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« Sur les vocations », in Journal littéraire, Lausanne, 26 novembre 1780, p. 26-28v
<26> Assemblée du 26e Novembre, Président
Mr de Saussure de Morges, Secretaire par interim
Mr Verdeil
QuestionPeut-on, sans mériter le blâme, se dispenser d’avoir
une vocation décidée dans la société?
M. VernedeM. Vernede a ouvert la séance par un Discours
dans lequel il a examiné 1° quelles sont les dispositions
de l’esprit & du cœur, que chaque membre de cette
Société doit y aporter? 2° quelles sont les diverses utilités
des questions qui s’agitent dans la Société, & quel éstait
le tour d’esprit qu’il falloit avoir pour y répondre
pertinemment? Enfin 3° quels sont les meilleurs moyens
d’engager les membres de la Société, à y assister avec plaisir
& avec assiduité? Les qualités du cœur et de l’esprit sont selon M.
Vernede l’affection, l’indulgence, l’activité et l’émulation.
Ainsi, dit-il quelque part dans son discours, confiance &
liberté, ainsi activité, zèle, Emulation, communication
libre et intéressante d’idées & de sentimens, soyez à jamais
les doux fruits de l’affection qui doit règner entre les mem=
bres de cette Société! L’utilité des questions est selon M.
V. de fixer l’esprit sur un sujet, de l’éclaircir de façon
qu’on voye les choses telles quelles sont & non qu’elles parais=
sent au premier coup-d’œil; elles servent encore dit-il, à
perfectionner le talent d’écrire, ou la faculté de parler.
Quant au tour d’esprit, par lequel M. V. entend la manière
de concevoir & de présenter les objets, il consiste à les envisa=
ger, comme tout ce qui nous intéresse dans le monde, du
côté de leur plus grande utilité, et pour cela il faut de
la pénétration, de la fécondité & de la précision. Le moyen
enfin de rendre les membres de la Société aussi assidus
que possible, c’est de joindre à l’utilité, l’agrément dont
tout le monde sent les charmes.
SmithOn a ensuite repris la question des vocations, à la=
quelle Mr Smith a repondu, par un memoire, où il remonte à
l’origine de la societé: Ca n’est pas une institution vague et acci=
dentelle: Elle est fondée sur la necessité. Il la considere come un
centre comun où toutes les parties composantes se raportent, et dont
aucune ne peut s’ecarter. De la pour chacun des Membres l’obliga=
tion indispensable de consterer à la societé l’usage de ses talens et de son
industrie:
<26v> de là une mesure pour apprecier toutes les retraites
pretenduës philosophiques, et celles de devotion.
Mr Smith trouve dans la nature de l’Âme, et l’acti=
vité qui lui est propre une 2' raison determinante en
faveur d’une vocation décidée.
Il fortifie cet argument par une comparaison entre
le corps naturel et le corps politique qu’il n’est pas
besoin de detailler yci.
Il observe que la societé etant l’assemblage de tous
les membres qui reunissent leurs pouvoirs pour aquerir et
pour conserver les biens qui ne se trouvent pas dans
l’Etat de nature; Cette convention tacite suppose dans
chaque individu le vœu d’emploier toute son industrie
au bien general, chacun dans la sphère qui lui est ppre.
Il dit quelque part que l’home oisif est un zéro qui
occupe la place d’un Chiffre sans en avoir la valeur.
Il revient à l’argument tiré de l’activité de l’ame.
Il cite l’exemple de Pelisson qui, privé de toute societé
dans la prison où il etoit renfermé, forma une societé
artificielle avec une Araignée.
Il cite la loi de Solon qui traittoit come ennemi de
l’Etat celui qui dans les temps orageux observoit la
neutralité.
Il termine enfin son discours par le parallele de
Brutus et d’Atticus; Il nous presente Brutus
mourant à Philippe, victime de son attachement à la
liberté et à la patrie, mais emportant avec lui l’admi=
ration et les regrets de tous les bons Cytoiens; Il nous peint
Atticus, spectateur indifferent des scènes violentes qui
4 caractères recouvrementbouleversoient l’Etat, l’ami des Tyrans qui le déchirent.
