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« Assemblée XXXIV. Lecture de la deuxième dissertation Schmauss sur la raison de l'homme », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 04 janvier 1744, vol. 2, p. 29-37
XXXIV Assemblée.
Du 4e Janvier 1744. Présens Messieurs DeBochat Lieu=
tenant Ballival; Seigneux Bourguemaistre, Polier Professeur, Baron
DeCaussade, DuLignon, Seigneux Assesseur, D’Apples Professeur, De
St Germain Conseiller, DeCheseaux fils.
Messieurs. Permettez qu’avant toutes choses je commenceDiscours de Monsieur le Comte.
mon Discours, par vous rendre bien des graces des vœux que vous
avez eu la bonté de faire en ma faveur, et des soins obligeans que
vous prenez de moi. Agréez, Messieurs, je vous en prie, ceux que je
fais pour chacun de vous en particulier; ils sont aussi étendus que
sincères, puisqu’ils sont dictés par la reconnoissance, l’estime et l’atta=
chement le plus parfait.
La Question que vous examinates Samedi dernier, Monsieur Dea Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
Bochat, est celle-ci, S’il est nécessaire pour la conservation d’un
/p. 30/ Etat que le Souverain connoisse les Sciences et qu’il les fasse fleurir.
Pour le prouver vous avez fait voir que les Etats tombent & sont détruits
ou par des maladies internes, ou par les forces d’un autre Etat qui en
fait la Conquête.
La plus facheuse de ces maladies c’est la guerre civile, ou les Citoiens
sont armés les uns contre les autres, et ou la victoire de l’un des partis
est toujours funeste à l’Etat. Mais comment la préviendra-t-on, à moins
qu’on ne connoisse les Droits des divers Membres de l’Etat, et l’art dificile
de pénétrer la disposition des Esprits, de dissiper les Complots, et d’em=
ploier à propos la sévérité ou la douceur? Par conséquent les Sciences
qui aprennent ces choses sont nécessaires à la conservation de l’Etat
Elles y contribuent encor en occupant les Hommes, en adoucissant
leurs mœurs, en leur aprenant à raisonner juste, et en les conduisant
à la Fortune.
Elles garantissent l’Etat des invasions étrangéres, en fournissant
les moiens de les prévoir, de s’en mettre à couvert, de tirer parti de ses
forces, et de celles de ses Voisins, quelquefois en démontrant à son en=
nemi l’injustice de son procédé.
Si les Sciences sont si utiles à la conservation d’un Etat, il est
nécessaire qu’on les fasse fleurir. Mais le Souverain ne parviendra à
ce but qu’en les favorisant, en faisant des établissemens propres à
en inspirer le gout, en recompensant ceux qui s’y appliquent, enfin
en excitant par son exemple à s’y attacher. Pour cela qu’il ait lui
même du gout pour les Sciences, & qu’il en ait une connoissance géné=
rale, connoissance qu’il doit tacher d’aquerir dans sa jeunesse.
a Mr le Boursier Seigneux.Vous m’avez fait voir par plusieurs exemples, Monsieur le Bour=
sier, que les Sciences contribuent et à la gloire du Prince, à la gloire
et au bonheur des Peuples. Les Savans qui les professent, publient
les Vertus du Prince, ils perfectionnent les Arts et les rendent plus
utiles à la Société.
à Mr le Professeur D'Apples.Vous m’avez montré, Monsieur le Professeur D’Apples, que les Scien=
ces peuvent guérir les maladies d’un Etat, l’ambition, la faineantise,
le luxe; qu’elles le font fleurir, et qu’elles multiplient la confiance en=
tre les Membres de l’Etat, ce qui en fait la force et le soutien.
