grand: car de ces premiers ger=
mes on n'a pu tirer d'autres sons primitifs
que des sons prononcés d'un seul coup de
voix appellés Syllabes  c.a.d. des inflexions
simples et elementaires reunies sous une
seule emission de voix, auxquelles on a
donné aussi le nom de mots , et pour les
distinguer 1 mot biffure de tous les 1 mot biffure composés,
on les a appellés monosyllabïques  cad. for=
més d'une seule syllabe.

<57v> Ces mots primitifs furent ou une voielle sim=
ple et seule, ou une diphtongue  composé de
deux ou trois voielles reunies en un son sans
etre confondues, ou une voielle ou diph=
tongue precedée ou suivïe d'une consonne
ou placée entre deux ou plusieurs conson=
nes, mais tellement combinées entr'elles que
le tout peut etre rendu par une seule emis=
sion de voix.

De ces primitifs monosyllabiques appellés
racines grammaticales sortitrent peu a peu
cette multitude immense de mots qui com=
posent tout l'appareil du Langage.

Les premiers germes du Langage ont donc
été des effets purement physiques, resultant
de la construction mechanique de l'instrument
vocal, et par consequent etablis par la na=
ture elle même independamment de la vo=
lonté de l'homme, dont toute l'influence
s'est reduite a mettre l'instrument en jeu
tel qu'il la reçu, sans pouvoir apporter
aucune 1 mot biffure atteinte a ses effets
primtifs. Ainsi les premiers elemens
du Langage ont du etre les mêmes pour
tous les hommes, et toute leur industrie
n'a pu aboutir qu'a les repeter, les reunir,
les combiner de toutes sortes de manieres
pour en fabriquer divers signes vocaux
a mesure que le besoin les leur rendoit neces=
saires, en quoi ils ont encor été inutiles
a suivre les suggestions que la nature
ne manquoit pas de leur fournir.

LA NATURE A AUSSI DETERMINE LES
RAPPORTS DES SONS AVEC LES OBJETS.

La connexion des mots avec les objets ou
les pensées dont l'homme s'occupe doit aussi
son origine, non a une volonté arbitraire,
mais a des rapports physiques, necessaires,
pris dans la nature même des choses. Ces
premiers Elemens vocaux eurent chacun
leur valeur naturelle. La valeur des
<58> primitifs radicaux fut determinée par
celle de leurs Elemens, ou par quelque ana=
logie naturelle des sons avec les objets. Les
mots derivés ou composés de ces radicaux
recurent des significations determinées
par celles des primitifs d'ou ils tiroient
leur naissance.

LANGAGE PARLE ARTIFICIEL.

La formation du Langage parlé se fit
sur le même plan de procedés que celle du
Langage d'action. Du langage primitif,
physique, naturel se forma peu a peu
par le secours de l'art, et suivant la Loi
d'analogie, un Langage artificiel, qui
s'enrichit et se perfectiona a mesure que
les objets de la pensée, en se multipliant,
demandoient de nouvelles expressions.

Les hommes avoient ils quelque nouvel
objet a exprimer, ils en observoient les rap=
ports avec d'autres objets deja connus et
nommés, ou avec des qualités, des effets,
aussi denominés par des mots introduits,
et de ces mots ils en composoient un qui
exprimoit tout l'ensemble, et convenoit
mieux que tout autre signe pour rap=
peller l'objet en question d'une maniere
intelligible. Il en etoit de meme de toute
idée composée d'autres auxquelles corres=
pondoient des mots deja etablis; la reu=
nion de ceux ci etoit le signe le plus pro=
pre a exprimer l'idée totale.

La fabrique  du Langage a donc été une
suite d'operations determinées par la
nature des choses qu'on avoit a nommer,
en sorte qu'entre les signes vocaux, le
choix de celui quon vouloit appliquer
a tel objet, 1 mot biffure, se trouvoit ordinairement
indiqué et decidé par le rapport naturel
de ses elemens avec les proprietés de l'objet,
comme etant le plus propre a peindre
celui ci, selon l'idée qu'on s'en formoit.

<58v> IMITATION. PRINCIPE.

La premiere formation du Langage n'a
donc pu etre faite que sur un plan d'imita=
tion  ou de peinture des choses, telle qu'il etoit
possible de l'effectuer par le moïen des orga=
nes vocaux, et cette peinture, en comman=
cant par les primitifs, et en continuant par
les derivés et les composés, s'est etendue de
degrés en degrés, de nuances en nuances,
depuis les noms des choses qui sont le plus sus=
ceptibles d'etre peintes aux oreilles par les sons
jusques aux noms des choses qui sembloient
l'etre le moins, qui n'affectent que la vüe,
et même qui ne tombent sous aucun des
sens.

PRIMITIFS RADICAUX CLASSIFIES

Les sons primitifs qui par la constitution
organique de l'homme et la nature des
objets qu'il avoit a nommer, ont du fournir
les premieres racines du Langage peuvent
etre rapportées a certaines classes.

1e CLASSE INTERJECTIONS ET ACCENS

A la premiere classe appartiennent des
sons qui peuvent etre rapportés au Langage
d'action, lorsqu'on ne les prend que pour
des sons confus, comme des cris, des vagis=
semens; mais qui doivent etre rapportés au
Langage parlé, lorsqu'on les envisage com=
me des sons et distinctement prononces que les hommes de tout pays
ont adopte 1 mot biffure naturellement comme signes pour peindre par
un seul coup d'organe les sentimens dont
ils sont interieurement affectés. Ce sont
ces sons qu'on appelle Interjections , qu'ils
prononcent distinctement et fortement
du fond de la poitrine, comme portant
par eux mêmes l'empreinte des mouvemens
ou affections que les objets leur font ac=
tuellement eprouver. Elles ne sont pour
le fond qu'une voix simple, mais accompa=
gnée de diverses modifications dans le
ton et dans la maniere plus ou moins
<59> forte, rude, aspirée dont on la prononce,
quelque fois même diversement modifiées par
des articulations qui en rendent l'expression
plus marquée, qui la varient et l'etendent
a un plus grand nombre de sensations, et
même de perceptions primitïves qui tire=
rent de celles la leur naissance.

Determinées par la structure de l'instru=
ment vocal, et sa correspondance avec
les sentimens interieurs, elles sont la
premiere voix de la nature, qui se fait en=
tendre même chès les enfans qui rendent
les sons Interjectifs avant quils aient pu les
apprendre par l'ouie et l'imitation.

1 ligne biffure

Elles sont le premier
Langage emploié
par les hommes pour
se communiquer mu=
tuellement leurs be=
soins et se donner reci=
proquement des
secours; Peut etre fut
il un temps ou il n'eu=
rent pas d'autre Lan=
gage parlé, auquel
ils suppleoient par
le Langage d'action.
En prononcant ces sons
dans des circonstances
ou les auditeurs ne
pouvoient que les rap=
porter aux mêmes per=
ceptions, ils en fixoient
la signification d'une
maniere d'autant plus
exacte, quils avoient
plus d'occasions de les
repeter, et d'accoutumer
par la l'esprit a lier
les mêmes idées avec
les mêmes signes.
Ce furent donc la les
premiers mots com=
muns a toutes les
Langues et autant
de mots primitifs qui
  en effet se retrouvent chès tous les peuples
5 mots biffure sans jamais
perdre leur identité dans tout ce qu'ils
ont de radical et de vraiment signifi=
catif.

Aux Interjections se lient les accens qui
les modifient 2 mots biffure diverse=
ment pour le son et la valeur: car la
même Interjection differemment accen=
tuée exprime des sentimens differens.

Les enfans n'ont pas d'autre moien de
manifester leur etat et leurs besoins
que des accens vifs, gays, tendres, ou
sourds, tristes et lugubres, et pour les
hommes faits, ils deviennent autant
de sons naturels qui appartiennent es=
sentiellement au Langage primitif, desti=
a l'expression du sentiment; langage
aussi aisé a entendre qu'il est aisé de
reconnoitre a l'exterieur les sentimens
dont l'ame est penetrée: langage plus
intelligible naturellement que tout au=
tre, puisqu'on peut le comprendre sans etu=
de, et que ses signes tirent dela nature
tout ce quils sont, leur caractere propre,
leur valeur, leurs nuances, destinees
<59v> a marquer les diverses affections avec
leurs divers degrés de force.

II CLASSE. PRIMITIFS RESULTANS DE
L'OPERATION NECESSAIRE DE LA NA=
TURE CHES LES ENFANS.

Tous les organes vocaux n'acquierent pas
a la fois ce degré de force que l'articulation
exige: cette force ne se devellope que succes=
sivement a mesure que ces organes prennent
plus de consistence, de ressort et de flexibilité.

L'enfant ne peut d'abord mettre qu'un ou
deux de ces organes en jeu: veut il indi=
quer par la voix quelque objet, il ne peut
emploier pour cela d'autres sons que ceux
que ces organes fournissent, et dès lors ceux
ci deviennent des signes naturels pour
l'enfant, et ensuite pour tous ceux qui sont
comme forcés de se preter a ce Langage en=
fantin. Chès la plupart des peuples c'est
l'organe labïal qui fonctione le premier,
puis la touche dentale, et de la ces premiers
sons papa, mama, bibi, bobo, atta,
tata, dada et autres mots que les enfans
articulent les premiers par necessité des
qu'ils veulent imposer des noms aux objets
qui les entourent et les frappent; langage
de la nature, seconde source 1 mot biffure de primitifs
et de derivés.

III CLASSE. PRIMITIFS DETERMINES PAR
LES INFLEXIONS PROPRES A CHACUN
DES ORGANES.

Les sons articulés par chacun des organes
vocaux
ont été les elemens que la nature a
offert aux hommes pour en tirer les noms
applicables a chacun de ces organes, pour
que leur denomination fut par elle même
la plus intelligible. Car comment peindre
mieux un organe que par son operation
propre! Comment caracteriser 1 mot biffure d'une maniere
plus expressive la gorge, le gozier, que par
un nom pris de l'inflexion G 1 mot biffure, ou les
<60> dents que par l'inflexion dentale D. T. Troi=
sieme classe sous laquelle sont compris les
noms adaptés aux organes vocaux, et de
la a leur figure, leur action, leurs effets
et ce qui a quelque liaison ou analogie sen=
sible avec eux.

PRIMITIFS IMITATIFS

L'imitation est ce qui a fourni le plus de
primitifs physiquement determinés par la
nature et les qualités des objets qu'il fal=
loit peindre. Le Langage d'action avoit
fourni les ressources du geste pour pein=
dre aux yeux: dans le Langage parlé il fal=
loit peindre par les sons de la voix, qui sont
comme autant de gestes destinés a affecter
les oreilles. Pour rappeller l'idée d'un objet,
il falloit emploier le son le plus propre
a le caracteriser et le retracer a l'Esprit, tout
comme le Peintre emploie la couleur la plus
propre a rappeller l'objet qu'il veut peïn=
dre aux yeux. Tel fut le principe general general
du Langage imitatif. Voions comment
cette imitation a pu s'etendre de degré
en degré, depuis les objets sonores, jusques
aux non sonores.

IV CLASSE. PRIMITIFS DETERMINES PAR
L'IMITATION DES OBJETS SONORES.
ONOMATOPEES.

Fut il question d'imposer des noms aux objets
sonores
qui frappent diversement les oreilles
par des bruits, des explosions, des fremissemens,
des cris, des sons quelquonques, 3 mots biffure
1 mot biffure
objets qui sont en grand nombre, l'hom=
me ne trouva aucune methode plus naturelle, plus prom=
te, plus efficace, que d'emploier les organes
vocaux a rendre un bruit, un fremissement,
un cri, un son, autant qu'il se pouvoit, sem=
blable a celui par lequel chacun de ces objets
avoit affecté son ouie. Vis a vis de cet organe
auquel la parole s'adresse, il etoit impossible
d'imaginer aucun procedé plus imitatif
ni plus propre a caracteriser chaque objet
<60v> sonore, a le retracer et le faire promtement
reconnoître. Dela l'origine de cette foule de
mots primitifs que les Grecs ont rangés sous
une classe separée, en les appellant onoma=
topées , cad. formatïons de noms, comme
pour signifier avec emphase, que s'il y a
d'autres manieres de former des noms, celle
ci est superieure a toutes les autres pour la veri=
té de 1 mot biffure la peinture, et qu'etant origïnale et primitive,
elle a eu sur le Langage l'influence la plus
efficace et la plus generalement etendue.

Pour en faire l'eloge, d'autres l'ont appellées
vox repercussa naturae, espece d'echo de
la nature.

V CLASSE PRIMITIFS DETERMINES PAR
ANALOGIE, APPROXIMATION OU
COMPARAISON.

Les 1 mot biffure objets qui ne nous affectent que par
les yeux n'arrivent a nos oreilles par aucun
bruit ou son sensible. Les autres organes
peuvent se tremousser, fremir, s'ebranler par
les ïmpulsions du dehors, et entrer par la en
quelque rapport avec l'organe de l'ouie:
mais les objets se peignent sur le fond de nôtre
oeuil aussi tranquillement que sur un mi=
roir et sans le moindre bruit. L'organe
vocal semble donc depourvu de tout moien
de peïndre les objets qui ne sont que visi=
bles; cependant les objets sont inombrables
et rien de plus necessaire que de leur imposer
aussi des noms convenable a leur nature.

Pour nommer de tels objets, l'homme guidé
par une sorte d'ïnstinct, choisit et emploia pour
chacun d'eux, celle des formes de sons, ou
celui des organes vocaux, dont l'articulat=
tion ou la structure lui parut la plus propre
par quelque analogïe plus ou moins sensible
a figurer a l'oreille et rappeller a l'Esprit; ou
la chose, ou l'effet dela chose, ou quelque circons=
tance <61> etrange propre a la caracteriser, ou
enfin telle modalité d'exïstence assès decisi=
ve pour que la chose peut etre rapportée
a telle ou telle classe distincte.

Des articulations en effet, suivant qu'elles se
prononcent a l'extremité ïnferieure de l'ins=
trument vocal, ou a l'extremité superieure
ou vers le milieu, suivant qu'elles sont ac=
compagnées d'une exposion d'air plus ou
moins considerable et rapide, doivent pro=
duire des sons plus ou moins vifs, promts,
rudes, ou sourds, lents, graves, coulans &c.

Or les sons aiant ainsi chacun leur caractere
distinctif, 2 mots biffure chacun a du etre emploié et pre=
senté de preference comme le plus propre a
a l'expressïon de tel genre d'objets ou d'idées,
et cela par une sorte d'analogie avec les
choses mêmes ou avec leurs qualités ou
manieres d'etre et d'agir.

C'est aussi un fait incontestable qu'a parler
generalement, les articulations foibles de
chaque touche ont servi a l'expression des
objets doux et gracieux, tandis que les 1 mot biffure sons
durs et forts furent emploiés pour rendre
les idees liées avec la force, l'apreté, la rudesse,
et les qualités deplaisantes. 2 mots biffure
2 lignes biffure

Dans la plupart des cas, l'organe emploié
s'efforcat aussi, autant qu'il etoit possible,
de figurer sa forme et son ïnflexion sur
le modele de l'objet, pour mouler par la
un son le plus ressemblant et le plus propre
que la nature se trouvoit capable de
fournir, pour le faire reconnoitre et le
rappeller.

S'agissoit il de donner des noms p. ex a des
objets qui ne pouvoient etre caracterisés
que par leur etat naturel ou de fixité ,
ou de fluidité, ou de cavité, ou de rudesse 
ou de douceur, l'homme pour les peindre
fut naturellement porté a faire usage
de l'organe ou le plus fixe, ou le plus mobile,
oule plus creux, ou le plus rude, ou le plus
doux, comme etant plus propre qu'aucun
autre a rendre un son caracteristique de l'objet,
<61v> et a fournir le nom le plus convenable
pour le designer.

Lors même qu'on ne put le caracteriser que
par une circonstance etrangere, on suivit
la même methode. On voulut donner un
nom a la fleur, on s'arreta ala circons=
tance de sa mobilité qui rend la tige fle=
xible a tout vent, et on lui appliqua
l'inflexion 1 mot biffure FL que la nature avoït
fourni pour caracteriser les choses mo=
biles et fluides. L'objet fut nommé flor
fleur, all. blum, et la voix fit pour l'imi=
tation ce qui etoit le mieux possible.

Ainsi l'homme frappé de certains rapports
d'analogie entre certaines formes de sons,
et certaïnes classes d'objet caracterisés par
telle ou telle modalité, fut conduit par
la nature elle même, quoique plus sour=
dement que dans les onomatopées, a cette
voie d'approximation , qui le disposa,
quoique d'après des analogies imparfaites
et eloignées, a approprier certains sons
a certaines classes de choses ou de manieres
d'etre, comme etant les plus propres a les
faire reconnoitre et distinguer.

Souvent même l'homme se trouva reduit
a la seule ressource de la comparaison.

L'Esprit humain saisissant quelque ressem=
blance entre un objet et un autre objet
physique, entre un objet sensible et un
autre non sensible, Intellectuel, moral,
abstrait, fut conduit naturellement a
emploier le nom deja imposé au premier
pour designer le second, en sorte que
celui la deja connu, put, a la faveur de
cette translation, donner quelque idée de
celui ci, a raison de cette analogie secrette et
eloignée, qui avoit pu etre saisie.

Ainsi quand il fallut distinguer des classes
de fleurs, l'une fut appellée immortelle
a cause de sa longue durée, et l'autre
oeuillet par son rapport avec l'oeuil.

<62> Quand on en vint a denominer les objets
non sensibles, on fut contraint d'emploier
a cela les mots deja attribués a des objets
sensibles, et d'assigner au même mot di=
vers sens, un sens primitif, physique, propre
et un sens derivé, impropre, relatif a quel=
que objet Intellectuel ou moral, qui pou=
voit avoir quelque une certaine analogie 
avec l'objet du premïer, et dela naquirent
les tropes, les metaphores, les allegories &c.

Ainsi l'homme pour peindre par la voïx
les objets visibles sut emprunter de la voix
meme
toutes sortes de couleurs, de la durete
ou de la douceur des sons, de la rapidité ou
de la lenteur, du ton enfin et des accens
qui en modifient l'expression. Il chercha
jusques dans la correspondance de l'ouie
avec les autres sens, dans certaines analo=
gies des sons avec d'autres sensations, cer=
taines couleurs imparfaites, grossieres,
dont il fut forcé de se contenter au def=
faut de plus expressives et plus fortement
prononcées que la nature, avec toutes ses
ressources, n'etoit pas capable d'accorder
a ses desirs.

Mais pour les objets ïnaccessibles a l'oreille
par les sons, il eut toujours la ressource
du dessin ou de la peinture presentée
aux yeux, d'ou nacquit l'Ecriture.

<62v> CHAPITRE X
Des mots derivés et composés

MOTS FORMES DES PRIMITIFS
SELON LES DIRECTIONS DE LA NATURE.

Des Elemens primitifs de la voix, effets naturels de
causes données, des mots primitifs  radi=
caux , signes naturels de ses perceptions
primitives, l'homme par son ïndustrie,
suivant les directions de la nature, et la
Loi d'analogie, tira une foule de mots di=
versement modifiés et combinés pour ex=
primer les diverses modifications et com=
binaisons de ses pensées, et leur nombre
et leur varieté s'accrurent successivement
pour fournir a des usages toujours plus
nombreux et plus etendus, selon la pro=
portion des nouveaux besoins qui pou=
voient naitre des evenemens et des circons=
tances nouvelles.

Ainsi la nature qui avoit fourni les premie=
res racines du Langage continua a deploier
son influence dans le devellopement des bran=
ches, en dirigeant l'industrie imitative de
l'homme, et l'etendant de degré en degré par
tous les moiens possibles. Partout elle laissa
des traces de son operation dans la propa=
gation du Langage et sa distribution en
dïverses langues qui, quoique si dissem=
blables au premier coup d'oeuil, sont encor
reductibles a des principes communs que
cette nature a fourni aux hommes des
la premiere origine.

