Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée XLVII. Sur l'instinct », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 04 avril 1744, vol. 2, p. 155-163

XLVII Assemblée.

Du 4e Avril 1744, à laquelle se sont trouvés Messieurs, De
Bochat Lieutenant Ballival, Baron DeCaussade, DuLignon, Seigneux
Boursier,DeCheseaux Conseiller, Seigneux Assesseur, Polier Professeur,
DeSt Germain Conseiller, DeCheseaux le fils:

Ce que j’ai dit, Monsieur le Comte et Messieurs, sur l’InstinctDiscours de Mr le Boursier Seigneux sur l'Instinct.
en divers endroits de mon Second Essai sur Mr Mandevil me fait
sentir la nésessité de vous exposer mes idées sur un Article dont on
parle souvent avec le Vulgaire, et dont il importe cependant d’a=
voir des idées plus déterminées:

L’Instinct est selon moi un sentiment régulier et uni=
forme qui nait avec nous et auquel nous ne saurions ré=
sister: ou si l’on veut, un sentiment attaché invariablement
à la nature et à la constitution d’un certain Etre, en sorte
qu’aussi souvent que ce sentiment sera réveillé par des objets qui s’y
raportent, il sera constamment le même.

/p. 156/ Dabord on sentira que cet Instinct doit varier selon la di=
verse nature des Etres; et comme on peut les distribuer en Classes
fort différentes, l’Instinct de chacune de ces Classes devra être propor=
tionné à sa nature, à son intelligence, et probablement au but de
sa Création.

Dans ce point de vue l’Instinct de l’Homme ne sera ni aussi
borné que celui de la brute, ni aussi élevé que celui de l’Ange, si tant
est que toutes les Créatures qui sont finies aient nécessairement quel=
que portion de cet Instinct qui les pousse et qui les dirige.

La Brute a divers Instincts marqués, dont on voit aisément le
but & les bornes, tantôt pour la conservation de sa géniture, tantot
pour la sienne propre. Avec plus ou moins d’adresse chaque Animal
a le sien plus ou moins marqué, toujours raportant à l’un ou à l’au=
tre de ces buts. Les uns l’apellent Intelligence selon l’art et le prévoi=
ance qu’ils y découvrent; D’autres n’y voient qu’un pur mechanisme,
fondés même à ce qu’ils prétendent sur la justesse et la perfection
des divers mouvemens qui y concourent; justesse qui surpasse à di=
vers égards celle dont l’Homme est capable.

Malgré cela on trouvera en y faisant bien attention plus d’é=
tendue et de variété, mais sur tout de liberté [qui forme un carac=
tère supérieur]  dans l’usage que l’Homme fait du même Instinct.
Ainsi la Brute portera autant et plus loin peut être le soin de sa
progéniture que l’Homme mais aussi la tendresse finit dès qu’elle n’est
plus nécessaire, tandis que l’Homme la conserve jusqu’au tombeau. Nom=
bre d’animaux auront plus de ruses pour échaper au chasseur que
l’Homme pour resister à son ennemi: mais aussi l’Homme a plus
de ressources dans sa Raison et dans sa Prudence pour prévoir l’atta=
que, pour en détourner son ennemi, pour se le reconcilier, pour as=
surer son repos par des cessions & des Traités, pour réfléchir sur le
péril de sa situation, se faire des amis qui le soutiennent, trouver
des remèdes à ses disgraces.

Mais voici, Messieurs, un Instinct plus noble, et dont aucune
Brute n’est capable, parce qu’il s’éloigne entiérement de sa constitu=
tion & de sa nature. Un Instinct élevé qui paroit n’être fait que
pour l’homme seul, ou du moins pour la créature Intelligente.
Tel est par exemple,

ExempleL’amour de la vérité. Dès que l’Homme est en état de l’ap=
percevoir, il ne peut s’empécher d’y adhérer. Tant qu’il respire et
que sa conception est libre, il lui donne inévitablement et invariable=
ment la préférence sur tout ce qui s’en écarte.

