Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXII. Sur la prudence », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 15 août 1744, vol. 2, p. 295-309

LXII Assemblée

Du 15e Aout 1744. Présens Seigneux Bour=
guemaistre, Polier Professeur, Seigneux Boursier, Seigneux Juge, Ba=
ron DeCaussade, DuLignon.

Discours de Monsieur le Comte./p. 296/ Messieurs Le Mentor dans le Discours que nous en lu=
mes il y a un mois, parle de la Complaisance, par ou il entend cet=
te disposition qui nous fait régler nos discours et nos actions d’une
manière propre à nous gagner l’esprit des Hommes. Il dit que cette
qualité sert d’ornement à tous les Talens qu’on peut posséder, qu’elle
nous rend aimables à ceux qui sont au dessus de nous, qu’elle nous lie
avec nos égaux, et qu’elle nous attache ceux qui nous sont inférieurs.
Elle adoucit ce qu’il y a de rude dans la distinction des rangs, et
elle unit plus étroitement tous les membres de la Société. Enfin el=
le nous attire la faveur des Grands, et elle est un des moiens les plus
surs pour faire fortune.

Il cite là dessus un Conte Arabe, ou il introduit un Savant
qui étant allé chez un grand Seigneur pour lui demander quelque
secours, celui-ci peu touché du besoin pressant de Schacabac, c’est le
nom du Savant, le joua long tems. Schacabac s’accommoda à l’hu=
meur du Barmécide, mais enfin il lui fit sentir d’une manière for=
te que la Complaisance doit avoir des bornes, et qu’un homme ne
sauroit aller au delà sans se déshonorer. Le Barmécide bien loin de
blamer la vivacité de Schacabac lui accorda ce qu’il demandoit et
son amitié.

Vous m’avez dit, Monsieur DeCaussade, que l’Auteur condanne lesa Mr le Baron DeCaussade.
railleries déplacées; et qu’il faut pousser la Complaisance aussi loin
qu’il est possible, pourvu qu’on ne fasse rien contre la Conscience et
l’Honneur.

a Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.Vous m’avez fait comprendre, Monsieur DeBochat, qu’il impor=
te beaucoup aux Grands de connoitre les bornes de la Complaisance,
pour se défier des personnes qui cherchent à les tromper sous les
apparences d’une Complaisance fausse. Que pour cela il faut qu’ils met=
tent à l’épreuve ceux qui les environnent, et s’ils trouvent qu’on leur
donne de bons conseils, et qu’on n’aplaudit pas à leurs vies, ils peuvent
donner leur confiance aux personnes de ce caractère, et qu’ils doivent
se défier de celles qui ne suivent pas ces principes.

Monsieur le Bourguemaistre m’a dit que la Prudence est unea Mr le Bourguemaistre Seigneux.
disposition que nous aquerons par un long usage, de tout ce qui
pourroit nous attirer la bienveuillance des autres, et qui nous aprend
à éviter divers accidens facheux qui pourroient nous faire beaucoup
de tort.

La Complaisance selon vous, Monsieur Polier, est cette facilitéa Mr le Professeur Polier.
d’humeur qui fait qu’on s’accommode au caractère des autres. Elle peut
avoir pour objet des choses mauvaises; en ce cas là, elle est criminelle;
/p. 297/ ou des choses bonnes, ou de celles qui sont indifférentes; dans ces deux
cas elle est louable et propre à nous gagner l’amitié des autres. Elle
convient sur tout aux Grands, & c’est un des moiens les plus surs qu’ils
aient de s’attacher tous ceux qui les approchent.

a Mr le Boursier Seigneux.Il faut, m’avez vous appris Monsieur le Boursier, qu’on ne re=
marque point de but intéressé dans celui qui a de la Complaisance
pour nous, mais qu’on s’aperçoive seulement qu’il a envie de nous
plaire; il ne faut pas même qu’il fasse remarquer que ce qu’il fait
par Complaisance lui coute de la peine, ou bien elle est à charge à
celui à qui on la témoigne. Quand les Grands ont de la Complaisance
il engagent leurs inférieurs à se dévoiler devant eux, ils découvrent par
là leur caractère, et cette connoissance leur est très avantageuse.

Quand on approuve tout, la Complaisance est un grand vice, quandà Mr le Juge Seigneux.
on n’approuve que ce qui est bien, la Complaisance est une Vertu. Elle
doit encor engager à supporter les défauts du Prochain, et à se con=
former au gout des autres. Ceux qui ont cette qualité se rendent ai=
mables et se procurent mille douceurs. Ce sont les réflexions que Mon=
sieur le Juge a fait.

Monsieur le Comte, Messieurs les Barons, et MessieursEssai de Reflexions sur la Prudence par Mr le Boursier Seigneux.

