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« Assemblée XIX. Lecture du chapitre XXIII de l'Anti-Machiavel "Comment il faut fuir les Flatteurs" », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 30 mars 1743, vol. 1, p. 210-218
XIX Assemblée.
Du 30e Mars 1743. Présens Messieurs DeBochat Lieu=
tenant Ballival, Polier Recteur, Seigneux Boursier, D’Apples Profes=
seur, De Cheseaux Conseiller, Du Lignon, Baron De Caussade, De St
Germain Conseiller, DeCheseaux fils.
Discours de Monsieur le Comte.Messieurs. Vos sentimens sur la Question que vous exami=
nates Samedi dernier se peuvent raporter à ces trois Articles. 1° Ce
que c’est que Passion. 2° Prouver que l’homme a des Passions; 3° Et
enfin le Devoir de l’Homme à l’égard des Passions.
Monsieur le Professeur D’Apples dont l’opinion a été suivie
par quelques personnes a entendu par le mot de Passion, tous les de=
sirs, les penchans & les inclinations, auxquels notre Ame est Sujette.
/p. 211/ Il a prouvé que l’Homme a des Passions par l’expérience, et par le
besoin ou est l’Homme d’en avoir.
Qu’on suive l’Homme dans tous les âges de la vie, on verra qu’il
souhaitte diverses choses, & qu’il s’éloigne de plusieurs autres.
Non seulement l’Homme a des Passions, mais de plus elles lui sont
nécessaires; elles entretiennent le corps dans une activité qui contri=
bue à sa santé, et à sa conservation; et elles aident à l’Ame à se
porter avec ardeur et avec plaisir vers certains objets, elles lui em=
péchent encor de sentir la peine qu’il faut prendre pour parvenir
aux divers buts qu’il se propose.
Quelques uns de vous, Messieurs, avez entendu par le mot de
Passion, ce qui est au delà des bornes de nos Devoirs, en un mot
quelque chose de criminel.
L’experience ne confirme que trop, que l’Homme a des Passi=
ons de cette espèce: & le raisonnement nous fait aussi compren=
dre, que puisque Dieu nous a prescrit des règles à suivre, il
s’ensuit que nous pouvons nous y conformer entiérement, ou al=
ler au delà.
Si vous avez varié dans ces deux prémiers Articles, vous avez
été parfaitement d’accord, dans les conséquences que vous avez tiré
de ces principes.
C’est 1° que nous ne devons pas suivre aveuglément nos pen=
chans, et nos passions. Nous avons un autre Guide, c’est la Raison,
à laquelle nous devons soumettre toutes nos Passions.
2° Nous devons tacher de découvrir nos Passions & sur tout la
Passion dominante chez nous.
3° Ce seroit peu que de connoitre ses Passions, si nous nous
bornions à cette découverte; mais nous devons être continuel=
lement en garde pour leur résister, & pour les renfermer dans
leurs justes bornes. Nous devons nous défier d’elles, et ne pas
nous laisser entrainer à leurs attraits.
4° Mais pour avoir cette force sur elles, il faut prendre
garde qu’elles ne s’enracinent pas dans notre cœur, il faut
leur résister dans leur commencement, & sitôt qu’elles naissent.
C’est le seul moïen d’empécher qu’elles ne nous tirannisent, et
de faire ensorte que nous en soïons toujours les Maitres.
Ensuite on a lu le Chapitre XXIII de l’Antimachiavel, ou Essai
de Critique sur le Prince de Machiavel publié par Voltaire, nouvelle
Edition. Amsterdam chez La Caze 1741. 8°. Ce Chapitre a pour titre,
/p. 212/ Comment il faut fuïr les Flatteurs: il commence à la page 22 de la
3e Partie et finit à la 28. Voici en abregé ce que contient le Texte
de Machiavel traduit par Abrelot de la Houssaïe, et la Critique.
Machiavel dit que comme les Hommes ont beaucoup de bonne opinionExtrait du Chap. 23. de l'Antimachiavel qui a pour titre comment il faut fuïr les Flatteurs.
d’eux mêmes, il est difficile aux Princes de se préserver de la Flatterie, et
que ceux qui veulent s’en garantir courent risque de devenir mépris=
ables. Il faut donc qu’un Prince aime la vérité, & qu’il fasse croire
qu’il l’aime; mais il ne doit permettre qu’à un certain nombre de
personnes sages qu’il aura choisies de la lui dire, et seulement lorsque
il la leur demandera; et puis il en doit faire à sa mode. S’il fait au=
trement, ou les Flatteurs le perdent ou il varie suivant la diversité
des avis qu’il reçoit. Quand il questionnera ce qu’il doit faire sou=
vent, il doit écouter patiemment, et marquer du ressentiment à
ceux qui ne lui répondront qu’en biaisant.