/p. 157/ Le gout pour l’évidence ne semble rien y ajouter: Cependant2e Exemple
il porte plus sur le détail. Car non seulement l’Homme est fait pour
le vrai en général: mais encor pour toute vérité, et pour l’évidence
de chaque vérité en particulier, dès qu’il l’a une fois saisie et recon=
nue pour telle. Dès lors il n’est pas plus en son pouvoir d’en disconve=
nir intérieurement, que de changer ses traits, sa nature et sa consti=
tution. Quelque envie ou quelque intérêt qu’il eût de penser le con=
traire, cela lui seroit totalement impossible. Au moment qu’une vé=
rité claire, simple et palpable se présente à lui, sa Raison l’embrasse
à l’instant malgré lui et pour jamais; c. à d. pour tout le tems qu’el=
le s’offrira à son Esprit avec de tels caractères.

Le sentiment du bien et du mal moral en résulte; Il est3e Exemple.
aussi puissant sur lui que le sentiment du bien et du mal Physique.
Dès qu’il a une fois l’idée fixe d’une régle morale, il admet pour
bon tout ce qui y est conforme et reconnoit pour mauvais ce qui
s’en écarte. La corruption de son cœur n’y change rien, tant qu’elle
n’altère pas le jugement qu’il avoit dabord porté; et tout comme on
voit souvent le Menteur respecter dans le fond la vérité, on voit aus=
si les Hommes les plus corrompus ne faire aucune difficulté de recon=
noitre la bonté et la justice de la régle qu’ils ont violée, condanner
librement leur conduite, et rendre à cette régle un parfait hommage.

L’amour propre avec toutes ses branches, telles que sont l’amour4e Exemple
de la vie; celui de l’honneur, et de la réputation, ce gout vif et
insurmontable pour la liberté: Cet amour propre, dis-je; est en=
core un Instinct si puissant qu’il fait taire tous les autres. Les ac=
tes les plus généreux et les plus désintéressés ne sont que des sacrifi=
ces de l’amour propre grossier, à un amour propre plus éclairé et
plus délicat.

Le desir véhément de l’immortalité qui ajoute au desir5e Exemple
primitif du bonheur, celui de le voir durer toujours: desir qui en=
tre dans tout ce que l’homme fait, qui étend et annoblit toutes ses
vues, qui lui rend presque toujours l’avenir plus précieux que le pré=
sent, puisqu’il lui fait si souvent sacrifier à la gloire où au bonheur
de cet avenir tout le repos et toutes les douceurs du présent.

Ces exemples peuvent suffire pour nous faire connoitre deux
puissans ressorts qui nous meuvent, et auxquels tous les autres
peuvent se réduire; L’amour du vrai, et l’amour de nous-=
mêmes
; ou pour l’exprimer en d’autres termes le désir de con=
noitre
et le desir d’être heureux.

Dieu n’a sans doute formé aucune de ses créatures pour la
/p. 158/ rendre malheureuse. Il paroit au contraire indubitablement qu’il a
créé l’homme pour le rendre heureux par la connoissance de la verité
et par la pratique de la vertu. Mais ce qui est le plus digne de la bonté
de ce grand Etre, c’est qu’il a mis l’homme sur la voie de l’un et de l’autre,
en gravant dans son cœur un Instinct également vif et irrésistible
pour la connoissance et pour le bonheur. Non content de lui donner
les Facultés intelligentes pour le rendre capable de découvrir la veri=
té, il lui a donné une ardente curiosité pour la pénétrer, et un gout
naturel pour la suivre. Non content encor de rendre son ame ca=
pable de sentir le bonheur il l’a remplie d’un desir véhément de
l’aquerir, aussi bien que de l’idée et de l’espoir qu’il pourra durer toujours.

Ce n’est pas tout encor, pour l’aider à ne point se méprendre
dans les objets de ce desir, ou dans le choix des moiens de réaliser ses
espérances son Créateur lui a donné le gout pour la vérité, et le
sentiment du bien moral, seul capable de le faire arriver au terme
de ses desirs, et après l’avoir muni d’une Raison pure et d’une Con=
science droite dans son principe, il laisse à sa liberté le soin d’ap=
pliquer ces moiens & ces secours, afin de lui procurer la douce satis=
faction d’avoir fait quelque chose pour soi même; et qu’il n’ait pas
la honte et le regret d’être heureux sans avoir rien fait pour le
devenir.

Voilà ce que j’admire dans la constitution de l’Ame humaine
destinée non seulement à la Perfection et au Bonheur, mais
guidée si puissamment par un double Instinct pour arriver à
l’une et à l’autre.