Je manquerois extrémement de Prudence, si j’entreprenois d’en parler
aujourdhui dans une autre vue que celle de la connoitre mieux par vos
Discours, et de la pratiquer mieux à votre exemple. Vous avez indiqué
le sujet, ce sera à vous, Messieurs, à le rendre plus intéressant & plus
instructif.

L’idée de la Prudence ne se présente guéres sans celle
de la Sagesse. Au prémier abord elles se confondent; cependant on dé=
couvre ensuite quelques différences.

La Sagesse paroit être une Vertu plus complette et plus étendue;
la Prudence une Vertu plus imparfaite et plus limitée. J’ajouterai que
la Sagesse semble être une Vertu plus divine et plus spéculative, la
Prudence une Vertu plus humaine et plus pratique.

L’on ne s’exprimeroit pas bien en disant que Dieu est prudent;
On diroit peut être trop en disant que l’Homme est sage. Dieu
possède la Sagesse au plus éminent degré; l’Homme ne sauroit y
parvenir que dans un degré très inférieur. Pythagore rabattit
avec justice l’orgueuil des Sophistes qui se nommoient Sages, en sub=
stituant à ce titre fastueux celui de Philosophe, ou d’Ami de la
Sagesse
.

Le caractère de la Sagesse paroit être de s’élever au plus grand
bien, et de s’y fixer sans variation. Celui de la Prudence, d’éviter le
/p. 298/ mal, qui pourroit traverser le bien qu’on se propose.

La Prudence semble travailler pour le tems & la Sagesse pour l’éternité.

La Sagesse s’aquiert principalement par l’étude, et la Prudence par
l’attention que l’on donne aux événemens, & par l’expérience journalière.

La Sagesse me paroit être une Vertu plus ferme et plus éclairée, et la
Prudence une Vertu plus timide et plus incertaine.

La Sagesse semble être la Science du but, et la Prudence la Sci=
ence des moiens.

Dans chaque individu la Sagesse précède pour l’ordinaire la Pru=
dence. C’est être Sage que d’être disposé à l’attention, à la vigilance;
d’aimer l’ordre, de respecter la Vertu &c. Ce n’est que ceux en qui se
rencontrent de telles dispositions que l’on voit devenir prudens.

Dans la Société, il en est de même: C’est la Sagesse des uns qui
forme la Prudence des autres. Ils le font par leurs Maximes, et sur
tout par leurs exemples.

Il est vrai que selon le Stile vulgaire le Sage n’est pas toujours
prudent, ni l’homme prudent toujours Sage. L’Ecriture semble nous le
dire dans ces paroles. Les enfans de ce siécle sont plus prudens
dans leur génération que ne sont les enfans de lumière
. Mais
le sens de ces paroles est à mon avis, Que les Chrétiens foibles encore
ne font pas pour les biens à venir tout ce que l’on voit faire aux
mondains pour les biens présens.

Dailleurs on peut convenir que la Sagesse purement speculative
manque souvent des connoissances nécessaires à la conduite des affaires
de la vie, Que souvent même elle les néglige: Mais en ce cas elle
est imparfaite.

L’imprudence est le partage des personnes peu sensées, et la pru=
dence l’est des Gens Sages. On est donc Sage avantque d’être prudens,
et l’on n’est jamais véritablement prudent, si auparavant on n’étoit
pas Sage. La Prudence est donc à proprement parler l’effet et la
suite de la Sagesse.

Celui qui n’a pas le gout du Juste, de l’Honnête, et des Biensé=
ances est bien éloigné de la Prudence, peu propre à en gouter et à
en pratiquer les Maximes.

La Prudence est donc comme un ruisseau dont la Sagesse est la
Source.

Dirai-je enfin que la Sagesse se forme dans un cœur bien dispo=
sé, et que la Prudence résulte proprement de l’attention et de la jus=
tesse de l’Esprit. La prémiére semble avoir plus d’affinité avec le senti=
ment, et la seconde dépendre plus de la réflexion.

/p. 299/ La Sagesse proprement ainsi nommée est en opposition avec
la folie et le déréglement. La Prudence avec l’étourderie et l’in=
considération.

Après avoir hazardé mes conjectures sur les différences qu’il peut
y avoir entre deux Vertus si voisines et si ressemblantes, je définirois
l’une et l’autre de cette manière.

La Sagesse est la Science qui par les principes de l’honnête, du
beau et du juste, nous apprend à régler nos vues, nos sentimens et nos
mœurs.

La Prudence est l’art de discerner les moiens qui peuvent nous
conduire à notre but, en éloignant les obstacles qui pourroient s’y opposer.

J’ajouterai que la Prudence est une Vertu propre à l’homme pla=
cé dans un monde mélé de biens et de maux, sujet aux traverses
des méchans et aux vicissitudes des choses humaines.

