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        « Sur la coquetterie des femmes, par G. J. Holland », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [03 mai 1772], p. 125-130
	
	
		
	<125> Discours sur la Question: s’il est bon
	que les femmes soient Coquettes.
	Par Monsieur Holland
	Vous ne demandés pas, Messieurs, s’il est bon que les
	femmes desirent de plaire. Ce serait mettre en question,
	s’il est bon que les femmes soient des femmes; S’il est bon qu’elles
	repondent à leur destination. Les agremens de l’esprit et du
	corps sont les armes que la Nature leur a donnés en
	dedommagement de cette faiblesse, qui semble si peu
	proportionnée à la force de leurs penchans. Que leur
	sort serait cruel, si leurs yeux, leur teint, leur sourire,
	leur respiration, leur ton de voix, leur Parure n’osaient
	remplacer ce langage qu’il leur est défendu de tenir! Né
	avec le besoin d’aimer et d’être aimé, ce sexe charmant n’aurait
	il pas le droit de le témoigner à sa manière? Serait il con=
	damné à dementir cette nature, qui en lui donnant tant
	d’attraits lui inspire en même tems le desir de l’Art de les
	faire Valoir?
	Un Auteur moderne prétend que toutes les femmes
	sont coquettes et quelles le sont par état. Nous ne scaurions
	disconvenir de cette vérité, dès que par coqueterie nous
	entendons avec lui l’envie de paraître aimable. En ce sens,
	toutes les femmes ne sont pas seulement coquettes, mais elles
	doivent l’être. Il n’y a dans le monde phisique que les
	miracles et les monstres qui fassent des exceptions aux Loix
	Generales; Dans le monde moral il en est de même. Les
	femmes qui ont de l’indiference pour les hommes, sont
	ou des saintes ou des êtres mal constitués, des êtres d’un
	caractère aigre, bourru, médisant, en un mot des êtres
	monstreux.
	Je pose donc en fait que ce desir de plaire, bien loin
	d’être reprehensible en lui même, est naturel, legitime et même
	necessaire. Rechercher s’il est bon, ce serait sans doute manquer
	le sens de vôtre Question; ce serait vous croire Capables de demander
	<126> Demander s’il est bon que le soleil attire les planettes, et s’il
	est convenable que le fer fasse des efforts pour s’approcher de
	l’aimant.
	La manière de témoigner ce desir, le but qu’on si propose,
	plus ou moins directement, la force ou la faiblesse de la raison
	qui les dirige, le Temperament qui l’accompagne, Enfin mille
	modifications d’un meme instinct general differeraient les
	femmes à l’Infini. Cependant quoi que tout soit individuel dans la
	Nature, quoi que rigoureusement parlant chaque être
	forme pour ainsi dire une Classe à part, l’esprit sixtema=
	tique n’a pas laissé de ranger tous les individus du beau sexe
	sous cinq ou six classes generales, tout comme ce meme
	Esprit de methode à prétendu reduire à quatre temperamens
	cette varieté infinie de Caracteres que nous Observons dans
	les individus de l’espèce humaine. On a donc en consequence
	des définitions de ce que c’est en general que la femme
	sage, la femme tendre, la femme Galante, la prude, la
	Coquette; Et dans ces définitions, on a fait tant d’abstra=
	ctions, que celui qui ne connaitrait que ces femmes
	imaginaires n’aurait exactement aucune idée de celles
	qui existent en realité.