Ainsi c'est avec bïen de la raison que nous
1 mot biffure supposons l'existence d'un Langage naturel, organi=
que, physique, necessaire, commun a
tous les peuples, qui n'est la langue d'aucun,
qu'aucun ne prattique dans sa simplicité
primordïale, qu'aucun même ne connoit,
mais dont tous sans le savoir, sans le soub=
conner, possedent les germes primitifs, et qui,
chès tous constitue le premier fond de
leur Langue, quoique l'apparat immen=
se dont il est chargé des accessoires dont
<63> il est chargé, ne le laisse appercevoir qu'avec
peine et par un très petit nombre de personnes.

1 ligne biffure

C'est de ce fond primordïal, et par une suite de
procedés compris sous les noms de derivatïon et
de composition, que s'est formé le systheme
artificiel
du Langage ou chacun des radicaux
est devenu une tige d'ou sont parti diverses
branches de mots, qui se sont etendus en ra=
meaux, selon un devellopement suivi pas
a pas, quoique par une infinité de routes,
les unes directes, les autres obliques, transver=
sales, dont le nombre, les varietés, et les di=
vergences, ont rendu le fil genealogique des
mots difficïlle a retrouver et a marquer.

Neanmoins ces routes n'ont pas laissé d'etre
tellement separées et suivies, que lorsqu'on
prend la peine de les parcourir par une
marche retrograde, on manque assès rare=
ment d'etre ramené vers le centre commun
d'ou elles s'etoient si fort ecartées, et ce ger=
me ou tronc primitif, une fois trouvé, met en etat
de reprendre les diverses branches, d'en
suivre pied a pied les ramifications, et par
la d'expliquer la naissance de chacun
de leurs mots, en même temps que les chan=
gemens qui ont pu le faire devoier au
point quil semble quelquefois ne tenir
plus a sa racïne, ni par sa forme ni par
son sens actuel.

Ainsi Le systheme fondamental du Lan=
gage aiant été donné par la nature, il y a
tout lieu de croire que le systheme accessoire
dont celui la a été chargé, a participé aussi
a cette même origine; et si la phantaisïe
humaïne a eu si peu de part a la naissance
des primitifs radicaux, on peut presumer
qu'elle en aura eu beaucoup moins qu'on
ne le croit communement, a la formation
des derivés et des composés, qui ont tiré
de ceux la laeur cause premiere de leur
existence et de leur valeur.

<63v> DERIVATION GRAMMATICALE ET
PHILOSOPHIQUE

D'un mot radical diversement modifié
pour la forme materielle et la valeur,
on a tiré de nouveaux mots qui conser=
vent toute l'essence du premier sans etre
les mêmes: on les a appellés derivés et
leur generation a été nommée derivation.

Ainsi une chose aiant recu un nom
naturel et original, lorsqu'il ne fut ques=
tion que d'exprimer l'action de la chose,
ou sa qualité, sa maniere d'etre, son ter=
me & ou les diverses modifications de la
même idée, sans ajouter aucune nouvelle
ïdée a celle ci, on ne fit que donner au
mot primitif certaines modifications va=
riées, entr'autres par l'addition de certaines
Lettres a la fin qu'on a appellée terminai=
son . Ces varietés peu a peu s'applique=
rent a tous les primitifs, dans les mêmes
cas, et pour exprimer les mêmes modifi=
cations, selon certaines Loix constantes,
d'ou resulterent toutes ces terminaisons
caracteristiques qui forment, dans chaque
Langue, le systheme de sa derivation Gram=
maticale, dont l'usage est necessaire pour
classifier les diverses especes de mots et
mettre en regle les diverses parties du
discours. Ainsi par ex. du primitif am
expriment mere, tendresse, on fit am2 lettres tache
am-aoi, am-ans, am-ator, am-or.

Mais On avoit besoin d'un autre genre de
ressources, lorsqu'il s'agissoit d'emploier
le même mot primitif pour presenter
la même idée principale, mais accompa=
gnée de quelque autre idée accessoire qui
en devint l'appendice, ou pour retracer quelque
objet particulier, ou pour en varier, en
etendre ou en resserrer l'application. Alors
il fallut apporter au primitif une autre
sorte de modification, par l'addition ou
l'insertion de nouveaux Elemens, de
<64> nouvelles syllabes; d'ou resultoit un
nouveau mot enté sur le premier, et qui
sans 2 mots biffure detruire ni le fond ni la signi=
fication de celui ci, signifioit aussi en
même temps la nouvelle modificatïon
ideale qu'il s'agissoit d'ajouter a la premiere.

C'est ce procedé qu'on a appellé la deriva=
tion philosophique ou derivation propre=
ment dite. Ainsi de A exprimant 2 mots biffure respi=
ration
ont été derivés αω, αζω, ανω res=
pirer, αημα, αετυς, αωτον, ασμα,
2 mots biffure souffle vent, halo, haler, exhaler,
1 mot biffure, ahaner, ατω, ατμος, vapeur,
ανεμος, animus αυρος aura,
αυλος -η aula &c.

Cette derivation  a été divisée en materïelle,
qui 1 mot biffure tombe que sur des changemens sur=
venus au materiel d'un mot, et ïdeale,
qui ne tombe que sur les changemens survenus
au sens, lorsqu'un mot, sans changer de
figure, a passé d'un sens a l'autre.

COMPOSITION.

Lorsqu'on voulut donner des noms a cer=
taines combinaisons d'objets ou d'idées, on
chercha a saisir certains traits de ressem=
blance avec quelque objet deja nommé
pour tirer du nom de ce dernier, quelque
nom propre a exprimer cette combinai=
son. Ainsi pour exprimer cette vertu
attractive qu'on communique a certains
corps par le frottement, on a saisi le rap=
port de ce phenomene avec la proprieté
de la pierre d'ambre appellé Electrum,
et on en en tiré le mot Electricité.

Mais dans la plupart des cas pareils on prit
le parti de rassembler les noms deja assi=
gnés aux objets combinés, assès significatif
pour faire connoitre par lui même la natu=
re de cette nouvelle combinaison. Ainsi
<64v> les Grecs eurent dans leur Langage une mul=
titude de composes, τραγωδια, κωμωδια.

Dela ches les Latins, suovetaurilia &c, chès
nous parapluie, paratonnere &c.

Cette ressource industrieuse d'ou naquit un
nouveau Systheme de multiplication des
mots, a ete appellée composition dans
laquelle, aussi bien que dans la derivation,
les hommes ont toujours suivi les impulsions
de la nature d'aussi près qu'il leur a été possible.

CLEF DE L'ETUDE DES LANGUES

Il suit de ce qui vient d'etre dit qu'on ne peut
faire avec quelque succès l'etude des Langues
sans s'attacher a demeler partout l'influence
et l'opertation de la nature, pour les ramener,
toutes a leur fond commun et primïtif, 1 mot biffure
qui doit repandre un jour si lumineux et
si 1 mot biffure sur chacune d'elles. Ainsi si une
fois on est parvenu a connoitre les premiers
principes de la Theorie generale du Langage
il ne faut jamais les perdre de vüe, et en faire
une application continuelle. Tout l'art peut
se reduire a ces trois points 1° s'instruire des
primitifs radicaux et communs
considerés
comme autant de troncs qui ont poussé
chacun une foule de branches 2° etudier
ce que sont devenus ces primitifs, ou com=
ment les branches se sont propagées sur
chaque tronc, et la marche generale de deri=
vation et de composition qu'on a suivie pour
tirer de ceux la des familles immenses de
mots. 3° se rendre bien familieres les pre=
mieres causes de derivation
avec le devello=
pement de leurs effets, et voir comment cette
derivation a passe du physique a l'Intellec=
tuel, au moral; distinguer partout l'influ=
ence de la nature sur cette marche et sur ses
progrès; de celle qu'a pu avoir la volonté
humaine et les usages particuliers aux divers
peuples; ce qui apprendra a saisir le Systheme
commun a toutes les Langues, et ce qu'il peut y
avoir de particulier a chacune d'elle.

<65> En faisant l'etude et l'application de cette Theorie,
on ne sauroit entrer, jen conviens, dans le
detail de tous les accessoires particuliers que
chaque peuple a pu ajouter au fond pri=
mordial, car pour cela il faudroit passer
toutes les langues en revue, ce qui est im=
possible; on est forcé ici de prendre les Lan=
gues en bloc, considerées comme reducti=
ble a une Langue commune, et 2 mots biffure de se
borner a appliquer
aux mots principaux la double
methode, de l'analyse pour remonter des
derives et composés aux primitifs, et de la
synthese pour redescendre des primitifs
aux derivés et composés. Mais de cette double
methode
emploiée dans l'instruction de
vive voix ou par ecrit, resulte la plus bril=
lante lumiere qui nous montre par=
tout comment la physique, et la meta=
physique naturelle de l'esprit humain,
se sont reunies pour s'amalgamer
en quelque sorte avec le Langage et la
Grammaire, qui portent partout l'em=
preinte des procedés que les hommes ont
constamment suivi dans la formation,
le devellopement et l'analyse de la pen=
see. 3 mots biffure

LANGAGE D'ACTION TOUJOURS COMBINE
AVEC LE LANGAGE PARLE.

C'est ainsi que le Langage parlé est venu
suppleer au Langage d'action mais il
ne la point aneanti. Jamais les hommes
n'ont cessé d'emploier ce langage naturel
pour accompagner la parole et 1 mot biffure
3 mots biffure 4 mots biffure
en aug=
menter l'impression
. Le premier Langage
parlé fut si borné que les hommes pour
se faire entendre, se virent toujours obli=
gés d'ajouter aux paroles beaucoup de
mouvemens significatifs, et de soutenir
la conversatïon par un melange continuel
de gestes figurés et d'actions. Il est vrai
<65v> que la necessité de cet aïde devint toujours
moïns pressante a mesure que le Langage
parlé s'etendit et se perfectiona: mais ce
qui n'etoit plus soumis a la Loi ïmperieu=
se du besoin, continua a etre prattiqué
par coutume et par gout, et surtout
parmi les orientaux toujours attachés
a une forme de conversatïon si assortie
a leur naturel vif et ïmpetueux, qui se
plait a tout ce qui est mouvement et
image.

On ne sauroit nier que le Langage parlé
ne soit bien preferable au Langage d'action
dès qu'il s'agit d'enoncer avec precision des
idees abstraites, composées, ou des situations
compliquées. Mais cela n'empeche pas que
le Langage d'action ne soit encor de la plus
grande utilité dans le discours 1 mot biffure
pour rendre celui ci plus ïntelligible, lui
donner une plus grande energie, et suppleer
même a diverses circonstances interessan=
tes que la parole ne peut pas toujours ex=
primer exactement. Ne voit on pas tous
les jours combien le geste et le coup d'oeuil
ajoutent a la clareté du discours? Sou=
vent on ne comprend bïen un orateur
que quand on peut le fixer, et s'il a dans
l'exterieur une certaine expression, on
le comprend lors même qu'on ne l'entend
qu'a demi.

C'est d'ailleurs un fait constant que toutes
les Langues ont cherché a rapprocher
du plus au moins le discours de la rapidi=
te de la pensée, en supprimant autant
de mots que possible, et laissant au
Langage d'action le soin de suppleer
dans le discours ces frequentes ellipses;
elles ont même supposé la concomitan=
ce du geste dans divers mots dont la
valeur ne seroit pas toujours entendue
sans cet accompagnement, 2 mots biffure
<66> 2 lignes biffure tels
que les Demonstratifs, Indicatifs, Exclamatïfs.

Il est vrai que les Langues different entr'elles
quant au plus ou moins d'expression quelles
ont laissé au Langage d'action; plus elles
lui ont abandonné, et plus celui ci a gagné
du côté de la vivacité et de l'energie.

Les Langues des nations sauvages sont
pauvres; elles manquent surtout de
termes abstraits. Mais ces peuples toujours
animés d'un sentiment vif et promt qui
accompagne une imagination ardente,
ont un Langage ou tout est tableau et
image, et au deffaut de termes, ils supple=
ent par la modulation, les accens, le
regard, les gestes et les mouvemens: rien de
plus animé et de plus expressif que leurs
discours.

Avec des langues assès riches, plusieurs
peuples ont beaucoup donné au Langage
d'action, sans autre raison que de satis=
faire par la leur gout pour l'imitation
et la peïnture, et d'augmenter l'agrement
et l'interet de leur discours. Ainsi mal=
gré les richesses des leurs Langues, 1 mot biffure les
2 mots biffure orientaux aimoient a se faire
entendre sans elles. Tout chès eux etoit
appareil, gestes, symboles, signes muets;
il ne falloit pas d'autre Langage aux
Rois, aux Magistrats, aux Generaux,
pour etre obeit. Vouloient ils exprimer
vivement une chose, ils ne la disoient pas,
ils la montroient, ou ils la rendoient par
signes, et sur le champ elle etoit com=
prise et servie. Ce même gout s'est con=
servé encor en Chïne, dans la Perse
la Turquie &c.

Il est vrai que Ches les Europeens, le Langage
d'action a beaucoup perdu de son usage
et de son energie, a proportion que le
<66v> Langage parlé leur a fourni plus de
ressources pour se faire entendre avec preci=
sion; mais cela n'empeche pas qu'il ne soit
toujours plus ou moins emploié en subside,
pour donner au discours plus de chaleur,
d'interet et même de clarté: c'est en quoi se
distinguent surtout les Italiens.

OBSERVATIONS

Tout ce que nous avons dit jusques ici
sur l'origine et la formation du Langage
parlé
ne sont 1 mot biffure que les faits generaux 2 mots biffure
4 lignes biffure

que l'Anthropolo=
gie peut offrir sur
lhomme parlant.
Les details qui
concerne
nt la forma=
tion du Langage
sont reservés pour
les parties que nous avons
  appellées Glossologie, Etymologie, Lexico=
logie. Et quant a l'art Grammatical
qui a distribué les mots en diverses classes, et
assigné a chacune un rôle 1 mot biffure
dans le discours, avec une place qui en
rend l'arrangement regulier, nous en
1 mot biffure parlerons 1 mot biffure au long dans
la partie appellée Grammatologïe.

De ce que nous avons dit des ïnfluences de la
nature sur la formation des mots, il ne faut
pas en conclure qu'ils ont du etre tous des
peintures exactes des objets telsqu'ils sont en eux
mêmes: car cela supposeroit que les hommes
ont eu, dès les premiers temps, une connoissance
parfait de tout, ce qui est absurde. Les hommes
n'ont jamais pu peindre les objets que d'après
leurs apparences exterieures, leurs qualités sen=
sibles, leurs effets, d'après leurs propres jugemens
et souvent d'après leurs prejugés; mais comme
il y a eu chès les premiers hommes une assès
grande uniformité dans leur façon de voir
et de juger des objets qui pouvoient les interes=
ser tous, cette uniformité a due naturelle=
ment les conduire a une assès grande unifor=
mité dans l'expression, et 3 mots biffure
l'emploi des signes les plus propres a se faire
entendre mutuellement.

<67> Il ne faut pas non plus en conclure que
l'homme dans la formation du Langage ait
constamment suivi la route tracée par la
nature. Il a pu faire des ecarts lors même
qu'il vouloit et croioit la suivre; car com=
bien d'inadvertances et de bevües n'a til pas
pu laisser echapper le fil qui devoit lui ser=
vir de guide pour 1 mot biffure elever cet edifice,
et celui ci une fois fondé, combien n'a til pas
pu y apporter d'embaras et d'alterations
dans sa construction qui peuvent rendre difficille la recherche
des premiers fondemens, quoique ceux ci
subsistent toujours.

Trois choses ont concouru a la formation
des mots, les objets, les idées, et les sons; mais
ces trois principes de formation ont pu eprou=
ver des divergences dans le Systheme de la
derivation et de la composition, par une suite
de leur disparité de nature et d'influence; car
pendant que la voix a derivé de son en son,
l'Esprit de son côté a pu deriver d'idée en idée,
et de la sont nées beaucoup de locutions peu
analogues dans leur valeur a leur premiere
origine, 2 mots biffure et des la même, beaucoup d'opinions
bisarres 1 mot biffure enfantées par l'empire que ces
1 mot biffure façons de parler ont pu prendre sur l'Esprit hu=
main, qui n'est que trop accoutumé a 1 mot biffure confon=
dre les mots pour avec les choses mêmes; ce que
nous montrerons plus en detail dans l'Ety=
mologïe.

En examinant comment l'Intelligence humaïne
est parvenue a faire usage de l'instrument
vocal, nous comprenons aussi qu'elle n'a pas
pu toujours le guider a son gré, que dans
divers cas, elle s'est vue comme entrainée par
les proprietés de l'instrument qui souvent lui
même se trouvoit forcé de ceder aux influ=
ences des objets, et que de la il a pu resulter
des procedés de derivation peu concordans
avec le train ordinaire; qu'enfin l'homme
entrainé par quelque impression etrangere
a pu se laisser aller a l'usage de certains
mots <67v> difficillement reductibles a leurs primitifs.

Mais il est connu aujourdhui que ces cas
n'ont pas été si frequens et que 1 mot biffure par une
analyse industrieuse et un peu approfondie,
on peut pour le plus souvent vaincre les
embaras et retrouver le vrai fil qui ramene
aux premieres origines.

CONSEQUENCES

De ce qui a été dit on peut tirer les consequen=
ces suivantes.

1. La regle fondamentale que la nature a
presenté aux hommes dans la formation des
mots, c'est qu'ils representassent les choses aussi
bien que possible. Il y a en effet dans les mots
une verité comme il en est une dans les idées: les
hommes ont du chercher l'une aussi bïen
quel'autre, et la verité qu'ils ont du chercher
dans les mots, c'est qu'ils fussent aussi bien as=
sortis que possible a la nature des choses, ou
plutot aux idées qu'ils s'en formoient. De
la vient que l'art de deriver les mots confor=
mement aux choses nommées fut appellée
Etymologie , nom appliqué dans la suite
a la connoissance vraie des mots et de leur
derivation, en remontant aux primitifs.

2. Les Langues sont donc l'ouvrage de la
nature, dont les hommes, lors même qu'ils
ont emploïé l'art ont suivi generalement
l'impulsion et les modeles.

3. Rien de plus merveilleux que le mechanis=
me de la parole et quoique simple et borné
dans les elemens, il est si compliqué dans
ses combinaisons, et ses effets, il est d'un usage
si etendu, qu'on ne sauroit presque
assigner de borer a la perfection dont
il seroit susceptible.

<68> CHAPITRE XI.
Du Langage ecrit, et des divers genres d'E=
criture.

ORIGINE PRIMITIVE ET ELEMENS NA=
TURELS DU LANGAGE ECRIT.

La reunion de l'objet, de la pensée et du son
pour former la parole, devient une operation
plus admirable encor quand l'homme, pour
parler aux yeux, emploiat des caracteres
visibles
, qui rappelloient tout a la fois l'ob=
jet, l'idée et le son, en donnant a celui ci une
sorte de visibilité permanente, tout invisi=
ble et passager qu'il soit en lui même.

L'homme n'eut jamais pu imaginer tout
acoup ce moien de transporter et de fixer
sa parole hors de lui  et loin de lui; com=
ment par une simple meditation concevoir
seulement la possibilité d'un art 1 mot biffure destiné a pre=
senter a ses yeux les objets du son? Par
combien de degrés n'a til pas du passer
pour s'elever a cette sublime pensée?

Les premiers germes du Langage ex=
primé en caracteres visibles furent aussi
naturels que ceux du Langage parlé.

La voix avoit fait tout ce qui etoit en
son pouvoir pour transmettre a l'oreille
des sons autant que possible analogues
aux choses que l'homme avoit a nommer.

Mais un ïnstrument acoustique devenoit
insuffisant dès qu'il s'agissoit de peindre
des choses qui ne peuvent affecter que la
vue. L'homme avoit donc encor besoin de quelque
moien mechanique pour parler aux yeux;
il le trouva dans sa main, cet ïnstrument
si flexible, auquel aïnsi qu'a l'instrument
vocal, il doit principalement ses prerogatives
2 mots biffure. Avec ce secours, il pu exprimer
les choses qu'il ne pouvoit signifier par le
son; il figura les objets a la vüe, ou par le
geste, ou en tracant leur image, et dans cette
1 mot biffure voie ouverte pour transmettre ses idées
<68v> la nature le guidoit encor, en lui sug=
gerant des procedés simples et imitatifs
des objets.