Il nous invite à choisir entre ces deux Carractères
et se persuade aisément que des Suisses à qui le devoue=
ment p. la patrie n’est pas etranger n’hesiteront pas dans
leur choix.
Mr LevadeAprès lui Mr Levade lût un discours sur la même
question où il etablit que l’on peut se dispenser
d’avoir une vocation decidée dans la societé par
les considerations suivantes:
<27> 1° parce qu’il est des homes qui 5 mots recouvrementne paroissent ppres à aucune
vocation determinée par defaut d’intelligence ou de santé &c
fruges consumere nati.
2° parce qu’il en est qui par le malheur des circonstances vivent
et meurent sans avoir pû embrasser la vocation qui leur est ppre
parce qu’il est bien rare de pouvoir dêmêler cette disposition
naturelle l’indoles, du sujet que l’on veut occuper, et que par
un choix souvent prématuré et toujours difficile on fait sou=
vent de la tête une jambe du pied une oreille, en un mot on
grossit la foule des gens inaptes et déplacés.
3° parce qu’il est dans la societé une foule de Vocations nuisibles
à la santé et aux moeurs tels que les danseurs Comeddiens
brodeurs, vernisseurs.
4° parce que par les vices de nos institutions et de nos usages
nous avons fermé à des classes nombreuses de Cytoïens la
porte des vocations utiles. La noblesse croirait déroger si
elle exercait quelqu’autre profession que celle des armes.
Le Bourgeois par un autre prejugé ne peut exercer que le
Comerce ou les professions savantes.
parce que les professions sont estimëes à raison inverse de
leur utilité ce qui detruit l’ordre dans la societé, et fait
rechercher les unes au detriment des autres.
5° parce qu’il est des vocations où la concurrence est telle
que ceux qui les exercent sont forcés de mourir de faim
où il y a plus de Maitres que d’Ecoliers. &c.
parce qu’il est des pays tels que le nôtre, où des Circons=
tances locales diminuent le nombre des vocations non seulemt
justifiant mais forcant en quelque maniere à n’en point choisir.
Mais s’il est des raisons dit l’auteur qui puissent
dispenser le Cytoïen d’exercer une vocation decidée dans la
societé, il n’en est point qui le dispense d’un travail utile
proportioné à sa force et à ses talens. Yci Mr Levade
cite J. J. Rousseau, definit ce qu’il entend par un travail
utile et proscrit toutes les vocations oiseuses qui ne
remplissent point le bût de la nature et de la societé.
Il offre ensuite à ceux qu’il dispense d’une vocation decidée, le choix
de ces deux genres de vie vraiment honorables, l’Agriculture et les
Lettres. Il conclut en faisant l’eloge le plus juste et le plus
attraïant de ces deux genres de vie.
Mr Vernede<27v> Mr Vernede traitta aussi par écrit la question
des vocations. Il veut qu’on substituë le mot de
profession à celui de vocation qui n’est pas assés determiné.
Toute societé dit il suppose de la part des membres
qui la composent un engagement tacite de procurer
le plus grand bien de cette societé, et de l’avancer de tout
son pouvoir. Le sauvage même errant dans les bois
mais vivant en famille est forcé à quelques devoirs, est con=
traint d’exercer quelques arts. Exercer une profession
est donc d’une obligation stricte, il n’y a qu’une impossibi=
lité absoluë qui puisse en dispenser.
Trois Raisons de plus y determinent.
1° La necessité de se procurer la subsistance.
2° Les avantages attachés au travail.
3° La convenance et la satisfaction de se rendre utile
à ses semblables.
Quand le premier motif n’existe pas: les deux autres
subsistent. De la p. les riches la necessité de travailler
utilement pour la societé, (et à cette occasion Mr Vernede
s’etend sur le danger de l’oisïveté, et décrit avec gouts
les avantages d’une vie active de manière à la faire aimer).
Enfin si l’age ou les infirmités dispensent de l’exercice des
professions penibles, elles ne sauroient dispenser de
l’obligation de s’ocucper utilement, et yci Mr V. dispute
les différentes manieres dont on peut le faire; puis il
termine son discours en déclarant que tout home qui
ne s’occupe pas utilement, s’il le peut, et autant qu’il le
peut, lui paroit mériter le blame des autres homes, celui
de la conscience, et celui plus redoutable encor de son
suprême Legislateur.