Quand je nomme la Prudence une Vertu, je suppose que sa dexté=
rité s’applique à un objet louable en lui même; Sans cela ce ne sera
qu’une simple qualité, ou un talent dont on peut user en bien et en
mal.

Malgré tout ce que j’ai dit jusqu’ici, il est difficile de démèler
parfaitement la Sagesse d’avec la Prudence; parce que la Sagesse ne
donne que des conseils prudens, comme la Prudence n’indique rien
dans la préférence des moiens qui ne se rapporte à la Sagesse.

Ces Vertus se raprochent dans tout ce qui est essentiel. La vraie
Prudence ne sauroit se passer de la Vertu, comme la Vertu solide ne
sauroit subsister sans la vraie piété.

Sans la Vertu et la Piété, la Prudence ne seroit qu’une vaine
et trompeuse Pratique, qui ne conduiroit qu’à des biens faux ou à
des démarches peu légitimes.

La Sagesse et la Prudence devroient avoir pour égal objet de
nous conduire au bonheur par le chemin le plus sur et le plus court.

Cela étant il n’y auroit pas d’inconvénient à réunir les vues de la
Prudence civile et de la Prudence religieuse. Celle-ci ne sera que
la branche la plus noble, ou si l’on aime mieux la base fondamenta=
le de l’autre.

Dans cette idée je pourrois donner à la Prudence les mêmes vues
et les mêmes principes qu’à la Sagesse, par les inconveniens qu’il y
auroit quelquefois à leur assigner des régles distinctes.

Ces régles présentent un champ aussi vaste que les cas auxquels
il seroit question de les appliquer. Quelle foule d’objets, de situations et
de rélations diverses qui toutes demanderoient, ce semble, des régles
/p. 300/ particuliéres, outre les maximes universelles! Est-il une Faculté corporelle
ou spirituelle qui pût se passer de sa direction? Est-il une manière d’être
qui n’en ait besoin? Le Corps & l’Ame avec tous leurs attributs, le présent
et l’avenir, la prospérité et l’adversité, les rélations naturelles et aquises;
tant de subdivisions comprises sous ces dénominations générales; tant
de cas compliqués et délicats, qui embarassent ceux-même dont la Profes=
sion est d’y réfléchir. Nombre d’exceptions aux régles communes, fondées
sur l’addition, ou la suppression d’une seule circonstance. En voilà assez
pour faire sentir combien il seroit long, difficile et dangereux de vouloir
épuiser une si riche matière.

Il est donc indispensable sur tout dans un Essai aussi borné que le
mien, d’un côté de s’en tenir pour le coup à cette legère ébauche, de
l’autre de réduire pour la suite les régles dont je parle à un petit
nombre de principes généraux et incontestables, à quelques régles d’une
application facile, commune même à un grand nombre de cas, et s’il
se peut à tous les cas importans.

Je vais terminer ces Préliminaires par quelques réflexions qui
fixent plus précisément encor la nature et le caractére de la Prudence.

La Prudence ne doit point être confondue avec la Finesse qui
selon Mylord Bacon n’est qu’une Prudence gauchére, c. à d. sujette à de
fausses vues, en se piquant de quitter les routes battues et comme con=
sacrées par l’expérience, et en se jettant au contraire dans les moiens inu=
sités; comme un Voiageur s’engage en des sentiers qui ménent à tra=
vers champ.

La Finesse me semble l’art des petits moiens, et l’Habileté
l’Art des grands.

La Prudence et l’Habileté ne sont pas absolument synonymes.
L’une est plus limitée que l’autre. L’Habileté pénétre, agit, surmonte,
La Prudence juge sainement de ce qui est à sa portée. Elle peut subsis=
ter sans avoir à beaucoup près autant d’étendue. En un mot on peut
être prudent dans un cercle très borné de vues et de connoissances. On ne
sauroit être habile sans un génie beaucoup plus vaste.

La Ruse approche trop de l’esprit dangéreux d’intrigue pour pou=
voir s’appeller Prudence. Elle a beaucoup plus de dissimulation, et s’éloigne
trop souvent de la Probité. L’art d’un homme rusé consiste fréquem=
ment à tendre des piéges, et à réussir par toute sorte de voies.

L’Artifice est plus compliqué encore; C’est une espèce de machine
composée de diverses ruses, et ou il entre pour l’ordinaire beaucoup de
malice.

La Politique est le genre de Prudence qui résulte d’un plus grand
/p. 301/ nombre de combinaisons et qui a pour l’ordinaire en vue les objets et les
intérets les plus importans. C’est rarement, ou du moins ce devroit être
rarement une Vertu de la vie privée, quoiqu’en petit il y ait souvent
bien des ressorts cachés dans les plans les plus ordinaires de la vie.