à Mr DeCheseaux fils.Vous mavez fait comprendre, Monsieur DeCheseaux, que les Scien=
ces qui ne paroissent pas dabord utiles à la conservation des Etat, ne
laissent cependant pas d’y contribuer beaucoup; parce qu’elles élèvent
l’Ame, elles la remplissent de grands sentimens, et l’accoutument à
penser juste.
a Mr l'Asses. Seigneux.Vous m’avez appris, Monsieur l’Assesseur, qu’il est absolument néces=
saire /p. 31/ à un Prince de s’attacher aux Sciences; parceque ce sont elles
qui nous apprennent à connoitre nos devoirs; que les Princes en aiant
un plus grand nombre à remplir que le commun des Hommes doivent
aussi s’y appliquer avec plus de soin.
Il y a deux Causes, m’avez vous dit Monsieur le Professeur Polier,a Mr le Professeur Polier.
de ce qu’on cultive mal les Sciences; c’est 1° qu’on les montre du côté
qu’elles sont les plus difficiles et les moins utiles. 2° Parce qu’on ne laisse
pas assez de liberté aux Savans de produire leurs découvertes: il
faut les animer par la tolérance qu’on a pour eux.
Enfin, Monsieur le Baron De Gersdorf m’a convaincu que si lesa Mr le Baron De Gersdorf.
Princes ne s’attachent pas aux Sciences, cela vient souvent de la mau=
vaise éducation qu’ils ont receu.
Après ce Discours on a lu la Seconde Dissertation de Mr Schmauss
qui traitte De la Raison de l’Homme; je n’en ferai pas l’abrégé
par la même raison que je n’ai pas fait celui de la prémière, mais
de plus, parceque Monsieur le Professeur Polier a pris la peine de le
faire Article par Article; je vais donc l’inserer ici avec les remarques
qu’il a fait sur chacun de ces articles.
Abrégé de la 2e Dissertation de Mr Schmauss, De la Raison de l'Homme et remarques sur cette Dissertation par Mr le Prof. Polier.J’ai trouvé la Dissertation de Mr Schmauss, a dit Monsieur le Profes=
seur Polier, si remplie de propositions fausses, et de principes dangereux,
que j’ai voulu faire l’Abrégé de cette pièce, et joindre mes remarques à
chaque Article, afin de ne laisser rien passer.
Art. 2d L’Auteur entend par la Raison cette Faculté de l’Homme, qui
pense, qui connoit, qui a de l’intelligence, et qui est distincte de la volon=
té et des Sens. Et il convient que la Faculté même de penser, ou l’apti=
tude à penser nous est aussi naturelle que la Volonté et les Sens. Cepen=
dant un peu plus bas il conclut de ce qu’il n’y a point d’idées, ou de pro=
positions innées soit théorétiques ou pratiques, il en conclut que toute
Raison humaine est une connoissance aquise, et par conséquent, que
la Raison humaine est apellée naturelle, non qu’elle ait naturelle=
ment des notions de certaines propositions, ou de certaines vérités,
mais parce que la Nature a donné à l’Homme, en le formant,
la Faculté, le pouvoir, l’aptitude d’aquerir moiennant les Sens
et l’Expérience, dès qu’il est venu au Monde, d’aquerir, dis-je, succes=
sivement la connoissance vraie ou fausse, et de recevoir également
la vérité ou l’erreur.
Remarques. Cette définition convient mieux à l’Ame qu’à la Rai=
son, qui est plutot ce principe ou ces dispositions que Dieu a mis
dans l’Ame pour discerner le juste et l’injuste; le vrai d’avec le faux.
Elle est alors distincte de la Volonté, entant que celle-ci regarde le
/p. 32/ bien et le mal, et est le Siège des passions, et entant que source du bonheur
et du malheur. Mais l’une et l’autre sont des Facultés de l’Ame unies
dans leur principe, mais distinctes en ce que l’une a pour objet le vrai
et l’autre le bien.
