Transcription

Barbeyrac, Jean, Brouillon de lettre à Micheli du Crest, Groningue, 20 novembre 1731

Monsieur

Je puis vous donner enfin mon Avis sur vôtre affaire.
Quand vous me l’avez demandé, vous l’avez fait en témoigné 2-3 mots biffure a vue qu’il vous fût favorable,
vous avez fin de la ligne biffure
1 mot biffure mais ç’a été en supposant que je vous
jugeasse bien fondé. Vous m’auriez fait tort de le
penser autrement. Je 3 mots biffure n’ai jamais donné et ne donnerai mon approbation
à aucune cause, 2-3 mots biffure sans être bien convaincu de sa
justice. Je suis 1 mot biffure fâché que 1 mot biffure l’examen de
la vôtre n’aît pas produit sur moi cet effet. J’y
ai néanmoins apporté toute l’attention, dont je suis capable.
Voici les réflexions que j’ai faites, et qui m’empêchent
d’entrer dans vôtre sentiment, je n’oublierai rien d’essentiel.Il peut vous être utile, de savoir le jugement de personnes, aussi desinteressées que je le suis.

Dans l’Exposition du Fait, vous supposez que
vous futes chargé par le Conseil des Deux-Cens de
donner un Mémoire touchant les Fortifications de Genève .
Mais par ce que vous ditesracontez dans vôtre première Lettre,
je ne vois rien qui puisse être regardé comme un ordre
clair et positif. Un des prémiers Magistrats vous dit tout
haut: Mr, donnez un Mémoire. Il le dit de son
chef, on ne délibère point là-dessus. Le silence, que
vous prenez pour une approbation tacite de tout le
Corps, ne peut signifier tout au plus autre chose, si ce n’est qu’on
ne s’y oppose point. Il n’y a rien là au moins qui
vous laisse la liberté détermine, ou qui laisse en vôtre
liberté, la manière de communiquer ensuite le Mémoire, pour en faire usage;
ce qui étoit d’une très-grande importance.

Là-dessus vous composez vôtre Mémoire, et de
vôtre chef vous commencez par le faire imprimer. Vous
le faites même dans un Païs Etranger. Ah! Monsieur,
qu’il y a là de circonstances, qui vous sont désavantageuses?
Je ne sai si un Ennemi auroit pû vous donner un plus mauvais conseil, que de vous engager à faire ce que vous fites alors de hazardates alors.
Et que je crains qu'elles ne paroissent telles à tous ceux
qui les considéreront sans partialité ? 2-3 mots biffure

Quand vous auriez eû l’ordre le plus exprès de travailler
à cette pièce, il falloit l’envoier en manuscrit à ceux à qui l’on
a accoûtumé de remettre les Ecrits ou Mémoirespapiers qui
regardent les affaires publiques. Il auroit suffi même
de donner avis, que l’ouvrage étoit prêt, et de demander
quand et à qui l’on souhaittoit que vous l'envoiassiez le fissiez tenir.
Il est, ce me semble, contre toutes les Règles de l’ordre,
qu’un Particulier, quoi que Membre d’un Conseil
public, se permette de faire imprimer d’abord un
<1v> Mémoire concernant des affaires d’importance, quelque
ordre qu’il aît eû de le composer, et moinsplus encore
s’il n’en a pas d’ordre bien clairprécis. Vous avez pris,
dites-vous, toutes les précautions possibles pour retirer tous
et garder par devers vous le Manuscrit, les Epreuves, les
Exemplaires. Mais ces précautions peuvent être
inutiles: car combien de fois n’est-il pas arrivé
que des Garçons d'imprimeries ont retenu les feuilles d’un
Livre, malgré toute l’attention que les interessés, et le
Maître même de l’imprimerie, apportoient à les en
empêcher? Ainsi vous avez donné tout lieu de soupçonner,
ou que vous n’aviez pas pris de telles précautions, et
qu'en consequence les eussiez 1 mot biffure
 été assez en
garde contre l’inconvenient à craindre, ou qu’il
pouvoit être arrivé, nonobstant toute vôtre vigilance.
Quelle nécessité ensuite de faire imprimer un tel Mémoire
dans un Païs Etranger? Comment voulez-vous qu’on
ne tirât pas de là des conséquences sinistres? Vous deviez
d’autant plus le craindre, que vous saviez que biende la manière que vous représentez la disposition de plusieurs
2 mots biffure des plus considerables de l’Etat, n'étoient
vous saviez qu’ils n’étoient pas portezpas bien intentionnez en vôtre faveur. comme vous
les représentez Il pouvoit enfind’ailleurs y avoir dans vôtre
Mémoire des choses qu’il n’étoit pas bon que tout
le monde sût, et dont il étoit dangereux que les Etrangers, entre les mains de qui auxquels un Imprimé peut tomber tôt ou tard, ne profitassent,
au grand dommage de vôtre Patrie. De telles choses
se glissent aisément, sans qu’on y prenne garde;
sur tout dans un MémoireEcrit de la nature du
vôtre. Il s’agissoit de Fortifications. En voulant
donner de nouveaux plans à votre manière, pour reformer
celui des autres, cela vous menoit à faire des rai=
sonnemens capables d’indiquer le foible de la place,
les endroits par où on pouvoit l’attaquer avec le
plus de succès, et autres choses très fors propres à
fournir des lumières aux Ennemis. Je ne dis rien du
grand nombre d’Exemplaires que vous envoiâtes à Genève par la poste;  il étoit aisé de prévoir, que cela achèveroit augmenteroit de plus en plus le mauvais effet de l’impression de vôtre Mémoire.

