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« Discours lu à l'occasion de la rentrée de la société, par J.-B. Vernède », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [26 novembre 1780], p. 212-216
<212> Rentrée de la Société
Dimanche 26 Novembre 1780.
Par Monsieur Vernède
Membre de cette Société, du renouvellemt
de laquelle, je me persuade que nous nous féli=
citons tous, en rendant graces à celui qui en a
été le Restaurateur ; m’en promettant beau=
coup d’agrément & d’utilité; & désirant d’y con=
tribuer à mon tour, j’ai recherché quelles sont
les dispositions d’esprit & de cœur, que chaque
membre de notre Société doit y aporter, pour
la rendre agréable & utile à lui & aux autres.
Je me suis demandé ensuite quelles étoient
les diverses utilités des questions qui s’agitent
parmi nous, & quel étoit le tour d’esprit qu’il
falloit avoir pour répondre pertinemment à des
questions proposées;
Je me suis demandé enfin quels seroient les
meilleurs moyens d’engager les membres de cette
Société à y assister avec assiduité & avec plai=
sir. Je vous offre, Messieurs, le court resul=
tat de mes reflexions. De bonnes intentions
me promettent votre indulgence pour quel=
ques minutes.
Comme il semble, en général, que nous sa=
chions mieux ce que les autres nous doivent, que
ce que nous leur devons, j’infere de ce que
j’ose attendre des autres membres de cette Socié=
té, ce qu’ils ont droit d’attendre de moi à
<213> leur tour.
On demande quelles sont les dispositions d’es=
prit, quelles sont les dispositions de cœur, que cha=
que membre d’une Société litteraire telle que
la notre doit y apporter pour la rendre agréa=
ble & utile à lui & aux autres? Je réponds:
toutes les dispositions d’esprit, toutes les dispo=
sitions de cœur qu’il peut raisonnablement
& équitablement attendre des autres membres.
Et un seul sentiment me paroit renfermer tout
ce qui peut être exigé; c’est l’affection, nom=
mément cette sorte d’affection qui concerne
les membres d’une société litteraire.
La notre a été formée & renouvellée sous
d’heureux auspices; elle a eu l’estime & la con=
venance pour bases. Chaque membre a été
unanimément admis. Elle se propose le but
le plus louable, une connoissance plus distinc=
te de la vérité. Tous les gens qui pensent
bien ont aplaudi à son établissement. Nous
avons déjà dans quelques séances, vu l’affec=
tion s’annoncer tout naturellement par un
air ouvert, un abord gracieux & des discours
obligeans; par des égards & des attentions. En
effet, plus persuasive & plus puissante
souvent que la raison, l’affection est si pro=
pre à adoucir les humeurs, à plier les carac=
teres, à concilier les goûts! Il en resulte une
heureuse facilité d’esprit, au moyen de laquel=
le on supporte sans peine ici ce qui ne plai=
roit peut-être pas ailleurs; on passe volontiers
ici ce que l’on releveroit peut-être ailleurs & on
<214> on tient compte même de bonnes intentions non
executées.
Mais si l’affection produit une indulgence pré=
tieuse, non moins à ceux qui l’exercent, qu’à ceux
qui en sont les objets; elle inspire aussi une ac=
tivité empressée & une généreuse emulation: il
en nait un échange vif d’idées justes & de sen=
timens exquis. Aucun de nous ne consenti=
ra, je m’assure, que d’autres soient, si non de plus
dignes membres; du moins des membres plus zélés,
& vous réunirez, Messieurs, vos efforts, soit que
la solidité, la clarté, l’exactitude, la précision
soient votre partage; soit que vous soiez doués
de fécondité d’imagination, & de feu; soit que la
sensibilité & la delicatesse vous caractérisent,
ou que la singularité, la vivacité & l’enjoue=
ment vous distinguent.
La Société compte sur vos abondantes con=
tributions: ainsi extérieur prevenant, humeur
accomodante, caractere liant, esprit facile:
ainsi confiance & liberté: ainsi activité, zèle
& émulation: communications libres & interes=
santes d’idées & sentimens, vous serez les doux
fruits de l’affection, qui, en tant que mem=
bres de cette Société littéraire, doit nous lier
de plus en plus.
En se demandant quelle étoit l’utilité
des questions qui s’agitent parmi nous, on
se sera sans doute répondu: les questions
fixent l’esprit sur un sujet. Les idées sur
ce sujet deviennent plus distinctes, il est con=
sideré <215> sous diverses faces; l’attention se porte sur
des objets importans; ces objets sont variés: On
perfectionne, en répondant à des questions pro=
posées, le talent d’écrire ou la faculté de par=
ler.
Mais quel est le tour d’esprit qu’il faut
avoir pour répondre pertinemment à des ques=
tions proposées?
En général, les questions peuvent être obscu=
res, & il faut de la pénétration pour en demê=
ler le sens: elles peuvent être vagues & il faut
de la précision pour en fixer l’idée principa=
le; elles peuvent être stériles, & il faut de la fé=
condité pour les rendre intéressantes. Mais
quant au tour d’esprit nécessaire pour répon=
dre pertinemment à des questions proposées, je
suppose qu’il faut entendre par là, non le ca=
ractere particulier, soit naturel soit aquis
de chaque esprit, mais la maniere de conce=
voir & de présenter les objets. Il y a donc
un certain ton d’esprit requis, qu’il est pos=
sible d’aquérir & de perfectioner. Et en effet
quel est l’homme à qui sa raison, sa conscien=
ce, ses amis, ses enfans, ses inféreurs, n’addres=
sent pas directement ou indirectement des ques=
tions, & des questions importantes, auxquelles il
doit satisfaire? Je recherche donc quel
est proprement ce tour d’esprit que tous les
hommes indistinctement, de quelque tempé=
rament & de quelque caractere qu’ils
soient, peuvent ou doivent acquérir, pour exé=
cuter <216> habituellement & en grand, dans le monde ce
que nous faisons en petit & de loin à loin dans
cette Société; & il me semble que ce tour d’esprit
consiste proprement à envisager & à exposer cons=
tament les choses du côté le plus utile, afin d’en
tirer nous-mêmes, & d’en faire tirer aux autres
tous les avantages qui peuvent résulter de leur
considération. Au reste, j’ai posé en fait que
toute question que des gens sensés se font à eux
mêmes, ou proposent à d’autres, a son utilité &
une utilité réelle.
Enfin les Membres de cette Société seront
mutuellement disposés à y assister avec assi=
duité & avec plaisir, si chacun autant qu’en
lui est, tâche de joindre à l’utilité reconnue,
l’agrément plus attirant encore, & auquel tous
peuvent contribuer.