Ainsi le premier pas qui fut fait dans cette
carriere, 5 mots biffure
1 lgne biffure
1 mot biffure
fut la delineation grossiere de la
figure même des objets. Cette figure, recon=
nue a chaque fois qu'elle etoit presentée
etoit toujours emploiée a rappeller l'objet
depeint. On donnoit a celui ci un nom
qu'on appliquoit egalement a la figure
et a l'objet pour que ces trois choses ser=
vissent a se rappeller l'une l'autre.

Lorsqu'il s'agissoit de faire connoitre a
quelqu'un un objet qu'on ne pouvoit peïn=
dre a l'oreille, ni mettre actuellement sous
ses yeux, il eut été fort inutile de donner
a la chose inconnue un nom quelconque
qui n'eut jamais pu servir a en reveiller
l'idée: pour lui appliquer utilement
un nom, il falloit faire preceder quelque
connoissance de cette chose par quelque
image que l'on put se retracer, car alors
seulement on pouvoit lier l'objet et l'image
a un son pour que celui ci en devint un
signe revocatif, et quoique dans ce cas, un
signe conventionel eut pu servïr a cet u=
sage, les hommes cependant furent tous
conduits par la nature a emploier des sons
plus ou moins analogiques avec les objets quils
avoient a rappeller.

Ainsi dans l'Ecriture, comme dans la parole
tout tendit d'abord a l'assimilation avec
l'objet, et le caractere ecrit ne put même etre
emploié a rappeller le son vocal correspon=
dant, qu'autant qu'il rappelloit premiere=
ment l'objet en vertu de quelque analogie
sensible avec lui, ce ne fut même que ce
commun effort d'assimilation avec l'objet
qui produisit cette union intime de l'objet,
de l'idée, du son et de la Lettre, qui a été la 1 mot biffure
cause primitive pour laquelle l'Ecriture est devenue
a la fin le signe immediat des sons.

<69> Mais Les hommes ne se bornerent pas a pein=
dre aux yeux ce qu'ils ne pouvoient peindre
aux oreilles; ils s'etudierent peu a peu a
peindre aussi les objets même que la voix
retracoit deja a l'ouie par les sons vocaux.

Nous ne pouvons parler ici des premieres
origines
de l'Ecriture que d'après ce grand
principe, que dans tous leurs procedés, les
hommes ont constamment pris la nature
pour maitre et pour guide: d'ou nait
cette consequence, c'est que l'Ecriture unie
au Langage parlé par des rapports si inti=
mes, a du naitre et se develloper comme
celui ci par une suite d'operations paral=
leles, et une marche commune que la
nature elle même leur a tracée; verité
confirmée par la grande analogie qu'on
observe entre les procedés de l'homme
ecrivant
, et ceux de l'homme parlant
pour peïndre sa pensée, et les phenomenes
qui annoncent tant d'affinïté dans les
premieres origines du Langage et de
l'Ecriture .

Par Ecriture nous entendons ici tous les
moiens ou procedés que l'industrie humai=
ne a ïntroduit pour 1 mot biffure reveiller l'idée
des objets par quelques caracteres sensi=
bles aux yeux.

ECRITURE REPRESENTATIVE PAR
PEINTURES ISOLEES

Les premiers elemens de cet art furent des
dessïns grossiers des objets qu'on vouloit signi=
fier; mais c'etoient des peintures isolées , sans
aucune suite destinée a reveiller une liaison
de pensées. Ce genre d'Ecriture a été en usage
<69v> ches tous les anciens peuples, 3 mots biffure
3 mots biffure
et dans un tel concours, on ne
sauroit meconnoitre l'operation de la nature
deploiant une ïnfluence 1 mot biffure uni=
forme. Ainsi ce fut l'usage partout de
signifier le soleil par un cercle radieux,
la lune, par un croissant, les eaux, par des
courrans ondoiés, la vüe par la figure d'un
oeuil, le feu, par une fumée ascendante,
la guerre, par deux mains l'une tenant un
arc, l'autre un bouclier, la chasse, par
un homme armé et une bete morte a ses
pieds, &c. La vüe de chaque figure reveil=
loit l'idée de l'objet depeint, et la voix ap=
pliquoit au caractere tracé le son par
lequel elle avoit nommé l'objet. Telle
fut l'Ecriture representative  la plus ancien=
ne. Elle est encor l'Ecriture de ces peuples
grossiers
qui n'ont jamais pu s'elever au
dessus des sens, ni atteïndre a aucune de ces
combinaisons que la culture a introduites
chès les autres. Les sauvages de la Magel=
lanique et les Patagons n'en ont jamais
connu d'autres.

ECRITURE REPRESENTATIVE PAR
PEINTURES SUIVIES

Les peuples sortis jusques a un certain point
de cette barbarie 3 mots biffure stupide ou
sont restés les precedens, sont parvenus a
faire des peintures suivies destinées a figu=
rer une suite de choses connexes, mais sim=
plement representatives ou imitatives,
sans aucune signification symbolique;
on a appellé cela Ecriture in rebus .

Ainsi les Iroquois et autres tribus de l'Ame=
rique septentrionale font grand usage de
cette Ecriture figurative pour representer
leurs operations guerrieres. Sont ils en course,
ils depouillent de leur ecorce les arbres qu'ils
trouvent sur leur chemin, et ils dessinent
sur le tronc des figures composées, dont le
resultat est un discours suivi destiné a in=
former leurs partis dispersés, de leurs projets
<70> du lieu ou ils vont, de la route qu'on doit
prendre pour les joindre &c.

Les Mexicains plus civilisés faisoient de cette
même Ecriture un usage plus etendu. Ils
avoient composé des especes de livres qui re=
presentoient l'histoire, la succession, les con=
quetes de leurs Rois, le tout rangé dans un
ordre chronologique; on y voioit des pro=
ductions naturelles du pays, les revenus de
chaque contrée, et les tributs qu'elle payoit.

D'ailleurs on n'y distinguoit que des images
d'objets sensibles, sans aucune liaison de
syntaxe, et celles qui subsistent encor seroient
inintelligibles, si la traddition n'avoit conser=
vé l'explication qui en fut donnée par les
naturels du Pays. Ce genre d'Ecriture etoit
absolument en deffaut des qu'il falloit
exprimer quelque idée Intellectuelle,
morale, abstraite &c. On l'a appellée
Mexicaine.

ECRITURE FIGURATIVE A LA PERUVIENNE

Les Peruviens emploierent une mechanïque
plus ïndustrieuse, consistant en memoriaux
faits de cordelettes chargées de noeuds et de
fils de differente couleur, qui etoient au=
tant de signes artificiels dont la valeur
revocative dependoit de l'association de ces
signes avec differentes idées relatives aux
divers objets qui pouvoient les interesser et
qui, par l'ensemble de leur combinaison,
tenoient lieu de registres, d'histoire, de
Loix, de ceremonies, de comtes d'affaires
publiques, de taxes d'impots, de tributs
de denombremens &c.

Ces memoriaux s'appelloient quipos, de
quipu, nouer, noeud, et ce mot signifioit
aussi le comte même fait par le moien de ces
noeuds. Ces Quipos etoient commis a des
personnes publiques appellées quipu camayce
qui etoient chargées d'office de les tenir en
bon ordre, d'en rendre comte chaque année
et de s'en servir pour expliquer tous les objets
<70v> historiques, politiques ou religieux, qui
pouvoient etre de consequence pour la na=
tion ou pour les familles.

Cette formule sïnguliere d'Ecriture figura=
tive 1 mot biffure et non ïmitative, paroit avoir été
connue des anciens Egyptiens puisqu'on en
a decouvert des traces sur leurs obelïsques,
ou elle se trouve melangée avec les figures
de l'Ecriture representative. On en trouve
aussi chès les Chinoïs qui se sont conservées
dans leur plus ancien livre appellé I-King.
Cette Methode d'abord appliquée a nom=
brer, s'etendit sans doute peu a peu a d'au=
tres usages ou elle ne pouvoit etre que très
defectueuse. Elle est pour le fond la même
que celle de ces colliers  faits de coquillages
de differentes formes et couleurs que les
sauvages emploient pour conserver la me=
moire de la substance de leurs traités et
qu'ils se livrent mutuellement dans leurs
negotiations de paix ou d'alliance. Les
negres de Guida se servent encor d'artifi=
ces a peu près semblables.

ECRITURE SYMBOLIQUE.

Des que les hommes sentirent le besoin
d'exprimer les objets non sensibles, ils penserent
a faire servir les figures a signifier non
seulement les objets visibles qu'elles represen=
toient, mais encor divers autres non suscep=
tibles d'etre peints, qui pouvoient avoir avec
les premiers quelque rapport plus ou moins
sensible, et en cela ils suivirent une methode
d'approximation et de comparaison tout
a fait analogue a celle qu'ils avoient deja
suivie dans la formation de leur Langage
parlé. Tout ce que la nature et la necessité
avoïent suggeré aux hommes pour mettre
les objets a portée de l'ouie par les sons, leur
fut suggeré pareillement pour re1 mot biffurepresenter les
objets aux yeux par les caracteres tracés:
la marche et les procedés de lEcriture furent
adaptés a ceux du Langage parlé; d'ou vient
<71> que ces derniers peuvent encor repandre
un si grand jour sur les premiers, lorsque
nous prenons la peine de les en rapporcher.

Ainsi le gout allegorique qui avoit été in=
troduit dans le langage parlé, dut naturel=
lement passer dans le langage ecrit. Ainsi
un même caractere reçut differentes signi=
fications correspondantes aux dïverses signi=
fications d'un même mot; il eut un sens
primitif, propre, physique, et un sens deri=
, impropre, relatif a un objet Intellectuel
et Moral.

Et comme on a appellé symbole  une chose
sensible destinée a en signifier une autre
non sensible, en vertu de quelque analogïe
qu'il peut y avoir entr'elles, ces caracteres
dela ont été aussi appellés symboles, sym=
boles allusifs, allegoriques, et le genre dEcri=
ture qui les a emploiés a recu le nom de
symbolique, comme devant rappeller par
ses figures des objets tout differens de ceux
qu'elle presentoit aux yeux.

PLUS ANCIENNE QUE L'ALPHABETIQUE.

Chès tous les peuples anciens, Egyptiens,
phoeniciens, Ethiopiens, Indiens, Scythes
Etrusques, &c. l'Ecriture figurative sym=
bolique ou allegorique preceda toujours
l'introduction de l'Ecriture Alphabetique.
4 mots biffure. Les monumens
l'attestent et la nature des choses le montre.

Tous C'est un principe incontestable que
tous les arts ont été a leur naissance ïm=
parfaits, et qu'il a fallu toujours beaucoup
de temps pour en amener les operations a
un certain degré de precision et de netteté.

D'apres ce principe, et a en juger par la
diffusion, l'embaras, les bornes et tous les
deffauts de l'Ecriture symbolique, on voit
que celle ci doit etre née bien longtemps avant
<71v> l'Ecriture Alphabetique qui reunit tous les avan=
tages, et dont l'invention suppose de grands pro=
grès dans les arts. Ou est l'homme qui dans les
temps primitifs eut pu concevoir l'idée de retra=
cer les signes vocaux les plus nombreux et les
plus variés, avec un très petit nombre de carac=
teres presentés aux yeux? Non l'esprit humain
ne fait pas dès l'entrée de si grands pas. On au=
ra commancé par emploier des ïmages pour
retracer les objets sensibles et rappeller en même
temps les noms appellatifs qu'on leur avoit assi=
gnés. On s'avisoit peu a peu de fixer par des figu=
res la valeur des noms attribués aux choses
qui ne tombent pas sous les yeux, comme des
qualités, modalités, et lidée vint assès naturel=
lement de les exprimer par des figures d'objets
visibles, d'anïmaux ou l'on observoit que ces
qualités ou modalités etoïent dominantes; par
ou ces figures devinrent les expressions d'objets
generaux et abstraits. Plus les peuples acque=
roïent de connoissances, plus ils furent contraints
d'etendre l'usage de leur Ecriture figurée en la
detournant, par une espece de derivation, a des
significations ideales, qui ne pouvoient avoir
qu'un rapport très éloigné avec les objets visibles;
souvent même ils en faisoient des applications
beaucoup plus detournées encor, et fondées
uniquement sur leurs prejugés; il arrivoit
meme 1 mot biffure frequemment que la même figure servoit
a marquer divers objets qui n'offroient que
peu ou point de rapport entr'eux et avec l'objet
figuré, presenté aux yeux. Mais pour 1 mot biffure donner
quelque idée de cet ancien genre d'Ecriture
et de son imperfection, nous allons 1 mot biffure presenter
quelques echantillons de symboles adoptés
par les anciens peuples, qui passerent du Lan=
gage parlé au Langage ecrit, tirés du corps
humain, des animaux, des choses même
inanimées.

<72> DIVERS SYMBOLES ANCIENS

Ainsi la figure d'un coeur designoit les affec=
tions - les objets de ces affections - le milieu
d'un Pays, ou un pays nouricier de ses voi=
sins. Le symbole de l'Egypte fut un coeur
placé au dessus d'un encensoir, comme
si ce pays eu été au centre du monde et le
nourricier de tous. Par un prejugé semblable
les chïnois ont appellé leur Pays Chum
cad. le milieu, 1 mot biffure a quoi repond aussi le nom
chine, de sin, coeur. 3 mots biffure. Un
coeur suspendu a un gosier signifia aussi
la franchise.

L'oeuil ouvert fut le symbole de l'attention
de la vigilance, de la deffense, de la protection,
de l'observation de la justice.

Une langue et un oeuil, ou une Langue et
une main furent les symboles du discours,
parce que la langue y fait le principal office,
et que le second est rempli ou soit par la main qui
gesticule, soit par l'oeuil qui demele les ob=
jets ou qui les signifie par l'expression de
ses mouvemens.

A la main on associa les idées de puissance
d'action, de protection: a la main droite
avec les doigts etendus, celle d'abondance,
a la gauche fermée, celle d'oeconomie et
d'epargne.

Un homme lancant des fleches representoit
un tumulte, une sedition populaïre.

Un homme mangeant etoit le symbole d'une
heure 2 mots biffure parce qu'on prend ses repas
a des heures reglées.

Un homme a mi-corps tenant une epée nue
exprimoit la cruauté, le caractere impitoiable.

Deux pieds marchant sur les eaux signifioient
l'impossibilité de faire quelque chose.

Un vieillard pâle et livide etoit le Symbole
dela mort; dans la suite, ce fut le Squelette
armé de la faulx qui emporte tout, et du clepsi=
dre image du temps qui detruit tout.

<72v> Le Lion peignoit au sens figuré le courage
la force, la fierté, la vigilance, l'exactitude; au
sens metonymique, le soleil vigoureux d'été,
ame de l'agriculture, la terre qui resiste aux
travaux du Laboureur, la victoire que celui ci
remporte sur elle.

Le Boeuf fut le symbole de l'Agriculture,
la corne celui de la force et de l'abondance.

Les animaux consacrés aux signes du
zodiaques furent aussi vraisemblablement
dans l'origïne des caracteres symboliques rela=
tifs aux divers travaux de l'agriculture qui
se succedent dans les 12 mois.

Le crocodile designa l'impudence et toutes
sortes de mechancetés.

Un serpent replié en cercle fut le symbole
de l'eternité.

Tout oiseau designa la vitesse.

Le Milan toutecequi est promt et subit.

Un Pelican, l'amour paternel, l'imprudence par=
ce que lorsqu'on allume du feu autour de
son nid, il y va bruler ses ailes, et ne peut
plus après cet accident, echapper au chasseur
qui le poursuit.

Un Epervier signifioit Dieu, hauteur, pro=
fondeur, excellence, sang, victoire, ame et
coeur. Ces deux derniers sens etoient la suite
d'une equivoque, parce que le nom de l'epervier
etoit Baieth qui sembloit composé de Bai
ame et eth coeur: ainsi pour exprimer une
ame vigoureuse, et par allusïon au nom, on
emploia 2 mots biffure la figure de l'Epervier.

Un Vautour signifioit mere, vüe, borne,
connoissance de l'avenir, année, ciel, pitié.

La Tourterelle etoit le symbole de l'amour
conjugal.

Un Escarbot signifioit fils unique, naissance,
frere, monde, homme.

La mouche a miel, figuroit un Roi qui doit foin=
dre la douceur a l'aiguillon qui le rend redoutable.

<73> La Mouche ordinaire marquoit l'impudence;
la Fourmi la penetration, la souris la des=
truction, la chauve souris la foiblesse d'un
homme qui entreprend quelque chose au des=
sus de ses forces, parce que cet animal veut
voler sans avoir de veritables ailes.

Deux corneilles peignoient le mariage.

Une grenouille reveilloit l'idée d'avorton,
parce que cet animal n'a pas tous ses mem=
bres devellopés au moment de sa naissance.

Differentes têtes d'animaux caracterisés par
telle qualité ou tel deffaut furent ajustées
au corps humain
, pour marquer qu'un
homme etoit aussi caracterisé par telle qua=
lité ou tel deffaut.

Des figures d'animaux remarquables par
telles qualités, servoient aussi d'expressions
symboliques correspondantes aux noms
adjectifs
qui designoient ces qualités.

Le gout pour les symboles allegoriques fut
porté si loin que les objets sensibles eux mê=
mes furent presentés par quelque caractere
symbolique. Le monde fut representé par
un oeuf, la Lune par la tête d'un Taureau,
ou par un Cynocephale, figure a tête de
de chien.

La même figure
servit a peindre plu=
sieurs objets phy=
siques a la fois;
ainsi l'oeuf fut
le symbole dela
crea monde et
de sa creation, du
mouvement du
soleil dans l'ovale
du zodïaque, de
la generation
des Etres qui en
etoit regardée
comme la suite
naturelle, du
grand principe
premier d'ou
le grand tout
procede; d'ou
vint le respect
religieux pour
l'oeuf chès tous
les anciens peu=
ples, les offran=
des d'oeufs pratti=
quées au comman=
cement de l'année
c.a.d. lequinoxe
du Printemps, dou
sont venus nos
oeufs de Paque.
 

Souvent on melangea plusieurs Symboles
en un seul pour en composer une figure
monstrueuse, un centaure, un Sphinx &c.
qui 1 mot biffure exprimoit une idée Intellectuelle
très compliquée.

1 ligne biffure

ARRANGEMENT DES SYMBOLES.

Chaque Symbole avoit sa signification
a part; mais ordinairement les figures
etoient rangées par ordre sur des lignes pour
exprimer une phrase ou discours suivi:
dans ces cas, le sens de chaque figure, lorsqu'elle
etoit susceptible de diverses significations,
etoit determiné par son rapport avec l'en=
semble, tout comme c'est par l'ensemble d'une
phrase que nous determinons le sens de
<73v> chacun des mots dont elle est composée. Ce
qui donnoit pour cela quelque facilite c'est
que le Langage ecrit avoit été calqué assès
generalement sur le langage parlé, autant
que la chose etoit possible. Dela vient qu'en=
cor aujourdhui la meilleure clef pour l'in=
telligence des monumens seroit la connois=
sance exacte de la valeur des noms qui cor=
respondoient a chaque Symbole et de leurs
diverses acceptions: le même art par lequel
nous decouvrons dans chaque phrase le vrai
sens d'un auteur, serviroit a dechiffrer les
suites les plus nombreuses de caracteres sym=
boliques que les monumens nous offrent.

Ches les Egyptiens les colonnes, les obelisques,
les murs des temples et des palais, les tom=
beaux furent chargés de ces symboles, et
par leur industrieuse disposition onetoit
parvenu a exprimer d'une maniere assès
intelligible ceque l'histoïre, la politique, la
Legislation, la morale pouvoient offrir
d'interessant.

INCONVENIENS DE CETTE ECRITURE

Cette methode Symbolique ouvroit, sans
doute, un champ d'expression beaucoup
plus vaste que la simple Ecriture figurée.

Mais a combien d'inconveniens n'etoit elle
pas necessairement assujetie par l'espace et
le temps qu'elle exigeoit, l'embaras et la lon=
gueur de l'execution, et la difficulté toujours
inseparable de cette methode pour la suivre
exactement et la saisir. Nous voions aussi
par le recueil hieroglyphique de Horapollon
parle V. livre des Stromales, de Clement Ale=
xandrin et quelques autres auteurs, que
les anciens peuples, et surtout les Egyptiens
donnerent dans les plus etranges abus dela
formule Symbolique. Car non content
d'exprimer les choses par des allusions faci=
les a saisir, ils prirent leurs figures dans
des sens tout a fait detournés et eloignés,
qu'on pourroit appeller Enigmatiques. 1 mot biffure

<74> Ces sens etoient puisés, il est vrai, la plupart
dans l'histoire naturelle, mais une histoire
presque toute fabuleuse, fondée sur des
prejugés populaires, et suivant une mau=
vaise methode de deduire les analogies.

