,
        « Assemblée LV. Sur l'éducation de la jeunesse et sur la circulation de la matière qui sert à former les plantes, les animaux et les montagnes », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 30 mai 1744, vol. 2, p. 240-260
	
	
		
LV Assemblée
	Du 30e May 1744. Présens Messieurs DeBochat Lieu=
	tenant Ballival, Seigneux Bourgemaistre, Seigneux Boursier,
	Seigneux Assesseur, D’Apples Professeur, Barons DeCaussade, DuLignon,
	DeSt Germain Conseiller, Cuentz Conseiller d’Etat, Garcin Docteur.
	Messieurs Le Spectateur pretend tirer de nos rèves
	une forte probabilité pour rétablir l’excellence de nos Ames, et
	leur indépendance de la matière.
	1° Nos rèves, dit-il, nous fournissent de bonnes preuves de l’ac=
	tivité de nos Ames, puisque le sommeil qui ote au corps la faculté
	d’agir ne saurait l’oter à l’Ame.
	2° Les rèves prouvent l’agilité et la perfection des Facultés
	de l’Ame lors qu’elle est dégagée du corps, puisque notre Esprit a
	plus de fécondité & de vivacité dans le sommeil que dans la veille.
	3° On peut remarquer que la joie, le chagrin et en général
	toutes les passions affectent l’Esprit avec plus de force, lorsque le
	corps est endormi, que lorsqu’il est éveillé.
	/p. 241/ 4° Ce qui donne encor une grande idée de la nature de l’Ame,
	c’est ce nombre infini et cette grande variété d’idées qui s’y élèvent
	pendant le sommeil.
	Enfin ce qui prouve l’excellence de l’Ame, c’est la faculté qu’el=
	le a de prédire l’avenir dans les songes. L’Auteur se persuade qu’el=
	le a cette faculté sur la foi de quelque songes prophétiques que les
	Historiens raportent, de la vérité desquels il paroit convaincu: il ne
	décide cependant pas si ce pouvoir de l’Ame est l’effet de quelque
	Faculté cachée, ou de quelque communication avec l’Etre Suprème,
	ou avec des Esprits inférieurs.
	L’Auteur conclud de tout cela, que si l’Ame, quoiqu’elle ne
	soit pas entiérement dégagée du corps, a tant d’activité et tant de
	force, c’est une preuve de son excellence et de son indépendance du
	corps, ce qui dailleurs est établi par des preuves incontestables.
	Vous m’avez dit, Monsieur Cuentz, que les Songes ne sont qu’una Mr le Conseiller d’Etat Cuentz.
	pur méchanisme, et une suite des opérations que l’Ame a eu au=
	paravant; que l’Ame dans le sommeil n’a point de sentiment de
	son existence, et ne peut point comparer ses idées les unes avec les
	autres; que cependant ce sont là les deux propriétés essentielles de
	l’Ame.
	Vous m’avez dit, Monsieur le Bourguemaistre, que l’Ame n’aa Mr le Bourguemaistre Seigneux.
	point autant d’activité pendant le sommeil que l’Auteur lui en at=
	tribue, que même dans un sommeil profond elle n’agit point, qu’ainsi
	les conséquences de l’Auteur ne sont pas solides.
	Vous m’avez convaincu, Monsieur DeBochat, que la volonté n’aa Mr le Lieutenant Baillival DeBochat.
	aucune part à ce qui se passe dans notre Ame pendant le sommeil,
	que les rèves ne sont que l’effet de l’agitation des liqueurs et du mou=
	vement des organes de notre Corps.
	Par rapport aux songes prophétiques vous ne recevez que ceux
	que l’Ecriture Sainte raporte, et vous regardez ceux dont nous parle
	l’Histoire comme des fictions.
	Monsieur DeCheseaux m’a dit que dans le sommeil l’Ame n’agitPour Mr DeCheseaux le fils, absent.
	que d’une manière ou la volonté n’a point de part, qu’elle ne sau=
	roit faire aucun raisonnement suivi, et qu’on se trompe quand on
	attribue à l’Ame la Faculté de produire quelque chose de beau et de
	bon; ce n’est qu’une illusion.
	Vous m’avez dit, Monsieur le Boursier, qu’on ne peut tirer des
	songes aucune conséquence pour établir l’indépendance de l’Ame d’a=
	vec le corps, ni pour sa spiritualité; parceque dans les rèves on ne
	fait rien de suivi, bien loin de là on fait souvent des actions contraires
	/p. 242/ à son naturel, et aux principes qu’on a adopté.
	Monsieur DeSt Germain vous trouvez que l’Ame dans les rèves n’aa Mr le Conseiller De St Germain
	aucune idée de la mesure des tems, ni de la distance des lieux, qu’ainsi
	on ne peut rien conclure de ces opérations informes en faveur de la spi=
	ritualité de l’Ame.
	Vous m’avez dit, Monsieur Garcin, que le cerveau est un organea Mr le Docteur Garcin.
	destiné à représenter à l’Ame les objets: que le cerveau est ébranlé par
	les esprits animaux qui y entrent et y agissent avec plus ou moins de force
	suivant la quantité d’alimens qu’on a pris, ou suivant le travail qu’on
	a fait. Qu’ainsi les songes ne sont l’effet que d’un pur méchanisme.
	a Mr l’Assesseur Seigneux.Vous m’avez montré, Monsieur l’Assesseur, que si les belles producti=
	ons que le Spectateur attribue à l’Ame pendant le sommeil prouvent son
	excellence, les songes estravagans que l’on fait en donnent aussi une
	idée bien humiliante; mais vous voiez de plus que l’Auteur a exagéré
	tout ce qu’il attribue de merveilleux à l’Ame.
	Vous pensez, Monsieur DuLignon, comme tous ces Messieurs,a Mr DuLignon.
	que les songes ne sont qu’un pur méchanisme, et une suite de l’ébran=
	lement que causent dans le cerveau les esprits animaux qui y cou=
	lent avec plus ou moins de rapidité.
	Monsieur le Comte aiant prié Samedi passé Monsieur le Con=
	seiller Cuentz et Monsieur Garcin de donner quelque piece de leur fa=
	çon à lire à la Société, ils en ont donné aujourdhui chacun une, on
	a lu, celle de Monsieur Cuentz la première, elle traite de la manière
	d’élever les jeunes Gens, celle de Monsieur Garcin traite de la circula=
	tion de la matière qui sert à former les corps des plantes et des Ani=
	maux, et par occasion de celle qui sert successivement à former les
	montagnes.
Monsieur le Comte et Messieurs,
	Discours de Mr le Conseiller Cuentz. Maximes pour servir à l’éducation de la jeunesseC’est pour obéir à des ordres dont vous avez bien voulu m’hono=
	rer, plutot que pour espérer de rien produire qui pût mériter l’attention
	d’une Assemblée aussi respectable et aussi éclairée; que je prends la li=
	berté de vous présenter une legère ébauche sur la manière d’élever
	la jeunesse, autant qu’il est de ma competence de raisonner sur une
	matière qui dans le fond intéresse également tout le Monde.
	Je dirai donc, que je regarde le soin de donner une bonne édu=
	cation à la jeunesse, et sur tout à celle qui doit faire une certaine
	figure dans le Monde, pour une affaire si capitale, que je crois que
	ceux qui seroient à la tête d’un grand Etat ne sauroient mieux fai=
	re que de suivre la politique qui se pratique dans le vaste Empire
	de la Chine, en envoiant tous les ans, ou tous les deux ans des Commis=
	saires /p. 243/ dans les Provinces et bonnes Villes pour s’informer des Pères
	de famille qui se seroient le plus distingués par cet endroit, soit pour les
	annoblir, ou pour les préférer dans la distribution des Charges civiles et
	militaires, et leur donner toutes sortes d’autres marques d’approbation et
	de faveur, qui puissent encourager les autres et exciter l’émulation.