La conclusion qu’il tire des idées innées, n’est rien moins que juste
puisque sans admettre des idées innées, l’on peut admettre dans l’ame
des dispositions à juger, des principes de jugement, des loix attachées à
sa Faculté de penser, suivant lesquelles elle se détermine aussitôt qu’el=
le a pris connoissance des choses pour reconnoitre le vrai d’avec le faux;
Dailleurs il est très faux que nos connoissances viennent par les Sens;
et quand il seroit vrai que les prémiéres idées viendroient des Sens, et
de l’expérience, il n’en est pas toujours ainsi, et l’Ame a de plus la capa=
cité de faire usage des idées qu’elle a aquis par le moien des Sens, pour
en former de tout à fait intellectuelles, telles que sont p.e. tous les rai=
sonnemens qui se font, et les conclusions qui se tirent des prémisses.
Art. III. L’on découvre peu de Vérités par les Sens, l’on ne peut même
en avoir toujours de certitude, parceque les Sens nous trompent quelque
fois par la distance des objets, et plusieurs autres circonstances, et que les
Sens n’aperçoivent que l’écorce des choses, et ne pénétrent point dans
l’interieur; outre que l’expérience ne s’étend qu’aux objets qui se présen=
tent journellement, et qu’il est de l’intéret de chacun de connoitre pour
sa propre conservation et son utilité, il en tire ces deux conclusions éga=
lement absurdes, 1° Que les vérités que nous connoissons, ne sont que
des conjectures plus ou moins probables, 2° Que la Raison naturelle de
l’homme diffère peu de l’intelligence des bêtes par raport aux vérités, et
que leur connoissance est à peu près la même dans l’homme que dans
la bête.
Remar. 1. Si les Sens nous aprennent peu de vérités, c’est une foible
source de connoissances. 2. Ce n’est point les Sens qui nous trompent, mais
c’est le jugement que nous portons sur ce que les Sens nous représen=
tent. 3. Ce jugement dépend de nous pour le suspendre, l’arrêter, l’éclairer
et agir en conséquence. 4. Si les Sens ne pénétrent pas dans l’intérieur
la Raison le fait par les comparaisons, les analogies, les conséquences,
les effets, et cet acte est purement intellectuel, et sert beaucoup à éten=
dre nos connoissances.
Art. IV. Si la connoissance de l’Homme l’emporte sur celle de la
bête, il le doit uniquement à la parole, par le moien de laquelle ils se
communiquent les uns aux autres ce qu’ils ont aquis par les Sens et l’ex=
périence; mais comme par ce moien il reçoit l’erreur, aussi bien que la
vérité et qu’il va même jusqu’à douter de ce que ses Sens lui démontrent
/p. 33/ et jusqu’à soufrir qu’on lui persuade des choses très fausses, il doute si à
cet égard le son de la parole est plus utile aux Hommes que préjudiciable;
et il panche à croire qu’il lui a plutot été donné pour d’autres usages que
pour connoitre et trouver la Vérité.
Remar. La Parole n’est que l’organe, ou le véhicule de la Pensée
qui se communique ainsi par le secours des Sens; mais l’Ame qui reçoit
ce son a le pouvoir de l’examiner, de l’admettre, de la rejetter en tout ou
en partie, sans le secours des Sens; par là la Parole n’en impose a Per=
sonne; c’est toujours un don excellent et très propre à augmenter nos
connoissances, et nous faire parvenir à la découverte de la Vérité, sans
parler des autres usages qu’on en tire.
Art. V. Toute cette connoissance aquise par les Sens et l’expérience
se borne presque à ce qui se passe dans la Patrie et la Société de chaque
individu; de là vient qu’il ne juge du juste et de l’honnête que par les
principes reçus dans son Païs, et les coutumes qu’il a pris dans son en=
fance, ce qu’il prouve par divers exemples, d’où il arrive que ces princi=
pes lui paroissent comme innés, quoiqu’ils ne soient pas les mêmes par ra=
port à tous les Hommes.
Remar: Ceci est tout à fait contraire à l’expérience d’un grand nom=
bre de personnes, et quand il n’y en auroit qu’une seule qui se seroit af=
franchie de l’esclavage des Sens, ou des impressions de l’éducation et de la
coutume, elle suffiroit pour conclure qu’il y a en nous un principe actif
qui nous fait chercher la Vérité, qui en a des idées, et qui la saisit dès
qu’elle lui est présentée comme Vérité.