Un Prince qui n’est pas sage par lui même ne sauroit être
bien conseillé à moins qu’il ne le soit par une seule personne
sage, mais s’il a plusieurs Conseillers, il ne pourra pas concilier
leurs avis, et ils ne travailleront tous qu’à leurs intérêts. Ainsi
s’ils ne se connoit pas en gens, il ne sera jamais bien servi. D’ou
il conclut que la prudence du Prince fait les bons conseils, et
non les bons conseils qui font la prudence du Prince.
L’Auteur de la Critique dit que la flatterie est par tout censu=
rée; qu’on veut que les Princes aiment la verité, qu’en cela on
a raison; mais qu’on veut de plus qu’ils aiment la gloire et qu’ils
soient insensibles à la louange qui en est le salaire.
Tous les Princes qui ont été insensibles à leur réputation,
n’ont été que des indolens ou des voluptueux. Chez les Princes
vicieux la flatterie est un poison mortel qui augmente leurs
vices; chez les Princes de mérite c’est une tache qui diminue l’éclat
de leur gloire. Un homme d’esprit se revolte contre la flatterie
grossière.
Il y a une autre sorte de flatterie: c’est celle qui cherche à
excuser les défauts d’un Prince, et qui leur donne de beaux noms
à leurs passions, qui appelle l’austerité justice, et la débauche
amour du plaisir. La plupart des Hommes donnent dans cette flat-
terie qui justifie leur gout. Enfin la plus subtile de toutes est
celle qui se fonde sur le mérite et qui l’amplifie, elle est difficile
à reconnoitre, et on n’y travaille pas même. Les Princes qui se
sont élevés a ce rang ne s’accoutument pas si aisément à la flatterie
/p. 213/ mais ceux qui ont regné toute leur vie, mourroient d’inanition,
s’ils manquoient de louange.
Il est donc juste de plaindre les Princes, et il faut blamer les
flatteurs, les calomniateurs, et ceux qui déguisent la vérité: et qu’en=
suite on distingue la louange de la flatterie. La louange encoura=
ge à la vertu, et les flatteries affermissent dans le vice.
Sentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain Il faut distinguer la flatterie, de la louange, a dit Mon=
sieur le Conseiller De Saint Germain. La flatterie loue des
choses petites, basses, de peu d’importance, et même des choses mau=
vaises. La louange ne s’attache à relever que des qualités du
cœur, ou des qualités aquises. On peut encor les distinguer en pre=
nant garde au caractère de ceux qui louent. Il est des personnes
qui louent par habitude, par intérêt, ou par quelques autres mo=
tifs semblables: une telle louange doit être suspecte. Il est une
sorte de louange bien estimable, c’est celle qui donne des leçons
qui montre ce qu’on doit faire. Avec ces précautions on peut
se garantir de la flatterie.
Il y a trois moïens pour se garantir de la flatterie, a ditSentiment de Mr DeCheseaux le fils.
Monsieur DeCheseaux le fils. 1. Le prémier c’est de considérer par
quel motif on nous loue: c’est par intérêt, par envie de nous tourner
en ridicule, par mauvais gout, par ignorance & d’autres sem=
blables. 2. Le second, c’est de penser combien peu nous méritons
les louanges. Pour peu que nous réflechissions sur nous mêmes, nous
nous convaincrons qu’il nous manque bien des vertus, que parmi
celles que nous avons il y a bien des défauts mélés, et que nous
n’en possédons aucune qui soit portée au point de perfection, ou
nous pourrions la pousser. 3. Le troisième, c’est d’opposer flat=
terie à flatterie. On loue souvent des qualités toutes opposées et
qui se détruisent l’une l’autre; ceux qui louent n’ont donc pas
des idées justes de ce qui mérite d’être loué, ainsi leur approbati=
on ne doit pas être d’un grand prix, ni nous enfler le cœur.