Il n’y en avoit donc là que trop, pour autoriser
le Petit et le Grand Conseil à vous faire rendre compte
d’une telle conduite. Cependant ils se contentent de
prendre des mesures, pour prévenir, autant qu’il est
possible, pour les inconvéniens d'un de l’impression déja
faite. On vous envoie ordre de 1 mot biffurevous dessaisir incessamment de tous les Exemplaires
qui vous restoient en main, imprimés ou manuscrits, et de
tout ce qui pouvoit y avoir du rapport, pour être remis à la Seigneurie. On se
remet à vôtre bonne foi et à vôtre serment, pour
la sûreté de l’exécution de cet ordre. On vous menace
seulement de l’indignation de la Seigneurie, si vous
y contrevenez.

<2r> Les Conseils avoient sans doute pouvoir de vous
ordonner une telle chose, et je ne sai sur quel fondement
nevous pourraitiez le leur contester. 1 mot biffure Plus vous sup=
poserez même qu’on vous avoit chargé dans 1 mot biffure1 mot biffure de composer
le Mémoire, et plus il étoit de vôtre devoir d’obéïr,
sur les plaintes qu'on faisoit de ce que la un ordre qui montroit que l’on n’étoit content de la manière dont vous avez mal exécuté la commission.
Les raisons, que vous alleguez, ne vous en dispensoient
point. Et vous deviez d’autant moins vous faire de
peine de lâcher tout ce qui vous restoit de vôtre Mémoire,
que la tête, qui l’avoit enfanté, pouvoit toûjours le
reproduire
en tems et lieu, comme vous le dites vous-même.

Ce que vous appréhendiez, n’étoit fondé que
sur des soupçons. Vous supposiez, que l’on avoit dès-lors
commencé à vous intenter un Procès Criminel. Cela
ne paroît point par ce que vous dites, et que vous ne
pouviez d’ailleurs savoir que sur des rapports, qui
ne sont ici d’aucun poids. Il se peut faire que
quelcun aît dit (vous ne savez même qui) que vôtre
conduite étoit criminelle, et qu’il falloit en juger
sur ce pié-là. Mais cela ne prouve point, que
le Procès Criminel aît été des-lors commencé, par
déliberation du Conseil. Tout ce qu’on en pourroit
inferer, c’est qu’on auroit deliberé s’il falloit dès à présent
traiter ainsi l’affaire, qui, supposé qu’elle eût des
suites, 1 mot biffure ce devoit aboutir là. Et cela suffisoit,
pour faire sortir les Parens, même au degré de criminel.
Mais c’est par la Résolution même du Conseil, qu’il
faut juger de ce qui s’y passa. Quel a été fut l’son avis,
tel que vous le rapportez? Il se réduit à blâmer
et condamner
 vôtre Mémoire, pour plusieurs raisons
qu’on y spécifie, et à confirmer l’ordre donné par
le Petit Conseil au sujet de ce Mémoire. On y ajoûte
seulement, que vous comparoîtrez (sans dire quand)
pour être censuré et reconnoître vôtre faute. Est-ce
là un procès Criminel? Tout semble marquer, que si vous
vous fussiez soûmis à l’ordre, l’affaire étoit finie,
et que tout au plus vous en auriez 2 mots biffureété quitte pour une
censure, dontqu’il semble même que l’on n’avoit pas
fort à cœur de vous faire subir actuellement, puis que
l'on n'en fixoit point le tems, et qu’on ne vous en
parla pas même, autant que je puis le comprendre par vôtre recit,
lors qu’on vous écrivit de la part du Grand Conseil,
pour renouveller et confirmer l’ordre du Petit Conseil.
Ce silence même devoit d’autant moins vous faire
regarder la séance du 7. Décembre 1728. comme l’ouverture
d’un Procès Criminel.