Art. VI. Il conclut de là que la Raison n’est donc pas la même dans
tous les Hommes, qu’elle est autant susceptible d’erreur que de Vérité;
qu’elle ne sauroit servir par conséquent de regle universelle: et de plus
qu’elle est incapable de connoitre des vérités certaines, si ce n’est un petit
nombre que l’on aperçoit par les Sens: mais comme ils ne découvrent
point l’essence des choses, et qu’on ne peut rien connoitre à priori, la
Raison est par là renfermée dans des bornes très étroites: mais ce n’est
pas une imperfection, ni un malheur; parce qu’elle ne nous a été don=
née que pour passer heureusement cette vie, et qu’il n’est necessaire
pour cela que de suivre l’instinct des Sens auxquels la Raison peut
servir de garde, ou de Conseiller, mais elle n’a pas d’autre usage.
Rem. La Raison considerée comme simple Faculté intelligente
est la même; mais considerée comme douée de plus ou de moins de saga=
cité, de pénétration, capable de plus ou de moins d’attention et de réflexi=
on &c. est très différente, quoique le fond et le but soient le même, sa=
voir de chercher et d’embrasser la vérité quand elle lui est présentée
/p. 34/ comme telle, et la variété qui arrive à cet égard ne provient point des Sens
mais des attributs de l’Ame même.
2. Il est faux que l’on ne connoisse rien a priori, quand même les Sens se=
roient la prémiére Source de nos connoissances. 3. Ce seroit un très grand
malheur d’être borné dans ses idées à celles que les Sens nous fournissent, parce
qu’elles seroient une source d’erreurs, si la Raison ne les corrigeoit pas.
Art. VII. Puisque la Raison ne sert qu’à conduire la volonté au but que
chacun se propose; que cette volonté varie dans chacun, et que chacun n’est
heureux qu’autant qu’il vit au gré de son bon plaisir, il en conclut qu’il é=
toit nécessaire que la Raison fut formée différemment dans chacun, pour
satisfaire ses différentes inclinations, mais cette régle qui varie incessam=
ment, mesurant tout par son utilité & son bon plaisir, n’est propre à cher=
cher et découvrir la vérité, qu’autant que l’utilité propre s’y trouve.
Rem. Les Principes et la conclusion sont également faux, ils tendent
également à la ruine de la Religion et de la Société, parce qu’il n’est pas
possible, d’un côté d’accorder la Religion avec la satisfaction des Sens, et
de l’autre que la volonté ou la fantaisie de l’un ne pouvant être satis=
faite que par la destruction de la volonté ou de la convoitise de l’autre, ils
ne sauroient être tous deux heureux, dans la possession de ce qu’ils ne peu=
vent posséder en commun.
Art. VIII. Cependant si l’intéret particulier ne s’y trouve point, et, que
la volonté ne panche d’aucun côté, la Raison peut alors connoitre la vérité
et c’est ce qui fait que plusieurs hommes se rencontrent dans les mêmes
idées ou sont imbus des mêmes principes. Outre qu’il y a certains desirs com=
muns que la Raison approuve, aussi bien que les propositions qui tendent
à les satisfaire, ce qui établit une espèce de conformité entre les Hommes,
quoique dailleurs il y ait un beaucoup plus grand nombre de vérités sur
lesquelles ils différent.
Rem. L’Expérience nous convainc que bien des gens préférent l’in=
téret public à l’intéret particulier, que la Raison triomphe souvent des
passions, que l’amour de la Vérité l’emporte sur l’amour du Monde, ou
de ses propres intérets. Dailleurs dou viennent ces principes communs
indépendans des Sens, si ce n’est de ces dispositions qu’il y a dans l’Ame
à juger des choses indépendamment des Sens et de la volonté.