4. Enfin c’est de prendre une ferme résolution de ne donner au=
cune prise chez soi à la flatterie, et d’examiner souvent les mou=
vemens de son cœur, pour découvrir si les louanges et les flat=
teries qu’on nous donne nous plaisent & nous portent à nous es=
timer plus que nous ne le devons.
Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochatSentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat. a dit que
l’éloignement que les Auteurs, gens de cabinet ont eu contre la
flatterie leur a fait négliger d’autres défauts pires, tels que l’amour
/p. 214/ de la flatterie. Il faut prendre une route différente. Si Machia=
vel avoit expliqué ce que c’est que la flatterie, il en auroit dégou=
té; puisque ce n’est autre chose que le barbouillage d’un homme
qui se moque de nous à dessein; ou c’est le discours d’un homme
ignorant, qui loue en nous ou des choses qui ne méritent point
de louanges, ou des qualités que nous n’avons point. Le propre
de la flatterie, c’est 1e d’exaggérer nos bonnes qualités, de les re=
présenter plus grandes qu’elles ne le sont; et en 2d lieu de faire
évanouïr nos défauts, ou en leur donnant des noms de vertu, ou
au moins des noms qui diminuent l’horreur qu’on en doit avoir,
comme quand on appelle la cruauté, la sévérité à punir, du
nom de justice, de fermeté: quand on appelle l’orgueuil, la va=
nité, le luxe, du nom de grandeur, de magnificience: quand on
appelle la négligence de ses devoirs, cette indolence qui fait qu’un
Prince, au lieu de soutenir les Loix, & de punir ceux qui les vio=
lent, laisse chacun faire ce qu’il veut, quand on appelle, dis-je,
cette indolence du nom de bonté, & ainsi des autres défauts. Ren=
dons nous donc justice, apprenons à connoitre & nos défauts &
nos vertus, et nous ne nous laisserons pas entrainer à la flatterie.
Machiavel borne le nombre de ceux qui pourront parler
au Prince, il veut qu’il n’y ait que quelques personnes choisies
par le Prince qui aïent droit d’instruire le Prince de ce qu’il lui
importe de savoir; comme si la vérité ne pouvoit pas venir de
toutes sortes de personnes. Par là il prive le Prince d’un moïen
de voir la vérité: d’ailleurs un homme de Cour accoutumé à
la dissimulation cachera au Prince ce qu’il trouvera à propos
ou lui deguisera la vérité sans que le Prince s’en aperçoive;
au lieu que le Prince aura plus d’empire sur le cœur d’un Hom=
me ordinaire pour lui faire dire la vérité, que sur le cœur
d’un Homme de Cour.
Mais, dit Machiavel, si tout le monde a la liberté de
dire sa pensée au Prince, on viendra à le mépriser. Il ne s’ensuit
pas. Si le Prince écoute tout le Monde, et qu’il sache profiter
des lumières & des avis qu’on lui donne, les Grands le respecte=
ront, ils craindront de lui en imposer, et les petits seront aussi dans
le respect, parce qu’ils verront que le Prince aime la vérité, qu’elle
est la règle de ses jugemens & de sa conduite. Si les Princes
au contraire ne donnent leur confiance qu’à une seule personne,
ils ne pourront découvrir la vérité, qu’autant que cette personne
/p. 215/ voudra bien la leur dire. En écoutant tout le monde, ils verront
quel jugement on porte d’eux, ce que l’on pense de leurs Ministres, &
par cette connoissance ils rémédieront aux abus qui pourroient se
glisser dans le Gouvernement.
L’Antimachiavel a bien refuté son Auteur en disant qu’il faut
qu’un Prince soit sensible à la louange; parceque l’envie de s’attirer
l’estime des Hommes & d’aquerir de la réputation est un puissant motif
pour porter les Princes à remplir leurs devoirs.
Sentiment de Mr le Conseiller DeCheseauxVoici encor un trait pour distinguer la flatterie de la louan=
ge, a dit Monsieur le Conseiller De Cheseaux; c’est que la louange
n’a en vue que d’exposer & de faire connoitre le prix des actions sans
aucun rapport à celui qui les a faites: au lieu que la flatterie
ne s’attache qu’à la personne & à ses qualités, qu’elle cherche à exa=
gérer, et à multiplier. Il faut se défier de cette derniere et la rejet=
ter entiérement.