<2v> Cependant vous refusez tout net d’obéir : vous vous enveloppez
1-2 mots biffure des Loix de la République
, qu’une telle procédure vous paroît
blesser de la manière la plus évidente. Pour moi, je ne
vois là aucune Loi violée. On vous refuse, dites-vous,
un Extrait en forme du Jugement rendu contre vous, et que
vous appellez une procedure criminelle. De ce que j'ai
dit il paroît, que Mais ce que l’on avoit fait n’étoit rien moins
qu’un Procès Criminel. Il n’y a point de Corps de
Conseil, de Compagnie, de Corps Politique ou Ecclesiastique, qui n’ait droit de
censurer quelcun de ses Membres, encore même qu’il n’aît
d’ailleurs aucune Jurisdiction Criminelle. Et tous les
Membres d’un Corps sont tenus d’obéïr à ce qu’il
leur ordonne, en matière des choses qui regardent les affaires de Corps. Il n’y a aucune nécessité que l’Extrait
de la déliberation leur soit communiqué dans toutes les
formes; il suffit qu'elle que l’ordre soit notifié par ceux qu’il
en a chargé.

Vous dites que le Tribunal des Deux Cens étoit tout rempli de
vos parties
.  Mais, n’y ayant point encore de procès, il
n’y avoit point de parties. Vous recusez ce Tribunal,
comme vous étant suspect. Mais ce Tribunal est il ne s'agissoit point de vous juger, et par conséquent il n'y avoit point de lieu à récusation de Juges. Ce Tribunal n'agissoit point encore comme Tribunal, mais comme
vôtre Supérieur, qui avoit droit de vous commander.
Il étoit questionIl s'agitssoit d'un fait, qui se rapportoit à un ordre que
vous prétendiez avoir de lui, et vous vouliez qu’il
n’ai teût pas droit de juger si vous aviez bien ou mal
executé ses ordres. Que si vous n’aviez point eû d’ordre
bien précis, il étoit encore plus autorisé à vous censurer
de ce que vous aviez fait entrepris de votre chef une chose de
si grande conséquence. D’ailleurs, ceux que vous regardiez
comme vos parties, ne le sontne l’étoient que parce que vous les
jugiez tels. Et estétoit-ce à vous à décider là-dessus? 
Le Conseil des 200 déclare, que la Chambre des Fortifications n’a fait qu’exécuter les délibérations des Conseils avec zèle, fidelité et desintéressement. 
Parce que vous n’êtes pas de même sentiment, que
la Chambre des Fortifications, et que vous vous êtes servi,
à l'égard des membres de cette Chambre d’expressions
que le Conseil des 200. juge despectueuses, et à l’égard
des Membres de cette Chambre, et à l'égard même des
deux Conseils, Petit et Grand. pouvez-vous dès-lors recuser
ce Tribunal comme incompétentsuspect? Sur ce pié-là,
il seroit très-facile de décliner la Jurisdiction de tous les
Tribunaux, en 1 mot biffure s’érigeant de son autorité privée en Juge des choses, dont
le jugement appartient au tout le Corps de qui l’on dépend, en lui désobéissant,
et se faisant un droit de son opinion particulière et de sa désobéissance, et de
3 mots biffure pour refuser de reconnoître
l’Autorité de ce Corps.

<3r> Après avoir ainsi desobéï, on vous adjourne pour
comparoître en personne, et répondre sur vôtre désobéïssance.
On vous marque trois termes, assez 1 mot biffure de
1 mot biffure
 dont le premier est assez éloigné du tems de l’Assemblée
dans laquelle l’adjournement est résolu, et tous trois
sont raisonnablement distans l’un de l’autre. Vous
renvoiez l‘Adjournement; vous persistez à demander
communication d’une procedure criminelle, qui n’a point
été encore commencée. Vous refusez absolument de
comparoître. Malgré vôtre refus, on suspend encore
l’affaire pendant un an. Si l’on eût été aussi animé
contre vous, que vous le supposez, auroit-on attendu
si longtems attendu, après le dernier terme échu, à
déliberer sur le défaut de l'Adjournementcomparition dont on étoit
en droit de connoître, et 1 mot biffure par conséquent de
penser alors tout de bon à punir des refus
réiterés d’obéïr.