Art. IX. De tout ce que dessus il s’ensuit selon l’Auteur que la
Raison est la connoissance aquise de chaque Homme qu’elle est suscep=
tible du vrai et du faux pour lequel elle a un égal attachement; qu’elle
n’est nullement propre à établir des principes pour le Droit naturel. Elle
est soumise à la volonté ou plutot au caprice de chacun, et elle ne s’em=
barasse que de ce qui lui est utile; en quoi encor elle se trompe souvent,
/p. 35/ en s’éloignant des véritables instincts de la Volonté, qui sont les seuls che=
mins du bonheur.
Rem. L’on peut tirer de ce que dessus des conclusions tout opposées à
celles là et dire que la Raison est un principe ou une disposition de l’Ame
imprimée par le Créateur, qu’elle cherche la Vérité, et qu’elle se détermine tou=
jours pour le vrai reel ou apparent, et non pour le faux: que c’est à l’aide
de ces dispositions ou de cette capacité qu’elle juge du juste ou de l’injuste, du
vrai et du faux: que pour l’ordinaire elle dirige la volonté, quoique celle-ci
ait le pouvoir de ne pas suivre sa direction, et que ce n’est que dans l’acord
de l’entendement et de la volonté à chercher le vrai réel et le bien réel,
que consiste le bonheur de l’homme soit dans cette vie, soit dans l’autre.
Sentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.Monsieur le Bourguemaistre Seigneux a dit qu’il trouvoit que l’Au=
teur tachoit de confondre la Raison avec l’instinct, et l’Homme avec les
animaux; la Raison est une faculté de l’ame qui s’accroit avec l’exercice;
l’Auteur confond la Raison avec l’exercice de la Raison. La Raison est le gui=
de le plus sur que la Providence nous ait donné pour nous conduire.
L’Auteur, a dit Monsieur le Professeur D’Apples, se forme une idéeSentiment de Mr le Professeur D'Apples.
peu juste en disant qu’elle est une connoissance aquise &c. La Raison
est le meilleur moien par lequel l’Ame opère. Il confond la droite Raison
avec la fausse. La droite Raison ne doit pas être soumise à la Volonté,
mais commander à la Volonté & aux passions. La principale faute de
l’Auteur consiste en ce qu’il ne donne pas une bonne idée de la Raison
et qu’il confond la droite Raison avec la fausse. Il désaprouve ce que l’Au=
teur dit de la parole, savoir, qu’on peut douter, si l’usage de la parole n’est
pas aussi nuisible que profitable à l’homme; il trouve au contraire que
la parole est un des grands secours que Dieu a donné aux hommes non
seulement pour se procurer des connoissances, mais aussi toutes les choses
dont il a besoin. Il approuve ce que Mr Schmauss a dit des avantages de
l’état civil, en effet c’est cet état qui donne aux hommes de l’émulation,
qui leur a fait inventer et perfectionner les Arts et les Sciences, choses
auxquelles ils n’auroient jamais pensé s’ils eussent toujours vécu dans
l’état naturel & séparés les uns des autres. L’Auteur aiant dit que l’hom=
me ne cherche et ne doit chercher que son utilité particulière, il aprou=
ve cette idée, pourvu qu’on ne sépare pas l’utilité d’avec le Devoir, et qu’on
ne regarde pas comme utiles des choses qui sont contraires à nos obli=
gations.
Monsieur le Baron DeCaussade et Monsieur DuLignon n’ont pasMr le Baron DeCaussade et Mr DuLignon.
voulu dire leur avis.
Sentiment de Mr l'Assesseur Seigneux.La Raison, suivant Monsieur l’Assesseur Seigneux, n’est ni une con=
noissance, ni un acte, mais une Faculté qui n’est point innée, puisque
/p. 36/ les enfans n’en font point usage, et qu’elle ne se perfectionne que par l’expé=
rience et le commerce. La Raison est une Faculté plus forte dans les uns et plus
foible dans les autres. Comme la Raison si elle n’est pas perfectionnée est un
Guide peu sur, il faudroit s’appliquer à l’exercer et à la perfectionner.
