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« Assemblée LVI. Lecture d'un extrait du "Spectateur" sur l'utilité du travail du corps », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 06 juin 1744, vol. 2, p. 260-265
LVI Assemblée
Du 6e Juin 1744. Présens Messieurs De Bochat Lieutenant
/p. 261/ Ballival, Seigneux Boursier, D’Apples Professeur, Baron De Caussade,
De St Germain Conseiller, Garcin.
Messieurs, On peut réduire ce que Monsieur le ConseillerDiscours de Monsieur le Comte
Cuentz nous dit Samedi dernier dans son Discours sur l’éducation à ces prin=
cipes généraux.
1° Il faut déraciner du cœur des jeunes Gens l’orgueil, et la bonne
opinion de soi-même qui leur est si naturelle.
2° Leur oter, autant qu’il est possible, le gout de la bagatelle, de la
parure, et les détourner de la lecture des Romans.
3° Il faut les accoutumer à être vrais, et ne leur promettre aucun
mensonge.
4° Leur donner du gout pour la Compagnie et le commerce des hon=
nêtes Gens.
5° Il faut qu’ils sentent l’obligation où ils sont d’aquerir des lumi=
ères, de s’instruire des Devoirs qu’ils ont à remplir tant à l’égard de Dieu,
à l’égard du Prochain, qu’à l’égard d’eux mêmes.
6° Pour bien regler ses actions et les mouvemens de son cœur, il
faut réfléchir tous les soirs sur ce que l’on a fait, dit, et pensé pendant
le jour, et en rendre compte aux personnes qui sont chargées de notre édu=
cation, afinqu’ils nous instruisent, qu’ils nous corrigent, et qu’ils nous ai=
dent à reparer les fautes que nous aurons pu faire, et les négligences
ou nous serons tombés.
Au reste je n’ai point rappellé les Maximes qui regardent ceux
qui sont chargés de l’Education des jeunes Gens, je n’ai parlé que de
celles que les jeunes Gens eux mêmes doivent pratiquer, et qui par là
me regardent directement.
Vous m’avez dit, Monsieur De Bochat, que le gout qu’on prend pourà Mr le Lieutenant Ballival DeBochat
la bagatelle quand on est jeune, est un très grand obstacle aux progrès
qu’on devrait faire dans la suite, parce que ce gout détourne l’attention
des choses solides; qu’il faut par conséquent faire tous ses efforts pour le
déraciner de bonne heure.
Vous avez remarqué Monsieur l’Assesseur, que sans éducation lesà Mr l’Assesseur Seigneux
jeunes Gens ne sauroient aquerir les connoissances et les vertus qui
leur sont nécessaires; que les Pères qui sont portés à donner cette édu=
cation à leurs enfans, par l’amour qu’ils portent à ces enfans, et par
l’intérêt qu’ils prennent au bonheur de la Société, seroient cependant
encor plus encouragés dans ce pénible travail, si on donnoit parmi
nous, comme on le fait à la Chine, quelque recompense à ceux qui
s’en aquittent bien.
à Mr le Conseiller De St GermainMonsieur De Saint Germain, vous m’avez fait sentir d’une ma=
nière /p. 262/ bien forte; que si je ne réponds pas aux soins que l’on prend de
mon éducation, je me rendrai extrémement coupable. J’en suis parfai=
tement convaincu, mais j’espère aussi que Dieu me fera la grace de n’a=
voir pas à me faire le cruel reproche d’avoir mal profité de tous les se=
cours que j’ai, en particulier de celui que vous voulez bien me procurer
Messieurs, et je m’assure que je ne vous donnerai pas le regret d’avoir
mal emploié vos soins.
L’éducation est une des choses qui interesse le plus la Société; aussi,à Mr le Boursier Seigneux.
m’avez vous dit Monsieur le Boursier, les Princes, les Magistrats, et tou=
tes les personnes qui sont élevées en dignité devraient-elles emploier tous
leurs soins pour faire ensorte que les jeunes Gens de tout ordre fussent
bien élevés. Ce seroit le moien de rendre la Société heureuse.
Monsieur De Caussade et Monsieur Garcin vous avez fort aprouvéà Mr le Baron De Caussade et à Mr Garcin.
les préceptes de Monsieur le Conseiller Cuentz.
Vous avez remarqué, Monsieur le Bourguemaistre, que les plus grandsà Mr le Bourguemaistre Seigneux.
obstacles qui s’opposent à une bonne éducation se trouvent dans le carac=
tère et dans les passions des jeunes Gens.
Vous avez beaucoup blamé, Monsieur Du Lignon, la sévérité avecà Mr Du Lignon.
laquelle les Anglois élévent la jeunesse, vous pensez que cela donne de
l’éloignement pour les Sciences, et vous approuvez qu’on s’y prenne avec
plus de douceur.
à Mr le Professeur D’Apples.Vous avez remarqué, Monsieur D’Apples, qu’il faut donner aux jeu=
nes Gens, dès l’âge le plus tendre, des idées saines de tout ce dont on leur
parle, qu’on doit leur présenter les Sciences d’une manière qui les leur
fasse aimer, sur tout qu’il faut leur inspirer du respect et de l’amour
pour la Divinité, et une grande ardeur pour remplir tous leurs devoirs
à l’égard du Prochain.