	On se forme les notions generales, pour rassembler
	une grande quantité d’objets dans le même point
	de vüe; Mais toute Methode artificielle, a le défaut
	de ne jamais pouvoir tout comprendre. Les mots
	une fois recus, on s’imagine que ce sont des lignes qui
	distinguent les êtres du meme nom en centaines Classes,
	tandis que dans la Nature où tout est particulier, Il n’y a
	point de lignes de separation. Combien de femmes n’y
	a t’il pas, qui ne sont ni sages, ni tendres, ni galantes,
	ni prudes, ni coquettes; Des femmes dont il
	faudrait dire qu’elles ont Tout, et qu’elles n’ont
	rien de ces differentes qualités suivant les circons=
	tances et le Tems; Des femmes qu’on ne Scaurait rap=
	porter
	<127> rapporter à aucune Classe, par ce qu’elles occupent ces degrés
	intermediaires dont le nombre est infini au pied de la Lettre;
	Des femmes enfin, qui d’après quelques Caractères generaux,
	semblent appartenir au même genre, et qui pour tout le reste
	n’ont absolument rien de commun.
	Les Classifications morales sont encore beaucoup moins en actes
	que celles de l’histoire naturelle qu’à certains égards M. de Buffon
	desapprouve avec tant de raison. Le Chevalier Linné dans son
	fameux sixtème de la nature rapporte, par exemple au même
	genre l’Ours, le Lyon, le Loup Cervier, le herisson et la Chauve
	souris; parce, dit il, que ces Animaux se ressemblent, en ce que
	leurs dents principales dans chaque machoire sont au nombre
	de six. Je suis scandalisé d’une Methode aussi peu naturelle.
	Mais Je le suis encore davantage, quand Je vois que Lucinde et
	Silvie sont comprises sous le nom general de coquettes, unique=
	ment parce qu’elles tachent de plaire toutes les deux,
	tandis qu’ailleurs elles se ressemblent encore moins que
	L’ours, et la Chauve souris.
	Je ne fais ces remarques, Messieurs, que pour vous
	prouver combien peu de valeur J’attache aux
	Reflexions que J’ay l’honneur de vous presenter.
	Roulant toutes sur des Idees generales, J’apprehende
	qu’elles pourraient être tres fausses dans l’application.
	La femme sage me parait tres respectable. Mais je
	voudrais en même Tems que Célimène fut un peu moins
	sage; Je ne vénère pas la Sagesse d’Eudoxe, parce qu’elle
	en est plus redevable à la froideur de son temperament
	qu’à la reflexion; Je felicite Bebise d’avoir été sage
	Jusqu’à ce moment; Mais je n’en tiens compte qu’à des
	circonstances qui n’ont point dépendu d’elle.
	Generalement parlant je déteste la prude, parce
	que l’hypocrisie est reellement détestable; Mais Je recon=
	nais aussi que dans l’état actuel de nos societés, et peut
	être dans l’état de la nature meme, il entre necessairemt un
	<128> un certain degré de pruderie dans le Caractère de Chaque
	femme. Au reste exigerions Nous qu’elles fussent egalement
	vraïes dans tous les tems et dans tous les Lieux; Qu’elles
	eussent le même maintien dans un tête à tête, et devant
	les yeux du Public.
	La femme tendre Livre sans reserve son cœur à un seul
	objet, qui occupe toutes les facultés de son être, ou pour le dire
	en un mot, la femme tendre est celle qui aime pour
	aimer. Je suis persuadé, Messieurs, que vous ne me de=
	manderés pas la définition d’un tel amour; Je me conten=
	terais de vous répondre qu’il consiste dans le plus delicieux
	de tous les sentimens, également indefinissable pour celui
	qui ne l’éprouve pas. Malheur à ces hommes Vulgaires
	qui s’efforcent de Jetter je ne scai quel ridicule sur le
	nom sacré de l’amour pur, qu’ils osent traiter de Chimé=
	rique, parce que leurs ames depravées sont inca=
	pables d’en sentir les Charmes! Malheur à ces tristes
	raisonneurs du siècle, qui après s’être rendus insensibles
	à force d’argumenter, tachent de détruire sans les autres
	les germes les plus precieux de la nature, en voulant les
	Annaliser! Je ne pardonnerai Jamais à l’estimable
	Helvétius d’avoir defini l’amour, par la fievre de la Vertu:
	Mais ce qui m’afflige infiniment davantage, C’est qu’à
	Paris personne n’a pensé à relever cette heresie
	beaucoup plus grave que la plus part de celles qu’on a tant
	censuré dans le Livre de l’Esprit. Non; L’amour n’est
	point fatal à la Vertu; Il en est au contraire l’appuy
	le plus sûr; Il défend tout essor aux desirs Sensuels;
	Il se suffit à lui même; Il est sa propre recompense.
