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Lettre à Pierre Desmaizeaux, Berlin, 07 mai 1707
A Berlin, ce 7 Mai 1707.
J’ai reçu, Monsieur, vôtre derniére Lettre il y a quinze jours, & j’envoie
celle-ci en Hollande par Mr L’Enfant, qui, à ce qu’il croit, poussera
son voiage jusqu’en Angleterre. Vous me faites un sensible plaisir, de me
promettre de me communiquer les réflexions que vous pourrez faire sur les deux petits
Livres, que vous aurez sans doute reçû avant cette Lettre. Plus vous en userez avec
liberté, & plus vous m’obligerez. Je suis ravi que ce que vous avez lû de mes
Remarques sur Pufendorf ne vous aît pas déplû: mais je n’accepte pas & je
ne crois pas pouvoir accepter le jugement trop avantageux, par lequel vous relevez le
prix de Notes au dessus de celui du Texte. Indépendamment même de toute comparaison,
je ne sai si l’on doit tant mépriser Pufendorf. Il a ses défauts, sans doute:
je ne les ai ni palliez, ni dissimulez; & si je n’ai pas relevé en détail tout ce
qui le méritoit, pour ne pas effaroucher ceux qui, à cause de quelques fautes, con=
damnent légérement les meilleurs Livres, j’ai assez fait sentir en gros ce que
je pensois. Mais, malgré toutes ses imperfections, je ne crains point de dire, mis à
part tout intérêt de Traducteur, que nous n’avons point de si bon Ouvrage en ce
genre, & Mr Locke, juge compétent sur ces sortes de matiéres, en jugeoit
bien autrement que les habiles gens dont vous me parlez. Les deux ou trois
prémiers Chapitrez de ce Livre, ne préviennent pas en faveur de l’Auteur: &
peut-être que si on le lisoit avec soin d’un bout à l’autre, & qu’on mît ensuite
dans une juste balance le bon avec le mauvais, on trouveroit que le prémier l’emporte
de beaucoup sur l’autre. Vous me faites, Monsieur, trop d’honneur de dire,
qu’un Ouvrage de mon Chef sur cette matiére auroit mieux contenté les Connoisseurs.
Je ne me sens point du tout capable d’une telle entreprise; & quand je le serois,
je n’aurois pas dû m’y engager. Il me semble que Pufendorf a pris le bon chemin
dans l’explication du Droit Nat. & qu’on ne pourra guéres que bâtir sur ses
principes. Or, à moins que d’avoir bien des choses nouvelles à dire, il faut laisser
un Auteur en paisible possession de la gloire qu’il s’est aquise en écrivant sur
quelque sujet: & ce seroit sur tout une témérité à une personne qui n’a aucun nom
dans le monde, de 2 mots biffure donner lieu de croire qu’il veut s’élever sur les ruïnes
d’un Ecrivain célébre. Le Public d’ailleurs ne revient pas aisément de la préven=
tion où il est en faveur d’un Ouvrage, tant qu’on ne lui fait pas voir clairement
que le fond n’en vaut rien. Ainsi, pourvû qu’un Livre soit passablement bon, il
<1v> vaut mieux travailler à le rectifier par des Notes & de petites réparations qui le laissent
subsister dans le monde, que de multiplier sans beaucoup de nécessité le nombre des Livres
qui n’est déja que trop grand. Je ne me flatte pas d’avoir rendu ce service à Pufendorf
autant qu’auroit pû le faire quelque personne fort habile: mais j’ai fait ce que j’ai
pû, dans le cours d’un si long & si pénible travail; & peut-être que quelque jour
j’aurai lieu de mettre cet Ouvrage en dans un meilleur état.
Vous avez raison, Monsieur, de croire que Mr Bayle étendoit le Pyrrhonisme
jusqu’aux Démonstrations Mathématiques. Cela paroit trop clairement par tous ses
Ouvrages, pour pouvoir en douter; & cela étant, je ne vois pas de quoi il pouvoit
être assûré. Quoi que je ne sois point Mathématicien, il me semble que quand on
peut résister à l’évidence des prémiers ppes de la Géométrie, il n’y a rien au
monde dont on doive se paier. Quelque bonne opinion que j’aie de vous, j’ai
de la peine à me persuader que vous eussiez pû le faire revenir dans une heure
ou deux de Conversation. Il avoit pris son parti il y a long tems; & je crois
qu’il y a peu de gens aussi prévenus en faveur des sentimens qu'ils ont
embrassé de bonne heure témérairement & sans examen, qu'il étoit en faveur du
Pyrrhonisme, auquel il rapportoit toutes ses études. Il se tuë de prouver, dans ses
derniers Ouvrages, que l’Evidence n’est pas le caractére de la Vérité; & en vertu
dequoi vouloit-il donc que l’on crût qu’il étoit persuadé de tel ou tel sentiment?