	En qualité de Citoyen d’une de nos Villes libres, si j’avois à recommen=
	cer à élever mes Enfans qui auroient droit aux prémieres Charges, voici
	comme je m’y prendrois. Je sémerois de fleurs, de lys, et de roses, le chemin
	par lequel je me proposerois de les faire passer. Je leur ferois sentir de
	la manière la plus convenable et la plus proportionnée à leurs Esprits
	qu’il s’agit uniquement de leur bonheur, et de les rendre heureux tant
	en cette vie que dans l’autre. Je ne trouve rien de si déplorable que
	cette façon dont on ne voit que trop d’exemples dans nos villes alleman=
	des, d’élever en esclaves des Enfans nés libres.
	Je les laisserois le moins qu’il seroit possible entre les mains des
	Femmes, qui pour l’ordinaire ne tournent l’esprit des Enfans qu’à la
	bagatelle, et les idolatrant et les parant comme des Autels, leur inspi=
	rant précisément ce qu’il faudroit déraciner avec un soin extrème;
	je veux dire l’orgueuil: cet orgueuil si naturel à l’homme, qui a perdu
	nos prémiers parens, et introduit par là tous les maux que l’on voit
	dans le Monde. J’en dis autant de l’Amour propre déréglé qui produit
	des êtres qui ne sont pas moins funestes. Rien n’est si important que d’a=
	voir une attention des plus scrupuleuses, d’étouffer, pour ainsi dire, dès la
	naissance d’en Enfant, ces deux Monstres, et tout ce qui pourrait nourrir
	et entretenir en lui les mauvaises dispositions de ce côté-là, et de continu=
	er, pendant tout le tems qu’il est sous la direction d’un Pére, à veiller
	sur tous les mouvemens de sa tendre Ame, à lui inculquer la connais=
	sance si importante de lui même, celle de la misère de l’Homme, la
	nécessité de s’adonner à l’étude, et à la pratique de la Vertu, qui ne
	consiste qu’à renoncer à toutes ses inclinations vicieuses, à aimer Dieu
	sur toutes choses, à aimer son Prochain comme soi même, et à n’ai=
	mer son propre individu que selon le Dictamen d’un Raison éclairée.
	Je tâcherois sur tout de m’emparer entiérement et de bonne heu=
	re de la volonté de ces Enfans. Je croi que le meilleur moien d’y
	parvenir, c’est de tâcher de gagner leur amitié et leur confiance.
	Vouloir bien conduire des Enfans, et leur laisser néanmoins leur vo=
	lonté, c’est naviger sur l’Ocean et avoir toujours le vent contraire.
	J’aurois grand soin de les accoutumer d’être toujours vrais, et ne
	souffrirois jamais le moindre mensonge. Il est aisé de sentir l’im=
	portance de cette maxime.
	/p. 244/ J’aurois le même soin de les empécher de voir mauvaise ou suspec=
	te compagnie. Un bon moien de réussir à cet égard, c’est de vivre si bien
	avec des Enfans, qu’ils prennent plus de plaisir d’être avec nous qu’avec
	d’autres.
	J’aurois une grande attention que jamais des Romans ou d’autres
	pareils Livres ne tombent entre leurs mains: il ne servent qu’à corrom=
	pre le cœur; qu’à faire naitre de fausses idées, et qu’à donner un certain
	ridicule, lorsque le tems est venu de se produire dans le Monde.
	Je les introduirois de bonne heure dans les Sociétés et auprès du
	beau Sexe, ou l’Esprit se forme et les belles manières s’aquiérent.
	Comme la Politesse est ce qui rend tout le Monde et en particulier
	les jeunes gens des plus recommandables, je leur montrerois ce qu’elle
	est; qu’elle consiste dans l’art de plaire, non à soi même, mais aux au=
	tres: que la véritable politesse a son siège dans le cœur, et qu’elle exi=
	ge de se rendre également utile et agréable.
	Pour d’autant mieux réussir de ce côté là, et pour écarter tout
	ce qui pourroit causer et entretenir en eux des inclinations basses,
	des mœurs & des manières malséantes, j’aurois grand soin de les empé=
	cher de se familiariser avec les Domestiques et autres personnes de ce
	calibre, et ne leur permettrois, autant qu’il se peut faire, de parler à
	ces sortes de gens qu’en ma présence.
	Aiant eu autrefois beaucoup de liaisons avec la noblesse des Gri=
	sons à cause du voisinage, j’ai fort aprouvé d’y voir dans les Sociétés, le
	Grand’Pére et la Grand’Mere, les Péres et les Méres, les petits fils et les
	petites filles. C’est le vrai moien d’accoutumer les jeunes Gens de bonne
	heure aux bienséances et au vrai savoir vivre.
	Quant à ces connoissances requises pour devenir homme de bien,
	bon Chrêtien, bon Pére de famille, bon Parent, bon Ami, bon Magistrat, bon
	et utile Membre en tout sens de la Société Civile, je n’ai rien à dire à cet
	égard, en présence de l’illustre Assemblée qui me fait la grace de m’écouter.
	Mais mes jeunes Gens parvenus en âge de Raison, je les accoutume=
	rois de repasser tous les soirs, avant que de se coucher, la conduite qu’ils
	auroient tenu pendant la journée, de demander pardon à Dieu des pé=
	chés de commission & d’omission, dont ils se sentiroient coupables, et
	les obligerois de me rendre un compte exact tous les lendemains de ce
	qu’ils auroient fait à cet égard. Je le ferois observer de bien prés; pour
	les empécher de m’accuser autrement que juste. Je crois qu’on sentira
	aisément l’efficace et l’utilité de ce moien, qui fourniroit chaque jour,
	l’occasion la plus naturelle de les redresser ou ils en auroient besoin, de
	leur imprimer l’amour et la crainte de leur Créateur, de former et de
	/p. 245/ cultiver également leur Esprit et leur Cœur.
	J’estime qu’un des points les plus essentiels, et qui influe beaucoup
	sur le bonheur des Individus et des Familles mêmes, c’est d’étudier de bon=
	ne heure le Caractère et le Tempérament des jeunes Gens, et sur tout
	s’ils sont plusieurs, pour ne les destiner qu’à un genre de vie qui seroit
	assorti à leur capacité et à leur inclination, sans agir à cet égard au
	hasard ou selon d’autres vues.
	Un parti convenable pris à ce sujet, je leur insinuerois vivement
	de ne se proposer d’autre but dans toute leur conduite que de mériter
	l’approbation générale, avant toute chose celle de l’Etre Suprème, celle de
	tous les Gens de bien, et de tous ceux avec lesquels ils pourroient avoir des
	rélations; celle enfin d’eux mêmes: Je leur ferois sentir tous les avantages
	de la Tempérance; la nécessité de faire tous les efforts possibles pour te=
	nir en bride les passions, la douce satisfaction qui résulte d’une con=
	science nette, de n’avoir rien à se reprocher, d’avoir toujours agi pour
	le bien; et de se voir en état de ne plus craindre, pas même l’ingratitude.
	Le tems venu et les Esprits étant assez formés pour les faire
	voiager avec utilité dans les Païs étrangers, je les mettrois entre les
	mains d’un sage et éclairé Conducteur, et leur recommanderois unique=
	ment de faire un bon usage du tems précieux et des circonstances,
	de tacher d’être toujours bien avec l’Etre Suprème, d’avoir soin de leur
	réputation, et de leur santé, et de ménager la bourse conformément
	à leur état.
