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« Assemblée I. Établissement de la Société du comte de la Lippe (règlement) », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 17 octobre 1742, vol. 1, p. 1-5
Extrait
des Conférences de la
Société de Monsieur le
Comte de la Lippe.
Les Sociétés de personnes choisies, ou l’on se pro=
pose de s’entretenir sur quelque sujet important sont un
des moïens les plus propres qu’on puisse emploïer pour
former l’esprit d’un jeune homme. Ces conversations lui
donneront des idées nettes et étendues d’un grand nombre
de sujets, et le mettront en état de saisir ce qu’il y a d’essen=
tiel sur chaque question. Il y prendra de la pénétration
& de la justesse; et il s’y accoutumera à énoncer ses
pensées avec netteté et avec précision.
On a cru qu’on feroit une chose très avantageuse
pour Monsieur le Comte de la Lippe, si on formoit
une de ce genre à Lausanne. Là dessus, Monsieur le Comte
a proposé cette idée à plusieurs personnes qui ont aprouvé
son dessein, & qui ont receu l’invitation qu’il leur faisoit
d’en être Membres, avec beaucoup de politesse, promet=
tant de s’y rendre regulierement, & d’y travailler suivant
ses vues.
Voici les noms des personnes à qui il s’est adressé.
Monsieur le Bourguemaistre Seigneux
Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochat
Monsieur le Recteur Polier
Monsieur le Boursier Seigneux
Monsieur le Professeur D’Apples
Monsieur DuLignon
Monsieur l’Assesseur Ballival Seigneux
Monsieur le Conseiller DeSaint Germain.
On a cru qu’en réunissant ainsi des personnes d’un
genre de vie & d’un ordre, different, on répondroit mieux
au but qu’on se proprose, et que l’on pouroit faire rouler
les conversations sur un plus grand nombre de sujets.
/p. 2/ I. Assemblée
La prémiere Assemblée s’est faite chez Monsieur le Comte
le 17e 9bre 1742.
Pour donner de la consistence à cette Société on a cru qu’il
faloit établir quelques reglemens qui fixassent la manière dont
se feroient ces conferences, et les matières qu’on y traitteroit, et
voici ce qui a été resolu unanimement par Monsieur DeBochat,
Monsieur Polier, Monsieur DuLignon, & Monsieur DeSt Germain,
qui ont été présens à cette assemblée.
1.
Le nombre des membres de la Societé, que Monsieur le Comte
invitera, ne poura être que de douze; non compris les Etrangers
de dehors de la ville que Monsieur le Comte poura y inviter à
l’extraordinaire.
2.
Cette Societé doit être d’hommes sans mélange de Dames.
3.
Si l’un des membres de la Societé vient à se retirer pour quelque
raison que ce soit, les autres Membres écriront le nom de la per=
sonne qu’ils souhaitteroient de lui substituer, dans un billet
cacheté. On tirera un de ces billets, & après qu’on l’aura ouvert
s’il arrive que tous les Membres donnent leur voix à celui
dont le nom est écrit dans ce billet, on le presentera à Monsieur
le Comte pour l’introduire dans la Societé. Si les suffrages ne
sont pas unanimes pour le premier billet, on ouvrira le second;
que si l’on n’est unanime pour aucun des nommés, celui qui
aura eu le plus de suffrages sera presenté à Monsieur le
Comte pour étre introduit dans la Societé. Que si le premier,
le second, le 3e en un mot quelcun des billets à l’unanimité des
suffrages, on n’en ouvrira plus.
4.
Monsieur le Comte recevra chez lui le Samedi, les personnes
aggregées à cette Societé.
5.
Quand l’Assemblée sera formée & que l’on aura bu le caffé, se=
lon l’usage, Monsieur le Comte mettra sur le tapis quelque ques=
tion ou matière interessante, pour en faire le sujet de la con=
versation entre les Membres de la Societé.
6.
Mais pour n’être pas pris tout à fait au depourvu, et afinque
chacun ait le tems d’y reflechir, Monsieur le Comte, proposera le
sujet huit jours à l’avance, ou d’une Societé à l’autre.
7.
Chacun des Membres de la Societé sera chargé tour à tour d’enta=
mer la question, et d’en dire le premier son avis, avec une liberté
entiere de s’étendre plus ou moins selon qu’il trouvera bon, et que la
/p. 3/ matiere sera de son gout, ou de sa competance.