Comme ces causes etoient d'une influence
generale sur toute une nation, de tels sens,
quoique peu conformes a la verité, pou=
voient très bien etre saisis de tous, et il fal=
loit bien que cela fut, puisqu'on les em=
ploioit dans les monumens publics destinés
a retracer au peuple des faits connus dont
il importoit de conserver le souvenir.

Cependant pour en conserver l'intelligen=
ce de ces monumens, pendant un certain
long temps, on fut obligé encor d'emploier
le secours de l'instruction, de l'explication
tradditionelle qui servoit a rappeller, d'une
generation al'autre, tous les dïvers sens
qu'on avoit attachés aux caracteres sym=
boliques, selon les occasions ou on les avoit
appliqués.

3 mots biffure Des la il etoit inevitable que ce se=
cours venant tot ou tard a manquer,
l'Ecriture symbolique devïendroit a la fïn inin=
telligible pour le peuple. D'ailleurs a force
de multiplier les Symboles, de les compli=
quer, de les composer d'un assemblage mys=
terieux de choses sans liaison sensible, ou
deleurs proprietes les moins connues, ou des
rapports les plus difficilles a saisir ou a
verifier, l'enigme de ces Tableaux dut
necessairement devenir de jour en jour
plus obscure; et a chaque pas, on se trou=
va embarassé pour demeler si ce qu'on
voioit etoit ou une Ecriture simplement
figurée, appellée curiologique  ouune
Ecriture Symbolique, ou enfin une Ecriture
Enigmatique  plus compliquée encor,
et alaquelle de ces trois formules chaque
figure devoit etre rapportée.

<74v> ECRITURE HIEROGLYPHIQUE

Instruits par l'experience des inconveniens
de l'ancienne Ecriture, les peuples deploierent
ala fin leur ïndustrie pour en simplifier les
formes, en rendre les procedés plus expeditifs,
jusques a ce qu'ils arriverent, comme nous
le dirons cy après, a l'Ecriture Alphabetique,
dont les avantages etoient trop sensibles
pour ne pas leur meriter la preference sur
la precedente, et leur inspirer même, pour
celle ci, un degout qui a la fin s'etendit jusques
a leur en faire oublier les premiers elemens.

Dès que cette Ecriture Alphabetique fut
devenue l'Ecriture vulgaïre, la Symbolique
cessa entierement de l'etre; et les Pretres seuls
s'appliquerent ala conserver en l'emploiant
pour les choses sacrées auxquelles des expres=
sions antiques et mysterieuses ne pouvoient
qu'etre favorables.

Depuis cette revolution, les Symboles furent
appellés Hieroglyphes  c.a.d caracteres sa=
crés, et l'Ecriture Symbolique fut appellée
Hieroglyphique.

Ces Hieroglyphes furent destinés a conser=
ver le souvenir non seulement des objets de
culte, mais encor de ceux d'agriculture,
d'arts et de sciences, de Morale, de Legislation
et de Polïtique. Par la les Pretres devinrent
1 mot biffure les arbitres des choses sacrées, 1 mot biffure les
depositaires de la clef des connoissances, et
de l'instruction publique; ils deciderent même
arbitrairement de tout ce qui devoit etre
3 lettres biffureinscrit sur les monumens pour etre trans=
mis a la posterité. Dès la ils ne manquerent
pas de faire respecter cette Ecriture comme
sacrée, et de se prevaloir de ce respect aveu=
gle pour couvrir d'un voïle imposant les
objets quils ne vouloient pas divulguer,
crainte de les avilir.

<75> Dans les temps ou l'Ecriture Symbolique
etoit encor vulgaire, la difficulté d'exprimer
ses pensées par cette Ecriture, avoit deja
beaucoup exercé le genie des Pretres pour
rechercher dans les proprietés des Etres na=
turels des rapports nouveaux qui pus=
sent fournir de nouveaux Symboles; c'e=
toit même chès eux la plus grande preuve
de penetration que d'avoir pu enrichir
le Langage de quelques formules Symbo=
liques souvent singulieres, et plus diffi=
cilles encor a saisir qu'a ïnventer. Mais
des qu'une fois l'Ecriture Litterale eut fait
abandonner au peuple la Symbolique,
et que celle ci lui fut devenue etrangere, alors
les Pretres furent dans le cas de s'en occuper
plus que jamais et une partie considera=
ble de leur Doctrine fut l'intelligence de
cette ancienne Ecriture. Ils ne la reveloient
même que dans leurs Temples et aux person=
nes de leur ordre; les etrangers en etoient
exclus, et Pytagore, quoique recommandé
par Polycrate Tyran de Samos, eut
beaucoup de peine pour y etre admis.

De cette Ecriture en usage chès les Egyptiens
il ne nous en est resté que 2 mots biffure
1 mot biffure
ce qui se trouve encor sur des obelisques, des simulachres, des
canopes ou vases sacrés, des envellopes de
Momies, et quelques murs des Temples
d'une haute antiquité. Mais il nous est
très difficille d'en apprecier la valeur. L'ex=
plication de l'Ecriture Hieroglyphique
etoit restée entre les mains des Pretres
seuls, qui dans les siecles posterieurs
ne la connurent même plus que par une
traddition considerablement defigurée.

Cette traddition, il est vrai, ne s'est entierement
perdue que lors de l'invasïon des Arabes
en Egypte, mais elle n'est point parvenue
jusques a nous par la faute des anciens
Docteurs Chretiens qui l'ont mal a propos
negligée et meprisée.

<75v> Mais ce ne sont pas les Egyptiens seuls qui
ont fait usage de l'Ecriture Hieroglyphi=
que. Cassiodore pretend qu'ils la tenoïent des
chaldeens: selon d'autres, ils la devoient aux
Ethiopiens; mais n'auroient ils pas pu arriver
a cette methode par eux mêmes? Au rapport
de Diodore, les Ethiopiens avoit deux
sortes de Lettres, les sacrées ou royales, les au=
tres vulgaires. Les Phoeniciens emploioient
aussi pour caracteres des figures d'animaux,
que Philon de Biblos appelle Lettres Ammo=
nienes, parce qu'elles etoient en usage dans
le fameux Temple du Soleil appellé
Ammon. On parle aussi de l'Ecriture sacrée
des Babyloniens. Les Hierophantes, chès
les Grecs, conservoient aussi un caractere
mysterieux, different du vulgaire. Les
caracteres allegoriques ont été 1 mot biffure de même en
usage chès les Scythes, les Thraces; les peu=
ples Septentrionaux, et les Armeniens ont
conservé aussi encor des Lettres figurées très curi=
euses. Suivant clement d'Alexandrie, l'E=
criture Symbolique a été repandue chès
toutes les nations qui n'etoient pas absolu=
ment barbares, quoiqu'elles n'eussent pas de
liaisons les unes avec les autres; ce qui
prouve que cette methode d'Ecriture est
tres naturelle a l'homme et la plus an=
cienne.

Observons que cette Ecriture, dès que l'usage
de l'Ecriture Alphabetique en eut detruit
l'Intelligence parmi le peuple, dut devenir
naturellement une source très feconde
d'erreurs. Les allegories ecrites aïant
passé au Langage parlé sans y etre entendues;
ce qui n'etoit que Symbole fut bientot meta=
morphosé en Etres reels: tout fut personifié,
les parties de la nature, les objets relatifs,
ideaux, moraux; d'ou naquirent les Cosmo=
gonies, les Theogonies, les fables Mythologiques
avec tout le cortege du Paganisme.

<76> ECRITURE EXPEDITIVE

Les embaras de l'Ecriture figurée et Sym=
bolique, font presumer que pendant qu'on
n'en connut point d'autre, on n'ecrivoit
que rarement, pour des objets ïmportans,
et d'ordinaire sur des matieres dures ou
la gravure etoit fort peinible. Mais quand
la multiplicité des objets eut mis les hom=
mes dans la necessité d'ecrire plus souvent
alors ils se virent comme forcés d'abreger
les Symboles, et de les reduire a des traits
beaucoup moïns nombreux. Ainsi au
lieu de dessiner les figures en plein, on se
borna a en tracer les contours avec la
plus grande abbreviation que possible.

Par cette methode, on introduisit une es=
pece d'Ecriture expeditive , ou courante
dont l'usage fut trouvé si commode qu'on
chercha a en simplifïer toujours de plus
en plus les esquisses. Mais parla les pein=
tures devinrent si tronquées qu'elles ne
conserverent presque plus de ressemblance
avec l'objet qu'elles devoient representer dans
l'origine: on peut en juger par la reduc=
tion des figures des 12 signes du zodia=
que. Les Ecrivains ïnstruits saisisserent
toujours bien a la vüe le sens de chaque
figure reduite, et cela pouvoit leur suf=
fire, comme il suffit encor aux chinoïs
pour lire leur ecriture, qui s'est conservée
sur cet ancien plan figuré.

Ces croquis de figures devinrent comme
autant de Clefs qui retracoient aux yeux
exercés des objets correspondant a des
noms dans le Langage parlé. Avec le temps,
on ajouta entre ces figures certains traits
legers, dïsposés d'une certaine maniere,
pour exprimer des idées relatives ou abstrai=
tes qui ne pouvoient l'etre par la figure
d'aucun objet sensible.

Cette methode preferable aux precedentes
pour la facilité et l'expedition, offroit
<76v> neanmoins encor de grands embaras quelle
tenoit toujours de son origine, et de la neces=
sité ou elle mettoit d'emploier un très grand
nombre de caracteres, pour suffire a la
multitude d'objets qu'on avoit a examiner.

ECRITURE CHINOISE.

Malgré cela elle ne laissa pas de se conser=
ver longtemps, et elle s'est même maïntenue
dans l'usage vulgaire, chès des peuples très
policés, tels que les chinois, qui peignent
encor aux yeux les objets même dela pensée,
par l'emploi d'un certain nombre de figures
radicales, appellées clefs, dont ils modi=
fient chacune par des varietés sans nom=
bre pour en faire autant de signes divers
correspondans a aux objets de leurs diverses pensées.

La plus ancienne Ecriture chinoise
fut une Ecriture representative des ob=
jets même; mais leurs figures furent aussi
emploiées de bonne heure comme symboles.

A côté de cela, ils eurent aussi l'usage des
cordelettes nouées, et Fohi, diton, y subs=
titua des caracteres ecrits formés par la
combïnaison de plusieurs lignes droites
et parallelles, les unes entieres, les autres
brisées, pour representer les noeuds: de la
l'Ecriture appellée Kova, dans laquelle
fut ecrit le livre appellé I-King, dont
l'intelligence est perdue.

Suivant les Chinois, leurs caracteres an=
ciens exprimoient la nature même des
choses, et ils la determinoient en marquant
1 mot biffure les rapports de certaines choses avec
d'autres mieux connues; cette Ecriture
fut tout a la fois curiologique et Sym=
bolique, mais toujours etablie sur un
fondement Physique.

On s'appliqua de très bonne heure a abre=
ger les figures, et a la fin tout fut reduit
a des traits grossiers ou les objets peints ne
sont plus reconnoissables. Ainsi a l'Ecriture
<77> primitive pittoresque succeda celle qui don=
na les caracteres degenerés queles chinois
ont appellée Tschoangtée. Ils chercherent
dès lors a etendre et perfectioner celle ci, et 12
siecles avant nôtre Ere, elle avoit deja eté,
disent ils, portée au plus haut point de devel=
lopement. En variant la methode de
reduction, ils ont même introduit l'usage
de 3 sortes d'Ecritures abregées qu'ils em=
ploient dans l'impression et dans les ecrits
d'expedition courante.

Les 80000 caracteres qui forment le corps
entier de l'Ecriture chinoise sont tous com=
posés des Clefs sïmples qui, par leur reunion
diversifiée, 1 mot biffure devinrent autant de Tableaux
correspondant a des idées composées. Dans
ces combinaisons, il y a une analogie
qui en fait deviner le resultat parla con=
noissance qu'on a des traits simples, et
cette analogie correspond a l'analogie
de derivation et de composition de nos
mots, qui en applanit lintelligence pour
ceux qui connoissent la valeur des monos=
syllabes primitifs, lesquels ont ceci de
commun avec les clefs chinoises, qu'ils
ne sont pas en bien grand nombre, et
qu'ils correspondent comme celles ci, au
petit nombre d'idées simples qui ont occu=
pé les hommes, et qu'ils ont donné naissan=
ce a des familles inombrables.

On ne comte que 214 clefs chinoises pri=
mitives independantes, dont chacune a sa
signification determinée et separée:
on 1 mot biffure croit même quelles pourroient
etre reduites a un plus petit nombre, 1 mot biffure si
1 mot biffure on n'y faisoit entrer que celles qui sont
vraiment elementaires.

Pour se former une idée de l'Ecriture Chi=
noise il faut concevoir

1° que les caracteres y sont les signes immed=
diat des idees ou objets, et nullement des mots
<77v> 2 mots biffure du Langage parlé correspondant
a ces objets, et qu'ainsi c'est une Ecriture
reelle
et non verbale.

2° qu'il n'y a dès la aucun rapport institué
entre
les caracteres et les sons, et que pendant
que chès nous B. et A prononcés ensemble
donnent le son BA, chès les chinois, deux
traits a chacun desquels, lorsqu'on voudra
les lire, correspondra tel et tel son de la
Langue parlée, si on veut les reunir, pour
les prononcer ensemble, seront rendus
par un son, qui n'aura rien de commun
avec les precedens.

3 Qu'ainsi les diverses nations dela Chine
qui se servent des mêmes caracteres, lors=
qu'il s'agit de les lire, les prononcent toutes
avec differens sons particuliers et propres
au dialecte de chacune, en y attachant
neanmoins toutes le même sens qu'on y atta=
ché en les ecrivant, en sorte que toutes com=
prennent egalement bien la même Ecriture
sans que l'une entende rien a la lecture
qu'en fait l'autre, comme cela pourroit
avoir lieu parmi les Europeens par rap=
port aux caracteres numeraux.

Les chïnois distinguent dans leur Ecriture
six manieres de peindre
.

par image, ou peinture imitative des objets
naturels; s'il y a plusieurs repetitions l'une
a côté de l'autre cela exprime collection; deux
arbres signifient un bosquet, trois une foret.

2 par indication, ou apposition tantot d'une image
a côté de celle de quelque objet pour signifier
ce qu'on en veut dire; ainsi une bouche a
côté d'un chien exprime l'aboiement; tantot
d'un symbole a côté d'une 2 mots biffure image;
ainsi le Symbole joie avec l'image de bouche,
signifie rire; tantot d'un Symbole a côté d'un
autre Symbole: ainsi le Symbole peu a côté
de force, exprime foiblesse.

<78>par jonction ou reunion de deux carac=
teres pour exprimer ce quils ne signifient
ni l'un ni l'autre: ainsi le caractere expri=
mant cequi est petit, placé au dessus de
celui qui exprime ce qui est grand, indique
un objet pyramidal.

4 par explication de son: ainsi si le carac=
tere sïmple d'un son a côté d'une figure
sert a caracteriser l'objet par le son qu'il
rend.

par metaphore c.a.d. l'emploi d'un ca=
ractere detourné a un sens tout different
de son sens naturel, un sens allegorique, ironique &c.

6 par devellopement qui consiste a etendre
le sens primitif d'un caractere, pour en faire
un verbe, un adverbe &c.

Les chinois ne se sont servi comme les
Egyptiens, de figures dessinées d'une maniere
franche, que dans les grands monumens
ou l'espace et le loisir ne leur manquoient pas,
et ils ont emploié la reduction et le rappetissement
des figures dans les autres cas. C'est cette
reduction qui souvent a rendu les Hieroglyphes si
difficilles a reconnoitre pour les modernes, et
leur a fait prendre 4 mots biffure
pour Hieroglyphes differens des carac=
teres qui n'etoient que des nuances du même;
ce qui les a conduit a en grossir si prodigi=
eusement la liste.

CONCLUSION.

Ainsi l'ecriture, comme la parole, ne fut dans
sa premiere origine qu'une peinture imi=
tative des objets. Les premiers caracteres
simples, furent pris dans la nature et cor=
respondirent, non aux mots primitifs, mais
aux objets exprimés par ces mots. L'Ecriture
primitive fut calquée sur les procedés
suivis pour la formation du Langage;
ses caracteres comme les mots furent pris
au sens propre et au figure, et les caracteres
<78v> radicaux furent aussi emploiés a l'expres=
sion des diverses parties du discours, selon
les occurences. A mesure que l'usage
de l'Ecriture se repandit, les figures eprou=
verent des degradations par lesquelles les
premieres formes ne purent plus etre
reconnues qu'au moien d'une compa=
raison suivie entre les caracteres des
differens ages. C'a été enfin la marche
que l'Ecriture a suivie chès tous les peu=
ples qui ont été assès civilisés pour en
faire un usage habituel et commun,
autant de resultats de ce qui a été dit, et
des plus importans pour remonter a l'ori=
gine de l'Ecriture Litterale et Alphabe=
tique.

<79> CHAPITRE XII.
De l'Ecriture Litterale ou Alphabetique

INSUFFISANCE DES ECRITURES ANCIEN=
NES FIGUREES.

L'ancienne Ecriture figurée etoit absolu=
ment insuffisante des qu'il s'agissoit de
peïndre des actions compliquées, des objets
combinés, melangés, des changemens suc=
cessifs de qualités et de rapports, mais sur=
tout d'exprimer les notions generales et
les operations de l'ame humaine. Elle
n'avoit qu'une liaison indirecte avec le
Langage parlé pour en rappeller les mots,
et sa lecture dès la ne pouvoit etre que très
difficille. Elle demandoit autant de
peïntures que d'objets et ne pouvoit qu'of=
frir trop d'embaras pour etre appliquée a
tous les besoins de la vie humaine, sur=
tout chès les peuples policés. Les connois=
sances s'etant progressivement etendues,
il fallut encor multiplier sans cesse les
mots et les caracteres figurés, et quelque
soïn qu'on prit de faire servir le même
1 mot biffure caractere a designer diverses choses, il n'en
etoit pas moins necessaire de les multi=
plïer et varier encor selon toute la di=
versité des modifications ideales. Et de
la devoit necessairement resulter le
plus grand embaras ainsi que la plus
grande confusion dans toute la marche
Intellectuelle et Grammaticale, et une
source intarissable d'ecarts en tout
genres, qui ne pouvoitent qu'eloigner les
hommes du chemin de la verité.

ECRITURE LITTERALE.

De si grands inconveniens firent penser
a la recherche de quelque methode moins
embarassante, et d'un usage plus etendu,
et enfin après bien des tentatives, on com=
prit que rien ne seroit plus commode
qu'une Ecriture liée immediatement
avec le Langage parlé
, et qui seroit
<79v> la representation des sons même prononcés.

On comprit encor que comme les sons vocaux
dont tous les mots sont composés, etoient en
fort petit nombre, on pourroit representer
ces elemens même par un nombre egal de
caracteres litteraux dont la combinaison
portant aux yeux tous les divers mots que
la voix articulée porte aux oreilles, rappel=
leroit en même temps a l'Esprit les idées ou les
objets même exprimés par ces mots, mais
d'une maniere ïnfiniment plus aisée et plus
promte que cela n'eut jamais été fait par
des dessins figurés. Comment eneffet ima=
giner une methode moins embarassée et
d'un usage plus etendu? d'autant plus admi=
rable que par son moien on peut parler
non seulement aux yeux, mais même
encor aux oreilles, par une lecture rapi=
de, en prononcant sur le champ le son
articulé, rappellé par chaque mot ecrit,
invention sublime, parlaquelle l'homme
est parvenu a reunir en un seul point,
deux choses naturellement très disparates,
l'ecriture qu'on voit et la 1 mot biffure parole qu'on en=
tend.

NEE PROGRESSIVEMENT.