	Je crois que ce peu de Maximes très simples qui ne sont venues
	dans l’Esprit, pourroient servir de base aussi à l’éducation de la
	jeunesse d’un Rang plus élevée; mais je sens que je ne dois pas pren=
	dre le vol plus haut ni en dire davantage à ce sujet devant tant
	de Personnes respectables et éclairées que je reconnois pour mes Mai=
	tres dans cette Science, ni devant un illustre Seigneur, qui n’a plus
	besoin que de lui même, pour s’attirer, par ses éminentes qualités
	naturelles et aquises, l’admiration et le respect de tous ceux qui
	ont l’honneur de l’approcher, pour soutenir dignement la gloire de
	sa haute Naissance, et pour faire connoitre, ce que ceux qui
	sont nés pour vivre sous sa Domination, auront un jour à se pro=
	mettre d’un Maitre si accompli.
	Monsieur Cuentz vient de nous montrer, a dit Monsieur leSentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat
	Lieutenant Ballival DeBochat, qu’on se trompe quand on dit
	que tout est épuisé, car quoiqu’il semble qu’il n’ait rien dit qui
	ne se présente naturellement, au moins a-t-il eu ceci de particulier,
	c’est qu’il a placé chaque chose dans le rang et l’ordre qui lui convient,
	/p. 246/ et chaque chose placée à propos a un grand degré de clarté et de force
	ce qui est déjà un grand avantage.
	Dans chaque Siécle, et même dans chaque portion de Siècle, il
	faut du nouveau pour l’éducation, de même que pour les Arts & les
	autres Sciences; car pour bien élever un jeune Homme, il faut il
	faut le disposer de telle façon qu’il se rende agréable à ceux avec
	qui il aura à vivre; cependant les choses changent là dessus et
	notre Siècle demande sur ce sujet bien des détails qui n’étoient pas
	nécessaires ci devant. Il y en a cependant qui sont d’un constant usa=
	ge, telles sont celles-ci.
	Il faut accoutumer les jeunes Gens au solide, et les dégouter de la
	Bagatelle; qui a tant d’influence qu’elle décide du reste de la vie.
	Le gout pour le solide se peut prendre de bonne heure, il se ma=
	nifeste dans les Enfans: mais les soins empressés qu’on prend des
	Grands dès l’âge le plus tendre sont un obstacle aux soins qu’on en
	prendra dans la suite. Ils demeurent entre les mains des femmes qui
	les accoutument à la bagatelle, desorte que dans la suite quand on
	veut faire entrer dans leur esprit quelque chose de solide, on rencon=
	tre toujours à la traverse une bagatelle, qui les empèche de donner
	leur attention au solide. On a compris cependant qu’on laissoit les
	enfans trop longtems entre les mains des femmes, mais aucun Au=
	teur qui ait écrit sur l’éducation n’a détaillé cela: il faudroit donc
	ne les y laisse qu’autant que cela est absolument nécessaire. je dois
	encor remarque qu’il y a des Femmes qui n’ont pas les défauts
	de leur Sexe.
	Il est utile pour Monsieur le Comte de réfléchir là dessus, par=
	ce qu’il trouvera dans ces prémières impressions qu’on lui a donné dans
	son enfance l’origine de la quantité de faux gouts, qui se perdront par
	l’attention, comme une impression dans la cire se perd en l’approchant
	du feu.
	Je n’ai rien à ajouter davantage, sinon qu’on seroit presque pour
	se décourager quand on voit ce qu’il y a à faire pour atteindre à la
	perfection; mais il ne faut pas se laisser aller à ce sentiment; s’il est
	difficile de parvenir à la perfection, on peut en approcher, et on a
	cette consolation, c’est qu’on en approche toujours quand on y travaille
	et qu’on est récompensé de sa peine après le succès qui la suit.
	On ne peut pas établir, a dit Monsieur le Baron DeCaussade,Sentiment de Mr le Baron DeCaussade
	de meilleures maximes que celles qu’a proposé Monsieur Cuentz dans
	son Discours, ou il a réuni une grande briéveté et une grande énergie.
	Je trouve, a dit Monsieur Garcin, très excellentes les maximes deSentiment de Mr le Docteur Garcin
	/p. 247/ Monsieur Cuentz; j’ai senti qu’un des grands défauts de l’éducation
	vient de ce qu’on ne remplit pas assés les jeunes Gens de grandes idées
	de leur Créateur. Le Spectacle de la Nature seroit très utile pour les
	leur inspirer, si on vouloit les y rendre attentifs & si l’on savoit leur en
	découvrir les merveilles.
	Je trouve la matière très intéressante, je raporte le sentimentSentiment de Mr l’Assesseur Seigneux
	de Monsieur l’Assesseur Seigneux, parce que chacun a une Famille a éle=
	ver. Un Père ressemble à un Jardinier, s’il cultive bien ses Arbres, il
	les rendra plus forts, et ils produiront plus de fruits. Je remarquerai,
	sur ce sujet qu’il y a des maximes qui peuvent s’appliquer à toute
	sorte de jeunes Gens, il y en a aussi d’autres qui varient selon les su=
	jets et les circonstances. Quoique la tendresse d’un Pére dût le port=
	ter à prendre soin de sa Famille, les maximes qui sont en usage à
	la Chine encouragent les Péres, et leur fournissent un aiguillon
	pour s’aquitter de leur devoir; sans cela on se relache.
	Sentiment de Mr le Conseiller De St Germain.Je considère la pièce qui vient d’être lue, c’est Monsieur le Con=
	seiller De Saint Germain qui parle, comme un fort beau Canevas
	qu’on rempliroit avec succès si on suivoit la route que Monsieur
	Cuentz a tracée: la matière est extrémement abondante. Pour sui=
	vre la comparaison du Jardinier, qu’on vient d’indiquer, il ne suf=
	fit que celui qui se propose d’élever une jeune personne prenne
	des soins, il faut qu’il ait à former une Personne qui ait des ta=
	lens, tout comme il ne suffit pas qu’un Jardinier se donne beaucoup
	de peine, il faut encore que le terroir qu’il travaille, réponde à
	ses soins; malheur au Jardinier qui a un mauvais terrein à cul=
	tiver..
	Je me joints à Monsieur Cuentz pour la bonne idée qu’il a de Mon=
	sieur le Comte; mais qu’il me soit permis de lui faire remarquer ici,
	que s’il trompoit notre attente, et qu’il ne répondit pas à ce que les
	soins qu’on prend de son éducation doivent nous faire espérer de lui
	il sera plus coupable qu’aucun autre personne, parce qu’il a plus de
	secours, soit chez lui, soit dans les lumières et les solides reflexions
	de cette société, qui ne se propose que son instruction, il a dis-je, plus
	de secours, je ne dirai pas qu’aucun particulier, mais même plus que
	des têtes couronnées. Je le prie encor de faire cette réflexion, c’est
	que s’il réussit il partagera l’honneur du succès, mais s’il échoue,
	qu’il s’écarte des principes de probité, de Religion et de Vertu,
	qu’on a travaillé à lui inspirer, il n’en partagera pas la hon=
	te, elle retombera toute sur lui. Je fais au reste les vœux les
	plus sincères pour le succès de l’horoscope que Mr Cuentz a fait de lui.
	/p. 248/ J’ai trouvé, a dit Monsieur le Boursier Seigneux, l’ouvrage deSentiment de Mr le Boursier Seigneux
	Monsieur Cuentz très bon; il y a rassemblé tout ce que Mr Locke,
	Mylord Halifax & d’autres ont dit de meilleur. Monsieur Cuentz a l’a=
	vantage de l’expérience et de la réflexion.