Je ne sai, Monsieur, en quoi consisteroit
l’Autorité du Conseil des Deux-Cens, s’il n’avoit
pas ce pouvoir: s’il devoit souffrir impunément
la désobéïssance de ceux qui dépendent de lui, ou
en renvoyer la punition à un autre Tribunal. Que
le Peuple de Geneve soit le Souverain, tant qu’il vous plaira;
il n’exerce point par lui-même les actes de la Souveraineté, hormis dans les cas qu’il s’est reservé.
raineté Ce sont les deux Conseil, qui les exercent
en son nom
 C’est sont eux entre les mains des deux Conseils qu’est
la régence et l’administration des affaires publiques.
Si Le Petit Conseil peut même peut donner des ordres et en punir la désobéïssance: à ses
ordres le Grand Conseil, qui lui est supérieur, seroit-il
privé de ce droit? Surtoutet cela lors qu’il a confirmé de
plus en plus les ordres du Petit Conseil, comme cela ainsi que la chose
se trouve ici? Seroit-il alors convenable qu’un
Conseil Supérieur renvoiât l’affaire au Conseil Inférieur,
qui, en la portant devant lui, a déja déclaré qu’il ne jugeoit pas à propos de 
1 mot biffure pas s’en charger tout seul? C'est une
chose incontestable que
 Le Petit Conseil peut, et
doit même quelque fois, porter certaines affaires devant
le Grand. La Loi, que vous alleguez, le supose clairement: Que rien ne soit mis en avant au Conseil des 200 qui n’aît été traité au Conseil étroit etc. Est-ce afin qu'ellesque les affaires proposées reviennent ensuite
par devant lui le Petit Conseil? N’est-ce pas au contraire afin qu’elles
se terminent là, où le Petit et le Grand Conseil se
se trouvent réunis, les Membres du premier l’étant
tous de l’autre? C'est au Il dépend au moins du Grand
Conseil de renvoier ou non au Petit ce que celui les affaires, que celui-ci avoit portées devant lui: il n'est nullement obligé de s'en dessaisir dont il est une fois saisi.

Ainsi, Monsieur, l’Edit de 1713 que vous
alleguez, 1 mot biffure dernier ne fait rien pour vous.
il ne s’agit là que des procés intentés dans le cours
<3v> ordinaire de la Justice. Qu’un homme soit accusé de
meurtre, de larcin, ou de quelque autre délit, il faut
alors sans doute que l’accusation s’intente par devant les Syndics
et Conseil.  Mais cela ne sauroit être appliqué autre chose est des
aux procès Criminels qui naissent des affaires déja
portées dansdevant le Conseil des Deux Cens, et de
la désobéïssance àux ses ordres. de ce Conseil 1 mot biffure
1-2 mots biffure Un Conseil, qui a l’administration suprême
des affaires ordinaires du Gouvernement, un Conseil qui a droit
de faire grace à ceux qui ont été aux Criminels condamnés par
le Conseil inférieur, n’auroit-il jamais le pouvoir de
connoître et de juger lui-même? ses 1-2 mots biffure d'en
et ne pourroit-il jamais que confirmer des Jugemens ou dans
deux 3 mots biffure qu’il est en droit de rendre sans effet, quelque bien fondés qu’ils soient? 
reformer et de casser? Le mepris de son Autorité
devroit-il toûjours être vengé par le Conseil inférieur?
Ce seroit assûrément une constitution de Gouvernment
bien singulière et bien étrange.

L’Edit de 1713 ne regardant donc nullement les
cas dont je viens de parler, il s’ensuit que l’intervention
du Procureur Général, dont il est parlé là, n’y est pas
non plus absolument nécessaire en vertu de cet Edit. Mais d’ailleurs,
jusqu’aux Assemblées du 8 et 9 Mai 1730, je ne
vois point de procès Criminel encore bien formé
contre vous. Le Conseil ne faisoit que 1 mot biffure
maintenir constamment le droit qu’il avoit de vous faire obéïr,
et de vous obliger à comparoître, pour rendre raison
de vôtre désobéïssance précédente. Il pouvoit vouloir
attendre encore vôtre soûmission, et cela même qu’il vous donnoit
beaucoup de tems pour vous y résoudre, semble le
marquer. Il pouvoit n’en pas venir à traiter l’affaire
criminellement, et se contenter de vous imposer quelque
amende ou telle autre choseportée par l’Adjournement, ou quelque chose de plus qui servît seulement
à retenir dans le devoir ceux qui seroient tentez
d’imiter vôtre désobéïssance.