Il seroit difficille de comprendre comment
les hommes auroient pu renoncer tout a
coup a leur ancienne methode d'ecriture
puisée dans la nature elle même, pour lui
en substituer une nouvelle litterale, si celle
ci n'etoit qu'une methode d'institution ar=
bitraire, conventionelle, et subitement in=
ventée par quelque particulier. Qui igno=
re que les hommes demeurent toujours
fort attachés a leurs anciens usages,
qu'ils ne peuvent en changer qu'a la lon=
gue, qu'il est très difficille d'introduire
chès les peuples de nouvelles methodes,
pour les choses même qu'on est appelle a
reiterer sans cesse, et lors même qu'on de=
demontre <80> clairement leur grande supe=
riorité a tous egards sur toutes les metho=
des reçues. Les Chinois n'en fournissentils
pas une preuve bien marquée dans la
preference qu'ils donnent encor a leur Ecri=
ture, dont ils sentent bien les embaras, sur
lEcriture des Europeens, dont ils connoissent
bien tous les avantages.

L'introduction de l'Ecriture Alphabetique
ne peut absolument s'expliquer que par
deux faits generaux incontestables. Le pre=
mier, c'est que tous les peuples anciens ont
commancé par l'Ecriture figurée. Le 2e
c'est que les caracteres Alphabetiques n'ont
ete dans leur premiere origine que des
caracteres choisis et pris parmi les carac=
teres figurés. D'ou il suit que l'Ecriture
Litterale nacquit
originairement de la
figurée, non par un saut promte et brus=
que, mais par une suïte de changemens
qui s'introduisirent dans l'Ecriture primitive,
et
qui produisirent deux effets generaux, ou
nous trouverons la difference essentielle de
l'Ecriture Litterale par rapport a la figurée.

CARACTERES DISTINCTIFS DE L'ECRITURE
LITTERALE.

Le premier effet fut la reduction des anciens
caracteres au plus petit nombre possible
, et
l'art de les combiner en tout sens. Les chinois
ne purent porter la reduction qu'a 214 clefs.

Les autres nations sont parvenues a redui=
re tout a une 20e de caracteres; ce qui a
rendu leur Ecriture d'une execution aisée
et rapide, et a rapproché le nombre des
Elemens ecrits de celui des Elemens vocaux

auxquels ils devoient correspondre.

Le 2e effet general, et qui a decidé le passa=
ge a l'Ecriture litterale, a été l'habitude quon
a prise d'associer chaque figure qui servoit
d'image pour representer l'objet, avec le son
vocal
qui correspondoit aussi au meme objet
en telle sorte que cette figure, en rappellant
<80v> l'objet ne pouvoit, par une suite de l'associa=
tion, que rappeller le son même, tout comme
le son a son tour, en rappellant l'objet, ne
pouvoit aussi que rappeller le caractere.

C'a été cette association mutuelle de la
figure avec le son par l'entremise de l'objet
,
qui a servi de fondement a l'Ecriture Lit=
terale ou chaque caractere correspond
a un son primitif qui etoit originaire=
ment le signe d'un objet; et c'est la cequi
en fait le caractere propre et essentiel qui
la distingue daujourdhui de l'Ecriture
chinoise dont les caracteres n'ont rien de
commun avec les sons.

Ainsi par ex; le son O fut originairement
le signe vocal de l'admiration, de la joie,
de la lumiere qui inspire l'une et l'autre,
du Soleil d'ou elle vient, de l'oeuil qui la recoit.

Le caractere 1 mot tache O servit a representer
l'oeuil, le soleil; que dut il arriver natu=
rellement de la? c'est que chaque fois qu'on
prononcoit O on se rappelloit l'oeuil ou
le soleil; chaque fois qu'on voioit le caracte=
re O on se rappelloit le même objet, et
dela on fut conduit, par cette association,
chaque fois qu'on prononcoit le 1 mot tache son, a se
rappeller le caractere, et 1 mot biffure chaque fois qu'on
voioit celui ci, a se rappeller du son, et il en resul=
ta une liaison permanente de l'une avec
l'autre de ces Elemens, lun prononcé et l'autre
ecrit. Il en fut de meme de tous les autres.
Telle fut l'origine de l'Ecriture Alphabetique.

ECRITURE SYLLABIQUE

Certains peuples s'aviserent de conserver
autant de caracteres primitifs qu'il en
falloit pour exprimer tout a la fois dans
chaque cas et le son vocal et la consonne
associée, pensant peut etre que cette unité
de caractere donnoit plus de facilité
<81> pour trouver les Elemens qui se corres=
pondent l'un a l'autre. Cette Ecriture com=
posée d'autant de caracteres que ces nations
ont de combinaisons usitées d'articulations
et de voielles et ou chaque caractere est le
signe d'une Syllabe, a été appellée Syllabi=
que. Tell'est l'Ecriture des Tartares, des
Ethiopiens, des Siamois et de quelques
autres peuples de l'Inde.

Il est evident que cette methode ne differre
dela Litterale que parla multiplicité des
caracteres qu'elle exige, car pour en avoir
le nombre, il faut multiplier chaque conson=
ne par le nombre des voielles qu'elle fait son=
ner, et celui des voielles par celui des con=
sonnes que chaque voielle peut appeller après
elle, ce qui monte aun nombre très conside=
rable; d'ou il suit que cette methode ne fait
que multiplier très inutilement les caracteres,
fatiguer la memoire, jetter de la confusion
dans l'Ecriture et même dans l'Esprit.

ECRITURE CONSONIQUE

Quelques nations ont preferé de neglier
dans l'Ecriture les voielles comme pouvant
etre facilement suppléés, et en se bornant
aux caracteres consoniques, n'ont emploié
qu'un seul caractere pour chaque Syllabe.
Mais chacun sent combien cette Ecriture
pouvoir avoir d'inconveniens.

ECRITURE ORGANIQUE

La plupart des peuples ont etabli des
caracteres separés pour chacune des voiel=
les et des consonnes, et se sont mis en etat
par le moien de combïnaisons variées a
l'infini, d'exprïmer avec autant de facilité
que de precision, toutes les Syllabes et tous
les mots. Les mêmes traits etant emploies
et repetés par tout ïndifferemment, il n'en
faut qu'un petit nombre pour ecrire une
infinité de mots
, et exprimer en peu de temps,
dans un petit espace, une infinité didées avec
toutes leurs modifications et leurs nuances.

<81v> Ces caracteres detachés ont été aussi appel=
lés organiques parce qu'ils correspondent a
tous les sons organiques. L'Ecriture qui
les emploie a été aussi appellée organique
et Alphabetique, de Alpha, Beta qui
chès les Grecs furent les noms des deux pre=
miers caracteres indiqués dans leur liste
appellée Alphabet. Et parce qu'ils avoient été
substitués aux grands caracteres Symbo=
liques. Les Romains les appellerent litterae,
lettres  1 ligne biffure ou petits caracteres;
1 ligne biffure
1 mot biffure
d'ou vient que l'cette Ecriture a été appellée
aussi Litterale.

OBSERVATIONS

Tel a été le devellopement successif de l'art
d'ecrire
, depuis son commancement le plus
grossier, jusques au point de perfection ou
il s'est fixé; art qui a tant ïnflué sur le
systheme de la derivation, sur les progrès du
Langage et ceux de l'Esprit humain. Sa
gradation a été assès analogue a celle
du Langage parlé; en voici l'echelle,

peintures ou images ïsolées;

peintures suivies, ïn rebus;

caracteres symboliques, Hieroglyphiques;

Traits reduits ou Clefs;

caracteres significatifs des Syllabes;

Lettres detachées, organiques, repondant
a chaque son primitif; Alphabetiques;
1 mot biffure ou EcriturePatagone, 2° Mexicaine,
Egyptienne, 4 Chinoise, 5 Siamoise,
Europeene, ou Litt Alphabetique.

Deces 6 ordres, les deux premiers se rapportent
aux objets exterieurs, les deux suivans, aux
idées interieures, les deux derniers, aux sons
et organes vocaux.

Les 4 premiers appartiennent a l'ecriture fi=
gurée qui indïquent ce qu'il faut penser; les
deux derniers au genre d'ecriture organique
qui indiquent ce qu'il faut prononcer. Le
premier de ces genres, emploie la vüe des objets
<82> pour en rappeller le nom, l'autre fixe la vüe
sur le nom des objets pour en reveiller l'idée.

Ces 6 formules d'Ecriture peuvent se reduire a trois,
la figurée, la Symbolique et la litterale.

La figurée ne repond a la pensée que parle
sens exterieur, et ne suffit qu'a lhomme dont
la perception est bornée aux objets sensibles.

Dès que lhomme veut communiquer des
idées non sensibles, il faut qu'il recourt a
la peinture de l'objet qui les a fait naitre ou
de quelque objet analogue: voila l'Ecritu=
re Symbolique qui repond a la pensée
par le sens interieur. Dès que L'homme ne
peutil plus etablir de rapport entre l'idée
non sensible, et quelque quelque objet exterieur
ou veut il melanger ses perceptions et les
combiner, alors il lui faut une Ecriture
repondant a la pensée reflechie et aux
mots qui l'expriment, une Ecriture litterale.

De la diversité des Ecritures on a pu aussi
tirer un caractere distinctif des Langues
entr'elles; les unes, dont l'Ecriture n'est
faite que pour la vüe, les autres dont les
caracteres peuvent par la lecture etre de=
ferés au sens de l'oreille. Chacune se
ressent encor de son institution originelle,
et en examinant la fabrication de ses
mots, on peut demeler si l'usage du peu=
ple qui l'a introduite, deferoit plus ala
voix qui peïnt les objets a l'oreille, ou
a la main qui en retrace les images
aux yeux.

ORIGINE DE L'ECRITURE ALPHABETIQUE

Nous appellons l'ecriture proprement dite l'art de tracer
les Lettres et les assembler pour en former
des mots et les presenter a l'oeuil d'une
maniere claire et nette, exacte et facile
a saisir. Nous avons supposé que les
Elemens de cet art ont été puisés dans la
nature: mais on nous objecte que l'Ecri=
ture a varié prodigieusement chès les di=
vers peuples, et que cet art n'a été et n'est
<82v> encor connu que de quelques uns, pendant
que tous sans exception font usage de la pa=
role. A cela nous opposons la grande confor=
mité qu'on decouvre entre les Alphabets des
diverses Langues
, lorsqu'on les rapproche et
les compare, en les rapportant a un Alpha=
bet qui tienne le milieu entre les plus anciens
et les plus recens, comme a un terme moien.

Nous ajoutons que l'art de l'Ecriture Littera=
le a du naturellement demeurer inconnue
a des peuples qui n'en avoient nul besoin

tels que les Tribus errantes, qui ne vivent
que de chasse, et de pêche et de proie, qui
s'inquietent aussi peu de l'avenir que du
passé, qui ne s'occupent ni d'arts ni de
sciences, et qui n'ont pas même d'objets de
proprieté a mettre en regle d'une maniere
fixe et durable.

Voulons nous remonter aux premieres ori=
gïnes de cet art, cherchons les chès les peu=
ples qui les premiers ont du en sentir l'indis=
pensable necessité, les peuples civilisés, les
natïons agricoles ou commercantes, atta=
chées a un sol, formées en Societés regu=
lieres, pourvues de ressources assurées, et
avides de multiplier leurs objets de proprieté
et de jouissance. La les proprietaires appellés
a soumettre au calcul diverses combinaisons
d'interets, a former des plans de culture,
d'oeconomie, de trafic, a tenir un comte
exact de leurs operations, de leur depense et
de leur recette, engagés d'ailleurs dans une
multitude d'affaires de detail relatives a leur
existence civile, autant d'objets qui deman=
doient a etre enregistrés d'une maniere beau=
coup plus exacte et sure quils n'eussent jamais
pu l'etre dans la memoïre, La, disje, 1 mot biffure les
hommes ont du etre comme necessités d'in=
venter, ou de recevoir d'ailleurs, une Ecriture
aisée
et expeditive, qui les mit a portée de
prendre promtement en note, et de se rappeller
<83> sans effort, tous les objets qui pouvoient les
interesser. Dela vïent que l'Ecriture litterale,
dès les temps les plus anciens, fut repandue
chès les Chaldeens, les Phoeniciens, les Egyp=
tiens; 1 mot biffure et de la ensuite chès les autres peu=
ples, a mesure qu'ils se policerent par l'agri=
culture, le commerce et les arts. Dela vient
aussi que les Egyptiens associerent toujours
a l'invention de lEcriture celle de 2 mots biffure
l'Agriculture et celle de l'Astronomie,
qui fut souvent confondue avec lEcriture
parce qu'elle consistoit aussi en certains
caracteres ou signes qui peignoient les
cieux comme lEcriture peint la parole;
c'est pour cela que Thaut fut celebré
comme inventeur de l'Ecriture et du Calen=
drier, deux choses regardées comme in=
timement liées entr'elles.

USAGES. MATERIAUX. INSTRUMENS
DE L'ECRITURE

Nee d'abord du besoïn de suppléer au Langage
parlé; l'Ecriture fut aussi appliquée bientot
a divers usages, pour rendre la pensée
comme presente et sensible a ceux a qui
la distance des lieux ou des temps ne per=
mettoient pas de voir et d'entendre ceux
qui en avoient eté les premiers auteurs.

Dès les temps les plus anciens les hommes
avoient compris la necessité de transmettre
ala posterité le souvenir des evenemens im
=
portans, et de 1 mot biffure destiner a cela cer=
tains monumens  assès durables pour pas=
ser a une longue suite de generations; un
boïs planté, un autel dressé, un monceau
de pierres elevé, un nom donné a un lieu,
une fête etablie pour rappeller et celebrer un
fait, tels furent les premiers moiens consa=
crés a l'ïnstruction de la posterité.

Tout ce qui ne pouvoit etre ainsi exprimé
etoit reduit en poësies, qu'on faisoit appren=
dre par coeur aux enfans, en leur recomman=
dant d'en faire de meme par rapport a
leurs descendans.

<83v> L'instruction tradditionelle venoit au
secours pour en apprendre la valeur et le
sens, et le detail des faits auxquels ils avoient
rapport.

Tout cela se retrouve encor chès les peuples
sauvages de lancien et du nouveau continent.

Dans les premiers temps, ou la succession des
generations etoit plus lente, les Socïetés moins
policées, les monumens et la traddition des
pouvoient suffire pour l'instruction des gene=
rations successives. Mais les circonstances
aiant changé, les evenemens s'etant aussi
multipliés 1 mot biffure ainsi que les decouvertes et les connois=
sances acquises, les hommes sentirent la
necessité de recourir a quelque moien
independant de la parole, dont l'influence
est passagere et fugitive, pour donner a leurs
idées et a leurs expressions de la permanence,
par certains signes aussi distinctifs que du=
rables, qui, arrangés en forme de Tableau,
pussent les rendre sensibles aux yeux, les
4 mots biffure
et les transmettre
d'une generation a l'autre.

On emploia a cet usage important l'Ecri=
ture, premierement la figurée, ensuite la
Symbolique, enfin la Litterale. Les traits de
cette Ecriture furent appellés caracteres,
parce qu'ils furent gravés d'abord avec
un instrument pointu, sur quelque ma=
tiere dure, a l'epreuve de l'influence des=
tructïve de l'air et du temps.

Les premieres matieres sur lesquelles on grava
ces suites de caracteres appellées inscriptions,
furent les rochers, des blocs, des pierres lar=
ges et polies, comme les Tables de Moisse, des
colonnes elevées, seuls monumens qui furent
en usage pendant longtemps dans la Phoenicie,
en Egypte, chès les Hebreux, même chès les Grecs
et les Romains. C'est ainsi que les Grecs dresse=
rent des colonnes dans la citadelle d'Athenes
avec des colonnes inscriptions, pour retracer la
memoire de l'expulsion des Tyrans, de ceux qui
furent tués aux Termopyles &c. Les

<84> Les Romains en firent de même a l'egard
des vainqueurs et des bienfaiteurs de la
Patrie.

A la pierre, les Babyloniens substituerent
souvent la brique, mais on trouva genera=
lement plus commode l'usage des metaux
ou la gravure etoit 1 mot biffure plus facile, le plomb
le cuivre, l'aïrain, et même celle du bois.

Ainsi les peuples parvïnrent a graver sur
ces matieres, les ceremonies sacrées, les princi=
pes des sciences, les Loix, les guerres, les trai=
tés, l'histoire de la Patrie, et tous les faits me=
morables. Dans ces derniers temps on a trou=
vé grand nombre de ces inscriptions ancien=
nes très lisibles pour les Savans.

A mesure que le besoin d'ecrire devïnt plus
frequent, et même indispensable pour les
affaires des particuliers, il fallut recourir
a des matieres plus commodes a manier et
a transporter d'un lieu a l'autre. On emploia
des tablettes; on en fit de metal: du temps
de Job on ecrivoit sur des lames de plomb
avec un style de fer: on en fit aussi de cuivre
et même de corne. Ensuite on imagina
des tablettes minces de bois enduites de cire
ou l'on ecrivoit avec un poinçon.

On substitua a cela des feuilles de certai=
nes plantes, comme celle du palmier,
mais surtout l'ecorce ïnterieure de cer=
tains arbres, comme l'ormeau, le tilleul
&c ainsi qu'il est encor d'usage chès les
Tartares, Calmoucks; mais principalement
l'ecorce du Papyrus, espece de roseau qu'on
trouvoit sur les bords du Nil, laquelle
renduite par l'eau bourbeuse du fleuve,
etoit plus propre a cet usage qu'aucune
autre. Cette ecorce appellée aussi papyrus
etoit plus ou moïns fïne; les Romains en di=
tinguoïent les qualités par des noms de fa=
milles: ce papier d'Egypte 3 mots biffure
presentoit deux couches de fibres croisées l'une sur l'autre,
comme on le voit par un MSC. conservé a
l'abaye de S. Germain des pres.

<84v> Pour ecrire sur ces matieres tendres, on em=
ploia pour style des roseaux taillés en façon
de plumes, que les Romains appelloient
calamos .

La deffense que firent les Ptolomées d'expor=
ter le papyrus, fit naitre en Pergame l'idée
d'y substituer des bandes de peau, surtout
de peau de bouc et de mouton, 1 mot biffure ingeni=
seuement megïsée pour cet usage, et cette
matiere fut dela appellée Pergamenum
parchemin. On presume cependant que
l'usage en etoit plus ancien, puisque, selon
Josephe, les livres sacrés des Hebreux, au
temps de Ptolomée Philadelphe, etoient
ecrits en parchemin, et que Diodore de Sicile
atteste que les anciens Perses ecrivoient
leurs annales sur des peaux.

A cette invention on joignit celle de la
peinture avec des liqueurs colorées qu'on
pouvoit appliquer au parchemin, ou avec
le pïnceau, ou avec le calamus. On peut
rapporter ici la premiere origine de l'en=
chre  appellé atramentum  chès les Ro=
maïns.

L'idée vint ensuite de faire usage de la toile,
et même du tissu de la soie, pour comme font les chi=
nois qui ecrivent sur du papier de Soie avec
le pinceau. on fit en orient dès le IX siecle
du papier de coton; on trouve dans plusieurs
villes d'Italie des chartes ecrites sur ce papier
la, entr'autres un MSC. conservé dans la
Bibliotheque de Venïse.

Les Europeens n'eurent d'autres matieres que
celles dont je viens de parler jusques aux
XIII siecle environ, ou on conçut la belle
idee de faire servir tous les chiffons de
<85> toile et d'etoffe, en les preparant par la tritura=
tion, pour en composer une matiere moïns
dispendieuse et beaucoup plus commode,
a laquelle on a transporté l'ancien nom de
papyrus, papier. On parle d'un MSC.
ecrit sur ce papier a la date de 1239.
signé Adolphe Comte de Schaumbourg.

En France on ne trouve aucune charte
ecrite sur ce papier avant 1330: L'usage
n'en est même devenu commun que
depuis trois siecle 1 mot biffure. Celui des plumes
qu'on a trouvé de beaucoup preferable
au roseau pour la delicatesse des traits,
doit etre plus ancien.

Dans le temps qu'on ecrivoit sur l'ecorce
appellée Liber , les matieres sur lesquelles
on avoit ecrit etoient appellées aussi Libri,
d'ou nous avons fait Livre: mot qu'on a
continué d'appliquer au parchemin et
au papier ecrit, et meme a ce qui est ecrit,
et a l'ouvrage Intellectuel.