Je reviens un moment à la Prudence, pour dire qu’elle peut être
naturelle, ou aquise. Naturelle par la bonne trempe de l’esprit dis=
posé à réfléchir et à penser juste. Aquise par l’attention & par la mé=
moire. Mais pour l’ordinaire, participant de l’une et de l’autre, je
veux dire, et du naturel et de l’aquis.

Pour ce qui est de l’Imprudence, elle vient tantôt de Stupidité,
quelquefois d’un excès de feu mal dirigé. Elle vient aussi souvent de
distraction et d’impatience.

Le Stupide n’aperçoit pas; l’Etourdi ne voit qu’en courant; l’Im=
patient ne se donne ni le tems, ni la peine de l’examen; le Distrait
ne prend aucune mesure pour fixer son attention; le Paresseux en
fuit le travail: le Prudent seul, voit, écoute, examine, pèse et ne
plaint ni le tems, ni le travail nécessaire.

Peu de gens sont véritablement prudens, et voilà il importe extré=
mement de l’être soi même, d’en avoir de bonne heure les dispositions
comme vous Monsieur le Comte; Mais sur tout de ne croire jamais
trop tôt de l’être assez pour se passer de conseils, tels que ceux que
Mr votre digne Gouverneur vous donne.

Au défaut de Directeurs, et dans l’âge ou l’on n’en a plus, il
faut se faire des Amis assez judicieux pour donner de sages conseils,
assez courageux pour oser nous en donner, assez affectionnés pour vou=
loir le faire. C’est ce qui manque ordinairement aux grands Sei=
gneurs, sur tout à ceux qui ne veulent qu’être flattés, et qui n’apel=
lent amis que ceux qui louent jusqu’à leurs vices. C’est n’en avoir
point que d’en avoir de ce caractère, ou plutôt c’est avoir des em=
poisonneurs à gage. Il n’y a d’amis que ceux qui nous rendent de
bons offices, et l’on ne peut nous en rendre de plus mauvais, qu’en
nous taisant, ou nous déguisant la vérité.

C’est pour l’avoir ignorée, ou pour mieux dire pour n’avoir pu
la souffrir, que les Grands font si souvent de grandes fautes, et de=
viennent incorrigibles sur leurs vices. On n’ose, pour ainsi dire, pas
même les relever lorsqu’ils tombent, et c’est une espèce de crime
de les empécher de faire une chute, tel que celui de ce Cavalier
Espagnol qui fut menacé de la disgrace de sa Reine, pour avoir
osé lui dégager le pié de l’étrier, dans le tems qu’elle alloit périr
entrainée par son cheval. Convenons qu’à cet égard de la condition
/p. 302/ des Grands est bien plus malheureuse que celle des personnes auxquelles
on ose tout dire; puisque tout homme à qui l’on n’ose plus rien dire
est perdu, s’il n’a une Sagesse exquise en partage.

Observons à cette occasion que la Prudence a divers objets et di=
vers départemens. On trouve rarement ces genres de Prudence rassem=
blés en un seul homme. L’un a dans un haut degré la Prudence
civile, un autre la Prudence religieuse, militaire, ou oeconomi=
que. La Providence a semé ces divers Talens, afin qu’aucun homme
ne fût autorisé à présumer de ses forces, en se flatant de pouvoir
tout à fait se passer du secours de ses semblables.

Que la Prudence est un Devoir.A n’envisager la Prudence que comme une Vertu civile, les hom=
mes ne s’en font pas généralement une idée qui réponde à son impor=
tance. Les uns la regardent simplement comme une Qualité, les autres
tout au plus comme une Vertu; très peu et trop peu de Gens la regar=
dent comme un Devoir.

Cependant c’est non seulement un Devoir, mais un Devoir important.
L’imprudence fait peut être autant de ravage que l’injustice, et com=
me l’on est tenu par les régles de la Justice, d’éviter à son Prochain tout
le mal qu’il n’est point obligé de soufrir, cette même Justice veut que nous
observions tous les ménagemens que la Prudence dicte pour lui épar=
gner cette soufrance.

C’est donc non seulement un Conseil, ou une maxime d’intérêt
qui nous invite à la Prudence, pour nous attirer aucun des maux
dont l’imprudence est la cause, (telle est l’idée du Vulgaire), mais c’est
un précepte de la Justice naturelle, et dès là un Devoir indispensable de
se faire de la Prudence une étude, pour mettre notre Prochain à
couvert des mêmes inconvéniens dont nous souhaittons d’être garantis.
Et comme nous n’aurions aucun droit de l’exiger des autres, s’ils n’a=
voient un Droit pareil de l’exiger de nous, il est clair que l’obligation
est parfaitement réciproque, et fondée sur l’égalité naturelle.