Pour déterminer plus précisement le caractère de cet Instinct
je dirai que c’est une Régle préliminairement établie pour
fixer le raport qu’il devoit y avoir entre l’objet et le senti=
ment
: Ainsi le raport qu’il y a entre l’Ame et le bonheur se trouve
fixé invariablement par le desir ardent et universel que Dieu a im=
primé dans cette ame pour le bonheur. Le raport qu’il y a entre
l’Intelligence de l’Ame et la Vérité se trouve fixé et par l’empresse=
ment que l’Ame a naturellement pour la connoitre et par l’aquies=
cement invariable qu’elle lui donne aussi tôt qu’elle l’a connue. Le
raport qu’il y a entre le bonheur de l’Ame et la connoissance
pratique de la Vérité
, qui n’est autre chose que le bien moral
est fixé irrévocablement par l’approbation que l’Ame donne néces=
sairement à toute régle ou vérité morale clairement et distincte=
ment connue. Enfin le raport qu’il y a entre la nature de l’Ame
et l’Immortalité me paroit évidemment fixé par l’idée, le desir et
/p. 159/ l’espérance universellement répandue de l’immortalité des Esprits.

Je sai que nombre de Philosophes me contesteront la certitude
de l’objet, et par là même la certitude du raport fondé uniquement sur
le desir. Mais sans m’y arrêter beaucoup ici, je ne laisse pas de croi=
re, 1° Qu’un desir universel & attaché à l’Ame de tous les Hommes
ne peut venir que de Dieu. 2° Qu’un desir de cette espèce doit a=
voir nécessairement un objet aussi vrai et aussi réel que le desir
même qui s’y raporte. En ce sens le desir ne marque pas mieux ce
qui nous manque, que ce dont nous sommes apellés à jouïr un jour.
S’il ne nous faisoit sentir que nos besoins, il n’auroit d’autre utilité
que de nous donner des regrets. Si ce desir nous montre la verité,
il doit nous montrer des connoissances réelles et faites pour nous.
S’il nous indique le bonheur, il doit nous montrer aussi tout au moins
la possibilité d’y arriver. S’il nous présente l’idée de l’immortalité,
il nous certifie par là même la durée permanente de ce bonheur.
Enfin si ce sentiment primitif approuve sans hésiter le bien moral,
il nous montre la route certaine pour y parvenir.

Dès que j’ai prouvé que l’Instinct dont je parle fixe invaria=
blement, non seulement le raport qu’il y a entre l’objet et le senti=
ment, mais encor le sentiment de ce raport dans le cœur de l’hom=
me, j’ai tout lieu de le regarder comme le plus ancien institut
du Créateur pour diriger la Créature raisonnable
, et comme
une régle primitive antérieure à tous les actes. Dès lors j’ai droit
(je pense) de dire avec Mr Ditton, quoique dans une vue différente
Relig. Chrét. demont. Part. II. Chap. II. Sect. VIII.de la sienne, Que Dieu a du en nous créant raisonnables éta=
blir certain ordre ou certaine Loi qui serve de régles aux actes
et aux opérations de l’Esprit, de telle manière que cet Esprit
soit obligé de s’y conformer à proportion des divers motifs qui
ici en sont offerts
.

Je vois du moins clairement que Dieu l’a fait. Il a donné la
Raison à l’Homme, et pour le guider dans l’usage de cette Raison
il lui donne le desir et le gout de cette vérité. 2° Il le crée pour
être heureux, et pour le guider au bonheur il lui donne avec un
amour propre très vif un sentiment droit du bien et du mal mo=
ral, et par là une impression qui se raporte exactement à la
fin de son existence. 3° L’Homme négligeroit ses secours s’il n’a=
voit de puissans motifs. Dieu lui donne pour aiguillon avec l’idée
et le desir véhément de la félicité, l’idée et l’espoir d’un bonheur
inaltérable.

L’Instinct considéré de cette manière nous rend plus res=
ponsables /p. 160/ à Dieu et plus reconnoisans pour lui. Il nous montre
une Loi gravée dans la Raison pour fixer l’usage que l’Homme
en doit faïre.

Dans le langage ordinaire, c’est Monsieur le Professeur PolierSentiment de Mr le Professeur Polier
qui parle, on n’entend par le mot d’Instinct que ce mouvement
machinal qui nous porte vers certains objets, mouvement qui con=
vient plutôt au corps qu’à l’Ame. On peut cependant comme l’a
fait Monsieur le Boursier l’appliquer aux Esprits et l’entendre de
cette impression qui les porte vers certains objets, impression cepen=
dant qui leur laisse la liberté de suivre ce à quoi elle les porte ou
de s’en écarter. En suivant l’Instinct simplement cela conduira
les Esprits au bien.