Vôtre perséverance à désobéïr fit changer
l’affaire de face, et autorisa le Conseil des Deux Cens
à en venir tout de bon au Procès Criminel, et à
vous juger par contumace. Qu’auroit-il attendu,
après tant de refus réiterés, après les termes de
l’Assignation échus, et un laps de tems considérable
écoulé depuis? après vôtre déclaration constante de
ne vouloir point reconnoître l’autorité de son Tribunal?
Plus vous prétendez, que le procès étoit commencé depuis
long tems, comme vous le faites, et moins vous pourrez

<4r> vous justifier d'une contumace, qui ne laissoit plus de 
lieu à demander des délais. là-même

Mais ce qui marque là-même de plus en plus un dessein
de vous ménager, c’est que la Sentence même renduë
alors en porte le caractère. Elle n’est point absoluë,
mais conditionelle. Elle vous laisse l’espérance de
recouvrer vos biens et votre Bourgeoisie, si vous voulez
enfin satisfaire pleinement à ce qui a été jugé
contre vous le 7 Décembre 1728.
c’est-à-dire,
si vous vous dessaisissez entre les mains de la Seigneurie de tout ce qui vous reste de
vôtre Mémoire, et que vous subissiez une censure,
en reconnoissant vôtre faute, pour avoir publié un tel
Mémoire de la manière que vous l’avez fait: Jusqu’à
ce, dit l’Arrêt, qu’il aît pleinement satisfait etc.
Je ne sai si l’on pouvoit mieux témoigner, que ce
n’étoit qu’a regret qu’on en venoit contre vous à
une telle extrémité, et que, pour vôtre propre bien, on vouloit forcer
en quelque manière vôtre resistance à vous sou=
mettre, pour vôtre propre bien, afin d’avoir lieu de revoquer le Jugement, selon la liberté qu’on s’en reservoit.

Mais quand même il y auroit eû quelque
petite irrégularité pour la forme, dans une Procédure
bien fondée pour le fond, il resteroit toûjours la grande
Question, si vous ètes pour cela en droit d’appeller de la
Sentence du Conseil des Deux-Cens au Conseil General? J’ai peine à croire,
2-3 mots biffure Monsieur, qu’aucune personne versée
dans le Droit Public, et instruite de la Constitution de vôtre Gouvt, entre dans vôtre pensée.

Je n’ai pas besoin de vous dire ici, que je conçois
la République de Genève, comme un Etat où le
le peuple à la vérité est le Souverain, mais en sorte
que
 la Démocratie est temperée par un mélange
d’Aristocratie. Et bien en prend aux Genevois, que cela
soit ainsi. Toutes les Histoires font foi, qu’une République
dans laquelle le Peuple est le Maître, ou a trop de
pouvoir, ne peut guères être qu’un théatre presque perpétuel
de désordres, de séditions, de troubles, et d’injustices.

Mais Considérons seulement le droit d'Appel en lui-même le pouvoir droit de juger absolument sans appel.
Vous semblez, Monsieur, supposer par tout, que le
pouvoir de juger absolument sans appel c’est un caractère propre
et incommunicable de la Souveraineté. Mais il l’est encore
moins, que le droit de faire grace, qui ne peut être appartient,
contesté de vôtre aveu, au Conseil des Deux-Cens. Dans la plûpart
des Républiques, et des Roiaumes mêmes, il y a des
Cours de Justice, qui jugent absolument sans appel en prémiére instance, quoi
qu’elles n’aient et ne prétendent avoir aucune part
à la Souveraineté. Cela a lieu en matiére de Jugemens
Criminels, plus encore qu’en fait de Causes Civiles.
<4v> Bien plus: il y ase trouve aujourdhui des Nations, chez qu’il n’y
a absolument aucun Appel des Jugemens Criminels.
Comme il n’est point de Loix, point d’Etablissemens
Humains, qui n’aient leurs inconveniens, ces Peuples
ont cru qu’il y en avoit moins à laisser quelquefois
condamner sans ressource des Criminels qui peuvent être
innocens, qu’à fournir 1 mot biffure à ceux qui sont
véritablement coupables, un moien d’éviter la peine.
Ce dernier inconvénient, 2 mots biffure et autres qu’il peut y avoir, sont encore plus à
craindre, 2 mots biffure quand 1 mot biffure il est permis d’appeller
à tout un Peuple, toûjours composé pour la plus grande
partie d’ignorans, de Brouillons, ou de gens faciles
à mener par le prémier Démagogue qui se présente.

