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« Sur la philosophie pratique », in Journal littéraire, Lausanne, 28 juin 1781, p. 59-60v
28e Juin<59> Assemblée presidée par Mr Gillies.
Mr Bugnion Sec. présens Mssr Deyverdun,
de Corcelles, Levade, de Montagny, Vernêde
Question traittéeEn quoi consiste la Philosophie pratique?
Mr Vernêde y a répondu par leun un Mémoire i3 caractères biffure
Si l'Experience ne 1 mot biffure dont voicy l’Extrait.
Il ecarte d’abord tous les faux sens qu’on donne
depuis lontems au mot de Philosophe, et
fait consister la Philosofie pratique dans
la culture de la Raison, dans la recherche
de la Verité & dans la pratique de la Vertu.
«Un Philosofe veritable, dit il, connoit tout le
prix de l’Intelligence, cette Faculté excellente,
ce Don divin! Econome d’un tems aussi fugitif
que prétieux, il cultive son Esprit par la
Lecture, par la Reflexion & par la Conversation.
Actif, non moins qu’attentif, il exerce; il etend
il perfectione son Génie, il s’etudie à
reconnoitre la nature des choses, leurs relations
entr’elles, la Subordination des uns aux autres,
leur prix, nommément des choses, qui l’intéressent
essentiellement; Ainsy la Verité, & la Verité
d’un usage utile est l’objet de ses constantes
recherches.
Mr V. passe ensuitte au detail des moyens
qu’emploïe ce vrai Philosofe pour faire des
progrès soutenus dans la Connoissance de
la Verité & dans la pratique des Vertus qu’elle
lui inspire; C’est l’Evangile qui lui fournit les
plus puissans par la clarté des lumières
<59v> par la force des Motifs & par la grandeur
des espérances qu’il lui présente.
«Ainsy l’Ame du Philosofe est habituellement
sereine; Point de Caprices, point d’inegalité,
point d’humeur, nuls travers, la Raison
règne sur cette Ame, son Coeur est
habituellement calme, point de mouvemens
desordonnés, de Passions impérieuses; de Remors
rongeans, l'ordre règne dans son Ame, sa
Conduitte est réglée & uniforme, soutenüe,
propre à lui concilier l’estime, la faveur &
l’amitié, propre à exciter l’emulation, sa
Vie est heureuse, & il ne la quitte que
pour entrer en possession d’une autre
Vie plus heureuse encor & qui ne finira jamais.»
Mr V. ajoute qu’il croit avoir tracé un
portrait fidèle de la Philosofie pratique,
de celle qui est plus ou moins à la portée
de tous, & que tous doivent cultiver. Il termine
son Mêmoire intéréssant par des Vœux très
vifs, pour que cette belle Philosofie s’etende
sur tous les Cœurs, & particulièrement
sur celui de l’Autteur de la Question, qu’il
soupconne être une femme aimable
et une tendre Mère en même tems à qui
il souhaitte «un Essaim joïeux de petits
Philosofes, des Enfans sensés, doux & dociles qui
se forment à l’ombre de la Sagesse d’une
Mère raisonnable, dont les discours & l’exemple
ne peuvent qu’être infiniment persuasifs».
<60> Mr V. a bien voulu donner en même tems une
Copie de son Mémoire, qui res pour rester dans
les Layettes de la Societé, suivant les derniers
Règlemens à ce sujet, qu’on prie tous les Membres
de ne pas oublier.
Mr Levade croit que l’Antiquité ne nous offre
aucun modële d’un vrai Philosofe pratique, que
celui qui alloit de lieu en lieu fesant du bien
& qui y consacra toutte sa Vie; Il pense de plus
que cette Question seroit plus intéressante, en
la reduisant au seul point de savoir, pourquoi
y aïant un si grand nombre de Philosofes
speculatifs, il y en a si peu de pratiques?
Mr De Corcelles adopte avec empressement cette
nouvelle question, & demande si on ne peut pas
mettre Socrate sur la liste des vrais Philosofes
pratiques, quoiqu’à une immense distance
du précédent.
Mr de Montagny & Mr Bugnion de même
& celui ci a seulement ajouté qu’il croyoit
entrevoir une solution de la nouvelle Question
dans la datte du developpement des Facultés
chés les Enfans; La plûpart n’entendent
parler de Philosofie que lorsque les diverses
Passions qui la croisent ont déja jetté un
germe dans leur Cœur; Ce principe d’action
y occupe des là la première place, & on a beau
admirer ensuitte la Philosofie, Le goût
dominant conserve son ressort & le fortifie
même chaque jour.
<60v> Mr Deyverdun adopte admet aussi la nouvelle
Question; en remarquant que le nom de Philosofe
est devenu ridicule chés presque touttes les Nations,
parce que ceux qui s’en sont parés etoient
vicieux; Vertueux dans les speculations du
Cabinet, touttes ils laissoient eclater
touttes les passions dans la societé, Salluste
en fût un exemple remarquable chés les
Anciens, Il etala la Morale la plus
sevère des Stoïciens dans ses Ecrits, & se
distingua par ses debauches; Chés les
Modernes, les François sont celle où le nom
de Philosofe est devenu le plus meprisé
par la même raison; Il n’y en a même
plus qu’une seule, l’Angloise, qui fasse
quelqu’exception à cette règl remarque, &
où l’homme qui peut prétendre au titre
de Philosofe par les Connoissances,
s’honore en même tems de celui de bon homme
ou d’homme de bon Naturel.
Mr le Président après avoir resumé les
opinions, nous fît une Histoire concise de
la Philosofie en marquant habilement les
différentes degradations du mot de Philosofe
qui degénéra enfin dans celui de Sofiste.
La Question de la prochaine Assemblée
sera Qu’est ce que l’Attention & les Moyens de
l’acquerir? et la Societé se tiendra chés
Mr Vernêde.