Quand on avoit beaucoup a ecrire on
cousoit les bandes 1 mot biffure de par=
chemin les uns au bout des autres, selon
l'ordre de l'Ecriture, et les livres ainsi com=
posés se rouloient autour d'un baton,
ou cilindre de bois, qu'on nommoit umbi=
licus, lequel servoit comme de centre
au rouleau: le côté exterieur des feuilles
sappelloit frons, les extremités du baton
corruca, le rouleau volumen (a
volvendo
) ce que nous avons transporté
a la forme de nos livres que nous appellons
volume , quoiquils soient d'une forme bien
differente.

<85v> UTILITES DE L'ART.

L'art de l'Ecriture a été de la plus grande utilité
a toutes les nations civilisées, qui lui doivent
en grande partie leur superiorité sur les autres.

Si l'Ecriture ne peut pas peindre la pensée avec
tous les charmes que lui donne la parole, ni
avec toutes ces circonstances du moment qui
rendent le discours animé et interessant pour
ceux qui l'ecoutent, d'un autre côté, elle met
les signes de la pensée sous les yeux, elle donne
au lecteur toute la liberté et le temps de la bien
saisir sous toutes ses faces, pour en bien exa=
miner le vraï ou le faux, le fort ou le foible, et
pour reduire tout a sa juste valeur: d'ailleurs
c'est elle seule qui a pu transmettre avec exac=
titude les observations, les decouvertes, les eve=
nemens a une suite de generations, et commu=
niquer la lumiere de proche en proche, de
nation a nation, pour etendre et perfectioner
toutes les connoissances humaines.

INCONVENIENS

La prattique de cet art est 1 mot biffure cependant
embarassante, longue et dispendieuse, et
pendant bien des siecles on n'en a pas tiré tout
le parti qu'il sembloit devoir offrir. Rarement
l'emploioit on dans les Tribunaux, et quant
aux ecrits qui avoient pour objet les sciences
et les arts, la lenteur de l'expedition ne permettoit
pas d'en tirer beaucoup de copies et le prix
de ces manuscrits etoit si considerable que peu
de personnes pouvoient s'en procurer un
petit assortiment. Les Bibliotheques etoient
très rares: avant Charlemagne, l'Europe
possedoit un très petit nombre de Livres:
elle etoit encor en disette au commancement
du XV siecle, pendant que les Arabes en
etoient bien pourvus depuis le VIII. Tout
cela a beaucoup retardé les progrès des sciences
et des arts qui dependent principalement de
quelque moien sur, aisé, et peu dispendieux
<86> de transmettre les decouvertes et les connoissan=
ces d'une generation a l'autre, d'une nation a
toutes les nations voisines
.

IMPRIMERIE

Tel est le moien qu'a fourni l'imprimerie a
l'aide de laquelle on a pu en peu de temps et avec
des fraix modiques, executer des milliers de 1 mot biffure
copies d'un même ecrit toutes parfaitement ressem=
blantes entr'elles, et exemptes de ces fautes sans
nombre qui echappoient dela main des copis=
tes, a chaque exemplaire qu'ils etoient appellés
a transcrire. Les anciens n'avoient ce semble
qu'un pas a faire pour decouvrir le Secret
de cet art merveilleux, puisqu'ils savoient très
bïen graver des caracteres sur le metal, et
qu'ils faisoient grand usage des cachets. Les
chinois depuis bïen des siecles ont su graver
sur du bois des caracteres en relief et après les
avoir enduit d'enchre, les appliquer sur du
papier ou de la toile: c'etoit la une façon d'im=
primerie, mais d'un usage peu commode.

Tous les arts etoient encor dans l'enfance
chès les Europeens au XV siecle, entr'autres
le dessin et la gravure, et neanmoins, ils se sont
1 mot biffure elevés alidée sublïme de l'imprimerie
vers l'an 1440.

On ne convient point encor ni ou, ni par qui
ni quelle année, cette decouverte a été faite;
cequi est certain, c'est qu'avant 1440 il
n'existoit aucun livre imprimé. On croit que
les premiers essais parurent cette année la
a 1 mot biffure Harlem par l'industrie de Coster Jean Gutten=
berg: mais on 1 mot biffure presume que tout son art se redui=
soit a des caracteres gravés sur des planches
de bois. D'autres après lui
entr'autres Jean
Guttenberg de
Strasbourg,
  firent des essais
avec des caracteres mobiles, mais executés
aussi en bois. 2 mots biffure
Vers l'an 1440 Gut=
temberg 1 mot biffure a
Mayence, avec
Jean Faust, eta=
blirent une presse
ou l'on
  substitua des caracteres
de metal 3 mots biffure jettés en fonte,
qu'on peut reunir, separer, composer, changer
a volonté et faire servir successivement a
l'impression de divers ecrits, pendant que l'em=
preinte nest pas alterée. Cette belle invention
<86v> est 2 mots biffure attribuee par d'autres a Schefer qui imprima
2 mots biffure une Bible Latine en 1450.

Des lors l'art de limprimerie  fit des progres
rapides, et vers la fin du siecle et le suivante
parurent des Imprimeurs très celebres qui
publierent des livres en toutes sortes de
Langues et de caracteres.

Cette invention admirable a suppléé a
tous les embaras, toutes les longueurs et
les depenses de l'Ecriture, a multiplié a l'in=
fini les secours pour linstruction et haté
tres rapidement les progres de l'Esprit hu=
main. Il est douloureux pour
l'humanité qu'on en ait aussi si etran=
gement abusé pour propager l'erreur
et le mensonge et seduire les Esprits
par les charmes de la diction au pre=
judice de la verité.

<87> CHAPITRE XIII.
Resultats generaux de ce qui a été dit

SIGNES ARBITRAIRES

On ne peut douter qu'il ne se soit introduit
parmi les hommes divers signes d'institution
arbitraire
et conventionelle. Tels sont cer=
tains gestes ou procedés, que les diverses nations
ont adopté, chacune suivant son gout, pour
temoigner certains egards, et dont l'usage placé
a propos, caracterise dans chaque lieu ce
qu'on appelle le savoir vivre. Tels sont
diverses marques de dignité, divers rits
religieux, divers signes representatifs des
valeurs, &c. Enfin les noms imposés a cer=
taines choses a l'occasion de circonstances
etrangeres, et sans aucun egard a la valeur
primitive des sons: tels pourroient etre les
noms falbala, charade, Fiacre, nom
donné aux carosses de louage, et aux co=
chers, parce que l'auteur de l'invention appellé
Sauvage demeuroit a Paris dans une
maison appellée l'hotel saint Fiacre.

Neanmoins de tous ces noms, qui ne sont
pas en si grand nombre, on ne peut tirer
aucune consequence d'induction contre
nôtre theorie du Langage et des regles
generales de sa formation, parlaquelle il
conste qu'il a été 1 mot biffure tiré de la nature,
par le secours de l'art, et selon l'analogie.

LANGAGE PRIS EN DIVERSES
ACCEPTIONS.

Sous le mot Langage pris dans son sens le
plus general, nous comprenons la reunion de
tous les signes, naturels, artificiels, arbitraïres,
que les hommes emploient pour se communi=
quer mutuellement leurs sentimens et leurs
pensées. Ce Langage a un fond commun a
tous les peuples, mais ce fond est assujeti a des
varietés infinies, assorties a leur genie, leurs
moeurs, leurs circonstances particulieres.

<87v> Sous cette acception generale on distingue
langage d'action, langage parlé, langage
ecrit: Dans un sens plus restreint, le mot
Langage s'entend du Langage parlé.

Langue designe un Langage particulier
a une nation, cad. la collection des mots
qu'une nation emploie sous la direction de
la nature, et conformement a un certain
usage que cette nation a adopté, pour se=
vir de regle generale a la communication
mutuelle.

LE MATERIEL. LE MECHANISME. LE
GENIE. L'ACCENTUATION.

Dans toute langue on distingue

1° le materiel des mots, tel qu'il est determi=
né par leur derivation et leur composition;

2° le mechanisme qui se rapporte a leur Syn=
taxe et leur construction;

3° le genie qui s'annonce par les tours, les
idiotismes, les figures &c;

4 l'accentuation qui depend de la varieté des
tons qui doivent accompagner la prola=
tion des Syllabes, des mots, des phrases,
pour donner au discours l'ame, la vie et
le ton de la verité.

On peut distinguer une accentuation naturel=
le et necessaire, qui tient aux besoins de la
parole et a l'humanité; une accentuation
particuliere a la personne qui parle; 2 mots biffure
4 mots biffure
. Enfin une
accentuation propre a telle Langue, qui
depend de l'usage commun a ceux qui la
parlent. Les Langues en effet sont toutes
plus ou moins accentuées en proportion de
la delicatesse des organes de ceux qui les parlent,
de leur sensibilité et de la vivacité des im=
pressions que les objets font sur eux.

Jamais l'accent ne fut plus necessaire que
lorsque les hommes en etoient encor a la
<88> a la Langue primitive. N'aiant qu'un petit
nombre de mots, ils ne pouvoient en multi=
plier les usages, qu'en variant 2 mots biffure leur
sens par la diversité de la prononciation.

3 mots biffure Mais lors même que les
mots se furent successivement multipliés,
jamais ils ne purent se dispenser de recou=
rir a la modulation des accens, comme a
une ressource pour 1 mot biffure modifier et diversifier
la signification. Les anciens peuples de
l'orient firent le plus grand usage de cette
ressource qui leur epargnoit la peine de
charger leur Langue et leur memoire de
mots nouveaux. Dela aussi cette prodigieuse
accentuation de la Langue Chinoise dont
les monosyllabes primitifs fournissent
une multitude ïnfinie de mots, selon les
divers accens dont on les accompagne
enles prononcant.

Dans nos Langues, ou l'on a multiplié les
mots sans fin par la derivation et la com=
position, l'accentuation est devenue beau=
coup moins necessaire et moins observée.
Neanmoins l'accent, interprete dela na=
ture, reparoit encor dans nos discours
des qu'il s'agit d'exprimer des affections
vives et des interets touchans.

Nôtre Langue est moins accentuée que
d'autres: cependant elle l'est, et les etran=
gers s'en appercoivent mieux que nous.
Elle est bien ïnferieure en ce point a la
Langue des Italiens, dont le discours a
beaucoup plus de chant, et qui pour expri=
mer ce qu'ils sentent, a la voix joignent
le geste, et semblent parler de tout le
corps a la fois.

Sans doute qu'il en etoit ainsi chès les Grecs
sensibles et susceptibles d'emotions violentes;
rien negaloit l'impression que faisoient sur eux
leurs orateurs, lorsquils joignoient a l'eloquence
des choses, la vehemence du geste, la force
et la verité de l'accent.

<88v> REFUTATION DES PREJUGES SUR
L'ORIGINE DU LANGAGE

Lorsque nous voulons chercher dans l'histoi=
re même des lumieres sur les premieres origi=
nes du Langage, nous ne trouvons par tout
que tenebres, et nous nous voions sur ce
point reduit au raisonnement pur. Il
n'est donc pas surprenant qu'on ait raison=
né la dessus differemment et qu'en rai=
sonnant les hommes soient tombés dans
des ecarts d'opinions. Neanmoins on ne
peut qu'etre etonné que des gens qui font
leur etude des Langues et de la theorie du
Langage, aient pu rester encor assès gene=
ralement imbus du prejugé que les Lan=
gues doivent leur naissance uniquement
1 mot biffure a des heureux hazards qui ont appris aux hom=
mes que des sons articulés pouvoient etre
emploiés comme signes arbitraires des
pensées, qu'elles n'ont d'autre cause qu'une
suite de procedés factices qui a la longue
ont amené dïverses collections de mots,
tous etrangers les uns aux autres comme ils
le sont a la pensée, d'une signification abso=
lument arbitraïre, 3 mots biffure, dont
la figure et les significations auroient pu
etre tout autres, quoique les combinaisons
d'idées eussent été absolument les mêmes chès
ceux qui les premiers leur donnerent cours.

Il n'est pas surprenant que l'homme vulgaire
borné a l'usage qui, dans la Societé a fixé de=
puis longtemps la forme des mots, leurs diffe=
rens sens, et la marche de leur construction,
ne voie rien au dela, et le regarde comme la
regle supreme qu'il est obligée de suivre pour
se faire entendre de ceux a qui il parle; il n'est
point surprenant non plus que voiant, d'un
autre côté, 2 mots biffure la plupart des mots soumis a diverses varia=
tions <89> ou changemens successifs, il vienne a
s'imaginer que le Langage entier n'est qu'une
affaire purement conventionnelle dont l'usage seul
a primitivement decidé.

Mais que des Maitres appellés par etat a
analyser et rapprocher les mots pour en rendre
les rapports sensibles, aient pu et puissent encor
meconnoitre l'influence de la nature sur le
langage, et presenter celui ci a leurs disciples
comme un assemblage de mots isolés qui
ne doivent leur existence et leur signification
qu'au pur hazard, a un usage absolu=
ment arbitraire,
et qui n'a pu etre
decidé que par
une convention
entre les hommes
qui en ont fixé
entreux le vrai
sens.
  C'est ce qu'on ne 1 mot biffure pourroit pres=
que pas concevoir si l'on 2 mots biffure
ne connoissoit quel est le pouvoir des pre=
jugés que le temps et l'habitude ont con=
sacrés.

Qu'on nous explique donc comment la
convention qui a donné naissance au
Langage a pu se faire elle même sans Lan=
gage? Comment sans le secours de la pa=
role les hommes ont pu convenir du sens
arbitraire des premiers mots et fixer la
valeur de leurs diverses especes? Comment
ils ont pu analyser la pensée, et se former
toutes les idées abstraites, composées, qui etoient
necessaires pour convenïr d'un Langage, ou
comment, sans avoir encor appris a penser
avec methode, ils sont venus a bout d'instituer
un Langage methodique? Comment pour
faire une telle convention, il a pu exister
une Societé reguliere, avant que les hommes fussent
en etat de s'expliquer entr'eux, et de s'assuje=
tir a quelque regle? Ou a ton pu trouver
1 ligne biffure
des Interpretes
de la pensée
generale
asses habiles pour
la tirer au clair,
surtout
 
lorsqu'il s'agissoit de convenïr de certains
mots pour exprimer des objets non sensibles?
Ou se sont tenus ces comices qui ont decidé
de l'usage des mots et de leur valeur, et dont
l'autorité a pu forcer les hommes a se sou=
mettre a leur decision? Ou quel homme aura
<89v> pu dire le premier, tel mot signïfiera
telle chose, et en marquer ainsi la va=
leur et le cours pour toute la suite des
ages. Après cela, comment persister encor
dans une opinion dont la fausseté est
egalement demontrée par l'impossibilité
des faits qu'elle suppose et la certitude
de ceux qu'elle contredit?

La plupart conviennent qu'il y a un
Langage naturel pour exprimer les sen=
sations, comme on l'observe chès les animaux.
Et si cela est pourquoi n'existeroit il pas aussi
un Langage naturel pour les idées données
par la nature elle même, qui sont le plus
bel appanage de l'espece humaine, et
qui peuvent aussi etre exprimées avec ener=
gie par les organes de la voix. L'homme
ne trouve t'il pas dans la nature les elemens
de tout ce dont il s'occupe, des sons fonda=
mentaux pour la musique, des couleurs
primitives pour la peinture, pourquoi
le Langage n'auroit il pas aussi ses elemens
naturels
, des sons primitifs, applicables
a tels ou tels objets, et que l'homme trouve
dans les ressources de l'instrument vocal
soumis a sa disposition.

Quelques personnes ne concevant pas que
les hommes aient pu ni former d'eux mêmes
le Langage, ni en regler la valeur par con=
vention, et se fondant d'ailleurs sur l'autori=
té de l'Ecriture  ont supposé que Dieu fournit a nos
premiers Parens par inspiration ïmmedi=
ate tous les mots primitifs et les premiers
Elemens Grammaticaux, qui pouvoient
leur etre necessaires pour le commerce mu=
tuel, que l'education secondée par le gout
pour l'imitation, fit passer cette Langue ins=
pirée d'une generation a l'autre, et quelle
devint ainsi le lien general de communica=
tion entre les hommes du premiers age, jusques
<90> a ce que Dieu trouva a propos par une nou=
velle inspiration de multiplier tout a
coup les idiomes du Langage, pour les
forcer a se disperser en peuplades par
toute la terre, comme ils firent après
la confusion de Babel.

Mais ce que Dieu dit a Adam et Eve ne
suppose autre chose si ce n'est qu'il em=
ploia avec eux des signes intelligibles
pour eux, et dont ils se seroient servis eux
mêmes pour exprimer les mêmes choses.

Rien d'ailleurs ne nous appelle a supposer
que qu'en aucun temps Dieu ait inspiré aux hommes le
Langage, pendant qu'il leur a fourni
assès de moiens naturels pour le former
d'eux mêmes.

Si Dieu a créé l'homme pour lier Societé
avec ses semblables par une communica=
tion mutuelle de sentimens et de pensées,
ne l'auroit il pas pourvu de toutes les
ressources qui pouvoient le rendre par lui
meme susceptible de cette communication;
organes essentiels a la parole, intelligence
pour en comprendre l'usage, industrie
suffisante pour mettre ce talent en oeuvre
selon sa destination, nous trouvons tout
cela chès l'homme.

Il y a plus: Dieu a voulu inviter l'homme
a l'exercice de ce talent par l'aiguïllon du
besoin et du desir toujours renaissant
de lier commerce: temoin les efforts que font
les enfans et les muets pour se faire entendre.

Pour lui faciliter le devellopement de ce
talent, il a mis entre la structure des orga=
nes de la voix, les sons qu'ils rendent, et les
objets exterieurs, certains rapports sensibles,
en vertu desquels ces sons peuvent devenir
des especes de peintures vraies et energiques
des objets.

Les objets qui interessent l'homme sont la
plupart des objets sonores dont il peut imi=
ter les sons, les bruits, les cris et qui deviennent
pour lui autant de modeles pour la for=
mation des sons articulés.

<90v> Afin quil put les imiter avec plus de faci=
lité, le Createur a uni les organes de la
parole a celui de l'ouie par une multitude
de fibres propres a etablir entr'eux l'influence
reciproque la plus promte, et la plus forte.

Et pour tenir l'industrie de l'homme en
haleine, il lui a donné un penchant deci=
de pour l'imitation qui l'invite a deploier
sans cesse ses organes pour former des sons
moulés sur tous ceux qui affectent son
ouie: heureuse disposition d'ou nait la
facilité avec laquelle les enfans apprenent
a parler, et les Langues 3 mots biffure
se transmettent d'une generation a
l'autre.

C'est aussi pour faciliter le devellopement
de cette industrie que Dieu a mis entrela
volonté de l'homme et ses organes une cor=
respondance si active et si promte dans ses
effets que l'instrument vocal peut se preter
sans delai et sans efforts a tous les ordres de
l'ame pour l'expression de la pensée. Les
organes de cet instrument sont naturelle=
ment si flexibles, si promts a s'ebranler
sans opposer aucune resistance, qu'on
peut dire avec verité qu'ils sont plus sou=
mis a la volonté de l'homme que tous
ces ressorts admirables qui font jouer
les mains et les pieds.

Ainsi l'homme, sans 1 mot biffure beaucoup d'efforts
de reflexion, a pu trouver toutes les diverses
modifications de l'instrument vocal des=
tinées a fournir les premiers Elemens du
Langage: il a pu deploier toutes les ressources
que cette nature lui a fourni pour les
diversifier et combiner, et avec le secours
de l'art 1 mot biffure et de l'analogie, en tirer des signes
suffisans et ïntelligibles de ses sentimens
et de ses penées.

Pressé par le besoin et le desir, il aura fait
dabord des tentatives sur l'instrument vocal
et elles auront suffi pour l'industrie des diverses
inflexions dont il etoit susceptible, et du parti
qu'il en pouvoit tirer pour se faire entendre.

<91> Je n'en veux dautre preuve que l'exemple de
certains sourds de naissance qui sont parve=
nus a former les sons articulés de la parole,
et la facilité qu'ont les enfans a produire les
sons lorsqu'ils les entendent, quoiqu'on ne
les instruise point des inflexions qu'ils doivent
donner a leurs organes pour les prononcer.