L’Instinct renferme deux actes, le Desir de connoitre et le De=
sir d’être heureux, ou plutôt, parceque le desir de connoitre est
affoibli dans certains hommes, soit par l’éducation, soit parceque
la machine l’emporte sur l’Ame, ils trouvent leur bonheur a de=
meurer dans l’état de connoissance ou ils sont si petit qu’ils soit:
il en est de même du desir d’être heureux, puisqu’il y en a plusieurs
qui se contentent du degré de bonheur qu’il ont ici bas, quelques
personnes veulent en conclure que le desir de connoitre et le desir
d’être heureux ne sont pas naturels aux hommes.

Sur cela je remarque qu’on ne doit pas juger des creatures hu=
maines par une partie d’entr’eux, et encor par la moins considérable
partie, par celle qui a le moins de talens & de vertu; mais par ceux
qui sont le plus perfectionnés.

Cet instinct est très utile à l’Homme, parcequ’il le conduit tou=
jours au bien. Cet Instinct ne se montre pas dans tous les Indivi=
dus, par exemple dans un grand nombre d’enfans, il ne se deve=
lope entiérement que lorsque l’homme peut en faire usage, et
lorsque le principe qui doit diriger l’Homme savoir la Raison,
est lui même developé quoique l’Instinct conduise toujours au
bien, cependant en le suivant aveuglément on pouroit ou négli=
ger des devoirs importans, ou suivre trop loin son Instinct, et
par là on tomberoit dans de grandes fautes. Il faut donc que la
Raison détermine quand on doit le suivre et jusqu’à quel point
on doit s’y abandonner.

Le mot d’Instinct est dérivé du Latin; il signifie dans son
origine une manière d’inspiration avec laquelle nous pouvons
nous conduire dans la pratique du bien: cette inspiration nous
laisse la liberté toute entière de la suivre, ou de la négliger: on est donc
/p. 161/ louable ou blamable suivant qu’on le suit ou qu’on le néglige à
propos ou mal à propos.

L’instinct peut servir de principe à la Morale Chrétienne, la
Morale ne l’a point changé: il peut être très utile à ceux qui n’ont
pour guide que les lumières de la Raison, mais il l’est aussi à ceux
là même qui ont la Révélation.

De la manière dont on a défini l’Instinct, a dit Monsieur DuSentiment de Mr DuLignon.
Lignon, on suppose toujours qu’il se raporte à la machine. Dieu l’a
donné aux Hommes pour diriger ceux qui ne font pas beaucoup
d’usage de leur Raison: c’est toujours un guide qu’ils ont.

Je crois, a dit Monsieur l’Assesseur Seigneux, que l’Instinct neSentiment de Mr l'Assesseur Seigneux.
se raporte qu’au corps et non à l’ame: c’est au moins l’idée que je
m’en suis toujours formé. Dailleurs la définition qu’on en a don=
né exclut la liberté. De plus si l’Instinct s’étendoit aussi loin
qu’on l’a établi, qu’il fut une Faculté de l’Ame, il s’ensuivroit, par
exemple, que chacun devroit suivre la vérité, comme on se livre
aux choses qui flatent les Sens. Mais je conclus de cela qu’on ne
doit pas apeller le gout de la Vérité un Instinct, puisque peu
de personnes la cherchent; j’en dis de même du desir d’être heu=
reux. Je pense donc que l’Instinct ne sert que pour diriger les
mouvemens du corps, et seulement quand l’Ame n’est pas encor
en état d’exercer ses Facultés, qui sont nos seuls guides.

Monsieur DeSt Germain pense que l’usage doit déterminerSentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.
la signification des mots: or l’usage ne donne pas au terme d’Ins=
tinct la signification qu’on lui a donné; il désigne seulement ce
qu’il y a chez nous de commun avec les animaux. C’est un mobile
qui nous porte à agir. Il ne peut pas s’apliquer aux Etres pu=
rement intellectuels, aux Anges par exemple.

Le desir de connoitre n’est qu’une branche du desir d’être heu=
reux, on ne doit pas les distinguer; c’est pour cela aussi que le pré=
mier n’est pas si général que le second.

