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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 février 1777
de paris le 20 fr 1777
j'avois résolu mon bon amy de ne vous point écrire que je
n'eusse a vous mander la décision du noeud principal de mes
affaires. j'avois pensé et dû penser que cela se décideroit au
plus tard dans le courant de ce mois, puisqu'on m'avoit mandé dès
le commencement de xbre comme allant etre sur le bureau. les fins
de l'année, les 1ers jours de l'autre, le carnaval &c &c tout est
matiere a délais dans ce paÿs; et puis, quand mes parties ont vu
que cétoit tout de bon, elles se sont faites sergenter pour rendre les
papiers pris en communication; ensuitte on a fait la malade; il falloit
instruire un nouvel avocat parcequ'après l'infame mémoire, le sien
l'autheur come touts autres l'a envoyée au diable; enfin le raporteur
luy mème a donné délay de 15aine, les connoisseurs en plaidoyerie
disent que ce n'est pas mauvais signe; moy qui ne veux que finir
et avoir jugement quelconque je ne spécule pas; mais je prends patien=
ce, et il m'en faut assés; bref j'en suis encor lâ, mais la 1ere 15aine du
mois prochain doit voir juger.
cependant je vous écris pour deux choses. 1° jay fait un très court
mémoire concernant mon administration dont je rends conte; je ne le
donneray qu'au moment décisif; je voudrois vous en envoyer deux ou
trois exemplaires, le pourray je a l'adresse de Mr hénnin a genève
ou vous le feriés retirer? je ne prétends assurément pas enlever la croute
de touts les masques qu'on me fait. ce misérable est maintenant en
hollande, ou il fabrique chaque jour un nouveau libelle; il en a envoyé
deux icy qui y ont été arrétés, ils sont furieux. c'est ainsy qu'il vit de
la célébrité de son père, et qu'il employe l'education qu'il en reçut. dieu
est sur tout; mais le conte que je rends, a tant et tant été demandé et
<1v> étoit en quelque sorte dû a ceux envers lesquels j'ay contracté des
engagements.
2° j'aurois besoin de 4 bons chevaux suisses, bons pour le carosse auquel
ils seroient en effet destinés; mais comme j'ay pris a la main au bignon
la ferme de ma bassecourt, et que sitost que la tempète me permettra
l'abry, je conte desormais y passer du temps et le plus long possible, je
veux que mes chevaux soyent tels que le voiturer des terreaux et des
fumiers, et des materiaux pour mes constructions et dans les terres, ne
les effrayent pas. pour ce, si ce qu'il faut pour ètre pape, ne devient
pas matière a scandale dans votre paÿs, et ne rend pas les gens méchants
je les prendrois entiers; enfin sur cela je suivrois votre conseil comme
en toutes autres choses et a plus forte raison puisque vous etes amateur
et un membre du directoire. je les voudrois beaux et bons pour qu'ils
fissent honneur a votre choix et en age de travail, car je n'ay pas le temps
d'attendre. il me les faudroit pour ce printemps, et j'enverrois un homme
les prendre aussy tost que j'aurois votre avis.
je dois a l'amitié conte de ma santé. dès un tout en quittant la cam=
pagne, cest a dire le soir mème a nemours, mon accident automnal me
reprit et dès la 3e nuit je la passay a écrire étouffant. un jeune médecin
italien que le grand duc fait voyager, qui loge chez moy, et dont je connois=
sois la main heureuse, me dit que m'ayant traité l'été passé dans ma rou=
geole il m'assuroit pour la poitrine; que le diafragme étoit un conte, et
que c'etoit des convulsions destomac, me deffandit tout lavage et purgation
mon ancien régime; me prescrivit modération au diner sans régime
et me fit prendre de l'ether. cela me soutint et m'ota les étoufements
et n'ayant pas alors mon monde icy je dinois touts les jours en ville
l'hyver etant devenu rude cela dégénéra en rhume; alors pour m'oter
et fiévrotte, et toux et spectation, il m'a mis au saffran de mars; j'en
ay pris jusques a 40 grains par jour, et depuis plus d'un mois je suis
a 24 grains chaque matin dans un verre d'eau, je dors je digère, je ne
<2r> tousse plus et ma santé est aussy bonne qu'elle puisse ètre. cest un
grand point, dans l'état de mon ame et de mes affaires, et de touts les
détails qui m'assaillent de toute parts.
quand a votre santé a vous je la conte toujours invulnérable. touts
entre nous se souviennent de vous et vous disent mille choses. adieu
mon cher saconay je vous embrasse et j'offre mes tendres et profonds
Respects a vos dames Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Sacconai en
son chateau de Bursinel
près Rolle en Suisse
Par Pontarlier