Ainsi et le besoin et le desir, et l'organi=
sation de l'instrument vocal et l'industrie
de l'homme pour en tirer des sons imita
=
tifs, et en cas de deffaut de quelques uns
des organes dela voix, pour suppleer aux
uns parles autres, comme il peut même
suppleer a tous parle Langage d'action,
tout annonce que le Langage est chès
l'homme une operation naturelle et
qu'il a a sa dispositïon tous les moiens pour
se rendre ïntelligible a ses semblables.

Concluons donc que si le Langage est un
present du ciel entant que Dieu a enrichi
lhomme de toutes les facultés necessaires
pour parler, il n'en est pas moins vrai
que la formation de ce Langage a été le
fruit de l'operation de la nature elle même
devellopee par l'art industrieux de l'homme.

Les premiers hommes n'ont donc jamais
dit, faisons nous une langue, prenons
des signes a choix, convenons de leur sig=
nification; mais les circonstances leur ont
fait sentir le besoin des signes, la nature
les a conduit 1 mot biffure ceux qui etoient les plus propres a exprimer
intelligiblement ce qu'ils vouloient dire;
peu a peu ils ont enrichi le Langage na=
turel de nouvelles expressions, selon que
les circonstances en amenoient le besoin
et l'occasïon, et l'analogie les guidoit
dans tous les devellopemens.

Mais, diton s'il existoit un Langage natu=
rel, il seroit connu de tous les peuples, il
seroit immuable, comme le Langage d'instinct
comme le Langage sentimental rendu
parles Interjections. Enfin il seroit l'expression
<91v> la plus exacte de la nature même des choses.
Or on ne peut soutenir rien de tout cela.

Nous repondons 1° que dans le langage, il faut
distinguer avec soin ce que les hommes tiennent
immediatement de la nature, et ce qui est le
fruit de l'art ou l'effet des circonstances even=
tuelles. A ces deux derniers egards, il peut beaucoup
varier d'une Langue a l'autre, et même succes=
sivement dans chacune: mais il n'en est pas ainsi de
ce qui est l'ouvrage de la nature, qui se retrou=
ve par tout et se maintient dans tous les temps;
c'est par tout mêmes Interjections, mêmes ele=
mens, mêmes radicaux primitifs, qui malgré
les diverses metamorphoses qu'ils ont subies
dans les diverses Langues, y subsistent encor
tous, et peuvent y etre retrouvés. Tel est le Langage
naturel
dont tous les peuples font encor usa=
ge, 1 mot biffure sans le connoitre, ni même soubson=
ner qu'il soit actuellement dans leur bouche.

Mais il seroit absurde d'en conclure qu'il
doit etre une representation exacte de la nature
même des choses. Car quoi que la nature en ait
fourni les elemens, et que dans la combinaison de
ceux ci pour former des mots les hommes aient
pris la nature pour guide en cherchant a
peindre de leur mieux les objets, il ne s'ensuit
pas que ces peintures aient du rendre exacte=
ment les objets puisqu'elles etoient calquées sur
les idées qu'ils s'en formoient et sur d'apres les apparen=
ces exterieures, idees qui pourroient etre erronées
et trompeuses.

Il est vrai que quand il arrivoit aux hommes
de se former des idées differentes des objets ou
même opposées, il devoit se trouver pareillement
dela diversité ou meme de l'opposition dans les signes,
mais cela ne detruit point cequenous avons
avancé touchant le Langage donné par la
nature, qui s'est toujours montré uniforme dans
ce qui s'offroit uniformement a la pensée de
tous les hommes, qui furent ordinairement ramenés de
l'unité de la pensée a l'unïté de l'expression, ainsi
que le demontre le parallelle des Langues.

<92> On dit encore que l'instrument vocal fut
demeuré eternellement oisif chès les hommes
sil n'eut été mis en jeu par les impressions
de l'ouie ouverte aux sons même du Lan=
gage, et on appuie cela par l'exemple des
muets qui demeurent muets toute leur vie,
a cause de leur surdité, et celui d'hommes
elevés dans les forets, qui n'avoient jamais
formé d'eux mêmes aucun son articulé.

Sil existoit dit on, un Langage naturel,
ces 1 mot biffure sourds de naissance, ces hommes sauvages, ne devroient
ils pas le parler et même beaucoup mieux
que ceux qui vivent en Societé, chès qui
l'exercice du talent naturel se trouve gené et
contrarié par des usages habituels.

Mais de ce que les muets sourds de naissance 1 mot biffure
restent ordïnairement 1 mot biffure muets toute leur vie,
ce qui provient meme le plus souvent d'une sorte
d'imbecilité naturelle, de ce qu'on a vu des
enfans elevés loin du commerce des hommes
demeurer incapables de proferer aucun
son articulé, ne seroitil pas absurde d'en
conclure que des hommes bïen organisés et
vivans avec leurs semblables, n'auroient ja=
mais pu trouver en eux mêmes des ressources
suffisantes pour former entr'eux un
Langage dont la nature leur avoit four=
ni tous les elemens. La formation du
Langage demande une organisation regu=
liere et un certain degré d'Intelligence
tel qu'il peut se trouver chès l'homme qui
sent le besoin de communiquer a ses sembla=
bles ses sentimens et ses pensées. Partout
ou il se trouva des hommes ainsi orga=
nises et preparés, is ont pu et même du
naturellement former entr'eux un Langa=
ge; Mais cette formation est impossible
dans tout autre cas; un enfant isolé, un
solitaire n'a pas l'intelligence suffisante,
il n'en sent meme ni le besoin ni le desir; le
Muet manque aussi de l'Intelligence neces=
saire pour comprendre quelles sont les
<92v> les diverses inflexions dont ses organes vo=
caux seroient susceptibles, ni quels sont les mou=
vemens spontanés qu'il devroit executer
pour en amener le jeu: dans l'enfance, il
est privé de la ressource de limitation, et
a un age plus avancé, ses organes sont trop rigides
pour se deploier aux diverses infelxions deli=
cates que l'articulation exige: D'ailleurs
quand ces infortunées creatures peuvent
parvenir a comprendre les instructions
qu'on peut leur donner la dessus par le
moien d'autres signes que les sons, et si elles
sont dans un age oules organes peuvent
encor se flechir, il est possible de leur
apprendre a articuler du moins d'une
maniere imparfaite, comme l'ont prouvé
les succès de M. De Pereira dans ce
genre.

CONSEQUENCES 5 mots biffure GENERALES.

Dieu a donc accordé a l'homme un Lan=
gage naturel pour exprimer ses sentimens
et ses pensées.

Pour se former ce Langage, l'homme n'aura
eu d'autre Maitre que la nature toujours
uniforme et prise dans sa construction orga=
nique, dans ses premiers besoins, dans ses
rapports avec les objets exterieurs, dans le
develloppement de ses facultés, de ses ressour=
ces et de son industrie.

Aiant recu de Dieu toutes les ressources talens
necessaires 1 mot biffure a la parole, pour les exercer,
ainsi que Les autres facultés, conforme=
ment a ses besoins, il n'aura pas manqué
de deploier ce talent dès qu'il aura été
environné de ses semblables. Mais le premier
qui voulut parler a son semblable ne put
choisir arbitrairement ses ïnflexïons, et
ni en emploier d'autres que celles que la na=
ture avoit destinées pour l'expression de
cequ'il avoit a communiquer; sans quoi
il eut été impossible quil fut entendu et
compris de celui qui l'ecoutoit.

<93> Ainsi les Elemens du Langage auront été
tout donnés par la nature et determinés par
l'organisation de l'homme et les rapports na
=
turels de ses inflexions avec les pensées dont
il est appellé a s'occuper
. Les premiers Ele=
mens auront été appliqués a peindre ses idées
primitives. Son industrie se sera deploiée
ensuite sur ces Elemens pour les combiner
selon la diversité des pensées composées qu'il
avoit a exprimer. Il aura deploié son
talent pour l'imitation par une peinture
naturelle des objets sonores, et une peinture
d'analogie pour les autres, double peinture
qui l'aura mis en etat d'imposer des noms
aux divers objets qui pouvoient l'interes=
ser. L'homme aura eu assès d'Intelligence
pour ne pas appliquer les voielles sourdes
a l'expression de la joie, ni les eclatantes a celle
de la tristesse; dans l'emploi des consonnes,
il aura fait attention aleur dureté, leur
douceur, leur rudesse, leur fixité, leur
liquidité, leur sifflement, pour les appli=
quer aux objets selon leur nature et en
faire des peintures naives et ïntelligibles.

Le même principe l'aura dirigé dans l'ar=
rangement des mots et l'aura conduit
a une marche naturelle et uniforme,
necessaire pour la regularité et l'exacti=
tude des Tableaux. A mesure que ses
connoissances se seront etendues, il aura
aussi travaillé a multiplier ses combi=
naisons pour enrichir son Langage de
nouvelles expressions, intelligibles par
leur composition même et par leur ar=
rangement Grammatical.

Ainsi les hommes n'auront cessé d'etendre le fond primi=
tif du Langage par des series très nom=
breuses de mots propres a peindre les objets
divers, selon leur connexion avec ceux qui
correspondoient aux premiers Elemens.

<93v> Dans la formation successive des mots
derives et composés, ils auront suivi
le devellopement naturel de leurs idées,
l'ordre deleur naissance et deleur combi=
naison, en sorte que pour peindre la pen=
see, ils auront toujours cherché ala ren=
dre par une expression composée correspon=
dante aux elemens. Et comme dans la
marche de leurs idées, ils furent necessai=
rement assujetis a un certain ordre,
une certaine gradation, ils ne purent
ni ne durent naturellement s'en ecarter
dans la marche du Langage; et la
chaine de leurs idées produisit neces
=
sairement une chaine correspondante
dans les mots destinés aleurexpressïon
.

Les mots n'etant ainsi que des resultats de
combinaisons nées les unes des autres, a
mesure que la serie des idées se sest devellopée,
il doit y avoir necessairement entr'eux
un ordre de filiation et de dependance,
un Systheme qui correspond a la serie
Systhematique des connoissances humaines.

Et comme pour analyser la pensée, il
faut que ses parties soient rapportées a
certaines classes distinctes arrangées dans
un certain ordre, de même aussi les hom=
mes n'ont pu se dispenser de rapporter les
signes correspondans a certaines classes
separées
, et de leur donner l'arrangement
grammatical le mieux assorti a cette analyse Intellec=
tuelle.

On peut dire aussi que tous les traits qui
annoncent une filiation et une origine
commune entre divers mots, annoncent
aussi entre les idées qui leur correspondent
une filiation et une origine commune de
quelque idée primitive, et qu'ainsi la cor=
respondance des idées et des mots est tou=
jours reciproque dans les Tableaux.

D'ou il suit que dans toute Langue,
son devellopement est toujours proportio=
nel <94> au devellopement des connoissances
chès la nation qui la parle; qu'elle se
perfectione a mesure que de nouveaux
besoïns font naitre chès celle ci de nouvelles
decouvertes et de nouvelles idées, jusques
a ce qu'enfin les progrès en connoissance
arrivent a leur plus haut terme.

Or chès une nation, ce sont les observations
excitées par les nouveaux besoins qui en=
fantent les connoissances, et des 1 mot biffure obser=
vations particulieres, faites en divers
genres, resulte une masse de lumieres
qui tend sans cesse a s'etendre et a s'elever
au niveau des besoins de la Societé en=
tiere. A mesure aussi que les connoissances
font des progrès, en proportion aussi
le vocabulaire et tout le Systheme dela
langue s'enrichit et se perfectione
jusques a ce qu'il ait atteint le niveau
des idées 2 mots biffure repandues dans toute
la Societé. Ainsi les besoins, les obser=
vations, les decouvertes, les idées, le
langage, tout suit la meme marche
3 mots biffure tout va de pair pour les
progres.

Les Langues des peuples sauvages sont
les plus pauvres, parce qu'ils ont peu de
besoins et peu d'idées a exprimer. Elles
sont plus riches ches les peuples bergers,
plus encor chès les agricoles, et surtout
ches ceux qui cultivent les arts et les sciences,
les seuls ches qui elles peuvent atteindrea
leur plus haut point de perfectïon.

Ainsi les progrès ou la decadence du Langa=
ge ches une nation, peuvent etre regardés
comme lannonce de l'accroissement ou du
deperissement des connoissances au milieu
d'elle.

DIFFERENCES DES LANGUES

Comme les peuples ont tous un fond commun
didées et de connoissances, ils ont tous aussi
un fond commun de Langage et de principes
Grammaticaux
.

Les differences des Langues entrelles peuvent
<94v> etre reduites a ces 4 points 1° diversité de
mots derivés et composés
diversité de clas=
sification pour les diverses especes de mots
3 diversité d'arrangement et de construction
4 diversite de genie, et 2 mots biffure d'accentuation.

Elles sont plus parfaites a proportion qu'elles
sont plus riches ou abondantes en mots, que
dans la classification et l'arrangement des
mots, elles fournissent plus de ressources pour
analyser exactement la pensée, et en exposer
toutes les parties avec ordre et netteté, en les
comparant sous tous les rapports possibles,
qu'elles abondent en traits pittoresques
et en tours heureux pour reveiller l'atten=
tion et exciter le sentiment.

<95> CHAPITRE XIV.
Du Langage primitif

LANGUES MERES ET FILLES

On ne puit nier qu'entre les diverses Lan=
gues il n'existe des rapports sensibles, et
que celles qui sont d'origine plus recente,
n'aient beaucoup herité des plus anciennes.

Ainsi le Latin est tiré en partie du
Celte et de l'Etrusque, en beaucoup plus partie du Grec, et
il offre même 1 mot biffure nombre de mots d'origine orien=
tale.

Lorsqu'on decouvre grand nombre une multitude de rapports
sensibles entre diverses Langues parlées par
differens peuples, on peut justement en con=
clure, qu'elles sont derivées d'une plus an=
cïenne commune a ces divers peuples,
qui l'auront peu a peu changée chacun
de son côté au point qu'il en sera resutlé
des Langues separées et distinctes. Celles
ci se nomment filles par opposition a
celle d'ou elles sont nées, qui est appellee
Langue Mere.

DIALECTES, IDIOMES

Lorsqu'une même Langue est parlée par
diverses nations, ou dans diverses provin=
ces, chaque peuple peut a l'usage gene=
ral des mêmes mots et de la même syntaxe,
joindre certains mots et certains usages
grammaticaux qui lui sont particuliers,
et, de la se forment ce qu'on appelle les
Dialectes  de la même Langue; terme qu'on
restreint quelque fois aux diversités de
prononciation, qui s'eloignent, dans les
divers districts, de la vraie prononciation
que la Langue exige.

On appelle aussi Idiomes  dela même Lan=
gue les divers tours singuliers d'expression
et les formes de construction que presente
le style propre a chacun des peuples qui la
parlent en differentes contrées.

<95v> Une Langue en usage chès plusieurs peuples
voisins peut se conserver chès tous avec une
assès grande uniformité, et même pendant
longtemps, s'ils demeurent dans un etat de
simplicité qui ne leur fasse que peu ou point
sentïr le besoin d'enrichir leur Langage. Telle
fut la raison pour laquelle les provinces
Grecques conserverent pendant plusieurs
siecles l'uniformité de leur Langue com=
mune. On distinguoit bien 4 dialectes
principaux; mais la langue commune
etoit la même, et l'usage même de ces Dia=
lectes etoit autorisé par toute la Grece, en
sorte qu'un auteur pouvoit, a l'exemple d'Ho=
mere, les associer tous dans son style pour
lui donner plus varieté et de graces; ce qui
ne contribua pas peu a enrichir et perfec=
tioner la langue des Grecs. La Langue Fran=
coise n'a pas la même ressource, puisque
les auteurs ne peuvent faire aucun usage
dans leurs ecrits, du Picard, du champe=
nois &c dont l'Idiome ne sauroit contri=
buer a la perfection de la Langue com=
mune.

JARGON. PATOI.

Quand le bas peuple chès une nation vient
a se former une Langue melangée dela
Langue dominante et de quelque autre
plus moderne ou de celle des pays voisïns,
ou quand il s'affranchit des regles de l'usage
reçues parmi les personnes d'un ordre plus
relevé, pour parler sans s'assujetir a aucune
marche precïse, alors de 3 mots biffure la nait
un jargon  ou patoi .

Ainsi les langues modernes qui ont des rap=
ports marqués avec le Latin, l'Italien, l'Espagnol
<96> le François, ne furent originairement que
des jargons qui s'introduisirent parmi le bas
peuple, pendant que les Grands parloient
encor la Langue Latine et que les actes publics
s'ecrivoient dans cette Langue: ces jargons
nès du melange du Latin, de l'ancien Celte,
du Tudesque &c. devinrent peu a peu d'un
usage general pour tous les ordres, et des
Langues dominantes.

LANGAGE PRIMITIF UNIQUE.

Quelques precises que semblent ces distïnc=
tions, il est assès difficille d'en faire une ap=
plication juste, et même de decider si deux
peuples parlent ou ne parlent pas la même
langue. Car lors meme que deux peuples
peuvent s'entendre l'un l'autre, on n'est pas
toujours fondé a conclure qu'ils parlent
la même langue, et lorsqu'ils ne s'entendent
pas, on ne peut pas toujours en inferer
qu'ils parlent diverses Langues. Le Suisse
n'entend pas le Saxon, celui ci a beaucoup
de peine a entendre le Suisse; ils parlent
neanmoins la même Langue.

Mais ce qui est incontestable, ce sont
les rapports nombreux et frappans que
presentent non seulement les dialectes d'une
même Langue, les filles de la même Mere,
mais encor les Langues qui passent pour
Meres, a cause de leur ancienneté. Les rap=
ports entre ces dernieres sont même si sen=
sibles, qu'il est impossible de ne pas les rap=
porter a quelque origine commune, quel=
que
langue plus ancienne de laquelle
elles sont derivées a par les changemens
qu'y ont apportés successivement les divers
peuples.

Si en remontant de degré en degré, de Lan=
gue en Langue, on parvenoit a rapporter
toutes les branches a une seule souche, qui
seroit une Langue connue, celle ci seroit
sans doute la Langue primitive et qui
<96v> la connoitroit exactement auroit la clef de
toutes les autres et pourroit rendre raison de
tous les mots. Mais cette Langue ne se trou=
ve dans aucun Pays! dans aucun monu=
ment. La raison seule même ne suffit pas
pour nous assurer quil y eut un temps
ou il n'existoit qu'une seule Langue primï=
tive, puisqu'elle ne peut pas decider si ori=
ginairement il n'a existé qu'une seule famille
primitïve. Nous voions bien que les ancien=
nes Langues orientales ont pu deriver d'une
seule, mais nous ne saurions pas même en
conclure que celle ci ait été la primitive.

Toute la question se reduit a savoir, si
toute l'espece humaine a été concentrée
originairement dans une seule famille;
car si cela a été ainsi, il n'y aura eu d'ori=
gine qu'une seule langue primitive.

2 mots biffure C'est aussi ce que Moyse nous
assure. Avant et après le Deluge, il n'y
eut quune seule Langue
qui fut conser=
vee par Noë et sa famille, jusques au temps
de la dispersion, après laquelle il en sortit
une multitude de Langues diverses.

ORIGINE DES DIVERSES LANGUES

Surce que Moyse nous dit dela confusion
du Langage nous ne saurions adopter l'opi=
nion de ceux qui entendent par la un miracle
signalé qui fit oublier a tous les hommes a
la fois leur Langage commun pour y subs=
tituer tout a coup dans leur Esprit toutes les
diverses Langues que Dieu vouloit intro=
duire chès tous les divers peuples de la terre.

Pour peu qu'on connoisse la connexion na=
turelle qu'il y a entre les idées des hommes,
et les signes qu'ils emploient pour les ex=
primer, et l'impossibilité, je dirai physique
et metaphysique, que des hommes puissent
tout a coup saisir tout l'ensemble d'une
Langue avant que d'avoir aucune connois=
noissance <97> des divers objets auxquels doivent
correspondre les mots de cette Langue, pour
peu, dis je, qu'on soit initié dans la theorie
du Langage, on comprendra très difficille=
ment la possibilité ïntrinseque du miracle
et on ne comprendra bien moins encor sa
possibilité morale, fondée sur sa necessité,
sur son utilité, sur le but qu'on attribue ici a Dieu,
qui etoit de forcer les hommes a se separer
pour aller occuper les divers districts de
la terre; car ceci pouvoit s'effectuer par une
voie beaucoup moins extraordinaire et moins
etrange, comme l'Esprit de mesintelligence
qui est, sans doute, ce que Moyse a entendu
par la confusion du Langage.