Machiavel dit que le Prince ne doit se confier qu’à quelques
personnes. Ce seroit un bon moïen que le Prince emploïeroit pour
bien gouverner, s’il étoit possible de trouver des personnes dignes
de la confiance du Prince; et il est possible d’en trouver; heureuse=
ment il y a encor dans le monde, des personnes éclairées, et sur la
bonne foi de qui on peut compter; il n’y a qu’à les chercher, qu’à
travailler à les connoitre; ce qui n’est pas extremement facile,
d’un côté, parceque le Courtisan habile prend le caractere qu’il
croit le plus propre à l’insinuer dans l’esprit de son Maitre; et
qu’on peut s’y laisser prendre, en croïant qu’il est tel qu’il paroit,
& de l’autre, parce que les personnes de mérite pour l’ordinaire
sont modestes, et que se défiant de leur capacité elles ne cherchent
point à se produire. Mais ces difficultés ne sont pas insurmon=
tables.
Pour se garantir de la flatterie, a dit Monsieur le RecteurSentiment de Mr le Recteur Polier.
Polier, il n’est point de moïen plus sur, que de tacher de se connoitre
soi même, d’avoir une idée nette et précise de nos défauts & de nos
bonnes qualités: à cette connaissance il faut joindre celle de nos
devoirs; aidés de ces secours, nous verrons aisément si l’on cher=
che à nous flatter dans les louanges qu’on nous donne, ou si on
se contente de dire ce qu’on pense sur notre sujet avec raison et
sans aucune prévention.
Ce qui jette dans la flatterie, c’est le langage exaggéré à la
mode; on ne parle plus en termes simples du mérite de quelcun, c’est
/p. 216/ toujours dans des termes superlatifs qu’on l’énonce, quelque medio=
cre qu’il soit. Si le Prince savoit apprécier la force des termes,
il se garantiroit de la flatterie.
La flatterie la plus blamable, c’est celle qui se donne en Pu=
blic, dans des Harangues, Epitres dédicatoires, Piéces de Poësie, Sta=
tues, Médailles &c. parce que non seulement, elle donne au Prince
une idée de son mérite plus grande qu’il ne doit l’avoir, qu’elle
excuse ses défauts en les couvrant de beaux noms, et que par là
elle l’empéche de corriger des defauts qu’il ne croit pas d’avoir, et
de travailler à perfectionner ses bonnes Qualités, ni à en aque=
rir de nouvelles, se persuadant qu’il est déja parvenu à la
Perfection; mais de plus elle est blamable, parce qu’elle corrompt
le gout de ceux qui doivent approcher du Prince, qu’elle les
engage à n’emploïer que des Discours flatteurs pour plaire, et
à cacher au Prince les vérités qui pourrroient l’offenser, quoique
elles lui fussent extrémement avantageuses. Celui qui flatte
ainsi le Prince en Public devroit plus respecter le Public, et
tacher d’éviter la critique, qui ne l’épargnera pas.
Il falloit, a dit Monsieur le Baron DeCaussadeSentiment de Mr le Baron De Caussade., que le
mérite de l’Empereur Trajan fût reconnu bien publiquement,
pour que Pline osât le louer comme il a fait, sans s’attirer la
censure ni de ses Contemporains, ni de la Postérité.
Il faudroit qu’un Prince connut le caractère de tous ceux
qui l’environnent, qu’il déclarât publiquement qu’on ne lui fe=
roit plaisir qu’en lui disant la vérité; qu’il marquât de l’in=
dignation à tous ceux qui la déguiseroient; qu’il comparât les
louanges qu’on lui donne avec ses actions, pour se convaincre
si on ne lui attribue pas plus de mérite qu’il n’en a effectivement.
Ce seroit aussi une chose fort utile à un Prince d’avoir au=
près de lui un Courtisan fort habile et fort honnête homme
qui lui parlât librement et en vérité. Enfin les Princes doivent
prendre garde de ne pas donner lieu à des louanges qu’ils ne mé=
ritent pas, en les recevant avec complaisance, et en acordant
leur bienveuillance à ceux qui leur en donnent de telles.
Monsieur DuLignonSentiment de Mr DuLignon. a dit que s’il en faut croire les Voia=
geurs, c’est la coutume au Japon, d’avoir dans chaque Maison un
homme qui est chargé de dire chaque jour à chacun les fautes
qu’il a fait. Si cette coutume s’établissoit parmi nous, ce seroit
une bonne précaution contre la flatterie.