	La matière intéresse non seulement les Péres, mais tous les In=
	dividus du Genre humain; chaque Homme est intéressé à ce que tous
	les Hommes soient sages, et raisonnables; chacun doit donc souhaitter
	d’être lui-même sage, et que tous les autres le soient aussi: chacun
	peut y contribuer, les Péres principalement; mais personne n’y peut
	avoir plus d’influence que ceux qui ont une grande autorité, com=
	me les Princes et les Magistrats, qui peuvent prendre à cœur tout
	ce qui intéresse l’éducation des personnes d’un certain ordre, de même que
	celle des personnes de tout genre: ils peuvent faire des dépenses pour pro=
	curer une éducation convenable aux personnes qui manquent de bien et qui res=
	teroient sans instruction si on les abandonnoit à elles mêmes. En pre=
	nant soin de celle de la lie du Genre humain, ils font comme celui qui
	défriche un desert, ils répandent la lumière, la connoissance et par là
	même la vertu parmi une partie considérable du Genre humain qui en
	seroit privée pour toujours; ils font plus, ils préviennent chez les autres
	le mauvais effet que les actions déréglées de cette partie des Hommes ne
	manqueroient pas de produire.
	Je ferai encor deux réflexions. La 1ere qui regarde les Péres; ils
	ne devroient pas entrer trop tot dans cette carrière, et avant que d’avoir
	travaillé à perfectionner leur propre cœur. Un Pére dont l’éducation n’est
	pas achevée découvra bientôt qu’il a mal réussi; mais comment reparer
	ce malheur? il est trop tard pour recommencer; le mal est fait.
	Une 2e réflexion, c’est que chacun suit son caractère dans l’éducati=
	on qu’il donne à sa Famille, et aux personnes qui sont confiées à ses
	soins. Un Guerrier élève son Fils en Guerrier, il lui donne des idées sur
	l’honneur telles qu’il les a, c. à. d. fausses pour l’ordinaire; il ne faut
	rien souffrir, lui répéte-t-il souvent; il sera content pourvu qu’il réus=
	sisse dans ses exercices. L’Homme de Lettres laissera son Fils s’encras=
	ser dans la poussière d’un cabinet ; il comptera pour rien, ou au moins
	pour peu de chose l’usage du monde et l’acquisition des qualités qui peu=
	vent rendre un homme aimable dans le commerce de la vie. Un
	Oeconome voudra que son Fils soit Oeconome, et négligera de le pous=
	ser dans les Sciences. Au lieu que la plupart des Péres devroient pen=
	ser qu’ils ne doivent pas former leurs Enfans à leur modèle, il
	faudroit prémiérement qu’ils étudiassent ce qui leur manque, et qu’il
	se le procurassent, avant que de former d’autres personnes sur leur moule,
	/p. 249/ comme s’il étoit parfait. Les qualités d’honnête homme sont les pré=
	mières qu’il faut inspirer aux jeunes Gens, ensuite on tachera de
	leur inspirer celles qui seront propres aux différens genres de vie aux=
	quels ils veulent se destiner: mais les Péres et les Méres sont plus fla=
	tés de qualités brillantes que des qualités modestes, c’est la raison pour
	quoi on cultive moins celles-ci.
	J’entre fort dans ce que Monsieur DeBochat a dit de l’éducation donnée
	par les femmes. Cependant il y a des femmes qui ont plus de capacité
	sur cet article que les hommes mêmes, elles font l’ornement de leur
	maison. Cornelie Mére des Gracques avoit de plus grands sentimens que
	bien des Romains; on en pourroit citer bien d’autres exemples même
	parmi nous, qui ne seroient point contestés. Les Péres et les Méres, com=
	me Cornelie, doivent regarder leurs enfans comme leur gloire, et les éle=
	ver dans cette vue.
	J’ai oui avec plaisir la pièce de Monsieur Cuentz, elle présente enSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
	peu de mots tout ce qu’il y a de meilleur sur l’éducation, c’est l’opinion
	de Monsieur le Bouguemaistre Seigneux que je raporte. J’ajouterai
	à ce qui a été dit qu’il est facile de découvrir ce qu’il y a à faire
	pour l’éducation, mais le plus difficile ce seroit de vaincre les obstacles
	qui se trouvent dans les Enfans et qui empéchent qu’on ne voie le
	fruit des soins et des peines qu’on se donne pour leur former l’esprit
	et le cœur. Monsieur Cuentz a supposé qu’on auroit à faire à un bon
	sujet: mais quand on a à faire avec un élève indocile, d’un esprit re=
	vêche, ou stupide, ou inappliqué, ou orgueilleux et plein d’une bonne
	opinion de soi même, quand on voit les obstacles qui se multiplient,
	qui se combinent en mille manières, cela fait la difficulté ; je souhai=
	terois qu’on cherchât les moiens de vaincre ces difficultés. je fais aussi
	de même que ces Messieurs des vœux sincères pour Monsieur le Comte,
	et je souhaite de tout mon cœur qu’on voie en lui le fruit de tous
	les soins qu’on prend pour son éducation.
	Sentiment de Mr DuLignon.J’ajoute à ce qu’a dit Monsieur DeBochat, a dit Monsieur Du=
	Lignon, qu’il faut commencer de bonne heure à former les jeunes Gens.
	A cinq ans, quelquefois même plutot, on prend des impressions qu’on
	a de la peine à vaincre dans la suite. La négligence des Parens en=
	vers les enfans qui sont en bas âge, la familiarité qu’on leur laisse
	avoir avec les Domestiques, qui pour l’ordinaire n’ont que des idées
	fausses et des sentimens bas: voilà d’où viennent les obstacles: quand
	après on ne reussit pas à leur inspirer de bons sentimens et à rem=
	plir leurs esprits de connoissances, on en rejette la faute sur le mau=
	vais naturel des enfans. Qu’on fasse attention aux principes qu’on leur
	/p. 250/ donne dans l’âge le plus tendre, p.e., on les accoutume à la vengeance
	on frapant ce qui les a blessé, et bien d’autres, de même nature, et aus=
	si pernicieux: ensuite vient un Précepteur, qu’on prend pour l’or=
	dinaire sans beaucoup de choix, qui n’a pas l’adresse de corriger ces
	habitudes. Autrefois on emploioit les coups, la mode en est un peu
	passée à présent. Pour moi j’en ai beaucoup reçu. Les Anglois battent
	leurs enfans: cela rebute des Sciences. De tout cela je concluds qu’il
	faut prendre beaucoup de soins des jeunes Gens, et les commencer de
	bonne heure.
	Le sujet et la manière de le traiter montrent le gout de MonsieurSentiment de Mr le Professeur D’Apples.
	Cuentz, a dit Monsieur le Professeur D’Apples. Ce qu’il dit sur la Divinité
	est assez négligé; on donne au contraire aux enfans du dégout pour tout
	ce qu’il y a de plus aimable, la Religion, les Sciences et la Vertu: on les
	oblige à étudier par force & sans leur faire comprendre ce que la Religion
	et les Sciences ont de beau et d’utile, on veut les porter à la Vertu par
	la crainte, on la leur fait envisager comme un joug pesant; au lieu
	que par de bonnes manières on y réussiroit beaucoup mieux, on leur
	feroit mieux gouter les principes de leurs devoirs. On commence trop
	tard l’éducation; il seroit aussi faute de donner à des enfans des idées
	saines de toutes les choses qui se présentent, que de leur en donner de
	mauvaises, de Physique, p.e., de Morale, au lieu de cela, sous le pré=
	texte qu’ils ne sont pas en état de comprendre les vrais principes des
	choses, on en invente de ridicules, dont ils se contentent; on pousse cette
	négligence jusqu’à leur faire mal prononcer les mots de leur langue;
	par là on augmente la peine des enfans, il faut qu’ils oublient ce
	qu’ils ont mal appris, avant que de pouvoir aquérir quelques lumiéres.
