Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 02 juillet 1771

de Mirabeau le 2 juillet 1771

arrivant a lion a dix heures du soir mon cher amy, quoyque la
tète un peu étourdie d'etre venu en 3 jours, je me rendis aussitost
chez le cte de saconay, avec d'autant plus d'espoir et de battement
de coeur, qu'un mien secretaire arrivé de la veille et qui m'y conduisit
trompé par la conformité de nom m'avoit assuré que vous y étiés.
on me répondit de mème, mais ayant distingué, crainte de confusion,
je fus bien resserré en aprenant que vous ètiés party la veille. je
donnay pourtant le lendemain pour voir l'abé duret et demeuray
malgré moy, et après mes prs regrets 1° pour ce que je perdois, 2°
pour la peine que je vous avois donnée, jen eus 3° d'avoir sitost
quitté mes malades pour rien, et surtout 4° de la trop grande précau=
tion d'avoir écrit mon retard a l'abé duret précisément pour que
vous ne vous impatientassiés pas tandis que c'est justement ce qui vous
a fait partir. le hazard me fit voir l'aprèsmidy Mr turretin votre
correspondant et le soir je fus voir le cte de saconay que me combla
de politesses et tout en garrulant je songeois que deux jours plutost
vos pieds portoient sur les mèmes carreaux de sa chambre. a tout
prendre, bursinel et ses récoltes m'ont joué lâ un mauvais tour. je
serois arrivé le 18 comme je vous l'avois mandé, sans ces maladies
et je laissay encor ces dames au lit.

l'abé duret me remit de votre part un petit mémoire sur les grains
qui est fort bien fait et j'aurois voulu qu'il en passat un a du pont
pour en rendre conte, a cause des calculs qui y sont. il en est de mème
des reflexions sur le mémoire. ajoutés seulement a la fin du dernier
paragraphe de la page 30 a l'endroit ou est la notte, celle cy. les
villes et les publics ne doivent jamais magaziner 1° parceque les
villes ne sont que des amas de maisons qui n'ont point de produit et
par conséquent point de revenus qui ne soient des impositions indirectes
ou si elles ont un territoire en propre, ce territoire n'a qu'un propriétaire fictif
attendu que le public n'est rien, 
cest l'ensemble des particuliers qui est quelque
<1v> chose. il suit de la que le public ou ses ayant cause, pèchent toujours
quand ils font chose qu'un p qu'il ne seroit pas de l'intérest d'un parti
=
culier de faire quand il en auroit le moyen. 2° parce qu'un paÿs
tant petit puisse t'il ètre ne peut jamais ètre aprivisioné que par le
commerce, et a juste prix que par le concours des commerçants, or le
commerce ne luttera jamais avec les juridictions ny mème avec la
charité. tout rabais factice effarouche le commerce et nécessite la
cherté.
au reste si lautheur des réflexions n'eut cité que les diverses
feuilles publiées par dans les éphémérides, j'aurois cru qu'il n'avoit vu que
cela; mais quand j'y ay vu l'adjonction du traité de la police des
grains
j'ay trouvé que j'avois bien perdu ma peine, car on feroit
un volume in folio de ce que j'ay ecrit avec chaleur et détail sur cette
matiere; au point que je me crus obligé d'en faire une sorte d'excuse
sur la nécessité du temps au commencement du dr chapitre de la
philosophie rurale
. ce n'est pas que le traité de Mr herbert ne soit
d'un mérite supérieur a tout, et pour avoir rompu la glace et pour
son ordre et sa lucidité; mais j'ay repris cette question et ses détails
soux toutes les faces. n'avés vous pas eu dans le temps mon recoeuil
de lettres sur le commerce des grains ? depuis la page 72 ce recoeuil
mérite d'etre lu et la derniere lettre surtout qui est la plus longue que
jaye écrite de ma vie, traite a fonds des magazins.

je remis a l'abé duret pour vous mon cher amy un petit essay de catéchis=
me oéconomique dont l'idée m'a beaucoup plu. vous y verrés un
onzième commandement de dieu qu'il met avant touts les autres et
c'est le travail. quand a lexécution de cette idée, comme l'autheur
a pris uniquement mes leçons oéconomiques dont il n'a retranché que
les demandes, il ne convient a son objet ny par la simplicité ny par
la contexture ny par le style; mais c'est toujours une tentative.


j'ay laissé a paris l'excellent margrave de dourlac; quelle ame, quel
coeur et quelle tète il est oéconomiste a fonds. du pont y donne des
leçons a ses enfants et j'ay apris que le prince héréditaire dont le
père a surtout a coeur l'instruction et que la crainte et la méfiance
de luy mème retardoient un peu, a fait tout seul un excellent mor=
ceaux, cela relie ma vielle futaille.

je vois icy les travaux ordonnés il y a neuf ans dans des terres ou j'ay
laissé touts mes revenus pour cela depuis. je disois hyer a l'abé baudeau
<2r> tu m'es témoin que ceux qui disent que je n'agis pas comme je
prèche ne me font pas justice; tu m'es témoin si je manque de terres
ou les dépenses me rendroient cent pour cent et si c'est faute de terrein
que je mets mes fonds en murailles par échelons pour barrer des
ravines, en maisons huchées, en plantations dans des deserts; dieu
m'a confié ces monts et ces terres escarpées, il faut empècher que le
restant ne s'en écroule dans les rivières, il faut reprendre tout a la
source, les fonds d'en bas s'en ressentiront; un autre ne le feroit pas.

en effet de ce voyage j'ordonneray le complément de cette besogne et
de nombreuses familles vivront ou les oiseaux sauvages n'osoient
s'arrèter.

et comment avés vous trouvé ces garnisons, ces tambours, ces portes
fermées dans une ville de commerce au centre d'un grand royaume ?
vous verrés dans les éphémérides sully sortant du conseil en 1611 pour
empècher cela. et ces hopitaux monstrueux et défaillants et une
ville ayant 2 millions de revenus destructeurs extorqués sur la
campagne et 40 millions de dettes, oh non, vous travaillés trop; le
monde ira toujours comme il va, les hommes seront toujours les

mèmes et la science oéconomique n'est qu'une belle spéculation. se
co5 caractères dommaget se repose au son de telles paroles quiconque trouvera le1 mot dommage
1 mot dommage la sauvegarde du devoir accompli; mais il n'est point 1 mot dommage
qui serve quand la conscience en remue ebranle le chevet.

adieu mon bon cher amy; ce n'est pas ma faute, ouy je le dis en ma cons=
cience ce n'est pas négligence de ma part si je n'ay eu la douceur de vous
embrasser; veuille la providence vous raprocher de mes bras fraternels
car pour de mon coeur elle ne le sçauroit davantage. adieu mes Respects
chez vous, je vous prie.

comme ma lettre alloit partir mon cher amy, je reçois la votre
du 26; elle m'a un peu consolé en m'aprenant que votre voyage
n'a pas été perdu pour vous. je suis bien aise de ce que vous
me dites du cte de saconay. je luy avois bien trouvé l'air du monde
d'un homme de son état et d'un très galand homme; mais on me
l'avoit dit, joueur, homme de plaisir, comascène, et ayant mis tout
son bien a fonds perdu; au moyen de quoy une parole de l'aller voir
a mon retour etoit de ma part très jésuitique. on m'enrichit toujours
en restaurant mon prochain dans mon opinion surtout quand il me
tient par quelque endroit.


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur De Saconay, En son 
Chateau de Bursinel
A BerneVerssoix En Suisse
a Bursinel Par Rolle


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mirabeau, 02 juillet 1771, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/309/, version du 26.03.2018.
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