On supposera que par ce miracle Dieu n'au=
roit fait qu'operer subitement dans le Langa=
ge, les mêmes changemens que des causes
naturelles auroient pu y introduire a la
longue par une suite de la separation des
hommes; mais on n'en comprend pas mieux
a quoi eut abouti un miracle destiné a
produire tout d'un coup ce qui devoit l'etre
successivement, et de quelle necessité il pou=
voit etre pour separer les hommes et peu=
pler la terre.

Nous ne goutons pas plus l'opinion de ceux qui
expliquent la confusion des Langues parles chan=
gemens qui se firent au Langage pendant la cons=
truction dela tour de Babel, comme si 40 ans
environ eussent suffi pour alterer la Langue
commune a une multitude d'hommes rassembles
en un même lieu, au point qu'il en soit resulté
une multitude de Langues diverses; d'autant
plus que cette opinion ne peut se concilier avec
le texte sacré qui suppose que la confusion ne
survint que lorsque l'ouvrage etoit deja fort
avancé et que la dispersion suivit de pres la
confusion.

Nous convenons d'ailleurs que c'est a cette epo=
que qu'il faut rapporter la premiere origine
dela distinction des Langues puisque
l'espece humaine avoit ete deslors divisee
<97v> en peuplades repandues en divers districts, la
Langue commune a du aussi dès lors eprouver
des changemens suffessifs très diversifiés, suivant
la diversité des climats, des occupations, des moeurs
des usages, des Loix, des opinions, du tour d'Esprit
et du caractere, qui devïnrent particuliers
a chaque peuple. Il ne faut donc pas chercher
ailleurs la raison de cette multitude de Langues
et de dialectes
, et en meme temps de cette grande
analogie
qu'on observe entr'elles, qui annonce evi=
dement une Langue primïtïve qui s'est con=
servée dans toutes malgre leur diversité.

Comment concevoir en effet que la Langue parlée
par la famille primitive ait été complettement
abolie? Les germes de cette Langue ne durent ils
pas se conserver parmi ces peuples, qui, lors dela
dispersion, s'eloignerent assès peu de leur premie=
re demeure, qui conserverent entr'eux des relations
plus etroites, et furent moïns exposés aux alte=
rations que dut 1 mot biffure produire, chès les autres, la
diversité des climats, dans la disposition des or=
ganes vocaux, et dans la fabrication des mots
destinés a nommer les objets. Ne voions nous
pas même la preuve de ce fait dans la grande
affinité conservée entre les langues des peuples
orientaux, qui s'etablirent dans les pays
aux environs de l'Euphrate? Et tout cela
ne saccorde til pas avec ce que la traddition
et les historiens nous enseignent d'une voix una=
nime, que tout est parti originairement d'une
contrée d'orient
qui a été comme le point com=
mun de depart des colonies, qui se sont re=
pandues sur la surface du globe.

Nous trouvons donc dans Moyse la pleine con=
firmation de ce principe, que dans la premiere
origine, il n'y a eu qu'une seule Langue primitive
donnée par la nature, et dont l'industrie des
hommes a scu tirer tout le parti qui pouvoit
convenir a leur position et a leurs besoins;
Langue aussi naturelle a l'homme que le Lan=
gage d'action et tout autre operation humaine;
<98> Langue dont les premiers elemens doivent etre
uniformes entreles peuples; car pourquoi
la nature, mere commune des hommes, ou
plutot le Createur, leur Pere commun auroit
il mis quelque difference essentielle a cet
egard entre les hommes pendant qu'il n'a pas
jugé a propos d'en mettre une semblable par
rapport a leur constitution, leurs relations,
leurs besoins depremiere necessité et les objets
dont ils sont appellés a faire usage: pour=
quoi 1 mot biffure enfin les hommes aiant a peu près
partout les mêmes idées primitives a ex=
primer, ne leur auroit il pas fourni aussi
les mêmes moiens primitifs d'expression.

Ce Langage primitif, d'ou sont nées les diver=
ses Langues, doit donc exister encor dans
celles ci auxquels il a fournï les premiers ele=
mens, quoique deguisés sous une multitude
de formes diverses. 1 mot biffure En recevant deleurs
devanciers leurs premieres connoissances,
les hommes d'un age posterïeur auront aussi recu
en même temps les signes necessaires pour
les transmettre, qui auront pu etre successive=
ment modifiés, mais jamais aneantis dans
leur essence? A mesure que les 1 mot biffurehommes au=
ront etendu leurs connoissances, ils auront
ete forcés de 1 mot biffure tirer des primitifs de nouveaux mots tirés
4 mots biffure derivés et 1 mot biffure compo=
ses dans lesquels ceux la auront été envel=
lopes et conserves. Ainsi les Langues formées successi=
vement n'auront pu varier entr'elles que
par des modifications survenues de deriva=
tion, de composition, de valeur accessoire,
de Syntaxe, varietés dont aucune n'a pu
faire disparoitre entierement l'origine com=
mune ni empecher que ces Langues ne puis=
sent etre ramenées a certains point de reunion,
de commune analogie, dont on peut meme
tirer des lumieres pour expliquer la plupart
<98v> de leurs differences, en montrant qu'elles
ne sont que des varietés accidentelles, nées
de la diversité des circonstances, etdu genïe
particulier a chaque peuple. D'ou nous
concluons que 1 mot biffure une analyse exac=
te des langues et leur comparaison, peuvent
nous ramener a un certain nombre de sons
originels, primitifs et radicaux dont tous
les mots ont pris naissance
.

NECESSITE DE REMONTER AU LANGAGE
PRIMITIF

On ne peut donc parvenir a aucune connois=
sance raisonnée et approfondie des Langues,
et de la vraie raison des mots quant ala for=
me et la valeur, sans remonter au Langage
primitif
, 1 mot biffure ni reussir dans ses recherches
sur les premieres origines de celui ci, sans
le ramener aux premiers elemens de la
parole
, des premiers sons ou mots queles
hommes durent naturellement trouver
et emploier pour exprimer leurs idées pri=
mitives, dans ces premiers temps ou il n'y
avoit encor ni inventions, ni institutions,
ni Sciences, ni arts, ni Ecriture, ni his=
toire, ni Societe reguliere, ni aucun de ces
objets introduits successivement, qui ont
donné naissance a de nouvelles combinai=
sons de signes, dans ces temps ou ils n'avoient
encor a exprimer que des sensations, des besoins
prepares, des objets naturels frappans, des
besoïns de premiere necessité, et d'usage
journalier, des actions les plus simples et
les plus communes.

Veuton donc travailler avec fruit a l'etude des
diverses Langues et y faire des progrès rapides,
qu'on ne neglige ni effort, ni secours pour re=
monter a cette Langue primitive et naturelle, d'ou
elles tirent toutes originairement leur naissance,
que 2 mots biffure quand toutes les traces en seroient
perdues ou meconnoissables dans les Langues meme
<99> pourroit encor etre retrouvée dans nos 1 mot biffure
organes, dans les Elemens vocaux, dans les
sons imitatifs, les rapports d'analogie, et
autres parties de ce Langage donné par
la nature même et qui n'a pu etre detruit;
Qu'on procede a l'analyse exacte detoutesles
modifications sonores
que l'instrument
vocal peut fournir, et qu'on montre par
leur analogie naturelle avec les objets et par
les rapports uniformes des Langues, quelle
a été la valeur primitive de ces Elemens
et celles des mots primitifs qui en nacquirent
immediatement, et comment de ces premiers
germes
ont pu naitre cette foule immense
de mots qui servent d'expressïon aux objets;
et qu'on les distribue en familles nombreu=
ses, rapportées chacune a son chef, ou ces
mots pris dans toutes les 1 mot biffure diverses Langues
occupent chacun la place qui correspond
a l'ordre même de sa filiation. Tel est
l'ouvrage dont nous nous proposons de
presenter un echantillon dans la partie
que nous avons appellée Glos Lexicologie.

AVANTAGES DE LA DIVERSITE DES
LANGUES

Mais n'eut il pas été a souhaiter peut etre
que l'unité de Langage se fut conservée
parmi tous les peuples
, pour cimenter leur
union, et faciliter la communication de
leurs connoissances?

Cette uniformité fut peut etre avantageuse
aux hommes pendant qu'ils demeurerent tous
rassembles dans un certain district; mais une
fois forcés, par la grande multiplication a
se separer en peuplades, cette uniformité n'au=
roit pu leur procurer les mêmes avantages et
n'eut abouti qu'a rappeller les peuples a
l'uniformité de pensées, de vües, d'usages,
d'opinions, qui auroit resserré considera=
blement le cercle de leurs connoissances
et de leur activité, opposé un grand obstacle
<99v> au devellopement de leurs divers genres de
talent, et d'industrie et par consequent aux
progrès de la masse des lumieres de l'espece
humaine.

C'est la diversité des Langues qui a invité les hom=
mes a se repandre de plus en plus sur la surface
du globe, et a former de nouveaux etablissemens
a des distances eloignées; c'est elle dès la qui a
multiplié autour d'eux les objets d'observation
et d'experience, et les a excités a former de
nouvelles combinaisons d'idées, parla facili=
te qu'elle leur a offert de multiplier en même
proportion les combinaisons de signes.

D'ailleurs chaque Langue s'etant trouvée
par sa constitution et par son genie, assor=
tie au naturel du peuple qui la formée
d'après ses besoins, ses gouts, ses opinions,
ses usages et ses circonstances locales, elle
a du dès la même devenir beaucoup plus
propre que ne l'eut été une Langue primi=
tive et commune, pour faciliter toutes ses
operations et ses progrès dans les connois=
sances et dans les arts.

Ajoutons de plus que depuis la separation
des peuples, il n'auroit même plus été possible
que la langue primitive seconservat dans
sa forme originaire. Les peuplades unefois
separées furent conduites naturellement,
a raison des diverses circonstances de leur
position, a apporter divers changemens a
la prononciation des mêmes mots, en sorte
que ceux ci furent prononcés, chès les uns
avec des articulations fortes, ches les autres
avec des foibles; ici sans addition, ni substi=
tution de voielles ou de consonnes, la avec
l'une ou l'autre, souvent avec toutes les deux
ala fois. Le plus souvent avec des additions de
finales, ou pour en affermir, ou pour en
addoucir la prononciation ou pour en
nuancer les formes. Toutes furent encor necessitées
a augmenter le nombre de leurs mots, et em=
ploiés un même mot en plusieurs sens; enfin
<100> Joignès a cela la diversité des figures, des
tropes, des tournures, des formules abregées,
laconiques, proverbiales &c les changemens
dans la marche Grammaticale des mots,
et dans l'Ecriture, qui a toujours eu une
si grande influence surle Langage, toutes
les revolutions qu'ont pu amener le
genie particulier a chaque peuple, sa position
ses besoins, son genre d'occupation, ses
progrès en connoissances, le cours meme
des evenemens politiques, et vous compren=
dre quelle diversité tout cela a du
necessairement produire dans le Langage
chès les divers peuples.

Mais cette diversité entre les Langues n'em=
pechent point qu'on n'y voit des filles
ou des soeurs d'une mêre commune, dune
Langue primitive qui a fourni a toutes
les premiers materiaux, et que leur diversi=
te ne procede que de la maniere dont cha=
cune a su les mettre a profit pour epuiser
les besoins de la parole, chès les divers
peuples qui en ont fait usage.

Les faits generaux sur la formation du
Langage
appartenant a l'Anthropologie
3 lignes biffure
2 mots biffure
recevront un nouveau jour
dans l'Ethnologie ou l'espece humaine
sera regardée comme divisée en peupla=
des, ou on expliquera ce que furent les
Societés dans leur origine, cequ'elles devin=
rent successivement a mesure que leurs
besoins se multiplient avec leurs gouts,
reveillerent leur industrie, amenerent
leurs decouvertes, etendirent leurs ressour=
ces, et leurs connoissances, avec les richesses
du Langage.

<101>  TABLE
Seconde Section

Chapitre 1.

Des deux Substances distinc=
tes dans l'homme, et de leur
union en general. p. 1

Distinction des deux substan=
ces, le corps et l'ame-opposi=
tion del'etendue et de la divisibi=
lité avec le sentiment et la pensée
-opposition du mouvement
avec la pensee-opposition de
l'inertie avec l'activite p. 1-9.

L'homme Etre mixte, sa nature
specifique-le naturel de
l'individu. p. 9. 10

Union des deux substances p. 10

Objections, hypotheses. p. 11-19.

Chapitre II.

Des faits generaux relatifs a
l'union des deux Substances
dans l'homme, ou des Lois gene
=
rales de cette union. p. 20

Loix generales de l'union des
deux Substances-premiere
Loi, influence du corps sur
l'ame, prouvée par les Pheno=
menes de la sensation, l'atten=
tion, la memoire, l'imagination
-le physique des facultés de
l'ame, hypotheses du mechanis=
me ideal p. 20-27

Seconde Loi, influence de l'ame
sur le corps p. 28.

Troisieme Loi, Influence reci=
proque et continuelle des deux
substances-communaute
de situations ou de destinees
et de progres-diversite des
talens; p. 29-31

Etas successifs par ou lhom=
me passe dans la vie, veille
-delire, folie, coup de mar=
teau-sommeil-reveil
songe-somnambulisme p. 31-38.

Chapitre III

Du Naturel Physique exte=
rieur et interieur, ou ce qu'on
appelle le Temperamment: son
influence sur le naturel Intel
=
lectuel et moral: indices exte=
rieurs qui annoncent les uns
et les autres
. p. 39.

Caracteres distinctifs-carac=
teres tirés de la figure ou le
naturel exterieur- p. 39. 40

Caracteres tirés du naturel
Physique interieur ou du Tem=
peramment-Temperamment
bon-sanguin-bilieux-me=
lancholique-phlegmatique-
temperamment predominant
et primitif-causes dela diver=
site des Temperammens p. 40-48

Influence du Temperamment
sur la figure p. 48. 49.

Influence du Temperamment sur
le naturel Intellectuel et moral
-caracteres distinctifs pris de ce
naturel-diversité des penchans
selon les divers temperammens p. 49-52

Traits exterieurs, signes indi=
catifs de l'interieur p. 52. 53

<101v> Chapitre IV.

De la correspondance de l'ex=
terieur de l'homme avec l'inte=
rieur, et ce qu'on peut attendre
des indications de la Phy
=
sionomie. p. 54

Correspondance de l'exterieur
a linterieur-caracteres ex=
terieurs indicatifs des modifi=
cations interieures-mouve=
mens, gestes, demarches, main=
tien-le visage-les yeux
le regard et le coup doeuil p. 54-59.

Alterations survenues ala
correspondance p. 59. 60

Physionomique p. 60-64.

Chapitre V.

Correspondance de l'interieur
de l'homme a son exterieur;
des divers signes exterieurs
du sentiment et de la pensée;
des premiers principes du Lan
=
gage et du Langage d'action p. 65

Correspondance de linterieur
a lexterieur-signes-Langa=
ge-Langage dinstinct
Langage naturel chès les hom=
mes-le rire et les pleurs- p. 65-70

Langage d'action-naturel
dans son origine-devenu
Langage dinstitution-
non arbitraire mais artifi=
ciel-Avantages et inconve=
niens du Langage naturel
-necessité du Langage arti=
ficiel-perfection du Langage
d'action-Pantomime-Imita=
tion de la nature, principe
de tout langage p. 70-78.

Chapitre VI

De l'instrument vocal et de
la voix de parole
p. 79.

Son, cri, voix-Instrument
vocal-voix de parole-
sons simples, voielles-sons
articules, consonnes-causes
de lemission dela voix-corres=
pondance de l'organe-corres=
pondance de l'organe de l'ouie
avec l'instrument vocal p. 79-84

Trachée-artere-Langage glot=
te, epiglotte-levres de la
glotte-canal interieur
et exterieur-oral et nazal- p. 84-87

causes combinées du son vocal-
-causes combinées des divers
tons graves et aigus-cau=
ses de l'intensité et dela vitesse
des sons vocaux-mechanis=
me merveilleux dela voix hu=
maine-Deffaut dela voix p. 87-94.

Chapitre VII

De la formation des voielles
et des consonnes
p. 95.

Formation des diverses voi=
elles-formation des conson=
nes p. 95. 96.

organes d'articulation-
la Langue-causes des diffe=
rences et des vices darticula=
tion-distinction des conson=
nes p. 96-102

Chapitre VIII

De la voix de chant et de
l'accent
p. 103

Voix de chant-differences
essentielles entre le chant et
la parole p. 103. 104.

<102> Accent-accentuation p 105-107

modifications dela voix p. 107. 108

Declamation p. 108. 109

Prosodie p. 109

Chapitre IX.

De l'origine et de la formation
du langage parlé, et premie
=
rement des mots primitifs
radicaux
p. 110

Langage parlé-tire de
la nature-qui a decidé
toutes les formes elementaires
vocales et les mots primitifs,
-qui a aussi determiné les
rapports des sons avec les objets. p. 110-113.

Langage parlé artificiel-
Imitation, principe p. 113. 114.

Primitifs radicaux classifies
-1° Interjections et accens-
2° primitifs resultans de l'opera=
tion necessaire dela nature
ches les enfans-3° primitifs
determinés par les inflexions
propres a chacun des organes
-Primitifs imitatifs. 4°
Primitifs determinés par l'imi=
tation des objets sonores ou
onomatopees.-5° primitifs de=
terminés par analogie, appro=
ximation ou comparaison. p. 114-121

Chapitre X.

Des mots derivés et composés p. 122

Mots formés des primitifs
selon les directions de la nature p. 122. 123

Derivation Grammaticale et Phi=
losophique 124 125

Composition 125-126.

Clef de letude des Langues p. 126 127

Langage d'action toujours com=
biné avec le langage parlé. p. 127-130

Observations p. 130-132

Consequences p. 132.

Chapitre XI

Du Langage ecrit, et des
divers genres d'Ecriture
p. 133.

Origine primitive et elemens
naturels du Langage ecrit p. 133-135

Ecriture representative par
figures isolees-par pein=
tures suivies-figurative
a la Peruvienne p. 135-138

Ecriture Symbolique-plus
ancienne que l'Alphabetique-
divers Symboles anciens-
-arrangement des Symboles
-inconveniens de cette Ecri=
ture-Ecriture Hieroglyphique p. 138. 148

Ecriture expeditive-
Ecriture chinoise-con=
clusion p. 149-154.

Chapitre XII

De l'Ecriture litterale ou
Alphabetique
p. 155

Insuffisance des Ecritures
anciennes figurees p. 155.

Ecriture Litterale-nee pro=
gressivement-caracteres
distinctifs de cette Ecriture
-Ecriture Syllabique-
consonique-organique
ou Alphabetique-obser=
vations p. 155-161

Origine de lEcriture Alphabetique p. 161-163

<102v> Usages, materiaux, instru=
mens de lEcriture p. 163-167

utilité de cet art p. 168.

Inconveniens p. 168. 169

Imprimerie p. 169. 170.

Chapitre XIII

Resultats generaux de ce
qui a été dit
. p. 171

Signes arbitraires p. 171

Langage pris en diverses ac=
ceptions p. 171. 172.

Le Materiel, le Mechanisme
le Genie, l'accentuation p. 172. 173

Refutation des prejugés sur
l'origine du langage p. 174-182

Consequences de tout ce
qui a ete dit p. 182-185

Differences des Langues p. 185-186

Chapitre XVI

Du Langage primitif p. 187

Langues meres, filles-
dialectes, idiomes-jar=
gons, patois-p. 187-189

Langage primitif unique
-origine primitive des
diverses Langues-necessi=
te de remonter au Langage
primitif p. 189-195

avantages resultans de
la diversité des Langues p. 195-197.

Etendue
intégrale
Citer comme
Chavannes, Alexandre César, Anthropologie ou Science générale de l'homme: Anthropologie, Tome II, [Lausanne], [1750]-[1788], cote BCUL A 909/1/1/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/779/, version du 21.12.2020.
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