Ce principe fera sentir quelle est l’illusion, et si j’osois dire la fo=
lie de la Grandeur, qui en s’affranchissant des ménagemens, voudroit
en être l’éternel objet.

Selon la plupart des Grands, même de ceux qui ne le sont qu’à
leurs propres yeux, la Prudence est la Vertu et le Devoir des petits.
Ils envisagent ceux-ci comme des vaisseaux fragiles, qui doivent éviter
les plus petits chocs dans la crainte de se briser, tandis qu’ils se regar=
dent eux mêmes comme des rochers inébranlables. Mais disons le en
passant, qu’est-ce qui montre mieux leur foiblesse et le besoin qu’ils ont
de Prudence, que le souci perpétuel ou ils sont de l’imprudence des autres?
/p. 303/ Pourquoi sont-ils si choqués des moindres oublis, et si c’est un sentiment
de la Nature, qu’est ce que cela marque, si ce n’est que l’obligation d’ob=
server tous les ménagemens raisonnables de la Prudence est aussi uni=
versel que le sentiment des négligences qui lui sont contraires?

Dans la Nature ce que l’un sent justifie ce que l’autre peut
sentir, et dans la Morale, ce que l’on exige suivant ses régles, est une
preuve de ce que l’on doit soi même.

Je ne crains donc pas de rien hazarder en alliant l’obligation d’être
prudent à cette Régle divine, Ce que vous voulez que les Hommes
vous fassent, faites le leur pareillement, car c’est la Loi et les
Prophètes
. Cette loi est dictée aux hommes de tout état, depuis le scep=
tre jusqu’à la houlette. Nul n’en peut être exemt que celui qui ne la
comprendroit pas. Le Stupide le seroit par cet endroit beaucoup plutôt
que le Prince. Cette Loi exige de chaque homme tout ce qu’il est en
état de sentir et de justifier que lui doivent ses semblables.

Je dis tout ce qu’il est en état de sentir, parceque tous les Hom=
mes ne le sentent pas, ou, ne le sentent pas également. Chaque devoir
et chaque Vertu impose une obligation proportionnée au degré de péné=
tration dont l’agent est doué pour la sentir. Plus une Vertu demande
de délicatesse, moins on a droit de l’attendre des personnes que la bas=
sesse de la naissance, le peu d’éducation, et le souci continuel du be=
soin ont rendu nécessairement grossiéres. Les Vertus qui sont telles au
prémier coup d’œil, comme la Justice, la Fidélité, la Charité, Vertus
simples dans la pratique, et dont l’utilité se fait sentir aux plus idi=
ots, des Vertus de ce genre sont d’une obligation beaucoup plus forte
en elle mêmes, et par leur nature, mais encor elles obligent plus univer=
sellement tous les hommes, malgré leurs divers degrés de compréhension,
parce qu’il est un degré d’intelligence que le Créateur a rendu commun
à tous, pour les lier à une observation réciproque qui leur étoit égale=
ment nécessaire.

Il n’en est pas de même des Vertus complexes dont l’application à
un grand nombre de cas divers résulte d’une combinaison d’idées dont
peu d’hommes sont capables. Telle est la Prudence en une infinité
de circonstances. Et il y aura encor ici une distinction à faire. La
Prudence aiant divers objets & divers départemens, tous ne présentent
pas des idées si composées et une pratique si difficile. Il résultera
de là des obligations diverses pour tous les ordres, ou pour mieux di=
re, des obligations correspondantes à tous les divers degrés d’intelli=
gence. Plus un homme aura d’esprit de facilité à réfléchir, d’usage
du monde, d’aquis, et d’expérience, plus il aura eu d’éducation et de
/p. 304/ secours, plus aussi on aura droit d’exiger de lui. Ce qui ne seroit pas même
recommandé à un homme du bas Peuple, nourri dans les bois ou dans le
tumulte de la guerre, sera un devoir indispensable pour un homme bien
élevé et dont tous les sentimens doivent être délicats. Ce qui ne seroit qu’u=
ne faute legére pour l’un deviendra pour l’autre une faute impardon=
nable, et si l’argent est tel qu’il ait pu prévoir les suites facheuses de son
imprudence, il sera justement reputé coupable, et aura les mêmes repro=
ches à se faire, que s’il en avoit volontairement couru le risque.

La Prudence est donc un devoir auquel chaque homme est tenu se=
lon le degré de connoissance qui l’en rend plus ou moins capable. De
sorte que la mesure d’intelligence de chacun d’eux devient en même tems
la mesure de l’obligation à le remplir.

Cette obligation croit donc à mesure proportion de ce que croissent les
connoissances, et voilà pourquoi un enfant n’est pas responsable comme
un adulte, ni un jeune Homme, comme un Homme fait en qui l’on
présume avec raison de l’expérience.