	Sans le desir de plaire, la femme tendre s’exposerait
	au malheur d’aimer seule; Elle se priverait de ce que l’amour
	a de plus delicieux, de la confiance d’être aimée. Mais
	pendant qu’elle ne veut plaire qu’à l’Elû de son Cœur elle
	ne scaurait si appliquer, sans plaire en même tems à tous les
	<129> les autres.
	La Galanterie nuit une femme aux objets de ses desirs sans
	produire un attachement fixe qui ait la source dans le cœur.
	La femme Galante veut qu’on l’aime, mais tous ses gouts
	ne son fondés que sur les sens, et en se livrant aux Passions
	les plus ardentes, elle aime le plaisir et jamais l’Amant. Les
	liaisons ne sont qu’un commerce de vices; Elle agare s’arr=
	ange, congedie, et reprend, suivant les besoins du moment;
	besoins qui renaissent à mésure qu’on les satisfait, et qui ne
	finissent que lors que l’age vient en tarir les sources.
	Dès qu’on admet cette idée de la femme Galante, on m'
	accordera sans difficulté qu’elle est l’opprobre de son sexe.
	Mais le mot de Galanterie, suivant qu’on l’applique à des cas
	particuliers, a encore tant d’autres significations, que
	je n’auserais en porter un Jugement general. Souvent
	il n’est emploïé qu’à designer la partie sensuelle de l’amour,
	et dans ce cas il faut avouer que Jusqu’à un certain
	degré, la galanterie est pour le moins aussi conforme
	aux Vœux de la nature que les beaux sentimens. Je viens
	de faire l’Eloge de la femme tendre; Mais si éternellement
	elle ne voulait être que cela, elle serait insuportable
	même dans un Roman. Dans toutes les recherches sur
	l’homme aussi bien que sur la femme, il ne faut jamais
	perdre de vüe, que nous sommes des êtres Mixtes, composés d’un
	corps et d’une ame, et que par consequent le materialisme
	et l’idealisme s’écartent egalement de la Verité.
	Mais que dirai je de la femme coquette, et qu’est ce
	que la coquetterie? Ce n’est point le desir de plaire,
	puis qu’il est Commun à la totalité du Sexe, et que vous
	regardés les Coquettes comme une classe de femmes à part.
	Je trouve dans le Dictionnaire Encyclopédique que
	par coquetterie on entend, un travail perpétuel de l’Art de
	plaire, pour tromper ensuite. Cette définition
	me jette dans de Nouveaux doutes sur le véritable sens de vôtre
	<130> de vôtre question, serait il possible que vous eussiés deman=
	dé, s’il est bon que les femmes se jouënt de nos plus
	belles passions; s’il est bon que des êtres faits pour sentir
	soient inaccessibles à l’amour; s’il est bon que les
	femmes soient intrigantes et vaines; s’il est bon que toute
	leur vie soit un tissu de faussetés; s’il est bon… Je
	m’arrête, pour ne continuer qu’apprès avoir entendu
	vos définitions. Cependant en cas que vous nommiés
	Coquetterie l’action de Galathée, qui Jette une pomme à
	son Berger, et fuit maladroitement dans un Bosquet;
	Je vous declare d’avance que cette coquetterie me parait
	Charmante. Au reste je pense avec Montaigne que les
	femmes doivent toûjours nous battre en fuyant comme
	les Scythes, même celles qui ont à se laisser attrapper.