Pour définir une chose, c’est Monsieur DeBochat qui parle,Sentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
il faut ou en connoitre la nature, ou au moins ses effets, de fa=
çon qu’on ne puisse pas confondre cette chose avec d’autres. Je ne
connois pas parfaitement la nature et les effets de l’Instinct, je
n’en puis donc parler que par l’idée du vulgaire.

Je vois pourtant dabord que l’Instinct est une Faculté, ce=
la me met en état de chercher s’il réside dans l’Ame, ou s’il est
dans le corps une aptitude à de certains mouvemens. Si je dis
que cette Faculté est dans l’Ame, dabord il se présente une
/p. 162/ grande Question, Pourquoi cette Faculté se trouve aussi dans des
Etres qu’on ne croit pas qui aient une Ame? Si on cherche cette
Faculté dans le corps; je ne comprens pas non plus comment
on pourra l’expliquer à moins qu’on n’y joigne quelques oprati=
ons de l’Ame.

Il faudra reconnoitre pour l’Instinct ces mouvemens, ces sen=
timens, quelque chose en un mot qui se trouve dans tous les hom=
mes, en tout tems et en toute occasion sans que l’Ame ait le
tems de réfléchir. Telle est, p. e., la peur du danger qui est la mê=
me dans tous les homme et chez les animaux.

Le but de cette Faculté est sa propre conservation, ou le
desir de conserver son état, qu’on regarde comme le meilleur.
Le desir de l’immortalité n’est pas général, et n’est pas par con=
séquent de l’Instinct. Le Peuple parmi nous, & les Nations
barbares n’ont pas ce desir. On en peut dire autant du desir
de connoitre: il y a cependant de la curiosité chez tous les
hommes, il y en a même chez les bêtes, et ce desir paroit tenir
à l’Ame; ce desir de connoitre les raports de deux objets ne
peut être senti que par l’Ame; Ce qui fait de la peine et de
l’embarras, puisque les bêtes l’ont.

En général cette matière est très obscure. C’est là le secret
de la machine, secret qui n’est connu que de Dieu, qu’il ne faut
pas même tenter de connoitre. Comme on ne connoït pas l’u=
nion de l’Ame et du Corps, on ne peut pas non plus connoitre
l’Instinct. Cependant l’Instinct est toujours dans l’homme, il
prévient la Raison et l’âge ne l’éteint point; un Enfant dans
l’âge le plus tendre a peur du danger, et l’évite selon ses forces
et un vieillard sait se défendre.

L’ignorance des homme, selon Monsieur DeCheseaux, aSentiment de Mr le Conseiller DeCheseaux.
inventé le terme d’Instinct pour exprimer ce qu’ils n’entendent
pas, et qu’ils conçoivent qui porte les homme à agir. Sans m’ar=
rêter à définir ce que c’est que l’Instinct, je ne m’attacherai à en
considérer que les actes, qui font le desir de se conserver, et le desir
d’être heureux. Si Monsieur Seigneux a prouvé que Dieu a don=
né des penchans qui tendent à ces deux buts, il aura prouvé
que Dieu a pourvu au bien de l’Homme. Je remarquerai en
passant sur ce que Monsieur DeBochat a dit de la curiosité,
c’est que la curiosité ne nous porte pas à la recherche de la vé=
rité, mais ce qui est nouveau.

Monsieur DeCheseaux le fils a dit que l’Instinct est unSentiment de Mr De Cheseaux le fils.
/p. 163/ terme qui désigne ce qui porte les hommes et les animaux à faire
de certaines choses sans le secours du raisonnement. L’Instinct est
quelque chose de composé, il y a du machinal & de l’intelligent.
Dans les hommes il se trouve quelque chose d’approchant de l’Ins=
tinct qui en est pourtant différent & qu’il ne faut pas confondre,
c’est, par exemple, le gout pour les arts en général, ou pour quelque
art ou quelque Science en particulier. L’Instinct nous a été
donné pour nous porter à de bonnes choses, telles est la Compassi=
on. C’est déja ce qui en fait voir l’utilité; mais de plus l’homme ne
se détermineroit que rarement à agir par le secours de la Raison
seule; s’il n’étoit encor soutenu et entrainé pour ainsi dire par l’Ins=
tinct. Il est donc très utile à l’Homme, et il faut le suivre.

Monsieur le Baron DeCaussade n’a rien voulu ajouter.

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intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée XLVII. Sur l'instinct », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 04 avril 1744, vol. 2, p. 155-163, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/546/, version du 24.06.2013.
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