Remarquez de plus, Monsieur, 1-2 mots biffure qu’il
n’y a point, que je sâche, d’autre exemple d’un Conseil regardé comme n’ayant aucune part à
une même de la Souveraineté, qui aît le droit de
faire grace, comme l’a vôtre Conseil des Deux Cens.
Ailleurs les Cours les plus Suprêmes, celles qui jugent sans
aucun appel, et par devant qui on appelle des jugemens
de Cours Inférieures, ne peuvent pas pour cela décharger de la peine, méritée ou en tout, ou en partie, un Criminel atteint et convaincu, qui a avoué lui-même son Crime, et dont le Crime ainsi notoire doit être puni, selon les Loix, de la manière que porte la Sentence du Tribunal Inférieur: elles ne peuvent qu’absoudre un Criminel, qu’elles jugent n’avoir pas été duement condamné, ou moderer la peine, comme aiant été décernée trop rigoureuse, à proportion de la qualité du fait. n'ont nullement pour cela le
pouvoir de faire grace. Quand 2 mots biffure elles déchargent de la peine un
Criminiel condamné ou qu'il est déchargé par elles de la peine, 2 mots biffure
puis lors qu'elles n'ont elles ne supposent point qu'il
aît été atteint et convaincu, que son Crime soit clair qu'il l'avouë lui-même
et qu'il pût en être légitimement puni selon les Loix de telle ou telle
manière: bien loin de la, elles ou elles absolvent le 
Criminel, comme n'étant pas été duement condamné
ou elles diminuent une peine, qu'elles jugent avoir été décernée trop
rigoureuse, selon la qualité du fait.
En un mot,
elles ne font que rend casser ou redresser des Jugemens
ou entièrement injustes, ou trop sevères. Le droit de faire grace a toujours été regardé comme une des parties les plus importantes et les plus marquées de la Souveraineté. Quand on pense que les Loix de Genève le donnent au Conseil des Deux Cens, le moins qu’on puisse inferer de là, n’est-ce pas que le Peuple et
contraires aux Loix ou à l'Equité. Ainsi le droit de
faire grace, que vôtre Conseil des Deux Cens a
incontestablement selon les Loix fondamentales de 
l'Etat, montre bien que le Peuple, tout Souverain
qu'il est,
s'est déchargé entièrement dépouillé entièrement
de l’administration de la Justice, et de tout ce
qui s’y rapporte; qu’il l’a confiée aux deux Conseils,
Petit et Grand, des XXV et des Deux Cens; et que le dernier Tribunal
est le non plus ultra, tant pour le Criminel, que pour
le Civil.

Aussi n’alleguez-vous aucun Edit, qui permette
d’aller plus loin. Vous êtes déduit à tirer des consé=
quences qui ne suivent nullement des principes
sur lesquel vous les fondez
le déduisez d’un principe, d’où la conséquence ne suit nullement. De ce que la Sentence des
<5r> Criminels condamnez par le Petit Conseil, et la
Grace accordée par le Grand Conseil, doivent l’une et
l’autre, avec le sommaire du Procès, être luës devant la
Bourgeoisie, vous inferez une reserve, par laquelle
le Peuple s’attribuë tacitement le droit d'approuver
de 1 mot biffure d’examiner tout cela, aux fins en vuë d’approuver
ou de desapprouver, de confirmer ou de casser de
tels Jugemens. AussiMais que dit l’Edit? pourAfin que la Bourgeoisie en
sâche les motifs. CelleOr autre chose est d'ordonner
que les Sentences ne se prononcent pas à huis clos, ou seulement dans la chambre du Conseil
mais en public; et autre chose de prétendre que 
le Peuple 1 mot biffure leur force et leur effet dépende 
du jugement de la Bourgeoisie, 1 mot biffureà qui elles doivent
être
leur teneur et leurs motifs doivent être
notifiez. Le premierdernier n'est nullement une suite des
prémiers
nécessaire de prémier. Il suffit Pour cette
fin de faire savoir les motifs à la Bourgeoisie, il suffit que par là les Jugemens
soient rendus plus solennels, et les Juges tenus en plus circonspects,
par la crainte, 2-3 mots biffurede peur qu'on ne reconnoisse la moindre
injustice qu'il pourroit y avoir dans leurs Jugemens.
Si le but de l'Edit eût été de rendre les Jugemens
sujets à être recus et executée par le une révision du Peuple 
il auroit fallu que le Conseil Général fût convoqué
et assemblé dans les formes, toutes les fois qu'on
puniroit ou qu'on feroit grace. Or, si je ne
me trompe, on ne fait à Genève que lire la
Sentence devant la Maison de Ville, en présence
de tout le monde qui veut y assister, Citoïens ou 
non.