Je vous rends biens des graces, Messieurs, à tous en général des bons
vœux que vous avez fait pour moi, et je souhaite de ne pas démentir
l’heureux prognostic que vous avez formé à mon sujet.
XXe Discours du II. Tome du Spectateur de l’utilité du travail du corps. Sujet de la conférence.Après ce Discours on a lu le XXe Discours du II Tome du Specta=
teur, qui traite de l’utilité du travail du Corps. Voici les réflexions
auxquelles ce Discours a donné lieu.
Sentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.L’Auteur a voulu établir l’utilité de l’exercice, il a aussi voulu éta=
blir que c’est un Devoir pour nous de nous y appliquer, par cette raison
que nous naissons avec toutes les Facultés propres à l’exercice, et à
remplir tout ce qui est nécessaire pour satisfaire aux besoins du Corps.
Il est vrai que l’idée du Devoir ne détermineroit les Hommes, à s’y ap=
pliquer que bien faiblement, mais heureusement l’ambition et l’avarice ont
excité les Hommes à remplir leur destination à cet égard et à s’occuper au
/p. 263/ travail. Puis donc que l’Homme est fait pour le travail, que c’est là sa
destination, et il est bon de lui remettre cette vérité devant les yeux et de
lui prouver qu’il ne doit pas vivre dans l’oisiveté. J’appelle oisiveté
quand chacun ne travaille pas selon sa condition; car chacun à un tra=
vail différent, il est même utile que tous ne soit pas occupés à tra=
vailler pour le corps; pourvu que tous raportent leur travail à l’utili=
té de la Société. C’est dans cette diversité et dans cette harmonie que
consiste la beauté de la Société.
Un conseil qu’il faut donner sur cette matiere, c’est qu’on doit s’ac=
coutumer de bonne heure à l’exercice du Corps, de même qu’à l’exercice
de l’Esprit, car sans il se fait chez nous un calus, qu’il est difficile de
guérir. Au reste il convient fort d’établir la nécessité du travail, dans
notre Païs. Ce sont là en abregé les réflexions de Monsieur le Lieute=
nant Ballival DeBochat.
Sentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.Quoique tous les hommes aient les mêmes organes, on peut cepen=
dant, a dit Monsieur le Conseiller DeSt Germain, diviser le Genre hu=
main en trois Classes. 1. Les Païsans qui font une grand usage des
organes matériels et corporels, ou plutot qui ne se servent que des orga=
nes du Corps. 2. Les Savans qui ne font usage que des intellectuels,
que des Facultés de leur Ame. 3. Il en est d’autres qui ne font usage
ni des organes de leur corps, ni des Facultés de leur Ame. Mais les
uns & les autres ne répondent pas entiérement au buts de leur des=
tination. Ne faire usage que des organes ou des Facultés de l’esprit
détruira les forces de son Corps, on deviendra paralytique. Ne faire
usage que des organes du Corps, on tombera dans une léthargie de l’Ame
plus facheuse que celle du Corps; Ne faire usage ni des uns, ni des
autres, c’est être mort. Rien ne seroit plus utile que de réunir ces exer=
cices pour conserver mentem Sanam in corpore Sano.
Monsieur le Baron De Caussade a remarqué, que le travail estSentiment de Mr le Baron De Caussade.
utile pour la santé; mais il est difficile que les jeunes Gens n’en abusent;
c’est ainsi que les exercices de la Paume, de la Chasse entrainent, pour
l’ordinaire ceux qui s’y attachent. J’ai ouï dire, a-t-il ajouté, qu’il
y a des Princes qui passent leur vie dans les bois; ce n’est plus alors
un amusement, ni une récréation utile, et agréable; ils y aquiérent
de la férocité, et le temps qu’ils y emploient est en partie un tems
qu’ils dérobent aux affaires. Il faut donc accoutumer les Grands à
ne s’y pas donner avec trop de passion, mais à mèler l’exercice du
corps avec celui de l’esprit, parceque l’exercice du corps poussé trop
loin, quelquefois détruit la santé, et fait même perdre la vie quelquefois.
L’homme a été condanné au travail dès le commencement, aSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
/p. 264/ dit Monsieur le Boursieur Seigneux: il faut donc que chacun en ait
sa portion. Les Princes et les Monarques même. C’est donc une idée faus=
se que celle de ceux qui ne font consister leur grandeur qu’à n’être
obligés à aucun travail. Les Princes en sont au contraire bien chargés.
Cela fait voir encor le ridicule de ceux qui ambitionnent des places
qui demandent beaucoup de travail, et qui remettent cependant ce
travail à d’autres, pendant qu’eux ne s’occupent que de jeu et de
chasse & d’autres amusemens de cette nature. Le Spectateur les critique.