/p. 217/ On flatte souvent, parce qu’on veut être flatté à son tour; a
la vérité, on ne pense pas ce qu’on dit, quand on flatte, et nous
devons croire que les autres ne pensent pas non plus de nous, ce
qu’ils en disent; mais peut être y aura-t-il dans leurs Discours
quelque lueur de vérité qui nous fera plaisir; d’ailleurs nous nous
persuadons que de tels Discours ne laisseront pas d’en imposer au
Public.
Monsieur le Boursier Seigneux a dit que Machiavel avoitSentiment de Mr le Boursier Seigneux
écrit dans un tems critique, et dans lequel on n’osoit pas dire li-
brement sa pensée. Il donne des conseils de fin Politique.
Il faut, dit-il par exemple, qu’un Prince donne bonne opi=
nion de Lui, qu’il fasse croire qu’il aime la vérité; mais il doit
empécher que chacun la lui dise trop librement; C’est là un con=
seil Politique, mais d’une Politique fausse et nullement fon=
dée en raison.
Il doit permettre qu’on lui dise la vérité, ajoute Machiavel,
mais seulement quand il le demande. Cela est trop limité.
Il doit demander avis à tout le Monde, mais en faire à
sa mode. C’est là un conseil qui deshonore également celui qui
le donne et celui qui le suit. Il vaudroit mieux dire au Prince
de peser tous les conseils & de suivre ce qu’il y a de meilleur.
Pour traitter la matière, il faudroit la traitter par degrés,
et parler de l’approbation, de la louange, de la flatterie, et de
l’adulation. 1. On ne peut se passer de l’approbation, c’est le témoi=
gnage simple qu’on rend à notre bonne conduite. 2. La louan=
ge va plus loin, elle est plus publique. Celle qui vient du Public
doit être ambitionnée & non celle qui vient des Particuliers.
Pline se justifie d’avoir trop loué Trajan. 3. La flatterie loue
ce qui ne le mérite que peu ou point. 4. L’adulation regarde
le vice, elle loue les défauts.
La coutume des Egyptiens de faire le procès après la mort
étoit bonne pour éviter la flatterie.
Monsieur le Professeur D’Apples a justifié Machiavel, surSentiment de Mr le Professeur D'Apples.
ce qu’il dit au Prince, Ecoute tout et fais à ta mode: disant
que c’est une faute du traducteur; que les paroles de l’Original
signifient, que le Prince doit faire de tous les conseils qu’il a
ouïs, un avis qui lui soit propre.
Il faudroit faire un portrait de la flatterie. Elle a pour prin=
cipe /p. 218/ un esprit bas et servile, elle rend ceux qui la donnent esclaves
de ceux qu’ils veulent flatter, et elle produit de mauvais effets; car
elle gate et corrompt ceux à qui on l’adresse. C’est la flatterie qui
a gaté les Empereurs Tibère, Néron et Pallas favori de ce
dernier, comme on le voit dans Suetone & dans Tacite. De telles
réflexions nous éloigneront de la flatterie. Un conseil utile à
ce but, c’est d’examiner ce que la Postérité pensera de nous.
Les Princes sont bien à plaindre d’avoir des flatteurs qui
leur persuadent qu’ils sont parfaits, et qui par là les empéchent
de travailler à le devenir; aussi doivent-ils avoir soin de les
éloigner. On sait ce que dit un Roi d’Angleterre aux flatteurs
qui l’environnoient; ils lui avoient donné le titre de Maitre
de la Mer, assurant qu’il pouvoit en disposer; le Roi pour faire
connoitre qu’il ne se laissoit par éblouïr par ces termes pompeux
s’assit un jour au bord de la mer, et voïant le flux s’avancer, il
lui commanda de s’arréter ou il étoit; mais le flux continuant
son chemin le Roi se tourna vers ses Courtisans & leur dit,
Voïez comme je suis Maitre de la Mer.
L’on flatte quelquefois les Princes, et on leur attribue des
Qualités qu’ils n’ont pas, et cela afinque croïant qu’on est per=
suadé qu’ils les ont, ils agissent envers ceux qui les louent comme
s’ils les avoient. C’est ainsi que Traseas loua Neron sur sa clé=
mence, pour faire pardonner Antistius qui avoit fait des vers
contre l’Empereur, et il obtint son pardon.