Il faudroit d'ailleursdu moins ici des exemples, et 1 mot biffure
le seul que vous produisez, ne fait rien au sujet.
Vous dites, qu'en 1541 on jugea, le 1. de Mai, dans
le Conseil Général, 1 mot biffure le rappel de trois Ecclésiastiques
précédemment bannis par Sentence du Petit, du Grand et du General
Conseil, le 23 Avril 1538
. Mais la Sentence de 
Bannissement contre CalvinFarel, et Courtaud,
avoit été confirmée par le Conseil des Deux Cens,
et par le Conseil Général. Le dernier même l'avoit
de nouveau confirmée, malgré les instances des 
deputez de Berne; comme il paroît par l'Histoire de 

Spon , et par les Notes. Il falloit bien alors que le 
Conseil Général la révoquât. Cet exemple même
fait contre vous. Car il paroît par là que le Petit
Conseil portoit en Deux Cens une affaire criminelle,
du Jugement de laquelle il ne vouloit pas se charger seul.

<5v> Que siEt lors que l'affaire fut ensuite avoit été portée au Conseil Général,
ce ne fut point par un appel des Ministres, qui n'auroient
pû même appeller de la Sentence du Petit Conseil, puis
qu'ils étoient Etrangers; mais parce que le Conseil des 
Deux Cens jugea à propos de faire confirmer la 
sentence par le Peuple même. D'ailleurs, selon ce que
vous dites dans vôtre 1. lettre, Calvin fut l'Architecte
de vôtre Gouvernement. Ainsi, quand même l'exemple
seroit un peu à propos, il faudroit des exemples depuis
le temps que Calvin rappellé, eût contribué à la forme
de vôtre Gouvernement.

Après tout, est-il croiable, que pendant près de
deux Siècles, 3 mots biffure Conseil des
Deux Cens, après avoir appelé, n'eût
il ne fût arrivé
aucun cas où l'on le peuple eût au moins témoigné qu'il
prétendoit avoir le droit de juger des Procès Criminels
faits ou confirmez dans le Conseil des Deux-Cens?
Est-il croiable, qu'aucun Citoien condamné n'eût
pensé à faire usage de ce droit, et n'eût espéré
ne se fût flatté de l'espérance d'éviter la peine,
en poussant son Appel jusqu'où il pouvoit aller?

Un cas non arrivé, dites-vous, n'exclut pas
un droit, ce même cas survenant.
C'est-là
supposer ce qui est en question. La réponse seroit est
bonne, quand il y a des Ordonnances qui établissent
clairement le droit, comme dans l'exemple que vous
alleguez d'une Cour de Justice, qui, après s'être conformée
près de deux cens ans aux Ordonnances d'un Roi, 
vient à y contrevenir. Mais il n'y a point d'Edit de 
la République de Genève, qui donne à ses Citoiens
le droit d'appeller des jugemens du Conseil des Deux-Cens
au Conseil Général. Les Edits, au contraire, ôtent
ce droit, par cela même qu'en réglant les Appels,
tant pour le Criminel, que par le Civil, ils ne vont
point au delà du Conseil des Deux Cens. Ainsi il
n'y auroit qu'un Usage constant, qui eût pû
ériger en Loi le droit d'appeller au Conseil Général;
et un tel Usage ne se peut certainement prouver
que par des Exemples, et des exemples clairs et
fréquens.

J’ai ouï parler autrefois des troubles excitez à Genève
en 1707 à l’occasion desquels on fit plusieurs nouveaux
Réglemens. 2 mot biffures D’où vient que, dans ce tems
de crise, où le Peuple étoit si animé à maintenirfaire valoir
et confirmer ses droits, il ne profita pas d’une si belle
<6r> occasion, pour faire reconnoître 1 mot biffure clairement
et pour assûrer aux Bourgeois le droit d'appel
au Conseil Général, pendant qu'il insistoit sur des
articles de beaucoup moindre importance? Quel rempart
plus sûr auroit-il pû trouver, pour prévenir les attentats atteintes
qu'il prétendoit qu'on avoit donné à ses libertez?