La Raison ne paroit à Monsieur DeCheseaux le fils, que la PuissanceSentiment de Mr De Cheseaux le fils
ou la Faculté de comparer les idées, d’en découvrir les rapports, et d’en tirer des
conclusions. Tout ce que l’Auteur dit de l’inutilité de la Raison tombe sur le
mauvais usage que les Hommes en font; ou sur des causes étrangéres qui les
portent à ce mauvais usage, mais nullement sur la Raison même; que ces
Causes influent pour le moins autant sur l’Instinct qu’il prétend y subs=
tituer: que l’Instinct nous porte directement à ce qui est conforme à nos
intérets, ou à l’utile particulier, et ne nous porte qu’à cela que ce n’est
que par accident & dans les cas ou l’utile particulier se trouve joint au
bien public, que l’instinct peut nous faire travailler à celui-ci: Au con=
traire la Raison peut également se tourner sur la considération de l’un
et de l’autre, et par conséquent que le Droit naturel aiant pour fonde=
ment le bien public, la Raison est un guide beaucoup meilleur pour nous
en faire découvrir et pratiquer les Maximes, que l’Instinct et quoï on
peut ajouter que l’Instinct est beaucoup moins dépendant de nous et
moins flexible, que la Raison cause de la Faculté de juger par idées.
Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochatSentiment de Mr le Lieutenant Ballival De Bochat. a fait ses remarques sur
deux choses, sur le but de l’Auteur, et sur les choses qu’il a dit. Il faut
voir si les choses que l’Auteur présente vont au but qu’il se propose. Si
elles conduisent à ce but, on en jugera differemment que d’une Dissertation
séparée. Voici son but. Il veut établir un principe de Droit naturel. Pour
cela il faut faire abstraction de toutes les Sciences; l’Auteur ne s’embarasse
point si les conséquences des faits qu’il pose sont contraires ou ne le sont
pas à ces Sciences. Si la manière dont il parle de la Raison prouve que les
Auteurs qui ont écrit sur le Droit, ont eu tort de prendre pour principe
la Raison, il fait bien d’en dire ce qu’il en dit.
Par raport aux choses. Si la Raison peut prendre le vrai comme le
faux, il a raison de la décréditer. Si la Raison a plus d’aptitude au vrai
qu’au faux, mais que cependant les Hommes s’en servent mal, il a encor
raison de la rejetter. La Raison c’est l’Ame raisonnante, c’est l’Ame com=
parant les différences des choses qui se présentent à elle, soit par les Sens
soit par une suite de comparaisons précédentes; or cette Ame raisonne
souvent contre la nature des choses. Le plus grand nombre des Hommes
raisonne mal le plus souvent, on ne peut donc pas prendre la Raison pour
principe; il faut chercher un principe antérieur. Dailleurs il faudroit
prouver l’obligation de suivre la Raison, avant qu’il y eut aucune Révé=
lation. /p. 37/ Voila le but qu’a eu Mr Schmauss dans son Livre. Mais en suivant
ce but l’Auteur n’auroit pas du établir quantité de principes offensans, qui
peuvent fournir sujet à des propositions dangéreuses.
Si l’Auteur a eu un bon but et qu’il y parvienne, a dit Monsieur leSentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.
Conseiller DeSt Germain, il faut dire qu’il commence par embrouiller les
choses pour les éclaircir ensuite, par poser du faux pour en tirer le vrai.
La Raison c’est la Faculté de tirer des conséquences de principes plus ou
moins clairs; elle se dévelope peu à peu. Il ne croit pas que la généralité
des hommes fasse un mauvais usage de la Raison plutot qu’un bon sur
les idées intellectuelles, comme l’a établi Monsieur DeBochat. Et en ce
cas là même on ne devroit pas condanner la Raison, il faudroit se con=
tenter de dire qu’on en fait un mauvais usage. Ce que l’Auteur dit
sur la parole est outré, quand il établit qu’elle seule nous distingue des
bêtes; car la parole est un signe et on peut faire des signes par tous les
Sens. Ainsi ce que dit l’Auteur revient à ceci, qu’un homme qui n’auroit
point de Sens ne seroit pas Homme.