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Lettre à John Locke, Berlin, 06 janvier 1703
A Berlin ce 6 Janvier 1703.
Monsieur
Je n'ay jamais ressenti un si grand honneur, ni un si grand
plaisir, qu'en recevant vôtre Réponse. C'eût êté beaucoup pour moi
que vous daignassiez seulement agréer la liberté que j'avois pris de vous
écrire; Mais les Personnes généreuses, comme vous, n'obligent pas à
demi, elles ne sont point contentes, qu'elles n'ayent répandu leurs
faveurs á pleines mains. J'en fais une heureuse expérience par les
honnêtetés dont vous me comblés á un tel point, que j'en suis confus.
Pour les éloges qu'il vous a plû me donner, je n'ay garde de me
flatter qu'ils me conviennent. Je les regarde comme un tour obligeant
& ingénieux, dont vous vous servés, pour encourager une personne en qui
vous croïés aperçevoir quelque disposition à chercher sincerement la
Verité, & à suivre ses lumiéres. Je connoi trop bien mon peu de génie,
& quàm mihi sit curta supellex, pour tirer de vos honnêtetés aucune
conséquence en ma faveur, si ce n'est que j'ay eu le bonheur de me
trouver du nombre de ceux à qui vous avés eu occasion de faire éprouver
les éffets de votre générosité. Je mettrai, Monsieur, á profit toutes
vos bontés, en tachant de me rendre digne de votre bienveuillance, & d'une
partie des louanges que vous me donnés, mais dont je ne trouve en moi
aucun fondement.
Apres cela, Monsieur, je vous suis infiniment obligé des Eclaircisse=
mens que vous avez bien voulu me communiquer sur quelques endroits de
votre Livre. J'en suis entiérement satisfait. Je prendrai la liberté de
<1v> vous proposer mes doutes, toutes les fois qu'il m'en naitra quelcun
qui sera capable de m'embarrasser, puis que vous m'y invités si
obligeamment. Mais, selon toutes les apparences, je ne vous donnerai
pas souvent cette peine, parce que, plus on médite votre Ouvrage,
& plus la lumière, qui y brille de toutes parts, dissipe les nuages
que causoit la nouveauté, la profondeur, & l'abstraction de vos idées.
Votre Critique de ma correction d'Aristophane, me paroit,
Monsieur, si juste, qu'elle suffiroit toute seule pour me faire abandonner
cette Conjecture, quand même j'en aurois êté auparavant bien persuadé.
Mais je l'ay proposée, plutôt pour engager quelcun á m'expliquer ce
passage, que pour rendre service á ceux qui, comme moi, pourroyent y
avoir êté embarrassez. J'ay depuis fait inserer dans la Republique des
Lettres quelques autres petites Observations de même nature, sur lesquelles
je serois bien aise de savoir votre sentiment, si tant est que vous ayiez
pris la peine de les lire. Mais je travaille présentement à une Traduc=
tion, dont je fonde la plus grande partie du succès sur l'approbation
avantageuse que vous avés donné a l'original, dans votre Traité de
l'Education. C'est le Livre de Jure Naturæ & Gentium, du Baron de
Pufendorf. Je ne manquerai pas de faire bien valoir, dans une Préface,
le jugement que vous avés porté de ce Livre, en le mettant au dessus de
celui de Grotius, De Jure Belli et Pacis. Je prie Monsieur Coste de
vous communiquer le plan sur lequel je travaille, & j'espere que vous
voudrés bien m'honorer de vos bons avis, comme vous l'avés fait au
sujet de la maniére d'apprendre votre Langue Angloise. Au reste,
Monsieur, je croirois mal répondre a votre générosité, si je refusois
l'offre obligeante que vous me faites de m'envoyer une Bible Angloise &
un Dictionnaire; sur tout êtant dans un païs où l'on ne trouve pas
de ces sortes de Livres. J'ay marqué á Monsieur Coste par quelle
<2> voye il pourroit me les faire tenir. Avec ce secours, & la méthode que vous me
prescrivés, j'espere de pouvoir un jour connoitre parfaitement toute la beauté de vos ouvrages,
quand je serai capable de les lire dans leur Langue originale.
Si jamais ma Traduction est imprimée, vous agréerés, Monsieur que je vous en en=
voye un exemplaire, comme une foible marque de ce que je voudrois être capable de faire
pour vous témoigner combien je suis sensible á toutes vos bontés, & avec quels sentimens de
reconnoissance & de veneration je suis
Monsieur
Votre tres humble &
trés obéïssant serviteur
Barbeyrac
A Monsieur
Monsieur Locke
A Oates