Je n’en diraiirai pas davantageplus loin, Monsieur; il y en a
là de reste pour vous faire voir, que ce n’est pas
sans raison que je décide la question proposée tout
autrement que vous ne l’auriez souhaitté. Je vous dis de bonne foi
en conscience ce que je pense; et si j’avois pû appuïer
1 mot biffure vôtre partisentiment, je l’aurois fait avec la même
franchise. Je n’ai rien à esperer ni à craindre
de vôtre République, comme vous le croirez aisément:
et en ce cas-là même, je n'1 mot biffure pas fait difficulté
de soutenir vôtre cause;
j'aurois assez de courage
pour soûtenir la Cause d'une personne que je
croirois opprimée par des injustices manifestes.
Je suis amateur et défenseur de la Liberté, autant qu'un autre; mais je le ne suis pas moins de la Paix et de la Tranquillité publique; et je crois qu'on doit y sacrifier bien des choses.
Je n’ai pas, au reste, assez de présomtion pour croire, que
d'autres jurisconsultes ne puissent être d'autre opinion
que moi différente sur vôtre affaire, quoi que j'en doute.
Mais je crois qu'au moins, dans une Cause comme
celle-là, qui 1 mot biffure regarde le fond de la Constitution
du Gouvernement de Genève, et qui apparemment intéresse tant de
personnes distinguées, ceux mêmes qui auroient du panchant
à vous être favorables, se feroient de la peine de
pronconcer sans avoir observé la règle de l'Audi et
alteram pattem
. L'omission Une pers L'omission d'un
fait, ou d'une circonstance, un petit changement qui ne paroît rien d'abord, peut quelquefois faire
changer de face à une affaire. Vous devez savoir aussi qu'il y a des Auteurs, qui, frappez des grand droits de vos Conseils, Petit et Grand, ont cru que le Gouvernement de vôtre République étoit Aristocratique. Et ceux qui la connoissent mieux, la regardent au moins comme une République Mixte, qui tient du de de l'Aristocratique et du Démoncratique.

Si un Ami, si un Parent, si un Frère, étoient
dans le même cas que vous, je leur conseillerois de prendre
de tout autres mesures, que celles que vous persistez à
suivre. Vous avez assez éprouvé qu'il ne fait pas
bon lutter avec plus fort que soi. Il seroit tems
de tenter enfin les voies de la douceur et de la 
soûmission. En voulant emporter les choses de
hauteur, et par un de ces Remèdes violens, qui ne
doivent pas être mis à tous les jours,
sont toûjours très dangereux ou dont le succès est au moins fort incertain vous ne ferez
qu'aigrir et qu'irriter les Espritsceux que vous regardez comme vos
Ennemis, et à qui vous avez donné tant de prise,
s'ils le sont; de quoi vous me permettrez de ne
pas décider. ce que je ne pourrois faire sans témérité.

Le zèle pour le Bien Public, et pour les Libertez de sa 
patrie, est assûrément très louable: mais plus le motif
<6v> est beau, plus il est facile de se faire illusion
sous ce prétexte, par conséquent plus on doit être
en garde contre soi-même. Un bon Citoien est tenu
sans doute de concourir au maintien des Loix, et à ce qu'il croit convenable au Bien Public: mais, après avoir fait ce qu'il a pû par des représentations ou autres moiens sûrs, il n'est nullement obligé à s'attirer de fâcheuses affaires; et il doit abandonner l'événement à la Providence.

Tel étant mon avis, vous ne voulez pas sans
doute que je le fasse confirmer par ma Faculté, qui, 
je crois, s'y rangeroit aisément. Ainsi je ne leur
en ai rien communiqué; et par-là je Si je
l'avois fait, et qu'on eût pris connoissance de l'affaire
je n'aurois pas été maître de vous renvoier, comme
je fais, la Lettre de change que vous m'avez envoiée
pour cette fin dans vôtre dernière Lettre; car les
1 mot biffure
on ne s'engage point à prononcerrépondre au gré des
Consultans, mais selon le droit.

Je vous plains, Monsieur, de vous être mis
dans un état, où je vois si par vous sivous ne pouvez que voir vous-même peu de
ressource. Si par quelque autre endroit, qui ne 
blessât point ma conscience, j'étois capable de
vous rendre service et depours'il se présentoit quelque occasion de contribuer à améliorer
vos affaires, je m'y emploierois du meilleur coeur
du monde, et comme étant, avec sincérité etc

Note

  Public

D'après la transcription fournie par Gabriella Silvestrini et Richard Whatmore.

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Brouillon de lettre à Micheli du Crest, Groningue, 20 novembre 1731, cote AEG, Archives privées 111.599. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1423/, version du 10.07.2024.
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