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Lettre à Frédéric de Sacconay, Roissy, 29 mai 1777
de paris roissy le 29 may 1777
mon bon amy, Me de pailly m'a dit seulement hyer que
je fus diner avec elle, qu'elle ne vous avoit point écrit la fin
de mes plus urgentes catastrophes. comme elle s'étoit chargée
de vous mander le jugement de mon procès, au moment ou j'etois
chargé d'affaires et d'écritures, et dérouté par une transmigration,
je croyois que les suittes en seroient aussy, et ce n'est que d'aprésent
que j'aprends que votre amitié est encore en presse, scachant que
le proverbe qui dit que le diable n'est pas toujours a la porte d'un
pauvre homme a eu lieu pour moy, mais d'une autre manière
que ne l'entend le consolant dictant, puisque le diable avoit forcé
ma porte et etoit entré dedans, d'ou s'etoit ensuivy que j'etois
dehors moy, et ma pauvre fille fort troublée aussy, et mes gens
fort ahurris faisant bonne contenance, le sr garçon que bien con=
noissés se cachant, le sr peiré répondant et tenant un journal
et ce bohème de st pierre faisant face a la garnison. cet etat
de dispersion et de strangurie a duré huit jours, les tenants
écrivant 100 lettres par jour en ville et enfin par toute sorte dex=
travagances cherchant matière a procès verbal. finalement la
nuit du 19 au 20 lexorcisme est venu qui a chassé le diable
et l'a mis en autre lieu. son compagnon femelle a éte ramené
chès luy &c &c. on dit aussy qu'un certain mauvais sujet,
défunt magistrat de toulouse, escroc, se disant son parent, etant
son conseil et son solliciteur, et y mal famé, gibier de police, et
qui a eu l'insolence de l'accompagner quand elle a pris ma
maison d'assaut a eu une lettre dexil de paris. cet article est un
bienfait de la police a l'ordre public autant qu'a moy.
en mème temps cest a dire le 15 du courant mon scélérat a été
arrèté et emprisonné en hollande. il avoit été condamné le 10
<1v> a pontarlier a avoir la tète tranchée quarante mille francs de
domages et intérèts &c. Me de Ruffey, mère de la femme qu'il a
emmenée, avoit fait un marché avec un exempt de police pour
la prendre et la ramener en lieu de sureté, marché conditionel au
cas seulement de succès. le voyant prèt a partir au moment ou mon
affaire seroit décidée avant le coup, et ou par conséquent son fait
n'effaroucheroit pas les autres, je fis un pareil marché.
au moment ou ma maison fut vidée, je partis pour venir icy a la
campagne, pour ne pas rentrer sur le coup, ia laissant du saillant
pour la suitte de mes affaires. je scavois l'arrèst de mon scélérat
mais du saillant m'envoya un billet par lequel on mandoit que l'extr=
adition ne pouvoit se faire qu'on ne payat 1 mot écriture; a la vérité on avoit dit de
bon lieu a mon gendre que cela ne passeroit pas 4000 lb; mais moy
qui ay tant dépensé inutilement l'année passée pour ce fait, qui
donnois encore une forte somme, qui ne suis aidé de personne, tandis
que je travaille au fonds pour les autres, marignane faisant la
sourde oreille, mème a me rembourser la pension de sa fille que je luy
ay payée pendant deux ans qu'elle étoit chés moy, qui serois encor
chargé de la pension forte de ce sujet pour le tenir en lieu privilégié
et sûr, qui dans l'état de non valeur absolue 1 mot biffé des grains, inouie
en provence et nouvelle pour moy depuis quarante ans que je gère, ne
suis point payé de mes revenus; qui chargé de touts les frais de ce
long et dispendieux procès &c ay été a charge a touts mes amis.
moy dis je j'ay mandé net qu'a l'impossible nul n'est tenu, que je ne
pouvois que ce que j'avois promis, le cas échéant de la remise du pri=
sonnier au lieu de sa destination; que lexempt donc pouvoit partir
avec la dame selon son premier plan, et laisser l'autre pour les gages.
voila mon bon amy ou j'en suis par touts les bouts: ce n'est pas
a dire que depuis que st michel a bien battu sathan, ce dernier n'ait
plus relevé la queue, bien au contraire, il n'en est que plus méchant
mais c'est toujours cela de gagné, et personne jusques icy n'en pouvoit
faire davantage. au reste je n'ay qu'a me louer de l'authorité et de
son principal dépositaire que je n'ay pas vu une fois, mais qui sur mes
lettres, m'a toujours servy, desqu'il l'a pu selon les règles, avec toute
la bonté, célérité et plenitude possible. cecy toutefois vous mettra
<2r> du baume dans le sang. adieu mon cher et digne amy, je me repose,
loeil et l'oreille au guèt, et je ne manque pas encor d'affaires, mais
enfin la corde se détend. je vous embrasse et offre mon Respect a
toutes vos dames, et cela de tout mon coeur
a monsieur
Monsieur de Saconay en
son chateau de Bursinel près
Rolle en Suisse
Par Pontarlier