Mr VerdeilMr Verdeil parla ensuite. Il observa dans la societé
deux especes d’oisifs qui n’ont point de vocations. Les
oisifs pauvres et les oisifs riches. (Il laisse de coté
cette classe d’oisifs qui dans d’autres pays font à Dieu
le vœu de ne rien faire et de vivre aux dépens des
autres homes).
<28> Quant à la premiere classe, celle des oisifs pauvres. Il les regarde
come des membres gangrenés de la societé qui ne doivent pas plus
y etre tolerés que les voleurs et les assassins.
Quant à la 2e classe, celles des oifis riches. Il croit que cette classe
de Cytoïens qui apporte à la societé une quantité quelconque de ce
métal representatif de toutes les richesses, et par là fait de toute
espèce de travaux, politiquement parlant, est quitte envers la so=
cieté. Ce sont dit il des comerçans qui apportent leur or en
échange et qui dans l’Etat des choses et ensuite de l’inégale distri=
bution des richesses païent ainsi leur contingent d’utilité et de
travaux par le moïen de leur argent qui les represente tous.
Mais si l’homme riche considéré politiquement, est dispensé d’exercer
une vocation decidée dans la societé, il faut s’il veut être heureux
qu’il en choisisse une. Il n’a pas d’autre moïen de mériter l’estime
et la consideration, il n’a pas d’autre remède contre la satieté et
l’ennui.
La Carriere des beaux arts et des sciences lui est ouverte; Celle
de la magistrature et de l’agriculture semblent surtout faites
pour lui.
Mr de Saussure de Morges lût aussi quelques observations sur le
même sujet.
Il observa que la question ne pouvoit s’entendre que de cette
classe de Cytoïens que leur aisance exemte de la necessite physique
d’exercer une vocation et à qui le bon Etat de leurs facultés permet
d’ailleurs de faire ce choix; car il seroit absurde de 2 mots recouvrementl’appliquer à
tous ceux que la faim talone, ou à qui des vices de constitution ou
au phyique ou au moral interdisent toute espèce de vocation; ceux
ci dit il sont condamnés à l’inutilité, ceux là sont necessités au travail,
la question éclaircie se réduit donc à ceci. Si cette classe de Cytoïens
que la fortune a mis au dessus du besoin et que la nature a bien organisés
peut sans meriter le blame se dispenser d’avoir une vocation déci=
dée dans la societé.
Il pretend que non, et il tire ses raisons.
1° du pacte social qui oblige tous les Cytoïens et ne dispense persone.
Il repond à l’objection qu’on pourroit lui faïre que les besoins de la societé
ne sont plus aussi pressans, et que la societé peut bien se passer de quelque
un de ses membres. Il demande qui osera decider cette grande question; quel
est le Cytoïen qui le premier osera dire: Je pourrois bien être utile, mais
on peut se passer de moi.
<28v> 2° Il tire un 2e argument de la nature même de l’Esprit
humain, de son activité qui demande un aliment, d.
sa legereté et de son inconstance qui demande un objet.
3° Il trouve une 3e raison dans la facilité de faire un
choix dans la multitude de vocations. Il met au rang
des vocations decidées l’agriculture et les lettres.
4° Il insiste et cherche à prouver que cette classe de Cytoïens
privilegiés est tenûe à plus de devoirs envers la societé,
puisqu’elle les doit d’avantage et qu’elle a plus de moïens
pour s’aquitter.
Il etend l’obligation d’exercer une vocation à tous les
ages à moins d’impossibilité absoluë; cette obligation etant
fondée sur la nature de l’home et sur le pacte social ne
souffre pas d’autre exception.
Il conclut paren invitant les societés à s’occuper des moïens de multiplier l’industrie
que tous les bras leur dit il se remuent à votre voix, pro=
fités de la debile enfance et de la caduque vieillesse; societés
chassés les frelons de votre ruche ou plutot forcés les à un utile
travail.
Les autres membres 1 mot biffure se decidèrent tous en fa=
veur d’une vocation quelconque; ils trouverent que les in=
conveniens devoient rendre prudens sur le choix, mais
qu’ils n’étoient point une raison sufficiente pour en dispenser.