Que si l’on est tenu à la Prudence considérée pour un moment com=
me la fin, on l’est par là même aux moiens de l’aquerir, s’ils étoient en
notre pouvoir. Ces moiens sont l’attention, la réflexion, l’étude, les exem=
ples. Tout homme qui a eu à sa disposition de tels secours sans en avoir
profité, ne sera donc point excusable en disant, j’étois distrait, je n’ai
jamais lu, ces exemples ne m’ont point frapé
; parce que c’étoit un de=
voir d’être attentif, de penser avant d’agir, d’imprimer des exemples ins=
tructifs dans sa mémoire, de s’éclairer. Le mal que l’on cause par une
ignorance volontaire, ou par une inattention habituelle, est un mal
dont on est responsable pour s’être mis dans le cas d’en être la cause.
C’est ici un point que l’on ne pèse pas assez parmi les hommes, et cela
vient sans doute de ce que les fautes dans lesquelles on tombe à cet
égard ne sont punies dans la Société, que par la raillerie ou par le mé=
pris. Cependant à l’examiner de près elles ont un côté très sérieux. Qu’un
homme distrait remplisse un poste important, et que mal instruit, ou peu
attentif, il condanne l’innocent ou absolve le coupable, à coup sur ce n’est
pas une bagatelle. Que par l’indiscrétion d’un discours on jette, sans
dessein pourtant, la dissension entre deux Amis, on anime deux par=
tis, on fomente une guerre, la faute n’est rien moins qu’indifféren=
te. Les Hommes ne la jugent pas; mais la Conscience doit en sou=
frir.

Cette dernière observation me conduit à faire envisager la
Prudence comme un devoir plus important à proportion de la
grandeur et de l’importance de son objet. La Religion, la Justice,
/p. 305/ la Paix seront assurément dans le prémier rang. Tout homme qui vio=
lera l’une, ou qui altérera l’autre par imprudence se met dans le cas
d’en répondre devant Dieu et souvent même devant les hommes.

Un discours libre et peu mesuré sur quelque point essentiel de la
Religion, lorsque (même par inadvertance) on s’exprime de façon à faire
juger aux autres qu’on a peu de respect pour les choses saintes, et qu’on in=
vite, pour ainsi dire, par cette conduite des personnes déjà portées à cette
espèce de libertinage, on se rend coupable de la plus haute et de la plus
criminelle imprudence.

Lorsque par des termes ambigus sur la conduite, les mœurs et
le caractère d’autrui, par quelque raillerie maligne on fait juger à faux
de son caractère, on est injuste par son imprudence.

Lorsque par quelque équivoque lascive on risque d’allumer une pas=
sion ou de blesser la pureté, on viole l’honnête par imprudence.

Les hommes imprudens violent donc des devoirs beaucoup plus impor=
tans qu’ils ne s’imaginent selon que le tour et le feu de leur Esprit les y
porte: et dans le tems qu’ils se croient à peine imprudens, ils violent fré=
quemment la Justice, l’honnêteté et des bienséances essentielles.

Mais que l’on envisage de pareilles fautes dans les Grands, et que l’on
en pése toutes les suites, on sentira que plus les personnes qui les commet=
tent sont éminentes plus leur imprudence est inexcusable. On s’attend
pour l’ordinaire à trouver plus sages et plus mesurés ceux qui sont à la
tête des autres hommes par leur Génié ou par leur naissance, et lors=
qu’on voit commettre quelque imprudence palpable à ceux que l’on
regardoit comme les guides du Genre humain, on en est frappé com=
me d’une espèce de Phénomène qui ternit leur gloire, parce qu’on avoit
droit d’en attendre davantage, et que par des fautes considérables ils
trompent et démentent, pour ainsi dire, l’attente publique.

Mais ce qui rend cette conduite moins pardonnable, c’est qu’il est
peu de fautes pareilles sans de grandes conséquences, et qui intéressent
souvent le repos public. Il n’est pas rare dans l’Histoire de voir un
Prince enveloper sa Famille, ses Amis, ses Peuples, ses Alliés dans la
disgrace qu’il attire par son imprudence.

C’est donc un devoir indispensable que celui de s’étudier à la
Prudence et d’en observer les Maximes, sur tout dans les Postes les
plus élevés. En général tout homme est obligé de bien régler ses ac=
tions à proportion de l’influence que peut avoir sa conduite. Et cela
étant qui est-ce qui y sera plus tenu que le Prince, que le Magis=
trat, que le Pasteur de l’Eglise. Regis ad exemplar totus com=
ponitur Orbis
. Cette Maxime regarde particuliérement les Souverains,
/p. 306/ dont l’exemple a tant de pouvoir. Le gout des Hommes pour l’imitati=
on est si fort; le plus grand nombre y est si disposé, qu’on peut dire
qu’il se conduit sur la foi et sur l’exemple de ceux qu’il regarde comme
ses Chefs. La foule a sans cesse les yeux attachés sur eux; elle est
prévénue en leur faveur, elle en attend sa fortune; par tout ou ils mar=
chent, elle est disposée à les suivre.