Si Mr Locke décidoit positivement & d’une maniére déterminée, qu’il n’y a
qu’une Substance, il ne suivoit pas ses propres principes, & il étendoit son Jugement au
delà de sa Perception. Tout ce qu’il dit dans son Traité de l’Entendt se réduit à
prouver, que, comme nous ne connoissons pas distinctement la nature du Corps & de l’Esprit,
nous ne pouvons pas affirmer, ni que la Pensée & l’Etenduë soient deux 1 mot biffure choses entiérement distinctes, qui
ne puissent point subsister dans un seul & même Sujet, ni que ce soient 3-4 caractères biffure deux Attributs
d’une seule & même Substance: de sorte qu’on est aussi téméraire de soûtenir positivement
le dernier, qu’on le seroit de soûtenir le prémier. Peut-être que Mr Locke n’avançoit
là-dessus que des Conjectures, dans son Traité de l’Espace. Quoi qu’il en soit, je n’ai
point prétendu vous attribuer de penser que Mr Locke fût Spinoziste à tous égards: ce que
je disois, ne tomboit que sur l’Unité de Substance, qui est le grand principe de Spinoza. Au reste
vous souhaittiez que Mr Le Clerc défendît son ancien Ami contre ce que Mr Bayle a dit dans
le IV. T. des Provinc. vous aurez eû satisfaction 2-3 caractères biffure avant que de recevoir cette Lettre, puis que vous
aurez sans doute vû alors le XII. Tome de la Bibl. Choisie, où il examine aussi les Idées de
Mr Locke sur la Liberté. Le Chap. de l’Essai sur l’Ent. où cette matiére est traitée, m’a=
voit toujours paru un peu 2 caractères biffure embarrassé, depuis même que Mr Locke m’eût envoié les
Additions qu’on a insérées maintenant dans la nouvelle Edition. Il me sembloit qu’il avoit affec=
té sans nécessité un nouveau langage, quoi que dans le fond ses idées revinssent à celles des
partisans de la Liberté d’Indifférence, qui seule mérite le nom de Liberté. Je comprens
qu’il devoit avoir eû quelque dispute là-dessus avec Mr LeClerc. Vous étes trop obli=
geant, Monsieur, de m’envoier le Livre de Mr Caroll. Je ne sai pas encore assez
d’Anglois pour le lire: mais j’ai résolu de m’attacher à cette Langue, & c’est
<2r> pour cela que j’ai prié Mr de la Motte de faire venir d’Angleterre un
exemplaire des Serm. de Tillotson, qu’il me dit que vous avez eu la bonté d’acheter
pour moi. Je vous suis obligé de la peine que vous avez prise d’acheter cet Livre, &
du présent que vous me faîtes de l’autre. Apparemment que je les recevrai bien-tôt.
Comme les Imprimeurs ne m’ont pas laissé le tems de relire toutes les feuilles
de l’Abrégé des Devoirs de l’Homme & du Citoien, ni d’envoier l’Errata de celles que j’avois
luës, je vous marquerai ici les plus considérables. Pag. 44. lig. 30. satisfaire: lisez, sa=
tisfaire aisément. P. 85. l. 23. augmenter les &c. lis. augmenter ce qui sert aux Besoins
& aux Commoditez de &c. P. 112. l. 27. ne s’étendent: lis. ne s’étendant. P. 137. l. 14.
nôtre: lis. noire. P. 265. l. 24. fait injure: lis. fait quelque injure. P. 314. l. antepen.
supposer: lis. supporter. P. 344. Ch. XVI. l. 6. & amitié: lis. & en amitié.
Voilà bien des bagatelles, Monsieur: il vaut mieux laisser vuide le
reste de cette page, que de vous ennuier plus long tems. Je finis donc ici en
vous assûrant, que je suis toûjours,
Monsieur,
Vôtre très-humble &
très-obëissant serviteur
Barbeyrac
On dit que Mr Jaquelot est fort occupé à
répondre aux Entretiens posthumes de Mr Bayle.
Il disoit il y a quelque tems, que Mr Bayle
l’avoit bien maltraité, mais qu’il n’épargneroit
pas sa mémoire.
A Monsieur
Monsieur Des Maizeaux
A Londres