	Les Sciences, quand ils s’y appliquent, leur sont aussi mal présentées ; on
	pourroit les leur présenter comme une recompense, et les divertissemens
	comme une peine, au lieu qu’on leur présente les Sciences comme une
	tâche pénible.
	J’ai fort gouté l’article ou Monsieur Cuentz a parlé, de se rendre
	sociable, cette disposition est très importante, et il faut l’inspirer aux
	enfans de bonne heure. Toutes les Sciences devroient tendre aussi à faire
	aimer Dieu, et à faire remplir tous les Devoirs auxquels on est obligé
	à l’égard du Prochain.
Monsieur le Comte et Messieurs.
	Discours de Mr le Docteur Garcin sur la circulation de la matière qui sert à former les corps des plantes et des animaux et par occasion de celle qui sert successivement à former les Montagnes.La Sagesse de l’Etre Suprème et sa Puissance ne peuvent jamais
	être mieux connues de l’Esprit humain que par les choses qui brillent
	dans le Méchanisme de l’Univers, dont la grandeur est immense, et
	formée de sa propre main. Notre Terre qui en fait partie, et qui n’est
	/p. 251/ que comme un point, comparée avec le tout d’une étendue infinie,
	renferme des merveilles, qui étant près de nous, sont plus à la portée de
	nos Sens. Ceux qui les regardent de près, par des observations Physiques
	parviennent à un certain point de connoissance sur leur origine, qui
	charme le coeur, et les porte à reconnoitre les bontés de cet Etre suprè=
	me, plus puissamment que ne font ceux à qui les ressorts de ces mer=
	veilles échapent.
	La propagation des Plantes et des Animaux, d’où les Hommes tirent
	tous leurs besoins, est une merveille que la Providence nous conserve,
	et qui produit les ornemens et les richesses de toute la Terre. Cette
	propagation n’auroit point lieu, si la matière qui compose leurs
	corps, ne s’en séparoit successivement par la Destruction des parties
	de chaque individu, sous l’état de mort, pour delà s’étendre et cir=
	culer sur toutes les parties de notre Globe, et y donner la naissance
	aux nouveaux Etres dans les regnes des Végetaux et des Animaux,
	dont les germes ou principes remplissent toute l’étendue de l’Atmos=
	phère, aussi bien que celle de la surface de la Terre.
	Les oeufs de ces deux sortes de corps animés sont des espèces d’or=
	ganes qui servent à recevoir leurs germes, suivant leur destination,
	un à un, pour y être dévelopés chacun en particulier, et y prendre
	les prémiers rudimens de leurs formes et de leur accroissement.
	Ces Germes que je regarde comme immortels ou imperissables,
	après être entrés chacun dans un oeuf, qui lui est propre et de son
	espèce, ne sauroient grossir et se déveloper, ni paroitre au jour, que
	par l’addition continuelle et non interrompue de matière propre,
	qui se trouve différemment modifiée, dans les différentes espèces d’oeufs.
	Cette matière forme sur chaque Germe, par des Loix méchaniques,
	un nouveau corps qui lui sert d’enveloppe, en lui donnant de plus
	grandes forces d’agir, à proportion de l’accroissement de sa masse. Le corps
	des Germes qui est infiniment petit, et qui sert de principe à un se=
	cond corps dont il se revêt, est impérissable comme j’ai dit, et dure
	toujours pour servir à d’autres générations semblables; au lieu que
	le nouveau corps ajouté au Germe, n’est destiné à durer que pour
	un tems, en passant par divers changemens successifs, sous différens
	états, comme celui de commencement, d’augment, de perfection, de
	déclin, et de fin, comme chacun le sait par l’expérience journalière.
	Lorsque la matière de chaque oeuf se trouve consumée ou chan=
	gée en la nouvelle forme de corps, qui est l’ouvrage du Germe; ce mê=
	me corps a besoin, pour continuer d’augmenter son volume, jusqu’au
	terme qui lui est prescrit, de nouvelle matière, qui ne peut plus lui venir
	/p. 252/ que du dehors, et dans sa pleine liberté; Or cette matière ne peut lui être
	présentée, ni à tous les autres qui sont sortis des oeufs; que par la voie de
	la circulation, qui lui fournit de fines particules de matière, pour le nou=
	rir, le grossir, et le fortifier selon son besoin. On sait que dans les Vivi=
	pares les foetus sortis de leurs oeufs dans le sein de leurs Méres reçoi=
	vent cette nouriture par la circulation du sang, comme l’Anatomie le
	démontre; mais ce n’est point de celle-ci, Messieurs, dont j’ai fait dessein
	de vous entretenir, c’est de celle qui se fait en plein air, et sur toute la
	surface de la Terre, qui sert à grossir les corps, et à les entretenir vi=
	vans, pendant le tems de leur destination, après être sortis ou du sein
	de leurs Méres dans la Classe des Vivipares, ou de celui des oeufs dans
	cette des Ovipares, qui sont les Animaux volatiles, les Insectes etc.
	Cette circulation aërienne connue de peu de monde, et qui sert
	à la vie de tous les Etres animés qui sont venus des oeufs, finiroit
	bientôt dans notre Monde, si la mort n’eût été établie sur eux, par
	la volonté du grand Maitre qui les a créés. Car si leur vie duroit tou=
	jours, si leur nombre alloit de même en augmentant, la matière s’é=
	puiserait, et leur propagation, par conséquent cesseroit sur la Terre:
	sans compter que sous les Loix générales du mouvement auxquelles
	tous les corps sont assujettis, il seroit contradictoire que les mêmes Etres
	pussent toujours vivre, se multiplier, et en même tems cesser de rece=
	voir la nouriture totalement. Voilà ce qui montre la nécessité de la
	circulation de la matière, pour donner le volume et la vie au corps
	des Plantes et des Animaux. Parmi ces derniers, celui de l’Homme tient
	le prémier rang.
	Cette circulation qui est le vrai Sujet de mon discours, se fait par
	le moien de divers Agens, dont le Soleil pris pour le prémier de tous,
	donne la force et le mouvement aux autres, pour agir de concert sur
	tous les corps d’ici bas. Ces derniers sont l’Air, le Feu et l’Estomac des
	Animaux, tous Agens Subalternes de ce grand Astre, propres à divi=
	ser subtilement la matière des cadavres de l’un et de l’autre regne
	de créatures venues des Germes, et à la faire exhaler d’une manière
	presque insensible dans l’Atmosphère. La matière des corps qui per=
	dent journellement la vie, se divise donc ainsi; en se détachant d’eux
	peu à peu, ou plus ou moins vite selon la force des Agens, en de fines
	particules la plupart invisibles; qui montent continuellement dans le
	sein de l’Air, s’y répandent de tous côtés, et se mèlent avec les vapeurs
	qui viennent de l’eau; ce qui se fait beaucoup plus facilement pen=
	dant les beaux tems et les jours sereins, que pendant les pluvieux,
	parce que ce sont les tems où le ressort et le poids de l’Air se trouvent plus
	/p. 253/ grands, et par consequent plus propres à faire exhaler abondam=
	ment la matière déjà à demi séparée finement de tous les corps quand
	l’Atmosphère en est bien rempli; et que le tems se prépare à la pluie par,
	la condensation des vapeurs en nuées, ce qui arrive toujours par des mou=
	vemens qui se font à la région supérieure de l’Air, qui y amène le froid
	dans des degrés plus bas, ces mêmes particules de matière se précipitent avec
	les pluies, entrent dans la Terre, et enfin dans les racines des Plantes pour
	les nourir, comme je l’ai donné à entendre, soit dans leur accroissement
	soit dans leur état. Ensuite la plus grande partie de cette matière passe
	des corps des Plantes à ceux des Animaux, par les voies de la nouriture.