8.
Celui qui aura ouvert le premier la conversation sur la
question proposée, demandera ensuite l’avis des autres tour
à tour, en commençant par la droite de la place qu’il aura
prise, et finissant par la gauche.
9.
Chacun des opinans sera aussi dans une pleine liberté
de s’étendre plus ou moins sur la question proposée & même
de garder le silence, en renvoiant la bale au suivant,
s’il n’a rien de nouveau à dire.
10.
Le tour de chacun se fera de cette maniere sans être in=
terrompu par aucun autre, à moins que ce ne soit pour de=
mander quelque éclaircissement, à ceux qui auront opiné
avant lui.
11.
Quand le tour de chacun sera fini, s’il y a eu diversité
de sentimens, chacun poura alors soutenir le sien, et l’ap=
puïer de nouvelles raisons, contre les objections qu’on y
aura fait, ou qu’on y pourra faire.
12.
L’on emploiera à cet exercice au moins deux heures de
tems, savoir depuis trois heures jusques à cinq.
13.
Monsieur le Comte sera présent jusques au bout de ces
Assemblées, et comme ce sera lui qui aura fourni la ques=
tion, pour en tirer plus de fruit, il en fera après l’Assem=
blée une recapitulation, qu’il communiquera à la Societé
suivante, par écrit ou de vive voix.
14.
Toutes les questions au choix de Monsieur le Comte, ne
rouleront que sur quelque point de Religion, de Morale,
de politique, de Droit naturel & civil, d’Histoire & de Litter=
rature, qu’il lui importera de connoitre, pour remplir les
différens devoirs auxquels il est apellé comme homme, comme
Chrêtien & comme Souverain.
15.
Pour diversifier les entretiens, l’on poura de tems en tems,
si l’on veut de 15 en 15 jours faire quelque lecture d’ouvrages
qui tendent au même but.
16.
L’on marquera aussi cette Lecture huit jours à l’avance,
afinque chacun, s’il le souhaitte, soit informé de quoi
il s’agira, & qu’il puisse y faire ses reflexions.
/p. 4/ 17.
Pour profiter de cette lecture, le Lecteur quel qu’il soit, s’arrête=
ra un moment à la fin de chaque paragraphe ou section, pour
attendre si quelcun des membres de la Societé, auroit quelque refle=
xion à faire, sur ce qui a été lu. Si personne ne dit mot, il con=
tinuera; mais s’il y a lieu à quelques reflexions, l’on suspendra la
lecture jusques à ce que chacun n’ait plus rien à dire, et l’on em=
ploiera de cette manière les deux heures assignées à cet exercice.
18.
Quand ce tems sera écoulé, et que Monsieur le Comte aura in=
diqué la question ou la lecture pour la Societé suivante, il
sera libre à chacun de se retirer ou de continuer la conversati=
on, ou de faire une partie d’échecs, ou de s’occuper d’une autre
manière.
19.
On tirera au sort pour savoir quand ce sera à chacun à
commencer à parler le premier dans la Societé, et dire le pre=
mier son sentiment sur les questions proposées, & à demander
l’avis des autres.
Ces reglemens aïant été faits on a commencé à les executer
en tirant au sort le rang de chacun; et voici dans quel ordre
le sort les a rangés.
1. Monsieur le Professeur D’Apples
2. Monsieur le Recteur Polier
3. Monsieur le Boursier Seigneux
4. Monsieur le Conseiller De St Germain.
5. Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochat
6. Monsieur DuLignon
7. Monsieur l’Assesseur Seigneux
8. Monsieur le Bourguemaistre Seigneux
Après cela Monsieur le Comte s’est addressé à ces Messieurs
& leur a parlé en ces termes.
L’amitié que vous mavez temoignée, Messieurs, depuis
que je suis à Lausanne, chacun en particulier, et celle que
vous témoignez aujourd’hui en commun en m’associant à vos
doctes conversations, n’augmente point ma gratitude, mais
elle servira à l’imprimer plus fortement dans mon cœur. C’est
ce dont je serai charmé de vous donner des preuves en tou=
te occasion. Et puisque vous me permettez de vous donner
une question à traitter, je vous prie, Messieurs, de vous
entretenir à la premiere societé, Des avantages
/p. 5/ que la Religion procure à un homme qui
en suit les préceptes.