Le travail se distingue de l’exercice; l’idée du travail renferme
une idée de quelque chose de peinible, mais si le travail est accom=
pagné de peine, elle s’adoucit par l’habitude. L’exercice est mois vio=
lent & demande moins d’effort, il est utile pour ceux qui étudient, il
facilite les opérations de l’Ame, il aide à soutenir les chagrins, il donne
de la sérénité. Le travail est essentiel à l’Homme, mais tous ne doivent
pas s’appliquer au même travail; chacun doit donc decouvrir à quel tra=
vail il est destiné, et s’y appliquer ensuite.
Au reste, je me persuade que l’Auteur dans ce Discours a voulu
tourner en ridicule quelques exercices particuliers des Anglois.
Sentiment de Mr le Professeur D’Apples.Je crois comme Monsieur le Boursier, a dit Monsieur le Profes=
seur D’Apples, que le Discours du Spectateur est ironique, et que l’Auteur
a voulu faire sentir le ridicule ou les excès de quelques exercices parti=
culiers des Anglois. Si on se convanquoit bien que la lumière est la
vie de l’Ame, et l’exercice la vie du Corps, il ne faudroit pas d’autre
motif pour déterminer les Hommes à aquerir des lumières et a prendre
de l’exercice. On sait ce que pensoient là dessus les Grecs et les Romains
par les Gymnases qu’ils avoient établis, dans lesquels on s’exerçoit à la
Lutte, à la Course & de même qu’aux Sciences. Ces deux choses doivent
aller de pair; Si l’on n’exerce que l’Ame le corps languit, et fait aussi
languir l’Ame dans la Suite; et si l’on n’exerce que le Corps, l’Homme
n’est plus qu’une machine.
Je distingue l’exercice en exercice pour la Santé et en exercice de
nécessité, ce dernier s’appelle travail. Je crois que les exercices dont le
Spectateur parle, ne sont pris pour exemple que d’une manière ironique.
Je suis au reste dans l’idée que les Princes peuvent prendre des exercices
de plaisir, mais modérément, tels la chasse etc. Mais je voudrois qu’ils
préférassent à ces exercices là; le plaisir de voiager dans leurs Provinces
pour connoitre leurs Sujets, pour y déterrer les personnes qui ont du mérite
afin de les avancer, pour voir si ceux à qui ils ont confié des Charges
s’en aquittent exactement pour decouvrir les besoins de leurs Peuples
afin d’y rémédier. Par là ils prendroient suffisamment d’exercice, et ils
/p. 265/ feroient que leurs récréations même tourneroient au bien de la Société
au bien delaquelle on doit tout raporter. Les Gens d’étude doivent avoir
de l’exercice; mais ils ne doivent pas recourir pour cela à des Cloches, ou
à d’autres exercices aussi inutiles; ils pourroient aller voir les malades, sur
tout ceux qui seroient dans des lieux éloignés; s’attacher à la connoissan=
ce des plantes, dans tout cela, ils exerceroient leur corps par la prome=
nade et leur esprit par la réflexion; je propose ces exercices plutot que
d’autres parcequ’ils sont utiles, et qu’en tout on doit se proposer pour but
d’avancer l’utilité publique. Au reste ces exercices regardent plutot ceux
qui s’appliquent à l’étude de la Théologie et de la Médecine que ceux
qui cultivent d’autres Sciences; ces derniers pourront, chacun selon le gen=
re d’étude auquel il s’attache, trouver dequoi s’exercer utilement.
Voici les réflexions de Monsieur le Docteur Garcin. L’exercice estSentiment de Mr le Docteur Garcin.
regardé comme la troisième partie de l’entretien du Corps humain, par=
ce qu’il procure le mouvement des fluides, et qu’il entretient la transpi=
ration: l’exercice rend la circulation du sang facile, il chasse le chagrin,
il facilite les opérations de l’Esprit. Les Médecins attribuent la multipli=
cation des maladies d’aujourd’hui au défaut d’exercice. Les Anciens exer=
çoient plus le Corps qu’on ne le fait aujourd’hui. D’ailleurs ils avoient
l’usage du bain qui tient lieu d’exercice. J’ai éprouvé l’effet du bain, en
Perse; étant allé au bain, on m’introduisit dans une Chambre obscure,
là quelques valets me frottèrent le corps et me raclèrent d’importance,
l’obscurité m’empécha de voir de quels instruments ils se servoient, mais
ce que j’observoi très bien, c’est qu’ils operoient avec beaucoup de prom=
ptitude, & sans endommager, quoique je m’aperçusse bien qu’ils me dé=
crassoient bien à fond: Cela me rendit extrémement leger: il me sem=
bloit au sortir de là que je n’avois plus de pesanteur, tant ils m’avoient
rendu le corps souple et agile. Le manque d’exercice est une source
de vapeurs, et d’affections sousbutiques; il se fait des amas d’humeurs
dans le Corps quand on ne fait point d’exercice. Ce qui fait voir que
nous sommes tous faits pour le travail. Les Gens d’étude devroient
consacrer quelques heures chaque jour à l’exercice. Rien ne seroit plus
utile que d’établir des exercices publiés en plein air; à des heures réglées.