	Vous savez, Messieurs, que la nouriture qui se fait journellement
	dans ces deux Etres animés, par la génération, est un ouvrage qui pro=
	cède du sage méchanisme établi dans leurs viscères, pour reparer la per=
	te des particules de matière qui se fait aussi tous les jours et à tous les
	instans dans leurs parties tant fluides que solides.
	Ce phénomène de perte et de réparation qui est plus considérable
	et plus universel dans l’étendue de ces corps, que le commun des gens
	ne se l’imagine, nous est mieux connu à présent qu’il ne l’a jamais
	été chez les Anciens, par le manque qu’ils avoient d’Observations d’Ana=
	tomies et de Physique dont nous sommes enrichis depuis un Siécle.
	La Matière qui monte tous les jours dans le sein de l’Atmos=
	phère en se détachant des corps, tant de ceux qui sont vivans, par
	la perte de leurs particules au moien de la transpiration, que de ceux
	qui périssent et se consument après la mort, est d’une quantité pro=
	digieuse qui étonne, quand on en fait l’examen par l’observation et
	par le calcul. Sans en venir à ce détail, vous n’avez, Messieurs, qu’à
	considérer simplement; ce que les Hommes et les Animaux consument
	chaque jour en nouriture. On a trouvé à l’égard des Hommes que cha=
	cun d’eux l’un comportant l’autre en consume six à sept livres toutes
	les 24 heures. Les Animaux domestiques en consument le triple ou le
	quadruple et au-delà, à proportion de leurs masses. Ajoutez ceux de
	la campagne, tant quadrupèdes que volatiles, sans oublier les insectes
	dont le nombre est prodigieux, lesquels consument et détruisent à pro=
	portion de leurs masses plus de matériaux que les autres, ce qui pour=
	tant est nécessaire pour faciliter la circulation de la matière nutriti=
	ve sur laquelle je vous entretiens, et le bien de la propagation qui
	en revient à tout ce qui a vie. Ce qui est aussi le sentiment de
	M. DeReaumur, comme il m’a fait l’honneur de me le communiquer
	dans une Lettre. C’est une chose très certaine, que la quantité de
	matière que les Animaux consument généralement sur la Terre cha=
	que /p. 254/ fois que celle-ci fait son mouvement diurne est précisément la même
	qui monte au milieu de l’Atmosphère dans le même espace de tems.
	Il seroit très aisé de démontrer, par exemple si on en vouloit pren=
	dre la peine, que la Ville de Lausanne en consumant ses denrées pour
	la conservation de ses Habitans fait exhaler dans le sein de l’Atmosphè=
	re toutes les 24 heures au delà de 1000 Quintaux, c’est à dire, 100
	mille livres de particules de matière, sans comprendre celles qui s’élè=
	vent du terrein de son assiette. Comme je n’ai supposé que la moindre
	quantité qu’il m’a été possible, je suis très assuré que celle de l’exhala=
	tion de matière qui se fait dans cette Ville châque année passe la somme
	de 40 millions de livres. Vos recoltes, Messieurs, reproduisent toujours
	ces mêmes effets. Le gros bétail à la campagne contribue bien autrement
	à une exhalation plus considérable que celle là.
	Enfin la transpiration des Plantes, qui toutes ensemble font une
	masse de matière infiniment plus grande que celle des Animaux, donne
	par cette raison châque jour, compris tous les Climats, bien plus de par=
	ticules de matière à l’Atmosphère, que ne fait le regne animal.
	On voit donc par toutes ces idées, tirées des vérités des Loix de la
	Nature, que toute la matière qui compose les corps des Plantes et des
	Animaux, passe dans toutes sortes de lieux en se détachant peu à peu de
	ces mêmes corps; et en se divisant si finement qu’elle devient par tout
	invisible. Elle roule sous cet état de division, jusques à ce que les pluies
	la fixent de nouveau; en la faisant entrer dans les Plantes par les
	pores de leurs racines, pour y prendre la forme de leurs parties par les
	opérations de leurs organes; c’est ce qu’on nomme nutrition. Elle prend
	toutes sortes de formes, suivant la nature des corps dans lesquels elle
	doit paroitre; pour s’en détacher ensuite de nouveau au bout d’un tems,
	et circuler comme auparavant.
	La nouriture qui fait la vie des Plantes et des Animaux n’est
	donc autre chose qu’un renouvellement qui se fait successivement
	dans l’intérieur de leur corps, et jusques aux moindres parties de leur
	étendue, lequel dure autant que les circonstances le favorisent, pendant
	des âges prescrits à ces mêmes corps.
	Ce renouvellement, ou ce remplacement continuel de matière dans
	tous ces corps, fait, comme on voit, une partie du mouvement de circu=
	lation de la masse générale de matière destinée pour les biens de la Terre,
	circulation qui est aussi ancienne que notre Monde, et qui durera au=
	tant que lui.
	Il ne convient pas mal de dire encor un mot, à l’occasion de ce
	renouvellement de matière dans tous les corps, que dans l’Homme le même
	/p. 255/ se fait également que dans tout autre. Diverses parties du sien, au bout
	de quelques années, de quelques mois, ou de quelques semaines même, sui=
	vant le degré de leur solidité, n’ont plus la même matière qu’elles avoient
	auparavant. Châque jour, une infinité de petites particules qui étoient en=
	trées dans leur composition s’en détachent, pendant que d’autres nouvelles prennent
	leur place, pour quelque tems seulement, comme ont fait les prémiéres.
	La peau, par exemple, change de matière fort promtement, puisqu’on
	s’est assuré par de bonnes observations que tous les deux mois, plus ou
	moins, suivant les tempéramens et les circonstances de la vie, elle n’est
	plus la même, et qu’elle est totalement changée jusqu’à la moindre de
	ses parties, quant à sa matière. Tous les jours il s’en détache extéri=
	eurement des particules en forme de petites écailles, et il s’en place
	autant d’autres, qui les suivent par dessous; car la peau croit toujours
	en épaisseur.
	Les os qui sont les parties les plus solides du corps, sont sujets à
	cette loi de changement; mais il ne se fait que très lentement, et il
	faut plusieurs années pour que leur masse de matière soit totale=
	ment changée. C’est enfin ce changement de matière, ce rempla=
	cement de particules dans toutes nos parties, qui nous met unique=
	ment dans la nécessité de manger tous les jours. Voilà, Messieurs,
	ce qui regarde la circulation de la matière propre à perpétuer les
	différentes générations des Plantes et des Animaux qui se font par
	les oeufs.
	Je passe pour finir ce petit Discours à une autre espèce de cir=
	culation plus lente et plus grossière, que j’abrégerai le plus qu’il
	me sera possible; c’est celle qui donne lieu à la formation des
	Montagnes laquelle m’a paru moins connue que l’autre.
	Vous savez, Messieurs, que presque toutes les Montagnes
	de la Terre, sont farcies dans leurs couches et leurs rochers de di=
	verses sortes de coquillages, de pierres figurées, de pétrifications, et
	autres corps marins, dont les uns dépendent de certains genres,
	qui ne naissent que dans les Mers de la Zone torride, et d’autres
	qui se trouvent dans celles de plusieurs autres Zones. Tous ces
	corps testacés et pierreux sont de véritables marques que la Mer
	a occupé autrefois successivement et dans des tems inconnus, les
	différentes parties de la Terre qui se trouvent présentement habitées.