Quelle imprudence ne seroit ce pas à eux de n’être leurs Guides
que pour les perdre. Un Prince ne cause pas seulement la ruine de
ses Sujets par de fausses vues de Politique, souvent il les perd en gros
par cette voie: mais il les perd en détail par de fausses démarches et
par l’exemple d’une vie licentieuse. C’est sans contredit de toutes les
imprudences la plus criminelle.

Convenons d’un autre côté que si tous ceux qui occupent les pré=
miers postes de l’Univers, ou de chaque Société s’y conduisoient d’une ma=
nière sage, modérée, en un mot avec la Prudence Chrétienne, les Loix,
les Juges, les Tribunaux auroient peu de chose à faire pour régler les
hommes. Le Monde entier prendroit une face riante, paisible et vertu=
euse.

La matiére qu’on vient de traiter, a dit Monsieur le Juge Seigneux,Sentiment de Mr le Juge Seigneux.
est très composée, c’est pour cela qu’il faut faire tous ses efforts pour la
restreindre. La Prudence est cette Vertu qui nous fait éviter tous les obs=
tacles qui nous écartent de notre but, et qui nous fait choisir tous les
moiens qui peuvent nous y conduire. Suivant cette définition il paroit
que la Prudence est une Vertu des personnes faites, et que pour pos=
seder cette Vertu, il faut deja avoir bien des connoissances, de l’experi=
ence et de la réflexion. La Prudence dans les jeunes Gens est toute
autre chose, elle consiste à être circonspects dans leurs décisions, à être
attentifs à ce qu’on leur enseigne, et à ce qu’ils entendent dire, à réflé=
chir sur les choses qu’ils voient, à profiter du tems pour aquerir des
connoissances, et à ne pas se livrer en aveugles à ceux qui recherchent
leur amitié, en un mot à ne regarder comme leurs Amis quelle per=
sonne que ce soit avantque d’avoir examiné leur caractère et connu
qu’il est bon.

Monsieur le Professeur Polier a fait ces réflexions. La PrudenceSentiment de Mr le Professeur Polier.
comme Monsieur le Boursier l’a remarqué se confond souvent avec
la Sagesse. Le Livre des Proverbes ouvrage du plus habile des Rois les
confond très souvent, il est au moins très difficile de remarquer en quoi
il fait consister la différence qu’il y a entre ces deux Vertus. Monsieur
le Boursier l’a fait avec sa Sagacité ordinaire. Mais en marquant
les différens traits qui les distinguent, il a dit que la Sagesse est la
/p. 307/ science de la spéculation, et la Prudence celle de la pratique, et dans
un autre endroit que la prémiére est la science de l’esprit et la Pru=
dence celle des sentimens; ces idées ne me paroissent pas tout à fait jus=
tes. La matière est très vaste, et il est difficile d’en donner que des
régles générales.

Ces Vertus ne doivent pas se borner à cette vie, mais s’étendre
au delà. La Sagesse consiste à se proposer un but et un but excellent.
Lorsqu’elle a pour but le salut, elle s’appelle Prudence Chrétienne; quand
elle a pour but cette vie, on l’appelle Prudence civile.

Le prémier caractère de la Prudence, ou la prémière régle qu’elleRégles de la Prudence. I.
suit, a pour objet le but qu’elle se propose, et cette régle consiste à bien
connoitre ce but, en un mot ce qu’on desire, à s’instruire de la valeur
de ce but, de son utilité par raport à nos besoins, & de sa nécessité, c. à
d. de l’influence plus ou moins grande qu’il a sur notre bonheur. La
2seconde Régle c’est de bien connoitre les obstacles qui peuvent nous éloi=
gner de notre but, et les moiens qu’il faut emploier pour l’obtenir, il
faut se faire une idée nette et exacte de la force des uns et des autres
de leur raport avec nos forces, et avec notre situation. Tout ce sujet ne
sauroit être épuisé.

Outre ce qu’un a marqué, la Sagesse ou la Prudence recommande3
une grande attention aux circonstances des tems, des lieux, et des per=
sonnes; c’est là une régle de la Prudence active qui nous fait princi=
palement réussir.

Une autre régle, c’est de faire une grande attention non seulement4
aux circonstances de dehors, mais aussi à celles du dedans, je veux dire
aux Talens et aux dispositions que chacun a pour agir.

