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        Lettre à Frédéric de Sacconay, Roissy, 11 juin 1776
	
	
		
de Roissy le 11e juin 1776
	mon amy je suis a une magnifique et superbe maison
	de campagne (vous l'avés vue) ou l'on m'a envoyé pour me
	refaire par l'air comme le caméléon. cela revient en
	effet. j'avois emporté votre billet du 28 contant y répondre
	mais le découragement est un des supports des convalescences
	de la viellesse. j'y reçois maintenant votre lettre du 30
	et je mets la main a la plume.
	ne me reprochés pas de n'avoir pas voulu. 1° un homme
	mûr ne demandera jamais a dieu ny aux hommes plus de
	charge qu'il n'en reçut de nature et providence; s'il succombe
	ayant sollicité c'est sa faute alors. 2° je serois encor 1er min=
	istre du grand duc, mais quand le serviteur en scait plus
	que le maitre, authorité précaire, enviée, malvoulue, bientot
	forcée a etre tirannique, on chute, ou maires et comtee
	du palais. nous mourons touts les soirs mon amy, il faut
	vivre chaque jour en une chemise blanche.
	vous ne pouvés juger de nos loix; ou il faut n'inculper en
	rien sa femme, ou l'attaquer au criminel, car la moindre diffa=
	mation entraine séparation de corps et biens. dans le second
	cas pour reussir il faut avoir passé le fil, et encore cela dép=
	end des juges, elle est authentiquée, razée, flétrie, enfermée
	et perd touts ses droits, point de milieu.
	a légard du forcené il a fuy de dijon, emprunté de toute
	parts, emporté 500 louis a une femme qu'il veut enlever et
	qu'il laissera a présent et il est a thonon en savoye; on
	court après, mais il déloge a toute heure.
	mon découragement étoit machinal, il fait un peu a
	mesure que mes forces reviennent.
	sans ce procès mon amy, sans doute j'aurois été a vous, et j'y
	iray quand je le pouray, contés sur cela. j'ay donné carte
	blanche pour le finir, mais on ne tient point les fols. adieu
	amy très chery je vous embrasse portés vous bien
Mirabeau
a monsieur
	Monsieur De Saconai en son
	chateau de Bursinel, près Rolle
	en Suisse 
	Par Berne