	Divers Savans qui ont traité cette matière attribuent l’origine
	de ces corps marins au Déluge universel; mais leur Systhème n’a
	pas fait fortune dans l’esprit des meilleurs Physiciens; parce qu’il
	péche manifestement en plusieurs chefs, contre les Loix d’Hydrostatique
	/p. 256/ et de Méchanique, comme Mr DeMairan me l’a marqué dans une Lettre
	de l’année passée; et je sais que c’est aussi la pensée de quelques autres
	Savans qui n’ont pu l’adopter pour cette raison.
	D’ailleurs le sentiment des prémiers, en voulant que les Monta=
	gnes d’aujourdhui aient été toutes formées par les eaux du Déluge est qu’el=
	les aient succédé à d’autres qui ont existé avant ce grand événement; et
	été ensuite entierement dissoutes par les mêmes eaux, est une chose tout
	a fait opposée au Texte Sacré, puisqu’il y est dit que les eaux du Délu=
	ge surpassérent de 15 coudées les plus hautes Montagnes du Monde, et
	que l’Arche de Noé s’arréta sur celle d’Ararat. Ce qui suppose qu’elles
	n’ont point été dissoutes par ces eaux là.
	Il faut donc en venir à un autre Systhème qui soit plus confor=
	me à la Méchanique de notre Terre, et à l’expérience. 1è On est deja
	persuadé parmi quelques Savans, que la Mer change peu à peu, ou in=
	sensiblement, de lit; car on a des marques dans différens lieux de la Ter=
	re, et à des distances peu éloignées des Mers, qui montrent clairement
	que les eaux se sont retirées d’un côté et ont gagné de l’autre. On a
	même vu des exemples du changement des bornes de la Mer arrivé
	de nos jours dans les quatre parties du Monde, mais seulement sur de
	petites portions de Terre. Que la Mer doive changer nécessairement et
	peu à peu de lit autour de la Terre, c’est une chose que vous sentirez
	bientôt, Messieurs, en vous parlant de la circulation d’une matière
	grossière, qui se fait fort lentement, comme je l’ai déja avancé. Elle
	consiste en terre et en sable chariés par les eaux, et dont les change=
	mens qu’elle produit autour de notre Globe, ne peuvent être considérables
	qu’après un bon nombre de Siécles.
	Quand on voiage, et qu’on fait attention aux terres de différente
	nature, qui sont assez souvent transportées au chariées par des inonda=
	tions et par des torrens, et tous les jours ou continuellement par le cours
	des fleuves ou des grandes rivières qui déchargent dans les Mers plus
	ou moins fortement selon les Saisons : on comprend aisément les change=
	mens qui doivent en résulter avec le tems. On ne sauroit s’imaginer
	la quantité prodigieuse de terre et de sable que les eux enlèvent de
	dessus les terres après de fortes pluies, laquelle entre chaque jour dans
	la Mer. On voit même continuellement ces eaux des grandes rivières,
	(sur tout vers leurs embouchures,) troubles, épaisses, et fort chargées de
	sable et de limon, d’une manière que cela étonne. On pourroit même
	savoir si on en vouloit prendre la peine combien châque Rivière en
	décharge par jour dans le fond de la Mer, en jaugeant la dimension
	de ces eaux, et en examinant ce que ces mêmes eaux peuvent donner de
	/p. 257/ matière sur un pié cube. On trouveroit, je m’assure, que le Rhin dé=
	charge chaque jour dans la Mer d’Allemagne plusieurs milliers de quintaux.
	Les mouvemens de l’Air pendant les grands vents, et ceux des eaux
	après de grandes pluies sont deux causes générales qui changent par la
	longueur du tems assez considérablement la surface de la Terre. D’un cô=
	té les terres de plusieurs Païs perdent de leur étendue, et de l’autre les
	mêmes gagnent et enrichissent plusieurs autres lieux garnis d’Habitans.
	Le transport des terres et des sables qui se fait par ces deux causes est
	général par tout, mais plus ou moins sensible dans des endroits que
	dans d’autres, suivant les latitudes, les circonstances et les forces des
	Agens. Les Volcans sur Terre, et les éruptions des feux souterrains
	dans le fond des Mers, qui sont plus fréquens qu’on en pense, peuvent
	bien être admis pour une 3e Cause qui aide à changer les Mers et
	la surface de la Terre. Les Montagnes prennent aussi divers change=
	mens avec le tems, par les pluies, les nèges, le gel et le dégel. Les unes
	s’abaissent par des éboulemens, et d’autres deviennent hautes par le
	creusement des Vallées causé par des Torrens. Les ouvrages des Hommes
	même qui se font en divers endroits contribuent encor un peu à quel=
	ques uns de ces changemens. Le Père Castel dans son Traité de Phy=
	sique en dit même trop sur cet article. Enfin il est certain qu’outre
	les trois causes générales dont je viens de parler, qui produisent les
	changemens sur le Globe de notre Terre, il y en a aussi plusieurs qui
	sont particuliers, mais dont les effets sont beaucoup moindres.
	Suivant toutes ces idées de changement qui arrive, tant sur les bor=
	nes et les lits des Mers, que sur les parties de la surface de la Terre par
	les transports qui se font des matières terrestres d’un endroit à l’autre, et
	sur tout dans les Mers, quoique assez insensiblement, il est visible, que
	toutes les parties extérieures de la Terre, comme les Plaines, les Val=
	lées, les Cotaux, et les Montagnes, de même que celles de la Mer, com=
	me les Détroits, les Golphes, les Iles etc doivent nécessairement au
	bout d’un bon nombre de Siécles différer beaucoup dans leurs figures.
	Ce fait étant véritable, comme on peut s’en assurer en l’approfondis=
	sant, on doit conclure qu’il est convenable pour le bien général de
	tout le Globe que nous habitons. Ou tous ces changemens qui y arri=
	vent pour ce même bien ne sauroient se faire que par une circu=
	lation lente de la terre et du sable, due à toutes ces causes que je
	viens d’avancer.
	Le plus grand bien que cette circulation puisse procurer à la Ter=
	re, et la faire durer dans ses productions, c’est principalement en
	donnant lieu à la formation des nouvelles Montagnes à mesure que
	/p. 258/ les plus anciennes dépérissent. On connoit aujourd'hui très clairement la
	grande utilité des Montagnes, qui sont dispersées assez régulièrement
	sur tout la rondeur de notre Terre. Sans elles nous n’aurions aucunes
	fontaines, ni rivières; toutes les eaux croupiroient, et celles-ci ne circulant
	plus, toutes les générations, tant des Plantes que des Animaux, dont j’ai
	parlé seroient dérangées et peu profitables. Tous les fruits que nous
	recevons de la Terre, sont donc dus à l’existence des chaines de Montagnes.
	Il ne me reste plus qu’à dire un mot sur la manière que se fait
	leur naissance et leur accroissement dans les lieux propres pour cela,
	et jusqu’ici peu observés.