Il n’est pas difficile de faire valoir la raison pourquoi la Prudence
est plus importante dans un Grand, dans un Ecclésiastique, dans un
Magistrat &c. que dans une personne d’une condition différente, c’est
qu’ils ont des objets plus importans à traiter, et qu’ils influent plus sur
le bonheur de la Société. C’est pour cela aussi qu’ils ont plus besoin de
faire attention aux circonstances du dehors & à celles du dedans. J’at=
tens l’autre Discours de Monsieur le Boursier sur cette matière, avec
plaisir.

Quoiqu’on confonde, a dit Monsieur le Bourguemaistre Seigneux,Sentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
la Sagesse et la Prudence, je trouve cependant beaucoup de différence
entr’elles. La Sagesse regarde les mœurs, et la Prudence la conduite
de la vie. Quand nous manquons à la Sagesse nous en sommes
responsables à Dieu, et quand nous manquons à la Prudence nous
en sommes punis par le mauvais état de nos affaires. Ce qui me
/p. 308/ fait voir cette différence, c’est qu’un homme pourra être sage sans être
prudent et réciproquement. Un Homme, par exemple, aura une con=
duite très réglée, il sera pieux, juste, bienfaisant, mais il dirigera
mal ses affaires, il perdra ses biens, et n’aura point assez d’habileté et
de précaution pour se pousser dans le monde, il sera sage, mais il man=
quera de prudence. Un autre au contraire sera très habile à profiter
de toutes les circonstances & de toutes les occasions propres à pousser sa
fortune, mais ses mœurs seront mal réglées; il manquera de charité, et
de piété; on dira de lui qu’il a beaucoup de prudence, mais qu’il manque
de Sagesse.

Ce en quoi l’on manque le plus de prudence, c’est dans les discours.
Tous les traits que Monsieur le Boursier en a indiqué portent coup à no=
tre fortune. Il est facile de manquer à ce que la Prudence exige dans
ses Discours, plus que dans ses actions; parceque les actions excitent plus
notre attention et nous font réfléchir. Puis donc que les Discours attirent
moins notre attention par eux mêmes, nous devons d’autant plus être sur
nos gardes à cet égard. Je ne m’étendrai pas davantage, parce que Mon=
sieur le Boursier veut traiter cette matière plus au long. Je ferai seule=
ment encor une remarque. C’est qu’il faut faire une grande attention
à ses qualités, à sa capacité, & à ses forces, qu’il faut se connoitre bien
soi même avant que d’entreprendre quelque chose; ou de se charger de
quelque emploi, pour ne pas se déshonorer en l’embrassant, quand on
n’a pas des qualités pour le remplir. C’est là une régle importante
de la Prudence.

Voici les réflexions de Monsieur le Baron DeCaussade. Ce queSentiment de Mr le Baron DeCaussade.
Monsieur le Bourguemaistre a dit de la difficulté qu’il y a à suivre les
régles de la Prudence dans ses discours me rappelle un passage de l’Apotre
Jaques III. 2.St Jaques, si quelqu’un ne péche point en paroles, c’est un homme par=
fait, il peut tenir tout son corps en bride. Il est difficile de modérer sa
langue, et celui qui en vient à bout, a assez de forces sur soi même pour
modérer toutes ses passions.

On peut ajouter aux régles de Prudence qu’on a indiquées celle-ci,
C’est de profiter des fautes d’autrui pour n’y pas tomber soi même; il faut
réfléchir sur la turpitude de ces fautes, sur les causes qui nous y font tom=
ber, sur les suites facheuses qu’elles ont, & sur les désagrémens et les cha=
grins qu’elles procurent à ceux qui s’y laissent aller. Tout cela nous fait
prendre des précautions pour les éviter. Feliciter sapit qui alieno
periculo sapit
.

La Prudence, a dit Monsieur DuLignon, consiste à réfléchir surSentiment de Mr DuLignon.
toutes ses actions, à les comparer avec les différens buts que nous nous
/p. 309/ proposons, pour voir si elles peuvent nous y conduire, et nous y faire
réussir, ou si elles nous en éloignent. Si par l’examen que nous en fe=
rons, nous trouvons qu’elles sont propres à nos desseins, nous devons les
entreprendre; si au contraire nous remarquons qu’elles y sont opposées
ou simplement qu’elles y sont indifférentes, nous devons les abandonner.
C’est là une régle générale de la Prudence, tant pour ce qui regarde
les affaires de ce monde, que pour ce qui se raporte au Salut. Sans
cet examen il est impossible que nous ne fassions de fausses demar=
ches qui nous éloigneront de notre but, et que nous ne négligions de
profiter de plusieurs circonstances favorables et qui nous auroient
beaucoup servi pour nous procurer un succès heureux.

Note

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Etendue
intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXII. Sur la prudence », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 15 août 1744, vol. 2, p. 295-309, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/519/, version du 24.06.2013.
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