	La matière qui sert à leur composition n’est autre chose que la
	Terre et le sable qui se pétrifient ensemble par des sucs cristallins. Les
	lieux ou elles se forment et prennent naissance, comme dans des matrices,
	sont les fonds des Mers, à côté ou vis à vis les embouchures des grandes
	Rivières. Les matières que celles-ci charrient, et dont j’ai déjà parlé, consis=
	tant principalement en terre et en sable, qui ne sont que des dépouil=
	les des Plaines, des Montagnes, et des autres parties de la Terre, aussitôt
	qu’elles sont entrées dans les eaux de la Mer, se séparent du courant de
	l’eau qui les a chariées jusques là, lesquelles trouvant du large et des
	endroits calmes dans divers espaces et sous les eaux salées, elles se pré=
	cipitent en formant des couches l’une sur l’autre, d’une certaine lon=
	gueur et largeur, que les Mariniers nomment des Bancs, parce qu’ils
	en ont ordinairement la figure. Ces Bancs se forment presque tou=
	jours parallellement aux courans d’eaux douces, qui regnent dans la
	Mer à une certaine distance des embouchures des Rivières qui s’y dé=
	chargent. Leur forme et leur direction parallelle vient de la force de
	ces mêmes courans. Ils grossissent avec le tems, et, deviennent des Monta=
	gnes sous l’eau. Les bonnes Cartes marines en montrent souvent les
	dimensions, pourvu qu’elle ne se rencontrent pas dans de profondes Mers.
	Voici ce qu’il y a d’essentiel à remarquer, pour s’assurer que les
	Montagnes de dessus la Terre ont été formées par ce Méchanisme.
	C’est que tous les Poissons testacés qui forment la grande classe de co=
	quillages dans les Mers, et qui renferme un si grand nombre de gen=
	res n’habitent jamais d’autres endroits dans la Mer que ces Bancs,
	soit pour y prendre leur nouriture, soit pour y fraier ou faire leurs
	petits. Desorte que ceux qui y meurent de maladie ou de vieillesse y
	laissent leurs coquilles, lesquelles dans la suite deviennent couvertes à
	différentes hauteurs; de plusieurs couches de matière terrestre et sabon=
	neuse, qui s’y durcissent par les sucs cristallins de la Mer. Lorsque par
	la longueur des Siécles, la Mer vient à se retirer, elle laisse entrevoir ces
	/p. 259/ Montagnes qui dabord ressemblent à des éceuils élevés au dessus de l’eau,
	et lorsque les eaux salées se retirent tout à fait, elles se montrent toutes
	entières avec le sol qui les soutient, qui avait servi de fond de Mer,
	et qui ensuite sert à allonger le terrain du Païs qui y est contigu.
	C’est un Phénomène si lent dans sa formation, qu’il n’est jamais re=
	gardé pour tel de ceux qui habitent peu à peu sur son terrein. Il
	est vrai qu’il y a quelques endroits au voisinage de la Mer, ou des
	gens qui y demeurent s’en sont quelquefois aperçus par des vestiges. Il
	y en a même quelques exemples dans l’Histoire de l’Académie Roiale
	des Sciences de Paris, mais je ne me rapelle point l’endroit, ni l’année.
	Enfin vous jugez bien, Messieurs, que ces sortes de Montagnes nou=
	velles, après être sorties de la Mer comme je viens de vous l’exposer,
	l’Air les doit endurcir de plus en plus, et les réduire en rochers, à divers
	endroits de leurs corps, au moien des sucs pétrifians qui y coulent di=
	laiés par des filtrations d’eau de pluie; et que si on mine divers en=
	droits de ces Montagnes on y trouvera infailliblement plusieurs sor=
	tes de coquillages, et autres pétrifications marines, et même des mor=
	ceaux de rochers figurés ou moulés pas le dehors, ou le dedans de ces co=
	quilles. C’est aussi ainsi qu’on les trouve dans les anciennes Montagnes
	sur Terre, et dans des couches tout à fait semblables à celles qui sont
	formées dans la Mer. Combien de Montagnes y a-t-il dans le Mon=
	de, qui nous montrent à découvert leurs formes de Bancs toutes
	composées de couches de différente épaïsseur, entremélées de coquilla=
	ges et de corps purement marins. Tous ces vestiges sont des carac=
	tères parlans qui nous assurent de cette origine des Montagnes.
	Mais comme il est aisé de comprendre, que toutes les Mon=
	tagnes de la Terre que nous connoissons n’ont pu se faire de cette
	manière qu’avec beaucoup de lenteur et de tems, et que la Mer qui
	doit, pour cette raison, avoir changé de lit de tous côtés, et avoir
	fait le tour du Globe entiérement, n’a pu non plus y parvenir, qu’a=
	vec un âge de la Terre infiniment plus grand que celui ou nous la
	croions. C’est là la grande difficulté que plusieurs Savans ont sentie
	et qui a arrêté cette Découverte de la vérité, ou qui la fait garder
	sous le silence.
	Je ne crains point de la soutenir, puisque je suis assuré que la
	Terre est infiniment plus ancienne que le tems qu’on lui attribue, et
	ce qui vous surprendra encor là dessus, c’est que cette vérité que je crois
	ne porte aucune atteinte à l’Histoire de la Création du Monde raportée
	par Moïse. La Terre et le Monde sont deux choses distinctes. Moïse
	donne à entendre en parlant de la Création du Monde où nous sommes
	/p. 260/ que la Terre étoit sans forme et vuide, dans les ténèbres et dans l’aby=
	me, avant les six jours dans lesquels le Monde fut formée, et que le second
	jour de cette Création Dieu sépara les eaux; d’avec la Masse terrestre que
	cet Historien nomme le Sec ; que les eaux reçurent le nom de Mer, et
	le Sec celui de Terre. Il ne dit pas quand cette Terre avoit commencé
	d’exister, ni à quoi elle avoit servi non plus que l’Abyme avant les
	mêmes jours de cette Création. Je ne doute point que la Terre sortie a=
	lors des ténèbres, et qui étoit vuide de Créatures vivantes n’ait été une
	Masse, ou un débris qui ait servi à un autre Monde, ce que Dieu n’a
	pas trouvé à propos de révéler à Moïse, ni par conséquent au Peu=
	ple Juif. Suivant cette idée qui se raporte très fort à celle qu’on doit
	se faire des Attributs de Dieu; il est clair que cette Terre s’est conser=
	vée avec ses anciennes Montagnes et dans sa forme ronde au tems
	qu’elle a été renouvellée pour servir de lieu pour de nouvelles générati=
	ons de créatures.
	Voilà, Monsieur le Comte et Messieurs, ce que j’ai cru devoir
	vous présenter qui regarde la circulation de la Matière en faveur des
	biens de la Terre. J’aurois souhailté avoir été plus capable de répon=
	dre par ce petit Discours à vos lumières, et à l’attention que vous m’avez
	fait l’honneur de me préter trop heureux si vous m’accordez votre bon=
	té pour passer sur les défauts de mon stile, et de la méthode qui me
	manque pour pouvoir satisfaire à un gout aussi délicat que celui que je
	reconnois regner dans une aussi illustre Assemblée.
	On a pas fait beaucoup de réflexions sur ce Discours, parce qu’ilJugement de la Société sur ce Discours
	était tard et que la Séance avoit duré déjà longtems. Je remarquerai
	seulement que tous les Membres ont témoigné avoir écouté cette Piéce
	avec plaisir, qu’ils ont trouvé qu’il y avoit des idées nouvelles sur cette
	matière, ils ont cependant observé que le Systhème de Monsieur Garcin
	paroissoit opposé à l’Ecriture pour ce qui regarde la formation des Mon=
	tagnes, en supposant que la Terre est beaucoup plus ancienne que nous ne
	le croions; quoique l’Ecriture paroisse établir d’une manière bien claire
	que la Terre n’a commencé d’exister que depuis environ six mille ans:
	Moïse nous aiant décrit son origine et aiant fait l’Histoire de ce qui est ar=
	rivé dès lors, ce qui par son calcul ne va pas au delà de 6000 ans.





